LIEN SOCIAL ET RELATIONS INTERGENERATIONNELLES : Rôle
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LIEN SOCIAL ET RELATIONS INTERGENERATIONNELLES : Rôle
AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch LIEN SOCIAL ET RELATIONS INTERGENERATIONNELLES : Rôle et place du travail social. Introduction : Le titre de cette conférence est en lui-même problématique en ce sens qu’il cible une question dont la réponse n’est pas à ce jour totalement aboutie. En effet, la place du travail social dans le cadre d’un travail sur les relations intergénérationnelles n’est pas une donnée d’évidence d’autant plus qu’il convient de souligner la difficulté du travail social à exister dans le champ de la gérontologie. - Diverses raisons permettent de comprendre cette quasi-absence du travail social en gérontologie : • la gérontologie s’est construite à partir des années 60 en France, comme conséquence du rapport Laroque, autour des seuls acteurs qualifiés présents auprès des personnes âgées, c'est-à-dire des acteurs sanitaires qui occupent le champ, obtiennent une légitimation de l’Etat 1et occultent d’autres acteurs. La question de la prise en charge des personnes âgées se joue autour de l’accompagnement des actes du quotidien et les IDE, sont en mesure, plus que les assistants sociaux, par la forme de leur intervention, d’assurer cette incursion nécessaire dans le quotidien des gens âgés. • Dans les politiques gérontologiques des années 60 et 70 en France, le terme social est utilisé dans le sens de la vie sociale à savoir la vie quotidienne (aides à domicile, repas…) : le travail social est alors absent de ce champ d’action car il se situe généralement sur le registre d’interventions ponctuelles d’évaluation, d’expertise, plus rarement d’accompagnement, le modèle retenu étant celui de la profession d’assistant de service social. • Il faut au demeurant souligner que le travail social n’investit pas la gérontologie et ne manifeste aucune volonté d’être présent dans ce secteur. Une hypothèse se référant aux valeurs fondatrices du travail social est sans doute en mesure de faciliter la compréhension de cette absence volontaire. Les fondements du travail social et sa mission fondamentale est « développer l’autonomie et la promotion des individus et des groupes ». Il est sans doute difficile de penser la mission d’autonomie comme susceptible de s’appliquer à des personnes qui vont vers la fin de leur vie, et qui, en conséquence s’acheminent vers une dépendance accrue vis-à-vis de tiers. Il 1 La légitimation passe, comme le démontre Rémi Lenoir par une reconnaissance des compétences, le développement de formations qualifiantes et la mise en exergue par l’Etat du rôle que peuvent jouer ces acteurs dans les politiques publiques. Cf « L’invention du troisième âge » in Actes de la recherche en sciences sociales, mars 1989. 1 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch y aurait là une antinomie fondamentale qui finalement concernerait plus largement à l’ensemble de la société.2 • En France, les politiques de la vieillesse s’articulent autour de la problématique du soin puis de la dépendance. 3 Ces politiques ne viennent légitimer la présence du travail social en gérontologie qu’avec l’instauration de la Prestation Spécifique Dépendance en 1997 qui instaure les Equipes Médico-sociales au sein des conseils généraux chargés de l’instruction des demandes. Encore aujourd’hui cette forme de problématisation perdure puisque la surmortalité liée à la canicule a été essentiellement nommée, au niveau politique et dans les médias « catastrophe sanitaire ». • Lorsque la question des relations entre les générations émerge, elle ne se pose que sur fond de crise sociale, de « fracture sociale », de crainte d’une opposition entre des « retraités nantis » sur le plan économique et des générations plus jeunes victimes de la crise et du chômage… 1. Les relations intergénérationnelles : Des rencontres difficiles entre les générations. Nous observons aujourd’hui la coexistence dans nos sociétés occidentales de 4 voire parfois 5 générations qui peuvent toutes avoir des besoins sociaux différents : problèmes économiques des plus jeunes, situation particulière des générations dites sandwich ou pivot -ces soixantenaires qui ont à soutenir les générations plus âgées confrontées à la dépendance et à venir en aide aux générations plus jeunes, parfois frappées par les problèmes d’emploi ou de dislocation familiale-, générations très âgées frappées d’incapacités… Ces générations vivent côté à côte, se soutiennent parfois mais se rencontrentelles encore ? Différents éléments inhérents à la structuration et aux évolutions de nos sociétés contemporaines semblent rendre ces rencontres improbables, ou en tout état de cause difficiles. Même si les familles restent le lieu privilégié de la rencontre entre les générations,- et c’est en ce cercle que subsistent des relations de solidarité fortes s’exprimant de différentes manières : services, dons financiers…- la mobilité géographique et sociale – souvent liée aux nécessités de la vie professionnelle ou aux aléas de la vie conjugale- qui les affecte aujourd’hui ne facilite pas ces retrouvailles. Au-delà du cercle familial, l’organisation sociale creuse un écart de plus en plus grand entre les générations. Trois facteurs peuvent être appréhendés an matière d’explication à ce phénomène : 2 Marcillat Hervé, Vieillesse et société : le rendez-vous manqué, la dépendance des personnes âgées en question, ed. Erès, 2000. 3 lire à ce propos Bernard Ennuyer, les malentendus de la dépendance, ed. Dunod, 2002. 2 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch - Un aménagement fonctionnaliste du territoire : l’urbanisme, les politiques d’habitat semblent aujourd’hui principalement pensés en fonction de critères arrêtés de partage de l’espace public question du partage de l’espace public orienté vers les besoins de la vie active et productive. C’est ainsi que les rues et avenues sont pensées pour les besoins de la circulation automobile, l’accès aux services et aux commerces en fonction des besoins des personnes qui travaillent… Les générations les plus âgées, vouées à d’autres rythmes et d’autres besoins se trouvent ainsi gommées de l’espace public, n’osant s’aventurer sur des places ou dans des rues, dédiées à la rapidité. - Des politiques catégorielles qui s’élaborent en fonction des besoins spécifiques de publics cibles pensés le plus souvent à partir de critères d’âge : ainsi se mettent en place des politiques publiques pour la petite enfance, puis pour l’adolescence, puis pour le troisième âge ou encore la vieillesse dépendante. Chacun de ces axes politique donne lieu à l’instauration de dispositifs spécifiques, qui renvoient à des lieux particuliers de prise en charge. Ces lieux, ces services spécifiques n’autorisent pas le cotoiement , a fortiori la rencontre de ces publics, marqués sur le plan générationnel. - Plus fondamentalement encore, la rencontre de groupes sociaux ou de générations ne peut se penser en dehors de la question des valeurs d’échange.4 Les générations les plus anciennes ont été historiquement porteuses de valeurs d’échange aujourd’hui disqualifiées : le patrimoine foncier, disqualifié depuis l’industrialisation et l’urbanisation, la tradition et l’expérience également disqualifiées aujourd’hui, dans des sociétés en mutations très rapides et qui se tournent résolument vers leur avenir. Que vaut en effet l’expérience d’un mineur de fond à une époque où l’ensemble des houillères du territoire est voué à la disparition ? Cependant, au-delà de ces difficultés, il semble bien que les rencontres –peut-être les retrouvailles- entre les générations sont à réinventer, sans doute, plus que jamais. Les fondements de la génération constituent un enjeu pour le « vivre ensemble » dans nos sociétés contemporaines. A quoi servent les générations ? - 4 5 La génération est un marqueur de l’insertion sociale. Être d’une même génération, c’est partager une même histoire politique et sociale que l’on a vécu au même moment de sa vie. Comme le souligne Dilthey : « la génération forme un cercle assez étroit d’individus qui, malgré la diversité des autres facteurs entrant en ligne de compte, sont reliés en un tout homogène par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands évènements et changements survenus durant leur période de réceptivité ».5 Se référer à ce propos aux travaux de Marcel Mauss ou de Pierre Bourdieu sur la société kabyle. Dilthey, le monde de l’esprit, Histoire des sciences humaines, Paris -Aubier, 1947. 3 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch - La génération est ainsi un support d’unification nationale. Les personnes d’une même génération partagent un sens donné à l’histoire. « La génération sociale est définie comme un milieu spirituel original, comme un état d’âme collectif incarné dans un groupe humain qui dure un certain temps, analogue à la durée d’une génération familiale ». 6 La génération a une fonction idéologique, elle supporte la conscience collective, elle fait naître une communauté d’intérêts. - Rupture et continuité. Les générations participent du renouveau et de la permanence. Parce qu’elles se succèdent et contribuent à la production de l’histoire, les générations sont un vecteur du changement dans la continuité. Elle s’imbriquent comme les tuiles d’un toit et parce qu’elles se succèdent en se chevauchant, elles sont porteuses de mémoire et à la fois de l’oubli nécessaire à l’invention du futur. La disparition continuelle des générations antérieures remplit la fonction sociale nécessaire de l’oubli. Les relations entre générations ont donc une fonction sociale de la permanence de la société : garantir la continuité et éviter le rupture dans l’histoire sociale, une fonction de cadre pour l’existence en commun à travers la constitution générationnelle de la mémoire collective. - L’inscription générationnelle permet d’être un héritier et non un vagabond, un errant :Hériter d’une histoire, d’un travail social, de luttes, d’un sens prédéfini, ne pas sortir du néant et pouvoir en même temps le réorienter en fonction de l’expérience vécue et partagée à un autre moment de l’histoire. Il s’agit fondamentalement de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Générations et travail social : 6 - Les Travailleurs sociaux ont sans doute à intervenir sur des registres de soutien à certaines générations pour qu’elles puissent continuer à jouer le rôle social attendu d’elles, généralement vis-à-vis d’autres générations : à travers notamment des dispositifs d’aide aux aidants pour soutenir les générations pivot dans leur rôle de soutien à la dépendance de leurs ascendants mais aussi peut-être pourrait-il s’agir d’aider certaines générations à définir un rôle qui leur convienne davantage que le rôle qui leur est assigné, à réinventer leur place sociale. - La condition d’une intervention pertinente du travail social me paraît être le développement d’une approche systématique, non en tant que méthode d’intervention mais en tant que regard porté sur les situations. Il s’agit Mentré, les génération sociales 4 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch essentiellement de composer avec une grille de lecture générationnelle des situations, c'est-à-dire de mettre en lumière et d’identifier la spécificité du positionnement générationnel de chaque membre d’une famille ou de chaque personne auprès de laquelle le travailleur social intervient. Il s’agit là de préserver les équilibres familiaux et sociaux et de valoriser l’identité historique et sociale de chaque sujet. - Il est essentiel également de se faire garant de l’ordre générationnel. Chaque personne est inscrite dans une génération et l’inversion des rôles dont il est tellement question lorsque la fille de 60 ans dit « être devenue la mère de sa mère » est de nature à perturber l’identité de chacun des sujets et plus globalement de chacune des générations. - Pour ce faire, il est absolument nécessaire d’effectuer un travail de requalification des générations. Cet enjeu dont peuvent être porteurs les travailleurs sociaux nécessite la mobilisation de méthodes d’intervention inventives telles que récits de vie, médiatisation d’images….C’est un travail éducatif de longue haleine qui prend sa source dans la revalorisation d’un autre temps…le passé. C’est un travail politique qui doit permettre de travailler les images, les mentalités et ancrer le futur/progrès/avenir au passé. 2. Le lien social : Le lien social en mutation. La question des relations entre les générations renvoie à la nature du lien social, c'est-à-dire à la nature de ce qui lie entre eux les membres d’une même société, qui procure un sentiment « d’affiliation » et d’appartenance.7 Le constat que nous pouvons faire aujourd’hui au-delà du catastrophisme développé par certaines mentionnant la disparition de tout lien social, est celui de modifications fondamentales de la nature et des formes de ce lien. - 7 Les liens sociaux qui se développent aujourd’hui peuvent être qualifiés de fonctionnalistes, parcellaires, électifs. C’est à dire que les sociétés occidentales sont soumises à des mutations fortes tant sue le plan des valeurs collectives dominantes que sur le plan de leur organisation, de leur structuration. La solidarité mécanique décrite par Durkheim n’est plus qu’un ideal-type sans application concrète. Les liens qu’entretiennent les individus et les groupes entre eux et à l’ensemble du corps social se développent dans une logique instrumentale qui n’engage plus la totalité de l’identité. Ils sont finalisés à partir d’objectifs spécifiques tels que la relation amoureuse, familiale, l’insertion professionnelle. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’ils sont parcellaires et fonctionnalistes. De même, la solidarité ne s’impose plus comme une loi impérative de fonctionnement du groupe social. Elle est Castel Robert, les métamorphoses de la question sociale, ed. Fayard, 1995. 5 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch élective et se développe sur des logiques émotionnelles et strictement affectives. Sans amour, sans émoi, point de solidarité. La solidarité du devoir- maintenue par le principe de l’obligation alimentaire- s’exprime, a minima, sous la contrainte le plus souvent et se trouve assez généralement remise en cause. - La mobilité sociale et géographique qui caractérise nos sociétés impose par ailleurs une discontinuité des liens et des réseaux. - De plus, la faillite des grandes idéologies, la remise en cause des églises , la crise sue traversent certaines valeurs traditionnelles provoquent aujourd’hui un vide de sens collectif préjudiciable à la cohésion sociale et au sentiment d’appartenance à une société unifiée. - Les instances traditionnelles de socialisation sont mises à mal. On assiste à une désaffection du politique, une crise de l’école qui cherche à définir ses nouvelles missions, à un remodelage des fonctions de la famille…Le relais par d’autres instances susceptibles de réinventer du lien social n’est pas encore tout à fait assuré. - Les gens âgés sont concernés au premier chef ainsi que d’autres catégories dites vulnérables par ces modifications. L’effritement des réseaux sociaux avec l’avance en âge, tel qu’il a pu être décrit par les travaux du sociologue François Héran, vient mettre à mal la conscience et l’expérience du lien social chez les plus anciens d’entre nous. Les mutations rapides de nos sociétés les placent face à un monde nouveau dont les codes leur sont inconnus et dans lequel, ils peinent à trouver une place et un rôle social reconnus. - Or, si l’être humain à la fin de sa vie développe des besoins nouveaux, il n’en reste pas moins un être social dont l’intégrité ne peut être préservée que dans la prise en compte de cette dimension sociétale de son existence. Quel rôle pour le travail social. Face à ce risque de « désaffiliation », le travail social est susceptible de s’inscrire dans des logiques de prévention, de réhabilitation, et de reliance en développant des interventions conformes à ses fondements éthiques. Il pourra alors être question : - prendre en compte les plus âgés comme des êtres sociaux à part entière en considérant ce que leur parcours de vie porte de continuité et de nécessité de cette continuité. - prendre en compte la question du sens de la vie qui ne peut se penser sans lien avec le corps social. 6 AD’AGE, association des animateurs/trices en gérontologie (Genève) – adage-animation.ch Autour de ces deux impératifs, l’exercice consistera à autoriser l’expression du projet de vie de ces personnes, à lui apporter la validation nécessaire et les moyens de sa réalisation. - permettre l’existence de liens en s’inscrivant dans une logique préventive : anticiper les ruptures et les accompagner. Une vigilance toute particulière devrait être apportée à des moments clefs de l’existence qui peuvent être synonymes de ruptures dramatiques tels que le passage à la retraite, le veuvage ou les premiers accidents de santé… - permettre l’existence de liens en travaillant dans le sens de l’ aménagement du territoire, sous des formes diverses : transports, habitat, lieux de rencontre…Pour ce faire, il paraît indispensable de passer d’une logique d’accompagnement individuel à une logique d’intervention collective, de porteur de projet et d’expertise. - soutenir les liens familiaux pour que chacun y trouve sa place, son rôle non conformément à des prescriptions sociales mais conformément à l’histoire de vie, soutenir les liens de voisinage. Faire en sorte que les personnes ne soient pas amenées à occuper des places pour lesquelles elles ne sont pas faites. - Retricoter les liens défaillants : faire médiation au cœur des systèmes. Le travailleur social peut investir de manière très utile ce rôle de médiation pour des personnes, des groupes, des instances qui ne trouvent plus la voie de la communication directe. - Inventer de nouveaux liens quand les liens passés ont tous disparu en initiant des réseaux de soutien, de bénévoles, en mettant en œuvre des formules de parrainage... Fondamentalement, il ne s’agit que de s’inscrire dans une véritable posture d’accompagnement dans une logique de prise en compte globale des personnes à la recherche du sens de l’existence humaine. Un des enjeux fondamentaux pour la gérontologie dans les années à venir consiste à faire place au travail social pour restaurer la position d’individu sujet social tout au bout de la vie, mais un des enjeux pour le travail social est de revenir à ses fondements éthiques et c’est peut-être en réponse à la convocation des plus âgés d’entre nous que ce retour essentiel pourra s’opérer. Catherine Gucher Maître de conférences IUT2, Centre Pluridisciplinaire De gérontologie, Centre de Sociologie des Représentations et Pratiques Culturelles, Université Pierre Mendès France, Grenoble. 7