forces de police onusienne et traite des femmes en bosnie

Transcription

forces de police onusienne et traite des femmes en bosnie
Institut d’études politiques de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Mlle Elsa BARBIERI
FORCES DE POLICE ONUSIENNE ET TRAITE DES
FEMMES EN BOSNIE-HERZÉGOVINE : LA FACE
CACHÉE D’UNE MISSION DE MAINTIEN DE LA
PAIX
Directeur du mémoire :
Isabelle LACOUE-LABARTHE
2013
Institut d’études politiques de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Mlle Elsa BARBIERI
FORCES DE POLICE ONUSIENNE ET TRAITE DES
FEMMES EN BOSNIE-HERZÉGOVINE : LA FACE
CACHÉE D’UNE MISSION DE MAINTIEN DE LA
PAIX
Directeur du mémoire :
Isabelle LACOUE-LABARTHE
2013
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni
improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur(e).
Liste des abréviations
DOMP
Département des opérations de maintien de la paix
FORPRONU
Force de protection des Nations unies
GIP
Groupe international de police
MINUBH
Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine
OIM
Organisation internationale pour les migrations
Sommaire
Introduction .................................................................................................................1
PARTIE I. CRIMINALITÉ ORGANISÉE ET FORCES ONUSIENNES EN
BOSNIE-HERZÉGOVINE, UN TERRAIN FERTILE POUR DÉVELOPPER
L’OFFRE ET LA DEMANDE DE SERVICES SEXUELS ................................................5
Chapitre 1. Intensification des réseaux de trafic en Bosnie-Herzégovine : l’héritage de
la guerre ......................................................................................................................5
Chapitre 2. Le lien entre la traite sexuelle, la prostitution et la force de police
internationale des Nations Unies ............................................................................... 15
PARTIE II. LA RÉPONSE ONUSIENNE FACE À UN PROBLÈME
DÉRANGEANT ................................................................................................................. 28
Chapitre 1. Un problème non reconnu est un problème qui n’existe pas : le déni
onusien ou la « dynamique de l’invisibilité »............................................................. 28
Chapitre 2. Faux semblants et punitions expéditives .................................................. 36
Chapitre 3. La politique de la « tolérance 0 » : stratégie « marketing » face à une
profonde crise de légitimité ....................................................................................... 43
PARTIE III. LE PARADOXE ONUSIEN OU LA CONTRE-PRODUCTIVITÉ DE
LA MISSION DE POLICE EN BOSNIE-HERZÉGOVINE ............................................ 50
Chapitre 1. Défense et abus des droits humains : l’avers et le revers d’une même
médaille .................................................................................................................... 50
Chapitre 2. Une nouvelle menace contre la paix et la sécurité internationale engendrée
par les forces onusiennes : la propagation du SIDA ................................................... 55
Conclusion ................................................................................................................. 61
Annexes ...................................................................................................................... 65
Bibliographie ............................................................................................................. 82
Table des matières ..................................................................................................... 87
Introduction
« Sex trafficking is the dirty secret of UN interventions around the world – the nasty
underbelly that no one wants to confront. », Martina Vanderberg, directrice du Projet pour les
femmes de Human Rights Watch.
En 2010, la sortie du film « The whistleblower »1 provoque l’effroi au sein de
l’opinion publique internationale. Le film expose le combat de Kathryn Bolkovac, employée
par la société privée DynCorp sous-traitante pour la mission de police civile onusienne
déployée en Bosnie-Herzégovine entre 1995 et 2002, afin de révéler au grand jour l’un des
plus importants scandales d’abus sexuels et de corruption d’officiers de la décennie. Licenciée
très peu de temps après avoir dénoncé l’implication de certains membres de la mission dans
les réseaux de la traite des femmes du pays, l’affaire est étouffée par le Département des
opérations de maintien de la paix. Ce film pose ainsi les bases du sujet qui sera étudié au sein
de ce mémoire, à savoir les interactions entre les membres de la mission de police civile
onusienne et les réseaux de la traite des femmes en Bosnie-Herzégovine, entre 1995 et 2002.
Ces interactions, qui ont lieu dans une période charnière mais pourtant négligée de l’histoire
de la Bosnie-Herzégovine, à savoir la reconstruction post conflit, font en effet ressortir ce que
peu de chercheurs semblent avoir étudié jusqu’à présent : la face cachée de la mission de
police civile onusienne dans un pays instable, politiquement et économiquement. La plupart
des grandes villes ont en effet été assiégées par les serbes durant plusieurs mois voire
plusieurs années, favorisant ainsi l’avènement d’un important marché noir interthnique et
l’émergence d’une nouvelle élite criminelle banalisant l’impunité et la corruption dans le
pays, le gouvernement étant incapable de subvenir aux besoins les plus primaires de sa
population.
Déployée à la suite des Accords de paix de Dayton en 1995, la mission des Nations
unie en Bosnie-Herzégovine (MINUBH) est chargée d’encourager et de surveiller la transition
démocratique du pays, ravagé par trois ans d’affrontements contre les forces serbes. L’enjeu
de la mission est donc crucial, cette dernière devant faciliter et surveiller la difficile transition
vers la démocratie du pays et servir d’exemple pour d’autres missions à travers le monde.
Parmi les différentes entités constituant la mission, le Groupe international de police (GIP) se
1
Film réalisé par Larysa Kondracki.
1
démarque dès 1998. Principalement chargé de la restructuration des forces de police locales et
de la lutte anti-corruption, ce dernier s’avère impliqué, de façon directe et indirecte dans l’un
des commerces les plus florissants dans la région des Balkans, à savoir la traite des êtres
humains. Par traite des êtres humains, nous entendons ici :
« le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes,
par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par
l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une
personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au
minimum, l’explitataion de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle,
le travail ou les services forcés ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le
prélèvement d’organes2».
C’est à l’exploitation de la prostitution et aux formes d’exploitation sexuelle que nous
nous intéressons particulièrement dans ce mémoire. S’il est reconnu que des hommes
subissent également ces pratiques, les femmes et les jeunes filles en sont les principales
victimes : chaque année, elles sont plusieurs milliers à transiter entre l’Europe de l’Est et la
région des Balkans, avant de rejoindre, la plupart du temps l’Europe de l’Ouest. Nous nous
concentrerons donc ici sur les pratiques d’exploitation sexuelle des femmes en BosnieHerzégovine. Plus particulièrement, nous chercherons à comprendre l’émergence des réseaux
clandestins organisant le commerce de femmes dans le pays ainsi que la configuration des
rapports entre ces derniers et le Groupe de police international de l’ONU durant l’ensemble de
sa mission, commencée en 1995 et terminée en 2002. À la lumière de ces interactions,
impliquant différents niveaux d’abus et d’atteinte à la dignité à la personne, il semble
également judicieux d’analyser la manière dont le Département des opérations de maintien de
la paix ainsi que la hiérarchie de la MINUBH réagissent, tout particulièrement face à d’autres
cas d’abus sexuels au sein de différentes missions de maintien de la paix. En effet, divers cas
de viol et d’agression sexuelle sont recensés au Cambodge, en Sierre Leone, en République
démocratique du Congo et au Timor oriental entre la fin des années 1990 et le début des
2
Définition du Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale
organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
2000, voir annexe 3, p 71, article 3, paragraphe a.
2
années 2000, plaçant les forces civiles et militaires onusiennes au centre des inquiétudes
internationales.
De façon précise, nous tenterons de déterminer en quoi la présence de forces
onusiennes avant et après la guerre a paradoxalement généré, intensifié et enraciné les réseaux
de la traite des femmes en Bosnie-Herzégovine, rendant ainsi la mission du GIP contreproductive et plaçant le Département des opérations de maintien de la paix ainsi que la
MINUBH dans une profonde crise de légitimité.
Afin de répondre à cette problématique, nous nous appuierons sur différents rapports
d’oganismes de défense des droits de l’homme (principalement Human Rights Watch et
Amnesty International), d’organisations internationales (Organisation internationale des
migrations, organisation de référence lorsqu’il s’agit d’analyser la traite des êtres humains)
d’instituts de recherche (Center for the study of democracy, Center for strategic and
international studies) et de l’ONU (Fonds des Nations unies pour l'enfance, Institut
interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice, HautCommissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et ONUSIDA). Lorsque cela est
possible, nous nous appuierons également sur certains ouvrages ayant analysé le phénomène
de la traite ou les dérives du personnel onusien de façon globale afin de compléter les sources
principales développées ci-dessus. Des articles de presse se sont également révélés utiles pour
certaines parties du mémoire, permettant d’apporter un œil extérieur sur les différents
scandales dénoncés et relayés par la presse internationale ainsi que certains détails absents des
rapports ou ouvrages utilisés.
Les relations entre les forces onusiennes en Bosnie-Herzégovine et les réseaux de la
traite des femmes ont en effet été peu étudiées en profondeur par des universitaires,
principalement en raison du manque de statistiques et d’enquêtes fiables sur la question. Ce
manque d’informations s’explique en grande partie par le caractère doublement clandestin de
la problématique abordée, tant pour les trafiquants que pour les officiers de police onusiens,
rendant l’étude de terrain complexe et dangereuse. Ainsi, ce sont principalement des
organismes de défense des droits de l’homme qui se sont attachés à faire des recherches de
terrain afin de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du phénomène. Ces
recherches ont ensuite été reprises par des instituts de recherche et des entités
gouvernementales (principalement le Département d’État des États-Unis), démontrant ainsi la
fiabilité des résultats obtenus. La combinaison de ces différents types de support permet ainsi
d’examiner la problématique étudiée de façon crédible et aussi détaillée que possible.
Précisons que si ces différents supports sont précieux pour mieux comprendre les différents
3
types d’implication des forces onusiennes dans le commerce sexuel en Bosnie-Herzégovine,
aucun d’entre eux ne permet, à ce jour, d’évaluer l’ampleur réelle de cette implication.
Au fil du développement de ce mémoire, nous montrerons donc que la présence
onusienne pendant et après la guerre en Bosnie-Herzégovine a provoqué, en toute impunité, la
rencontre entre une offre et une demande de commerce sexuel, permettant ainsi aux réseaux
de la traite des femmes et aux nouvelles élites criminelles du pays de prospérer entre 1995 et
2002. Cette relation étroite, longtemps niée par la hiérarchie du GIP, de la MINUBH et du
Département des opérations de maintien de la paix car jugée trop embarassante, plonge
l’ONU dans une profonde crise de légitimité au début des années 2000, forçant l’organisation
à revoir son approche du phénomène de la traite des femmes, jusqu’alors considéré comme
une menace mineure. Cette réaction de déni traduit une véritable incompréhension du
phénomène de la traite des femmes au sein de l’Organisation, elle-même due à un certain
climat de tolérance et de permissivité à l’égard de la prostitution inhérent à sa culture
organisationnelle. Nous montrerons enfin que les abus de certains membres du GIP ainsi que
leurs conséquences sécuritaires et sanitaires se révèlent être en contradiction avec les objectifs
de la mission assignée, perpétuant la corruption et les violations des droits de l’homme dans le
pays et remettant ainsi en cause la légitimité de la mission et de son personnel.
Dans cette optique, ce mémoire sera structuré en trois parties. La première partie
reviendra sur la participation des casques bleus dans l’intensification des réseaux clandestins
durant la guerre et dans l’émergence d’une nouvelle élite criminelle cherchant à investir dans
le commerce du sexe après la signature des Accords de paix de Dayton en 1995, ainsi que sur
les différents types d’interactions entre le GIP et les réseaux de la traite des femmes entre
1995 et 2002. La deuxième partie analysera les deux phases de la réaction onusienne face aux
différentes affaires d’exploitation et de corruption du GIP, soulignant un manque de
sensibilité et de compréhension du phénomène de la traite des femmes ainsi qu’une volonté
précipitée de regagner la confiance du public face à une grave crise de légitimité. La dernière
partie tentera de faire ressortir le paradoxe que constitue l’implication de certains membres du
GIP dans les réseaux de la traite. Il s’agit de montrer que les différentes interactions avec les
réseaux de la traite, bien que limitées, sont dénuées de sensibilité pour le traumatisme laissé
par la guerre et créent une nouvelle menace contre la paix et la sécurité, perpétuant
l’instabilité dans la région des Balkans et produisant ainsi l’inverse des résultats escomptés
lors de la création de la mission de reconstruction.
4
PARTIE
I.
CRIMINALITÉ
ORGANISÉE
ET
FORCES
ONUSIENNES EN BOSNIE-HERZÉGOVINE, UN TERRAIN
FERTILE POUR DÉVELOPPER L’OFFRE ET LA DEMANDE
DE SERVICES SEXUELS
Dans cette première partie, nous nous attarderons sur les conditions d’émergence des
réseaux de la traite sexuelle en Bosnie-Herzégovine (chapitre 1) ainsi que sur leurs
interactions avec le Groupe international de police de l’ONU (chapitre 2) afin de montrer
comment cette force onusienne chargée de la reconstruction démocratique du pays a constitué,
en toute impunité et à différents niveaux, l’une des sources principales de revenus pour le
Crime organisé3 impliqué dans le commerce sexuel.
Chapitre 1. Intensification des réseaux de trafic en BosnieHerzégovine : l’héritage de la guerre
Si la présence de réseaux criminels organisés dans les Balkans est avérée bien avant
l’effondrement de la Yougoslavie, la guerre en Bosnie-Herzégovine et ses répercussions
contribuent très largement à leur intensification à la fin des années 90. Pour comprendre
l’avènement du trafic d’êtres humains en Bosnie-Herzégovine et son passage d’un marché
local à une industrie de grande échelle, il faut remonter à la création des réseaux
interethniques de contrebande durant la guerre par des milices criminelles qui seront réutilisés
pour exploiter des femmes dans la région des Balkans, une fois la guerre terminée. En effet,
les sanctions économiques dirigées contre la Yougoslavie ainsi que le siège des principales
villes dans un pays très affaibli constituent un contexte favorable à la criminalisation de son
3
Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, un groupe criminel organisé est un groupe
constitué de trois membres ou plus, existant depuis une période relativement longue, agissant de concert et
commettant des crimes sérieux à des fins financières, voir B. Dammann, « Presentation at UNICRI-TRACC
International Experts Meeting, Turin, 9-10 mai, 2002.
5
économie, nécessaire à la survie de la population et source de profit pour une frange
criminelle ainsi que pour une partie du personnel onusien, tant pendant qu’après le conflit.
Section 1. Criminalisation de l’économie de guerre et nouvelles
élites : le passage d’une économie de production à une économie d’assistance
et de prédation
La guerre en Bosnie-Herzégovine achève d’affaiblir son économie, en décomposition
depuis la mort de Tito et l’effondrement de la République fédérale de Yougoslavie.
Incapables de parer l’attaque serbe en 1992, la plupart des grandes villes se retrouvent
assiégées, coupant les populations des axes d’approvionnement. Isolées et démunies, ces
dernières se tournent vers la frange criminelle du pays pour les défendre, seuls acteurs
possédant encore les ressources nécessaires. Face à l’internationalisation massive du conflit,
ces défenseurs se transforment rapidement en prédateurs, détournant une grande partie de
l’aide humanitaire et établissant ainsi un vaste marché noir interethnique. En symbiose avec
cette nouvelle économie sous-terraine, la présence onusienne sur le terrain contribue
fortement au passage d’une économie de production à une économie de prédation dans le
pays.
A. Une décomposition économique avancée
Lorsque la guerre éclate en Bosnie-Herzégovine, l’économie socialiste du pays est en
décomposition depuis plusieurs années.
La forte décentralisation des pouvoirs,
principalement aux mains des élites politiques et managériales locales, a accentué la
décomposition étatique amorcée dès les années 80 avec la mort de Tito et précipitée par
l’éclatement de la République fédérale de Yougoslavie en 1991. Dès août 1990,
l’administration et les entreprises nationalisées du pays se désagrègent au profit
« d’institutions parallèles4 » autonomes, au sein de régions à forte population serbes et
croates, au communautarisme exacerbé. Les centres industriels, les réseaux de communication
4
. Bougarel, « Entre prédation et production : l’économie du conflit bosniaque » dans J. C. Ruffin et F. Jean
Économie des guerres civiles. Paris, Hachette, 1995, p.233.
6
et de distribution sont en crise : le pays ne possède plus qu’une « économie de production
résiduelle5 », incapable de couvrir les besoins primaires de sa population. La désorganisation
administrative et fiscale rend difficile, voire inexistante la formation et la rémunération de
nouvelles forces militaires professionnelles bosniennes après le ralliement de la majorité de
l’armée populaire yougoslave (JNA) à la Serbie6. L’embargo général sur les livraisons
d’armes et d’équipement militaire (qui est transformé en boycott économique général en
19937), imposé par le Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 1991 8 afin de rétablir la
paix en Croatie ne fait que confirmer le déséquilibre économique et militaire croissant entre
serbes et bosniaques. Beaucoup moins bien placée géographiquement et affaiblie
financièrement, la Bosnie-Herzégovine ne peut rivaliser avec les forces serbes en cas de
conflit armé. En plus du stock d’armes récupéré avec la dissolution de la JNA, les serbes
commencent à s’armer à travers des réseaux clandestins passant par Belgrade dès 1990 (en
violation de l’embargo de l’ONU) et rallient de nombreux combattants paramilitaires venant
d’Europe de l’Est, découragés par des politiques d’immigration restrictives et attirés par
l’important potentiel financier qu’impliquerait une guerre interethnique.
Toutes les conditions sont donc réunies pour que l’éclatement d’une guerre provoque le
passage d’une « économie de production à une économie d’assistance et de prédation » 9 dans
le pays.
B. « Défenseurs-prédateurs » et « mafia patriotique », les nouvelles élites organisant le
trafic en Bosnie
Le 6 avril 1992, jour où la Bosnie-Herzégovine est officiellement reconnue par la
Communauté européenne comme un État indépendant, l’attaque de la ville de Sarajevo par les
serbes de Bosnie marque le retour d’une technique militaire considérée alors obsolète en
Europe : la technique du siège. En effet, pour Peter Andreas, loin d’être un conflit unitaire, la
5
Ibid., p.236.
La JNA est officiellement dissoute en mai 1992, soit six semaines après le début des combats en Bosnie
Herzégovine, voir P. Andreas, « The clandestine political economy of war and peace in Bosnia », International
Studies Quarterly, Vol.48, 2004, p.35.
7
P. Martin-Bidou, Les mesures d’embargo prises à l’encontre de la Yougoslavie dans l’Annuaire français de
droit international, Vol. 30, n°39. Editions du CNRS, Paris, 1993, p.264.
8
Résolution S/RES/713 (1991) paragraphe 6 dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
disponible sur http://www.nato.int/ifor/un/u910925a.htm
9
X. Bougarel, « Entre prédation et production : l’économie du conflit bosniaque » dans J. C. Ruffin et F. Jean
Économie des guerres civiles. Paris, Hachette, 1995, p. 234.
6
7
guerre en Bosnie-Herzégovine consiste en une série de sièges 10 mis en place par les forces
serbes afin de faire tomber la résistance politique du pays. Face à ces forces efficacement
armées,
les
principales
villes
du
pays
sont
rapidement 11
coupées
des
axes
d’approvisionnement, provoquant une hausse vertigineuse du prix des biens de
consommation. Ainsi, les villes de Srebrenica, Žepa, Sarajevo, Tuzla, Bihać, Mostar et
Goražde (la plupart étant des enclaves bosniaques devenues zones de sécurité de l’ONU en
1993) se retrouvent encerclées et régulièrement attaquées par les forces serbes pendant des
périodes plus ou moins longues (allant jusqu’à trois ans et demi pour la ville de Sarajevo),
achevant l’asphyxie économique du pays. La Bosnie-Herzégovine étant dans l’incapacité de
mobiliser les ressources financières nécessaires pour réaliser un véritable effort de guerre, elle
dépend désormais de l’assistance extérieure pour assurer la survie de sa population, et du
monde sous-terrain pour combattre l’offensive serbe durant les premiers mois du conflit.
En l’absence d’un système de défense unifié et de forces militaires professionnelles
capable de repousser les serbes, la défense des différents sièges revient, dans un premier
temps12, à des criminels qui sont les seuls à posséder les ressources et compétences
organisationnelles nécessaires. Constituée de chefs de gangs, de membres du crime organisé,
de trafiquants de drogue, de hooligans ou d’anciens prisonniers (libérés pour aller au combat),
cette « mafia patriotique13 » va collaborer avec les forces de police locales et rendre la
frontière entre patriotisme et criminalité très floue pour la grande majorité de la population
civile.
L’internationalisation massive du conflit dès le mois de juin 1992 afin d’apporter une
aide humanitaire dans les zones enclavées influence rapidement le comportement de ces
milices criminelles. Réalisant que la situation de siège dans les différentes villes constitue une
opportunité commerciale inédite pour ceux capables de contrôler les axes routiers et
l’approvisionnement humanitaire entre les camps ennemis, ces défenseurs se transforment en
10
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p 1. Voir également F. Chaslin Une haine monumentale, essai sur la destruction des villes en exYougoslavie, Descartes & Cie, 1997 où l’auteur décrit la guerre en Bosnie-Herzégovine comme « une guerre
contre les centre villes » et une « destruction systématique de l’industrie moderne du pays ».
11
Selon l’International Peace Research Institute de Stockholm, les serbes de Bosnie surpassaient la puissance de
feu des forces bosniennes à 9 contre un, ce qui explique l’extrême rapidité de la mise en place des sièges, voir P.
Andreas, « The clandestine political economy of war and peace in Bosnia», International Studies Quarterly,
Vol.48, 2004, p. 6.
12
Pour Peter Andreas, la défense des villes assiégées est confiée à des criminels jusqu’à ce qu’une armée
professionnelle soit formée. Dès 1993, les autorités politiques cherchent donc à se débarrasser, sans réel succès,
des milices criminelles devenues trop dérangeantes, P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of
survival in Sarajevo, Cornell University Press, 2008, p. 94.
13
Ibid., p. 28.
8
véritables « entrepreneurs-prédateurs »14. Prenant en otage la population, ces milices
criminelles établissent un vaste marché noir interethnique 15 en exploitant le pont aérien16 de
Sarajevo ainsi que les différents corridors humanitaires mis en place par le Haut commissariat
aux réfugiés (HCR) et protégés par la Force de protection des Nations unies 17 (FORPRONU).
Peter Andreas parle de « siège à l’intérieur du siège »18 pour qualifier ces activités qui
deviennent inévitables pour l’ONU et rapidement tolérées par la population locale. Des routes
clandestines se construisent entre la Croatie, la Serbie et les différentes villes enclavées de
Bosnie-Herzégovine : Sarajevo, Tuzla, Bihać et Žepa deviennent ainsi des sièges poreux et
globalement connectés19 générant d’importants trafics de nourriture, de cigarettes, de pétrole,
d’alcool, d’héroïne et d’armes (les armes sont en effet vitales au renversement de l’avantage
militaire serbe). Ainsi, entre 1992 et 1994, 30 à 50% 20 de l’aide humanitaire est détournée et
revendue entre les différents « check points » onusiens du pays. La construction d’un tunnel
sous l’aéroport de Sarajevo par les autorités politiques en 1993 et la mise en place des « routes
bleues »21 onusiennes en 1994 permettent d’élargir les échanges clandestins à toute la région
des Balkans. « Secret public » pour la FORPRONU et les populations locales, le tunnel voit
passer à son apogée près de 20 tonnes de matériel et 4000 personnes 22 par jour. Xavier
Bougarel nuance tout de même la violence de ce phénomène de prédation en précisant que de
nombreux trafics s’apparentent plus à un « marché gris23 » qu’à un marché noir, une politique
14
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p. 94.
15
Ibid., p. 11.
16
Selon Peter Andreas, l’aéroport de Sarajevo était un relai majeur de la contrebande durant la guerre,
particulièrement pour acheminer des armes et de l’argent issu de la diaspora bosniaque à l’étranger, Ibid., p 127
17
Résolutions S/RES/743, S/RES/749, S/RES/752 et S/RES/770 (1992) du Conseil de sécurité de l’ONU,
mettant en place la Force de protection des Nations unies de 13 000 soldats et soulignant l’urgence de la mise en
place d’une aide humanitaire et de sa protection par les forces de la FORPRONU au vu de la situation en
République fédérale de Yougoslavie qui constitue une menace à la paix et la stabilité internationales.
Disponibles
sur
http://www.nato.int/ifor/un/u920221a.htm,
http://www.nato.int/ifor/un/u920407a.htm,
http://www.nato.int/ifor/un/u920515a.htm et http://www.nato.int/ifor/un/u920608a.htm
18
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p.19.
19
Ibid., p. 8.
20
X. Bougarel, « Entre prédation et production : l’économie du conflit bosniaque » dans J. C. Ruffin et F. Jean
Économie des guerres civiles, Paris, Hachette, 1995, p. 5.
21
Mises en place par l’ONU en 1994, ces routes étaient très utilisées par les trafiquants pour circuler rapidement
entre les différentes enclaves. La plupart accédaient à ces routes sous couverture d’une ONG, considérée comme
prioritaire, voir P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell
University Press, 2008, p. 46.
22
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p .62.
23
« Partners in crime, the risk of symbiosis between the security sector and organized crime in southeast Europe
», Center for the study of democracy, Sofia, 2004, p. 12.
9
de redistribution horizontale étant souvent mise en place dans les quartiers d’origine des
défenseurs criminels24.
Le succès de ce nouveau marché clandestin va brutalement reconfigurer la structure
sociale du pays en permettant à toute une frange criminelle de la population un avancement
social très rapide25 (la grande majorité des technocrates et intellectuels ayant fui le pays dès le
début du conflit). En effet, en transformant leur « capital criminel accumulé en capital
politique »26, ces nouveaux riches deviennent les nouvelles élites du pays 27. Très proches de
l’appareil sécuritaire d’État et des partis nationalistes au pouvoir, ils bénéficient de lois
d’amnistie les exemptant de toute poursuite judiciaire pour leurs activités durant la guerre 28.
Ils légitiment progressivement leur fortune auprès du reste de la population, leur permettant
d’être parfaitement placés pour profiter des opportunités de reconstruction qui émergent à la
fin de la guerre. Soulignons que l’ascension rapide de ces nouveaux leaders charismatiques
n’aurait pu intervenir sans leurs interactions répétées et prolongées avec le personnel onusien,
dont le rôle informel (toléré voire silencieusement encouragé par l’ONU) dépasse rapidement
les responsabilités officielles.
C. Les casques bleus en symbiose avec l’économie de guerre
Consciente que l’aide humanitaire acheminée est insuffisante pour permettre à l’ensemble
des populations enclavées de survivre, l’ONU réalise rapidement que le développement du
marché noir ainsi que l’incorporation des casques bleus dans cette économie sont inévitables
(Peter Andreas va jusqu’à avancer que l’ONU a silencieusement encouragé cette
participation29). En effet, bénéficiant de la plus grande mobilité sur le terrain et de salaires
24
X. Bougarel, « Entre prédation et production : l’économie du conflit bosniaque » dans J. C. Ruffin et F. Jean
Économie des guerres civiles, Paris, Hachette, 1995, p. 7.
25
Contrairement au reste des pays d’Europe de l’Est et à la Russie, où la reconfiguration sociale est beaucoup
plus lente, voir D. Stark et L. BRUSZT, Postsocialist Pathways: Transforming Politics and Property in East
Central Europe. New York, Cambridge University Press, 1998.
26
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p. 123.
27
Ibid., p. 122.
28
Le gouvernement de Bosnie-Herzégovine vote peu de temps après la fin de le guerre une loi d’amnistie
exemptant tout crime de commerce illégal, d’évasion fiscale et de détournement de l’aide humanitaire entre
janvier 1991 et décembre 1995, voir P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in
Sarajevo, Cornell University Press, 2008, p. 124.
29
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008.
10
relativement élevés, ces derniers sont très rapidement absorbés (de façon directe ou indirecte)
dans la nouvelle économie de guerre du pays. En acheminant de fortes sommes issues de la
diaspora bosnienne à l’étranger, en achetant ou vendant des biens et services issus du trafic ou
en fermant les yeux devant les droits de péages prélevés aux différents « check points », les
soldats aident à injecter de nombreuses liquidités dans l’économie de guerre et font ainsi
augmenter le pouvoir d’achat local. Certains vont jusqu’à créer de véritables marchés à ciel
ouvert30 au sein de leurs baraquements et magasins d’approvisionnement, où chaque
nationalité semble s’être « spécialisée » dans un domaine commercial : les casques bleus
ukrainiens sont ainsi réputés pour leur commerce d’essence, les turcs pour le commerce
d’armes et d’explosifs (en totale violation de l’embargo de 1991) et les français pour leurs
services de « taxi-clandestin »31. En symbiose32 avec les leaders politiques, le crime organisé
et les différents réseaux de contrebande, le personnel onusien va donc à la fois profiter de
cette économie sous-terraine et l’alimenter, la faisant perdurer bien après la guerre.
Section 2. La fin de la guerre ou l’avènement de la traite sexuelle : la
reconversion des nouvelles élites criminelles du pays
Une fois la guerre terminée, les nouvelles élites criminelles du pays cherchent à se
reconvertir. Les dysfonctionnements politiques mis en place par la signature des Accords de
paix de Dayton leur fournissent l’occasion d’investir dans un commerce en plein essor en
Europe de l’Est, à savoir la traite des femmes. Mettant à profit les réseaux interthniques
clandestins utilisés pendant la guerre, ces élites permettent l’avènement d’un véritable
carrefour du commerce sexuel dans la région des Balkans. La Bosnie-Herzégovine devient
rapidement l’un des premiers pays de destination de la traite, où plusieurs milliers de femmes
sont vendues, achetées et forcées à se prostituer.
30
P. Andreas, « Criminalizing consequences of sanctions: embargo busting and its legacy », International
Studies Quarterly, Vol 49, 2005, p. 83.
31
P. Andreas, Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell University Press,
2008, p. 9 et 47.
32
Ibid., p. 1.
11
A. Dysfonctionnements politiques et production anémique: l’occasion rêvée pour une
reconversion des nouvelles élites
Lorsque la guerre prend officiellement fin avec la signature des Accords de paix de
Dayton le 14 décembre 1995, 80%33 de la population active du pays est au chômage et plus de
50%34 vit en-dessous du seuil de pauvreté. Le plan de relance économique du gouvernement
lancé en 1993 a échoué, en partie stoppé par les intérêts grandissants des nouvelles élites
politiques et économiques du pays. La plupart des villes assiégées ne sont à nouveau
accessibles qu’à partir du mois de mars 1996, ralentissant fortement toute tentative de retour
vers une économie de production. Face à l’incapacité du gouvernement de fournir à sa
population les biens de consommations et services les plus élémentaires, le recours au marché
noir reste une nécessité pour la grande majorité du pays 35. Le système institutionnel mis en
place par les Accords de paix de Dayton ne fait que renforcer la paralysie politique et
économique du pays : ayant cherché à favoriser les regroupements de population sur des
critères ethniques36, les accords débouchent sur la création de deux entités bosno-croates et
serbes (la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Sprska) et de dix cantons
autonomes avec à leur tête un État central confié à une présidence collégiale, dispersant ainsi
les compétences37 et empêchant tout consensus sur les réformes à mettre en œuvre. Très
inadapté aux besoins de reconstruction, ce système octroie à chaque entité une législation
propre, limitant toute coordination sur le contrôle aux frontières et la politique douanière et
favorisant ainsi le maintien du trafic à l’intérieur et à l’extérieur du pays 38.
Face aux importants besoins de la population en différents trafics, les nouvelles élites
profitent des dysfonctionnements du plan de reconstruction du pays pour remettre à profit les
réseaux clandestins créés pendant la guerre tout en cherchant à se reconvertir. La plupart
D. F. Haynes, « Lessons from Bosnia’s Arizona market: harm to women in a neoliberalized post
conflict reconstruction process , University of Pennsylvania Law Review, Vol. 158, p. 1783.
33
34
P. Martin-Bidou, Les mesures d’embargo prises à l’encontre de la Yougoslavie dans l’Annuaire français de
droit international, Vol. 30, n°39. Editions du CNRS, Paris, 1993, p. 265.
35
Selon L'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), 50% du PNB de la BosnieHerzégovine était encore basé sur les profits du marché noir dans les années 2000, voir “Partners in crime, the
risk of symbiosis between the security sector and organized crime in southeast Europe », Center for the study of
democracy. Sofia, 2004, p. 78.
36
« La Bosnie-Herzégovine quinze ans après Dayton : combler les retards d’avenir », Rapport de groupe
interparlementaire d’amitié n°86, 1er octobre 2009 disponible sur http://www.senat.fr/ga/ga86/ga86_mono.html
37
Le pays est composé de 14 gouvernements et de 180 ministres pour 4 millions d’habitants.
38
«Partners in crime, the risk of symbiosis between the security sector and organized crime in southeast Europe»,
Center for the study of democracy. Sofia, 2004, p. 77.
12
ayant constitué leur fortune grâce au commerce d’armes et de drogues, elles possèdent donc le
capital nécessaire pour investir dans un nouveau commerce en plein essor en Europe de l’Est
depuis la chute de l’URSS et la décomposition des économies communistes : la traite d’êtres
humains39.
Loin de la stratégie de survie créée pendant la guerre, ce type de commerce,
particulièrement de femmes et d’enfants, devient extrêmement lucratif pour une partie de la
population.
B. La traite des femmes dans la région des Balkans
Si des cas d’esclavage sexuel (considérés comme isolés) sont dénoncés dès les années 80,
ce n’est qu’en 1998 que les premiers rapports de journalistes et d’ONG locales révèlent
l’existence d’un véritable réseau organisé de traite de femmes dans le pays, s’inscrivant dans
un commerce de grande échelle étendu à toute la région des Balkans. En l’espace de quelques
années, la région devient un véritable carrefour du commerce sexuel entre l’Europe de l’Est et
l’Europe de l’Ouest. L’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Macédoine, la
Moldavie, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine40 deviennent
d’importants pays d’origine, de transit et de destination de femmes destinées à la prostitution
forcée : selon la Commission européenne en 2001, plus de 120 000 femmes y sont vendues
chaque année41. Ces femmes, âgées en moyenne de 13 à 24 ans (environ 10% sont mineures),
en majorité célibataires ou divorcées, sont enlevées ou dupées par des offres de travail
attirantes (secrétaire, femme de ménage, hôtesse d’accueil, serveuse, concours de beauté) ou
encore par un mariage arrangé avec un européen42.
39
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for
Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p. 9.
40
Si, historiquement la région des Balkans est constituée de l’ancienne Yougoslavie, de l’Albanie, de la
Bulgarie, de la Roumanie et de certaines portions de la Grèce et de la Hongrie, l’Organisation internationale pour
les migrations considère aujourd’hui que l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Macédoine, la
Moldavie, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine sont les pays qui constituent cette
région.
41
Victims of Trafficking in the Balkans: A Study of Trafficking in Women and Children for Sexual Exploitation
to, through and from the Balkan Region, International Office of Migration (IOM). Genève, 2001, p. 4.
42
A. Klopcic, «Trafficking in human beings in transition and post-conflict countries », Human Security
perspectives, Vol. 1, issue 1, 2004, p. 9.
13
Cherchant à quitter ces régions d’Europe de l’Est où l’effondrement de l’économie les a
marginalisées sur le marché du travail43, elles sont approchées par des trafiquants ou
trafiquantes (le nombre de trafiquantes augmente au fil des années, ces dernières inspirant une
plus grande confiance que les hommes) et se retrouvent prises au piège. Elles échouent au
sein de night clubs, maisons closes, bars ou clubs de fitness où elles sont forcées à la
prostitution et à l’entretien des locaux jusqu’à ce qu’elles puissent rembourser la « dette »
dépensée pour leur voyage. Pouvant être vendues plus d’une vingtaine de fois, elles ne restent
généralement qu’entre un et trois mois au même endroit. Le commerce du sexe dans la région
usant les femmes physiquement et émotionnellement très rapidement, un approvisionnement
régulier est indispensable pour maintenir le rythme élevé de consommation. Ce fort taux de
renouvellement est ce qui explique en grande partie pourquoi ce commerce est passé si
brutalement d’un marché local à une véritable industrie professionnelle extrêmement
lucrative44.
C. La Bosnie-Herzégovine, premier pays de destination de la traite de la région
La Bosnie-Herzégovine se démarque du reste de la région en devenant l’un des principaux
pays de destination d’esclaves sexuelles car elle est située sur la « Route des Balkans45 », une
des routes les plus utilisées (car facile d’accès autant sur terre que sur mer) pour accéder à
l’Union Européenne. Malgré l’interdiction officielle de la prostitution (en Republika Sprska et
dans la fédération de Bosnie-Herzégovine), le pays reçoit des femmes issues majoritairement
de Moldavie, Roumanie et d’Ukraine (92%), entre 300 et 600046 à tout moment selon
L’Organisation internationale des migrations. Elles sont acheminées à travers les différentes
routes clandestines créées pendant la guerre entre la Serbie et la Republika Sprska (dont les
frontières ont délibérément été gardées poreuses par les autorités locales corrompues) puis
mises aux enchères dans les différents « marchés de femmes » du pays situés à Sarajevo,
Tuzla, Prijedor, Tuzla, Brčko, Bijeljina et Zvornik.
43
Après la chute de l’URSS, les 2/3 de la population au chômage au sein des démocraties populaires étaient des
femmes, voir A. M. Agathangelou et L. H. M Ling, “Desire industries: Sex trafficking, UN peacekeeping and the
neo-liberal world order”, Brown Journal of Affairs, Vol. 10, Issue 1, Automne 2000, p. 136.
44
A. M. Agathangelou et L. H. M Ling, “Desire industries: Sex trafficking, UN peacekeeping and the neo-liberal
world order”, Brown Journal of Affairs, Vol. 10, Issue 1, Automne 2000, p. 140.
45
Victims of Trafficking in the Balkans: A Study of Trafficking in Women and Children for Sexual Exploitation
to, through and from the Balkan Region, International Office of Migration (IOM). Genève, 2001, p. 32.
46
Ibid., p. 43.
14
Le marché le plus connu est l’« Arizona Market », créé à la fin des années 90 dans la ville
de Brcko et financé en grande partie par les États-Unis en tant que symbole d’entente
interethnique et de transition vers le marché libre 47. Échappant rapidement à toute
réglementation, ce marché joue dès 1998 un rôle majeur dans l’organisation spatiale de la
traite sexuelle dans le pays : il voit passer près de 20 00048 femmes et jeunes filles chaque
année. Vendues aux enchères entre 300 et 500 euros, ces dernières sont soit orientées par
groupe de quatre ou cinq dans l’un des 260 night clubs du pays, soit mises à disposition pour
la consommation dans une des maisons closes situées autour du marché. Générant plus de
130 millions de dollars par an, notons que ce commerce permet au crime organisé de
réinvestir ses dividendes dans le commerce de drogues et d’armes 49, entretenant ainsi un
véritable « cercle vertueux » économique et augmentant le risque de déstabilisation dans la
région.
Si la population locale constitue une source reconnue de consommation de la traite une
fois celle-ci implantée, le personnel international sur le terrain est celui qui va générer, en
premier lieu, la demande de services sexuels dans le pays. Ainsi, ceux qui ont alimenté le
marché noir durant la guerre continuent d’entretenir l’économie sous-terraine en participant,
de façon directe ou indirecte, à la traite sexuelle en Bosnie-Herzégovine. Parmi ces
internationaux, certains membres de la force de police internationale des Nations unies
détachée après la signature des Accords de Dayton se retrouvent impliqués à différents
niveaux, entre 1995 et 2002, dans les réseaux de traite sexuelle du pays.
Chapitre 2. Le lien entre la traite sexuelle, la prostitution et la force
de police internationale des Nations Unies
De décembre 1995 à décembre 2002, la Bosnie-Herzégovine reçoit près de 1400 agents de
police afin de former le Groupe international de police des Nations unies (GIP), chargé
d’organiser la reconstruction démocratique du pays. Pour assurer cette mission, le GIP se voit
octroyer une immunité quasi absolue contre toute poursuite judiciaire en cas de non respect du
47
D. F. Haynes, “Lessons from Bosnia’s Arizona market: harm to women in a neoliberalized postconflict
reconstruction process”, University of Pennsylvania Law Review, Vol. 158, p. 1784.
48
Ibid., p. 1795.
49
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for
Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p. 15.
15
code de conduite onusien ou des normes internationales. Les contacts prolongés et répétés
entre cette force relativement aisée et la population locale ainsi que l’immunité accordée
semblent créer les conditions nécessaires à la rencontre d’une offre et d’une demande de
services sexuels sur un même territoire. D’une similarité troublante à la « symbiose criminelle
onusienne » créée durant la guerre50, une partie du GIP génère, alimente et profite en toute
impunité de ce commerce récemment implanté dans le pays.
Section 1. La création de la force de police internationale:
convergence d’une offre et d’une demande de services sexuels en toute
impunité
Lorsque la guerre prend officiellement fin en 1995 et qu’un cessez-le-feu est instauré entre
les différentes parties au conflit, une mission de police civile est créée par l’ONU afin de
surveiller le respect des accords de paix et de faciliter la transition démocratique du pays.
L’arrivée de ce contingent civil onusien, majoritairement masculin et relativement aisé par
rapport au reste de la population, semble faciliter la rencontre entre l’offre et la demande de
services sexuels en toute impunité dans le pays. Protégés par une immunité quasi-absolue, les
membres de la mission de police civile vont rapidement constituer l’une des principales
sources de consommation de la traite.
A. Les Accords de Dayton et le Groupe international de police des Nations Unies :
immunité ou impunité ?
En signant les Accords de paix de Dayton en 1995, la Bosnie-Herzégovine accepte que la
mise en œuvre des aspects civils du règlement de paix sur son territoire soit confiée à une
mission de police civile onusienne 51. La mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine
50
Voir partie chapitre 1, section 1, C « Les casques bleus en symbiose avec l’économie de guerre ».
La mise en œuvre des aspects militaires du règlement de paix revient à la Force mutli-nationale de mise en
œuvre (IFOR) dirigée par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), conformément à l’annexe 1
des Accords de paix de Dayton.
51
16
(MINUBH) est ainsi créée par le Conseil de sécurité52 et placée sous l’autorité du
Représentant spécial du Secrétaire-Général et Coordonnateur des opérations des Nations
Unies en Bosnie-Herzégovine le 15 décembre 1995, avec pour mandat la « contribution à la
création d’un État de droit »53. Parmi les différentes entités54 composant cette mission, le
Groupe international de police (GIP) 55 est chargé de la restructuration des autorités locales
ainsi que de la surveillance des activités de maintien de l’ordre. Spécialisé dans la « formation
à la dignité de la personne »56, ses principales tâches57 (élargies au fur et à mesure des
différentes résolution du Conseil de sécurité) incluent la formation de la police locale (police
des tribunaux et police des frontières) afin d’appliquer des principes démocratiques ; le
règlement efficace des problèmes de sécurité civile liés au retour des réfugiés, au crime
organisé, au trafic de drogue et à la corruption ; l’enquête et la prévention de toute violation
des normes internationales en matières de droits humains 58 ainsi que l’assistance de toute
force de maintien de l’ordre locale sur demande. Composé de forces de polices nationales, de
personnel international civil et de contractuels privés 59, le GIP compte environ 141160
membres issus de 4961 États différents.
Si chacun de ses membres doit respecter, durant l’ensemble de la mission, les normes
internationales en matière des droits humains (Convention de Genève) ainsi que les lois et
coutumes du pays d’accueil62, une immunité absolue63 contre toute arrestation, détention et
52
Créé au départ pour un mandat de 1 an, le mandat du GIP a été renouvelé à maintes reprises jusqu’en
décembre 2002 (voir résolution S/RES/1423 (2002) qui étend le mandat jusqu’au 31 décembre 2002, disponible
sur http://www.ohr.int/other-doc/un-res-bih/default.asp?content_id=27346)
53
http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/unmibh/background.shtml
54
Groupe consultatif en matière de justice pénale, d’un Groupe des affaires civiles, d’un Bureau des droits de
l’homme, des affaires publiques, d’une administration et d’un Groupe International de police (GIP).
55
Annexe 11 des Accords de Paix de Dayton, voir annexe ? et résolution S/RES/1035
December 21, 1995, disponible sur http://www.nato.int/ifor/un/u951221b.htm
56
http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/unmibh/background.shtml
57
Pour plus d’informations sur les différentes tâches attribuées, voir Annexe 1 p. 66, Annexe 11 des Accords de
paix de Dayton, article III, paragraphe 1
58
Mandat élargi en 1996 : résolution S/RES/1088 http://www.nato.int/ifor/un/u961212b.htm
59
Dans le cas où les Etats membres ne peuvent envoyer des officiers de police nationale, ils ont l’autorisation
d’envoyer des contractuels civils. Ce fut le cas des Etats Unis qui passa un contrat avec la firme privée DynCorp
Aerospace, Inc.
60
La force maximale autorisée était de 2057 officiers de police (soit un pour 30 policiers bosniens) mais le
nombre
réel
de
policiers
avoisinait
les
1400
(situation
en
octobre
2002),
voir
http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/unmibh/background.shtml
61
Allemagne, Argentine, Autriche, Bengladesh, Bulgarie, Canada, Chili, Chine, Danemark, Egypte, Espagne
Estonie, Iles Fiji, Finlande, France, Ghana, Grèce, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie, Irlande, Jordanie, Kenya,
Lituanie, Malaisie, Népal, Nigéria, Norvège, Pakistan, Pologne, République Tchèque, Pays Bas, Royaume Uni
Roumanie, Russie, Sénégal, Suède, Suisse, Turquie, Tunisie, Ukraine, Etats Unis, Vanuatu.
62
Voir annexe 1, p 66, Annexe 11 des Accords de Dayton, article II, paragraphe 5.
63
En accord avec la Convention des Nations unies sur les privilèges et immunités de 1946 (section 18 et 19),
l’ensemble du personnel du GIP, ainsi que les locaux, archives et leurs familles se voient accorder une immunité
absolue. Ce type d’immunité est plus souvent attribué aux diplomates qu’aux experts civils. Voir annexe 1, p 66,
Annexe 11 des Accords de Dayton, article II, paragraphe 6 et 7.
17
juridiction criminelle du pays d’accueil leur est paradoxalement accordée. En cas de conduite
inappropriée ou de « violation de droit sérieuse » sur le territoire de Bosnie-Herzégovine,
seuls l’ONU et le pays d’origine peuvent, sous réserve, appliquer des pénalités et sanctions.
Mais en réalité, l’ONU ne possède pas l’autorité nécessaire pour poursuivre un national mis à
disposition par un État membre pour une mission de maintien ou de consolidation de la paix.
En effet, ses possibilités de sanctions sont limitées au rapatriement et à la recommandation à
l’Etat d’origine de prendre des mesures appropriées64 (le suivi du dossier est donc attribué aux
États membres). Certains États (comme les États Unis) sont également dépourvus de
juridiction concernant les crimes commis par des civils en mission à l’étranger, empêchant
toute poursuite une fois le suspect rapatrié.
Si en théorie l’ONU exige de ses experts « la plus haute autorité morale»
65
, elle ne
semble pas s’être donné les moyens légaux de le vérifier. Pour certains hommes loin de leurs
familles, en contact prolongé et répété avec un environnement criminel particulièrement
instable et à la recherche de services sexuels, l’immunité accordée, complétée par les lacunes
judiciaires en Bosnie-Herzégovine peut s’avérer synonyme d’impunité.
B. Constitution d’une offre et d’une demande de services sexuels : « le marché de la
paix »
« Là où l’offre est insuffisante pour satisfaire la demande, ou là où la demande s’élève au-delà
de la capacité d’offre locale, des réseaux émergent […] Parce que ces réseaux (de la traite)
sont motivés par les mêmes intérêts que ceux d’un commerce légal, leur comportement peut
être analysé par les modèles économiques traditionnels de l’offre et de la demande. » Charles
Anthony Smith et Brandon Miller de la Cuesta, “Human trafficking in conflict zones, the role
of peacekeepers in the formation of networks”, Human Rights Review, Vol. 12, Issue 3, 2011,
p 289.
L’afflux de personnel civil et militaire international provoqué par la mise en
application des Accords de Dayton semble générer une demande de services sexuels
63
B. Miller-de la Cuesta et C.A Smith, Human Trafficking in Conflict Zones: The Role of Peacekeepers in the
Formation of Networks, Springer, Novembre 2010.
64
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 2004, p. 17.
65 65
Voir annexe 1, p. 66, Annexe 11 des Accords de Dayton, article II, paragraphe 2.
18
(jusqu’alors quasi-inexistante) que les réseaux clandestins du pays savent rapidement
exploiter à leur avantage 66. En effet, force est de constater que lorsque les membres de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de la Force de
stabilisation de l’OTAN (SFOR), du Bureau Représentant spécial du Secrétaire général et du
GIP arrivent en Bosnie-Herzégovine en 1995, le nombre de femmes victimes de la traite dans
la région des Balkans augmente de façon brutale, et que lorsque leur présence diminue en
200367, le nombre de femmes forcées à la prostitution recueillies sur le territoire diminue de
façon significative68. Selon Charles Anthony Smith et Brandon Miller-de la Cuesta69, cette
forte corrélation est une externalité 70 (négative) inévitable en situation post-conflit : plus la
présence internationale sur le territoire est importante, plus la croissance de la traite est forte.
Les recherches d’ONG sur le terrain confirment cet effet proportionnel : depuis 1995, près de
90%71 de la consommation au sein des maisons closes et night clubs forçant des femmes à la
prostitution serait attribuée au personnel international (dont le GIP, jusqu’à son départ en
2002). Symbole par excellence de cette consommation primaire : la multiplication de bars et
night clubs à proximité des bases internationales (certains bars vont jusqu’à prendre des noms
représentatifs de la nationalité de leurs clients, comme « Harley Davidson » pour les forces
américaines ou « Crazy Horse » pour les forces françaises). Le GIP, fortement représenté dans
les villes de Brčko, Sarajevo et Tuzla72 connues pour être un « marché aux femmes »,
66
H.R. Friman, Human trafficking, human security and the Balkans, University of Pittsburgh Press, 2007, p 2
Si la mission du GIP s’arrête en décembre 2002 et le nombre victims de la traite recueillies par l4OIM et les
ONG locales diminue, plusieurs experts mettent en perspective cette correlation. Ils pensent en effet que le
nombre de victimes recueillies diminue en raison de l’intensification des descentes de maisons closes et de bars à
partir de 2001. Voir Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a
Conference Report, UNICRI. Turin, 2002.
68
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for
Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p.11.
69
C.A. Smith et B.M. De la Cuesta, « Human trafficking in conflict zones, the role of peacekeepers in the
formation of networks », Human Rights Review, Vol. 12, Issue 3, 2011, pp. 287-299.
70
Les économistes désignent par « externalité » le fait que l'activité de production ou de consommation d'un
agent affecte le bien-être d'un autre sans qu'aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet.
Une externalité présente ainsi deux traits caractéristiques. D'une part, elle concerne un effet secondaire, une
retombée extérieure d'une activité principale de production ou de consommation. D'autre part, l'interaction entre
l'émetteur et le récepteur de cet effet ne s'accompagne d'aucune contrepartie marchande. Une externalité peut être
positive ou négative selon que sa conséquence sur le bien-être est favorable ou défavorable, voir Encyclopédie
Universalis.
71
Pour le GIP, seuls 30% de la consommation serait attribuable au personnel international. Pour plus
d’informations sur ces différences de chiffres, voir Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a
Comprehensive Training Program, a Conference Report, UNICRI. Turin, 2002, p. 13; voir également O.Simic,
«Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia and
Herzegovina », Peace and conflict monitor, 2004, pp. 1-34.
72
Voir annexe 2 p. 70, Carte de la MINUBH.
67
19
bénéficie sans aucun doute, lui aussi, de cette proximité73. Tout comme l’offre suit la
demande du marché en économie, les réseaux de la traite sexuelle semblent donc suivre leurs
consommateurs principaux au fil de leurs déploiements. Le personnel international, plus aisé
que le reste de la population, dépense plus que les locaux au sein de ces établissements et
injecte ainsi de très nombreuses liquidités dans l’économie sous-terraine du pays, lui
permettant d’investir dans d’autres types de trafics comme la drogue ou les armes. Ainsi, près
de 70%74 des recettes de la traite chaque année proviennent du personnel international.
S’il est certain qu’une partie du GIP constitue une importante source de consommation
de la traite, il est très difficile d’en évaluer l’ampleur réelle. En effet, le peu de statistiques
disponibles sur le sujet (principalement le fait d’ONG ou du GIP lui-même, de façon
paradoxale) ne permet pas de dissocier de façon précise son implication du reste du personnel
international (OTAN, OSCE). Il est cependant indéniable que sa présence contribue à
l’institutionnalisation des réseaux de contrebande, qui, une fois le personnel déployé hors du
pays, sauront se reconvertir dans différents types de trafic.
Malgré les difficultés à quantifier la participation des membres du GIP dans l’industrie
sexuelle du pays, il est possible de déterminer à quels types d’activités ces derniers se sont
livrés entre 1995 et 2002.
Section 2. Les différents niveaux d’implication du GIP dans la traite
sexuelle : action d’une minorité ou participation sous-estimée ?
Dès 1998, plusieurs ONG (LARA75, Human Rights Watch) en contact avec des réfugiées
dénoncent l’implication de certains membres du GIP dans les réseaux de traite sexuelle du
pays. Même si l’identité des suspects est gardée confidentielle, les faits reprochés sont
suffisamment détaillés pour comprendre qu’ils ne se sont pas limités à la simple
consommation de services sexuels au sein de maisons closes. En effet, les différents cas
73
“You could plot the closure of the night bars with the removal of troops and the ending of [UN] IPTF”, S. E.
Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for Strategic and
International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p.11.
74
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI. Turin, 2002, p. 14.
75
LARA est une ONG fondée en 1998 et située à Bijeljina, axée sur les problèmes de genre et sur les droits des
femmes, plus d’informations sur www.online-lara.com
20
répertoriés permettent de distinguer deux niveaux d’implication (parfois observables pour un
même cas): la fréquentation de maisons closes, la consommation de services sexuels et le
travail domestique forcé, ainsi que la participation active dans les différentes activités
organisant la traite dans le pays (transport, achat de femmes forcées à la prostitution ou
protection de maisons closes et des trafiquants impliqués). Si officiellement seuls 18 membres
du GIP76 ont été rapatriés pour « comportement inapproprié » durant l’ensemble de la
mission, il y a de fortes probabilités que ce chiffre sous-estime la participation du contingent
onusien.
A. Consommateurs au sein de maisons closes et de résidences privées
Selon des enquêtes internes du GIP, du Département d’État des États-Unis77 et de
différentes ONG, il est prouvé que plusieurs membres du GIP se sont rendus dans des bars et
maisons closes du pays afin d’y consommer de l’alcool ou des services sexuels78. Malgré
l’interdiction officielle de s’y rendre (l’interdiction se trouve dans leur code de conduite), la
plupart des d’entre eux semblent avoir fréquenté ces établissements, généralement en groupe,
en dehors de leurs heures de travail mais en uniforme, permettant aux femmes et aux
propriétaires de les identifier facilement. S’il est difficile de déterminer si chacun des officiers
était parfaitement conscient de l’origine des femmes employées, il est évident qu’en
fréquentant des maisons closes et en entrant en contact avec des femmes, ils enfreignaient
volontairement l’interdiction de la prostitution et soutenaient le Crime organisé. De plus, de
par leur formation, ces derniers auraient dû savoir que près de 50% des femmes employées au
sein de maisons closes étaient issues de la traite. Trois affaires permettent de confirmer ces
pratiques de consommation : celle de Prijedor, de Bijeljina et de DynCorp, révélées au grand
jour en 2000, 2001 et 2002.
Dans le cas de Prijedor79, il a été révélé, après un raid du GIP au sein de trois maisons
closes dans la ville, qu’au moins six employés avaient « excédé les missions de leur
76
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 51.
77
Pour plus de détails sur les enquêtes réalisées par le Département d’État des États-Unis, voir S. E. Mendelson,
Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for Strategic and
International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005.
78
Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for Strategic and
International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p. 30.
79
Trois raids ont été organisés le 14 Novembre 2000 dans la ville de Prijedor par 25 officiers du GIP assistés par
l’OTAN. 34 femmes y ont été identifiées comme victimes de prostitution forcée et libérées. Plus d’informations
sur l’affaire Prijedor, voir M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict
21
mandat »80 et payé pour des services sexuels auprès de jeunes femmes issues de la traite.
Plusieurs femmes identifiées comme des victimes de la traite et recueillies par le GIP ont en
effet reconnu leurs chauffeurs comme des clients réguliers. Ainsi, deux américains, deux
espagnols et deux britanniques ont été rapatriés au cours de l’année pour « comportement
inapproprié » et 11 autres membres ont été suspectés de consommation d’alcool et de services
sexuels à partir de témoignages détaillés sans pour autant être sanctionnés.
Dans le cas de Bijeljina81, six employés dont deux pakistanais et deux fidjiens ont été
reconnus comme des clients par des victimes échappées du night club « Kod Karalije » lors
d’une séance d’identification. Ces officiers ont été rapatriés dans leur pays d’origine mais
aucune poursuite n’a suivi.
Dans le cas de l’affaire DynCorp, différentes preuves obtenues par le Bureau de
l’Inspecteur général du Département d’État des États-Unis incriminent plusieurs contractuels
de visites de maisons closes, de consommation de services sexuels et de violences physiques
(viol, coups et blessures) contre des femmes forcées à la prostitution82. Certains de ces
contractuels ont également été accusés d’avoir emmené des femmes au sein des bases du
GIP83 ainsi que dans des hôtels et des appartements privés. Ces pratiques démontrent une
tendance générale observée par les ONG et le Département d’État des États-Unis : une fois les
suspicions de consommation au sein des maisons closes avérées, les femmes sont déplacées
au sein de résidences privées ou d’hôtels, voire parfois achetées auprès des trafiquants,
séquestrées et réduites à l’esclavage sexuel et domestique 84. Un cas de séquestration en
janvier 2000 illustre bien ce type d’achat et de séquestration : un employé argentin85 a été
accusé d’avoir négocié l’achat d’une jeune femme issue de la traite et de l’avoir séquestrée
plusieurs mois avant de la renvoyer dans son pays d’origine. S’il a reconnu l’avoir achetée, il
nie en revanche l’avoir utilisée, affirmant avoir simplement cherché à la libérer de sa dette.
Bosnia and Herzegovina for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York,
Novembre 2002, p.57.
80
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p.57.
81
Ibid., p. 51.
82
Ibid., p. 64.
83
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI, Turin 2002, p.16.
84
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI, Turin 2002, p. 16.
85
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 52. Pour plus
d’informations sur les différents cas de sequestration, voir aussi Barracks and brothels, peacekeepers and human
trafficking in the Balkans, Center for Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, février
2005, p. 36.
22
D’autres cas répertoriés entre 2000 et 200286 font ressortir la même justification: les officiers
de police achetaient la liberté87 de femmes pour lesquelles ils avaient développé un certain
attachement, la plupart du temps après avoir consommé des services sexuels durant une
période prolongée.
Plusieurs témoignages d’officiers démontrent également que lorsqu’une femme
réussissait à s’échapper et à témoigner contre les membres du GIP, une descente était souvent
organisée en coopération avec la police locale afin de limiter le scandale et d’organiser
rapidement le déplacement de l’établissement vers une autre ville ou des résidences privées 88.
Au-delà de la simple interaction avec des femmes issues de la traite ou de la
consommation de services sexuels, certains officiers du GIP participaient donc à la protection
des réseaux criminels impliqués dans le commerce sexuel.
B. L’implication directe dans l’organisation de la traite: la face moins connue de
l’implication onusienne
Certains membres du GIP semblent également avoir été intégrés, à différents niveaux,
dans l’aspect organisationnel de la traite sexuelle. En amont, en participant au transport, à la
vente ou à l’achat de femmes ou en aval, en protégeant les trafiquants et les maisons closes de
raids potentiels ou de témoignages incriminants (de façon directe ou indirecte), plusieurs
officiers de police ont été attirés par les gains financiers que génère le commerce sexuel.
L’affaire DynCorp est, encore une fois, particulièrement représentative de ce type
d’implication : en juillet 2002, plusieurs contractuels ont fait l’objet d’une enquête interne
pour avoir utilisé leur statut diplomatique pour arranger l’achat de passeports et
l’acheminement de plusieurs femmes destinées à la prostitution forcée 89.
86
Un autre cas d’achat et de séquestration est détaillé au sein d’un rapport rédigé en 2001 à destination du
Secrétaire d’Etat des Etats Unis : un officier américain a été reconnu coupable d’avoir acheté une jeunes femme
de 19 ans et d’avoir « cohabité » avec elle durant six mois avant d’être rapatrié. Voir O.Simic, « Trafficking and
human rights : european and asia-pacific perspectives », Edward Elgar Publishing Limited, Cheltenham, 2000.
87
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 52.
88
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 2004, pp. 1-34.
89
La plupart des contractuels habitaient en dehors des bases onusiennes, rendant leur implication dans els réseaux
de la traite plus discrète. Voir Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training
Program, a Conference Report, UNICRI, Turin 2002, p. 16.
23
Presque tous les cas recensés d’achat, de vente ou de transport de femmes pour le
compte de trafiquants n’impliquent pas, pour les membres du GIP, de consommation de
services sexuels. En d’autres termes, ils ne sont pas, comme vu dans la partie précédente, des
clients mais des facilitateurs de la traite. Ils ont donc développé un autre type de participation
à la traite moins direct et peut-être, à leurs yeux, plus rentable et sécurisé.
Quelques cas de protection90 de maisons closes ou de night clubs ont également été
recensés : plusieurs membres ont été accusés de supprimer des preuves incriminantes pour
différents trafiquants (et parfois pour eux-mêmes). Plusieurs femmes recueillies à la suite de
raids ou s’étant enfuies ont également témoigné auprès de l’OIM que certains officiers de
police du GIP prévenaient à l’avance les propriétaires d’établissements visés par des raids (le
GIP étant celui qui organise les raids), leur permettant ainsi de cacher les mineures
séquestrées et de supprimer toute preuve de leur implication dans la prostitution forcée. En
échange de cette protection, certains officiers informateurs recevaient des faveurs sexuelles
gratuites.
Ces différentes activités n’ont été possibles qu’en étroite coopération avec des forces
de police locales corrompues : la falsification de passeports, de visas ou de titres de séjour par
exemple, ne pouvait se faire sans la participation des services d’immigration et de la police
des frontières, devenus les plus gros clients locaux au sein des maisons closes. Certains
membres de la police locale facilitaient en effet les transactions clandestines entre les
trafiquants et le GIP en échange d’argent ou de services sexuels gratuits. Certains étaient
même employés au noir au sein de maisons closes (en tant que gardes ou gérants), facilitant le
contact avec les différents acteurs impliqués et dissuadant toute velléité de fuite de la part des
femmes séquestrées91. En octobre 2002, la MINUBH a annoncé le retrait de 26 officiers de
police bosniens accusés d’assistance à la traite sexuelle dans le pays ainsi que la publication
de rapports de non-conformité adressés à dix autres92. 25 autres ont fait l’objet d’enquêtes par
le Ministère de l’Intérieur de la Fédération.
Il existe enfin un dernier niveau de protection impossible à quantifier (probablement le
plus répandu) : l’omission. En effet, il a été prouvé à maintes reprises que des employés du
GIP, conscients de l’implication de certains de leurs collègues à différents niveaux dans la
traite sexuelle, ne l’ont jamais dénoncé. En refusant de prendre les dispositions nécessaires
90
B. Limanowska, Trafficking in Human Beings in South Eastern Europe, UNICEF, UNOHCHR,
OSCE/ODIHR, New York, 2002, p. 68.
91
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 28.
92
Ibid., p. 30.
24
pour rapporter leurs suspicions ou témoignages à leurs officiers supérieurs, ils ont eux aussi,
de façon indirecte, participé à la protection des réseaux clandestins de la traite.
Si le degré de souffrances infligées aux victimes de la traite est différent pour chaque
action perpétrée par les policiers du GIP, la gravité des violations commises aurait dû
provoquer des enquêtes, statistiques et sanctions beaucoup plus poussées au sein de l’ONU et
des pays d’origine. Seuls les ONG sur le terrain et le Département d’État des États-Unis
semblent avoir tenté de mesurer l’ampleur du phénomène, sans réel succès. On peut tout de
même raisonnablement penser que ce dernier a été sous-estimé.
C. Une participation sous-estimée ?
Si l’on s’appuie sur le nombre de rapatriements pour comportements sexuels inappropriés
(18 sur l’ensemble de la mission), la participation directe ou indirecte du GIP dans la traite
sexuelle semble être minime et non systématique93. Mais il existe une forte probabilité que
cette participation ait été sous-estimée.
En effet, très peu de femmes sont capables de témoigner de cette participation en
raison des difficultés qu’elles rencontrent pour s’enfuir des maisons closes et pour parler
l’anglais ou le serbo-croate. Selon les chiffres de l’OIM, sur les 300 à 6000 femmes forcées à
la prostitution présentes sur le territoire à tout instant, seules 14 ont été recueillies en 1999,
200 en 2000 et 283 en 2002 94. De plus, si elles parviennent à s’enfuir ou sont libérées à la
suite d’un raid, un grand nombre d’entre-elles sont arrêtées par les autorités locales pour
prostitution ou possession de faux documents et sont soit emprisonnées, soit rapatriées dans
leur pays d’origine sans avoir une chance de témoigner. Quelques cas d’intimidation par des
membres du GIP afin de faire rétracter des témoins ont également été recensés, notamment
dans le cadre de l’affaire de Bijeljina en 200195. Il est donc évident que si un plus grand
93
Selon le rapport du Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l’ONU, aucune preuve ne permet de
croire que l’implication des officiers du GIP dans la traite sexuelle a été systématique et répandue (« there is no
evidence of widespread or systematic involvement of United Nations police monitors in trafficking activities »),
voir briefing quotidien pour la presse du Bureau du Porte parole du Secrétaire général de l’ONU du 4 février
2002, disponible sur http://www.un.org/News/briefings/docs/2002/db020402.doc.htm
94
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for
Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p. 12.
95
Plusieurs cas d’intimidation de la part d’officier roumains du GIP auprès de femmes d’origine roumaines ont
été recensés au cours de l’enquête sur l’affaire de Bijeljina, voir 95 M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking
25
nombre de femmes avaient été recueillies par les ONG ou les organisations internationales et
que si leur sécurité avait été assurée de manière professionnelle, le nombre de témoignages
impliquant des officiers du GIP aurait été plus important.
Notons également que de nombreuses preuves incriminantes on été détruites par
certains suspects au sein du GIP96 et que la plupart des enquêtes ont été réalisées de façon
superficielle97. Le rapport du Département d’État des États-Unis sur l’implication du
personnel du GIP démontre en effet qu’il a été « demandé » à plusieurs enquêteurs sur le
terrain de se contenter « d’effleurer la surface » des dossiers examinés98. Certains lanceurs
d’alerte, notamment Kathryn Bolkovac, à l’origine du scandale Dyncorp, ont également été
écartés de leurs fonctions afin de limiter les preuves incriminantes pour certains contractuels
employés par l’ONU. Ces méthodes expliquent pourquoi, sur la trentaine d’officiers suspectés
d’avoir été impliqués dans la traite sexuelle, seuls 18 ont été rapatriés.
Enfin rappelons que de nombreux officiers du GIP ayant été témoins de la
participation de leurs collègues semblent s’êtres abstenus de prendre les mesures appropriées
auprès de leurs officiers supérieurs, permettant peut-être à plusieurs criminels de terminer la
mission et d’être déployés ailleurs sans être inquiétés juridiquement.
Loin d’être un comportement routinier, il est tout de même possible que l’ampleur de
l’implication du GIP dans la traite sexuelle ait été sous-estimée. Le GIP ayant quitté la
Bosnie-Herzégovine en 2003, il est aujourd’hui difficile de revenir sur l’analyse des
différentes preuves, d’une part parce que les femmes pouvant témoigner ont été rapatriées ou
à nouveau enlevées, d’autre part parce que l’ONU et les différents gouvernements locaux ont
intérêt à voir le scandale limité. A leurs yeux, 18 apparaît probablement comme un chiffre
signifiant que la corruption et la consommation de services sexuels forcés ne sont que des cas
isolés. Au-delà de la cinquantaine, les répercussions nationales et internationales auraient
certainement été différentes.
of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina for Forced Prostitution, Human Rights Watch,
Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 12.
95
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans, Center for
Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005, p. 61.
96
Nous développerons cette idée de façon plus approfondie au sein de la deuxième partie.
26
La présence onusienne, pendant et après la guerre semble donc intimement liée à
l’émergence et l’intensification du commerce sexuel en Bosnie-Herzégovine. De façon
consciente ou inconsciente, les forces militaires puis civiles déployées ont permis l’avènement
de nouvelles élites criminelles dans le pays, enracinant ainsi les réseaux clandestins de la
traite dans la région des Balkans. S’il est à ce jour très difficile d’évaluer de façon précise
l’ampleur de la participation, directe ou indirecte de la force de police civile dans ces réseaux
une fois implantés et organisés, il semble que celle-ci ait été fortement minimisée par l’ONU.
C’est précisément cette minimisation qui explique pourquoi le Département des opérations de
maintien de la paix, la MINUBH et le GIP ont pu se permettre de négliger le traitement des
dérives de leurs membres pendant si longtemps.
27
PARTIE II. LA RÉPONSE ONUSIENNE FACE À UN
PROBLÈME DÉRANGEANT
Dans cette seconde partie, nous analyserons les différentes réactions de l’ONU et du
GIP face aux scandales d’abus sexuels et de corruption. Nous verrons que, dans un premier
temps, elle nie toute possibilité de lien entre son personnel et les réseaux de la traite et ignore
le problème (chapitre 1), se limitant à quelques rapatriements discrets et expéditifs (chapitre
2). Puis, à partir de 2001, nous verrons qu’en proie à une profonde crise de légitimité, elle
lance une politique de « tolérance 0 » contre la traite, stratégie de marketing agressive et peu
efficace avant de quitter définitivement le pays en 2002 (chapitre 3).
Chapitre 1. Un problème non reconnu est un problème qui n’existe
pas : le déni onusien ou la « dynamique de l’invisibilité 99 »
Jusqu’en 2001, l’ONU s’avère très réticente à reconnaître l’implication du GIP dans la
traite sexuelle en Bosnie. Ce déni peut en partie être expliqué, selon différents rapports100, par
une véritable incompréhension de la traite et plus particulièrement des liens entre le personnel
onusien et ce type de trafic au sein du GIP. Tolérance, fausses-idées, fatalisme et déni
semblent en effet former un véritable tabou sur la question et en atténuer la gravité, rendant
ainsi le traitement du problème très marginal.
99
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 29 et 31.
100
Voir Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI. Turin, 2002 ; S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in
the Balkans, Center for Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005 et Victims
of Trafficking in the Balkans: A Study of Trafficking in Women and Children for Sexual Exploitation to, through
and from the Balkan Region, International Office of Migration (IOM). Genève, 2001.
28
Section 1. L’incompréhension du phénomène de la traite
Face aux différents scandales impliquant des membres du GIP, la hiérarchie de la
MINUBH et du GIP refuse, dans un premier temps, de reconnaître toute implication
onusienne dans les réseaux de traite sexuelle du pays101. Ce refus révèle que la plupart de ces
officiers possède, jusqu’en 2001, une vision confuse de leur rôle dans l’émergence de la traite
dans le pays ainsi qu’une définition erronée du phénomène, les empêchant ainsi de saisir la
gravité des affaires traitées.
A. L’assimilation erronée entre traite sexuelle et prostitution ou « l’erreur fondamentale
d’attribution » 102
Selon S. E. Mendelson103, lorsque les différentes affaires d’abus et de corruption
onusienne sont révélées entre 1998 et 2001, la grande majorité des officiers de police du GIP
ne possède pas d’informations suffisantes sur le phénomène de la traite pour le comprendre et
pour le considérer autrement que comme un délit mineur et non prioritaire104.
En effet, la traite sexuelle constitue, au sein de l’ONU, un domaine dans lequel très
peu d’officiers de renseignement reçoivent une formation adaptée. Le caractère doublement
clandestin du phénomène, pour les victimes comme pour les trafiquants, limite les
connaissances sur le sujet. Ce manque d’information est, selon S. E. Mendelson, ce qui
provoque chez eux un amalgame erroné entre la prostitution consentie105 et la traite sexuelle
au sein du GIP (et de manière générale au sein des différentes forces onusiennes).
Au fil des entretiens avec des membres du GIP et de la MINUBH réalisés dans son
rapport pour le Centre pour les études internationales et stratégiques, l’auteure fait ressortir un
comportement appelé en psychologie « erreur fondamentale d’attribution »106, généralement
prévalent dans les milieux militaires. Au lieu de reconnaître que certaines situations peuvent
101
K. Allred, « How Deployed Forces Fuel the Demand for Trafficked Women and New Hope for Stopping It ».
Armed Forces and Society. Vol. 33, no 5, p. 7.
102
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 29.
103
Ibid., p. 19.
104
Ibid., p. 23.
105
Par prostitution consentie nous entendons ici l’échange de rapports sexuels contre rémunération
106
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 29.
29
pousser un individu à un comportement particulier, ce raisonnement pousse à considérer un
comportement individuel comme le résultat systématique d’un choix rationnel. Ainsi, face à
une victime de la traite, les officiers de police font l’erreur d’interpréter son activité de
prostitution comme le résultat d’un choix rationnel sans prendre en compte les conditions de
sa situation de départ et l’envisagent donc comme une migrante irrégulière pratiquant la
prostitution de façon consentante. Son activité et le réseau clandestin qui l’a faite voyager
constituent donc, à leurs yeux, une menace limitée.
Le taux de renouvellement régulier 107 des officiers de police n’est pas étranger à cette
interprétation erronée: le changement d’affectation tous les six mois, combiné au manque de
formation les empêche souvent ainsi de saisir la réalité du phénomène.
Au-delà de la simple « erreur d’attribution » des officiers du GIP, cette
incompréhension de la traite sexuelle s’institutionnalise au sein de la définition officielle de la
traite des personnes appliquée par la MINUBH et le GIP entre 1999 et 2001.
B. Le problème du consentement dans la construction de la définition appliquée par le
GIP
Entre 2000 et 2001, le GIP continue d’appliquer une définition de la traite des personnes
en contradiction avec celle du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre
la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants de 2000 ( ou Convention de Palerme) 108,
exacerbant ainsi la vision grossière et erronée du phénomène vue précédemment.
En effet, selon le guide juridique officiel du GIP109 publié en mai 1999, la traite des
personnes désigne :
107
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI. Turin, 2002, p. 21.
108
La Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée est le premier instrument de
droit pénal international destiné à luter contre les phénomènes de criminalité transnationale organisée. Elle est
complétée par trois protocoles additionnels relatifs à la traite des personnes, au trafic illicite de migrants, au
blanchiment d’argent et au trafic illicite d’armes à feu. Le Protocole additionnel à la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en
particulier
des
femmes
et
des
enfants
est
consultable
sur
http://www.uncjin.org/Documents/Conventions/dcatoc/final_documents_2/convention_%20traff_french.pdf
109
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 43.
30
« le recrutement, le transport ou le déplacement de personnes à travers ou à l’intérieur
d’une frontière […] par tromperie, contrainte, force, menace directe ou indirecte, abus
d’autorité, fraude ou non divulgation frauduleuse […] dans le but de les placer contre leur gré
ou sans leur consentement dans des situations d’exploitation ou de servitude à des fins
financières. »110
En continuant d’appliquer cette définition, le GIP ignore le principe juridique
international contenu dans le Protocole additionnel à la Convention de Palerme
affirmant qu’aucun individu ne peut « consentir » à la servitude. En effet, selon celui-ci, la
notion de consentement n’est plus une condition recevable pour refuser à une personne le
statut de victime de la traite lorsqu’elle a été recrutée, transférée, hébergée ou accueillie par
« la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contraintes, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par
l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages ».
En refusant d’appliquer la définition de la traite du Protocole additionnel et de
dépasser la question du consentement, le GIP démontre une incapacité à intégrer les subtilités
du phénomène de la traite, pourtant observée de façon régulière. Ainsi, la définition utilisée en
Bosnie-Herzégovine dans le cadre de leurs missions quotidiennes empêche, pendant plusieurs
années, un grand nombre de femmes (celles conscientes du métier qui les attendent, mais pas
des conditions de voyage ou de travail, ou celles incapables de prouver l’usage de la force, de
la contrainte, de la fraude ou de l’enlèvement dans leur transport) d’accéder au statut de
victime de la traite. Juridiquement, bon nombre d’entre elles sont donc considérées comme
des migrantes irrégulières pratiquant la prostitution de façon consentante.
Si, comme l’avance S. E. Mendelson, cette vision erronée est partagée par la majorité
des membres du GIP et de la MINUBH en Bosnie-Herzégovine, il n’est alors pas surprenant
que ceux-ci ne perçoivent pas leur implication ou celle de certains de leurs collègues dans les
réseaux de la traite comme une violation des droits humains ou comme un comportement
110
«Trafficking in persons consists of all acts involved in:
• The recruitment, transportation or movement of persons within or across frontiers whether for financial gain or
otherwise
• And in which material deception, coercion, force, direct or indirect threats, abuse of authority, fraud or
fraudulent non-disclosure is used
• For the purpose of placing persons forcibly, against their will or without their consent in exploitative, abusive
or servile situations », voir M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict
Bosnia and Herzegovina for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York,
Novembre 2002, p. 43 et O. Simic, «Regulation of sexual conduct in UN PKO », Springer, Heidelberg, 2012.
31
inapproprié. Admettre que ces femmes (consentantes ou non) sont en réalité des victimes et
que certains membres d’une organisation internationale si honorable puissent avoir abusé
d’elles en toute impunité constituerait donc, pour eux, une remise en cause de leurs
convictions beaucoup trop profonde. Une véritable « dynamique d’invisibilité » est ainsi
générée autour de la traite et de ses interactions avec les forces onusiennes, perpétuant ainsi le
climat d’impunité créé par l’immunité accordée tout au long de la mission.
C. Une confrontation des liens entre les réseaux de la traite et le GIP trop douloureuse : le
« syndrome de l’homme et de l’institution honorable »111
Si la hiérarchie du GIP nie tout comportement sexuel inapproprié ou corruption au sein de
ses officiers, c’est qu’elle est incapable de confronter le lien entre la présence onusienne en
Bosnie-Herzégovine et l’émergence des réseaux de la traite. En effet, selon Martina
Vandenberg, cela implique un conflit avec leur conception identitaire et leur dévotion à
l’institution onusienne. L’auteure explique ce conflit par deux notions psychologiques
appelées « syndrome de l’institution honorable » et « syndrome de l’homme honorable » 112.
Selon elle, le déni observé chez un grand nombre d’officiers du GIP et de la MINUBH est
intimement lié au prestige attribué à la fonction de l’ONU et à celle de ses officiers. La grande
majorité des agents civils et militaires de l’ONU possède un dévouement inconditionnel et
une vision très protectrice vis-à-vis de l’institution, ce qui les empêche d’admettre que leur
unité ait pu prendre part à des activités criminelles en contradiction avec le noble idéal
onusien de paix et de justice. Cette vision très paradoxale est, sans doute, ce qui a poussé
certains membres du GIP à fermer les yeux sur les différents sévices et actes de violence
commis par leurs collègues : les dénoncer signifierait entacher la réputation et la légitimité de
leur mission ainsi que de l’ONU de façon plus générale.
Il leur est également très difficile de comprendre que leur présence a généré l’émergence
et le développement des réseaux clandestins de la traite et que le système auquel ils
appartiennent n’a pas su anticiper, combattre et punir les responsables. Cela serait cause de
conflit avec leur identité « d’hommes honorables ».
111
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 22.
112
Ibid. Voir également T. W. Britt and A. B. Adler, The Psychology of the Peacekeeper: lessons from the field
(psychological dimensions of war and peace), Praeger, 2003.
32
Si entre 1995 et 2001 le phénomène de la traite reste incompris par une partie du GIP,
certains membres semblent tout de même avoir intégré sa définition et ses subtilités. Mais,
contre toute attente, ces derniers semblent l’appréhender comme une conséquence inévitable
de la guerre et des mœurs prévalant dans la région des Balkans, contre laquelle aucune
politique de sécurité ne saurait être efficace.
Section 2. « Les hommes seront toujours les mêmes 113 » : le jugement
atténué de la traite en Bosnie-Herzégovine
Il apparaît que certains membres du GIP, bien que sensibilisés à la question de la traite,
considèrent l’offre et la consommation de services sexuels dans le pays comme inhérentes aux
traditions locales et aux conséquences de la guerre. Que certains profitent de ces services au
cours de leur mission, loin de leurs familles, leur semble donc un comportement inévitable qui
ne devrait être ni stigmatisé ni sanctionné par la hiérarchie.
A. La culture onusienne ou la tolérance vis-à-vis de la traite
Une tolérance, le plus souvent tacite, profondément ancrée dans la culture onusienne (et
de façon générale dans la culture militaire) de la pratique et de la consommation de services
sexuels pourrait expliquer en grande partie pourquoi le GIP s’est montré si réticent à aborder
les différents scandales dénoncés.
En effet, comme vu précédemment, un certain nombre d’officiers de police du GIP
assimilent la traite à la prostitution consentante. Avoir recours à des prostituées en échange
d’argent ou de services au sein de maisons closes, de night clubs ou de bars ne représente
donc pas, selon eux un, comportement inapproprié. Ce type d’établissement semble, au
contraire, être considéré comme un lieu de « repos et de loisir »114, pour des agents en
113
Citation de Madeleine Rees, Haut Commissaire aux droits de l’homme pour l’ONU en Bosnie-herzégovine :
"There is this whole «boys will be boys» attitude about men visiting brothels. There's a culture inside the UN
where you can't criticise it. That goes all the way to the top". Cité dans D. Hipkins, “Bosnia Sex Trade Shames
UN,” Scotland on Sunday, February 9, 2003.
114
R. Poulin, «Le système de la prostitution militaire en Corée du Sud, Thaïlande et aux Philippines », Bulletin
d’histoire politique, Vol.15, n°1, Automne 2006, p. 8. L’auteur parle de lieux de repos et loisir afin de décrire les
maisons de confort créées en Thaïlande pour les militaires américains, expressions qui est applicable à la
situation observée en Bosnie-Herzégovine.
33
mission loin de leurs familles cherchant à satisfaire des « besoins naturels »115. Selon S. E.
Mendelson, certains officiers supérieurs du GIP sont allés jusqu’à encourager les membres de
leur unité à se rendre dans les maisons closes, parfois sous leur supervision 116 (ce qui rejoint
l’affirmation selon laquelle ils se rendent, la plupart du temps, dans les maisons closes en
groupe117). Pour R. Poulin118, cette vision de la prostitution est un « invariant » au sein de
l’armée et de l’ONU. Elle pousse les officiers à considérer les femmes du pays d’accueil
« ethniquement et sexuellement »119 inférieures et banalise leur réaction face à
« l’aménagement rationnel de la prostitution » afin de garantir leur équilibre et, ainsi,
l’efficacité de leur mission.
Cette tolérance est ce que Madeleine Rees, Haut Commissaire aux droits de l’homme
pour l’ONU en Bosnie-Herzégovine, dénonce publiquement dès 2000 comme principal
obstacle aux enquêtes et sanctions contre les membres du GIP impliqués dans les réseaux de
la traite. Accepter que les « hommes seront toujours les mêmes » en mission à l’étranger, à
tout niveau de la hiérarchie onusienne, ne peut qu’encourager les officiers de police attirés par
les services sexuels ou les gains financiers proposés par les trafiquants et rassurés par leur
immunité à soutenir le commerce sexuel dans le pays. De plus, la diversité des nationalités et
des cultures prasentes au sein de la mission de police civile rend difficile l’adoption d’une
position unifiée face à la prostitution : en effet, chaque nationalité possède une approche
différente du phénomène, certains vivant dans des pays où celle-ci est légalisée ou, au
contraire, extrêmement taboue.
Ajoutons qu’aux yeux de certains officiers du GIP, consommer au sein des maisons closes
peut, d’une certaine manière, rentrer dans les attributions de leur mission de reconstruction du
pays120. En effet, en injectant une partie de leur salaire dans l’économie du pays, ces derniers
répondent à la loi de l’offre et de la demande et contribuent ainsi à « construire la paix sur des
115
K. Allred, « How Deployed Forces Fuel the Demand for Trafficked Women and New Hope for Stopping It ».
Armed Forces and Society. Vol. 33, no 5, p. 8.
116
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 33.
117
Voir chapitre 2, section 2, A, « Consommateurs au sein de maisons closes et de résidences privées » p. 16.
118
S. E. Mendelson, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 13.
119
Ibid.
120
A. M. Agathangelou et L. H. M Ling, «Desire industries: Sex trafficking, UN peacekeeping and the neoliberal world order », Brown Journal of Affairs, Vol. 10, Issue 1, Automne 2000, p. 136.
34
normes libérales »121 dans un pays où la corruption est perçue comme un véritable mode de
vie.
B. La culture balkanique ou la corruption comme mode de vie
Il semble que pour un certain nombre d’officiers de police déployés en BosnieHerzégovine, le développement de la traite est un fait culturel imputable à l’héritage de la
guerre et aux mœurs balkaniques, contre lequel rien ne peut être fait. Cette vision fataliste
explique pourquoi le GIP et le Département des opérations de maintien de la paix ne
reconnaissent pas, dans un premier temps, leur rôle dans l’émergence et le soutien des réseaux
clandestins du pays.
Au cours des entretiens réalisés par S. E. Mendelson auprès de membres du GIP122, il ressort
que beaucoup d’entre eux ne comprennent pas la corrélation 123 entre leur présence et
l’émergence des réseaux de la traite dans le pays. Ils sont en effet persuadés que ce type de
commerce, déjà développé avant la guerre, s’est intensifié et banalisé sous l’influence du
marché noir et des autorités locales corrompues et qu’il se maintiendra bien après leur départ.
L’effondrement des institutions et du tissu industriel du pays, enclenché dès les années 80,
aurait donc, selon eux, réuni les conditions nécessaires pour institutionnaliser la corruption et
la fraude au sein de la population. Par conséquent, très peu d’officiers de police comprennent
le besoin de combattre ce type de commerce et plus particulièrement d’y être sensibilisés
puisqu’il est inhérent à la structure sociale du pays. Cette fausse idée de la traite, combinée à
l’assimilation erronée à la prostitution consentante, conduit les membres du GIP à considérer
le phénomène comme une menace marginale124, bien qu’étant reconnu par l’OIM et l’Office
121
C. P. David, « Visions constructivistes et réalistes de la consolidation de la paix en Bosnie ou Quand Alice au
pays des merveilles rencontre le monstre de Frankenstein », Revue française de science politique, 49e année,
n°4-5, 1999. pp. 545-572.
122
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkan », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 20 et 21.
123
Un des officiers interrogés par S. E. Mendelson : « Je ne pense qu’il soit possible de coomprendre l’étendue
de la corruption dans le pays. Je pense que la bataille est perdue d’avance : la corruption, c’est leur mode de
vie », « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report, Washington
February 2005, p. 21.
124
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 2004, pp. 1-34.
35
des Nations unies contre la drogue et le crime comme la source principale de financement du
trafic d’armes et de drogue dans la région125.
L’incompréhension flagrante du phénomène de la traite, de ses conditions d’émergence et
de ses conséquences est ce qui empêche donc, dans un premier temps, le GIP et le
Département des opérations de maintien de la paix de reconnaître la gravité des accusations
portées contre certains de leurs membres. Loin des idéaux de justice et de défense des droits
de l’homme, la culture onusienne semble donc avoir créé une atmosphère permissive au sein
du GIP et orienter ce dernier vers un traitement minimal du problème afin d’éviter une remise
en cause trop profonde de la mission.
Chapitre 2. Faux semblants et punitions expéditives
Le droit international est clair : le viol et l’exploitation sexuelle constituent des crimes
qui doivent être punis, qu’ils soient commis lors de conflits ou en période de paix. Il semble
pourtant que le Département des opérations de maintien de la paix ne prenne pas
suffisamment au sérieux les allégations de participation à la traite de certains officiers du GIP
pour appliquer une sanction proportionnelle à la gravité des faits reprochés. En effet, entre
1998 et 2002, un nombre très restreint d’officier subit, de façon très discrète, une sanction
administrative sans aucune conséquence pénale. L’ONU reconnaît que certains de ses
employés ont eu un comportement sexuel non approprié mais ne se donne pas les moyens de
les condamner de manière efficace afin de prévenir toute récidive ou comportement similaire.
Elle tente donc d’atténuer le problème afin d’éviter une crise de légitimité qui remettrait en
cause ses méthodes de recrutement ainsi que les différentes missions de maintien de la paix en
cours, perpétuant ainsi le climat d’impunité généré tout au long de la mission.
125
Voir Changing Patterns and Trends of Trafficking in Persons Within, To and Through the Balkan Region,
Organisation internationale pour les migrations, Genève, Mai 2004 et United nations, Office of drugs and crime,
Trafficking in human beings disponible sur http://www.unodc.org/unodc/en/trafficking_human_beings.html
36
Section 1. Le manque de transparence juridique : affaires étouffées
et enquêtes entravées
Face aux différentes accusations d’abus sexuels et de corruption, le Département des
opérations de maintien de la paix ainsi que le commandement de la MINBH tentent d’étouffer
les affaires en supprimant un certain nombre de preuves incriminantes et en écartant plusieurs
lanceurs d’alerte devenus gênants. L’implication des membres du GIP dans les réseaux de la
traite semble donc minimisée, permettant à certains officiers de police d’échapper à la
sanction malgré la gravité des crimes commis.
A. Des preuves incriminantes supprimées
Selon les règles onusiennes, les allégations de comportement inapproprié impliquant
les officiers du GIP doivent être gérées par la Section de discipline et d’enquête interne 126 de
la MINUBH. Des enquêteurs remettent un rapport au chef de la mission en BosnieHerzégovine qui détermine si, et quel type de sanction doit être appliqué. Si plusieurs
enquêteurs ont bien été nommés afin de d’étudier différentes affaires d’abus sexuels et de
corruption entre 1998 et 2002, ces derniers n’ont pas su ou pu mener leur tâche en profondeur.
En effet, il semble que la MINUBH et le Département des opérations de maintien de la paix
aient tenté de minimiser127 les retombées médiatiques de ces affaires en étouffant plusieurs
enquêtes, durant et après la fin de la mission.
En juillet 2001, le porte parole de la MINUBH déclare face à l’agence Associated
Press que 24 officiers de police du GIP sont impliqués dans des affaires de corruption et
d’inconvenance sexuelle128. Selon un rapport américain rédigé à l’attention du Congrès 129,
seuls 18 officiers seraient impliqués dans ce type d’affaire. Cette incohérence de chiffres
traduit l’ambigüité et l’inefficacité des méthodes employées par la Section de discipline et
126
Appelée « Discipline and Internal Investigation Section » en anglais.
Voir témoignage de David Lamb devant le Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de
l’homme de la Chambre des représentants des Etats-Unis, voir « The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia:
Isolated Case or Larger Problem in the U.N. System? » April 24, 2002, N° 107-85.
128
W. Kole et A. Cerkez-Robinson, « U.N. Police Accused of Involvement in Prostitution in Bosnia » , Juillet
2001.
129
Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de l’homme de la Chambre des représentants des
Etats-Unis, voir «The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia: Isolated Case or Larger Problem in the U.N.
System? » April 24, 2002, N° 107-85.
127
37
d’enquête interne de la MINUBH, dénoncées par des ONG locales et internationales 130
comme un moyen de minimiser certaines affaires considérées embarrassantes.
Selon des enquêteurs de la MINUBH interrogés par Human Rights Watch131, plusieurs
enquêtes pour corruption et abus sexuels auraient été freinées voire supprimées à la demande
d’officiers supérieurs. Plus précisément, ces derniers dénoncent avoir été stoppés dans leurs
recherches, informés par la hiérarchie que le gouvernement du pays d’origine des officiers
concernés était désormais chargé de l’enquête. Une enquête portant sur plusieurs officiers de
police roumains impliqués dans l’achat et la vente de femmes issues de la traite aurait ainsi
été interrompue et transférée au Ministère de l’Intérieur roumain en 2001. À ce jour, aucune
enquête n’a été ouverte en Roumanie sur ces officiers : l’affaire a été étouffée au niveau
national et international.
Des falsifications d’enquêtes ont également été dénoncées par certains membres de la
MINUBH. Toujours en 2001, 25 membres du GIP sont accusés d’avoir réalisé une descente
non autorisée: seuls six d’entre eux ont fait l’objet d’enquêtes, elles-mêmes incomplètes132.
Selon un officier de police présent lors de la descente, ces derniers auraient été
« sélectionnés » de façon aléatoire afin de « montrer l’exemple » tout en évitant de perdre un
trop grand nombre d’employés qualifiés. Les femmes présentes lors de la descente et ayant
identifié plus d’une vingtaine d’officiers du GIP ont toutes été rapatriées dans leur pays
d’origine, les empêchant ainsi de témoigner lors d’un potentiel procès. Certains membres du
GIP reconnus coupables de consommation de services sexuels forcés ont également été
rapatriés sans que leur témoignage n’ait été enregistré alors que les identités des femmes,
trafiquants et policiers locaux impliqués auraient pu permettre la mise en place d’un procès ou
de nouveaux raids.
Enfin, lorsque la mission du GIP prend fin en décembre 2002 et est remplacée par la
Mission de police de l'Union européenne, plusieurs centaines de fichiers archivés contenant
des témoignages et des informations sur les réseaux de la traite, vitales pour assurer une
transition efficace, disparaissent133. Après de multiples requêtes de la part de l’Union
européenne auprès du Département des opérations de maintien de la paix, aucun transfert de
document n’a été réalisé. À ce jour, près de 1500 témoignages de victimes, des centaines de
130
Human Rights Watch, Amnesty International et Lara sont les principales ONG a avoir dénoncé cette
ambigüité juridique entravant l’enquête et les sanctions de certains officiers du GIP.
131
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002.
132
. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005.
133
Changing Patterns and Trends of Trafficking in Persons Within, To and Through the Balkan Region,
Organisation internationale pour les migrations, Genève, Mai 2004, p 44 et 50.
38
noms de trafiquants et d’établissements impliqués dans la traite ont été supprimés, laissant
fortement penser que ces derniers contiennent des preuves incriminantes pour un certain
nombre d’officiers de police du GIP n’ayant pas fait l’objet d’enquêtes ou de sanctions.
S’il apparaît évident que le GIP, la MINUBH et le Département des opérations de
maintien de la paix ont contribué de façon délibérée au manque de preuves incriminant la
force de police onusienne, il semble qu’ils aient également tenté d’écarter, voire de discréditer
plusieurs lanceurs d’alerte reconnus embarrassants pour la réputation de l’institution.
B. Des lanceurs d’alerte écartés
Afin d’éviter des retombées négatives de la part de la presse et de la communauté
internationale, le GIP semble avoir tenté d’écarter plusieurs « lanceurs d’alerte » ayant
dénoncé ou étant sur le point de dénoncer l’implication de la force de police onusienne dans
la traite. Ces méthodes viennent donc compléter la stratégie de falsification de preuves vue
précédemment.
Les cas de Kathryn Bolkovac134 et de Ben Johnston135, tous deux employés par DynCorp
(sous-traitant de l’ONU) au sein du GIP en sont les plus emblématiques. Ben Johnston
dénonce en 1999 la consommation de prostituées et l’implication d’officiers de police du GIP
dans les réseaux de la traite. Il est licencié quelques mois plus tard. Dénonçant en octobre
2000 les mêmes exactions, Kathryn Bolkovac est, elle, redéployée moins d’un mois plus tard
dans une autre ville du pays, puis suspendue pour une période de trois mois avant d’être
licenciée en avril 2001 pour falsification de temps de travail. Elle ne sera jamais réemployée
par l’ONU136. Leur cas n’est pas unique : en février et mars 2001, deux employés appartenant
au Département droits de l’homme ainsi qu’à la Section de discipline et d’enquête interne sont
134
Voir N. L. Diu « What the UN Doesn't Want You to Know », The Telegraph, Février 2012 (disponible sur
http://www.telegraph.co.uk/culture/film/9041974/What-the-UN-Doesnt-Want-You-to-Know.html);
S.
Applebaum « Insight: Kathryn Bolkovac, whistleblower », The Independent, janvier 2012 (disponible sur
http://www.independent.co.uk/news/people/profiles/insight-kathryn-bolkovac-whistleblower-6291533.html )
135
Témoignage de Ben Johnston, Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de l’homme de la
Chambre des représentants des Etats-Unis, voir «The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia: Isolated Case or
Larger Problem in the U.N. System? » April 24, 2002, N° 107-85.
136
Kathryn Bolkovac a depuis gagné un procès contre DynCorp pour licenciement abusif (en 2002).
39
menacés de représailles137 par leur hiérarchie afin de stopper leur enquête sur différentes
allégations d’abus sexuels au sein du GIP.
Le manque de preuves empêchant d’enquêter efficacement sur les différentes affaires de
corruption et de consommation de prostitution au sein du GIP semble donc avoir été en
grande partie provoqué. S’il est impossible d’en déterminer l’étendue, il reste évident que
plusieurs officiers ont ainsi échappé à des sanctions ou des poursuites pénales, renforçant
l’affirmation selon laquelle l’implication onusienne dans la traite en Bosnie-Herzégovine a été
sous-estimée.
Section 2. Rapatriements discrets et absence de poursuites pénales
Protégée par une immunité quasi-absolue, une partie du personnel du GIP semble
avoir échappé à toute sanction lourde ou poursuite pénale dans son pays d’origine pour des
crimes graves commis en violation de leur code de conduite, du droit international et du droit
du pays d’accueil. Loin d’être proportionnelles à la gravité des crimes, les sanctions
appliquées contre les officiers pour « comportement inapproprié » perpétuent donc le climat
d’impunité prévalant sur l’ensemble de la mission en Bosnie-Herzégovine.
Si la responsabilité juridique des officiers de police du GIP est mixte138 et semble, de
manière ambigüe, concerner aussi bien l’ONU que les États contributeurs de troupes, aucun
d’entre eux n’a condamné pénalement ceux étant impliqués dans des affaires d’abus sexuels
ou de corruption en Bosnie-Herzégovine.
En effet, si l’ONU doit, théoriquement, répondre des actes de la force de police mise en
place en 1995, ce sont les États contributeurs qui sont responsables de la discipline de leurs
civils139, en l’absence d’un tribunal international onusien. Le Département des opérations de
137
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 49 et 55.
138
S. Longpré, « Violences sexuelles des casques bleus : Défis et réalisations pour les Nations Unies », mémoire
présenté comme exigence partielle à la réussite du Certificat de formation sur les missions d’appui à la paix de
l’Institut de formation aux opérations de maintien de la paix », dirigé par Ximena Jimenez, novembre 2008,
p.157.
139
En effet, L'État contributeur est celui qui a reconnu la Convention de Genève et s’est engagé à la mettre en
œuvre : en aucun cas son engagement n’est suspendu, même si une organisation internationale contrôle,
temporairement, ses officiers civils. Voir K. Allred, « How Deployed Forces Fuel the Demand for Trafficked
Women and New Hope for Stopping It », Armed Forces and Society, Vol. 33, no 5, p. 7.
40
maintien de la paix est donc limité dans les sanctions qu’il peut appliquer à l’encontre de
civils recrutés pour une mission à l’étranger. Le rapatriement (sanction administrative) et la
recommandation à l’État d’origine de prendre des mesures appropriées sont ses seules
options, quelle que soit la gravité des faits reprochés. L’ONU ne peut contraindre les États
d’origine à poursuivre leurs officiers de police.
Ainsi, les 18 membres de la mission de police civile reconnus coupables de comportement
inapproprié et de violation du code de conduite onusien ont tous été rapatriés dans leurs pays
d’origine, sans qu’aucune enquête, rapport (de la part de l’ONU ou de l’État d’origine) ou
procès pénal ne suivent140. En raison d’un manque de volonté des État à poursuivre leurs
citoyens ou d’un manque de juridiction concernant les crimes commis par des civils en
mission à l’étranger 141, les employés rapatriés sont donc retournés travailler pour leur poste de
police ou leurs employeurs privés. Tout porte à croire que certains d’entre eux ont également
été redéployés dans le cadre de nouvelles missions de maintien de la paix, sans aucun suivi
juridique142. Notons qu’une procédure de rapatriement volontaire existe également au sein de
l’ONU: quelques officiers ont choisi cette option afin qu’aucune trace de sanction
administrative n’entache leurs dossiers143. Soulignons également qu’aucun officier haut placé
dans la hiérarchie du GIP n’a subi de sanction administrative : tous ceux concernés par les
rapatriements sont des officiers subalternes, alors que plusieurs rapports et témoignages
incriminent des officiers supérieurs du GIP144.
De plus, bien que l’ONU ne possède pas les moyens de juger les membres civils d’une
mission de maintien ou de consolidation de la paix au sein d’un tribunal international, elle a la
possibilité de lever l’immunité accordée afin qu’ils soient jugés sur le territoire où les crimes
ont été commis. Selon l’adjoint du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU 145, les
mécanismes juridiques pour lever cette immunité existent, mais n’ont, à ce jour, jamais été
utilisés. Ainsi, aucune des victimes ayant apporté un témoignage dans le cadre des différentes
140
Témoignage de Bob Gifford, Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de l’homme de la
Chambre des représentants des Etats-Unis, voir «The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia: Isolated Case or
Larger Problem in the U.N. System? » April 24, 2002, N° 107-85.
141
Citons les Etats-Unis comme exemple : en effet, il n’existe pas au sein du pays de juridiction capable de juger
les crimes commis par des civils en mission de maintien de la paix.
142
S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005.
143
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 59.
144
Op.Cit
145
L’adjoint du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Julian Harston a été interviewé par Human
Rights Watch à Sarajevo le 9 avril 2001, voir M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls
to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D),
New York, Novembre 2002, p. 57.
41
enquêtes n’a pu bénéficier de l’ouverture d’un procès en Bosnie-Herzégovine ou dans son
pays d’origine ainsi que de réparations pour le préjudice subi.
Pour S. E. Mendelson146et O. Simic147 cette réticence de l’ONU à sanctionner de façon
lourde les officiers reconnus coupables est intimement liée à ses méthodes de recrutement. En
effet, cette dernière dépend entièrement de la bonne volonté des États membres qui
fournissent les soldats et personnels civils envoyés en missions de maintien de la paix. Les
États étant, depuis le début des années 1990148, moins enclins à envoyer des hommes en
raison de l’augmentation des conflits intra-étatiques (considérés plus dangereux), le
Département des opérations de maintien de la paix voit sa capacité à attirer de nouvelles
recrues diminuer d’année en année. Minimiser les différents scandales liés à la corruption et à
la traite en Bosnie-Herzégovine est donc primordial afin d’éviter des représailles étatiques et
une réduction trop drastique des quotas de recrutement onusien, tout particulièrement lorsque
ceux-ci sont déjà remplis, en partie, par des sociétés privées sous-traitantes (comme DynCorp)
dont les employés sont beaucoup plus difficiles à contrôler.
Loin de l’idéal de justice et de défense des droits de l’homme officiellement défendus,
l’ONU n’a pas su, ou voulu se donner les moyens de sanctionner de façon adéquate les crimes
commis par les membres du GIP. Cette dernière semble avoir minimisé les répercussions
juridiques des différents scandales dénoncés en Bosnie-Herzégovine afin d’éviter des
retombées médiatiques néfastes pour la légitimité de la mission et, de façon plus générale, de
l’institution. Mais loin d’avoir été réduites à de simple « rumeurs infondées »149, la presse
s’empare de ces affaires et plonge le Département des opérations de maintien de la paix dans
une véritable crise de légitimité dont il ne sortira qu’avec la mise en place de méthodes
drastiques et agressives pour combattre les réseaux de la traite dans le pays (et non l’impunité
au sein de la force de police onusienne).
146
S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005, p. 62.
147
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 1-34, 2004, p. 18.
148
Depuis l’intervention en Somalie considérée comme un échec, car de nombreuses pertes militaires ont été
réalisées.
149
Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de l’homme de la Chambre des représentants des
Etats-Unis, voir «The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia: Isolated Case or Larger Problem in the U.N.
System? » 24 avril 2002, N° 107-85, p. 22.
42
Chapitre 3. La politique de la « tolérance 0 » : stratégie « marketing »
face à une profonde crise de légitimité
Alors qu’entre 1995 et 2000, le problème de la traite sexuelle est traité de façon
marginale par l’ONU, une politique de « tolérance zéro » contre celui-ci est lancée à partir de
2001. Ce revirement de situation significatif tient beaucoup au fait que, parallèlement à la
Bosnie-Herzégovine, d’autres scandales d’abus sexuels au sein de forces onusiennes éclatent,
plongeant le Département des opérations de maintien de la paix dans une profonde crise de
légitimité. L’impunité reprochée tant aux militaires qu’aux civils onusiens dans différents
pays hôtes devient alors trop difficile à ignorer et ne peut, désormais, être considérée comme
l’action isolée de quelques officiers renégats. Afin de détourner l’attention des différents
scandales internes au GIP, le Département des opérations de maintien de la paix, en
coopération avec la MINUBH lance une véritable « stratégie marketing » afin de regagner la
crédibilité perdue au cours des dernières années.
Section 1. Crise de légitimité internationale et perte de confiance de
la population locale : un problème trop difficile à ignorer
Une série de scandales d’abus sexuels au sein de différentes missions de maintien de la
paix dans les années 2000 fragilise de façon importante la légitimité du Département des
opérations de maintien de la paix. Perdant des nombreux soutiens nationaux et internationaux,
l’ONU ne peut donc plus se permettre d’ignorer les comportements inappropriés de ses
officiers.
La perception collective des opérations de maintien de la paix constitue un des aspects
essentiels de la légitimité de l’ONU. La façon dont le public perçoit l’institution et ses
méthodes dépend en grande partie de l’attitude de ses forces civiles et militaires et de
l’efficacité de leurs actions. La fin de la bipolarité ayant marqué un renouveau de ses
interventions, la crédibilité internationale de l’institution connaît un véritable « âge
43
d’or »150 jusqu’au début des années 1990. Mais lorsque les services des casques bleus sont de
plus en plus sollicités dans le cadre de conflits intra-étatiques, cette crédibilité est fragilisée.
Dès 1992, différents « échecs » d’interventions (notamment durant les conflits en Somalie et
en Bosnie-Herzégovine) remettent en cause les méthodes des forces onusiennes. Cette remise
en cause est exacerbée à la fin des années 1990, à la suite d’allégations d’exploitation et
d’abus sexuels commis dans les pays hôtes.
En effet, à partir de 1998, une vague d’abus sexuels au sein de différentes missions de
la paix, atteignant son apogée en 2001-2001, ébranle sérieusement la crédibilité de
l’institution. Relayées par la presse et plusieurs organisations de défense des droits de
l’homme151, des affaires de « viol, agression sexuelle, relation sexuelle avec un mineur, de
traite d’êtres humains, d’esclavage sexuel, d’attentat à la pudeur, de prostitution, de
pornographie et d’allégation de paternité » impliquant des forces onusiennes émergent au sein
de missions au Cambodge, en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et au
Timor oriental152. Le climat permissif ainsi que le manque de sensibilisation au sein de ces
missions sont particulièrement attaqués, mettant ainsi en cause l’attitude intellectuelle et
politique de l’ONU face aux effets indésirables de ses interventions civiles ou militaires. Les
accusations d’implication d’une partie de la force civile de police en Bosnie-Herzégovine
dans les réseaux de la traite en toute impunité marquent donc la rupture décisive avec l’âge
d’or des interventions onusiennes.
Les différentes missions alors en place perdent de nombreux soutiens sur la scène
internationale comme au sein des pays hôtes. Les populations locales perdent progressivement
confiance en l’institution et en ses méthodes ; certaines deviennent agressives envers les
contingents déployés, provoquant des situations de tensions extrêmes. En 2001, la pression
internationale sur le Département des opérations de maintien de la paix est telle qu’il est forcé
de reconnaître publiquement le caractère chronique et généralisé du problème et de lancer
diverses initiatives de prévention au sein du GIP et de la MINUBH.
150
Cet âge d’or est à son apogée en 1988 lorsque l’ensemble des casques bleus reçoivent le rix Nobel de la paix,
voir http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/early.shtml
151
Notemment Save the Children UK, Amnesty International et Human Rights Watch.
152
S. Lecourtois, « Exploitation et abus sexuels par le personnel des Nations unies : le cas de la MONUC »,
Bulletin du maintien de la paix, n°93, mars 2009, p. 1.
44
Section 2. Sensibilisation et lutte pro active contre la traite : des
initiatives de façade
Entre 2001 et 2002, le Département des opérations de maintien de la paix et le GIP mettent
en place plusieurs initiatives médiatisées afin de lutter plus efficacement contre la traite en
Bosnie-Herzégovine. Conférences, rapports et campagnes de sensibilisation sont organisés
autour de la thématique afin de prouver au public que l’ONU a bien pris conscience de la
menace que la traite représente153. Une politique pro active de lutte contre la traite est
également inaugurée, intensifiant descentes et rapatriements en l’espace de quelques mois.
Mais si en apparence, ces initiatives montrent que la traite est désormais considérée comme
un phénomène intolérable, elles montrent en réalité un empressement maladroit et peu
efficace de démanteler les réseaux clandestins du pays sans s’attaquer en profondeur aux
problèmes existants au sein même du GIP.
A. Une prise de conscience orchestrée pour rassurer le public
De 2001 à 2002, le GIP et la MINUBH organisent plusieurs évènements afin d’intensifier
la sensibilisation sur la traite des êtres humains et de prouver son engagement dans la lutte
contre la criminalité organisée. Une campagne de sensibilisation à destination de la population
locale ainsi qu’une série de conférences et de groupes de travail réunissant experts et ONG
sont ainsi mis en place en quelques mois.
Afin de regagner la confiance de la population locale et de rétablir la légitimité de la
mission en Bosnie-Herzégovine, des journées portes-ouvertes, des visites scolaires, des
émissions de radio, un bimensuel ainsi qu’un site internet sont rapidement mis en place par le
GIP et la MINUBH, en coopération avec les autorités locales154. S’il est très difficile de
mesurer l’impact réel de ces initiatives sur la population, il est en revanche évident que cellesci constituent un prompt retournement de situation pour le GIP. En quelques mois, le
phénomène de la traite, jusqu’alors considéré comme un fait inévitable en période post-
153
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 1-34, 2004.
154
http://www.un.org/en/peacekeeping/missions/past/unmibh/background.html
45
conflit, devient l’une des menaces les plus étudiées et les plus dénoncées au sein des forces
de police onusiennes.
Afin de compléter cette campagne de sensibilisation, plusieurs groupes de travail et
conférences
155
réunissant différents experts onusiens et non gouvernementaux se multiplient
au cours de l’année afin d’étudier les interactions entre les forces de maintien de la paix et les
réseaux de la traite en Bosnie-Herzégovine et de mettre en place des outils de prévention
efficace. La conférence organisée en Italie en mai 2002156 en coopération avec l’Institut
interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice et le Centre pour le
crime et la corruption transnationale en est l’apogée. Au sein de cette dernière, il est
officiellement157 reconnu que la présence du GIP en Bosnie-Herzégovine a provoqué la
rencontre d’une offre et d’une demande de services sexuels et que plusieurs officiers de police
ont été impliqués, de façon directe et indirecte dans les réseaux de la traite. Ainsi, l’ONU ne
tente plus de cacher le problème dénoncé ; au contraire, elle publicise sa prise de conscience
(relativement tardive) et sa volonté de mettre en place un programme global de prévention
contre la violence basée sur le genre au sein des effectifs sur le terrain. Combattre
l’assimilation erronée entre traite et prostitution, accentuer l’interdiction du recours à la
prostitution (consentante ou forcée), recruter plus de personnel féminin ou encore intensifier
les formations du personnel au sein du GIP constituent donc de « nouvelles résolutions » très
médiatisées à mettre en place le plus rapidement possible.
En revanche tous les groupes de travail, conférences et rapports omettent de préciser
quelles mesures juridiques concrètes doivent être prises pour prévenir et punir les
comportements inappropriés de la force de police civile, et de façon plus générale, de
l’ensemble du personnel civil et militaire onusien158. Les conséquences directes de la
consommation de prostituées comme le dépistage et le traitement du SIDA, les allégations de
paternité ainsi que les réparations à verser aux victimes sont également entièrement ignorées.
Il semble donc que le GIP et le Département des opérations de maintien de la paix
cherchent toujours à éviter certains sujets toujours considérés comme embarrassants, tout
155
S. E. Mendelson, «Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS Report,
Washington February 2005, p. 67.
156
Conférence organisée du 9 au 10 mai 2002 à Turin sous la direction de M. E. Andreotti et de L. I. Shelley
157
« […] because PKO staffs are paid at a high wage in the context of the localities they serve in, they
knowingly or unknowingly serve as a primary source of demand for trafficked persons in brothels and domestic
labor”, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference Report,
UNICRI, Turin 2002, p. 7.
158
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 1-34, 2004.
46
particulièrement lorsque l’on sait que la mission du GIP se termine quelques mois plus tard.
De plus, les efforts de sensibilisation proposés au sein du GIP arrivent, semble-t-il, de façon
trop tardive pour pouvoir modifier en profondeur les mentalités et les comportements du
personnel civil et policier en Bosnie-Herzégovine. La politique pro active de lutte contre la
traite des êtres humains mise en place au même moment possède également ce caractère
superficiel et calculé, s’apparentant en effet à un véritable « exercice de relations
publiques »159.
B. Le Programme spécial de lutte contre la traite des d'êtres humains (S.T.O.P) :
descentes, arrestation et statistiques détournant l’attention des problèmes internes du
GIP
Parallèlement aux efforts de sensibilisation, le GIP et la MINUBH mettent en place en
juillet 2001 le Programme spécial de lutte contre la traite des êtes humains, aux initiales
évocatrices : S.T.O.P160. Sa création, annoncée lors d’une conférence de presse 161 est
fortement relayée au sein de la communauté internationale 162. Le programme, phase beaucoup
plus agressive dans le démantèlement des réseaux clandestins du pays, est supposé intensifier
le nombre de descentes au sein de maisons closes, bars et night clubs afin d’arrêter le plus
grand nombre de trafiquants et de rapatrier les femmes en situations irrégulière forcées à la
prostitution. Placé, de façon paradoxale, sous le contrôle du GIP et de la police locale
(certains membres étant des clients des maisons closes visées), le Programme est constitué
d’unités de police de garde 24 heures sur 24, réparties sur l’ensemble du pays 163. Trois centres
d’accueils pour victimes de la traite sont également établis en coordination avec l’OIM.
Au premier abord, les statistiques de cette nouvelle unité montrent une véritable
progression du combat contre les réseaux de la traite : en quelques mois, près de 800
159
S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005, p. 65.
160
« Special Trafficking Operations Programme », plus d’informations sur le site internet de la MINUBH
http://www.un.org/en/peacekeeping/missions/past/unmibh/background.html
161
UNMIBH Special Press Conference, «UNMIBH Trafficking Project and Introduction to the New Special
Trafficking Operations Program (STOP) », 26 juillet 2001.
162
Voir A. Cerkez-Robinson, « New Special Police Units to Help Fighting Trafficking of Women », Associated
Press, 26 juillet 2001 ; A. Kroeger, «U.N. Targets Bosnian Vice Rings », BBC, 27 juillet 2001.
163
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 1-34, 2004, p. 5.
47
descentes sont réalisées, 240 établissements suspects sonr identifiés, 115 sont fermés et 230
femmes sont assistées164. Si une grande partie de la communauté internationale ainsi que le
Secrétaire général de l’ONU 165s’en félicitent, certaines ONG et experts locaux sont eux
beaucoup plus réservés. Ils constatent en effet que les méthodes agressives et peu
réglementaires166 utilisées ne font que déplacer les maisons closes au sein de résidences
privées, beaucoup plus difficile à localiser. Loin d’être éradiqués, les réseaux s’adaptent aux
nouvelles techniques onusiennes167 et tendent à se déplacer vers le Kosovo, où des forces de
l’ONU et de l’OTAN assurent une mission d’administration intérimaire 168. Notons également
que durant l’année 2001, la définition de la traite appliquée par le Programme est toujours en
contradiction avec le Protocole additionnel à la Convention de Palerme 169 : cette dernière
n’est modifiée qu’en 2002, quelques mois seulement avant le départ définitif de la mission.
Pour de nombreux experts, les campagnes de sensibilisation ainsi que le Programme
spécial de lutte contre la traite des d'êtres humains s’apparentent plus à une opération de
communication qu’à une politique de long terme applicable à d’autres opérations de maintien
de la paix, une fois la mission en Bosnie terminée. Il faut en effet attendre 2004 et de
nouveaux scandales d’abus sexuels, notamment au Kosovo170, pour voir s’affirmer un désir de
changement plus radical au sein de l’ONU.
164
Ibid.
Conseil de Sécurité des Nations unies, «Report of the Secretary-General on the U.N. Mission in Bosnia and
Herzegovina», 29 novembre 2001, S/2001/1132, paragraphe 8.
166
Selon Human Rights Watch et LARA, les officiers du Programme spécial de lutte contre la traite des êtes
humains réalisent les entretiens avec les victimes de la traite au sein des maisons closes, souvent en présence des
propriétaires et des trafiquants impliqués, dissuadant fortement leur propension à se confier, voir M.
Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina for
Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 19.
167
Selon B. Limanovska, suite à l’intensification des descentes par les unités du programme spécial de lutte
contre la traite des d'êtres humains, les trafiquants changent de « modus operandi » et se mettent à utiliser des
téléphones portables et internet pour poursuivre leur commerce en toute discrétion, voir B. Limanowska,
Trafficking in Human Beings in South Eastern Europe, UNICEF, UNOHCHR, OSCE/ODIHR, New York,
rapport mis à jour en 2003. Voir également, «Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training
Program, a Conference Report », UNICRI, Turin 2002.
168
Par sa résolution 1244 du 10 juin 1999, le Conseil de sécurité décide de déployer au Kosovo une présence
internationale civile de sécurité sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies (UNLIK), en coopération avec
l’OTAN (KFOR). Plus de 4000 officiers de police y sont donc déployés. A ce jour, la mission est toujours en
cours.
Plus
d’informations
sur
le
site
internet
de
la
MINUK
sur
http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/unmik/facts.shtml
169
M. Vandenberg, Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia and Herzegovina
for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New York, Novembre 2002, p. 41.
170
Voir S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005;C. Lynch « U.N. Faces More Accusations of Sexual Misconduct », The
Washington Post, 13 mars 2005.
165
48
Les réactions extrêmes et contradictoires de l’ONU face aux différents scandales
impliquant le GIP démontrent que l’Organisation n’a que trop bien assimilé que le
« personnel d’une mission, depuis le sommet jusqu’à la base, est […] l’un des éléments les
plus importants de son succès »171. Voyant la légitimité de la plupart de des missions de
maintien de la paix remise en cause dans les années 2000, le Département des opérations de
maintien de la paix comprend l’urgence de lancer une stratégie de communication pour
regagner la confiance du public. Les efforts agressifs et superficiels réalisés par la MINUBH
s’apparentent en effet à un « calcul coût-avantage » mis en place afin d’obtenir quelques mois
de répis avant de quitter définitivement le pays en décembre 2002. L’ironie de la situation
veut qu’à partir de cette date, le nombre de femmes acheminées illégalement ainsi que le
nombre de maisons closes à travers le pays diminue de façon conséquente : privée de l’un de
ses plus gros clients, les réseaux sont forcés de se reconvertir ou de se déplacer vers le
Kosovo. Loin d’avoir atteint les objectifs de reconstruction fixés en 1995, le GIP et la
MINUBH semblent avoir rendu leurs méthodes contre-productives, remettant ainsi en cause
la légitimité de leur mission ainsi que celle de l’Organisation.
171
Rapport du groupe d’études sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations Unies, A/55/305S/2000/809, 20 août 2000, p. 29.
49
PARTIE III. LE PARADOXE ONUSIEN OU LA CONTREPRODUCTIVITÉ DE LA MISSION DE POLICE EN BOSNIEHERZÉGOVINE
Dans cette dernière partie, nous mettrons en lumière le paradoxe que constitue
l’implication de certains membres du GIP dans les réseaux de la traite en BosnieHerzégovine. Nous verrons en effet que les actes commis par ces derniers ainsi que la réaction
du DOPM face aux différentes affaires d’abus sexuels compromettent la légitimité de la
mission, produisant l’inverse des résultats recherchés (chapitre 1). Nous verrons enfin que les
différentes interactions avec les réseaux de la traite, bien que limitées, semblent avoir exposé
le personnel onusien ainsi que la population locale à un risque élevé de contamination par des
maladies sexuellement transmissibles, créant ainsi une nouvelle menace contre la paix et la
sécurité, pourtant placées au centre des préoccupations (chapitre 2).
Chapitre 1. Défense et abus des droits humains : l’avers et le revers
d’une même médaille
En analysant de plus près les différents niveaux d’implication des membres du GIP
dans les réseaux de la traite ainsi que la réaction du DPOM, il semble que la légitimité de la
mission de reconstruction démocratique et de défense des droits humains ait été grandement
fragilisée. En effet, ces derniers semblent avoir commis ou toléré tout ce que l’institution
onusienne condamne et tente de combattre depuis sa création. Ainsi, en plus de violer les
normes internationales et de mépriser le traumatisme laissé par la politique systématique de
viol durant la guerre, certains membres du GIP et du DOPM ont contribué à enraciner les
réseaux de corruption dans la région et à banaliser un peu plus le recours à la prostitution
forcée.
50
Section 1. Des actes en contradiction avec la mission de
reconstruction démocratique
Les différents abus commis par certains membres du GIP apparaissent en
contradiction avec les buts de la mission pour laquelle ils ont été déployés. Loin de la
formation à la dignité à la personne ou du démantèlement des réseaux de corruption, ces
derniers contribuent en réalité à enraciner les réseaux de la traite, empêchant ainsi l amise en
place d’un environnement stable et sécurisé dans le pays et, de façon plus générale, dans la
région des Balkans.
Qu’ils achètent ou séquestrent des victimes de la traite, protègent les réseaux et les
trafiquants, tolèrent le recours à la prostitution forcée de leurs collègues ou participent à la
falsification de preuves incriminantes, les actions (ou le manque d’action) de certains
membres du GIP et du DOPM sont en complète contradiction avec la mission de
reconstruction démocratique de la Bosnie-Herzégovine et, de façon plus générale, avec les
idéaux défendus quotidiennement par l’ONU. En effet, les buts fixés lors de la création de la
mission en 1995, à savoir la formation à la dignité de la personne, l’application des principes
démocratiques, l’établissement de l’État de droit, le démantèlement de la criminalité organisée
et la prévention des violations des normes internationales, semblent très éloignés des
différentes fautes professionnelles et violations des droits de l’homme commises172 jusqu’en
2002. L’implication directe ou indirecte de membres de GIP dans les réseaux de la traite a en
effet contribué, de façon indéniable, à intensifier le commerce transational du sexe et à
enraciner les élites criminelles du pays. En finançant de façon conséquente les réseaux de la
traite, les officiers du GIP ont permis à ces élites d’investir dans d’autres types trafics (drogue,
armes, organes etc.) et de diversifier leurs activités, contribuant ainsi à accentuer la
déstabilisation dans l’ensemble de la région des Balkans 173. Notons également que la
fréquentation tolérée voire encouragée des maisons closes par les membres du GIP contribue
à banaliser un peu plus le recours à la prostitution forcée dans le pays et à dissuader les
172
Voir partie I, chapitre 2 « Le lien entre la traite sexuelle, la prostitution et la force de police internationale des
Nations Unies ».
173
D. Mazurana, A. Raven-Roberts et J. Parpart, Gender, Conflict, and Peacekeeping. Rowman & Littlefield
Publishers, Lanham, 2005, p. 35.
51
victimes de la traite de faire confiance à l’institution qu’ils représentent 174, anéantissant ainsi
tous les efforts de sensibilisation mis en place par le GIP lui-même. Selon A. M.
Agathangelou et L. H. M Ling, cette contradiction observée est d’autant plus accentuée que la
plupart des officiers de police du GIP impliqués dans la traite reste convaincue qu’elle a
contribué à « contenir et combattre le chaos généré par la population locale afin de rétablir un
mode de vie acceptable »175.
Plus encore, le comportement des officiers du GIP et la réaction de déni du DOPM
constituent tout ce que l’ONU s’attache à combattre de façon globale depuis sa création en
1945. Ainsi, les idéaux de « maintien de la paix, de sécurité internationale, de relations
amicales entre nations, de progès social et de respect des droits de l’homme »176 défendus
dans le cadre de ses diverses interventions semblent avoir été compromis tout au long de la
mission de police civile en Bosnie-Herzégovine. De plus, la volonté du DPOM de minimiser,
voire d’enterrer les affaires d’abus sexuels et de corruption au sein du GIP traduit un véritable
décalage entre les valeurs théoriques défendues par l’institution et celles appliquées sur le
terrain, renvoyant ainsi un message dangereusement partial et ambivalent : si la servitude, le
viol et la corruption sont considérés, de façon globale, comme des crimes odieux par l’ONU,
ils semblent être présentés dans le cadre particulier de l’intervention en Bosnie-Herzégovine
comme acceptables voire irrémédiables. Ce message contribue donc à institutionnaliser une
certaine impunité, tant en Bosnie-Herzégovine que dans le reste des pays accuillant une
mission de maintien de la paix.
Loin d’avoir créé de « meilleures conditions de vie pour les générations présentes et
futures »177 en Bosnie-Herzégovine, le GIP et le DOMP semblent en réalité avoir nuit à la
fragile transition démocratique du pays et renforcé le pouvoir des élites criminelles du pays,
élites qui sont précisément celles qui s’opposent, par intérêt financier, à l’instauration d’un
« environnement sûr, stable et sécurisé »178 dans la région. Au-delà de la contradiction avec
la mission pour laquelle il a été créé, le GIP a montré très peu de sensibilité pour les séquelles
174
O.Simic, «Accountability and Immunity of U.N. Civilian police involved in Trafficking in Women in Bosnia
and Herzegovina », Peace and conflict monitor, 2004, p. 8.
175
A. M. Agathangelou et L. H. M Ling, «Desire industries: Sex trafficking, UN peacekeeping and the neoliberal world order », Brown Journal of Affairs, Vol. 10, Issue 1, Automne 2000, p. 142.
176
Site de l’Organisation des nations unies, rubrique
« A propos de l’ONU »,
http://www.un.org/fr/aboutun/index.shtml
177
Ibid.
178
Voir S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005, p. 17.
52
psychologiques laissées par trois ans de nettoyage ethnique, perpétuant ainsi la pratique du
viol systématique commise pendant la guerr
Section 2. Des actions lourdes de sens dans un pays marqué par la
politique systématique du viol
Les différents cas d’abus sexuels commis au sein du GIP démontrent un manque
flagrant de compréhension du traumatisme laissé par la politique systématique du viol
pratiquée à travers le pays durant la guerre. Les conditions d’enlèvement, de détention et
d’exploitation des victimes de la traite rappellent en effet les « camps de viol » mis en place
par les forces militaires et paramilitaires serbes. Consommer au sein des maisons closes ou
bard du pays des femmes issues de la traite revient donc pour les membres du GIP à perpétuer
et banaliser la violence à l’égard des femmes dans le pays.
Lors de la Conférence de Turin sur les liens entre les opérations de maintien de la paix
et les réseaux de la traite organisée en 2002 par l’Institut interrégional de recherche des
Nations unies sur la criminalité et la justice , un expert179 souligne de façon alarmante que les
actions de certains membres du GIP en Bosnie-Herzégovine ont perpétué le traumatisme
psychologique laissé par la politique systématique180 du viol utilisée lors de la guerre. Ce
dernier met en effet le doigt sur les implications constituées par ces actions, lourdes de sens
dans un pays où le viol a constitué une véritable arme guerre.
En commettant ou tolérant un viol au sein d’une maison close entre 1995 et 2002, le
personnel du GIP ravive en effet auprès de la population locale le traumatisme laissé par la
politique systématique de viol organisée durant la guerre. Cette politique, partie intégrante de
la stratégie de « nettoyage ethnique181 » organisée en majorité par les serbes182, aurait touché
179
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI, Turin 2002, p. 12.
180
« Crimes of sexual violence », Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY),
http://www.icty.org/sid/10312. Voir également les affaires Le Procureur c. Kunarac et al. et le Procureur contre
c. Janković & Stanković jugées par le TPIY.
181
Par nettoyage ethnique, nous entendons une politique conçue par un goupe ethnique ou religieux dans le but
de déplacer une autre ethnie ou un autre groupe religieux par la violence et la terreur, voir
http://www.icty.org/sid/10312
182
Selon les différentes sources rassemblées, toutes les parties au conflit semblent avoir participé à cette
politique systématique de viol. Les principales victimes restent les femmes bosniaques (musulmanes), enlevées
et séquestrées par l’armée serbe.
53
entre 20 000 et 50 000183 femmes (principalement bosniaques) durant la guerre. Dans de
nombreux cas, les femmes et les enfants étaient séparés des hommes au sein des différentes
villes ou villages attaqués, puis séquestrées dans des hôtels, restaurants, écoles, gymnases ou
maisons appelés « camps de viol »184, répartis dans l’ensemble du pays. Parfois jusqu’à 70
dans un même site, elles y étaient violées et battues quotidiennement par des militaires, forces
de police ou paramilitaires serbes et étaient forcées d’entretenir les locaux. Elles étaient
parfois « louées » par des particuliers ou « prêtées » à certains contingeants dans d’autres
villes du pays pour une période plus ou moins longue, avant d’être ramenées dans les camps.
La situation de ces femmes, enlevées, vendues et détenues dans des conditions d’hygiène
déplorables185, n’est pas sans rappeler celle des maisons closes et night clubs des années 2000
où plusieurs membres du GIP ont consommé des services sexuels auprès de femmes issues de
la traite186. Plus que raviver des stigmates douloureux, l’assimilation erronée entre la traite et
la prostitution, la consommation de services sexuels et la participation dans les réseaux de la
traite par des membres du GIP perpétuent et banalisent les violations des droits des femmes187
commises durant la guerre.
Si la signature des Accords de paix de Dayton en 1995 semble mettre fin à trois années
de nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine, elle ne signifie pas pour autant la fin des
violences et des abus sexuels à l’encontre des femmes. La présence du GIP et les actions de
certains de ses membres semblent avoir perpétué, sur le long-terme, le triste héritage de la
guerre en matière de violation des droits des femmes. Au-delà de la symbolique générée par
les officiers du GIP, ces derniers semblent avoir engendré un nouveau type de menace contre
183
Voir Amnesty International, «Whose justice?: The women of Bosnia and Herzegovina are still waiting »,
September 2009 et Commentaires du Comité sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard
des femmes : Bosnie-Herzégovine, rapport spécial A/49/38, 13ème session, 17 janvier-4 février 1994, p. 3.
184
Les principales villes touchées par cette politique sont les villes de Foča et de Sreberenica. La plupart des
témoignages de viol proviennent de femmes issues de ces deux villes. Voir « Bosnia War Crimes: 'The rapes
went on day and night': Robert Fisk, in Mostar, gathers detailed evidence of the systematic sexual assaults on
Muslim women by Serbian 'White Eagle' gunmen », The Independent, 8 févier 1993, article disponible sur
http://www.independent.co.uk/news/world/europe/bosnia-war-crimes-the-rapes-went-on-day-and-night-robertfisk-in-mostar-gathers-detailed-evidence-of-the-systematic-sexual-assaults-on-muslim-women-by-serbian-whiteeagle-gunmen-1471656.html; R. Gutman, « Rape Camps: Evidence Serb Leaders in Bosnia OKd Attacks »,
Newsday, 18 avril 1993 ; C. Bird, « Un tribunal told of rape camps horror », The Guardian, 21 avril 2000,
disponible sur http://www.theguardian.com/world/2000/apr/21/balkans1; le site du Tribunal pénal international,
rubrique « Crimes of sexual violence », http://www.icty.org/sid/10312
185
La plupart des femmes qui parvenaient à s’échapper présentaient des brûlures de cigarettes, des infections
gynécologiques, des traumatismes crâniens et des fractures sur l’ensemble du corps. Voir R. Gutman, « Rape
Camps: Evidence Serb Leaders in Bosnia OKd Attacks », Newsday, 18 avril 1993.
186
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a Conference
Report, UNICRI, Turin 2002, p 12.
187
D. Mazurana, A. Raven-Roberts et J. Parpart, Gender, Conflict, and Peacekeeping. Rowman & Littlefield
Publishers, Lanham, 2005.
54
la paix et la sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières du pays, à savoir la
propagation du virus du SIDA, considéré comme l’une des armes les plus dévastatrices au
monde.
Chapitre 2. Une nouvelle menace contre la paix et la sécurité
internationale engendrée par les forces onusiennes : la propagation du
SIDA
En consommant des services sexuels auprès de femmes victimes de la traite, les
membrees du GIP s’exposent à un risque élevé de contamination par des maladies
sexuellement transmissibles. Ils sont ainsi susceptibles de devenir un vecteur infectieux très
dangereux en Bosnie-Herzégovine ainsi qu’au cours de nouvelles missions à l’étranger. Il
semble donc que l’implication des membres du GIP dans la traite sexuelle en Bosnie ait
ébranlé de façon significative les objectifs de maitien de la paix et de la sécurité internationale
prévus par la mission qui leur a été attribuée.
Section 1. La relation entre la mission de maintien de la paix et la
transmission du virus de SIDA : une prise de consciente récente
Face aux différents abus sexuels commis au sein de plusieurs missions de maintien
de la paix, l’ONU réalise que ses officiers pourraient être en grande partie responsables de la
diffusion d’une pandémie capable de générer dis fois plus de victimes que n’importe quelle
guerre civile. La relation étroite entre le personnel onusien et la transimission du virus de
SIDA est ainsi reconnue dans les années 2000, alors que les missions de maitien de la paix
deviennent de plus en plus impopulaires, tant pour les pays hôtes que pour les pays
contributeurs.
55
Au début des années 1990, l’étude de la propagation du virus du SIDA par les casques
bleus déployés en mission de maintien de la paix est progressivemen placée au centre des
préoccupations. Il faut attendre les années 2000 pour que cette vérité soit acceptée188 et pour
que différentes analyses (limitées au contient africain) sur les conséquences sécuritaires de
cette relation émergent. L’ironie de la situation est rapidement dénoncée par différents experts
et organismes de défense des droits de l’homme : des forces ousiennes censées maintenir la
paix, la sécurité et améliorer les conditions de vie des populations auprès des quelles elles
interviennent contribuent, en réalité, à diffuser une pandémie capable de générer dis fois plus
de victimes que n’importe quelle guerre civile189.
Selon S. Elbe, les missions de maintien de la paix tendent à générer de conséquents
réseaux de commerce sexuel, mettant ainsi en contact deux « groupes à hauts risques »190 : les
soldats ou civils onusiens et les travailleuses du sexe (consentantes ou non). Les contextes
d’intervention, durant ou après un conflit, réunissent en effet toutes les conditions nécessaires
à la diffusion de la pandémie : une économie affaiblie, une corruption galopante, une large
présence de réfugiés, un système politique fragmenté, un manque d’infrastructures de santé,
de personnel médical et de sensibilisation sur le virus favorisent ainsi l’émergence de réseaux
de prostitution. Le personnel onusien, en majorité masculin, sexuellement actif, extrêmement
mobile et déployé loin de sa famille devient alors très susceptible d’avoir des rapports sexuels
non protégés avec les femmes employées par ces réseaux.
Dans le cas où les contacts sont réalisés avec des femmes issues de la traite, les chances de
transmissions sont encore plus élevées car l’usage de la drogue191 y est omniprésent. Les
répercussions de la transimission du virus sont alors importantes, tant à l’intérieur qu’à
188
Le vote de la résolution S/RES/1308 en 2000 par le Conseil de sécurité de l’ONU est un symbole historique
de coopération entre les différents États membres afin de faire face au problème de contamination du personnel
onusien dans le cadre des missions de maintien de la paix. La résolution se concontre en revanche sur les
implications sécuriatires en Afrique et non dans la région des Balkans. Résolution disponible sur
http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain?docid=3b00efd10
189
S. Elbe « HIV/AIDS : The International Security Dimensions » dans E. Krahmann « New Actors and New
Issues in International Security », London : Pelgrave, 2005, p. 11.
190
Ibid., p. 25.
191
La drogue est un vecteur de transimission du virus du SIDA particulièrement efficace. Elle est souvent
utilisée par les trafiquants pour pousser les femmes issues de la traite à avoir de rapports forcés. L’échange non
sécurisé de drogue peut également se faire entre les victimes de la traite et leurs clients, favorisant ainsi la
contamination. Voir Revised mission report, « UNAIDS Joint Mission on HIV/AIDS and Peacekeeping »,
UNMIK & UNMIBH.
56
l’extérieur du pays hôte. En effet, les risques de contamination sont réciproques : les femmes
issues du trafic étant très vulnérables aux maladies sexuellement transmissibles, elles
répandent le virus chez leurs « clients » locaux et internationaux. Des familles, voire des
communautés192 entières peuvent ainsi être contaminées et empêcher les tentatives de
reconstruction d’un pays. De plus, le personnel onusien une fois infecté, peut, à son tour,
contaminer une autre population locale ou sa population d’origine s’il est redéployé dans un
nouveau pays hôte ou s’il est rapatrié, créant ainsi un véritable « cercle vicieux ».
Les conséquences d’une contamination des forces onusiennes pour la réalisation de leurs
tâches quotidiennes au sein des missions de maintien de la paix sont nombreuses : tout
d’abord, des ressources financières aditionnelles sont nécessaires pour recruter de nouveaux
membres afin de remplacer ceux malades ou morts ainsi que pour traiter ceux qui nécessitent
un traitement médical. De plus, il devient plus difficile de recruter des officiers supérieurs
expérimentés afin de remplacer ceux qui auraient contracté le virus. Enfin, s’il est évident
qu’un officier peut, aujouud’hui, remplir la plupart des tâches qui lui sont assignées malgré la
maladie, d’importantes précautions (notamment concernant le stock de sang afin de réaliser
des transfusions sanguines) sont à prendre en compte pour chaque membre d’un contingeant.
La reconnaissance de ces différentes implications sécuritaires crée des tensions politiques
dès 2001 : ainsi lorsque les troupes nigériennes reviennent de leur mission de maintien de la
paix en Sierra Leone, plus de 11% des officiers s’avèrent séropositifs 193. En Erythrée, le
gouvernement écrit en mars 2001 une lettre ouverte au Conseil de sécurité de l’ONU
demandant l’assurance que les troupes qui seront déployées dans le pays ne seront pas
contaminées. Certains pays vont même jusqu’à refuser certains contingents, craignant une
diffusion extrêmement rapide du virus au sein des communautés locales. Les missions de
maintien de la paix deviennent donc, de façon croissante, impopulaires aux yeux des pays
hôtes et des pays contributeurs194, chacun craignant pour la sécurité sanitaire de sa population.
Comme vu précédement, cette baisse de popularité rend très difficile le recrutement de
personnel pour de nouvelles missions.
192
Un nombre important de nouveaux-nés contaminés peut en effet intensifier de façon conséquente le taux de
propagation du virus au sein des communautés, voir Revised mission report, «UNAIDS Joint Mission on
HIV/AIDS and Peacekeeping », UNMIK & UNMIBH.
193
S. Elbe « HIV/AIDS : The International Security Dimensions » dans E. Krahmann « New Actors and New
Issues in International Security », London : Pelgrave, 2005, p. 25.
194
Le Bengladesh, premier fournisseurs de troupes pour les Nations unies prend depuis 2001 les risques
d’infection très au sérieux et réfléchit à réduire le nombre de militaires et de civils fournis pour les missions de
maintien de la paix, voir S. Elbe « HIV/AIDS : The International Security Dimensions » dans E. Krahmann
« New Actors and New Issues in International Security », London, Pelgrave, 2005.
57
Si les conséquences sécuritaires de la diffusion du virus ont été étudiées de façon précise
en Afrique de l’Ouest et centrale195, celles générées par les interactions entre les membres du
GIP et les victimes de la traite en Bosnie-Herzégovine ont été fortement négligées. En effet, le
pays étant considéré (à tort) comme un foyer mineur de contamination et la relation entre les
réseaux de la traite et les membres du GIP étant niée durant la majorité de la mission, l’ONU
ne dispose à ce jour d’aucune statistique permettant d’évaluer clairement la responsabilité du
personnel onusien dans la diffusion du virus dans le pays, et de façon plus générale, dans la
région des Balkans.
Section 2. Le manque d’études sanitaires sur le personnel onusien
déployé en Bosnie-Herzégovine
La consommation de certains officiers de police du GIP de services sexuels auprès de
femmes issues de la traite pose un risque très important de transmission de maladies
sexuellement transmissibles. La propagation du virus du SIDA est particulièrement
inquiétante, tant pour la population locale que pour celle du prochain pays où les officiers de
police seront redéployés. Il n’existe pourtant, à ce jour, aucune étude permettant d’évaluer la
responsabilité du personnel du GIP dans la propagation d’une maladie si dévastatrice.
Malgré la réalisation de plusieurs études entre 1999 et 2002 sur la contamination des
casques bleus par le virus du SIDA en Afrique de l’Ouest, aucune statistique ou analyse de
long-terme ne sont disponibles pour la mission de police civile en Bosnie-Herzégovine196,
malgré l’intensification massive des réseaux de la traite en Europe de l’Est et dans la région
des Balkans. S’il a été prouvé que plusieurs membres du GIP ont contracté le virus entre 1995
et 2002197, il est impossible, à ce jour, de mesurer l’amplitude de la contamination au sein de
195
Des études ont été réalisées pour les missions en Sierra Leone (UNAMSIL) et en République démocratique
du Congo (MONUC).
196
Revised mission report, « UNAIDS Joint Mission on HIV/AIDS and Peacekeeping », UNMIK & UNMIBH.
197
S. Elbe « HIV/AIDS : The International Security Dimensions » dans E. Krahmann « New Actors and New
Issues in International Security », London, Pelgrave, 2005, p. 26.
58
la mission et les conséquences impliquées pour la population locale ainsi que celle du pays
d’origine.
S’il est reconnu par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine et l’Organisation
mondiale de la santé que le pays possède un taux de contamination relativement bas 198, les
organismes de dépistage dénoncent tous le manque d’outils et de moyens pour mesurer plus
efficacement les taux d’infection et d’utilisation de drogue chez les victimes de la traite. Selon
l’OIM199, une grande majorité de ces victimes sont en effet porteuses de maladies
sexuellement transmissibles (principalement la syphillis et le SIDA). Considérant
l’intensification du commerce sexuel en Europe de l’Est et dans la région des Balkans (le taux
y augmente de façon plus rapide que dans le reste du monde) et les différents scandales
impliquant certains membres du GIP dans les réseaux transnationaux de la traite, il est donc
étonnant qu’aucune étude ne soit disponible sur les possibilités de diffusion du virus à
l’intérieur et à l’extérieur du pays. Selon S. Elbe, il aurait été primordial de mesurer l’étendue
de l’infection au sein des membres du GIP lorsque l’on sait que certains des officiers de
police ont été rapatriés ou redéployés au sein d’autres missions (particulièrement au
Kosovo)200. De plus, la situation en Bosnie-Hérzégovine se démarque des missions de
maintien de la paix en Afrique étudiées : en effet, la plupart des contaminations en Afrique ne
sont pas le résultat d’interactions entre les forces onusiennes et des femmes victimes de la
traite. La dimension transnationale observable en Bosnie-Herzégovine ne transparait donc pas
dans les pays africains étudiés.
Comme il existe de fortes chances que l’implication du GIP dans les réseaux de la
traite ait été sous-estimée, il est plus qu’inquiétant qu’aucune enquête ne puisse évaluer
clairement la responsabilité du personnel onusien dans la propagation d’une maladie si
dévastatrice au sein des contingents onusiens et de la population locale. La plupart des
victimes de la traite ayant été rapatriées et les membres du GIP ayant été redéployés, il semble
aujourd’hui impossible de tenter une telle étude. Soulignons qu’il n’existe toujours pas, à ce
jour, d’études systématiques des taux de contamination par le virus du SIDA, au sein du
Département des opérations de maintien de la paix : les rôles et responsabilités des différentes
agences onusiennes ne sont pas clarifiés, empêchant toute coopération efficace sur le sujet.
198
S. Elbe « HIV/AIDS : The International Security Dimensions » dans E. Krahmann New Actors and New
Issues in International Security , London, Pelgrave, 2005.
199
Victims of Trafficking in the Balkans: A Study of Trafficking in Women and Children for Sexual Exploitation
to, through and from the Balkan Region, International Office of Migration (IOM). Genève, 2001.
200
S. E. Mendelson, « Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans », CSIS
Report, Washington February 2005.
59
Il semble que la réaction de déni et de minimisation des abus sexuels observés au sein
du GIP aient grandement joué dans ce manque de statistiques, statistiques qui auraient
pourtant été précieuses pour éviter de nouveaux scandales au Kosovo. En effet, la MINUBH a
notamment refusé de participer au Groupe de travail (« Theme group ») des Nations unies sur la
propagation du SIDA au sein des missions de maintien de la paix créé en 2001
201
. Il est possible que
ce déni soit toujours d’actualité pour le Département des opérations de maintien de la paix
pour qui il serait embarassant de faire face aux conséquences des exactions des officiers du
GIP plus de dix ans plus tard. En effet, cela créérait un précédent qui ouvrirait la porte à un
grand nombre de requêtes de réparations de la part d’anciens pays hôtes : les contaminations
pourraient ainsi remonter jusqu’aux premières grandes missions de maintien de la paix dans
les années 1960.
La consommation de services sexuels auprès de femmes issues de la traite aurait donc
de graves conséquences sanitaires et sécuritaires à court et long-terme, principalement pour la
population locale ainsi que celle du prochain pays hôte où les membres du GIP seront
redéployés. Si ces conséquences sont beaucoup moins visibles et plus difficiles à mesurer que
celles générées par trois années de guerre dans le pays, elles n’en restent pas moins
importantes. Les dix années qui suivent l’intervention en Bosnie-Herzégovine seront donc
déterminantes pour améliorer la production systématique d’études et de statistiques sur la
relation entre les forces de maintien de la paix et la diffusion du virus du SIDA.
À la lumière des exactions commises par certains membres du GIP et de la réaction du
Département des opérations de maintien de la paix, il semble bien que l’inverse des effets
escomptés lors de la création de la mission de police civile ait été produit. Les différentes
violations des droits de l’homme commises ainsi que la menace posée par la diffusion du
virus du SIDA semblent en effet avoir érigé le GIP et la MINUBH en obstacle à leur propre
fonctionnement. Ainsi le personnel du GIP a cessé d’être au service de la population locale
pour suivre ses propres intérêts. Passant un seuil critique, ce dernier a cessé d’être efficace et
n’a pu remplir l’ensemble des buts fixés en 1995. Pour une institution supposée représenter un
modèle en termes de moralité, de justice internationale et de défense des droits de l’homme, la
situation contradictoire créée en Bosnie-Herzégovine se révèle donc lourde de sens.
201
Revised mission report, «UNAIDS Joint Mission on HIV/AIDS and Peacekeeping », UNMIK & UNMIBH,
p. 36.
60
Conclusion
« Le succès d’une mission [de maintien de la paix] et la crédibilité de l’Organisation ne
tient parfois qu’à ce que font ou ne font pas quelques individus202 ».
Ces quelques mots publiés en 2000 dans le rapport du Groupe d’étude sur les opérations
de maintien de la paix (ou Rapport Brahimi), groupe formé par l’ONU afin de recenser les
défaillances du système existant, démontrent bien que le Département des opérations de
maintien de la paix a souffert de la vague d’abus sexuels et de corruption commise par ses
forces au cours de la décennie passée. La mission de police civile en Bosnie-Herzégovine ne
fait pas exception à la règle : le comportement irrespectueux et inapproprié d’une minorité
d’officiers du GIP dans ce pays en pleine transition démocratique a en effet entâché
l’ensemble du personnel, son autorité morale ainsi que ses méthodes, mettant ainsi en cause la
légitimité même de leur présence sur le terrain.
Mais contrairement au reste des scandales observés en Afrique centrale ou de l’Ouest,
l’origine de ces comportements inappropriés semble remonter à l’intervention onusienne
durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. En effet, la présence de la FORPRONU a
grandement facilité l’avènement des réseaux de contrebande et l’intensification du marché
noir, permettant à toute une frange criminelle de devenir la nouvelle élite économique et
politique du pays. Cette nouvelle élite, décelant rapidement les opportunités financières qui
s’offrent à elle lors de la phase de reconstruction du pays, profite de la présence onnusienne
pour se reconvertir et investir dans l’un des commerces les plus florissants depuis la chute de
l’Union soviétique : la traite des êtres humains. En se retirant en 1995, la FORPRONU lègue
donc au Groupe international de police un héritage particulièrement dangereux et ambivalent.
Incapable de « réparer » ou du moins d’atténuer ce que la FORPRONU avait contribué à
créér, à savoir l’une des plaques tournantes de la traite des femmes les plus influentes au
monde, le GIP perpétue au contraire le climat d’impunité et de corruption qui a ravagé le pays
durant la guerre. Certains membres de ce Groupe génèrent, alimentent, protègent et profitent
202
Rapport du groupe d’études sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations Unies, A/55/305S/2000/809, 20 août 2000, p. 55.
61
de ce nouveau commerce afin de satisfaire leur demande de services sexuels, profitant de
l’immunité quasi-absolue qui leur est accordée ainsi que de la grande tolérance qui règne au
sein du contingeant face au recours à la prostitution. Les exactions des membres du GIP
semblent également se démarquer du reste des scandales dénoncés dans les années 2000 en ce
qui concerne la nature des activités pratiquées. En effet, s’il est extrêmement difficile
d’évaluer l’ampleur de la participation des forces de police du GIP dans les réseaux de la
traite, il est cependant possible de déterminer le type d’activités auxquelles certains officiers
se seraient livrés, entre 1995 et 2002. Loin de se limiter à la consommation de services
sexuels au sein de maisons closes, de bars ou de night clubs du pays, certains adoptent la
fonction plus rentable de « facilitateur » de la traite. Se rapprochant dangereusement du profil
d’un trafiquant, ces membres du GIP font donc ressortir un nouveau type d’abus, moins direct
et plus sécurisé, bien plus difficile à détecter.
Face à ces différents types d’abus, le commandement du GIP, de la MINUBH et le
Département des opérations de maintien de la paix sont très réticents à reconnaître la
responsabilité onusienne dans l’émergence et le support des réseaux de la traite dans le pays.
L’incompréhension du phénomène de la traite ainsi que son assimilation erronée à la
prostitution consentante au sein de ces trois entités expliquent en grande partie pourquoi ces
dernières refusent de s’attaquer au problème et tentent même, pendant plusieurs années, d’en
minimiser l’ampleur en étouffant des preuves incriminantes et en écartant différents lanceurs
d’alerte, dont Kathryn Bolkovac. Ainsi, les femmes issues de la traite ne sont pas considérées
comme des victimes exploitées par des trafiquants mais comme des migrantes irrégulières, ne
présentant pas de réelle urgence ni pour la Bosnie-Herzégovine, ni pour la mission. Ce n’est
qu’en 2001 que le Département des opérations de maintien de la paix, en proie à une profonde
crise de légitimité face aux différents scandales d’abus sexuels au Cambodge, en Sierra
Leone, en République démocratique du Congo et au Timor oriental lance une politique de
« tolérance 0 » à l’encontre du phénomène de la traite, véritable stratégie de communication
afin de regagner la confiance du public. Mais loin de constituer un plan d’action global pour
prévenir et combattre toute interaction entre les forces onusiennes et les réseaux de la traite,
cette politique ne fait que détourner l’attention durant quelques mois, jusqu’au départ définitif
du GIP en décembre 2002.
Malgré l’impossibilité de déterminer si les officiers de police impliqués dans les réseaux
de la traite étaient conscients ou non des risques sanitaires (particulièrement la diffusion du
virus de SIDA) auxquels ils soumettaient la mission et la population locale, il est évident que
les différentes violations des droits de l’homme et du code de conduite onusien rentrent en
62
contradiction avec les objectifs de la mission et les idéaux défendus par l’ONU depuis sa
création. S’il est difficile, encore aujourd’hui, de dresser un bilan complet des améliorations
apportées par le GIP en Bosnie-Herzégovine (et il ne fait pas de doute que certaines domaines
d’action ont bénéficié de retombées positives), il semble que la mission de lutte contre la
corruption, de facilitation de la transition démocratique et de prévention de toute violation des
droits de l’homme se soit révélée, dès 1998, relativement contre-productive. En effet, les abus
perpétrés par certains membres du GIP ont perpétué le triste héritage de la guerre en matière
de violation des droits des femmes et renforcé le pouvoir des élites criminelles du pays, élites
qui sont précisément celles qui s’opposent à l’instauration d’un environnement stable et
sécurisé dans la région des Balkans.
Notons que la fin de la mission en Bosnie-Herzégovine ne signifie pas la fin des abus
sexuels au sein des forces onusiennes : ainsi, des cas d’exploitation, de viol et d’agression
sexuelle apparaissent en Côte d’Ivoire en 2003, au Kosovo en 2004 et en Haïti en 2007 203.
L’histoire semble donc se répéter inlassablement, sans qu’aucune condamnation pénale ne
soit appliquée par l’ONU ou les Etats contributeurs. De nombreux experts et organisations de
défense des droits de l’homme se disent très préoccupés par ce qui se passe, à huis clos, au
sein des 16 opérations de maintien de la paix dans le monde aujourd’hui.
Il semble que les différents scandales en Bosnie-Herzégovine aient eu lieu trop tôt et de
façon trop atténuée face à la série d’abus sexuels qui suit la fin de la mission, empêchant ainsi
l’ONU, les pays contributeurs et les pays hôtes d’en tirer les leçons appropriées. Si entre 2003
et 2004, une certaine volonté de rédemption transparaît dans la mise en place de nouvelles
formations sur les abus sexuels, dans l’adoption d’une circulaire portant spécifiquement sur
leur prévention204 et dans la création d’unités de genre au sein de chaque mission de maitien
de la paix, l’ONU reste, paradoxalement, très fataliste quant aux interactions entre son
personnel et le commerce du sexe. La même année, le Département des opérations de
maintien de la paix écrit en effet dans son rapport sur la traite des êtres humains que chaque
mission devrait « s’attendre à ce que le crime organisé profite de la présence de forces
onusiennes » 205. Un tel fatalisme apparaît inacceptable au sein d’une organisation supposée
montrer l’exemple en termes de défense des droits de l’homme : s’il est normal, voire attendu,
que les forces onusiennes prennent part à la vie culturelle et économique du pays, leur autorité
203
N. Mac Farquhar, « Peacekeepers’ Sex Scandals Linger, On Screen and Off », The New York Times, 9
février 2009.
204
Circulaire du Secrétariat général de l’ONU ST/SGB/2003/13 de 2003 qui s’inscrit dans la « Stratégie
d’ensemble du Département des opération des maintien de la paix visant à éliminer l’exploitation et les abus
sexuels », voir http://www.un.org/french/peace/cdt/strategy.shtml
205
« Human trafficking policy paper », DPKO Policy Paper, mars 2004, paragraphe 6.
63
morale doit être sans faille afin d’éviter que « l’insécurité vécue au quotidien par la population
locale [qu’ils souhaitent aider] ne s’accentue à la faveur de la paix »206.
Mais si « l’ingénierie de la paix »207 de l’ONU appliquée en Bosnie-Herzégovine a fait
très peu cas des réalités locales et si cette dernière s’est révélée incapable de gérer
efficacement les différents scandales d’abus et d’exploitation, il faut tout de même mettre en
perspective la responsabilité de l’Organisation : elle n’est, après tout, qu’un « microcosme du
monde réel des gouvernements et de leurs politiques »208. En effet, le problème ne réside peutêtre pas tant dans la capacité théorique de l’ONU que dans la capacité pratique des États
contributeurs. Ces derniers semblent se cacher derrière l’entité onusienne qui doit, de façon
constante, composer avec les différents intérêts étatiques afin de maximiser les quotas de
recrutement.
206
P. Lavigne-Delville, « Béatrice Pouligny, Ils nous avaient promis la paix. Opérations de l'ONU et populations
locales, Tiers-Monde, Année 2005, Volume 46, Numéro 184, p. 931.
207
Ibid.
208
O. A. Otunnu, “Préserver la légitimité de l’action des nations Unies” dans Politique étrangère, n°3, 1993 - 58e
année, p. 597.
64
Annexes
Annexe 1. Annexe 11 des Accords de paix de Dayton portant sur la création de la
mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine .................................................... 66
Annexe 2. Différentes localisations des unités du Groupe international de police ........
................................................................................................................................. 70
Annexe 3. Protocole additionnel à la Convention internationale des Nations unies
contre la crminaltité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la
traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants................................... 71
65
Annexe 1
Annexe n° 11 des Accords de paix de Dayton portant sur la creation de la Mission
des Nations unies en Bosnie-Herzégovine
Text of Dayton Peace Agreement documents initialed in Dayton, Ohio on November 21, 1995
and signed in Paris on December 14, 1995. The Agreement is known as the Dayton Peace
Accords. The following text was released by the Office of the Spokesman, December 1, 1995.
The Republic of Bosnia and Herzegovina, the Federation of Bosnia and Herzegovina, and the
Republika Srpska (the "Parties") have agreed as follows:
Article I
Civilian Law Enforcement
1. As provided in Article III(2)(c) of the Constitution agreed as Annex 4 to the General
Framework Agreement, the Parties shall provide a safe and secure environment for all persons
in their respective jurisdictions, by maintaining civilian law enforcement agencies operating
in accordance with internationally recognized standards and with respect for internationally
recognized human rights and fundamental freedoms, and by taking such other measures as
appropriate.
2. To assist them in meeting their obligations, the Parties request that the United Nations
establish by a decision of the Security Council, as a UNCIVPOL operation, a U.N.
International Police Task Force (IPTF) to carry out, throughout Bosnia and Herzegovina, the
program of assistance the elements of which are described in Article III below.
Article II
Establishment of the IPTF
1. The IPTF shall be autonomous with regard to the execution of its functions under this
Agreement. Its activities will be coordinated through the High Representative described in
Annex 10 to the General Framework Agreement.
2. The IPTF will be headed by a Commissioner, who will be appointed by the Secretary
General of the United Nations in consultation with the Security Council. It shall consist of
persons of high moral standing who have experience in law enforcement. The IPTF
66
Commissioner may request and accept personnel, resources, and assistance from states and
international and nongovernmental organizations.
3. The IPTF Commissioner shall receive guidance from the High Representative.
4. The IPTF Commissioner shall periodically report on matters within his or her responsibility
to the High Representative, the Secretary General of the United Nations, and shall provide
information to the IFOR Commander and, as he or she deems appropriate, other institutions
and agencies.
5. The IPTF shall at all times act in accordance with internationally recognized standards and
with respect for internationally recognized human rights and fundamental freedoms, and shall
respect, consistent with the IPTF's responsibilities, the laws and customs of the host country.
6. The Parties shall accord the IPTF Commissioner, IPTF personnel, and their families the
privileges and immunities described in Sections 18 and 19 of the 1946 Convention on the
Privileges and Immunities of the United Nations. In particular, they shall enjoy inviolability,
shall not be subject to any form of arrest or detention, and shall have absolute immunity from
criminal jurisdiction. IPTF personnel shall remain subject to penalties and sanctions under
applicable laws and regulations of the United Nations and other states.
7. The IPTF and its premises, archives, and other property shall be accorded the same
privileges and immunities, including inviolability, as are described in Articles II and III of the
1946 Convention on the Privileges and Immunities of the United Nations.
8. In order to promote the coordination by the High Representative of IPTF activities with
those of other civilian organizations and agencies and of the (IFOR), the IPTF Commissioner
or his or her representatives may attend meetings of the Joint Civilian Commission
established in Annex 10 to the General Framework Agreement and of the Joint Military
Commission established in Annex 1, as well as meetings of their subordinate commissions.
The IPTF Commissioner may request that meetings of appropriate commissions be convened
to discuss issues within his or her area of responsibility.
Article III
IPTF Assistance Program
1. IPTF assistance includes the following elements, to be provided in a program designed and
implemented by the IPTF Commissioner in accordance with the Security Council decision
described in Article I(2):
(a) monitoring, observing, and inspecting law enforcement activities and facilities,
including associated judicial organizations, structures, and proceedings;
(b) advising law enforcement personnel and forces;
(c) training law enforcement personnel;
67
(d) facilitating, within the IPTF' s mission of assistance, the Parties' law enforcement
activities;
(e) assessing threats to public order and advising on the capability of law enforcement
agencies to deal with such threats.
(f) advising governmental authorities in Bosnia and Herzegovina on the organization
of effective civilian law enforcement agencies; and
(g) assisting by accompanying the Parties' law enforcement personnel as they carry out
their responsibilities, as the IPTF deems appropriate.
2. In addition to the elements of the assistance program set forth in paragraph 1, the IPTF will
consider, consistent with its responsibilities and resources, requests from the Parties or law
enforcement agencies in Bosnia and Herzegovina for assistance described in paragraph 1.
3. The Parties confirm their particular responsibility to ensure the existence of social
conditions for free and fair elections, including the protection of international personnel in
Bosnia and Herzegovina in connection with the elections provided for in Annex 3 to the
General Framework Agreement. They request the IPTF to give priority to assisting the Parties
in carrying out this responsibility.
Article IV
Specific Responsibilities of the Parties
1. The Parties shall cooperate fully with the IPTF and shall so instruct all their law
enforcement agencies.
2. Within 30 days after this Agreement enters into force, the Parties shall provide the IPTF
Commissioner or his or her designee with information on their law enforcement agencies,
including their size, location, and force structure. Upon request of the IPTF Commissioner,
they shall provide additional information, including any training, operational, or employment
and service records of law enforcement agencies and personnel.
3. The Parties shall not impede the movement of IPTF personnel or in any way hinder,
obstruct, or delay them in the performance of their responsibilities. They shall allow IPTF
personnel immediate and complete access to any site, person, activity, proceeding, record, or
other item or event in Bosnia and Herzegovina as requested by the IPTF in carrying out its
responsibilities under this Agreement. This shall include the right to monitor, observe, and
inspect any site or facility at which it believes that police, law enforcement, detention, or
judicial activities are taking place.
4. Upon request by the IPTF, the Parties shall make available for training qualified personnel,
who are expected to take up law enforcement duties immediately following such training.
5. The Parties shall facilitate the operations of the IPTF in Bosnia and Herzegovina, including
by the provision of appropriate assistance as requested with regard to transportation,
subsistence, accommodations, communications, and other facilities at rates equivalent to those
provided for the IFOR under applicable agreements.
68
Article V
Failure to Cooperate
1. Any obstruction of or interference with IPTF activities, failure or refusal to comply with an
IPTF request, or other failure to meet the Parties' responsibilities or other obligations in this
Agreement, shall constitute a failure to cooperate with the IPTF.
2. The IPTF Commissioner will notify the High Representative and inform the IFOR
Commander of failures to cooperate with the IPTF. The IPTF Commissioner may request
thatthe High Representative take appropriate steps upon receiving such notifications,
including calling such failures to the attention of the Parties, convening the Joint Civilian
Commission, and consulting with the United Nations, relevant states, and international
organizations on further responses.
Article VI
Human Rights
1. When IPTF personnel learn of credible information concerning violations of internationally
recognized human rights or fundamental freedoms or of the role of law enforcement officials
or forces in such violations, they shall provide such information to the Human Rights
Commission established in Annex 6 to the General Framework Agreement, the International
Tribunal for the Former Yugoslavia, or to other appropriate organizations.
2. The Parties shall cooperate with investigations of law enforcement forces and officials by
the organizations described in paragraph 1.
Article VII
Application
This Agreement applies throughout Bosnia and Herzegovina to law enforcement agencies and
personnel of Bosnia and Herzegovina, the Entities, and any agency, subdivision, or
instrumentality thereof. Law enforcement agencies are those with a mandate including law
enforcement, criminal investigations, public and state security, or detention or judicial
activities.
Article VIII
Entry into Force
This Agreement shall enter into force upon signature.
For the Republic of Bosnia and Herzegovina
For the Federation of Bosnia and Herzegovina
For the Republika Srpska
69
Annexe 2
Différentes localisations des unités du Groupe international de police
Source :
http://www.cvce.eu/obj/les_accords_de_paix_de_dayton_paris_21_novembre_1995-fr-
b87f31f6-2c03-420c-8689-6cb134732335.html
70
Annexe 3
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
Bibliographie
Articles:
Agathangelou A. M et Ling, L. H. M, «Desire industries: Sex trafficking, UN peacekeeping
and the neo-liberal world order », Brown Journal of Affairs, Vol. 10, Issue 1, Automne 2000,
p 133-148
Allred. K, « How Deployed Forces Fuel the Demand for Trafficked Women and New Hope
for Stopping It », Armed Forces and Society, vol. 33, n° 5
Andreas P., «The clandestine political economy of war and peace in Bosnia», International
Studies Quarterly, Vol.48, 2004, p 29-51
Andreas P., «Criminalizing consequences of sanctions: embargo busting and its legacy »,
International Studies Quarterly, Vol 49, 2005, p 335-360
Elbe S., «HIV/AIDS: The International Security Dimensions » dans E. Krahmann New Actors
and New Issues in International Security, London, Pelgrave, 2005, p 111-130
Haynes D. F, « Lessons from Bosnia’s Arizona market: harm to women in a neoliberalized
postconflict reconstruction process », University of Pennsylvania Law Review, Vol. 158, p
1779-1804
Klopcic A. « Trafficking in human beings in transition and post-conflict countries », Human
Security perspectives, Vol. 1, issue 1, 2004
Lavigne-Delville P., « Béatrice Pouligny, Ils nous avaient promis la paix. Opérations de
l'ONU et populations locales, Tiers-Monde », Année 2005, Volume 46, Numéro 184, p. 929 932
Lecourtois S., « Exploitation et abus sexuels par le personnel des Nations unies : le cas de la
MONUC », Bulletin du maintien de la paix, n°93, mars 2009
82
Martin-Bidou P., Les mesures d’embargo prises à l’encontre de la Yougoslavie dans l’Annuaire
français de droit international, Vol. 30, n°39. Editions du CNRS, Paris, 1993, pp 232-285
Poulin R., «Le système de la prostitution militaire en Corée du Sud, Thaïlande et aux
Philippines », Bulletin d’histoire politique, Vol.15, n°1, Automne 2006, p 81-92
Rees M., «Markets, migration and forced prostitution» dans Humanitarian Exchange
Magazine, June 1999, p 2-4
Smith C. A et Smith H. M, “Human trafficking: the unintended effects of United nations
intervention”, International Political Science Review, Vol.32, Novembre 2010, p 125-145
Smith C. A et De la Cuesta B. M, «Human trafficking in conflict zones, the role of
peacekeepers in the formation of networks», Human Rights Review, Vol. 12, Issue 3, 2011, p
287-299
Vandenberg M., «Peacekeeping and Rule Breaking: United Nations Anti-Trafficking Policy
in Bosnia-Herzegovina», dans R. H. Friman and S. Rich, Human Trafficking, Human
Security, and the Balkans, University of Pittsburgh Press, 2007
Rapports:
Limanowska B., Trafficking in Human Beings in South Eastern Europe, UNICEF,
UNOHCHR, OSCE/ODIHR, New York, 2002
Mendelson S. E, Barracks and brothels, peacekeepers and human trafficking in the Balkans,
Center for Strategic and International Studies (CSIS) Report, Washington, Février 2005
Vandenberg M., Hopes Betrayed: Trafficking of Women and Girls to Post-Conflict Bosnia
and Herzegovina for Forced Prostitution, Human Rights Watch, Vol. 14, No. 9 (D), New
York, Novembre 2002
Changing Patterns and Trends of Trafficking in Persons Within, To and Through the Balkan
Region, Organisation internationale pour les migrations, Genève, Mai 2004
83
Commentaires du Comité sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard
des femmes: Bosnie-Herzégovine, rapport spécial A/49/38, 13ème session, 17 janvier - 4 février
1994
Human trafficking and United nations peacekeeping, Department of peacekeeping operations
(DPKO) Policy paper, Mars 2004
Partners in crime, the risk of symbiosis between the security sector and organized crime in
southeast Europe, Center for the study of democracy, Sofia, 2004
Report of the Secretary-General on the United nations mission in Bosnia Herzegovina, 2002
Rapport du groupe d’études sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations Unies,
A/55/305- S/2000/809, 20 août 2000
Trafficking, Slavery, and Peacekeeping, the need for a Comprehensive Training Program, a
Conference Report, UNICRI, Turin 2002
UNAIDS joint mission on HIV/AIDS and Peacekeeping: UNMIK & UNMIB, UNAIDS,
UNFPA and DPKO, Revised mission report, Novembre 2001
United Nations Human Trafficking Position Paper, Mars 2004
Victims of Trafficking in the Balkans: A Study of Trafficking in Women and Children for
Sexual Exploitation to, through and from the Balkan Region, Organisation international pour
les migrations, Genève, 2001
Whose justice: the women of Bosnia and Herzegovina are still waiting, Rapport d’Amnesty
International, Septembre 2009
Ouvrages :
Andreas P., Blue helmets and black market, the business of survival in Sarajevo, Cornell
University Press, 2008
Bougarel X., “Entre prédation et production : l’économie du conflit bosniaque” dans J. C.
Ruffin et F. Jean Économie des guerres civiles, Paris, Hachette, 1995, p 233-268
84
Britt T.W et Adler A.B, The Psychology of the Peacekeeper : lessons from the field
(psychological dimensions of war and peace). Praeger, 2003
Chaslin F., Une haine monumentale, essai sur la destruction des villes en ex-Yougoslavie,
Descartes & Cie, 1997
Friman H.R, Human trafficking, human security and the Balkans , University of Pittsburgh
Press, 2007
Mazurana D., Raven-Roberts A. et Parpart A., Gender, Conflict, and Peacekeeping. Rowman
& Littlefield Publishers, Lanham, 2005
Saiget M., L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel ; crise de crédibilité et
changement en organisation internationale, L’Harmattan, 2012
Simic O., Regulation of sexual conduct in UN Peacekeeping operations, Springer,
Heidelberg, 2012
Simic O., « Boys will be boys : human traficking and UN Peacekeeping in Bosnia and
Kosovo »
dans
L. Holmes Trafficking and human rights : european and asia-pacific
perspectives, Edward Elgar Publishing Limited, Cheltenham, 2000
Sites internet:
Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine sur le site de l’Organisation des nations
unies, http://www.un.org/en/peacekeeping/missions/past/unmibh/mandate.html
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), http://www.icty.org
Service
de
la
déontologie
et
de
la
discipline
de
l’ONU,
http://www.un.org/french/peace/cdt/strategy.shtml
Articles de journaux :
Binder D. « Country report: Bosnia. In a postwar zone, the sex trade flourishes», MSNBC
News
85
Bird C., « UN tribunal told of rape camps horror », The Guardian, 21 avril 2000
Bowcott O., « Report reveals shame of UN peacekeepers », The Guardian, 25 mars 2005
Gutman R., « Rape Camps: Evidence Serb Leaders in Bosnia OKd Attacks », Newsday, 18
avril 1993
Mac Farquhar N., « Peacekeepers’ Sex Scandals Linger, On Screen and Off », The New York
Times, 9 février 2009
« UN Prostitution Scandal, the UN mission in Bosnia comes under fire for allegedly trying to
cover up a prostitution scandal », Institute for war and peace reporting, 20 juillet 2001
« Bosnia War Crimes: The rapes went on day and night : Robert Fisk, in Mostar, gathers
detailed evidence of the systematic sexual assaults on Muslim women by Serbian White Eagle
gunmen », The Independent, 8 févier 1993
Autres:
Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et protocoles s’y
rapportant, New York, 2004
« The U.N. and the Sex Slave Trade in Bosnia: Isolated Case or Larger Problem in the U.N.
System ? » Sous-comité sur les opérations internationales et les droits de l’homme de la
Chambre des représentants des Etats-Unis, n° 107-85, 24 avril 2002
86
Table des matières
Introduction ................................................................................................................1
PARTIE I. CRIMINALITÉ ORGANISÉE ET FORCES ONUSIENNES EN BOSNIEHERZÉGOVINE, UN TERRAIN FERTILE POUR DÉVELOPPER L’OFFRE ET LA
DEMANDE DE SERVICES SEXUELS................................................................................ 5
Chapitre 1. Intensification des réseaux de trafic en Bosnie-Herzégovine :
l’héritage de la guerre .............................................................................................. 5
Section 1. Criminalisation de l’économie de guerre et nouvelles élites : le passage d’une
économie de production à une économie d’assistance et de prédation ..............................6
A. Une décomposition économique avancée .................................................................6
B. « Défenseurs-prédateurs » et « mafia patriotique », les nouvelles élites organisant le
trafic en Bosnie ..............................................................................................................7
C. Les casques bleus en symbiose avec l’économie de guerre..................................... 10
Section 2. La fin de la guerre ou l’avènement de la traite sexuelle : la reconversion des
nouvelles élites criminelles du pays .............................................................................. 11
A. Dysfonctionnements politiques et production anémique: l’occasion rêvée pour une
reconversion des nouvelles élites .................................................................................. 12
B. La traite des femmes dans la région des Balkans .................................................... 13
C. La Bosnie-Herzégovine, premier pays de destination de la traite de la région ......... 14
Chapitre 2. Le lien entre la traite sexuelle, la prostitution et la force de police
internationale des Nations Unies ........................................................................... 15
Section 1. La création de la force de police internationale: convergence d’une offre et
d’une demande de services sexuels en toute impunité ................................................... 16
A. Les Accords de Dayton et le Groupe international de police des Nations Unies :
immunité ou impunité ? ................................................................................................ 16
B. Constitution d’une offre et d’une demande de services sexuels : « le marché de la
paix » ........................................................................................................................... 18
Section 2. Les différents niveaux d’implication du GIP dans la traite sexuelle : action
d’une minorité ou participation sous-estimée ? ............................................................. 20
A. Consommateurs au sein de maisons closes et de résidences privées ....................... 21
B. L’implication directe dans l’organisation de la traite: la face moins connue de
l’implication onusienne ................................................................................................ 23
87
C. Une participation sous-estimée ? ............................................................................ 25
PARTIE II. LA RÉPONSE ONUSIENNE FACE À UN PROBLÈME
DÉRANGEANT ................................................................................................................ 28
Chapitre 1. Un problème non reconnu est un problème qui n’existe pas : le déni
onusien ou la « dynamique de l’invisibilité » ............................................................ 28
Section 1. L’incompréhension du phénomène de la traite .............................................. 29
A. L’assimilation erronée entre traite sexuelle et prostitution ou « l’erreur fondamentale
d’attribution » .............................................................................................................. 29
B. Le problème du consentement dans la construction de la définition appliquée par le
GIP ............................................................................................................................... 30
C. Une confrontation des liens entre les réseaux de la traite et le GIP trop douloureuse :
le « syndrome de l’homme et de l’institution honorable » ............................................. 32
Section 2. « Les hommes seront toujours les mêmes » : le jugement atténué de la traite en
Bosnie-Herzégovine ..................................................................................................... 33
A. La culture onusienne ou la tolérance vis-à-vis de la traite ....................................... 33
B. La culture balkanique ou la corruption comme mode de vie ................................... 35
Chapitre 2. Faux semblants et punitions expéditives ................................................. 36
Section 1. Le manque de transparence juridique : affaires étouffées et enquêtes entravées
37
A. Des preuves incriminantes supprimées .................................................................. 37
B. Des lanceurs d’alerte écartés.................................................................................. 39
Section 2. Rapatriements discrets et absence de poursuites pénales ............................... 40
Chapitre 3. La politique de la « tolérance 0 » : stratégie « marketing » face à une
profonde crise de légitimité ...................................................................................... 43
Section 1. Crise de légitimité internationale et perte de confiance de la population locale :
un problème trop difficile à ignorer ............................................................................... 43
Section 2. Sensibilisation et lutte pro active contre la traite : des initiatives de façade ... 45
A. Une prise de conscience orchestrée pour rassurer le public 45
B. Le Programme spécial de lutte contre la traite des d'êtres humains (S.T.O.P) :
descentes, arrestation et statistiques détournant l’attention des problèmes internes du GIP
............................................................................................................................... 47
88
PARTIE III. LE PARADOXE ONUSIEN OU LA CONTRE-PRODUCTIVITÉ DE
LA MISSION DE POLICE EN BOSNIE-HERZÉGOVINE ........................................... 50
Chapitre 1. Défense et abus des droits humains : l’avers et le revers d’une même
médaille ................................................................................................................... 50
Section 1. Des actes en contradiction avec la mission de reconstruction démocratique .. 51
Section 2. Des actions lourdes de sens dans un pays marqué par la politique systématique
du viol .......................................................................................................................... 53
Chapitre 2. Une nouvelle menace contre la paix et la sécurité internationale engendrée
par les forces onusiennes : la propagation du SIDA .................................................. 55
Section 1. La relation entre la mission de maintien de la paix et la transmission du
virus de SIDA : une prise de consciente récente ....................................................... 55
Section 2. Le manque d’études sanitaires sur le personnel onusien déployé en BosnieHerzégovine ................................................................................................................. 58
Conclusion ......................................................................................................................... 61
Annexe ............................................................................................................................... 65
Bibliographie ..................................................................................................................... 82
89
Dans le contexte d’une difficile transition vers la démocratie après trois ans
d’affrontements contre les forces serbes, la Bosnie-Herzégovine accueille de 1995 à 2002 une
mission de police civile onusienne afin de rétablir l’État de droit dans le pays dominé par la
crminialité organisée et la corruption. Le Groupe international de police (GIP), créé lors de la
signature des Accords de paix de Dayton en 1995 déploie donc près de 1400 officiers de
police chargés de restructurer les autorités locales et de prévenir toute violation des droits de
l’homme, sur une période de six ans. Incapables de réparer ou du moins d’atténuer
l’avènement des nouvelles élites criminelles du pays, grandement facilité par la force de
maitien de la paix déployée durant le conflit (1992-1995), le GIP intensifie, alimente et
soutient l’un des commerces les plus florissants en Europe de l’Est : la traite des femmes. Il
est en effet prouvé qu’entre 1995 et 2002, une vingtaine d’officiers de police ont été
impliqués, de façon directe ou indirecte, dans les réseaux de la traite des femmes du pays,
entâchant ainsi l’ensemble du personnel, son autorité morale ainsi que ses méthodes et
perpétuant le climat d’instabilité dans la région. Loin d’avoir rempli les objectifs de la mission
qui leur a été confiée, le GIP semble avoir cessé d’être au service de la population locale pour
suivre ses propres intérêts, cessant ainsi d’être efficace. Pour une force supposée représenter
un modèle en termes de moralité, de justice internationale et de défense des droits de
l’homme, la situation contradictoire créée en Bosnie-Herzégovine se révèle donc lourde de
sens et particulièrement contre productive, plaçant le Département des opérations de maintien
de la paix dans une profonde crise de légitimité.
Mots clés : Organisation des nations unies, traite des femmes, criminalité organisée,
prostitution forcée, Bosnie-Herzégovine, transition démocratique