L`Abbé de l`Épée » de Michel Rouvière

Transcription

L`Abbé de l`Épée » de Michel Rouvière
Spectacle vivant / Audiovisuel / Art / Édition / Multimédia
HORS-SÉRIE 2012 • www.art-pi.fr
Magazine artistique
T
I
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T
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HORS-SÉRIE
BANDES DESSINÉES
DES SOURDS
TALENTEUX
À travers l'Histoire
et la communauté
Sourde
Presse, théâtre,
peinture, sculpture...
UN PASSÉ
RETROUVÉ
AGENDA
9 772118 594009
À la rencontre
de la culture Sourde
Images inédites
et chefs d'œuvres
oubliés
Tricentenaire
de la naissance
de l'abbé de l'Epée
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SUR LES SOURDS ET
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Scénario : Sophie Laumondais, Noémie Churlet / Dessin : Alex Sambe
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alimentaires, dans des annuaires, dans vos boutiques de
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écran. En un flash, vous accéderez au site Internet !
EDITO
Edito
Sourd est utilisé pour désigner la Culture Sourde
sourd est utilisé pour la généralité, pour l'aspect médical
U
n grand merci à notre marraine Emmanuelle Laborit
qui nous a soutenus depuis le début de la préparation de ce hors-série.
Au moment où la décision a été prise en interne de préparer un hors-série pour le tricentenaire de l’abbé de l’Épée, je
n’avais pas d’enthousiasme particulier pour cet homme. Ce
qui m’intéressait : profiter de cet anniversaire pour mettre
en lumière les artistes sourds à partir de son époque. J’avoue
qu’il m’agaçait un peu, on lui prête l’invention de la Langue
des Signes ! C’était considérer les sourds sans intelligence,
sans besoin de communication, cela en était vexant ! Lui
attribuer la capacité de sauver les sourds de la miséricorde
me semblait trop fort. Affirmer qu’il était le premier à enseigner aux sourds, c'était faux et cela me donnait envie de
dire : « Calmos, ne lui donnons pas tout le mérite !». Après
la préparation de ce hors-série, les lectures, découvertes,
échanges, discussions, mon regard sur cet homme a changé
radicalement.
Je discerne maintenant un homme ne demandant rien,
donnant tout à une population mise de côté, en révolutionnant les mentalités. Son objectif, changer un préjugé tenace
à cette époque. Oui, les sourds peuvent réfléchir, penser,
apprendre, réaliser, contribuer, participer à la société. Lui
seul a entrepris, avec une énergie considérable, de faire des
sourds des Sourds, leur rendant leur citoyenneté en leur
transmettant le savoir. Le premier à aller vers leur différence et à découvrir, là, leur richesse intellectuelle. Aux yeux
du monde entier, il prouva que les sourds étaient humains.
À partir de lui, des artistes, écrivains, poètes, journalistes,
entrepreneurs sourds se révélèrent et c’était une première
dans l’Histoire. Cela, je ne le saisissais pas du tout !
Il y avait bien sûr d’autres précepteurs pour sourds, mais il
était le seul à avoir trouvé le jardin secret de la communauté
des Silencieux, à faire ouvrir les yeux au monde sur cette différence à respecter. Et cela, sans télé, ni radio, ni internet.
Directrice de publication
Rédactrice en chef
Noémie Churlet
Co-rédactrice en chef
Sophie Laumondais
Secrétaire de rédaction
Jeanne Bally
Rédacteurs
Arnaud Balard
Yves Bernard
Véronique Berthonneau
Fabrice Bertin
Yann Cantin
Adrean Clark
Yves Delaporte
Geneviève Pomet
Sandrine Rincheval
Olivier Schetrit
Pauline Stroesser
Rédactrices Agenda
Sylvaine Beaughon
Célia Giglio
Responsable équipe
traduction français/anglais
Sébastien Giozzet
Traducteurs français/anglais
Irène Bartok
Martin Dayan
C’est une énergie et un temps non négligeables. Une vraie
évolution vers la notion d'humanité, qui se brisait avec le
congrès de Milan en 1880. Dans tous les cas, il avait gagné :
son enseignement et sa conviction s'étaient répandus dans
le monde. Bien que l’Europe ait fermé l'accès au savoir et
à l'éducation aux sourds pendant cent ans, nous avons
pu nous réveiller grâce à un retour venant d’Amérique,
Alfredo Corrado, vers 1976. Lui-même sourd, il a donné de
son temps pour nous faire ressurgir de sous terre et nous
remettre sur pied afin de briller en France. Cet homme, issu
d’une éducation transmise, à l’origine, par l’abbé de l’Épée,
a replanté la graine intellectuelle Sourde dans notre pays.
Sans l'incroyable conviction de l’abbé de l’Épée, nous n’aurions pas connu d'expansion de notre culture, de notre identité. Je comprends mieux l’énorme respect qu’avaient pour
lui les artistes sourds de son époque (et encore aujourd’hui),
et pourquoi chaque artiste consacrait au moins une de ses
œuvres à l’abbé de l’Épée.
Oui, cela aurait pu être une autre personne, mais ce fut bien
lui, Charles-Michel de l’Espée.
Je finis alors cet édito en disant : « Merci, Charles-Michel,
vous avez vraiment été le point de départ de notre développement culturel, intellectuel et artistique. Ce que j’étais
ingrate ! Pardonnez-moi et merci ! Bon anniversaire ! »
Et mes chers lecteurs, bonne lecture et retenez vos
mâchoires !
P.S. : Seul petit regret, dommage que peu de dames sourdes
aient eu leur place dans l’art à l’époque. Mais on se rattrape
aujourd’hui!...
Couverture :
Elza Montlahuc
www.elzazimut.
blogspot.fr
Noémie Churlet
Directrice de publication
d'Art'Pi!
Didier Flory
Pierre Schmitt
Yaron Shavit
Iconographes
Ivan Verbizh
Richard Zampolini
Directrice artistique
Jessica Boroy
Photographe,
reproduction, retouches
Richard Zampolini
Maquettistes
Jessica Boroy
Sabine Salha
Illustrateurs
Jean-Marie Hallegot
Daniel Le Coq
Alice Messac
Elza Montlahuc
Alex Sambe
Maquilleuse
Emmanuelle Rico-Chastel
Webmaster
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Assistant webmaster
Tuan Le Anh
Directrice de communication
Sophie Laumondais
Assistants de communication
David De Filippo
Céline Hayat Bufarull
Association
porteuse du projet
Art’Sign
254, rue Saint-Jacques
75005 Paris
www.art-sign.org
N°SIRET : 4900848030025
Impression
CPI Aubin Imprimeur
Sommaire
02
28
Annonces Art'Pi !
Un sculpteur
engagé
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04
30
QR, c'est quoi ?
Le Musée universel
des sourds-muets
05
Édito
08
L'abbé de l'Épée : de
la légende au mythe
Rien de plus étonnant que les
fausses croyances qui entourent
la vie de l’abbé de l’Épée !
10
1
Devenus des
Hommes grâce
aux signes
Malgré les préjugés, certaines
œuvres ont contribué à montrer
comment les signes rendent
leur humanité aux sourds.
16
Signes de Rue
2
34
Des célébrités
influencées
par des sourds
Des artistes célèbres ont
construit leur carrière avec
l'influence de sourds.
36
Galerie
Les représentations artistiques
de l'abbé de l'Épée.
40
La presse
Silencieuse
L'histoire de la presse Sourde.
18
46
Jean le Sourd de
Yann Cantin, Céline
Rames et Dano
22
Peintres et
sculpteurs :
une gloire oubliée
Dans le passé, les sourds ont
rivalisé d’égal à égal avec de
grands artistes entendants.
3
Il fut un temps où de nombreux
sourds produisaient des œuvres
d'art, regroupées dans un lieu à
la gloire du passé.
Si l’abbé de l’Épée n’avait pas
existé, comment seraient
la culture et l’art Sourds
aujourd’hui ?
Une bande dessinée qui met
en avant la communauté des
sourds durant le siècle des
Lumières.
6 Art’Pi!
Claude-André Deseine, artiste
révolutionnaire.
44
Strip
Le personnage
sourd au théâtre
Tour à tour miraculé, ridiculisé
ou valorisé, le personnage
sourd apparaît sur scène depuis
toujours.
52
Quand les sourds
font leur cinéma
L’évolution du rôle des
sourds dans l’industrie
cinématographique, et
la manière dont ils sont
représentés, sont intimement
liées à l’histoire de la culture
Sourde.
56
L'abbé de l'Épée
Le film L'abbé de
l'Épée de Michel
Rouvière
Qui est-ce ?
Zoom sur le premier film
français réalisé par une équipe
entièrement composée de
sourds.
58
BD
59
Agenda
Le calendrier des événements à
ne pas manquer de septembre à
décembre : une célébration de la
culture Sourde !
60
Spectacle vivant
Théâtre, contes, ateliers,
lectures, festivals...
61
Audiovisuel
L’abbé de l’Épée instruisant les élèves
© Archives de l’INJS
C
harles-Michel de l'Espée naît le 24
novembre 1712 à Versailles. Après
des études de droit, il s'oriente vers
l'église. Vers 1760, grâce à la rencontre de
deux jumelles sourdes qui communiquent
entre elles en Langue des Signes, il pense
pouvoir instruire religieusement les sourds
et leur apprendre à lire et à écrire. Il crée
alors la première école gratuite permettant
aux sourds de milieux défavorisés de recevoir une instruction.
Plongeant dans l'inconnu, il met en place
un langage de signes méthodiques spécialement conçu pour l’enseignement du français, à partir de certains gestes appris de ses
élèves sourds et d’autres signes grammaticaux de son invention. Son enseignement
n'est pas parfait mais il ouvre une voie, et
son action se répercute au-delà des frontières (Europe, États-Unis, etc.).
Cinéma, vidéo, art visuel...
Il est le premier à baser son enseignement
sur des gestes qui viennent des sourds
eux-mêmes. En organisant des séances
publics d'apprentissage, il montre au reste
du monde que les sourds peuvent être instruits et considérés comme des Hommes,
des citoyens, et que les signes peuvent être
une langue. Il fait de l'instruction des sourds
une vrai vocation, donnant tout ce qu'il a pour
eux.
62
Art/Culture
Architecture, Histoire, arts
plastiques... et les banquets
du tricentenaire
63
Multimédia
À découvrir sur la toile
Le fait qu'il ait regroupé des élèves sourds a
favorisé la communication entre eux, ce qui
a permis le développement et le perfectionnement de la Langue des Signes Française
(LSF).
64
Édition
Bandes dessinées, journaux,
romans, rencontres...
L'abbé de l'Épée est mort le 23 décembre
1789, à Paris. En 1791, l'Assemblée Nationale
l'a reconnu en décrétant que son nom serait
inscrit comme bienfaiteur de l'humanité et
que les sourds bénéficieraient des Droits de
l'Homme.
66
Remerciements
Légendes photos (à gauche)
1 Paul Choppin avec ses amis
à côté de la statue de l'abbé de
l'Épée. © Amicale des anciens élèves
de l'INJS de Paris.
2 Pièce de théâtre L’Abbé de
l’Épée jouée par des sourds
Émancipation des
Sourds-Muets.
Illustrateur sourd.
Nom inconnu.
© Archives de l'INJS
Deux ans après sa mort, l'école qu'il a créée
est prise en charge par l'État et devient une
institution. Il s'agit aujourd'hui de l'Institut
National des Jeunes Sourds, situé rue SaintJacques, à Paris.
© Amicale des anciens élèves de l’INJS
de Paris
3 Tournage du film L'abbé de
l’Épée de Michel Rouvière. Guy
Bouchauveau derrière la caméra.
© Michel Rouvière
Art’Pi! 7
L'ABBÉ DE L'ÉPÉE : DE LA LÉGENDE AU MYTHE
L'abbé de l'Épée:
de la légende
au mythe
Toute civilisation comporte ses rites, contes et légendes. Chez les entendants et dans la
communauté Sourde, l'abbé de l'Épée est souvent représenté comme un sauveur guidé par
les anges ou encensé par tous. Sa légende dépasse les frontières autant que les réalités.
L’écrivain et ethnologue Yves Delaporte se penche sur une histoire devenue un mythe.
Un récit fondateur
R
Les élèves de l’institution
de la rue Saint-Jacques
réunis autour de la statue
de l’abbé de l’Épée. Gravure
d’Auguste Colas, sourd-muet,
1879. © Archives de l'INJS
PAGE DE DROITE
Charles-Michel de l’Epée
désigné pour délivrer les
sourds-muets. Gravure de
Joseph Cochefer (1849-1923).
© Archives de l'INJS
Banquet de la Société
centrale des sourds-muets,
pour l’anniversaire de la
mort de l’abbé de l’Épée.
28 novembre 1886.
Gravure d’Auguste Colas.
© Archives de l'INJS
ien de plus étonnant que les fausses croyances
qui entourent la vie de l’abbé de l’Épée : on lui
attribue couramment l’invention de la Langue
des Signes et de l’alphabet manuel. Observées chez
des entendants, de telles erreurs s’expliquent assez
bien : persuadés qu’une vraie langue ne saurait être que
vocale, les entendants s’imaginent que la Langue des
Signes n’est qu’un simple transcodage du français. Seul
un entendant, pédagogue auprès d’enfants sourds,
a donc pu l’inventer. Ce n’est qu’un cas particulier
de l’ignorance générale qui a longtemps entouré les
sourds. Mais lorsque les mêmes erreurs se rencontrent
chez les sourds eux-mêmes, ce qui est fréquent, cela
devient plus difficilement compréhensible. Il y a là une
véritable énigme.
Pour résoudre cette énigme, il faut se reporter au récit
de la rencontre avec les jumelles, récit qui a été fait
des milliers de fois, notamment dans les banquets
en hommage au "sublime instituteur des sourdsmuets". Ce récit qui s’est transmis pendant plus de
deux siècles situe la rencontre par une nuit d’orage, les
éclairs illuminant le ciel par saccades. S’abritant sous
une porte cochère, l’abbé aperçoit un logis éclairé où il
court se réfugier avant de se trouver confronté à deux
jumelles sourdes-muettes. Cette belle histoire n’est
rien d’autre qu’une suite de symboles : les ténèbres
et les éléments naturels déchaînés symbolisent l’état
de confusion dans lequel étaient plongés les sourds,
tandis que la lumière entraperçue du logis où vivent les
jumelles apporte la promesse d’un passage d’un état
de sauvagerie à l’état de culture.
La construction d’un mythe
Ce récit fondateur présente toutes les caractéristiques
d’un mythe d’origine, dont la fonction est de rassembler
les membres d’une collectivité humaine autour des
mêmes valeurs en leur révélant, de manière cohérente
et convaincante, ce qu’ils sont et d’où ils viennent. De
retour chez lui, l’abbé invente dans la nuit la Langue
des Signes (ou, selon les versions, seulement l’alphabet
manuel). Que ce récit se situe dans l’ordre du sacré, la
preuve en est également apportée par le vocabulaire
utilisé pour nommer le bon abbé. Ces appellations
empruntent souvent à la sphère du religieux :
"apôtre des sourds-muets", "Messie d’un peuple trop
longtemps déchu", "nouveau Rédempteur", "ange
descendu du ciel"…
Le personnage exceptionnel qu’a été l’abbé de l’Épée,
sa rencontre quasi-miraculeuse avec les jumelles,
la démonstration qu’il est possible de tout enseigner
aux sourds avec des signes gestuels, la venue de
l’empereur d’Autriche à l’école de la rue des Moulins, la
mort de l’abbé qui aurait refusé de chauffer sa chambre
pour économiser l’argent qu’il réservait tout entier
à son œuvre : tout cela constitue les éléments d’une
belle légende. En rassemblant pour la première fois au
monde, dans un même lieu, une collectivité d’enfants
sourds, l’abbé de l’Épée est bel et bien à l’origine de ce
qui sera baptisé au XIXème siècle "la nation sourdemuette". Il ne manquait qu’une pièce au puzzle pour
que l’histoire devienne mythe : que le "père spirituel des
sourds-muets" ait inventé la Langue des Signes pour
leur en faire don.
YVES DELAPORTE
8 Art’Pi!
Art’Pi! 9
10 Art’Pi!
DEVENUS DES HOMMES GRÂCE AUX SIGNES
Devenus
Hommes signes
grâce
aux
des
D
ans les arts et les esprits, les sourds sont souvent assimilés à des monstres, des idiots, des
êtres inférieurs. Plusieurs ouvrages témoignent
ainsi du sort qui leur est réservé. Pierre Desloges, sourd
depuis l’âge de sept ans, raconte, dans une lettre écrite
en 1780, qu’il est « forcé de lutter sans cesse contre
la misère, l’opinion, le préjugé, les injures, les railleries
les plus sanglantes des parents, d’amis, de voisins, de
confrères... » qui le traitent « de bête, d’imbécile… ».
Dans le livre Surdité, surdi-mutité et mutisme dans le
théâtre français de René Bernard (1941), la description
n’est pas plus enviable : « Les sourds-muets végétaient dans une situation pitoyable. Le vulgaire les
fuyait, tenant leur rencontre pour un présage de mauvais augure. Il jugeait leur présence fatale aux femmes
enceintes, ou les accusait de porter malheur à leur
entourage.»
Selon Joseph-Marie Gérando, dans L'éducation
des sourds-muets de naissance (1827), l’abbé de
l’Épée aurait ainsi assuré que « dans certains pays
l'on fait mourir, à l'âge de trois ans au plus tard, les
sourds-muets, parce qu'on les considère comme des
monstres. » Ferdinand Berthier, à son tour, constatait
dans son livre L'abbé de l'Épée, sa vie, son apostolat,
ses travaux, sa lutte et ses succès (1852) : « Depuis
des siècles, ces tristes victimes de la nature marâtre
courbaient le front sous le joug d'un préjugé barbare.
La foule indifférente regardait d'un œil de dédain cette
caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés,
dans l'ignorance et dans l'esclavage : ils attendaient un
nouveau Messie qui vînt briser leurs fers. »
La Langue des Signes est
ainsi l’élément clef qui
ouvrit les portes du monde
et de la connaissance aux
sourds, qui leur permit
d’être des Hommes parmi
les Hommes.
Illustration : Elza Montllahuc
C’est en 1760 que la situation changea. « Un seul
homme se présenta, dont le regard puissant dit aux
sourds-muets : Et vous aussi, vous serez hommes ! »
(extrait de la pièce L’abbé de l’Épée de Bouilly, écrite en
1799). Avec l’arrivée de l’abbé de l’Épée, le regard sur
les sourds évolua. En découvrant deux sœurs jumelles
sourdes qui communiquaient entre elles par signes, il
comprit toute l’injustice des préjugés envers les sourds
et s’empressa de le faire savoir au monde. La découverte d’une langue qui leur est propre mit en lumière
un fait : les sourds pensaient, communiquaient entre
eux et pouvaient ainsi accéder au savoir si les signes
étaient utilisés.
« La langue des signes libère les sourds, elle les rend
citoyens participant à la marche du monde et agissant
sur lui .» (Christian Cuxac)
Les créations montrant les sourds autrement qu’en
tant qu’êtres inférieurs deviennent par la suite plus
nombreuses. Deux œuvres, l’ Éloge historique de
Charles-Michel de l’Épée, fondateur de l’Institution des
Sourds-Muets du français Auguste Bébian (1819), et
le manga L’orchestre des doigts d'Osamu Yamamoto
(1991), basé sur l’histoire du japonais Kiyoshi Takahashi,
montrent à leur manière comment les signes ont rendu
leur humanité aux sourds. Bébian et Takahashi sont
deux professeurs entendants, défenseurs de la Langue
des Signes, qui joueront un rôle important pour l’émancipation des sourds, avec des milliers de kilomètres et
un siècle d’écart.
Le Comité National
Français. Le premier groupe
exprime le mot “humanité”,
le second le mot “égalité”.
© Archives de l'INJS
LE SAVIEZ-VOUS ?
Denis Diderot (17131784), écrivain et
philosophe français,
est l’auteur d’une
Lettre sur les sourds
et muets à l’usage de
ceux qui entendent et
qui parlent (1751). Pour
prouver que les signes
permettent d’accéder à
l’abstraction, il décrit
une partie d’échecs au
cours de laquelle un
spectateur sourd-muet
le prévient qu’il ne peut
plus éviter le mat.
Art’Pi! 11
DEVENUS DES HOMMES GRÂCE AUX SIGNES
L’Éloge historique
de Charles-Michel
de l’Épée d’Auguste
Bébian
L’auteur
Roch-Ambroise Auguste Bébian (1789-1839), entendant d’origine guadeloupéenne, est un fervent défenseur de la Langue des Signes. Filleul de l’abbé Sicard,
directeur de l’Institut National des Sourds et Muets de
Paris (INSM), iI côtoie les élèves sourds et apprend la
Langue des Signes qu’ils utilisent entre eux. Enseignant
à l’Institut et auteur de plusieurs essais, ses choix en
faveur de la vraie Langue des Signes au lieu des signes
méthodiques de l’abbé de l’Épée déplaisent, dans un
contexte de montée de l’oralisme. Exclu en 1821, les
élèves réclameront son retour, en vain.
L'œuvre
L'Éloge de l'abbé de l'Épée est écrit et prononcé en 1819,
pour le concours organisé par la Société royale académique des sciences de Paris. Bébian remportera le
concours avec son ouvrage jugé « aussi bien écrit que
pensé ». Ce texte fait l’éloge de l’abbé de l’Épée mais
également celui de la Langue des Signes "naturelle" et
montre le point de vue de Bébian sur l’éducation des
Sourds.
Le personnage principal
L’abbé de l’Épée (1712-1789)
Comment les signes rendent
leur humanité aux sourds ?
Dans ce discours, Auguste Bébian montre de quelle
manière les sourds étaient auparavant mis de côté,
rejetés par leur famille, éloignés du savoir, de l’Histoire
commune des Hommes. « Un préjugé aussi absurde
qu’il est humiliant pour l’espèce humaine représentait
le sourd-muet comme une sorte d’automate, sensible
aux impressions physiques, mais dont aucune étincelle de raison n’éclairait l’esprit, dont aucun sentiment n’échauffait le cœur. Étranger au sein même de
sa famille, cet enfant, délaissé du ciel et des hommes,
était relégué, par l’amour-propre de ses parents, loin
de la société, où il n’inspirait qu’une pitié humiliante ! »
Grâce à l’abbé de l’Épée et à la Langue des Signes,
les sourds ont gagné de la considération de la part
de leurs semblables ainsi que leur place parmi les
Hommes. « Mais depuis que les succès obtenus dans
leur éducation ont prouvé qu’ils ne diffèrent des autres
hommes que par les préjugés qu’ils n’ont point, et dont
notre enfance est imbue, les parents n’ont plus rougi
de leur avoir donné le jour, et les sourds-muets ont
paru sans honte. » Ils retrouvent ainsi leur droit à la
connaissance et à la dignité, jusqu’à retrouver également le droit à la vie : « ...et il semble que le nombre de
ces infortunés se soit accru depuis que leur sort s’est
amélioré. »
Pour Bébian, cette réussite et ce changement de
regard sont l’œuvre indéniable de la Langue des
Signes. « Si, à force de soins, de temps et de patience,
quelques maîtres habiles se consacrant exclusivement
à l’éducation d’un ou deux sourds-muets ont obtenu
des résultats assez satisfaisants, mais toujours plus
brillants que solides, ils en ont été exclusivement
redevables à l’emploi, même irrégulier, qu’ils ont fait
du langage des signes, seul moyen de communication
qui existe, dans le principe, entre le maître et le sourdmuet. »
Roch-Ambroise Auguste Bébian peint par Marie Auguste Chassevent
© Collection INJS de Paris
12 Art’Pi!
L’abbé de l’Épée instruisant
ses élèves en présence de
Louis XVI par Gonzague
Privat © Archives de l'INJS
ARRIÈRE-PLAN
Première école des
sourds-muets, 1876
© Archives de l'INJS
Éloge historique de Charles-Michel de l’Épée de
Bébian, vu par Geneviève Pomet et Fabrice Bertin
Arrivé de Guadeloupe en 1802 à treize ans, entendant,
filleul de Sicard, Bébian noue vite des liens forts avec les
sourds. Imprégné et admiratif de la "mimique", son Éloge
pourrait s’intituler aujourd’hui Éloge de la Langue des
Signes - Pour une lecture critique de l’œuvre de l’abbé
de l’Épée. Ainsi, l’Éloge va bien plus loin qu’un hommage
rendu au "père des Sourds" : c’est, d’abord, un texte à la
gloire de la vraie Langue des Signes, par opposition aux
signes méthodiques de l’abbé de l’Épée. C’est également
un texte à tiroirs contenant des thématiques totalement
visionnaires, comme la place des enseignants sourds, le
bienfait des signes sur les enfants entendants, la question des Langues des Signes comme langues humaines
premières, ou d’une langue universelle.
Aborder tous ces thèmes, les démontrer et les faire comprendre afin de les faire accepter… l’affaire est complexe,
l’objectif ambitieux ! Le personnage de l’abbé de l’Épée
est alors un prétexte formidable. Son grand mérite est
d’avoir fait la preuve de l’éducabilité collective des sourds
grâce à leur propre langue, et cela, Bébian le loue haut et
fort ; mais il va être pour lui beaucoup plus fondamental
de bien distinguer Langue des Signes et signes méthodiques. L'Éloge, tout en louant essentiellement le désintéressement de l'abbé de l’Épée, va lui servir de terrain
de preuves et de démonstration. Car en réalité, Bébian
considère que de l’Épée est dans l’erreur pédagogique. Ce
que confirmera Ferdinand Berthier dès qu’il se mettra à
écrire…
Bébian rend très sincèrement hommage à l’abbé de
l’Épée : « Quelle supériorité ne remarquerons-nous pas
dans les procédés de l’abbé de l’Épée. » Mais ce qu’il
révère en l’abbé relève surtout des qualités morales, car,
par ailleurs, pour Bébian, de l’Épée, non seulement n’est
pas allé au bout de ses intuitions, mais s’est pédagogiquement trompé dans son système de signes méthodiques. Bébian dit clairement, à plusieurs endroits, que
ce système peut même être nuisible. Mais comment
dire cela sans offenser la mémoire du grand précurseur ?
Comment faire comprendre vraiment l’action de l'abbé
de l'Épée, sans la minimiser ? Et surtout sans froisser,
non seulement ceux qui l’admirent vraiment et qui sont
nombreux, mais aussi les bailleurs de fonds de l’époque ?
Bébian va donc écrire sur deux axes : un axe moral pour
louer le désintéressement de l’abbé et sa modestie ; et
un axe technique, montrant ce qu’il faudrait faire pour
réussir l’instruction des sourds, car il connaît la Langue
des Signes et les sourds et leurs besoins pédagogiques.
Mais, en dehors du soutien des sourds, il est relativement
isolé et doit gagner des partisans à sa cause, vaincre des
hostilités…
Texte précurseur et très riche, L’Éloge historique de
Charles-Michel de l’Épée mérite une étude approfondie : gageons que les idées qui y sont développées ont
joué un rôle essentiel dans l’entreprise d’émancipation
des sourds, poursuivie ensuite par Berthier. Bébian a
agi dans une attitude de profond respect, d’honnêteté
morale, suffisamment rare, encore de nos jours, pour être
soulignée.
FABRICE BERTIN
GENEVIÈVE POMET
Association Bébian,
Un Autre Monde
DEVENUS DES HOMMES GRÂCE AUX SIGNES
L’orchestre des doigts
d’Osamu Yamamoto
L’auteur
Osamu Yamamoto
Scénariste et dessinateur japonais, il utilise souvent dans ses
œuvres les thèmes du handicap et de la musique. Avant
L’orchestre des doigts, il sort
en 1988 le manga Köshien lointain. Le récit est basé sur l’histoire vraie de lycéens sourds qui
créent un club de baseball et
souhaitent participer à un tournoi, malgré l’interdiction
de la fédération de baseball. Cette œuvre a été adaptée en film et en série télévisée. Yamamoto a appris
la Langue des Signes Japonaise (JSL) pour dessiner au
mieux ces deux mangas sur l’Histoire des sourds.
L'œuvre
L’orchestre des doigts est un manga en quatre tomes,
écrit en 1991, présentant la vie de Kiyoshi Takahashi. Ce
manga s’inspire des livres autobiographiques de Yoriko
Kawabuchi, fille adoptive de Takahashi, qui traitent
directement de la communauté Sourde japonaise : Les
os des doigts et La langue des signes est notre cœur.
Avec force et émotion, le manga montre comment
Takahashi a résisté, dans des conditions souvent très
difficiles, pour que ses élèves puissent continuer à
utiliser la Langue des Signes Japonaise, alors que les
autres écoles du pays se convertissaient massivement
à l’oralisme.
Le personnage principal
Kiyoshi Takahashi (1890-1958)
Takahashi devint le directeur de l’école des sourds à
Ôsaka au début du XXème siècle. Il fut moqué, conspué,
raillé par ses collègues : plus que tout, il voulait que ses
élèves soient heureux ; pour cela, il défendait la Langue
des Signes et une éducation adaptée à chaque enfant.
Il participa à la création de la dactylologie japonaise utilisée de nos jours, créa la première chanson en Langue
des Signes et perpétua au Japon les banquets organisés en hommage à l’abbé de l’Épée.
Comment les signes rendent
leur humanité aux sourds ?
Dans le premier tome, Takahashi fait la rencontre
d’Issaku Toda, un petit garçon sourd de naissance, issu
d’une famille entendante. Arrivé récemment à l’école
des sourds et aveugles d’Ôsaka, le garçon est violent,
agresse ses camarades, hurle et ne comprend pas
ce qu’on lui dit. Il vole de la nourriture et ne reçoit en
réponse que des coups de bâtons, de la violence et du
rejet. Le manque de communication isole l’enfant. Livré
à lui même, il est muré dans un monde de violence et
d’incompréhension. Issaku Toda et Takahashi vont
découvrir ensemble la Langue des Signes, la seule passerelle qui va leur permettre de se comprendre.
Une petite fille, Matsué,
va montrer à Issaku que
chaque chose correspond
à un signe, chaque chose
peut être nommée, que
lui-même à un nom.
Par le signe, par le visuel, il comprend le monde qui l’entoure et peut enfin communiquer avec les autres. En
accédant à la conscience de ce qui l’entoure, la Langue
des Signes lui donne un nom et le rend citoyen parmi
les Hommes.
L'orchestre des doigts, tome 1 à 4 d'Osamu Yamamoto
© 2006 Éditions Milan
14 Art’Pi!
Portrait peint de Kiyoshi
Takahashi © Photo de
Naomiki Satô
ARRIÈRE-PLAN
Fleurs de cerisier du Japon
© Hiroyoshi Takeda
Interview de Naomiki Satô, traducteur de L'orchestre des doigts
Comment avez-vous participé à
l’adaptation française du manga
L'orchestre des doigts ?
Je suis venu en France il y a dix-sept ans
pour faire des études de langue et de linguistique. Juste avant de partir du Japon,
j'ai rencontré par hasard une interprète
JSL/japonais. Après avoir passé un an en
France, j'ai eu envie d'apprendre la LSF.
Je me suis inscrit dans une association
et, en parallèle, j'ai suivi les cours de Christian
Cuxac à Paris V. Un jour, au Japon, dans une librairie à
côté de chez mes parents, je suis tombé sur L'orchestre
des doigts, qui m'a littéralement bouleversé. Plusieurs
années plus tard, je l’ai proposé à des éditeurs avec lesquels j’avais collaboré depuis quelques années. Ce sont
les Éditions Milan, basées à Toulouse, qui ont accepté
l'adaptation française, et l'aventure a commencé pour
moi. J'ai voulu absolument apporter un regard "sourd"
sur l'adaptation. J'ai rencontré, par l'intermédiaire d'un
ami, un peu par hasard, Fabrice Bertin, spécialiste de
l'éducation des enfants sourds. Il m'a aidé en supervisant
l'adaptation du manga.
Connaissez-vous la communauté
sourde au Japon ?
Je ne la connais pas bien, ni la Langue des Signes
Japonaise, pour la simple raison que j'ai découvert la
Langue des Signes en France. Je la connais un peu grâce
à mes amis japonais, sourds et entendants. J'ai l'impression que les sourds français et les sourds japonais n'ont
pas réagi de la même manière à l’interdiction de la Langue
des Signes dans le milieu scolaire. Malgré l'interdiction,
les sourds français ont pu transmettre leur Langue des
Signes à la génération suivante, mais au Japon, il y a des
sourds qui ne savent pas signer, même s'ils ont étudié
dans les écoles pour sourds. J'y vois un certain esprit de
résistance à la française.
Quelle différence y a-t-il
entre la France et le Japon ?
J'ai appris que le japonais signé est devenu un moyen
de communication standardisé pour un certain nombre
de malentendants et de personnes devenues sourdes.
L'existence du japonais signé crée une confusion importante au Japon. C'est souvent le japonais signé qui est
enseigné en tant que Langue des Signes Japonaise. Il
existe maintenant une école primaire et un collège privés bilingues JSL/japonais écrit à Tokyo, mais dans les
autres établissements spécialisés, la JSL n'a pas encore
le statut de langue à part entière. Ce n'est déjà pas mal
qu'aujourd'hui, les élèves sourds puissent signer dans ces
établissements sans interdiction.
Que vous a apporté le fait
de travailler sur ce manga ?
Cela m'a permis d'approfondir mes connaissances sur la
surdité et la Langue des Signes en général. Je suis surtout content d’avoir permis aux Français de connaître
Monsieur Takahashi, qui admirait l'abbé de l'Épée et
organisait tous les ans au Japon un banquet pour son
anniversaire, alors que la méthode oraliste avait presque
conquis le terrain. Maintenant, je suis en contact avec
Madame Kawabuchi, et je sais qu’elle est également très
contente que son père soit désormais connu en France,
le pays de l'abbé de l'Épée.
Des Hommes quoi qu'il arrive
L’abbé de l’Épée a marqué les esprits à travers le
monde en reconnaissant la Langue des Signes comme
un moyen d'accès au savoir et à la citoyenneté. À partir de son premier pas, de nombreux autres ont suivi,
tels ceux de Bébian ou de Takahashi qui, eux-mêmes,
sont allés encore plus loin. Malgré leurs efforts, les
préjugés et le dénigrement des minorités ont la peau
dure, et de nombreuses œuvres montrent les sourds
comme des infirmes, des handicapés, des êtres à réparer. Encore aujourd’hui, les mentalités doivent évoluer.
Mais l’œuvre de l’abbé de l’Épée continue d’être célébrée chaque année dans le monde, et quoi qu’il arrive, il
ne sera plus possible de faire machine arrière. Ce qu’il a
mis en lumière est gravé dans l’Histoire à jamais.
SOPHIE LAUMONDAIS
SIGNES DE RUE / STRIP
SIGNES DE RUE
Si l’abbé de l’Épée n’avait pas existé,
comment seraient la culture
et l’art Sourds aujourd’hui ?
Fabien
Alban
Annette
Brigitte
Il y en aurait eu d’autres ! sourds
ou entendants. Par exemple, IVT
a été créé par Alfredo Corrado,
sourd américain. Il est possible
que d’autres personnes aient pu
créer des écoles pour les sourds
même s’il n’y avait pas eu l’abbé
de l’Épée.
Difficile d'imaginer sans lui.
Je pense qu'on aurait quand même
developpé la culture et l'art Sourds,
mais autrement. Nos signes
seraient peut-être différents et
la France ne serait pas le premier
pays à avoir eu la première école
en Langue des Signes.
Même sans l’abbé de l'Épée, on
n'aurait pas laissé tomber.
Il y a d’autres sourds historiques qui sont plus militants,
importants pour la communauté
Sourde, comme Ferdinand
Berthier, par exemple.
Possible qu’aujourd’hui, il n’y
ait rien. Comme il était le fils de
l’architecte de Louis XVI, il avait
de bonnes relations, et était déjà
sensibilisé à l’art. Il a lui-même
transmis l’art et la culture aux
sourds par l’éducation.
Bruno
Nicolas
Thomas
Rachid
Il y aurait forcément eu d’autres
personnes, mais plus tard. Peutêtre 200, 250 ans après. On peut
aussi supposer qu’il n'y aurait
peut-être pas eu le Congrès de
Milan. Comment savoir ?
De toutes façons, les sourds
n’auraient pas pu rester passifs
aussi longtemps. Il se serait forcément passé quelque chose.
Il ne faut pas mélanger la culture
Sourde et l’abbé de l'Épée.
La culture Sourde existait bien
avant lui. Il n'a été qu'un révélateur parmi d'autres. ll a montré
à sa manière qu'il existait une
langue et l'a fait savoir auprès des
entendants haut placés. Ç'aurait
pu être lui, comme une autre
personne.
Peut-être que la culture Sourde
ne se serait pas développée
autant. Ça aurait pu être pire,
prendre peut-être cent ans, voire
plus. L’abbé de l’Épée a donné
la base aux sourds : l’éducation.
Puis ils ont été très actifs dans
le sport, et ensuite dans l’art et
la culture. Qui sait comment ce
serait aujourd’hui ?
Il est unique au monde, c’est le
premier à avoir dit aux sourds
de lire et écrire. Il leur a donné
le sens du collectif aussi, avec
la création des internats pour
les sourds. Imagine, s’il n’avait
pas rencontré les deux sœurs
mais juste une seule fille sourde,
comme l’abbé aurait-il pu voir les
signes ?
CATHERINE COINTE http://monde-catherinecointe.blogspot.com
16 Art’Pi!
18 Art’Pi!
JEAN LE SOURD DE YANN CANTIN, CÉLINE RAMES ET DANO
Jean le Sourd
de Yann Cantin, Céline Rames et Dano
Enfin une bande dessinée qui met en avant la communauté des sourds durant le siècle
des Lumières !
Couverture de Jean Le
Sourd © Monica Companys
PAGE DE GAUCHE
Extrait de page de Jean Le
Sourd © Monica Companys
Croquis de Pierre Desloges,
sourd, personnage réel,
avec Jean le Sourd, personnage imaginaire.
Un premier album sur les sourds
au XVIIIème siècle
Une histoire de sourds
à travers l'Histoire
L
C’est une création inédite et originale que réalise ce
trio d’auteurs en choisissant de s’orienter vers une
bande dessinée historique à travers la vie des sourds.
L’attention est focalisée sur les petites histoires et
mœurs des sourds pour finalement raconter l'Histoire,
la grande, celle de la Révolution française. Nous découvrons ainsi, avec satisfaction et surprise, la joyeuse
vivacité des sourds et l’engouement autour de la
Langue des Signes, malgré tous les obstacles et frustrations de l’époque.
es trois auteurs de cet album signent ici leur
première réalisation dans le monde de la bande
dessinée. Ils viennent chacun d’univers différents mais sont indéniablement complémentaires.
Yann, historien, fouille avec curiosité dans les archives
pour connaître l’Histoire des sourds. Céline, metteuse
en scène, imagine des histoires avec finesse. Et c’est
avec brio que l’illustrateur Dano apporte une dimension
visuelle aux livres.
Depuis 2007, ils unissent leurs talents pour créer un
album mettant en relief les interactions entre l’abbé de
l’Épée et la communauté Sourde parisienne du XVIIIème
siècle. Le récit s’articule autour de la vie d’un jeune
orphelin, ouvrier en ébénisterie, Jean le Sourd. Il sera à
la fois témoin et acteur de l’Histoire avec un grand H,
de l’Histoire des sourds et tout simplement maître de
son destin. Au fil des pages, il lui arrivera ainsi de croiser des personnages célèbres comme l’abbé de l’Épée
ou Pierre Desloges mais aussi une jeune et charmante
institutrice sourde.
Céline, Dano et Yann ont voulu une BD vivante et
humaine sur la communauté Sourde de Paris. Ils
montrent que le XVIIIème siècle était réellement le
siècle des Lumières pour la France et le Monde, mais
aussi pour les sourds. Ce siècle, symbole de révolutions
sociales et intellectuelles, encouragea l'émergence de la
Langue des Signes jusqu’à la date fatidique qui marqua
durablement la communauté Sourde. Mais ça, c’est une
autre histoire. Dano, Yann et Céline se feront une joie
de vous la raconter dans un prochain tome.
Art’Pi! 19
JEAN LE SOURD DE YANN CANTIN, CÉLINE RAMES ET DANO
Les auteurs
La création de cet
album aura été une
belle aventure, longue
certes, mais belle !
Yann Cantin, spécialiste
de l'Histoire des sourds,
prépare une thèse sur
les sourds-muets de la
Belle Époque à l'EHESS
(École des Hautes
Études en Sciences
Sociales) et est également boursier du CNRS.
Un travail d’équipe
très intéressant et
riche en échanges
historiques.
Daniel Le Coq dit Dano,
dessinateur. Il a travaillé
comme maquettiste et
illustrateur pigiste pour
Le dernier des sourds
avec Claire Garguier et
Didier Flory, Picto Mag
avec Laurent Valo,
La Montagne du Silence
et Les Signes Bleus.
LE SAVIEZ-VOUS ?
François Rabelais
(1494-1553), l’auteur de
Gargantua et Pantagruel,
utilise à plusieurs
reprises le personnage
sourd et la Langue des
Signes. D'après lui, les
sourds seraient doués de
double vue et auraient le
pouvoir de lire l'avenir.
J’espère
qu’il y aura
une suite,
mais pas
tout de suite
;-)
Céline Rames, coordinatrice et responsable
de projets culturels au sein de l’association
Art’Sign depuis 2007. Metteuse en scène de
formation, elle travaille sur des créations théâtrales associant artistes sourds et entendants.
20 Art’Pi!
Jean le Sourd
BD en couleurs,
tirage limité
Édition : Monica companys
Soutien : Association
Art’Sign
Auteurs : Dano, Yann Cantin
et Céline Rames
Tout public, 21 x 28 cm
84 pages (comprenant un
cahier documentaire d’une
dizaine de pages)
Parution : septembre 2012
Les dates de la tournée de
dédicaces sont disponibles
sur le site :
www.art-sign.org
Version anglaise en étude,
envoyez un mail sur le site
www.monica-companys.com pour
être informé lors de sa sortie.
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Peintres et
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oubliée
Aujourd’hui en France, peu de sourds brillent dans le domaine des arts plastiques (peintures, sculptures, dessins...).
Mais cela a-t-il toujours été le cas ? Qu’en était-il au temps de l’abbé de l’Épée ? Les recherches sur l’Histoire des
sourds en France datant seulement de vingt-cinq ans, les informations ciblées sur les artistes sont encore très
minces. L’historien Yann Cantin nous fait part de ses découvertes.
Le retard français
I
l semblerait qu’à la Renaissance (période de rénovation culturelle et artistique qui prit sa source en
Italie au XVème siècle et se répandit dans toute
l'Europe au XVIème siècle), les artistes sourds français
soient peu nombreux. Le style artistique rayonnant à
cette époque vient des italiens. Des artistes sourds, tel
Cristoforo De Predis, enlumineur milanais (vers 1440vers 1486) et Bernadino di Betto, plus connu sous le
nom de Pinturicchio (1454-1513) se font largement
connaître. En Espagne, c'est l'art baroque qui s'exporte,
avec notamment le sourd Juan Fernandez Navarette,
surnommé el Mudo (1526-1579).
Autoportrait de Pinturicchio
(Bernadino di Betto)
Les élèves sourds suivant
le cours de l’abbé de l’Épée
© Archives de l'INJS de Paris
L'influence des artistes français est plus tardive. La
France, sortant de la guerre de Cent Ans en 1453, posséde un art de style gothique démodé et ne découvrira
la Renaissance italienne que dans les années 1470.
Elle ne peut s’épanouir pour imposer son style que
très peu de temps dans les années 1480-1550, avant
de plonger dans les guerres de Religion (1562-1598).
Les artistes français étant très peu connus, les artistes
sourds le sont encore moins.
Ce n’est qu’au XVIIIème siècle, avec l’arrivée de l’abbé
de l’Épée (1712-1789), que l’on retrouve des traces plus
significatives d’artistes sourds français. À cette époque,
les sourds s’intégraient dans la société, bien plus facilement que d’autres minorités (estropiés, aveugles...).
Les conditions de vie étant très dures, la pauvreté très
répandue, si un sourd était capable de faire un métier,
il le faisait. Le travail étant essentiellement manuel, les
compétences physiques primaient sur le reste.
De nombreux sourds devenaient ainsi agriculteurs,
bouchers, artisans mais aussi sculpteurs, graveurs,
peintres. Leurs œuvres ne revendiquaient pas leur
identité Sourde ni l’usage de la Langue des Signes,
comme on peut le voir maintenant. Ils faisaient simplement des tableaux et sculptures typiques de l’époque,
dans le même style que les entendants. Leur objectif
était avant tout de montrer qu’ils étaient capables de
faire des œuvres de qualité aussi bien, voire mieux, que
n’importe qui. L’abbé de l’Épée, en offrant une éducation gratuite aux sourds, leur permit de monter dans
l’échelle sociale bien plus vite que les entendants.
Claude-André Deseine (1740-1823), ancien élève de
l’abbé de l’Épée, est le premier artiste sourd dont on
retrouve précisément la trace. Il s’est fait connaître
par ses sculptures et par son orientation politique en
faveur de la Révolution.
PAGE DE DROITE
Artistes sourds lors de
l’exposition des Artistes
Silencieux en 1912 commémorant le bicentenaire de
la naissance de l’abbé de
l’Épée. © Archives de l'Amicale des anciens élèves de
l'INJS de Paris
Statue de l'abbé de l'Épée
de Félix Martin dans la
cour de l'INJS de Paris
Dessin d'Auguste Colas
© Archives de l'INJS
22 Art’Pi!
Art’Pi! 23
Gustave-Nic
Léopold Loustau (1815-18
Abbé de l'Épée (1712-1789)
XVIIIe siècle
XIXe siècle
C
Révolution française
(1789)
Claude-André Deseine (1740-1823)
L’âge d’or
À la Belle Époque, à partir
des années 1830, le nombre
d'artistes sourds se multiplie. Le peintre Léopold
Loustau (1815-1897), ancien
élève de Saint-Jacques, et le
sculpteur Gustave-Nicolas
Hennequin (1834-1918),
ancien élève de Nancy sont
les premiers à participer au
Salon des artistes, organisé
chaque année. C’est dans
ce Salon que se retrouvaient
les plus grands artistes de
France et du monde : Manet,
Monet, Renoir, Degas, Rodin,
Claudel, etc. À partir d’eux,
deux générations d’artistes
sourds vont se succéder
jusqu’aux années 1930.
The Indian bear hunters
de Douglas Tilden.
© Archives de l'INJS de Paris.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Pierre Pélissier (18141863) est le seul poète
sourd ayant marqué
l'Histoire. Ses poèmes
attirèrent l’attention
d’Alphonse de Lamartine
(1790-1869) lui-même.
24 Art’Pi!
Les sourds ont rivalisé
d’égal à égal avec de grands
artistes dans ce Salon à l’entrée très sélective. Celui qui
y entrait était assuré d’avoir
une renommée nationale, l’État pouvait alors lui faire
des commandes ou lui acheter des œuvres.
Paul Choppin (1856-1937) reçut une commande pour
sa sculpture du docteur Broca (elle disparut pendant
la Seconde Guerre Mondiale, fondue pour récupérer le
bronze). Le peintre Armand Berton (1854-1927) était
également l’un des plus réguliers du Salon et nombre de
ses œuvres se trouvent dans des musées. Felix Martin,
cousin par alliance de Gustave Hennequin, est l’un des
sculpteurs les plus connus avec sa statue de l’abbé de
l’Épée dans la cour d’honneur de l’INJS de Paris.
Ces artistes faisaient partie de l’élite des sourds et
participaient aux banquets organisés en l’honneur de
la naissance de l’abbé de l’Épée. Ces banquets étaient
organisés pour étendre les réseaux sociaux des sourds
en invitant des personnalités du monde entendant.
Par la suite, ils servaient surtout à se regrouper entre
sourds pour utiliser les signes et lutter contre la montée de l’oralisme.
Les artistes sourds
de France des années
1870-1920 eurent
de nombreux élèves.
Ils semblent avoir été influents à l’étranger, et surtout aux États-Unis. Les premiers peintres et sculpteurs sourds américains qui se déplacèrent en France
pour s’y former furent Douglas Tilden (1860-1935) et
Granville Redmond (1871-1935). Ce dernier est l’un des
plus connus. Il joua dans des films de Charlie Chaplin
et lui enseigna l’ASL (la Langue des Signes Américaine).
Autoportrait de Léopold
Loustau.
© Archives de l’Amicale des
anciens élèves de l’INJS de
Paris
Surprise œuvre réalisée par
un artiste sourd.
Nom inconnu.
© Archives INJS de Paris.
Armand Berton (1854-1927)
René Princeteau (1849-1914)
colas Hennequin (1834-1918)
Salon des artistes Silencieux
(1920)
897)
e
Belle Époque (1870-1914)
Congrès de Milan
(1880)
XXe siècle
Musée universel des sourds-muets
(1892)
Disparition du Musée universel
des sourds-muets
(1968)
Paul Choppin (1856-1937)
Douglas Tilden (1860-1935)
Fernand Hamar (1869-1943)
Paul Choppin et sa statue de l'abbé de l'Épée.
© Archives de l'Amicale des anciens élèves de l'INJS de Paris.
La Belle Époque fut une période brillante artistiquement, avec un grand nombre d’artistes sourds dans
tous les domaines. Pour la France, une cinquantaine
de noms seraient référencés. Fernand Hamar (18691943) et Paul Choppin représentent les derniers sculpteurs sourds de la Belle Époque française.
Le déclin amorcé
La réforme éducative eut un grand impact en France, et
dans les pays qui appliquèrent les recommandations
de Milan de 1880. Délaissant l’éducation intellectuelle
au profit de l’éducation orale, les institutions spécialisées ne permirent pas aux nouvelles générations
de s’épanouir intellectuellement. Les artistes sourds
devinrent ainsi de moins en moins nombreux au fil des
années.
Les Anciens se décidèrent à fonder le Salon des Artistes
Silencieux dans les années 1920 pour tenter d’intéresser les jeunes à l’art. Mais, après les années 1940, on ne
voit plus guère d’artistes sourds dans le grand public. Il
existe des dessinateurs, des peintres de loisir, mais plus
rien au stade professionnel. Beaucoup d’œuvres disparurent, furent abîmées ou refondues pour réutiliser les
matériaux. Seulement certaines furent sauvées et restaurées par le Musée universel des sourds-muets.
C’est seulement dans les années 1970-1980, après une
parenthèse de quarante, cinquante ans, que les artistes
sourds reviennent lentement en France. Mais arriveront-ils à surpasser ceux de la Belle Époque ? Il est trop
tôt pour le savoir, seul l’avenir nous le dira.
YANN CANTIN & SOPHIE LAUMONDAIS
Couverture du catalogue
du Salon international des
artistes Silencieux.
© Archives de l'Amicale des
anciens élèves de l'INJS de
Paris.
Exposition des
artistes Silencieux,
1912 © Archives de
l'INJS de Paris.
Art’Pi! 25
GALERIE
Les Artistes et le Comité d'organisation de l'Exposition des Artistes sourds
1er rang : MM. Vivien (debout) / O. Chéron / A. Colas / F. Martin / V. Collignon / G. Hennequin / B. Thonon / A. Legrand
2ème rang : MM. J. Ebstein / L. Lambert / Mlle J. Bomsel / M. J. Gras / Mlle J. Léothand / MM. Graff / R. Hirsh / Mme P. Choppin /
MM. E. Monlin / F. Plessis / M. Colas
3ème rang : MM. L. Morice / G. Picaud / Tournaude / Asser / Paul Choppin / F. Hamar / Y. Uffler
© Archives de l'Amicale des anciens élèves de l'INJS de Paris
26 Art’Pi!
Félix Plessis
Paul Choppin
Dans son atelier
Avec sa statue du Docteur Broca
© ARSCA
© Archives de l'INJS de Paris
Léon Morice
Dans son atelier
© Archives de l’Amicale
des anciens élèves de
l'INJS de Paris
Art’Pi! 27
UN SCULPTEUR ENGAGÉ
Un sculpteur
engagé
Claude-André Deseine (1740-1823)
N
é à Paris le mardi 12 avril 1740, Claude-André
Deseine est l'aîné de huit enfants et le seul
sourd dans une famille issue de menuisiers et
serruriers. À 22 ans, lorsque son grand-oncle meurt, il
reçoit une rente annuelle à vie de cent livres, un montant suffisant pour vivre convenablement. À la mort de
son père, en 1777, ne sachant ni lire ni écrire (et non
pas parce qu’il est sourd), la gestion de la succession
est confiée à sa mère. Par la suite, il apprend un peu à
lire et à écrire auprès de l’abbé de l’Épée, et signe ses
œuvres de "Deseine, sourd et muet".
À 38 ans il entre, avec son frère Louis Pierre Deseine
(1749-1822), sculpteur lui-aussi, à l’Académie royale de
peinture et de sculpture (Institut d’État de 1648 à 1793,
créé pour élever le statut des artistes et le distinguer
de celui des artisans). Il devient l’un des élèves d’Augustin Pajou (1730-1809), l’un des plus fameux artistes
de l’époque.
Lors d’un des nombreux concours artistiques organisés par l’Académie royale, il est placé à la troisième
place, une grande récompense qu’aucun sourd français
n’avait reçue avant. Progressivement, la réputation du
sculpteur se répand dans le milieu aristocratique et il
reçoit plusieurs commandes.
De 1789 à 1794, attaché à la cause révolutionnaire (au
contraire de son frère, sculpteur du prince de Condé et
fidèle à la dynastie des Bourbons), ses bustes et sculptures d’aristocrates laissent la place à ceux de révolutionnaires comme Mirabeau, Robespierre, l’épouse de
Danton, etc.
Portrait de Claude-André
Deseine. Dessin à la
sanguine par Louis-Pierre
Deseine (1749-1822), son
frère. © INJS de Paris.
Attaché à la cause révolutionnaire, ses
bustes d'artisocrates laissent la place à
ceux de Robespierre, Mirabeau...
Après la chute de Robespierre, Deseine, jugé trop proche
des Montagnards (groupe politique dont Robespierre
faisait partie, placé à gauche dans l’assemblée), voit ses
commandes diminuer. À la mort de sa mère en 1795,
son frère devient curateur, mais il semble, d’après les
archives, que le frère soit peu ouvert aux demandes de
son aîné. Ce qui expliquerait les aides financières qui
lui sont régulièrement accordées par le gouvernement.
Claude-André Deseine meurt le 23 décembre 1823 au
Petit Gentilly, dans une petite pension.
YANN CANTIN & SANDRINE RINCHEVAL
Buste de l’abbé de l’Épée
Le buste que Deseine a réalisé de l’abbé de l’Épée est célèbre car il est le seul à avoir
été créé de son vivant. L’abbé avait toujours refusé que ses traits soient reproduits,
ne voulant pas entrer dans la vanité. Le sculpteur l’offrira à l’Assemblée Nationale en
1791. © Archives de l’INJS
28 Art’Pi!
Bustes de Maximilien
Robespierre, terre cuite,
réalisés en 1791 et 1792,
Musée de la Révolution
Française, Vizille et
Conciergerie, Paris
Le buste de Maximilien
Robespierre est cité,
aujourd’hui encore,
comme l’un des rares
portraits authentiques de
l’Incorruptible (surnom
donné à Robespierre
en raison de son
caractère intransigeant
et vertueux). Ce buste
frappe par son caractère
psychologique : une
vivacité du regard, une
autorité naturelle et le
sentiment volontaire
de Robespierre sont
parfaitement traduits par
Deseine.
Visite à ne pas manquer
Exposition Claude-André Deseine et la Révolution
Française, à la Conciergerie de Paris.
Visites en LSF du 19 au 24 novembre. Visites en LSI sur
demande. Contacter le CMN (Centre des Monuments
Nationaux) : [email protected]
Buste mortuaire
d’Antoinette-Gabrielle
Danton, plâtre patiné
bronze, réalisé en 1793,
Musée de Troyes
Buste de Mirabeau, plâtre, réalisé en 1791,
Musée des Beaux-Arts, Rennes
En avril 1791, lors d’un concours lancé à la mémoire de
Mirabeau, le buste de Claude-André Deseine, réalisé
en plâtre à partir du masque mortuaire du défunt,
remporte les suffrages. Ce buste est cité comme offrant
« une ressemblance parfaite, l’expression et l’énergie »
de ce célèbre orateur du peuple que fut Mirabeau.
En 1793, Deseine réalise
le portrait d’AntoinetteGabrielle Danton, l’épouse
de Georges Danton, qui
meurt après la naissance
de son quatrième enfant.
On raconte que, trois
semaines après le décés
d'Antoinette-Gabrielle,
le révolutionnaire est
allé chercher ClaudeAndré à son atelier du
Faubourg Saint Marceau
pour l’emmener au
cimetière. En pleine nuit,
le cercueil de l’épouse
est exhumé pour que
le sculpteur fasse un
masque mortuaire et
réalise le buste posthume
d'Antoinette-Gabrielle.
Cette scène est visible
dans le film Danton, avec
Gérard Depardieu.
Art’Pi! 29
30 Art’Pi!
LE MUSÉE UNIVERSEL DES SOURDS-MUETS
universel
Le Musée
sourds-muets
des
Il fut un temps où de nombreux artistes sourds produisaient des œuvres et remportaient
des concours à l’égal des entendants. Saviez-vous qu’en 1892, pour immortaliser cette
période, un Musée universel des sourds-muets voyait le jour à Paris ? C’est en 1970 qu’Yves
Bernard, ancien professeur à l'INJS(*) de Paris, découvrit les vestiges de ce musée. Il nous
en raconte ici l’histoire.
A
près la mort de l’abbé de l’Épée, son travail fut
repris et les sourds continuèrent à s’instruire et
à s’épanouir. Les meilleurs élèves de l’Institut
de Sourds-Muets de Paris (actuel Institut National de
Jeunes Sourds, situé rue Saint Jacques) devenaient graveurs, ébénistes, photographes, peintres, sculpteurs.
Les grandes académies d’art les recevaient auprès des
plus grands maîtres. De nombreux sourds remportaient des prix lors de concours en France ou à l’étranger. Mais la période fut également riche en découvertes
et en progrès pour d’autres domaines et les médecins
et autres érudits ne tardèrent pas à s’intéresser de
très près à la surdité. Un courant oraliste se développa
petit à petit et finit par l’emporter en 1880, au Congrès
de Milan, interdisant par la suite l’usage des signes.
Les professeurs sourds furent renvoyés. L’instruction
orientée dorénavant vers l’accession à la parole plutôt
qu’au savoir, les résultats des élèves chutèrent. Les
sourds de l’ancienne époque devenaient nostalgiques
de leur passé glorieux. Eux qui, grâce à l’abbé de l’Épée
et aux signes, avaient montré au monde leurs talents
et leurs connaissances, devenaient avec l’oralisme des
êtres différents qu’il fallait "réparer".
Un musée pour glorifier le passé
Deux parties le composaient : une section historique
regroupant toutes les œuvres en lien avec l'art d'instruire les sourds et une section artistique réunissant les
œuvres des artistes sourds. On y trouvait des bustes,
médaillons, photographies... des œuvres de Choppin,
Colas, Deseine, Etienne de Fay... les tableaux Les derniers moments de l'abbé de l'Épée de Peyson, Une leçon
de l'abbé de l'Épée de Ginouvier, Carnot à Wattignies de
Loustau et bien d'autres. Une vitrine du Musée présentait les prix remportés lors de concours en France ou
à l’étranger. En 1896, 2 096 œuvres furent disposées
dans une vaste salle située sous le théâtre actuel de
l’Institut. L'élite de la société des sourds constituée des
enseignants sourds d’autrefois, des artistes et artisans
renommés, de journalistes sourds parfaitement bilingues contribuait à son enrichissement.
Portrait de Théophile Denis
© Archives de l'INJS de Paris
PAGE DE GAUCHE
Une leçon de l’abbé de l’Épée,
huile sur toile d’après une
esquisse peinte de Frédéric
Peyson, 1891. Par Nachor
Ginouvier, sourd-muet
© Collection de l'INJS de Paris
" Les musées sont des
espaces où le temps se fige,
la mémoire s’éveille. "
Le dimanche 29 novembre 1891, lors de la célébration
du 179ème anniversaire de la naissance de l'abbé de
l'Épée, le président honoraire de la journée, Théophile
Denis, fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur, déclarait : « ...On s'étonnait de rencontrer comme par hasard
un sourd-muet qui ne fut pas un parfait ignorant […]
Aussi pour essayer de faire apprécier à sa juste valeur
le monde des sourds-muets, je m'occupe à réunir dans
un musée spécial tous les éléments susceptibles de
vous faire bien connaître. »
Dès 1875, Théophile Denis commençait déjà à constituer une galerie à l'Institut National des Sourds-Muets
de Paris en rassemblant quelques œuvres sur l'histoire de l'établissement. Il voulait honorer la grandeur philanthropique des donateurs, administrateurs,
penseurs, philosophes, pédagogues et médecins qui,
depuis l’Antiquité, avaient contribué à la reconnaissance de l’éducabilité des sourds. Cette galerie ayant
eu du succès, l'idée fut avancée de l'étendre au niveau
mondial. C'est ainsi que l'on créa le Musée universel des
sourds-muets.
Musée universel des sourds-muets à l'INJS de Paris
© Archives de l'INJS de Paris
Art’Pi! 31
LE MUSÉE UNIVERSEL DES SOURDS-MUETS
Conservateur du Musée de père en fils
C’est en 1932 que mon père, René Bernard (1907-1985),
entra à l’Institut. Il édita avec l’administration le catalogue de la Bibliothèque, car rien de consistant n’existait
alors avant 1940. Il ne reprit le poste de bibliothécaire
qu’après sa retraite et jusqu’à son décès, de 1973 à
1985. Sa participation au Musée était typiquement
culturelle car il était lui-même très versé dans les arts.
Il était donc consulté pour l’histoire des œuvres, leurs
légendes, et d’autres recherches.
Après 1968, le Musée disparut sous la multiplication
des services, les œuvres furent entreposées et exposées aux risques : destruction, poussière, sécheresse
et chaleur des caves surchauffées. Pour ma part,
c’est en cherchant le portrait de Bébian, en pied, par
Chassevent, que j’ai découvert, vers 1979, l’état d’abandon du Musée dans les caves de l’INJS. J’ai donc alerté
le directeur de l’époque Monsieur Dessaint qui aussitôt
me mit en relation avec l’IFROA (l'Institut Français de
Restauration des Œuvres d'Art). J’ai donc contribué au
sauvetage des œuvres, à la documentation, pendant
trois années, en plus de mon travail de professeur.
Les derniers moments de
l’abbé de l’Épée par Frédéric
Peyson, sourd-muet, 1839
© Collection de l'INJS de Paris
DROITE
Couverture du catalogue
Le Musée des SourdsMuets Galerie historique et
artistique de l’Institution
Nationale des SourdsMuets de Paris. © Archives
de l'INJS de Paris
Abbé Sicard
Ce Musée devait, selon un écrivain l’ayant visité,
« détruire l'ignorance et les préjugés des uns et rendre
la place qui leur est due dans la société aux victimes
de cette ignorance et de ces préjugés ». Mais au fil du
temps, le Musée se détourna des vrais motifs humanistes qui désiraient donner une âme à une fraction
méconnue de l’humanité. Le discours des fondateurs,
dont celui de Théophile Denis, finit par se transformer,
encourageant la méthode orale en France. Théophile
Denis ira même jusqu’à inviter à l’Institut de Paris l’abbé
Balestra, le défenseur le plus fanatique de l’oralisme.
Dans son livre Silent Poetry, Nicholas Mirzoeff n’hésite pas à décrire le Musée comme la célébration
d’une culture subalterne vouée à disparaître. À la fin
du XIXème et au début du XXème siècle, une curiosité
malsaine entoure le Musée, l’associant à l’étude d’une
pathologie, comme une sorte de zoo humain, montrant
l’écart d’êtres exotiques ou différents avec la civilisation dite "normale".
À partir de 1912, l’État refusa d’employer toutes les
personnes qu’il considérait comme "infirmes". Les
meilleurs élèves des ateliers de typographie, d’imprimerie, de reliure et de gravure ne trouvèrent plus
d’emplois pour consacrer leur succès. Les élèves furent
restitués à leur famille après seulement sept années
d’instruction hors des signes. C’était leur interdire, pour
la grande majorité d’entre eux, toute vie intellectuelle,
relationnelle et sociale.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Dans l’œuvre Sicard au milieu d’un groupe d’élèves
de Jérôme-Martin Langlois (1806), la phrase
« Moyen de faire articuler des sons par le sentiment
de la pression » est inscrite sur le tableau noir. Lors
de la restauration du tableau, l’inscription précédente, une citation de Massieu : « La reconnaissance
est la mémoire du cœur », volontairement cachée
jusque-là, est réapparue.
32 Art’Pi!
C’est la série des plaquettes en bronze de Félix Martin
sur la vie de l'abbé de l'Épée qui m'a le plus marqué, en
dehors du portrait de Bébian. Je me souviens également
avoir transporté un portrait dont la couche picturale se
présentait sous forme de "coquillettes". Je pensais que
rien ne pourrait être fait pour restaurer le tableau cuit
par la chaleur et la sécheresse des anciennes caves de
l’INJS. L’IFROA me rappela quelques mois plus tard pour
identifier les tableaux restaurés. Et l’un d’entre eux ne
me revenait pas car je ne l’avais jamais vu. Je pensais
qu’il s’agissait d’une erreur de leur part, et ils me répondirent que j’avais eu raison de leur transmettre une
œuvre qui semblait perdue à jamais. C’était le portrait
grillé par le temps qu’ils avaient retrempé dans un bain
afin de redéposer sur la toile la peinture ré-humidifiée.
Un miracle.
L’essentiel de mon travail consistait, en dehors de la
remontée des caves qui était un vrai déménagement, à
des heures de lectures et de recherches dans la bibliothèque parisienne, principalement des journaux de
sourds et des revues spécialisées d’avant 1947.
Musée universel des sourds-muets
© Archives de l'Amicale des anciens élèves de l'INJS de Paris
Bas-reliefs en bronze de Charles Marie Félix Martin (1846-1916), illustrant
la vie de l’abbé de l’Épée, 1909 © Collection de l'INJS de Paris
Après la rénovation de l’établissement, les œuvres
furent replacées dans l’espace institutionnel : les salles
de réunions, les lieux de passage reçurent les noms
de grands pédagogues, salle Bébian, salle Ferdinand
Berthier, où bustes et tableaux s’intégrèrent. Les élèves,
les membres du personnel et tout visiteur accèdent
librement à cette dimension patrimoniale, aux racines
d’une histoire dont la bibliothèque recèle les secrets.
Et ces œuvres revivent au gré des commémorations,
retrouvant leur destination, la reconnaissance d’une
différence qui est toujours plus respectée comme un
héritage que nous partageons tous. De nombreuses
œuvres restent cependant entreposées en quelque
endroit de l’Institut, dans l’attente d’un prochain retour
à la lumière.
YVES BERNARD & SOPHIE LAUMONDAIS
(*) Institut National
des Jeunes Sourds à Paris,
autrefois Institut National
des Sourds-Muets, INS-M.
Art’Pi! 33
DES CÉLÉBRITÉS INFLUENCÉES PAR LES SOURDS
Des célébrités
par les
influencées
sourds
Des artistes célèbres ont construit leur carrière avec des sourds dans leur entourage. Ceux-ci les ont aidés, formés,
soutenus et certainement influencés d’une manière ou d’une autre. En voici quelques-uns.
Toulouse-Lautrec (1864-1901)
élève de René Princeteau (1849-1914)
Henri de Toulouse-Lautrec, peintre et lithographe français, est célèbre pour ses vices et pour ses œuvres sur
le Moulin Rouge et les cabarets parisiens. Peignant les
perversités et les réalités de la vie, ses œuvres influenceront des artistes comme Matisse ou Picasso.
Charles Chaplin (1889-1977),
ami et collègue de Granville Redmond
(1871-1935)
C
harlie Chaplin, acteur, réalisateur, producteur et
scénariste britannique est considéré comme une
icône du cinéma muet. Il est associé à son personnage populaire, "Charlot" (clochard raffiné portant
un chapeau melon et une canne).
À Los Angeles, Chaplin rencontre Granville Redmond,
peintre sourd alors considéré comme l'un des meilleurs
impressionnistes de la Californie. La guerre de 1914
ayant réduit ses commandes de tableaux, Redmond
décide de tenter sa chance dans le cinéma. Chaplin
devient son ami, lui dédiera un bâtiment dans ses studios, collectionnera ses peintures, et le parrainera dans
des rôles muets. Impressionné par ses compétences, il
lui demandera de lui apprendre les signes et de lui donner des cours de pantomime. Chaplin utilise quelques
signes comme "enfant" et "bébé" dans le film Une vie
de chien.
Chaplin est admiré pour l’incroyable expressivité de
son visage et de ses gestes. Il
est l'un des rares comédiens
à jouer la bouche close, sans
prononcer de mots. Le fait de
côtoyer une personne s'exprimant silencieusement au quotidien a certainement contribué
au succès du plus célèbre des
comédiens du cinéma muet.
HAUT
Extrait du film You'd Be
Surprised (1926)
34 Art’Pi!
Affiche du film
Une vie de chien
René Princeteau, peintre sourd, célèbre pour ses
tableaux équestres, était l’ami et voisin du père de
Henri de Toulouse-Lautrec. Lorsque Henri a sept ans,
Princeteau lui donne ses premiers cours de dessin. Il
remarque vite les talents de Lautrec et persuade sa
famille de le laisser développer ses talents. À dix-sept
ans, Lautrec viendra se former dans son atelier. L'élève
rattrapera rapidement son maître jusqu'à réussir à
reproduire magistralement l'une de ses œuvres. Dans
une lettre aux parents de Lautrec, Princeteau s’enthousiasme : « Le jeune Henri de Toulouse travaille dans
mon atelier vaillamment et fait de miraculeux progrès
avec moi, et m'imite comme un singe ».
Lautrec, atteint d’une malformation, admire ce grand
peintre, élégant, qui surmonte sa surdité. Liés d’une
grande amitié, ils continuent à se voir régulièrement
jusqu'à la mort du prodige à trente-sept ans. Ce dernier
a plus de 6 000 œuvres à son actif et n'aura cessé de
considérer Princeteau comme son maître.
Photo d’Henri de ToulouseLautrec faite par son ami
photographe Paul Sescau
vers 1880-1890
René Princeteau dans
son atelier, peint par
Toulouse-Lautrec
La Joconde
de Leonardo Da Vinci
© Musée du Louvre
Leonardo Da Vinci (1452-1519)
hébergé par Cristoforo De Predis
(vers 1440-vers 1486)
Leonardo Da Vinci est un génie aux talents multiples
(dessin, peinture, sculpture, architecture, urbanisme…)
et un innovateur qui aura une très grande influence
sur l’histoire de l’art. Cet homme à la curiosité infinie
emploie de nouvelles techniques pour communiquer
ses idées et s’inspire des gestes des sourds dans ses
tableaux. Dans son Traité de la peinture, il fait l’éloge
des signes permettant de « réintégrer la vie dans l'art
pictural renaissant » et considère l'ouïe comme étant
un sens inférieur à la vue. Il utilise la dactylologie dans
ses tableaux, tels La cène ou Saint Jean Baptiste (l’index levé formant le "D" signifiant "Dieu"). Ses œuvres
deviennent ainsi "parlante".
L’engouement
de Da Vinci pour
les sourds et les
signes s’explique
par le nombre
de rencontres
qu’il a pu faire.
Le peintre sourd
Bernardino Di
Betto (Il Pinturicchio), l'un des plus grands peintres de fresques de
la Renaissance, est l’assistant de Le Pérugin (Il Perugino), un compagnon d’étude de Leonardo. Vers 1483,
à Milan, Leonardo travaille et loge à l’atelier des frères
De Predis où se trouve Cristoforo De Predis, miniaturiste et enlumineur sourd. Leonardo Da Vinci admire la
dextérité de Cristoforo mais travaille avec ses frères,
Ambrogio et Evangelista De Predis, sur l’œuvre intitulée La vierge aux rochers. Leonardo est également
proche de Giralmo Cardano qui déclarait, se basant sur
le texte écrit par Rudolph Agricola De inventione d'Agricola dialectica, que les sourds pouvaient apprendre à
lire et écrire sans apprendre à parler d'abord.
Lon Chaney (1883-1930),
né de parents sourds
Lon Chaney (de son vrai nom Leonidas Frank Chaney),
acteur et maquilleur du cinéma muet, célèbre pour ses
talents de transformation et de maquillage, est surnommé "l'homme aux mille visages". Maître dans l'art
de la pantomime, il va jusqu'à s’infliger des tortures lors
de rôles d'infirmes pour rendre les expressions de ses
personnages encore plus crédibles. Ses contorsions
deviendront sa marque de fabrique.
Fils de parents sourds, il apprend la Langue des Signes
et est sensibilisé à la communication des mains et du
corps. Pour divertir sa famille, il joue des sketches en
mimant ce qu’il a observé dans la rue. Il obtient son
premier rôle à l’âge de dix-neuf ans et gravira rapidement les échelons. Il sait rendre ses personnages réalistes en utilisant des gestes précis et en leur donnant
de la profondeur.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Joachim du Bellay
(1522-1560), poète de
la Pléiade, est l’auteur
d’un Hymne à la surdité
(1558) dédié à son ami
Ronsard, atteint comme
lui de surdité précoce
(Ronsard devint sourd à
seize ans).
© BnF
À la fin de sa vie, un cancer de la gorge lui fait perdre
l’usage de la parole. Il ne s’exprime plus qu’en Langue
des Signes. Il meurt le 26 août 1930 à l’âge de quarante-sept ans. Le film L'homme aux mille visages
retrace la vie et la carrière de cet acteur qui, par son
jeu unique, a influencé des générations de comédiens
jusqu’à nos jours.
SOPHIE LAUMONDAIS & PAULINE STROESSER
Toutes ses rencontres sont indéniablement une grande
source d’inspiration pour Leonardo Da Vinci. Une
rumeur prétend même que La Joconde, son tableau le
plus célèbre, montre le visage d’une femme sourde. Au
vu de la vie de l'artiste, ce ne serait pas impossible, mais
malheureusement rien ne le prouve.
MILIEU
Morte del Sole, della Luna
e caduta delle stelle de
Cristoforo De Predis
© Torino, Biblioteca Reale
Portrait de Lon Chaney,
1926
Art’Pi! 35
GALERIE
L’abbé rayonnant
Arnaud Balard, artiste multidisciplinaire (France)
2012
Digigraphie (300 ex.)
21 cm × 30 cm
www.facebook.com/Surdism
[email protected]
36 Art’Pi!
Hommage
à l’abbé de l’Épée
Stephane Delame, peintre (France)
2012
Acrylique sur toile
60 cm x 60 cm
ma-galerie-virtuelle.over-blog.com
Abbé Charles Michel de l’Épée
Nancy Rourke, peintre (USA)
2011
Huile sur toile
12 cm x 17 cm
www.nancyrourke.com
Art’Pi! 37
L'anatomie de mots
Remus Illisie, artiste multidisciplinaire (Roumanie)
2012
Encre noire
21 cm x 30 cm
[email protected]
PAGE DE DROITE
L'arbre
Guy Bouchauveau, artiste (France)
Crayon
Format inconnu
La révolte après le congrès de Milan
Françoise Casas, artiste (France)
1988
Toile sur plaque, peinture à l'huile
70 cm x 130 cm
[email protected]
38 Art’Pi!
Hors-série 2012 : Tricentenaire de la naissance de l'abbé de l'Épée • Art’Pi!
Art’Pi!
• 39
LA PRESSE SILENCIEUSE
La presse
(1)
Silencieuse
La Belle Époque, âge d'or
de la presse Sourde
L
Portrait de Ferdinand
Berthier
© Archives de l'INJS de Paris
PAGE DE DROITE
Atelier de lithographie
à l'Institution royale des
sourds-muets en 1840
© Archives de l'INJS de Paris
Le sourd-muet illustré,
septembre 1897
a période la plus glorieuse de la presse Sourde se
situe à la Belle Époque (grande période de progrès techniques, scientifiques et sociaux de 1870
à 1914). Son histoire est chaotique, à l’image de celle
des associations Sourdes.
La première mention de presse entièrement Sourde
remonte à 1870, où la Société Universelle des SourdsMuets, dirigée par Ferdinand Berthier, publiait les
débats et les réflexions au sein de la Société. Ce journal ne vécut que quelques mois à cause de la guerre
franco-prussienne de 1870 et de la Commune de Paris
en 1871 (insurrection de deux mois suite à la défaite de
Paris dans la guerre franco-prussienne). Cette guerre
stoppe ainsi l’émergence de la presse Sourde pendant
plus de dix ans.
C’est seulement en 1883 que paraît enfin un journal
engagé dans la lutte contre le Congrès de Milan : La
Défense des sourds-muets, dirigé par Joseph Turcan.
Pour des raisons financières, ce journal polémiste disparaît rapidement après deux années de publication.
Polémique après le Congrès de Milan
Cette explosion de la presse Sourde s’explique par la
volonté des associations locales d’avoir un organe d’information. Mais pas seulement. C’est aussi un mouvement de réaction et d’opposition envers deux journaux
influents : Le Journal des Sourds-Muets, et La Gazette
des Sourds-Muets.
Ces deux journaux sont dirigés par Henri Gaillard
(1866-1939), un homme vigoureusement engagé dans
la question éducative Sourde, qui estime nécessaire
le retour de l’enseignement de la Langue des Signes
dans les écoles. Cependant, c’est un personnage très
contesté, ses prises de position et son influence ont
froissé quelques égos, en particulier celui de Joseph
Chazal. Celui-ci est devenu son adversaire direct dans
les années 1890-1910, avec Le Sourd-Muet Illustré, un
journal critiquant ouvertement les actions de Gaillard
(surnommé Grigrine à cause de son caractère rebelle et
contestataire), l’accusant de fraudes, de manipulations.
© Archives de l'INJS de Paris
Par la suite, de nombreux journaux éphémères sont parus :
L’abbé de l’Épée (1888-1889), La
Sincérité (avril-mai 1887), L’Écho
de la Société d’appui fraternel
(1889-1890), Les Annales françaises des sourds-muets (un seul
numéro connu en février 1898),
Le Philantrope (1903-1904), La
Silencieuse (1898), Lectures et
revues (1899), La libre tribune
1
silencieuse (1906-1907), La France
des sourds-muets (1902-1907), 4
L’entente cordiale des sourdsmuets (1910) pour n’en citer que
quelques-uns. On en dénombre
une vingtaine dans la période de
1870 à 1920.
1 Portrait d'Henri Gaillard © Archives de
l'Amicale des anciens élèves de l'INJS
2 La Défense des sourds-muets, 1886
3 Portrait de Jospeh Chazal
4 Journal des sourds-muets, 1895
© Archives de l'INJS de Paris
40 Art’Pi!
2
3
Art’Pi! 41
La Défense des
Abbé de l'Épée (1712-1789)
XIXe siècle
XVIIIe siècle
Libéralisation de la presse
(1867)
1ère presse entièrement sourde
(1870)
La polémique repose en fait sur la volonté de faire
restaurer ou non "l’ancienne méthode", c’est-à-dire
de défendre ou non la Langue des Signes. Chazal, au
contraire de Gaillard, considère que vouloir retourner à
l’avant-Milan est illusoire. Il pense qu’il faut accepter le
progrès et se tourner vers la méthode orale.
Ces différents provoquent une multiplication du
nombre de revues, les articles contiennent des textes
virulents et des procès surviennent pour clore les
querelles.
Le déclin de la presse Sourde
Dans les années 1920-1950, le nombre de journaux
diminue et les publications deviennent de plus en plus
locales ou associatives. Tous les journaux fondés à la
Belle Époque disparaissent, étranglés financièrement,
ou avec la mort de leur fondateur. Ainsi, la presse
Sourde entre dans sa période de long déclin, devenant
moins passionnée et plus consensuelle.
La Gazette des Sourds-Muets reste à flot jusqu’en
1961, elle aura tenu presque soixante-dix ans. Ceci
grâce à Eugène Rubens-Alcais (1884-1963) qui reprit le
flambeau en 1931 en rachetant le journal à Gaillard. En
1961, la Confédération Nationale des Sourds de France
42 Art’Pi!
rebaptise La Gazette : La Voix du Sourd (1961-1993).
Ce nom symbolique montre la nouvelle orientation
du journal. Il deviendra ensuite Actua’Sourd, journal
d’information de la FNSF qui n’est plus publié depuis
presque dix ans.
Dans les années 1970-1980, il n’existe plus, à part
les papiers publiés par les associations, que L’Écho,
créé en 1908 (aujourd’hui Écho magazine) et La voix
du Sourd . Cependant, ces deux journaux publient
des articles avec une vision médicalisée du sourd, ne
défendant que l’éducation oraliste. Le Réveil Sourd(2)
dans la presse aura lieu vingt ans après le début du
mouvement.
De nos jours, la presse Sourde semble renaître, notamment grâce à Internet qui facilite les publications. Pour
qu'elle soit vivante et pérenne, des auteurs sourds de
l’envergure de Gaillard seront nécessaires.
L’âge d’or de la presse Sourde a bien existé durant la
Belle Époque. De brillants textes ont été écrits, de forts
débats ont eu lieu, signes d’un bouillonnement intellectuel Sourd. Est-ce que cela va reprendre ? Espérons
que oui !
YANN CANTIN
DE GAUCHE À DROITE
Echo de famille, 1935
Actua'Sourd, 1995
La voix du sourd, 1976
(1) Les sourds se définissaient à l'époque comme les
"Silencieux". Ce terme était
préféré puisqu'il incluait les
CODAs qui pouvaient aussi
noétomalalier.
(2) Période où les sourds
redécouvrent et défendent
leur langue et leur culture,
dans la vague de la redécouverte des minorités
linguistiques et culturelles
consécutive à Mai 68.
s sourds-muets
(1883)
Le Sourd-Muet Illustré / La Gazette des Sourds-Muets
(1890)
Le Réveil Sourd de la presse
(1990)
Eugène Rubens-Alcais (1884-1963)
Henri Gaillard (1866-1939)
e
XXe siècle
Belle Époque (1870-1914)
L'Echo
(1908)
Loi de la
liberté de la
presse
(1881)
Actua'Sourd
(1993)
La Gazette : La Voix du Sourd
(1961)
Le Journal des Sourds-Muets
(1895)
Qui est Henri Gaillard ?
Henri Gaillard était l’un des plus vigoureux militants sourds de France du XIXème siècle.
Ancien élève de l’Institut de Paris (INJS), il faisait partie de la Société des gens de lettres.
On lui doit de nombreux écrits défendant la
Langue des Signes, promouvant la culture
Sourde, valorisant les écrivains et artistes
sourds. Chose rare, il est le créateur du verbe
"noétomalalier" (s'exprimer, montrer ses pensées par gestes, par la Langue des Signes), mot
tombé dans l’oubli vers le XXème siècle et qui
semble renaître de nos jours.
Le parcours de Gaillard est brillant, unique et
passionné, pourtant vers la fin il se retrouve
isolé, rejeté par les sourds pour avoir trop aimé
la Langue des Signes, et par ses enfants pour
avoir été trop fier d’être sourd.
La presse et la loi
Deux actions législatives facilitèrent
l’existence et la multiplication des
journaux : la libéralisation de la
presse en 1867 qui permit de créer
une presse à moindre coût et la loi
de la liberté de la presse de 1881 qui
rendit la censure plus souple.
Fait
intéressant
LE SAVIEZ-VOUS ?
Gaillard crée L’imprimerie des sourds-muets et
publie de nombreux ouvrages venant d’auteurs
grands publics, devenant ainsi financièrement
viable.
L’écrivain Victor Hugo (1802-1885)
devint sourd à la fin de sa vie. Son
célèbre personnage de Quasimodo
est un carillonneur sourd communiquant en Langue des Signes. Victor
Hugo dira : « Qu’importe la surdité
de l’oreille, quand l’esprit entend ;
la seule surdité, la surdité vraie,
la surdité incurable, c’est celle de
l’intelligence. » Cette phrase figurera longtemps sous le bandeau de
La Gazette des sourds-muets.
Cet apport financier lui permet d’éditer Le
journal du Sourd-Muet et ainsi de continuer à
être publié en dépit d’un faible nombre de lecteurs. Il peut même rémunérer les auteurs, et
employer quelques sourds.
D’autre part, les relations de Gaillard l'aident
à trouver des appuis permettant également
à La Gazette d’exister : Francisque Sarcey (critique dramatique et journaliste français), Paul
Deschanel (homme de lettres et homme d’État
français sous la IIIème République) ont écrit
dans les colonnes de ces journaux.
Photo de l’imprimerie d’ouvriers sourds-muets
© ARSCA
Art’Pi! 43
STRIP
Alfred de Musset (1810-1857), poète,
auteur dramatique et romancier français,
est l’auteur de Pierre et Camille (1848).
Cette nouvelle relate la rencontre amoureuse de deux sourds au temps de l’abbé
de l’Épée. Elle paraît quatre ans après le
premier mariage entre sourds, à Paris.
En 1792, à quarante-six ans, le peintre
Francisco Goya (1746-1828) devient totalement sourd. Il apprend la Langue des Signes
et l’enseigne à ses amis. Cela va libérer
son imagination et son style se singularise.
Ses œuvres deviennent les plus étranges,
angoissantes et fascinantes de sa carrière.
Il est le premier à réellement exprimer ses
sentiments à travers l'art plutôt que par des
moyens religieux.
Bruno Braquelhais (1823-1875) participa
à la naissance de la photographie et fut
le précurseur du photo-journalisme.
Il est connu pour ses nus féminins, mais est surtout considéré
comme le photographe de la
Commune, ayant pu s’aventurer
librement à travers les barricades parce qu’il était sourd.
LE
SAVIEZVOUS ?
Paul-François Choppin (1856-1937),
devenu sourd à l’âge de deux ans, eut
plusieurs de ses œuvres en bronze
exposées dans Paris : La laveuse dans
le parc de Montsouris, Un vainqueur de
la Bastille dans le square Parmentier et Le
docteur Broca boulevard Saint-Germain. Elles
furent détruites pendant la Seconde Guerre
Mondiale.
En 1852, Ferdinand Berthier, venu voir la
pièce L’Abbé de l’Epée, critique la mimique
et le style qu’il trouve « démodés », compte
tenu de l’évolution linguistique de la langue.
En 1870, il donne des conseils pour
réactualiser la pièce.
ADREAN CLARK
Frédéric Peyson (peintre sourd, 1807-1877)
fut l’élève d’Ingrès, parmi les meilleurs. Le
public et la critique d'art firent des éloges
de son tableau Les derniers moments de
l’abbé de l’Épée. Des sourds du monde
entier signèrent une pétition pour que
le Ministère de l’Intérieur achète cette
œuvre. L’État contacta Peyson mais celui-ci
trouvant l'offre financière dérisoire préféra en
faire don à l’Institut des Sourds de Paris.
www.adreanaline.com / www.aslwrite.com
En tant que sourde et artiste, je désire intégrer ma langue maternelle, la Langue des
Signes, dans mes œuvres. Représenter sur
papier, et donc figer une langue basée sur le
visuel et le mouvement est un vrai défi.
Sur le papier, une forme écrite de l'ASL
[Langue des Signes Américaine] fonctionne
comme celle de l'anglais : des ellipses nous
donnant suffisamment d'informations pour
"reconstruire" l'intégralité du dialogue dans
notre tête. Ce qui se fait avec l'ASL peut se
faire avec la LSF. Si vous voulez en savoir
plus, cherchez ma BD dans le prochain
numéro.
Adrean Clark est auteure, illustratrice et
dessinatrice de bandes dessinées.
44 Art’Pi!
Art’Pi! 45
46 Art’Pi!
LE PERSONNAGE SOURD AU THÉÂTRE
Le personnage sourd
au théâtre
Le théâtre s’intéresse aux sourds depuis très longtemps. Le personnage sourd est tour
à tour miraculé, ridiculisé ou valorisé suivant l’évolution de la société. Parallèlement, le
théâtre Sourd, dont le passé est plus difficile à observer, sort lentement de l’ombre jusqu’à
éclater au grand jour.
De la moquerie à la considération
L
es premières traces de personnages sourds dans
le théâtre datent du Moyen-Âge. À cette époque,
sur les parvis des églises, des comédiens entendants jouent des scènes de la Bible pour enseigner la
religion catholique. Les infirmes guérissent par miracle,
des sourds se mettent à entendre, des aveugles se
mettent à voir. En parallèle, en dehors du théâtre religieux, le théâtre profane présente la surdité comme un
élément comique. Les personnages simulent la surdité pour se sortir de l’embarras ou pour faire enrager
les autres. Le vrai sourd, idiot de la pièce, enchaîne les
malentendus ou est ridiculisé. Pendant des siècles,
pour grand nombre d’auteurs, le sourd servira à créer
des quiproquos, des situations comiques, des moqueries. Il sera "le sourd" comme on pourrait dire "le
bègue", "le muet", "le boiteux". Il faudra attendre un long
moment avant d’assister à un spectacle proposant un
vrai rôle pour un personnage sourd et il est encore plus
rare d’en voir un qui ne soit pas joué par un entendant.
À partir du XVIIIème siècle, avec l’arrivée de l’abbé de
l’Épée, le public, aussi bien sourd qu’entendant, devient
friand de spectacles autour de la surdité. De plus en
plus de pièces intègrent des personnages sourds dans
l’histoire. Malheureusement, ces rôles sont généralement tous joués par des entendants. Les comédiens
se rendent à l’Institut Royal des Sourds-Muets de
Paris – devenu l'Institut National des Jeunes Sourds de
Paris - pour essayer de coller au plus près à "l’expression Sourde". Des sourds comme Massieu, Berthier
ou Gaillard apportent leurs suggestions et se rendent
dans les coulisses des spectacles pour conseiller sur
place. De nombreuses pièces continuent à exploiter
le burlesque de l’infirmité et à faire rire le public avec
le personnage sourd ou malentendant. Un nouveau
courant apparaît néanmoins, avec un angle différent
sur la surdité, essayant d’être plus explicatif et dans
la compréhension. L’abbé ayant rendu à la société des
êtres auparavant exclus, de nombreux auteurs veulent
honorer sa mémoire et son travail. Le sourd devient
un personnage intelligent, réclamant justice, pouvant
aimer ou être aimé.
Une pièce va réussir à marquer l’histoire du théâtre par
son incroyable succès et par l’image positive qu’elle
e l’Épéee, comécontribue à donner des sourds. L’Abbé de
die en cinq actes écrite par l’entendant Jean-Nicolas
Bouilly en 1799, sera jouée pendant pratiquement
atiquement
cent ans.
PAGE DE GAUCHE
Comédiens sourds
inconnus
© Amicale des anciens élèves
de l’INJS de Paris
Buste de JeanNicolas Bouilly
© Archives de
l'INJS de Paris
L’Abbé de l’Épée,
es
comédie en cinq actes
de Jean-Nicolas
Bouilly, 1799
La pièce base son histoire sur l’affaire
e juridique s'étant déroulée de 1776 à 1792, couramment appelée "l’Affaire Solar". Bouilly en modifiera les
noms et les faits. La pièce parle de Théodore,
dore, sourdmuet orphelin, recueilli et instruit par l’abbé
bé de l’Épée.
Découvrant qu’il est l’unique héritier du comte d'Harancour, aidé
de l’abbé de l’Épée, Théodore fera
tout pour retrouver son nom et
ses biens. Bouilly prend des libertés avec la réalité et donne raison
au jeune sourd. En fait, même si le
doute persiste, le tribunal jugera en
sa défaveur après plusieurs rebondissements. L’homme incriminé
sera relaxé. Voyant la pièce, celuici se sentira offensé et essayera
de faire interdire les représentations. Malgré cela, la comédie a
un immense succès et sera jouée
dans de grandes salles françaises
et européennes. Le rôle du jeune
sourd sera généralement joué par
de jeunes femmes entendantes.
Certains sourds, tels Ballestrier ou
Charles Sinobre, réussissent à jouer
dans la pièce lors de représentations en province. Cela restera malheureusement assez rare.
Affiche de
L'Abbé de
l'Épée, 1890
© Archives de
l'INJS de Paris
Art’Pi! 47
Le Pauvre Pêcheur par des comédiens sourds inconnus
© Amicale des anciens élèves de l'INJS de Paris
Les spectacles des frères
André et Albert Braün
Depuis la première moitié du XXème siècle, à l’ombre
des différents Instituts de sourds, s’est développée la
pantomime. André Braün, à l’Institut Baguer d’Asnières,
écrit et joue, avec son frère Albert, des pièces de théâtre,
des sketches pantomimiques,
des comédies, mimes, drame : Le
Rêve de Bébert, À la Caserne, Les
Conséquences du Train Manqué,
L’Innocent, Le Bossu ou Le Fils
d’Alcoolique… L’un des frères fera
plus tard des spectacles en solo,
présentant essentiellement des
histoires d’amour ou des sketches
comiques (Le Chagrin d’Amour, Le
Chewing-gum…).
Le théâtre s’inspirant de l’actualité, chaque nouvelle
affaire défrayant la chronique devient source d’inspiration. Au fur et à mesure, il reflétera également
les changements dans l’enseignement prodigué aux
sourds à travers les siècles. Avec la montée de l’oralisme et l’arrivée du Congrès de Milan en 1880, les
portraits flatteurs des sourds laissent la place à des
visions d'infirmes.
Les auteurs et comédiens sourds, restés assez discrets
jusque-là, continuent à exister de manière plus confidentielle. Le théâtre Sourd évolue dans les écoles, les
comités, aux congrès internationaux des sourds-muets
ou dans des associations sportives devenues de plus
en plus nombreuses. Ladite pièce L’Abbé de l’Épée,
après son retrait des théâtres publics, est reprise par
les Instituts de sourds et dans les associations.
La Langue des Signes étant
rejetée, la pantomime et
les spectacles de danse se
généralisent.
Le mime devient une façon de contourner le rejet et de
s'exprimer librement en public. Des artistes émergent
pour dynamiser le théâtre Sourd : Ginette Baccon (danseuse) et les frères Albert et André Braün (auteurs et
comédiens).
Ginette Baccon sur la droite au devant de la scène
© Archives de l'Amicale des anciens élèves de l'INJS de Paris
48 Art’Pi!
Les deux personnages interprétés
couramment par les deux frères
Braün sont ceux de l’officier et du
soldat. Lorsque l’officier (André Braün) donne un "coup de
pied au cul" au soldat (Albert Braün), ce dernier ramasse
avec une pelle du crottin de cheval, et le jette par derrière
sur l’officier. Celui-ci reçoit sur le visage et l’uniforme du
crottin que les spectateurs croient vrai et frais. Le crottin, bien imité, était fabriqué par les frères Braün, avec du
pain d’épices, des grains d’avoine et de la paille !
Pièce de pantomime comique
d’Albert Braün À la Caserne à
l’Institut Départemental des
Sourds-Muets d’Asnières le
21 décembre 1929
© Archives Olivier Schetrit
Pièce de théâtre sur
l'abbé de l'Épée,1938
© Archives de l'Amicale
des anciens élèves de
l'INJS de Paris
Répétition du spectacle 1x80 d'IVT
© Archives de Jean Grémion
Le théâtre Sourd au grand jour
En 1976, après un siècle d’interdiction de la Langue
des Signes, les sourds français, honteux de leur langue,
se cachent pour l’utiliser. Jean Grémion, metteur en
scène entendant, parti aux États-Unis à la recherche
de nouveaux spectacles, rencontre l’artiste sourd
américain Alfredo Corrado, alors assistant du marionnettiste Robert Anton (entendant). Leur spectacle
sera programmé durant un an à la Tour du Village du
Château de Vincennes. Alfredo Corrado, découvrant
« le manque de confiance des sourds français en leur
langue », décidera de créer, avec Jean Grémion, un
centre de recherche pour l'expression théâtrale de la
culture Sourde. Bill Moody, comédien américain entendant et interprète professionnel en Langue des Signes
Américaine (ASL) et Ralph Robbins, également comédien américain entendant, les rejoignent. Avec une
vingtaine de jeunes adultes sourds français déjà sensibilisés au théâtre grâce au travail de Ginette Baccon,
ils s’installent dans les salles du Château de Vincennes.
International Visual Theatre, IVT, est né. Cent soixante
ans après le départ de Laurent Clerc (sourd français
qui exporta l’éducation de l’abbé de l’Épée aux ÉtatsUnis pour y créer la première école de sourds), Alfredo
Corrado ramène la flamme de la culture Sourde en
France.
Dès février 1977, Corrado fait un travail de recherche,
à travers le théâtre, sur la réalité et l’originalité de la
culture Sourde. Le premier spectacle d’IVT, en 1978, est
joué complètement dans le silence et a pour titre [ ].
« Pour les comédiens sourds, ce titre signifie la communauté repliée sur elle-même en quête de sa propre
identité, de sa culture, et des outils théâtraux pour
l’exprimer. Ce spectacle, très visuel, est principalement
destiné aux sourds. Le deuxième spectacle, en 1979, ] [,
signifiera l’ouverture de la communauté vers les autres.
Toujours un travail de recherche et toujours joué dans
le silence complet, il sera plus ouvert au public entendant. »
LE SAVIEZ-VOUS ?
Bill Moody
Alfredo Corrado
Le Suédois Pär Aron
Borg, après avoir vu
le spectacle L’Abbé de
l’Épée de Jean-Nicolas
Bouilly, décide de s’occuper des sourds. En 1809,
il réussit à convaincre
le roi de Suède de créer
une école pour Sourds.
En 1993, la pièce de théâtre américaine à succès Les
Enfants du Silence sera adaptée et jouée pour la deuxième fois en France. La comédienne Emmanuelle
Laborit recevra le prix de la révélation théâtrale pour
son rôle.
Les Enfants du Silence
de Mark Medoff, 1993
Une jeune femme sourde, Sarah, tombe amoureuse
d'un professeur entendant, Jacques Leeds, et lui fait
comprendre que son monde est loin de ce qu'il peut
imaginer. Elle refuse de lire sur les lèvres des entendants pour préserver sa propre identité de Sourde.
Les Enfants du Silence (Children of a Lesser God) est
une pièce de théâtre américaine de Mark Medoff.
Elle est adaptée en 1982 par Pierre Brouton, et
jouée au Studio des Champs Élysées avec Chantal
Liennel, Monica Companys (sourdes) et Jean Dalric
(entendant). La pièce sera reprise en 1993 par Jean
Dalric aidé de Levent Beskardès (sourd), et recevra
deux Molières (meilleure adaptation, et révélation
théâtrale pour la comédienne Emmanuelle Laborit).
Affiche de la pièce Les enfants du silence, 1993
Art’Pi! 49
Laurent Clerc (1785-1869)
Jean Massieu (1772-1846)
Ferdinand Berthier (1803-1886)
Abbé de l'Épée (1712-1789)
XIXe siècle
XVIIIe siècle
Affaire Solar
(1776-1792)
L'Abbé de l'Épée
(1799)
Le Molière donné à une comédienne sourde va revigorer, encourager, dynamiser les sourds et l'art Sourd.
Ignorant l'histoire de leur théâtre, les sourds français
découvrent qu'ils peuvent faire du théâtre par euxmêmes. Par la même occasion, une fenêtre s’ouvre
pour permettre aux entendants de s’intéresser à nouveau aux sourds et à la Langue des Signes. Le personnage sourd, dans les spectacles Entendants comme
dans les spectacles Sourds, devient plus profond, prend
plus d'épaisseur et n'est plus systématiquement un
prétexte à quiproquo.
Le Réveil Sourd engendre des créations de plus en plus
riches et novatrices. Une création en inspirant d’autres,
les spectacles se succèdent. Citons par exemple Hanna
de Levent Beskardès (1993), Metroworld d’Antony
Guyon (2010), Le Divan Violet de Mathias-Henri Glénard
(2011) ou Héritages d’Emmanuelle Laborit et Estelle
Savasta (2011)...
Hanna de Levent
Beskardès, 1994
L’histoire raconte comment Hanna, jeune fille sourde,
tente de fuir la stérilisation que la politique nazie impose
aux "malades congénitaux". Cette fuite mènera la jeune
sourde vers des lieux et des personnages aspirant
comme elle au droit de vivre...
La pièce est récompensée et acclamée par les sourds en
France et aux États-Unis : meilleur metteur en scène à la
cérémonie Sourde Mains d'Or en 1999 et meilleure pièce
de théâtre Mains d'Or 2004.
Dernièrement, en juillet 2011, était présenté au Festival
Clin d’Oeil un travail de recherche inédit ; un atelier de
création s'appuyant sur la rencontre artistique entre
trois théâtres européens travaillant en Langue des
Signes : le Teater Manu en Norvège, le Tyst Teater en
Suède et International Visual Theatre en France. Cette
recherche autour de l’expression visuelle et des signes
devra donner suite, si tout va bien, à une création théâtrale visuelle et internationale en 2013.
C’est bien la preuve qu’aujourd’hui le théâtre Sourd
français est sur la bonne voie pour trouver toute sa
place dans le monde du spectacle. Il ne reste plus qu’à
souhaiter voir enfin plus régulièrement des personnages sourds réellement interprétés par des sourds
dans les productions Entendantes.
Les comédiens d’Hanna © Archives Claire Garguier
50 Art’Pi!
OLIVIER SCHETRIT & SOPHIE LAUMONDAIS
Atelier européen de création autour de l'expression
visuelle et des signes au
Festival Clin d'oeil, 2011
© Archives IVT
][ d'IVT
(1979)
Henri Gaillard (1866-1939)
e
Les Enfants du silence
(1982)
[] d'IVT
(1978)
Hanna
(1993)
Metroworld
(2010)
XXe siècle
Congrès de Milan
(1880)
La compagnie de danse folkorique
(1967)
Création d'IVT
(1976)
Ginette
Baccon
artiste et danseuse
sourde, de l’Institut
Baguer
Son parcours
Ginette Baccon, née Schmitz en 1919 à SaintOuen, fait ses études à l’Institut Gustave
Baguer d'Asnières-sur-Seine. Dès l’âge de
douze ans, elle rêve de devenir comédienne,
et en fait sa motivation principale. Elle aime
énormément danser, sur scène, lors de
sorties… Dès ses dix-huit ans, lorsqu’elle
quitte l’Institut, des amis sourds, dont les
deux frères Braün, lui proposent de jouer
au théâtre à l’occasion de fêtes, ce qu’elle
accepte avec plaisir.
Molière pour
Emmanuelle
Laborit
(1993)
Le Divan Violet,
Héritages,
Atelier de création
européen
(2011)
C'est le début d’une succession ininterrompue
de pièces de théâtre, puis de danse. Elle se
sait belle, et en fait un atout pour enchaîner
projets sur projets : spectacles pour des fondations, des comités (à l’époque, on nommait
ainsi les associations) ou des Fédérations de
sourds. Madame Bascoul, sourde, signera
beaucoup de mises en scène dans lesquelles
elle jouera avec Madame Pruvost, danseuse
également sourde (Madame Pruvost est
actuellement âgée de quatre-vingt douze
ans et demi !). À maintes reprises, Ginette
Baccon a également le plaisir de travailler
avec Paul Durand, un artiste sourd qui réalise
plusieurs décors pour ses pièces.
Tous ensemble, ils participent à un répertoire
très varié de pièces, allant du mime burlesque
aux représentations visuelles (transcriptions
visuelles, adaptations de textes, tel Madame
Butterfly), en passant par les sketches, les
pantomimes…
Ginette Baccon reste influencée par les
conséquences du Congrès de Milan qui ont
dé
dévalorisé la Langue des Signes : gênée par
la "visibilité" de la Langue des Signes en
ex
extérieur qui lui semble "hors normes", elle
pr
préfère parler de transcription visuelle et de
"t
"théâtre mimique". Le mime est pour elle
un retour aux "normes", et cela la rassure.
Fe
Fervente adepte du mime, qu’elle trouve très
ric
riche et esthétique, elle le défend de toutes
se
ses forces.
Ve
V
Vers 1967, dans sa volonté de valoriser la
ccommunauté
o
Sourde, et de prouver l’égallilité
it de niveau par rapport aux entendants,
Gi
Ginette Baccon décide de diriger une compa
pagnie de danse folklorique pour sourds :
el
elle a eu la fierté de pouvoir danser pour la
pr
première fois à la Salle des fêtes de l’Institut
Na
National des Jeunes Sourds de Paris.
En 1970, la compagnie de danse folklorique
de Ginette Baccon comprend une douzaine
de danseurs sourds : Chantal Liennel, Joël
Li
Liennel, Victor Abbou, Jean-François Labes,
Ge
Germaine Woringer, Yannick Bienfait, Brigitte
et José Vazquez, Michel Octon…
Ginette Baccon dans Oh France, Mon Pays, 1944
© Archives Olivier Schetrit
Certains d’entre eux se sont, par la suite, fait
un nom en tant que comédiens sourds à IVT.
La compagnie organise des tournées de plus
en plus importantes dans toute la France et
à travers l’Europe.
Pendant ses cours, Ginette Baccon conçoit et
dirige les chorégraphies pendant que Nelly,
une danseuse entendante, danse avec les
élèves sourds pour leur donner le rythme. La
compagnie de danse folklorique existe pendant plus de dix ans.
Ginette Baccon décède le 26 mars 2010 à
l’âge de quatre-vingt onze ans.
Ses œuvres
• Madame Butterfly, joué et mis en scène par
Ginette Baccon, avec Aline Bascoul, décors de
Paul Durand.
• Oh France, Mon Pays, solo dansant mimique
de Ginette Baccon, 1944.
• Spectacle dansant, 1935 : Ginette Baccon
est déguisée en soldat. Le fond du décor est
peint par Paul Durand.
Art’Pi! 51
QUAND LES SOURDS FONT LEUR CINÉMA
Quand
sourds
font
cinéma
les
leur
Comédien sourd ou comédien entendant ? Qui interprète les personnages de sourds dans les intrigues ? Quels sont
les traits de caractère dominants de ces personnages ? L’évolution du rôle des sourds dans l’industrie cinématographique, et la manière dont ils sont représentés, sont intimement liées à l’histoire de la culture Sourde.
Dans les films comme en société
I
l faudra attendre
jusqu’en 1937
pour voir, pour la
première fois dans
l'histoire du cinéma
français, un comédien sourd à l’écran.
Dans le film Chéri
Bibi de Léon Mathot,
Maurice Humbert
joue un rôle majeur
pour l’intrigue. Celui
d’un prisonnier sourd
dont la Langue des
Signes va permettre
de déjouer la surveillance des matons et détourner l’interdiction de parole.
Cependant, le plus souvent, les sourds sont représentés dans les films en ayant une identité de victime
(personnage violé, orphelin) ou d'idiot du village (voire
de sauvage ou d'assassin). C’est le personnage dont
on se moque ou celui par lequel arrivent toutes les
catastrophes.
L’instruction au cœur des intrigues
En 1962, aux États-Unis, Miracle en Alabama d’Arthur
Penn raconte la vie d’Helen Keller, sourde et aveugle,
qui obtint un diplôme universitaire. En 1970, en France,
un film va présenter le travail d’éducateur sur un enfant
ayant vécu seul dans la nature et que l’on croit sourd
et muet. L’enfant sauvage de François Truffaut montre
la douloureuse "oralisation" de Victor par le Docteur
Itard, à l’Institut Saint-Jacques, en plein XIXème siècle.
Ce qui apparaît comme un retard mental est présenté
ici comme le produit de l'absence de contact avec les
Hommes.
HAUT
Extrait du film L'enfant sauvage
BAS
Extrait du film Miracle en Alabama
PAGE DE DROITE
Extrait du film L'enfant du secret © France 2 / Laurent Denis
52 Art’Pi!
Art’Pi! 53
Abbé de l'Épée (1712-1789)
XVIIIe siècle
XIXe siècle
Les sourds jouent leur propre rôle
Il faut attendre les années 80 pour que les rôles de
sourds ne soient plus interprétés par les seuls entendants, toujours prêts à réaliser cette "performance",
mais par des comédiens sourds qui se professionnalisent. Il est vrai qu’entre temps la Langue des Signes
est réhabilitée en France. Le personnage du sourd n’est
plus montré comme un malade. Un véritable travail
d’expression est engagé par les sourds eux-mêmes.
Comédiens et réalisateurs sourds abordent les questions de la blessure et des souffrances du passé, de
leur relation avec les entendants, et de la place de la
Langue des Signes dans la création.
L’abbé de l’Épée, réalisé entre 1982 et 1989 par Michel
Rouvière, est le premier film français réalisé et joué
exclusivement par des sourds. Il raconte la vie et l’action de l’abbé de l’Épée au XVIIIème siècle. En 1995,
Ridicule de Patrice Leconte obtient quatre Césars. Trois
sourds, Laurent Valo, Claire Guarguier et Bruno Zanardi,
qui ont débuté à IVT (International Visual Theater), ne
jouent pas les rôles principaux dans ce film historique,
mais sont des figures positives qui font, là encore, référence à l’action de l’abbé de l’Épée.
Les films avec des comédiens sourds jouant des rôles
de personnages sourds vont se multiplier. Ce qui ne va
pas empêcher de les présenter de manière caricaturale
comme dans Jean de Florette de Claude Berri, où, en
1985, une comédienne sourde, Chantal Liennel, incarne
une domestique revêche.
Extrait du film Ridicule, 1995
Il faut attendre les années 80 pour que
les rôles de sourds ne soient plus interprétés
par les seuls entendants
Photo du tournage du film
Jean de Florette
© Archives de Chantal Liennel
BAS À GAUCHE
Extrait du film Jean de
Florette, 1985
Photo du tournage du film
L'abbé de l'Épée © Archives
de Guy Bouchauveau
54 Art’Pi!
Charles Chaplin (1889-1977)
L'abbé de l'Épée
(1982-1989)
Lon Chaney (1883-1930)
Granville Redmond (1871-1935)
e
XXe siècle
Cinéma muet
(jusqu'en 1927)
Miracle en Alabama
(1962)
Chéri Bibi
(1937)
Naissance du cinéma
(1895)
Jean de
Florette
(1985)
Ridicule
(1995)
L'enfant du secret
(2006)
L'enfant sauvage
(1970)
Photo de tournage du téléfilm L'enfant du secret, 2006
© France 2 / Laurent Denis
Place aux jeunes
Les enfants sourds échappent le plus souvent à cette
fatalité de se voir "voler" la vedette.
En 2006, dans L’enfant du secret, téléfilm réalisé par
Serge Meynard s’inspirant de l’affaire Solar, le comédien
sourd Joshua Julvez joue le rôle de Joseph, abandonné
par une riche famille, qui cherche avec l’abbé de l’Épée
à retrouver sa véritable identité. Plusieurs comédiens
sourds jouent les rôles des élèves de l’abbé de l’Épée.
Avant de tourner, les comédiens reçoivent un DVD
contenant le résumé du film et les dialogues en Langue
des Signes. Sur le plateau, plusieurs professionnels et
interprètes sont présents. Michel Aumont, qui incarne
le personnage de l'abbé de l'Épée, a pris une trentaine
de cours auprès d'un professeur sourd de Langue des
Signes, Bachir Saïfi.
Ces dernières années, des dizaines de productions
ont mis en scène des sourds, et si les rôles ont évolué
et ont gagné en profondeur, encore trop peu de personnages sont incarnés par les sourds eux-mêmes.
Aujourd’hui, la France compte pourtant plusieurs
dizaines de comédiens sourds professionnels de
tous âges. Mais très peu vivent de leur art, à la scène
comme sur les écrans.
VÉRONIQUE BERTHONNEAU
(avec pour référence L’écran sourd de Guy Jouannet)
LE SAVIEZ-VOUS ?
Un documentaire sur
l’œuvre de Ginette
Baccon, réalisé par
Olivier Schetrit, a été
présenté au 8ème
Festival du DHI - Deaf
History International
- organisé par l’Ontario Deaf Foundation, à
Toronto, Canada, et a
remporté le Premier Prix
du Film Documentaire.
Guy Jouannet
Journaliste et éducateur spécialisé ayant travaillé à l'Institut National des Jeunes Sourds (INJS) de Paris, il est l’auteur du livre
L'ÉCRAN SOURD. - Les représentations du sourd dans la création cinématographique et audiovisuelle. Il a écrit une version réactualisée de son ouvrage mais n'a pas trouvé d’éditeur.
Art’Pi! 55
LE FILM L'ABBÉ DE L'ÉPÉE DE MICHEL ROUVIÈRE
Le film
L'abbé de l'Épée
de
Michel Rouvière
Premier film français réalisé par une équipe entièrement composée de personnes sourdes,
L'abbé de l'Épée est encore aujourd'hui méconnu du public sourd et entendant.
M
ichel Rouvière est un passionné de cinéma. Il
a déjà réalisé quelques films courts, par pur
plaisir amateur, quand il découvre dans Le
Journal de Tintin (N°545, 2 avril 1959) une bande dessinée racontant l'histoire de l'abbé de l'Épée. Lui-même
se rappelle son émotion lorsqu'à l'âge de douze ans il
est entré à Saint Jacques et a découvert la statue du
prêtre dans l'enceinte de l'école.
" Tout peuple, culture, a
ses modèles, ses symboles.
L'abbé de l'Épée a été
représenté de nombreuses
fois dans des pièces de
théâtre mais j'avais
envie de l'immortaliser
en faisant un film, pour
l'inscrire au mieux dans
l'Histoire ".
56 Art’Pi!
Planche de L. & F. Funcken L'Abbé de
l'Epée 1712-1789 extraite de Tintin,
le journal des jeunes de 7 à 77 ans,
N°545, 2 avril 1959. © Le Lombard
Décision prise, Michel Rouvière rassemble son équipe,
investit de l'argent et des moyens. Le tournage débute
en 1986 et dure presque trois ans. Tous les samedis et dimanches, environ vingt-cinq personnes se
retrouvent pour tourner... À l'Institut National des
Jeunes Sourds de Paris, chez des amis, dans une maison prêtée, et même une église empruntée pour l'occasion ! Autogestion et débrouillardise sont les mots
d'ordre de Michel. À cette époque, il n'y a pas de portable, ni de minitel. Le cinéphile crapahute de droite à
gauche pour donner les rendez-vous, chercher les costumes à louer, les derniers matériels à récupérer...
L'intrépide réalisateur fait appel à Guy Bouchauveau
pour le rôle de l'abbé de l'Épée, tant ses traits ressemblent aux illustrations, aux portraits faits du prêtre.
Bonhomie et tranquillité paraissent sur le visage rond
de Guy, à l'image de l'abbé.
Il est prévu de prolonger le tournage. Mais le décès
brutal, suite à un accident, de André Denys, le caméraman, l'interrompt. Par la suite, le film est projeté plusieurs fois en France mais aussi aux États-Unis et en
Allemagne.
Bien que le film soit incomplet et parfois maladroit dans
sa construction, il fait partie de l'Histoire Sourde. Il est
le témoin de la vie d'un grand homme et de l'incroyable
énergie et motivation d'une équipe de passionnés.
Photos de tournage
© Archives de Guy
Bouchauveau
L'anecdote du tournage
Pendant la séquence de la mort de l'abbé de l'Épée,
famille et amis sont rassemblés autour du lit. Guy
Bouchauveau doit faire le mort. Tant et si bien qu'il
s'endort durant toute la séquence.
PAULINE STROESSER
Le film retrace une partie de la vie de l'abbé de l'Épée, de
sa rencontre avec les deux jumelles sourdes jusqu'à sa
mort. Il montre, à travers des moments clés, son combat pour faire ouvrir et maintenir une école publique
pour les enfants sourds. Le film a connu plusieurs versions, mais la dernière dure trente-cinq minutes.
Art’Pi! 57
BD
Illustration : Jean-Marie Hallegot / Couleurs : Daniel Le Coq
58 Art’Pi!
Agenda
Spectacle vivant
Théâtre, contes, ateliers, lectures, festivals...
60
Audiovisuel
Cinéma, vidéo, art visuel...
Illustration pour le spectacle Froid dans le Dos, IVT
61
Art/Culture
Architecture, Histoire, arts plastiques... et les banquets du tricentenaire
62
Édition
Bandes dessinées, journaux, romans, rencontres...
64
Multimédia
À découvrir sur la toile
65
Art’Pi! 59
Spectacle vivant
THÉÂTRE
ATELIER
CONTES
SPECTACLE
Quatre lettres sur
l'éducation des sourds
Chansigne
Heure du conte
Une Saison Rimbaud
Venez vous amuser autour de jeux
rythmiques et de jeux de mains, et
découvrez comment on peut adapter une chanson traditionnelle en
Langue des Signes. Sur inscription.
Les bibliothécaires des Pôles
Sourds des bibliothèques de la ville
de Paris viennent raconter à la
Bibliothèque Publique d'Information
(BPI) des contes en français et en
Langue des Signes Française.
Olivier Schetrit et Olivier Quinzin
vous font découvrir en voix et en
signes le roman jeunesse
d'Emmanuel Arnaud, dans une mise
en scène d'Annie Mako : un jeune
adolescent voit sa vie bouleversée
par la découverte des Illuminations
de Rimbaud.
Cette adaptation théâtrale
d’extraits de l'œuvre de l'abbé
de l'Épée est interprétée en LSF par
le comédien Bachir Saïfi, accompagnée d'une lecture en français oral,
et sera suivie d'un débat.
9 NOVEMBRE À 18H
SALLE DES FÊTES, VERSAILLES (78)
www.injs-paris.fr/documentsdu-site/fichiers-a-telecharger/
Tricentenaire-de-la-naissancede-l.pdf
20 OCTOBRE À 15H
1ER DÉCEMBRE À 15H
15 DÉCEMBRE À 15H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
http://bibliotheques.activites.
paris.fr/liste/index/aid/34095/
aname/Comment%20chante-ton%20en%20langue%20des%20
signes%20?%20:%20ateliers
10 NOVEMBRE À 16H ET 17H
17 NOVEMBRE À 16H ET 17H
24 NOVEMBRE À 16H ET 17H
1ER DÉCEMBRE À 16H ET 17H
BPI DU CENTRE POMPIDOU, PARIS (75)
www.bpi.fr
CONTES
Heure du conte
David avec ses mains, Anne
Laurence et Fabio avec leurs voix
racontent des histoires pour les
tout-petits et pour les plus grands.
Bilingue LSF/français oral.
LECTURE
Ma parole
Ce spectacle de sensibilisation écrit
par Jean-Yves Augros est né de la
nécessité d’aborder les problèmes
de communication rencontrés par
les sourds. Il questionne les usages,
les pratiques et les conduites
entre des personnes aux modes
d'échange différents.
SPECTACLE
15 NOVEMBRE À 19H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
21 NOVEMBRE À 19H
BPI DU CENTRE POMPIDOU, PARIS (75)
10 OCTOBRE À 10H30 ET 11H
13 OCTOBRE À 11H ET 16H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
www.dailymotion.com/video/
xsvlnn_10-et-13-octobre-2012-paris-chaptal-75-heure-du-contebilingue_lifestyle
LECTURE
Compagnons de route
Froid dans le dos
Un compagnon mystérieux,
un aubergiste truculent, un roi
désespéré, sa fille aussi belle qu’envoutée… Karine Feuillebois incarne
ces personnages en LSF, ses voix
sont celles d’Alexandra Bilisko.
Un mélange de talents et de
cultures pour conter cette histoire
peu connue d'Andersen.
Une création de Bachir Saïfi et
Antoine de la Morinerie pour sourds
et entendants, à partir de motifs
tirés de contes où ogres et barbes
bleues viennent s’entremêler aux
souvenirs des fantômes du GrandGuignol. Ce spectacle sera présenté
à IVT (International Visual Theatre)
du 3 au 23 décembre.
8 DÉCEMBRE À 16H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
www.spectacle-des-fous.com
FESTIVAL EUROPÉEN
THÉÂTRE ET HANDICAP
La Llama Doble
DANSE CONTEMPORAINE / ESPAGNE
Exercices de style
THÉÂTRE / FRANCE
Pantomime Jomi
PANTOMIME / ALLEMAGNE
Les Chaises
THÉÂTRE / FRANCE
Marcel Loeffler
Around Gus Quartet
MUSIQUE / FRANCE
Né… 2 fois
MIME / FRANCE
Snails & Ketchup
SPECTACLE VISUEL / ÉCOSSE
Le Cirque Ouïlle
CIRQUE / CABARET / HUMOUR / THÉÂTRE / BELGIQUE
Bien vu Miro !
THÉÂTRE / HUMOUR / FRANCE
Personimages EXPOSITION
Acte 21 THÉÂTRE / FORMATION ET ÉDUCATION ARTISTIQUE
DU 28 SEPTEMBRE
AU 20 OCTOBRE 2012
8 NOVEMBRE À 18H
BPI DU CENTRE POMPIDOU, PARIS (75)
www.bpi.fr
THÉÂTRE MONTANSIER
13, rue des Réservoirs / Loc 01
39 20 16 16
www.orpheefestival.com
EN PARTENARIAT AVEC :
www.yanous.com
CONFÉRENCE
Alaska
Orphée
Ce spectacle, traduit en Langue des
Signes, fait fondre les frontières
entre jeu, chant, porté acrobatique,
marionnette, art plastique pour
exprimer la complexité du monde
et mettre en doute ce qui est
appelé la réalité. D'autres représentations traduites sont prévues
ultérieurement.
Pour cette dixième édition,
le festival de théâtre propose des
spectacles touchants et plein d'humour venus de France, d'Espagne,
d'Allemagne, de Belgique et
d'Écosse. Découvrez non seulement
les dernières créations des compagnies qui ont fait la renommée du
festival, mais aussi de nouveaux
artistes aux accents originaux.
International
Visual Theatre
60 Art’Pi!
Cher Monsieur Berthier
Dépasser son handicap par l’expression artistique
FESTIVAL
JUSQU'AU 20 OCTOBRE
VERSAILLES (78)
www.orpheefestival.com
THÉÂTRE
Personimages
THÉÂTRE
2 ET 9 OCTOBRE
THÉÂTRE VARIA, BRUXELLES
(BELGIQUE)
www.varia.be/fr/
28 NOVEMBRE À 17H
BPI DU CENTRE POMPIDOU, PARIS (75)
www.babdp.org/spip.php?article29
Emmanuelle Laborit (directrice),
Stéphane Judé (directeur adjoint)
et Jean-Yves Augros (responsable
de l'action culturelle et du public
sourd) proposent une conférence
sur le thème : " Découverte et présentation d'IVT : un espace culturel
d'échanges pour les sourds et les
entendants ".
8 NOVEMBRE À 19H
BPI DU CENTRE POMPIDOU, PARIS (75)
www.bpi.fr
Cette pièce de Didier Flory, d’après
l’œuvre de Fabrice Bertin Ferdinand
Berthier, ou le rêve d’une nation
sourde, est jouée entièrement en
Langue des Signes et interprétée en
direct en voix-off.
20 OCTOBRE
ASCSRR, ROUEN (76)
10 NOVEMBRE
RÉGATES RÉMOISES, REIMS (51)
17 NOVEMBRE
NANCY (54)
30 NOVEMBRE
LIMOGES (87)
7 DÉCEMBRE
THÉÂTRE DU TIROIR, LAVAL (53)
Audiovisuel
CINÉMA
VIDÉO
Les jeunes sourds
dans la société
Christine Sun Kim
Sourde de naissance, cette artiste
américaine explore ce qu'elle
appelle la "physicalité du son".
Elle réalise des expériences sur
la matérialisation du son et de la
vibration.
Une soirée de projections et de
débats pour découvrir les regards
singuliers de trois cinéastes sur la
place de la jeunesse sourde dans
notre société.
www.huffingtonpost.
com/2012/09/10/christine-sunkim-deaf-pe_n_1870489.html
15 NOVEMBRE À 20H
CINÉMA L'ENTREPÔT, PARIS (75)
www.ffsb.be/documents/
Actualite/node4729_babdp.pdf
CINÉMA
DVD
VIDÉO
Les visiteurs
Ce clip permet de ressentir l'atmosphère des visites en français et
en LSF organisées dans le cadre
de l'événement MONUMENTA
(Daniel Buren) à la Nef du Grand
Palais : des moments magiques
et fraternels autour d'une œuvre
spectaculaire.
www.babdp.org/spip.php?article198
Festival international
du film lesbien
et féministe de Paris
The HeART of Deaf
Culture : Literary
& Artistic Expressions
of Deafhood
Soixante-dix projections de films
sous-titrés, des rencontres
traduites, des expositions...
réservées aux femmes !
Ce coffret multimédia explore l’art
visuel Sourd, l’ASL et la littérature
anglaise, le théâtre et le cinéma
Sourds à travers plus de 300
œuvres.
https://www.ntid.rit.edu/ntidweb/
products/?controller=product&path
=23&product_id=33
DU 31 OCTOBRE AU 4 NOVEMBRE
THÉÂTRE DE MÉNILMONTANT,
PARIS (75)
www.cineffable.fr/fr/edito.htm
CINÉMA
Festival Européen
du Film Court
Cette année, la programmation du
festival comprend deux séances
traduites en Langue des Signes
Française. Préparez-vous à faire
le plein d’humour, les courts
attaquent la ville de Brest !
DU 13 AU 18 NOVEMBRE
BREST (29)
www.filmcourt.fr
Art’Pi! 61
NANTERRE
PARIS
PARIS
Faculté
Musée des Arts Forains
BPI
Conférence internationale
En collaboration avec le GERS et
l’INS-HEA, la FNSF propose trois
jours de conférences autour de la
culture Sourde (Histoire et culture,
éducation, médecine et éthique,
politique). De nombreux intervenants prestigieux, français et
étrangers, seront présents.
Banquet Anniversaire
La FNSF propose une soirée
exceptionnelle dans le Théâtre
du Merveilleux, avec ses décors
d‘époque et ses jeux centenaires.
Des invités exceptionnels seront
présents : animations culturelles, humour Sourd et d’autres
surprises…
À pleines mains !
La Bibliothèque Publique d'Information du Centre Pompidou,
avec la FNSF et de nombreuses
associations, accueille un dispositif
consacré à la culture Sourde et à
la Langue des Signes : exposition,
débats, échanges, bibliothèque,
contes, projections…
DU 21 AU 23 NOVEMBRE
www.fnsf.org/300ans/2012les-temps-forts/
conference-internationale
24 NOVEMBRE À 18H
www.fnsf.org/300ans/2012les-temps-forts/24-novembre2012-lanniversaire-spectacle-etbanquet
DU 5 NOVEMBRE AU 3 DÉCEMBRE
www.fnsf.org/300ans
www.bpi.fr/fr/la_saison_culturelle/evenements/a_pleines_
mains.html
PARIS
Visite guidée
Le guide sourd Alexis Dussaix
vous fait découvrir l'église SainteGeneviève, construite à partir
de 1764, modèle d'architecture
néoclassique. Transformé à la
Révolution en temple républicain, ce
lieu devient, dès 1791, la nécropole
des grands hommes de la nation.
Chapelle de l'INJS
Tricentenaire de la naissance
de l'abbé de l'Épée
Une exposition, La vie de l'abbé de
l'Épée, et une frise chronologique
sur l'Histoire des sourds en France
(de la naissance de l'abbé de l'Épée
à nos jours), en parallèle avec l'Histoire de France.
GUADELOUPE
Musée Schœlcher
Accessibilité
Ce musée, qui rend hommage à
Victor Schœlcher et à son combat
pour l’abolition de l’esclavage et la
suppression des inégalités, propose
tous les mois des visites en LSF.
Prochaines dates :
Victor Schœlcher et l’abolition
de l’esclavage
29 OCTOBRE
Comment fonctionne un musée ?
26 NOVEMBRE
Renseignements [email protected]
Plaque commémorative
du Tricentenaire
Samedi matin à l'INJS sous la
galerie : dévoilement d'une plaque
commémorative des 300 ans de la
naissance de l'abbé de l'Épée par
l'Amicale des Anciens Élèves.
24 NOVEMBRE
www.injs-paris.fr/documentsdu-site/fichiers-a-telecharger/
Tricentenaire-de-la-naissancede-l.pdf
62 Art’Pi!
Peplum
En pénétrant dans les coulisses
du peplum, l'exposition s'attache
à en révéler les multiples sources
d'inspiration et les différents
composants. Décryptez un genre
cinématographique qui garde
depuis plus d'un siècle les faveurs
du public. Parcours commenté de
l'exposition en LSF.
10 NOVEMBRE À 15H
9 FÉVRIER À 15H
www.musees-gallo-romains.com
AVIGNON
MDPH
Des mains qui signent
Cette exposition réalisée par
Christian Rocher a pour objectif de
faire découvrir la Langue des Signes
Française. Au travers de l'art photographique, il s'agit de découvrir
une histoire de vie en quinze clichés
de mains en mouvement, parler
ainsi de la différence, des perceptions, pour aller simplement à la
rencontre de l'autre.
LOUHANS
Musée des Sourds
REIMS
Institut National
des Jeunes Sourds
Musée Gallo Romain
JUSQU'AU 5 OCTOBRE
JUSQU'AU 21 DÉCEMBRE
www.injs-paris.fr/3eme-centenaire-de-labbe-de-lepee
PARIS
SAINT-ROMAIN-EN-GAL
Cercle de
l'abbé de l'Épée
Art et Talents Sourds
Organisée par l'association
CinéSourds en collaboration avec
l'Association des Sourds de Reims
et de Champagne-Ardenne, cette
exposition-vente met en avant des
œuvres d'artistes sourds présents
sur place (tableaux, sculptures,
bijoux…).
VERNISSAGE
9 NOVEMBRE À PARTIR DE 16H
EXPOSITION
10 NOVEMBRE
www.asrca.fr
PARIS
Cité des sciences
Léonard de Vinci, projets, dessins,
machine
À travers des manipulations
interactives, entrez dans le monde
riche et spectaculaire de Léonard
de Vinci, et découvrez les quarante maquettes de ses machines
réalisées à partir de ses célèbres
carnets.
À PARTIR DU 23 OCTOBRE
www.cite-sciences.fr/lsf/ala_cite/
expositions/leonard-de-vinci/presentation-expo-leonard-vinci-lsf.php
Événement
Le premier Musée des Sourds a
ouvert ses portes au public le 12
septembre à Louhans (Saôneet-Loire). Installé dans l'ancien
Hôtel-Dieu, il entre dans le cadre
des célébrations du tricentenaire
de la naissance de l'abbé de l'Épée,
premier éducateur de jeunes sourds
s'exprimant en signes.
www.unapeda.asso.fr/article.
php3?id_article=1823
© Le Journal de Saône et
Loire - photo A.B.
PARIS
24 NOVEMBRE À 15H
http://fr.sgb-fss.ch/images/stories/pdf/Programme_Paris.pdf
© Aristoi
Panthéon
© Bpi - photo C. Desauziers
Art/Culture
Art/Culture
PARIS
Panthéon
Le Panthéon des Grands Hommes
Découvrir le monument et comprendre pourquoi la communauté
Sourde souhaite le transfert de la
dépouille de l’abbé de l’Épée dans
sa crypte.
GRENOBLE
Ville de Grenoble
Sensibilisation à la culture Sourde
Le Comité d'Organisation du tricentenaire de l'abbé de l'Épée organise
de nombreuses manifestations :
exposition, visite guidée du musée
en LSF, conférence et soirée de gala
avec spectacle, découverte et une
initiation à la langue.
JUSQU'À NOVEMBRE
grenoble300ans.canalblog.com
COUDEKERQUE-BRANCHE
Foyer Raimu
Journée des Scrapkits
Venez découvrir le scrapbooking
pendant toute une journée, dans
l'ambiance d'une réunion d'amitiés, afin de réaliser un album de
Noël. Les foyers de CoudekerqueBranche organisent de multiples
activités tout au long de l'année.
VISITES EN LSF
19 NOVEMBRE À 10H30
21 NOVEMBRE À 10H30
23 NOVEMBRE À 10H30
24 NOVEMBRE À 15H
VISITES EN LSI OU ASL
20 NOVEMBRE À 10H30
22 NOVEMBRE À 10H30
Réservations obligatoires : public.
[email protected]
ROUEN
ASCSRR
Anniversaires
En cette année 2012, l'Association Socio-Culturelle des Sourds
de Rouen et de sa Région fête le
90ème anniversaire de la fondation
du foyer des sourds, ainsi que le
300ème anniversaire de l'abbé de
l'Épée : conférence, exposition, spectacle, banquet sont au programme.
20 ET 21 OCTOBRE
Renseignements et réservations :
[email protected]
4 NOVEMBRE À PARTIR DE 9H30
Renseignements et réservations
(avant le 15 octobre) :
[email protected]
PARIS
Église Saint-Roch
ARRAS
Sur les pas de l'abbé de l'Épée
Visite de l'église où repose l'abbé
de l'Épée, et promenade dans le
quartier jusqu'à la rue des Moulins
où il habitait.
Musée des Beaux-Arts
DU 19 AU 23 NOVEMBRE
LSF À 16H, LSI ET ASL À 15H
Réservations obligatoires : public.
[email protected]
http://handicap.monumentsnationaux.fr/fr/Visiteurs_malentendants_et_sourds/
Roulez Carrosses !
La première exposition française
consacrée aux véhicules hippomobiles, berlines, carrosses, etc.
présente sur mille mètres carrés
une scénographie chronologique
innovante de tableaux, sculptures,
traîneaux...
JUSQU'AU 10 NOVEMBRE 2013
www.versaillesarras.com/index.php/fr
www.trefle.org
Art’Pi! 63
Edition
JOURNAL
OUVRAGE
Institut National
de Jeunes Sourds
L’Héritage
de l’Abbé de l’Épée
Un numéro spécial (36 pages) du
Journal de Saint-Jacques sera
consacré au tricentenaire de la
naissance de l’abbé de l’Épée.
Sa sortie est prévue en novembre.
Il sera diffusé sur le site de l'INJS.
Le CNFEDS (Centre National
de Formation des Enseignants
intervenants auprès des Déficients
Sensoriels) publie son premier
ouvrage à l’occasion du tricentenaire de la naissance de l’abbé de
l’Épée.
www.injs-paris.fr
www.cnfeds.univ-savoie.fr
RENCONTRE
Jean le Sourd
Venez rencontrer les auteurs de
la bande dessinée Jean le Sourd,
éditée à l'occasion du tricentenaire
de la naissance de l'abbé de l'Épée.
ATELIER
Apprendre
à dessiner les mangas
6 OCTOBRE À 16H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
http://bibliotheques.activites.
paris.fr/liste/index/pmr/5/tri/
age_min,age_max/ordre/DESC
Sinath, illustratrice, puise aux
sources du manga et de la BD
occidentale. Son site :
http://sinath.ultra-book.com
Atelier sur réservation. Présence
d'interprètes LSF/français.
DES SERVICES
ADAPTÉS
ET INNOVANTS
Entreprise d’utilité sociale,
Websourd développe
l’accessibilité des personnes
sourdes et malentendantes.
Priorité à l’épanouissement
de tous dans la société civile !
Elision
Pour que personnes sourdes, malentendantes et
entendantes puissent échanger librement en LSF,
LPC ou par écrit.
elision-services.com
13 ET 27 OCTOBRE À 15H
BIBLIOTHÈQUE CHAPTAL, PARIS (75)
3DSigner
Pour diffuser vos messages grâce à un
personnage virtuel qui s’exprime dans une langue
des signes parfaite
ROMAN
3dsigner.fr
Au péril de ma vie,
restez prudent
Philippe Autrive est avocat, engagé
depuis vingt ans dans la lutte pour
la reconnaissance des droits des
sourds. Il sort un roman policier qui
traite de cette communauté.
Les cent ans
d'Écho Magazine
http://philippe-autrive.publibook.
com
Écho Magazine, le journal des
sourds d'abord connu sous le
nom d'Écho de famille, a fêté ses
cent ans en 2009. WebSourd vous
propose un reportage exclusif sur
son histoire et sa rédaction, en trois
épisodes : évolution du journal et
de l'équipe, richesse des archives,
étapes de production d'un numéro.
DÉDICACE
64 Art’Pi!
Pour diffuser vos offres d’emploi en langue des
signes (offre gratuite pour les entreprises bilingues)
jobsourd.fr
ARCHIVES
www.websourd.org/spip.
php?article60107
Jobsourd
Jean Le Sourd
Dano, Yann Cantin et Céline Rames,
les auteurs de la bande dessinée
Jean le Sourd, seront en tournée de
conférences et de séances de dédicace à partir du mois de septembre
dans toute la France.
Retrouvez toutes les dates sur :
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animaux du monde grâce à cet
e-book innovant avec vidéos, mime,
dessins, photos, texte et Langue
des Signes. À partir de deux ans.
www.dailymotion.com/video/
xt3a7w_teaser-animaux-en-mouvement_animals
Peintre sourd allemand, réaliste
dans ses débuts, il se tourne
ensuite vers l'art abstrait. Il crée
aussi bien de façon consciente que
spontanée. Il travaille toutes les
matières et supports, déchets
plastiques propres, acier, laiton,
photographie, peinture...
Sa recherche s'oriente autour
des signes et du mouvement.
www.fricke-art.com
SITE
SITE
Leon Lim
International Archive
of Deaf Artists
Artiste sourd malaisien, Lim utilise
une grande variété de médiums :
peinture, installation, multimédia,
lumière, photographie, impression,
feu. À travers son œuvre, il partage
son expérience de vie sans l'influence des sons ou de la musique.
Son travail explore les thèmes
de la ségrégation, des barrières
de communication, de l'identité
et de la culture.
!
"
Ce site met en lumière les artistes
sourds, décrit leur travail, afin de
le mettre à la disposition des étudiants, des autres artistes,
et de toute personne intéressée
par la culture Sourde.
Différentes approches créatives,
centrée sur la surdité, ou pas.
http://idea2.main.ad.rit.edu/paddhd/publicDA/main/iada/index.htm
www.leonlimstudio.com
Art’Pi! 65
Remerciements
Une page spécialement dédiée aux personnes et aux partenaires sans qui ce hors-série n’aurait pu se
faire, vu l’énormité de la tâche !
Merci à notre marraine Emmanuelle Laborit pour son soutien et son encouragement.
Et merci à
(par ordre alphabétique) :
Katia Abbou
Victor Abbou
Arnaud Balard
Christelle Balard
Jeanne Bally
Raymond Barberot
Niels Barraud
Irène Bartok
Sylvaine Beaughon
Andréa Benvenuto
Yves Bernard
Véronique Berthonneau
Yves Delaporte
Clémence Devienne
Monsieur Dutheil
Madame Eisemman
Didier Flory
Corinne Gache
Claire Garquier
Célia Giglio
Sébastien Giozzet
Jean Gremion
Christine Guerret
Stéphane Mangaud
Eliza Mac Donald
Florence Médina
Alice Messac
Elza Montlahuc
Bill Moody
Aliza M'Sika
Mercedes Perez Lopez
Geneviève Pomet
Céline Rames
Emmanuelle Rico-Chastel
Evelyne Rigot
Magazine artistique
Fabrice Bertin
Vincent Bexiga
Xavier Boileau
Fabrice Bon
Jessica Boroy
Maryline Bouchut
Jérôme Bourgeois
Yann Cantin
Igor Casas
Hélène Champroux
Noémie Churlet
Sylvain Churlet
Adrean Clark
Pierre Cosar
Isabelle David
Martin Dayan
David De Filippo
HORS-SÉRIE
Jean-Marie Hallegot
Laïla Hassani
Céline Hayat Bufarull
Cécile Khamla
François Kovacts
Isabelle Lapalu
Ronit Laquerriere-Leven
Patrick Larwin
Alain Laumondais
Sophie Laumondais
Tuan Le Anh
Daniel Le Coq
Elisabeth Le Quillec
Ewen Le Quillec
Sandrine Rincheval
Sabine Sahla
Alex Sambe
Naomiki Satô
Olivier Schetrit
Pierre Schmitt
Yaron Shavit
Dominique Soucarre
Pauline Stroesser
Yasuka Takeda
Brigitte Vasquès
José Vasquès
Ivan Verbizh
Richard Zampolini
Merci également aux donatrices et aux donateurs. Et merci à tous ceux qui nous
envoyé des courriels et des messages d'encouragements, des compliments,
du soutien, des conseils.
66 Art’Pi!
Merci à nos partenaires :
• Yehoudart
• IVT (International Visual
Theatre)
• FNSF (Fédération Nationale
des Sourds de France)
• INJS (Institut National
de Jeunes Sourds)
• Mairie de Paris
• Région Île de France
• CMN (Centre des Monuments
Nationaux)
• Langue Turquoise
• Mobil Média Sign
• AFILS (Association Française
des Interprètes et traducteurs
en Langue des Signes)
• Interprètes Sourds
• Fondation Orange
• Amicale des anciens élèves
de l'INJS
• ASRCC (Association des
Sourds de Reims et de
Champagne-Ardenne)
• Passerelles & Compétences
• BPI (Bibliothèque Publique
d'Information du Centre
Pompidou)
Merci à tous d'avoir
participé à la création
de ce hors-série
exceptionnel !
Le magazine artistique
des Sourds et de la
Langue des Signes
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Vos dotunre Sourde
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visible
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Art’Pi! 67
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68 Art’Pi!