FRANZ LISZT 1811-1886 Le piano fit sa gloire, le génie son
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FRANZ LISZT 1811-1886 Le piano fit sa gloire, le génie son
FRANZ LISZT 1811-1886 Le piano fit sa gloire, le génie son immortalité… par FRANCIS ALBOU, professeur agrégé de musicologie Franz Liszt est en effet l’une des figures majeures du Romantisme musical et l’un des plus grands novateurs de la musique occidentale, à l’instar d’un Machaut, d’un Monteverdi ou d’un Beethoven. A dire vrai, ce moderniste effréné n’occupe peut-être pas la place qui devrait être la sienne, faute d’une diffusion éclectique d’un immense corpus dont seulement quelques aspects ont été popularisés. Avant tout, la virtuosité frénétique de sa musique pour piano a ravi les monstres du clavier qui ont fait du maître de Weimar leur indéfectible faire-valoir. Cette image est bien réductrice et il faut espérer que cette année du bicentenaire – à laquelle les Flâneries apportent leur fervente contribution- permettra d’affiner le portrait musical du compositeur. L’activité créatrice de Liszt s’est déployée dans des domaines aussi variés que l’écriture musicale (dont l’harmonie est un vecteur essentiel), la technique instrumentale, l’orchestration et, bien évidemment, la composition proprement dite. A ces activités créatrices, il faut ajouter l’extrême intérêt que Liszt prenait à faire connaître la musique de ses confrères, amis ou non, mais également des maîtres du passé tels que Bach, Mozart, Beethoven, Schubert… C’est à sa prodigieuse technique digitale que le maître doit sa réputation universelle. « Inventeur » du récital, il sillonna l’Europe en héros, repoussant en permanence les limites techniques du piano, lui octroyant une dimension symphonique, et sidérant tous ses auditeurs… de Beethoven à SaintSaëns. Aussi scrupuleux que l’était Chopin dans la clarté de l’articulation et l’indépendance des mains, il y glissait en sus une impétuosité, une fougue tout à fait inattendue au XIXème siècle. Ce jeu éblouissant, usant avec délices de toute l’étendue du clavier, animera bientôt les grandes pages pianistiques d’un Debussy et d’un Messiaen. Compositeur prolixe (environ 700 œuvres), Liszt a donné au piano des chefs-d’œuvre aussi variés que les 19 Rhapsodies hongroises, la Sonate en si mineur, ou les Années de pèlerinage. Les Rhapsodies effroyablement difficiles ! - sont parfois jugées avec condescendance, tant elles caressent l’instinct populaire. C’est vite oublier qu’elles p 1/3 intègrent pour la première fois dans la musique « savante » des éléments ethniques magnifiant les joies et les drames du peuple… en l’occurrence celui d’Europe Centrale. Principe que reprendront au XXème siècle Bartók, Milhaud, Ravel et Piazzolla. Quant au flamboyant monolithe que représente la Sonate en si mineur, il renouvelle totalement la forme fétiche du XVIIIème siècle par une morphologie inédite conjuguée à une thématique unitaire originale qui développe dans ses extrêmes limites le concept du mono thématisme. L’orchestre fut l’un des moyens d’expression favoris de Liszt. Il en usa avec génie. Son gendre Richard Wagner ne se priva pas de lui ravir sans vergogne nombre de ses trouvailles… comme il le fit aussi dans le domaine de l’écriture harmonique ! A l’actif du compositeur, il faut noter l’invention (reprenant en cela les idées de son ami Berlioz) du « poème symphonique » qui scelle la sensuelle osmose entre le verbe et le son, entre le son et l’image… annonçant le processus du ballet et peut- être du cinéma ( ?). Les treize partitions symphonico-narratives de Liszt annoncent les deux grandes symphonies du maître évoquant, par le seul médium orchestral, les épopées de Dante et de Faust. E ina vY ard z roc en @ Balazs Bo e A nim he aE an V tern x a Brugge @ Ale e m Im an Jos v rs ee l@ Alex Vanhee J ay Go ttlie b œ Ch uid be rg @ DR ur Z Ar is sys ço n Bour a r gogne @ F Flâneries Musicales 2011 / tous droits réservés Face cachée du maître, la musique religieuse est inexplicablement occultée. Une soixantaine de pages dont les Messes de Gran, du Couronnement, des Motets, des Hymnes, des Psaumes, des méditations pour piano ou pour orgue, que dominent les deux admirables oratorios « La légende de Sainte Elisabeth » L’orchestre fut et « Christus » écrits au moment où Liszt l’un des moyens se décidait à devenir abbé. N’hésitant pas d’expression à citer le plain-chant, habilement mêlé à la favoris de Liszt. Il pureté palestrinienne et aux tournures en usa avec génie. compositeur tisse un les plus neuves, le lien ténu entre l’opéra (qu’il a délaissé depuis l’âge de treize ans) et l’oratorio, froidement abandonné par les Romantiques. A ces vastes architectures il faut joindre le poignant « Via Crucis » pour piano et chœur, sombre méditation aux reflets déjà expressionnistes. Il serait injuste sous prétexte que nous sommes loin de l’aura d’un Schubert ou d’un Schuman de ne pas s’arrêter sur les quelques 80 lieder ou mélodies que Liszt composa sur des textes allemands (Gœthe), français (Hugo et Gautier) ou italiens et qui recèlent de pures merveilles tant au niveau musical qu’à celui de l’expression. D’une générosité sans faille, d’une profonde humanité, - cela est beaucoup moins connu -Liszt a consacré une grande partie de son temps et de son génie à la diffusion des ouvrages d’autrui. Compositeurs du passé ou collègues contemporains, Liszt a permis de faire connaître et apprécier des pans entiers de la musique occidentale. Il faut bien observer qu’au XIXème siècle, ni radio, ni enregistrements ne permettaient de divulguer la musique. La seule manière de l’approcher en dehors du concert ou du spectacle était donc de la faire vivre par des adaptations que l’on interprétait dans les salons. Sur les 686 opus de Franz Liszt, 335 sont des transcriptions ! Ces pages venues d’ailleurs se répartissent en plusieurs catégories qu’il convient de bien distinguer. p 2/3 Tout d’abord les transcriptions pour piano proprement dites où Liszt ne s’autorise aucune fantaisie : les 9 symphonies de Beethoven, des pages de Mozart, plusieurs grands diptyques pour orgue de J.S. Bach, auxquels il faudrait joindre des lieder de Schubert, des mélodies de Chopin, la Symphonie Fantastique de Berlioz, le « Prélude et mort d’Isolde » de Wagner… On trouve également d’autres formes de « variations » que Liszt a parfois appelées « réminiscences » dans lesquelles il construit une œuvre magnifiant le souvenir d’une représentation d’opéra : Mozart, Bellini, Donizetti, Meyerbeer, Verdi sont alors ses inspirateurs. Ailleurs encore, il subtilise un thème à un confrère et en fait la substantifique mœlle d’une vaste composition en forme de variations. Ainsi naquirent deux des grandes partitions pour orgue, les « Variations sur Weiner, Klagen, Sorgen, Sagen », d’après le chœur d’entrée de la cantate BWV 12 de Bach, et la grande « Fantaisie et fugue sur « Ad nos ad salutarem undam » fondée sur le choral de l’opéra « Le Prophète » de Meyerbeer et si proche dans sa conception de la sonate en si mineur ! La plus grande partie du succès de Liszt était due, en son temps, à ces paraphrases qui électrisaient le public des salons, épris d’opéras à la mode. C’est au piano que le vieux Liszt, tonsuré, soutané… confie ses ultimes méditations musicales. Mais quelle musique ! Les rythmes se simplifient et la tonalité se désagrège peu à peu. Le XXe siècle s’annonce et la musique atonale point à l’horizon. « La lugubre gondole », « Disastro », « Nuages gris », « Bagatelle sans tonalité »… Le virtuose se tait peu à peu. Le prophète parle. Jamais il ne cessera de nous interpeler. Flâneries Musicales 2011 / tous droits réservés p 3/3