Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
25 AVRIL 2013
C.12.0394.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.12.0394.F
1.
J. A.,
2.
N. E. K.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36, où il est
fait élection de domicile,
contre
APOTHEEK PHARMACIE D., société privé à responsabilité limitée dont le
siège social est établi à Anderlecht, chaussée de Ninove, 402,
défenderesse en cassation.
25 AVRIL 2013
I.
C.12.0394.F/2
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 20 mars
2012 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré
d’appel.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II.
Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
-
article 3, § 5, de la section 2, intitulée « Des règles particulières
aux baux relatifs à la résidence principale du preneur », du chapitre II du titre
VIII du livre III du Code civil, insérée par l’article 2 de la loi du 20 février
1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux
à loyer ;
-
articles 1183 et 1184 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué prononce la résolution du contrat de bail aux torts
des demandeurs, par tous ses motifs réputés intégralement reproduits, et
spécialement par les motifs suivants :
« La (défenderesse) fait également grief au premier juge d’avoir
considéré que (le demandeur) a valablement résilié le bail sans indemnité ni
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préavis en date du 6 février 2009, et n’est en conséquence plus tenu au
paiement du loyer à compter du mois de janvier 2009.
Les (demandeurs) soutiennent que (le demandeur) aurait résilié le bail
le 1er décembre 2008, résiliation qu’il aurait confirmée le 6 février 2009, et
qu’il aurait mis le bailleur en rapport avec son frère, qui se serait installé dans
l’appartement le 1er janvier 2009 avec l’accord de la (défenderesse).
Au regard des pièces produites, il n’est toutefois pas démontré qu’un
renom aurait été adressé au bailleur avant le 6 février 2009, date qui sera en
conséquence retenue et à laquelle les lieux étaient déjà occupés par le frère
(du demandeur).
S’agissant d’un bail de résidence principale, tant que l’enregistrement
n’a pas été effectué, le preneur peut résilier le bail à tout moment, sans préavis
et sans indemnité, et l’exigence du respect d’un congé d’une durée de trois
mois et l’indemnité en cas de résiliation au cours des trois premières années de
bail ne s’appliquent pas.
L’enregistrement, à tout le moins des conditions générales du bail,
ayant été effectué le 14 février 2009, la résiliation immédiate du bail était en
principe valable jusqu’à ce moment, sans paiement d’indemnité et sans
qu’aucun motif ne soit exigé. En conséquence, les motivations personnelles
ayant conduit (le demandeur) à donner son congé importent peu.
La rupture du bail fait toutefois naître dans le chef du preneur
l’obligation de restituer les lieux loués, qui se matérialise notamment par la
remise des clés.
Or, il ressort du dossier que les lieux loués ont été occupés par le frère
(du demandeur) et (la défenderesse) expose sans être contredite avoir
finalement récupéré les clés par son intermédiaire en date du 2 septembre
2009.
Les (demandeurs) restent en défaut d’établir que le frère (du
demandeur) se trouvait dans les lieux de l’accord de (la défenderesse) et ce,
que ce soit dans le cadre d’une cession de bail ou de la conclusion d’un
nouveau contrat de bail.
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Les pièces unilatérales déposées, soit des ‘ messages’ qui auraient été
déposés par (le demandeur) en mains propres à la pharmacie avant le 6 février
2009 comportant notamment des doléances, ainsi que les affirmations
contenues à cet égard en conclusions sont en effet dépourvues de toute force
probante.
Est en revanche probant l’échange de correspondance entre les parties
du 6 février 2009.
Il en ressort que (la défenderesse) a réagi immédiatement en indiquant
qu’elle refusait la cession de bail. Elle s’était en outre déjà plainte de
l’occupation du bien par un tiers dans le cadre de la mise en demeure du
23 janvier 2009, de sorte que sa position est restée constante.
La comparution personnelle du représentant de la (défenderesse)
sollicitée à titre subsidiaire par les (demandeurs) ne revêt aucune utilité.
Il découle de ce qui précède que c’est du fait (du demandeur) que les
lieux loués ont été occupés par son frère en violation de l’obligation
contractuelle des locataires de restituer les lieux loués.
Surabondamment, une cession de bail ne pouvait en toute hypothèse
pas être admise.
Comme cela a déjà été rappelé, la cession d’un bail de résidence
principale était contractuellement interdite, sauf accord écrit et préalable du
bailleur.
La cession de bail est une cession de créance dans le cadre de laquelle
le bail initial demeure. Il n’y a donc pas de nouveau bail, à la différence de la
sous-location.
En cas de cession par le preneur, celui-ci demeure en outre, en
principe, tenu à l’égard du bailleur des obligations résultant du contrat de
bail, telles que le paiement des loyers et la restitution des lieux. En revanche,
le preneur-cédant ne peut plus donner de congé (sauf convention contraire), à
la différence de ce que (le demandeur) a fait. En effet, le preneur-cédant a […]
cédé les droits que conférait le contrat de bail.
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Le fait d’installer un tiers dans les lieux, le manquement à l’obligation
de restitution des lieux loués qui en résulte, combinés au non-paiement des
loyers de décembre 2008 et janvier 2009 puis jusqu’en septembre 2009, justifie
la résolution du bail aux torts (des demandeurs).
(…) Il résulte de ce qui précède qu’aucune indemnité de résiliation
pour rupture anticipée du bail n’est due. En revanche, une indemnité de
résolution est bel et bien justifiée, de même que le paiement d’une indemnité
pour l’occupation des lieux loués pendant la période postérieure à la
résiliation jusqu’à la restitution effective des lieux ».
Griefs
1. Un contrat de bail de résidence principale de neuf ans peut être
résilié à tout moment par le preneur, moyennant un congé de trois mois. Le
preneur devra en outre payer une indemnité s’il est mis fin au bail au cours du
premier triennat. Cette indemnité sera égale à trois mois, deux mois ou un
mois de loyer selon que le bail prend fin au cours de la première, la deuxième
ou la troisième année (article 3, § 5, alinéas 1er et 2, de la section 2 du chapitre
II du titre VIII du livre III du Code civil, insérée par l’article 2 de la loi du 20
février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives
aux baux à loyer).
La règle qui vient d’être énoncée n’est cependant pas d’application
lorsque le bail n’est pas enregistré. Le preneur pourra alors mettre fin au
contrat de bail à tout moment et sans devoir payer une indemnité ni respecter
de délai de congé de trois mois (article 3, § 5, alinéa 3, de la même section 2
du Code civil).
Le congé est un acte unilatéral et ne doit pas être accepté par l’autre
partie pour produire ses effets. Le congé suffit à mettre fin au bail, il n’est pas
nécessaire de le faire confirmer par le juge.
Si plusieurs dates ont été évoquées concernant la date où le congé
aurait été valablement notifié par les demandeurs à la défenderesse, le
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jugement attaqué retient finalement celle du 6 février 2009. Le jugement
attaqué énonce ainsi qu’ « au regard des pièces produites, il n’est toutefois pas
démontré qu’un renom aurait été adressé au bailleur avant le 6 février 2009,
date qui sera en conséquence retenue ».
Plus loin, le jugement attaqué note que, l’enregistrement des conditions
générales du bail étant intervenu le 14 février 2009, la résiliation immédiate
du bail, sans motif et sans indemnité, était en principe valable jusqu’à cette
date.
2. À la fin du bail, le preneur a pour obligation de restituer les lieux
loués au bailleur. Cette restitution se matérialise généralement par la remise
des clés.
Dans l’hypothèse où le preneur se maintiendrait dans les lieux une fois
le contrat résilié, cela n’aurait cependant pas pour conséquence de renouveler
ou de prolonger ledit contrat ni d’en créer un autre. Le preneur deviendrait
alors un occupant sans titre ni droit, ce qui pourrait justifier l’octroi d’une
indemnité d’occupation au bailleur.
3. La résolution judiciaire est une autre façon de mettre fin au contrat
de bail. Elle se différencie de la résiliation unilatérale en ce qu’elle constitue
une sanction pour inexécution fautive. Elle doit en outre être demandée en
justice et a, en principe, un effet rétroactif (article 1183 et 1184 du Code civil).
4. En l’espèce, le jugement attaqué constate que le congé a été
valablement notifié le 6 février 2009 mais que les lieux n’ont été restitués que
le 2 septembre 2009.
Le jugement attaqué prononce la résolution du contrat de bail aux torts
des demandeurs et les condamne au paiement de la somme de 5.476,96 euros
au titre d’arriérés de loyers et d’indemnité d’occupation ainsi qu’au paiement
de la somme de 1.591,68 euros au titre d’indemnité de résolution.
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Cependant, aucune résolution ne pouvait être prononcée, étant donné
que le contrat de bail avait été valablement résilié par les preneurs en date du
6 février 2009.
Le jugement attaqué justifie la résolution de la manière suivante :
« Le fait d’installer un tiers dans les lieux, le manquement à
l’obligation de restitution des lieux loués qui en résulte, combinés au nonpaiement des loyers de décembre 2008 et janvier 2009 puis jusqu’en septembre
2009, justifie la résolution du bail aux torts (des demandeurs) ».
Il découle de ces motifs que les juges d’appel ont eux-mêmes constaté et
reconnu que le contrat de bail était en réalité déjà résilié puisque le
manquement à l’obligation de restituer les lieux loués est retenu comme
argument pour prononcer la résolution.
Or, il ne peut y avoir obligation de restituer les lieux loués, et a fortiori
manquement à cette obligation, qu’une fois que le contrat de bail a pris fin. Ce
prétendu manquement ne peut donc expliquer qu’il soit mis un terme au
contrat puisqu’il suppose que le contrat ait déjà pris fin.
Il découle des considérations qui précèdent que le jugement attaqué n’a
pu prononcer la résolution du contrat de bail, celui-ci ayant déjà été
valablement résilié et cette résiliation ayant été reconnue par les juges d’appel
eux-mêmes.
En prononçant la résolution judiciaire du contrat de bail, le jugement
attaqué viole les dispositions reprises au moyen.
III.
La décision de la Cour
L’article 1184 du Code civil n’interdit pas, en règle, de prononcer la
résolution d’un contrat aux torts de la partie qui a résilié ce contrat, cette
résiliation fût-elle régulière et antérieure à la demande de résolution.
Le moyen, qui repose tout entier sur le soutènement contraire, manque
en droit.
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Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent soixante-cinq euros nonante-quatre
centimes envers les parties demanderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président Christian Storck, le conseiller Didier Batselé, le
président de section Albert Fettweis, les conseillers Michel Lemal et Sabine
Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-cinq avril deux mille treize
par le président Christian Storck, en présence de l’avocat général André
Henkes, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
S. Geubel
M. Lemal
A. Fettweis
D. Batselé
Chr. Storck