Qu`est-ce qu`un mot abstrait

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Qu`est-ce qu`un mot abstrait
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Ecole Normale Supérieure
Université Pierre-et-Marie-Curie
Ecole Polytechnique
DEA de sciences cognitives
Qu’est-ce qu’un mot abstrait ?
Nicolas Baumard
Sous la direction de :
Anne-Catherine Bachoud-Lévi et Dan Sperber
Session de juin 2003
Sommaire
1.
2.
Introduction : les mots abstraits existent-ils ? ....................................................................2
La notion d’abstraction.......................................................................................................4
2.1 Hypothèse classique : les abstraits ne constituent pas une catégorie .............................4
Expérience 1 : cotation de concrétude et d’imageabilité....................................................5
2.2 Comment les abstraits peuvent constituer une catégorie..................................................7
Dimension 1) Généralité.....................................................................................................7
Dimension 2) Domaine social ............................................................................................7
Dimension 3) Verbe/nom ...................................................................................................8
Dimension 4) Détecteurs ....................................................................................................8
Discussion sur les dimensions ..........................................................................................10
2.3 Expérience 2 : Mettre en évidence l’existence des mots abstraits comme catégorie chez
des sujets contrôles à l’aide de la dimension détecteurs.......................................................11
Objectifs de l ‘expérience : double dissociation artificielle .............................................11
Méthode ............................................................................................................................12
Résultats............................................................................................................................14
Discussion.........................................................................................................................14
3. Etude des mots abstraits : application à des patients atteints de maladie de Huntington
(MH) et des aphasiques ............................................................................................................16
3.1 Objectifs de l’étude.......................................................................................................16
3.2 La maladie de Huntington et l’atteinte des mots abstraits............................................16
Les troubles du langage dans la maladie de Huntington ..................................................16
Le rôle des circuits fronto-striataux dans la manipulation des mots abstraits ..................18
3.3 Méthodes ......................................................................................................................19
Protocole expérimental .....................................................................................................19
Sujets ............................................................................................................................21
Analyses statistiques.....................................................................................................22
3.4 Expériences 3a, 3b et 3c : généralité (modalité orale et visuelle) ................................23
Expérience 3a : généralité en dénomination d’images .................................................23
Expérience 3b : généralité (contrôle des concepts) ......................................................26
Expérience 3c : généralité en définition .......................................................................27
Discussion des Expériences 3a, 3b et 3c ......................................................................28
3.5 Expérience 4 : domaine social (modalité orale) ...........................................................29
3.6 Expériences 5a et 5b : verbe/nom (modalité orale et visuelle).....................................31
Expérience 5a : verbe/nom en phrase à trous ...............................................................31
Expérience 5b : verbe/nom en dénomination d’image .................................................32
3.7 Expérience 6 : abstraits intuitifs (modalité orale)..........................................................34
3.7 Discussion générale ......................................................................................................37
4. Conclusion ........................................................................................................................38
Bibliographie ............................................................................................................................39
Liste des annexes ......................................................................................................................43
Remerciements .........................................................................................................................44
1
1. Introduction : les mots abstraits existent-ils ?
L’étude des fonctions atteintes ou préservées par des lésions cérébrales peut nous permettre
d’inférer l’organisation cognitive du cerveau. Si deux tâches peuvent être touchées
indépendamment, et si l’on observe une double dissociation (l’une est atteinte quand l’autre
ne l’est pas, et vice versa) alors on peut penser qu’elles ne mobilisent pas les mêmes circuits
neuronaux. C’est cette démarche qui a permis historiquement par la mise en évidence des
aphasies de montrer que le langage reposait sur des processus cognitifs spécifiques.
Depuis une vingtaine d’années (Warrington, 1975 ; mais surtout Warrington & Mccarthy,
1983 ; Warrington et Shallice, 1984), cette approche s’est affinée et des déficits très
spécifiques ont été observés dans les atteintes du lexique et de la mémoire sémantique : à la
suite d’une lésion, certains patients sont devenus incapables de reconnaître les animaux ou de
nommer les outils. On a alors parlé de déficits spécifiques d’une catégorie. La question se
pose de savoir si l’on a affaire à des sous-systèmes cognitifs indépendants (théorie
écologique-modulariste, Caramazza & Shelton, 1998) ou si ces dissociations sont des effets
secondaires d’atteintes moins spécifiques (visuelles, motrices, etc.) mais qui gênent
inégalement les différentes classes de choses à nommer ou à reconnaître (théorie
réductionniste, Warrington & Shallice, 1984 ; Farah & McClelland, 1991 ; pour une revue de
ce débat, voir Caramazza, 1998).
Dans ce contexte, les atteintes observées concernant les mots abstraits (Breedin, Saffran et
Coslett, 1994, Franklin et al. 1995) ne semblent pas relever réellement des déficits spécifiques
d’une catégorie. En effet, la très grande majorité des études rapportent une atteinte des mots
abstraits par rapport aux mots concrets. L’usage des mots abstraits serait réduit par rapport
aux mots concrets en raison du plus grand nombre de ressources cognitives qu’ils
demanderaient à des systèmes cognitifs généraux (mémoire, imagerie cérébrale) affaiblis par
la lésion. Pourtant, quelques cas de dissociations inverses où les mots concrets sont plus
atteints que les mots abstraits ont été observés (Warrington, 1975 ; Bachoud-Levi & Dupoux,
2003). Ces atteintes ont été observées en sélectionnant les mots abstraits sur la base de
l’intuition.
Notre travail est donc de l’hypothèse de l’existence de processus cognitifs spécifiques aux
mots abstraits. Pour examiner celle-ci, nous proposons, d’une part (2.), de clarifier cette
notion intuitive d’abstraction et de construire des définitions plus analytiques de cette classe
de mots, définitions susceptibles de permettre l’observation
de doubles dissociations
2
nouvelles et plus précises et, d’autre part (3.), d’étudier les performances, concernant ces
nouvelles définitions, de patients susceptibles de présenter des différences entre mots abstraits
et mots concrets (malades de Huntington et aphasiques).
3
2. La notion d’abstraction
En dehors de la neuropsychologie, les mots abstraits ont fait l’objet de nombreuses études en
psychologie expérimentale sur leur mémorisation (Paivio A., 1991) ou leur apprentissage
(Burns & Soja, 1995), et en imagerie cérébrale (Beauregard et al., 1997 ; Altarriba et al.,
1999, Martin-Loeches et al., 2001). Cependant, les auteurs des études n’ont jamais envisagé
les mots abstraits comme une catégorie à part entière et aux contours définis. On va voir quels
sont les défauts de cette approche (2.1) puis nous proposerons des définitions de ce que
pourrait être une catégorie de mots qui serait considérés comme abstraits (2.2). Enfin, nous
essaierons de montrer à l’aide d’une de ces définitions que les mots abstraits constituent bien
une catégorie (2.3).
2.1 Hypothèse classique : les abstraits ne constituent pas une catégorie
Deux caractérisations des mots abstraits ont été proposées dans le cadre de l’hypothèse
classique. Soit (A) les mots abstraits jouent le rôle de mots compliqués et sont choisis selon
l’intuition des investigateurs (comme en neuropsychologie) ou selon la complexité de leur
définition (Tranel et al., 1997 ; Altarriba et al., 1999), soit (B) ils sont définis négativement
comme des mots non imageables (Weiss & Rappelsberger, 1996 ;Jessen et al., 2000).
Les défauts de l’hypothèse classique sont de deux ordres.
Il n’est pas en mesure d’expliquer les doubles dissociations observées entre concrets et
abstraits. En effet, pour la caractérisation (A), si la seule différence entre les abstraits et les
concrets est que les premiers mobilisent plus certains processus cognitifs que les seconds,
alors une atteinte de ces processus cognitifs ne peut conduire à préserver les abstraits. La
situation est similaire à la dissociation observée entre mots de haute fréquence et mots de
basse fréquence : les atteintes neurologiques ne peuvent que toucher plus fortement les mots
de basse fréquence. Pour la caractérisation (B), si l’imageabilité est ce qui sépare les concrets
des abstraits, alors une atteinte de l’imageabilité ne peut conduire qu’à rendre les concrets
aussi difficiles à manipuler que les abstraits, et non à mieux préserver les abstraits.
L’hypothèse classique ne correspondent pas non plus à notre intuition de ce qui nous semble
abstrait, qui est le critère qui a présidé à l’élaboration du matériel des doubles dissociations.
En effet, les mots abstraits utilisés par Warrington (1975), Bachoud-Lévi & Dupoux (2003) ne
sont pas conceptuellement plus compliqués que les mots concrets. Ainsi, contre la
caractérisation (A), « paire » ou « honoraires » peuvent être des mots plus simples que
« reptile » ou « hanche » : les concepts de « paire » (deux choses de la même classe
regroupées ensemble) ou d’ « honoraires » (rétribution des professions libérales accordée par
leurs clients) peuvent être bien plus simples que celui de « reptile » (animal terrestre, à sang
froid, à écailles, etc.) ou celui de « hanche » (os situé entre la taille et le haut des jambes,
servant d’articulation, faisant saillie, etc.). Contre la caractérisation (B), de nombreux mots
concrets comme « crampe », « amer », « strident » sont peu imageables. Pour montrer que
l’imageabilité et la concrétude ne sont pas toujours corrélée, nous avons mis en place une
expérience méta-linguitique pour étudier l’impression d’imageabilité et de concrétude chez
des sujets contrôles.
Expérience 1 : cotation de concrétude et d’imageabilité
Le but de cette expérience est de montrer qu’un groupe de mots non imageables peut être
considéré comme aussi concret qu’un groupe de mots imageables.
1) Méthode
Matériel : Nous avons construit une liste de 30 mots répartis en deux groupes (voir annexe I).
Le groupe A était constitué de mots qui semblaient imageables, et le groupe B de mots qui
semblaient non imageables. Si abstraction et imageabilité se confondaient alors les mots
imageables (groupe 1) seraient cotés concrets et imageables, et les mots non imageables
(groupe 2) seraient cotés abstraits et non imageables. Ces deux groupes étaient appariés en
fréquence (p= 0,4 ) et en longueur (p = 0,9).
Procédure : Les sujets étaient soumis à des listes de mots écrits qu’ils devaient coter de 1 à 5
sur des échelles de concrétude et d’imageabilité
Les sujets étaient âgés de 28,2 ans ( 11,2), de niveau culturel assez élevé (15
3,4),
majoritairement droitiers (15 D, 2 G), et le groupe comptait 10 femmes pour 7 hommes.
Les consignes étaient les suivantes :
1) pour l’abstraction :
« Notez ces mots de 1 à 5 en fonction de leur caractère abstrait (très concret =1 ; très
abstrait = 5). Il n’y a pas besoin d’avoir une définition pour noter les mots. Il s’agit de
l’intuition que l’on a du caractère abstrait des mots : essayer d’aller vite. Demandez-vous
juste : dirais-je que ce mot est abstrait ou concret ? »
2) pour l’imageabilité :
5
« Notez ces mots de celui qui vous évoque le plus aisément une image à celui qui vous semble
le moins imageable. Par exemple : vous pouvez trouver qu’ours en peluche = 1 et vecteur =
5. Mais cela dépend des gens : si vous êtes mathématicien, vous pouvez trouver que vecteur =
1 ou 2 si vous avez une image quand vous lisez le mot "vecteur". Tenez compte de la force
d’évocation du mot, pas de la pertinence de l’image, il s’agit de l’imageabilité du mot, quelle
que soit l’image qu’il suscite. »
Les résultats ont été analysés par tests de T.
2) Résultats et discussion
Les deux listes ont obtenu le même score en concrétude (1,60 vs 1,57 ; p = 0,83).
En revanche, les mots imageables ont été jugés significativement plus imageables que les
mots non imageables (2,50 vs 1,50 p < 10-6). Ce résultats est d’autant plus solide que nous
avions pris une acceptation très large de l’imageabilité puisque la consigne était « quelle que
soit l’image qu’il suscite».
Les résultats sont présentés dans la figure 1 :
Figure 1 :
Note moyenne attribuée
par les sujets contrôles
Notation d'imageabilité et de concrétude
5
4
3
Groupe 1 (non imageables)
2
Groupe 2 (imageables)
1
0
1
2
Imageabilité
Concrétude
L’imageabilité n’est donc pas essentielle à la caractérisation des mots abstraits. La possibilité
même de construire une liste de mots dissociant les deux caractéristiques suggère que
l’impression de concrétude est une notion plus riche que la simple imageabilité. Pour nous
6
prémunir de la variable d’imageabilité dans la suite, nous avons contrôlé l’imageabilité de la
même façon que dans l’expérience 1 pour qu’elle ne favorise pas une classe de mots.
2.2 Comment les abstraits peuvent constituer une catégorie
Nous avons construit nos hypothèses sur la définition de la catégorie des mots abstraits en
cherchant à éviter les deux défauts du paradigme classique. Il fallait donc que chaque
hypothèse avance des raisons qui puissent favoriser les mots abstraits dans certains cas de
lésions. C’est pour cette raison qu’il faut considérer les abstraits comme une catégorie quelle
que soit la conception qu’on a de la catégorie des mots abstraits (définie comme une catégorie
dite écologique et répondant à type d’apprentissage particulier (théorie écologiquemodulariste) ou définie par des traits communs à tous les mots sans représenter un ensemble
particulier (théorie fonctionnaliste-réductionniste). D’autres mots abstraits comme les
nombres pour qui des doubles dissociations ont été observées (Cipolotti et al, 1991 ; Thioux et
al, 1998) sont déjà considérées comme des catégories. Le second impératif à respecter était
que chaque hypothèse corresponde à notre intuition de l’abstraction.
Dimension 1) Généralité
Un mot peut paraître abstrait parce que la classe des entités auxquelles il fait référence est
étendue et plus grande que les classes que nous utilisons habituellement. Cette hypothèse que
nous nommerons « généralité » s’appuie sur le travail de Rosch et al. (1975) qui a montré que
nous avions des niveaux de base (chien), qui est le degré de généralité que nous utilisons
quotidiennement, et que les niveaux plus élevés – superordonnés - (animal) et moins élevés –
subordonnés - (teckel) étaient moins spontanés. Nous avons choisi par la suite d’étudier les
superordonnés par rapport au niveau de base, plutôt que d’opposer dès le départ les trois
niveaux.
Dimension 2) Domaine social
La théorie écologique-modulariste explique l’existence de déficits sémantique par le fait que
notre lexique et nos concepts seraient superposés à des systèmes d’inférences
évolutionnairement spécialisés – des modules (Fodor, 1983) pour un type de tâche ou de
stimuli. Ainsi, il y aurait des déficits spécifiques des êtres vivants ou des nombres parce que
nous disposons d’un module de biologie naïve (Atran, 1986 ; Hirschfeld & Gelman, 1994 ;
Boyer, 1997) ou de la numérosité (Dehaene, 1997). Bien que les déficits spécifiques d’une
catégorie rapportés dans la littérature, le débat s’est focalisé sur un très petit nombre de
7
catégories, en particulier l’opposition animé/inanimé (Humphreys & Forde, 1998). Tous les
déficits relatifs à des modules étudiés en psychologie et en anthropologie cognitive n’ont pas
été testés. Ainsi, les mots relatifs à la théorie de l’esprit et à la cognition sociale n’ont jamais
fait l’objet d’investigations systématiques chez les aphasiques. Or de nombreux travaux
récents en neurosciences (pour une revue, voir Adolphs, 2003) tendent à montrer que la
cognition sociale s’appuie sur des circuits neuronaux spécifiques. Dans la mesure où un
certain nombre de mots testés par Bachoud-Lévi & Dupoux (2003) relevait du domaine social
(dette, honte, deuil), nous avons donc décidé de tester les mots abstraits ayant un caractère
social pour voir s’ils constituent une catégorie homogène.
Dimension 3) Verbe/nom
La sémantique des noms abstraits a montré (Flaux et al, 1996) que les mots abstraits étaient
dépendants à la fois linguistiquement et ontologiquement. Ces mots, comme les verbes ou les
adjectifs, ne peuvent fonctionner seuls parce qu’ils ont besoin d’un sujet du point de vue à la
fois de la langue (« repassait » ne fonctionne pas seul) et de point de vue de la réalité (il faut
quelqu’un qui « repassait »). Ainsi, « grandeur », « humide », « courir » nous semble plus
abstraits que « pomme » ou « oncle ». C’est ce que montre également la cotation qu’ont
réalisée Bachoud-Lévi et Dupoux (2003) sur les verbes et les noms homophones utilisés pour
tester leur patient DPI. Pour des raisons méthodologiques, nous n’avons testé en 3. que le
contraste verbes/noms, c’est pourquoi nous nommerons cette hypothèse sur la dépendance
linguistique et ontologique des mots abstraits « verbe/nom ».
Par ailleurs, des études sur l’apprentissage du langage ont montré que la syntaxe jouait un rôle
dans l’apprentissage des mots (Gleitman (1994)). Cela permettrait d’expliquer que DPI puisse
mieux retrouver les abstraits (même si Bachoud-Lévi et Dupoux ont montré qu’à abstraction
égale, leur patent DPI était toujours meilleur avec les verbes).
Dimension 4) Détecteurs
La dernière distinction que nous proposons est en quelque sorte parallèle à celle de la
généralité puisqu’elle caractérise les mots abstraits comme éloignés des catégories naturelles.
Nous proposons de définir les abstraits comme des mots référents à des choses pour lesquels
nous ne possédons pas de systèmes d’inférences spécialisés, de détecteurs. Les abstraits
seraient donc des mots de seconde main, des mots théoriques.
Pour bien saisir cette caractérisation, prenons l’exemple des détecteurs les plus basiques, ceux
des sens. Nous disposons ainsi de détecteurs de la couleur : lorsque nous regardons une scène,
8
nous ne pouvons pas ne pas la voir en couleurs, nos détecteurs sont activés automatiquement.
Si nous disposons également de détecteurs pour des stimuli plus sophistiqués, aussi utiles à
détecter dans l’environnement ancestral que les couleurs, comme par exemple les fruits, les
animaux, les expressions faciales des congénères, alors un grand nombre de mots réfèrent à
des entités qui nous sont aussi évidentes que la couleur. Ces entités sont évidentes au sens où
elles apparaissent saillantes dans notre environnement.
Quine (1977) a bien montré quelle pourrait être la difficulté de se comprendre si nous n’étions
pas tous équipés du même ensemble de détecteurs qui fait que nous portons notre attention sur
des choses similaires. Il imagine ainsi un anthropologue débarquant dans une tribu sans
connaître un seul mot de la langue celle-ci. Il essaie d’apprendre cependant cette langue en
désignant ou en demandant aux indigènes de lui désigner les différentes choses qui
l’entourent. Mais comment peut-il savoir que lui et les indigènes pensent à la même chose ?
Ainsi, si un indigène montre un lapin blanc sortant des fourrés en disant « gavagaï », doit-il
comprendre « lapin », « blancheur » ou encore « sortir » ? Il est possible que la situation ne
nous semble pas ambiguë parce que l’indigène comme l’anthropologue doivent trouver plus
saillant « lapin » que « blancheur » ou « sortir » dans cette situation.
Il est possible que ces détecteurs jouent un grand rôle dans l’apprentissage du vocabulaire :
l’enfant comprend intuitivement que tel mot réfère à ce qui est le plus saillant dans la
situation. Les objets « marteau » ou « voiture » sont de bons candidats, mais des mots plus
compliqués peuvent être tout aussi bien appris de cette manière : des mots sensoriels
« strident », « amer », « douleur », des mots sensoriels plus compliqués comme « sourire »,
« honte », « courir », des mots purement sociaux comme «vulgaire » ou « punition ». Un bon
indice de leur apprentissage par détection est que nous sommes souvent incapables de donner
une bonne explication de ces mots. Ainsi, tout le monde peut discriminer un marcheur d’un
coureur, mais peu de personne connaissent les critères qui ont présidé à leur jugement.
Quoiqu’il en soit de l’apprentissage effectif, on ne peut connaître la signification de tous les
mots par simple présentation d’une occurrence de ce à quoi réfère le mot. Ainsi, « siècle »,
« location » ou « innocent » requièrent des explications.
Nous proposons donc une distinction entre les mots détectés et les mots définis. Au niveau
cognitif, les mots détectés seraient manipulés en pensant à des occurrences (des situations, des
exemples, des prototypes) de ce à quoi réfère le mot et les mots définis le seraient en pensant
à des définitions plus analytiques. Pour reprendre le vocabulaire de la linguistique (Wilmet in
Flaux 1996), les mots abstraits se définissent par leur intension (ensemble des sèmes formant
9
le signifié) et les mots concrets se définiraient par leur extension (ensemble des êtres ou objets
auxquels le nom est applicable). Nous appellerons cette hypothèse, l’hypothèse edétecteurs.
L’hypothèse qui se dégage de cette analyse est que les mots abstraits pourraient être mieux
préservés que les mots concrets chez un patient disposant d’un meilleur accès au lexique par
définitions explicites des mots que par activation de détecteurs.
Nous verrons par la suite (partie 3.) que cette distinction est difficile à tester sur le plan
méthodologique. Pour cette raison, elle a fait l’objet d’une expérience spécifique avec des
sujets sains uniquement.
Discussion sur les dimensions
Certaines des dimensions proposées sont unidimentionnelles et gradientes, d'autres sont plus
discrètes. Cependant, contrairement à l'hypothèse classique, ces dimensions peuvent
potentiellement rendre compte de double dissociations, dans la mesure où elles impliquent des
mécanismes psychologiques potentiellement distincts pour l'apprentissage ou la récupération
des mots en question. Ces dimensions ne sont pas exclusives ni exhaustives, mais elle
constituent un bon point de départ pour l'exploration des déficits lexicaux dans le domaine des
Schéma 1 :
10
mots abstraits
Un résumé et une possible représentation de ces dimensions les unes par rapport aux autres est
donnée dans le Schéma 1.
2.3 Expérience 2 : Mettre en évidence l’existence des mots abstraits comme
catégorie chez des sujets contrôles à l’aide de la dimension détecteurs
Si nos hypothèses sont exactes, il est possible que l’organisation des mots abstraits en
catégorie, telle que nous l’avons proposée, puisse être montrée chez des sujets sains. Si les
mots abstraits ne sont pas seulement plus compliqués ou non imageables, certaines tâches
devraient favoriser les mots abstraits. L’hypothèse détecteurs nous a semblé la plus
susceptible fonctionner dans ce cadre-là.
Objectifs de l ‘expérience : double dissociation artificielle
Dans l’Expérience 2, nous avons cherché à reproduire la double dissociation que l’on
observerait chez deux types de patients si l’hypothèse détecteurs était valide sur le plan
neurologique. C’est donc une double dissociation artificielle que nous essayons de provoquer
chez les sujets contrôles en favorisant un type de mots avec une tâche et un autre type de mots
avec une autre tâche. L’hypothèse détecteurs se prêtait bien à cet objectif puisque, par
définition, nous retrouvons les mots détectés en « détectant » (en voyant par exemple) une
occurrence de ce que représente le mot alors que nous retrouvons les mots définis en pensant
au sens du mot, à sa « définition ».
La difficulté de cette expérience était de trouver une tâche susceptible de favoriser la
manipulation des mots définis. Même si l’on composait deux listes de mots appariées en
longueur et en fréquence, les mots détectés restaient plus « naturels » que les mots « définis »
puisque nous disposons de détecteurs, et donc d’intuitions très fortes concernant ce à quoi ils
réfèrent. Il fallait donc trouver une tâche où le fait d’être détecté était un handicap.
Si l’on regarde de plus près les situations où l’on apprend un mot détecté comme « antilope »,
on peut voir qu’à aucun moment une définition du mot « antilope » n’est produite. Nous
comprenons naturellement que ce dont il s’agit est l’animal que l’on nous montre et non pas
du nom des arbres derrière lui, du nom du type de cornes que l’animal possède. Par
conséquent, nous n’utilisons qu’à de très rares exceptions des définitions pour manipuler les
mots détectés. Pensons ainsi à la définition que donnait Platon de l’homme « un animal à
deux pattes sans plumes ». Plus généralement, tout le monde sait à quoi réfère le mot
« chien », « chaise » ou même « ridicule » et « beau », sans être capable de donner autre chose
11
qu’une définition très sommaire qui ne permettrait pas de faire comprendre le concept à
quelqu’un qui n’en a pas l’expérience : « quadrupède à poil », « meuble sur lequel on
s’assied », « quelque chose qui n’est pas approprié », etc.
Nous avons donc mis en place une expérience où savoir définir un mot pouvait être un
avantage à sa manipulation. Pour cela, nous avons choisi de faire une tâche de mémoire : un
groupe de sujets devait faire des définitions de mots donnés par l’examinateur puis redonner
ces mêmes mots après quelques minutes, un autre groupe de sujets devait faire des phrases
utilisant les mots donnés par l’examinateur puis redonner également ces mêmes mots après
quelques minutes. La première tâche devait favoriser les mots abstraits : si le sujet donnait
une définition trop vague des mots concrets, il ne serait pas capable par la suite de se souvenir
exactement du mot donné. La seconde devait favoriser les mots concrets : puisque ceux-ci
activent plus aisément des systèmes d’inférences spécialisés, demander au sujet d’utiliser le
mot devrait activer ces systèmes de manière plus efficace.
Méthode
Matériel : Nous avons élaboré deux listes de 250 mots, l’une contenant des mots détectés,
l’autre des mots définis. Nous avons ensuite demandé à 10 sujets sains de donner leur avis sur
la nature de détecté des mots détectés, et la nature de définis des mots définis. La consigne
était que les mots détectés devaient être difficiles à définir et aisés à comprendre par un
exemple, et que les mots définis avaient des définitions claires et nécessitaient une explication
pour être compris. Pour chaque type de mots, nous avons donné des exemples
paradigmatiques comme les mots purement sensoriels (acre, aigu, douleur, etc.), les catégories
naïves (légume, animal), les artefacts courants (gobelet), les verbes d’action (courir) pour les
détectés, et les mots purement conventionnels (hors-jeu, anniversaire), théoriques (géologie,
millénaire) pour les définis. Nous avons conservé les mots qui obtenaient plus de 80%
d’approbation.
Parmi ces mots, nous avons fixé quatre listes de 15 mots, deux listes de détectés et deux listes
de définis, partageant les mêmes caractéristiques en longueur de mots, en fréquence, en
généralité, en domaine, en catégorie syntaxique. Nous avons apparié les listes deux à deux
pour former deux listes (A et B) de 30 mots détectés et définis. Par ailleurs, l’imagerie
mentale jouant un rôle important dans les processus mnésiques, nous n’avons retenu aucun
mot très imageable comme les objets ou les animaux, et nous avons contrôlé l’imageabilité
des deux listes de mots retenus.
12
Procédure : Cette expérience a été réalisée chez 20 sujets sains (34 ans….). Chaque sujet a
effectué les deux tâches (illustration et définition). Les deux tâches étaient décrites comme
suit aux sujets :
Définition : « Je vais vous donner des mots, vous allez devoir les définir les uns après les
autres. Il ne s’agit pas d’une définition formelle comme on en trouve dans le dictionnaire,
plutôt d’une explication qui n’utilise pas d’exemples. Ainsi, pour « mammifère », il vaut
mieux dire « un animal qui allaite ses petits » que « un animal comme les chiens, les chats et
les vaches ». Mais ne cherchez pas à faire des définitions parfaites. »
Illustration : « Je vais vous donner des mots, vous allez devoir composer une phrase avec
chaque mot. Il s’agit juste d’utiliser le mot dans son contexte habituel. Evitez de faire des
phrases trop simples ou triviales comme « il y a des chiens » pour « chien », mais ce n’est pas
la peine de faire des phrases trop compliquées. Ainsi, pour chien, vous pouvez dire « ma
petite sœur aime beaucoup son chien » ou « les chiens sont plus intelligents que les chats ».
Après chaque tâche, les sujets étaient soumis à une épreuve de digit span (répéter une liste de
chiffres dans l’ordre donné par l’examinateur, puis dans l’ordre inverse). Cette épreuve
permettait à la fois de vérifier que tous les sujets avaient une mémoire de travail normal
(aucun n’a eu un score inférieur à 6 à l’endroit, et 4 à l’envers) et d’éviter des effets de
récence trop importants qui auraient favorisé les derniers mots donnés par l’examinateur.
Ensuite, l’examinateur demandait au sujet de retrouver le plus de mots de la liste qu’il avait
définis ou illustrés en l’informant qu’il avait suffisamment de temps pour le faire (5 minutes,
au bout de ce temps, la plupart des sujets ne parvenaient plus à trouver de nouveaux mots).
Les sujets ont été divisés en deux groupes : le premier effectuait d’abord la tâche de définition
puis la tâche d’illustration, le second l’inverse. Les sujets n’étaient pas informés qu’ils
devraient retrouver les mots. Après la fin de la première tâche, certains sujets pouvaient
s’attendre à ce que la seconde tâche fasse également appel à la mémoire. Même s’il est
difficile de faire des efforts conscients pour mémoriser des mots alors que l’on doit en même
temps les définir ou les illustrer, en alternant l’ordre des deux tâches en fonction du groupe,
nous évitons un éventuel biais en faveur de l’une des deux. A l’intérieur de ces deux groupes,
un sous-groupe effectuait la première tâche avec la liste A puis la seconde tâche avec la liste
B, l’autre sous-groupe effectuant l’expérience en sens inverse.
13
Les résultats ont été analysés par test de T.
Résultats
Les résultats sont les présentés en Table 1.
Table 1 : Pourcentage des mots retrouvés pour chaque condition :
Illustration
Définition
Détectés
21,9 ( 14,7)
21,9 ( 16,8)
Définis
29,7 ( 15,1)
21,9 ( 15,1)
Il n’y pas de différences significatives (p = 0,8) pour le rappel des mots entre les conditions
illustration et définition.
Discussion
L’absence de résultats significatifs s’explique sans doute en majeure partie par le trop faible
effet des tâches demandées sur le processus d’encodage des mots en mémoire. Ni les détectés,
ni les définis ne sont en effet affectés par une différence entre les deux conditions. Notons
pourtant que, lors des interviews de sujets après l’expériences, ceux-ci pouvaient désigner un
grand nombre de mots (environ un sur deux) dont il leur semblait s’être souvenu par la phrase
ou la définition qu’ils avaient produite lors de l’expérience.
Les associations sémantiques ont sans doute joué plus que ne le disent les sujets. Ces
associations étaient peut-être rendues plus aisées par le fait que les mots proposés semblaient
particulièrement déplacés dans une expérience de laboratoire : les sujets trouvaient étrange de
se voir demander des mots comme « cajoler », « puberté », « chaleur » et s’attendait à des
mots plus neutres comme les animaux ou les outils qui ne demandent pas de faire référence à
leur vie quotidienne ou à leur éducation personnelle. Cependant, nous avons cherché à
minorer le rôle des associations sémantiques en enlevant systématiquement de la liste donnée
par le sujet un des deux membres des paires de mots les plus clairement associés (de l’avis
même des sujets au cours de l’expérience) comme chaleur-brulé, azote-physique, snobmépris, météo-climat. Cette opération ne change pas significativement les résultats. Une autre
opération a consisté à éliminer purement ces paires de mots de l’expérience en conservant les
14
mêmes fréquences et nombre de phonèmes pour les listes détectés et définis. Là encore, aucun
résultat significatif ne se dégage.
Une troisième explication à ce déficit de résultats tient peut-être aux stratégies utilisées par les
sujets. En effet, bien que les sujets consultés pour le choix des mots les aient jugés appropriés
de manière importante, les sujets en cours d’expérience ont pu manipuler les mots autrement
que prévu. Par exemple, certains sujets se sont mis en cours d’expérience à recourir
systématiquement à des synonymes et à des antonymes pour définir le mot (« c’est le mépris »
pour dédain, ou « c’est le contraire de acide » pour amer), contournant ainsi la difficulté de
définir un mot détecté. D’autres sujets ont progressivement simplifié leurs définitions, ce qui a
singulièrement rapproché les définis des détectés, et les phrases des définitions («grand
nombre » pour milliard, « unité de temps » pour siècle). D’autres enfin, bien que de niveau
culturel relativement élevé, se sont révélés incapables ou trop inhibés pour faire des
définitions adéquates et se sont mis à illustrer plus ou moins abstraitement plutôt qu’à définir.
Plus généralement, les tâches proposées n’étaient peut-être pas appropriées au paradigme
testé, pour deux raisons imprévues. Nous faisions l’hypothèse que les définitions des mots
détectés seraient imprécises et donc peu utiles au rappel. De nombreux sujets ont justement
éprouvé des difficultés à définir les mots détectés et se sont souvenu du mot non parce que
leur définition était vague mais parce qu’ils avaient eu beaucoup de mal à la formuler. Les
pilotes avaient déjà montré la grande difficulté, voire l’impossibilité, qu’il y a à définir des
mots purement sensoriels comme « amer » ou même simplement détectés comme « ridicule ».
En plus de rassurer les sujets sur le niveau des définitions demandées, nous avons donc décidé
de laisser peu de temps aux sujets pour s’appesantir sur leurs difficultés et les pousser à passer
rapidement au mot suivant, mais cela n’a pas suffi. Nous faisions encore l’hypothèse que les
mots définis activeraient peu les systèmes spécialisés d’inférence. Cependant, certains mots
définis se sont révélés détectés (« milliard », « gène », « calorie ») pour de nombreux sujets
pour qui il était trop théorique de connaître le sens du mot autrement que par l’usage que l’on
en fait.
15
3. Etude des mots abstraits : application à des patients
atteints de maladie de Huntington (MH) et des
aphasiques
3.1 Objectifs de l’étude
L’objectif de cette étude expérimentale est de décrire les mots abstraits comme une catégorie
répondant à de critères définis et de vérifier si l’on peut mettre en évidence des déficits
sélectifs des mots abstraits chez des populations de patients en utilisant ces nouvelles
définitions. Deux types de population ont été étudiés, des patients ayant une atteinte du circuit
striato-frontal (comme les patients atteints de MH) et des patients aphasiques ayant des
lésions plus postérieures chez qui on s’attendrait à un respect des mots abstraits comme chez
DPI
3.2 La maladie de Huntington et l’atteinte des mots abstraits
Pour tester les trois premières hypothèses que nous proposons, nous avons recruté quatre
patients aphasiques et vingt patients atteints de la maladie de Huntington (MH). Les patients
aphasiques ont chacun des lésions particulières. Ils doivent donc être vus comme des cas
susceptibles de fournir des nouvelles dissociations avec un matériel jamais utilisé. Quant à la
MH, les lésions des boucles striato-frontales en font un bon modèle d’une atteinte du cortex
frontal qui joue certainement un rôle déterminant dans la manipulation des différents types de
mots abstraits que nous proposons. Nous allons d’abord exposer ce que l’on sait des troubles
du langage dans la MH puis nous reviendrons plus particulièrement sur les rapports entre les
atteintes neurologiques des patients MH et nos hypothèses sur les mots abstraits.
Les troubles du langage dans la maladie de Huntington
La maladie Huntington est une maladie neurodégénérative génétique, autosomique
dominante, qui débute aux environs de 35 à 40 ans. L’atteinte cognitive (qui fait la gravité
extrême de la maladie pendant de nombreuses années) est décrite sous le terme de démence
sous-corticale, et comprend des troubles attentionnels, mnésiques et exécutifs sans inclure des
troubles des fonctions instrumentales, comme par exemple l’aphasie.
16
Cependant, si tous ceux qui vivent au contact des patients atteints de la maladie de Huntington
décrivent une réduction progressive du langage avec un raccourcissement et une
simplification des phrases, la nature véritablement linguistique de ces troubles est encore
largement débattue. Les patients n’ont pas des troubles du langage aussi marqués que ceux
que l’on rencontre au cours des maladies avec lésions corticales, comme par exemple la
maladie d’Alzheimer. Peu d’études évoquent un déficit spécifique du traitement linguistique,
et la plupart d’entre elles attribuent les troubles du langage aux troubles attentionnels,
mnésiques, exécutifs et/ou moteurs.
Ainsi Caine et al. (1978) concluent à la normalité du langage en dehors d’une dysarthrie et des
troubles prosodiques liés à des mouvements respiratoires et vocaux involontaires. Ludlow et
al. (1987) ont approfondi l’étude des facteurs moteurs dans les troubles du langage. Ils ont
analysé le décours temporel de la parole pour conclure à un trouble du contrôle temporel des
mouvements articulatoires (anomalie de la durée des syllabes, des pauses et des phrases) sans
aucune atteinte de la planification linguistique. Wallesch et Fehrenbach (1988) ont comparé
les performances langagières des patients atteints de la maladie de Huntington à celles des
patients qui présentent un trouble du langage d’origine purement motrice (dysarthrie de la
maladie de Friedreich). Les résultats de cette étude ne révèlent aucune différence significative
entre ces deux groupes de patients. Podoll et coll. (1988), ainsi que Caspary et coll. (1990),
ont attribué les troubles du langage aux troubles attentionnels, mnésiques ou exécutifs. Ainsi,
un retard d’initiation de la parole, la relative simplification des structures syntaxiques et la
diminution de la fluence verbale seraient expliqués par le ralentissement idéo-moteur. Les
difficultés que rencontraient les patients lors des tâches de dénomination d’images étaient
interprétées comme des troubles de l’identification visuelle indépendants de troubles de
l’accès lexical.
A l’inverse, un certain nombre de données suggèrent le caractère linguistique des troubles du
langage dans la maladie de Huntington. Illes (1989) a analysé le langage spontané de 10
patients et a conclu à une atteinte lexicale et sémantique, en raison d’un nombre significatif de
paraphasies verbales (morphologiques et sémantiques). Elle a également décrit un certain
degré de désorganisation syntaxique et la production de phrases agrammaticales, comme par
exemple la phrase « I had a nice one my wife » (J’avais une belle ma femme). Récemment,
l’équipe AVENIR (hôpital Henri Mondor et de l’unité INSERM U 421), au sein de laquelle
ont eu lieu les expériences qui suivent, a montré que les patients de la MH à un stade précoce
subissent des atteintes spécifiques des règles syntaxiques (Teichman M, et al., en préparation).
17
D’autres études rapportent des performances anormales dans des tâches qui dépendent de
l’accès au lexique ou de la connaissance des liens sémantiques entre les mots : Mildworf &
Albert (1983) ont conclu à un trouble de l’accès lexical lors de la dénomination d’images en
utilisant le « Boston Naming Test ». Butters et coll. (1986) ont également étudié l’accès
lexical en mesurant la fluence verbale. Les patients devaient générer des noms commençant
par une lettre donnée (F, A ou S) ou des noms appartenant à une catégorie particulière
(« animaux », « fleurs », etc.). Ils présentaient une diminution de la fluence verbale dans les
deux conditions, ce qui était interprété comme un trouble d’accès lexical. Josiassen et coll.
(1983) ont proposé des tests qui explorent la compréhension de similarités sémantiques (test
des similitudes, WAIS-R ; Wechsler, 1981). D’après les auteurs, les difficultés des patients
dans ces épreuves démontrent une perte de la connaissance du lien sémantique entre certains
mots.
Cependant, toutes ces tâches sont explicites et requièrent des capacités de concentration,
d’attention ou encore de mémoire. L’absence de contrôle de ces facteurs non linguistiques
rend l’interprétation des résultats délicate.
Le rôle des circuits fronto-striataux dans la manipulation des mots
abstraits
Si les patients atteints de MH ont des troubles sémantiques, il y a des raisons de penser que les
mots abstraits sont particulièrement touchés.
L’hypothèse classique postule que, pour des raisons variées, les mots abstraits soient plus
difficiles à manipuler. C’est ce que nous dit notre intuition comme le montrent également des
études de linguistiques théoriques (Flaux, 1996) ainsi que des expériences de cotation. Notre
impression de l’abstraction semble être la résultante de plusieurs critères qui concourent à
rendre le mot difficile à référer (généralité, domaine social, caractéristiques syntaxiques
particulières, absence de détecteurs). Les mots abstraits étant difficiles à référer, il est possible
que leur usage nécessite de manière plus importante l’activation des régions frontales. Cette
activation peut n’avoir lieu que durant l’acquisition du mot et disparaître par la suite, tout
comme elle peut perdurer chaque fois que le mot est utilisé. Dans ce dernier cas, on peut
penser que les malades de Huntington qui connaissent des problèmes frontaux du fait des
boucles striato-frontales présenteraient des difficultés significativement différentes pour les
mots abstraits, au contraire des aphasiques temporal qui auraient, eux, des troubles généraux
du lexique dus à des atteintes spécifiquement temporales.
18
Si l’on suit maintenant notre hypothèse qu’il existe bien une catégorie de mots abstraits
(quelle que soit l’identité de cette catégorie), alors les atteintes neurologiques des patients MH
sont susceptibles de toucher spécifiquement cette catégorie. En effet, les mots généraux
(hypothèse 1) ont de bonnes raisons de mobiliser les régions frontales dans leur activation de
la même manière que nous l’avons défendu pour les abstraits en général.
Concernant l’hypothèse 2, de nombreuses études d’imagerie, de neuropsychologie et de
psychopathologie ont montré que la cognition sociale faisait intervenir le cortex pré-frontal
(Adolphs, 2003). Si les systèmes spécialisés dans la cognition sociale participent à la
sémantique des mots sociaux comme le veulent la théorie écologique-modulariste, il est
possible que les patients atteints au niveau des régions impliquées dans le fonctionnement de
ces systèmes perdent spécifiquement l’usage de ces mots.
L’hypothèse verbes/noms implique que différentes catégories syntaxiques soient susceptibles
d’être dissociées par une atteinte du lobe frontal. De nombreuses études ont montré que
l’utilisation des verbes requérait les aires frontales inférieures (lésées dans les aphasies de
Broca) alors que celle des noms activait les aires temporo-pariétales (lésées dans les aphasies
de Wernicke). Une telle dissociation a été rapportée chez des patients aphasiques (Berndt et
al., 1997; Breedin & Martin, 1996; Breedin et al., 1998; Damasio & Tranel, 1993; Hillis &
Caramazza, 1995), et en EEG (Pulvermuller, Preissl, Lutzenberger, & Birbaumer, 1996) and
PET studies (Wharburton, Wise, Price, Weiller, Hadar, Ramsay, & Frackowiak, 1996;). De
plus, certains auteurs ont suggéré que les règles linguistiques, particulièrement sollicitées par
la conjugaison des verbes, mettent en jeu les circuits fronto-sous-corticaux alors que le
lexique ne requérait que les aires temporales (Ullman et coll. (1997) ont suggéré que le
lexique dépende du cortex temporal et que les règles linguistiques mobilisent les régions
frontales. Une explication à cette dissociation pourrait être que la mémorisation de « faits »
lexicaux dépendrait de la mémoire déclarative qui, selon de nombreux auteurs, implique le
cortex temporal (Cohen & Squire, 1980; Mishkin et al., 1984). Selon Mishkin et coll. (1984)
la mémoire procédurale est associée aux ganglions de la base. Pour toutes ces raisons, les
patients HD sont de bons candidats pour l’étude des mots abstraits.
3.3 Méthodes
Protocole expérimental
Nous avons réalisé 7 expériences testant un des contrastes pouvant décrire la notion
d’abstraction en contrôlant autant que possible les autres paramètres pertinents et dans tous les
19
cas, les paramètres phonologiques tels que la longueur et la fréquence des mots. Chaque
expérience teste un contraste binaire (Expériences 3a, 3b, 3c : catégorie/exemplaire,
Expérience 4 : social/non social, Expériences 5a et 5b : Verbe/nom, Expérience 6 : abstraits
intuitifs / concrets intuitifs).
Afin de neutraliser le plus possible de facteurs pouvant être à l'origine de biais dans les
réponses, nous avons neutralisé des facteurs externes comme l'imageabilité. En effet,
l'imageabilité a été identifiée par l’Expérience 1 comme un facteur distinct de l’abstraction et
a donc été contrôlée dans chaque expérience en équilibrant les listes grâce à la cotation
réalisée par les sujets de l’Expérience 1 et appliquée à toutes les expériences de ce travail. De
plus, les paramètres testés par nos expériences ont été neutralisés lorsqu'ils n'étaient pas le
paramètre testé. Par exemple lorsque nous avons testé la généralité, nous avons tenté de
neutraliser le domaine écologique (hypothèse sociale), la classe syntaxique (hypothèse
verbe/nom), l'imageabilité, la fréquence, la longueur des mots et nous avons vérifié pour
chaque groupe le score intuitif de concrétude donné par les sujets.
Pour se faire l’ensemble des listes étudiées pour toutes les expériences a été soumis à une
cotation
1) de la généralité.
Nous avons demander aux mêmes sujets que dans l’expériences 1 de coter sur une échelle de
généralité les mots de chaque liste avec la consigne suivante :
« Notez ces mots de 1 à 5 du plus particulier au plus général. Par exemple : teckel,
marmonner = 1 ; chien, parler = 3 ; être vivant, faire = 5. Là encore, essayez d'aller vite,
utilisez vos impressions plutôt qu'un raisonnement. Pour ne pas bloquer à chaque mot,
attribuez une note de 3 si le mot ne vous semble ni particulièrement général, ni
particulièrement précis, puis éloignez-vous vers 1 ou 5 si vous avez plus d’idées. »
2) de l’imageabilité.
La consigne et les sujets étaient les mêmes que dans l’expérience 1.
3) de la concrétude.
La consigne et les sujets étaient les mêmes que dans l’expérience 1.
Le matériel construit pour tester la généralité et le spécificité sociale des mots abstraits était
bien corrélé avec l’abstraction intuitive des sujets. En revanche, les verbes et les noms n’ont
pas été jugés significativement différents au regard de l’abstraction par les sujets contrôles. Ce
résultat peut sans doute s’expliquer en grande partie par la différence de consigne entre les
deux expériences de cotations. Bachoud-Lévi & Dupoux avaient donné un exemple de
notation (tomate = 1 ; liberté = 5) alors que nous n’en avons pas donné. Le fait de donner un
20
objet comme exemple de mot concret a sans doute conduit les sujets à interpréter en partie la
consigne : « noter en fonction de la proximité aux objets ». Les verbes, qui plus est présentés
à la forme infinitive, apparaissaient alors constitutivement plus abstraits que les objets. A
l’inverse, dans notre cotation, certains sujets ont pu juger par exemple qu’un « cheval », par
son caractère très générique, était plus abstrait qu’une situation très particulière comme
« repasser ». Cette différence entre les deux cotations montre la grande sensibilité des
expériences métalinguistiques aux consignes et aux raisonnements conscients des sujets. Cela
rend les définitions analytiques que nous avons proposées d’autant plus précieuses même si
elles apparaissent très réductrices au regard de la complexité de notre intuition sur ce qui est
abstrait et ce qui ne l’est pas. Cependant, elles permettent de disposer d’un matériel plus
stable et d’expériences ainsi plus réfutables.
Nous avons également testé notre matériel dans deux modalités différentes de présentation
des stimuli (orale et visuelle) afin de pouvoir interpréter les résultats en dehors de toute
modalité (voir Table 2).
Table 2 : Récapitulatif des expériences selon l'hypothèse testée et la modalité
Modalité
Orale
Visuelle
Généralité
Oui (Expérience 3c)
Oui (Expérience 3a et 3b)
Domaine social
Oui (Expérience 4)
Non
Verbe/Nom
Oui (Expérience 5a)
Oui (Expérience 5b)
Oui (expérience 6)
Non
Abstraction intuitive
Sujets
1) Patients atteints de la maladie de Huntington
Vingt patients atteints de MH, recrutés à la consultation spécialisée de l’hôpital Henri
Mondor, et vingt sujets contrôles ont été testés dans les quatre expériences que nous allons
présenter. Les sujets contrôles ont été appariés en âge et en niveau culturel aux patients
(Tableaux X et X) (F < 1, p > 0.1).
Les patients étaient évalués parallèlement par l’équipe de neurologie dans le cadre des
thérapies interventionnelles. A ce titre, tous ont été testés sur l’Unified Huntington’s disease
Rating Scale (UHDRS, Huntington Study Group, 1996) qui est la seule échelle validée
21
actuellement pour évaluer les fonctions motrices, psychiatriques, fonctionnelles et cognitives
des patients atteints de cette maladie (Table 3). Les patients étaient en majorité à un stade
débutant de la maladie (19 stade I et 1 Stade II de la classification de Shoulson, (Shoulson
1981)). Tous les sujets ont donné leur consentement éclairé.
Table 3 : Caractéristiques démographiques des sujets testés (Moyennes
Age
Sexe
Latéralité
(ans)
Contrôles
46.1
Standard déviation)
Niveau
Nombre
Durée
culturel
de
d’évolution
moteur
(années)
codons
(années)
UHDRS
-
-
13 F / 7 M
19 D/ 1G
13.2
4.3
9F/8M
17 D/ 1G
13.9
3.7
TFC
13°
Score
0°
6.6
Patients MH
47.5
10.2
45.4
9.0
3.8
9.9
1.8
3.5
49.3
17.4
TFC: Total functional capacity selon la classification de Shoulson (1981)
° Les données ne reposent pas sur l’évaluation d’un groupe contrôle, la normalité étant définie par un score nul
ou une valeur plafond
2) Quatre patients aphasiques avec des lésions diverses ont recrutés (voir Table 4).
Table 4 : Aphasiques
TAI
ACH
PLE
ART
Age (ans)
55
84
18
60
Sexe
M
F
M
F
Latéralité
D
D
D
D
Niveau culturel
9
9
12
9
Lésion
Aphasie
Noyaux
Lésion
sylvienne
dégénérative
thalamiques
sylvienne
Atteinte neurologique
Analyses statistiques
Chaque expérience a d'abord été analysée chez les sujets contrôles grâce à un test de T. Tous
les mots ne correspondant pas aux réponses attendues lors de la réponse spontanée du sujet
ont été comptabilisée comme erreurs. Lorsque les performances des sujets contrôles pour les
deux groupes de la liste n’étaient pas significativement différentes, nous avons utilisé un test
de T chez les patients MH. A l'inverse, lorsque les performances des sujets contrôles étaient
22
significativement différentes sur le contraste testé, nous avons introduit des analyses par
ANOVA chez les patients MH et les contrôles afin de voir si le profil de performance était
différent ou correspondait seulement à une amplification des résultats des sujets contrôles.
Les patients aphasiques ne pouvant pas constituer un groupe homogène, leurs résultats ont été
analysés en effectuant un test de
2
(les aphasiques n’ont été testés qu’avec des expériences
où les sujets contrôles ne présentaient pas de différences significatives entre les deux classes
de mots par test de T).
3.4 Expériences 3a, 3b et 3c : généralité (modalité orale et visuelle)
Ces trois expériences ont pour but de tester notre hypothèse selon laquelle les mots abstraits
seraient avant tout des mots superordonnés. Les expériences 3a et 3c testent la récupération
des mots décrivant des catégories par rapport à des mots décrivant des exemplaires. Par
exemple, rongeur est une catégorie dont castor est un exemplaire. Afin d'éliminer des
phénomènes liés à la tâche, nous avons fait passer cette expérience en
modalité orale
(présentation de définition) et en modalité visuelle (présentation d'images). L’Expérience 3b,
qui utilise le même matériel visuel que l’Expérience 3a contrôle que les déficits observés dans
l'Expérience 3a, sont bien liés à un déficit de l'accès au lexique et non à un manque de
compréhension des concepts manipulés. Par exemple, dans l’Expérience 3a, on présentait une
image de « castor » et une image de « lapin » et il fallait retrouver « rongeur ». Dans
l’Expérience 3b, on présente toujours un serpent et un lézard, et on ajoute une image de tuyau
d’arrosage enroulé. Le sujet doit dire si oui ou non, cette troisième image appartient à la
même catégorie que les deux premières.
Expérience 3a : généralité en dénomination d’images
1) Méthodes
Matériel : Les modalités orales et visuelles ont été testées avec la même liste de mots (voir
annexe III). 30 mots de catégories (ex: rongeur, véhicule) et de 30 mots d’exemplaires de ces
catégories (ex: castor, voiture) ont été sélectionnés. Notre classement en catégorie et en
exemplaires est en bon accord avec les intuitions des sujets sur la généralité de ces mots
23
puisqu’il n’y a aucun recouvrement entre les catégories les plus particulières et les
exemplaires les plus généraux. La longueur moyenne et la fréquence moyenne des mots de
catégories et d'exemplaires étaient les mêmes. Les mots des deux listes appartenaient au
même domaine et à la même classe syntaxique puisque les exemplaires étaient des éléments
des catégories. Dans cette expérience, nous n'avons pas contrôlé le caractère détecté ou pas
des items mais on peut avancer que la quasi-totalité des mots des deux groupes sont des mots
détectés comme le montre la difficulté que nous avons à définir aussi bien les catégories que
les exemplaires de la vie quotidienne comme « jeu », « félin » ou « artichaut » autrement que
par la présentation d’exemples.
Notre hypothèse sur le caractère abstrait des catégories semble en bon accord avec les
intuitions des sujets contrôles puisque les mots superordonnés sont cotés significativement
plus abstraits que les niveaux de base (p < 10-6). Il n’y a même aucun recouvrement entre les
deux listes.
Enfin, bien que les sujets contrôles n’aient pas rencontré beaucoup de difficultés (voir
résultats ci-dessus) à extraire un mot de catégorie des images présentées, les catégories ont été
cotées significativement moins imageables que les exemplaires (1,72 vs 1,25 ; p < 0,001).
C’est donc une variable que nous n’avons pas pu neutraliser.
.
Procédure : Deux membres d’une catégorie ou deux exemples d’un exemplaire de niveau de
base étaient proposés ensemble, il s’agissait de dire à quelle catégorie appartenait les deux
choses présentées, en étant le plus précis possible. L’examinateur présentait d’abord trois
exemples : « ici, il y a un tipi et une maison, ce sont deux habitations », « ici, il y a un
doberman et un teckel, ce sont deux chiens ». Lorsque le sujet donnait une réponse trop
générale, l’examinateur lui rappelait la consigne « donnez la catégorie la plus précise
possible ».
Le type d’images présentées était celui-ci :
24
2) Résultats
Nous avons comptabilisé les taux de réponses correctes. Lorsque le patient a eu besoin d’une
seconde présentation, nous avons compté la réponse comme bonne.
Il y a une différence significative chez mes patients entre le taux de bonne réponse pour les
exemplaires (84,7 ( 17,4) et les catégories (74,7 ( 19,4)) (p = 0,037), alors que les sujets
contrôles sont aussi performants pour les deux types de mots (86,0 13,5 contre 86,0 13,5 ; p
= 0,36).
Généralité en dénomination d'images
Taux de bonnes
réponses
0,9
0,85
0,8
catégories
exemplaires
0,75
0,7
0,65
sujets contrôles
sujets MH
Deux des quatre patients aphasiques présentent des différences significatives (p = 0,018 pour
ACH et p < 0,001 pour TAI). Les résultats sont présentés en Table 5 :
Table 5 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-deviation) à l’Expérience 3a
Exemplaires
Catégories
ACH
90,6
61,3
TAI
93,5
61,3
PLE
87,5
93,5
ART
68,7
58,0
25
Expérience 3b : généralité (contrôle des concepts)
1) Méthode
Matériel : La liste des mots est la même que dans l’Expérience 3a. Le matériel de
l’Expérience 3a se prêtait bien à une vérification de la possession des concepts des mots
demandés dans celle-ci dans la mesure où il suffisait pour tester le niveau conceptuel
d’apparier ensemble des images appartenant ou non à une même classe d’entités.
Procédure : A chaque paire d’images de l’Expérience 3a, nous avons proposé une autre image
en demandant au patient : « La troisième image appartient-elle à la catégorie des deux
premières ? »
2) Résultats
L’expérience contrôle de la possession des concepts n’a pas montré de différence significative
(p = 0,4) entre catégories et exemplaires, pas plus qu’entre patients et contrôles (voir Table 5).
Les patients atteints de MH n’ont donc pas de troubles proprement conceptuels.
Table 6 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-deviation) à l’expérience 3b
Exemplaires
Catégories
Patients MH
94,5 ( 6,0)
92,7 ( 9,6)
Contrôles
95,8 ( 8,7)
94,9 ( 10,6)
26
Expérience 3c : généralité en définition
1) Méthode
Matériel : Les mots sont les mêmes que dans l’Expérience 3a. La modalité orale a été testée
par une tâche de définition. L’examinateur donnait une définition de la catégorie ou du niveau
de base, et le patient devait donner un seul mot.
Exemple :
Famille d’animaux terrestre recouverts d’écailles et à sang froid. [reptile]
Un animal sans membre se déplaçant par reptation. [serpent]
Sujets : Dans cette expérience, un autre groupe de patients MH a été testé (voir table 6).
Aucun aphasique n’a été testé.
Table 7 : Caractéristiques démographiques des sujets testés (Moyennes
Age
Sexe
Latéralité
(ans)
Contrôles
46.1
Standard déviation)
Niveau
Nombre
Durée
culturel
de
d’évolution
moteur
(années)
codons
(années)
UHDRS
-
-
13 F / 7 M
19 D/ 1G
13.2
4.3
2F/5M
6 D/ 1G
12.0
2.8
TFC
13
Score
0
6.6
Patients MH
50.0
4.2
43.7
2.3
10.3
2.6
9.9
2 .2
45.1
18.4
Procédure : Le patient était averti que le test contenait deux types de mots, des mots plus
généraux comme « habitation » et des mots plus particuliers comme « tipi », et qu’il devait
bien faire attention à donner un mot général, un nom de catégorie quand la définition le
demandait, et non pas un exemple de la catégorie. Au cours de l’expérience, l’examinateur
intervenait pour répéter la consigne lorsque le patient donnait un exemple de la bonne
catégorie, mais pas la catégorie elle-même.
2) Résultats
27
Nous avons comptabilisé les taux de réponses correctes. Lorsque le patient a eu besoin d’une
seconde présentation, nous avons compté la réponse comme bonne. Les résultats sont
présentés en Table 7. Les patients MH et les sujets contrôles montrent une différence
significative entre exemplaire et catégorie (respectivement p = 0,032 et p < 0,001). Une
ANOVA ne donne pas de différence significative entre l’écart entre exemplaire et catégorie
chez les patients MH et chez les contrôles (p = 0,47).
Table 8 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-deviation) à l’Expérience 3c
Exemplaires
Catégories
Patients MH
59 ( 24,0)
71 ( 18,9)
Contrôles
79 ( 12,8)
92 ( 9,8)
Généralité en définition
Taux de bonnes
réponses
1
0,8
0,6
catégories
0,4
exemplaires
0,2
0
Sujets MH
Sujets contrôles
Lorsque l’on restreint l’analyse en éliminant les items catégorie trop difficiles pour les
contrôles de façon à faire disparaître la différence entre exemplaires et catégorie pour cette
population, elle disparaît aussi pour les sujets HD.
Discussion des Expériences 3a, 3b et 3c
L’Expérience 3b nous assure que les effets observés dans les deux autres expériences ne sont
pas dus à une atteinte du système conceptuel des MH. L’effet spécifique observé chez les
patients MH dans l’Expérience 3a disparaît dans l’Expérience 3c. On peut proposer que la
différence observée entre catégories et exemplaires soit due à une particularité de la tâche
28
proposée dans l’expérience 3a. Les fonctions exécutives mobilisées dans la récupération du
concept étaient peut-être plus importantes pour deux images différentes (expérience 3a) que
pour une définition (expérience 3c).
3.5 Expérience 4 : domaine social (modalité orale)
Cette expérience a pour but de comparer à la fois la récupération des mots sociaux et des mots
non sociaux, et la récupération des mots détectés et des mots définis.
1) Matériel
Nous avons construits une liste comprenant deux groupes de 20 mots (voir annexe IV). L’un
contient des mots à caractère social (honte, chef, louer, colonie), l’ autres des mots relevant de
domaines sémantiques divers non sociaux (chaleur, frisson, siècle, mammifère). La longueur
moyenne et la fréquence moyenne des mots de chaque groupe était la même. Les mots
sociaux étaient côtés comme aussi généraux que les mots non sociaux (p = 0,12 ). Les deux
groupes contenaient autant de verbes, d’ajectifs que de noms.
Notre hypothèse sur l’importance du domaine écologique est corroborée puisque, en dépit de
tous les contrôles, les mots sociaux sont cotés significativement plus abstraits que les mots
non sociaux (p = 0,04 pour les sociaux).
Les mots non sociaux ont été choisis pour être les moins visuels possibles (mots du goût, de
l’odorat, du toucher, de l’ouie, mors théoriques) pour pouvoir neutraliser l’imagerie mentale.
La cotation réalisée par les sujets sains montre que les mots sociaux sont cotés aussi
imageables que les mots non sociaux (t, p = 0,4).
Pour chaque mot, une définition a été proposée. Les définitions ont été équilibrées en
longueur (voir annexe IV).
Exemple :
Personne qui commande. [chef]
Cessation définitive de la vie. [mort]
Les sujets testés sont les mêmes que l’Expérience 3c.
29
Procédure : Les définitions ont été présentées oralement. L’examinateur donnait un exemple
de définition puis commençait l’expérience. Il n’intervenait que lorsque le patient donnait une
réponse qui n’appartenait pas à la bonne catégorie syntaxique : « il faut donner un verbe, ici ».
2) Résultats
Nous avons comptabilisé les taux de réponses correctes. Lorsque le patient a eu besoin d’une
seconde présentation, nous avons compté la réponse comme bonne
Il y a une tendance des patients MH à retrouver moins bien les mots sociaux que les mots non
sociaux (p = 0,55). Les résultats sont présentés en Table 9 :
Table 9 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-deviation) à l’Expérience 4
Mots sociaux
Mots non sociaux
Patients MH
46,6 ( 24,6)
50,0 ( 26,6)
Contrôles
69,2 ( 20,2)
70,6 ( 16,5)
Taux de bonnes
réponses
Domaine social en définition
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
Mots non sociaux
Mots sociaux
Sujets MH
Sujets contrôles
3) Discussion
On observe une tendance vers une différence entre mots sociaux et mots non sociaux mais elle
reste marginale. Une comparaison plus fine entre détectés sociaux et détectés non sociaux, et
30
entre définis sociaux et définis non sociaux ne donne pas non plus de résultats. On peut donc
conclure que les patients de MH ne présentent pas de trouble du lexique social.
Cela ne veut pas dire que cette catégorie n’existe pas en tant que telle et qu’une dissociation
ne peut être observée. Nous n’avons pu tester aucun aphasique avec matériel. Il est possible
que certaines aphasies donnent lieu à une atteinte spécifiques des mots sociaux. Il serait
intéressant de tester spécifiquement les patients autistes ou atteints de troubles sociopathiques
avec ces listes.
3.6 Expériences 5a et 5b : verbe/nom (modalité orale et visuelle)
Expérience 5a : verbe/nom en phrase à trous
1) Méthode
Matériel : Nous avons repris le matériel de Bachoud-Lévi et Dupoux (2003) de deux listes de
verbes et de noms homophones (vœux et tu veux) de manière à éliminer des facteurs comme
une inégale complexité morphologique (voir annexe V). Les deux groupes sont cotés à un
même niveau de généralité et relèvent des mêmes domaines (sport, tâche quotidienne, etc.). Il
n’y a donc pas d’interférence avec les hypothèses de généralité ni de spécificité de domaine.
La répartition entre détectés et définis n’a pas été contrôlée.
La cotation en concrétude donne des résultats est a priori paradoxaux dans la mesure où les
verbes sont cotés comme aussi concrets que les noms (1,73 vs 1,82 ; p = 0,38) alors que
Bachoud-Levi et Dupoux (2003) avaient obtenu le résultat inverse avec une liste un peu
différente (4,1 vs 3,2, t(21) = 3,60, p < .0001). Nous avons déjà évoqué ce point en 3.2. Selon
nos sujets, notre matériel n’a donc pas de rapport avec l’abstraction intuitive utilisé par les
études déjà publiées.
L’imageabilité des deux listes est la même.
Nous avons testé la modalité orale par une tâche où les sujets devaient compléter des pharses
à trous.
31
Procédure : Les phrases étaient construites de manière à ce qu’il y ait le moins d’ambiguïté
possible sur l’identité du mot cible. Le mot cible était remplacé par « hum » dans la phrase
dite par l’examinateur.
Exemple :
Tous les ans, je lui adresse mes meilleurs _____ pour la nouvelle année. [vœux]
2) Résultats
Les patients de MH ne présentent pas de différences significatives pour les verbes et les noms
pour la modalité orale (p=0,95). Les résultats sont présentés en Table 10.
Aucun des aphasiques testés ne montre de différence significative entre verbes et noms.
Table 10 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-devoiation) à l’Expériences 5a
Noms
Verbes
Patients MH
85,3 ( 7,6)
85,6 ( 8,4)
Contrôles
93,9 ( 14,8)
93,3 ( 11,5)
Expérience 5b : verbe/nom en dénomination d’image
1) Méthode
Matériel : Nous avons construit deux listes de noms et de verbes très imageables pour pouvoir
être utilisés avec une tâche visuelle. La fréquence moyenne et la longueur moyenne des mots
étaient la même. Les deux listes de mots sont cotées aussi générales (p < 0,001) et relèvent
des mêmes domaines (sport, tâche quotidienne, etc.). Il n’y a donc pas d’interférence avec les
hypothèses 1 et 2. La répartition entre détectés et définis n’a pas été contrôlée mais il y a de
bonnes raisons de penser que tous les mots utilisés sont tous détectés dans la mesure où ils
sont très visuels.
32
Les verbes ont été cotés significativement plus abstraits que les noms (1,33 vs 1,09, p <
0,001), ce qui est en accord avec notre intuition de l’abstraction.
En dépit du caractère très imageable des verbes (repasser, courir), ceux-ci ont été cotés
significativement moins imageables que les noms (1,50 vs 1,26, p <0,001). Cela est peut-être
dû au fait que les verbes étaient présentés à l’infinitif et non conjugués ce qui rend l’action à
imaginer moins précise (« il repasse » vs « repasser »).
Les mots étaient suggérés par de petites images comme ci-dessous :
[déboucher]
[église]
Procédure : Le patient était averti qu’il y avait des verbes et des noms dans la liste, les verbes
correspondant à des actions, les noms à des objets, et l’examinateur lui indiquait la bonne
catégorie syntaxique lorsqu’il ne la choisissait pas lui-même.
2) Résultats
La différence n’est pas significative entre les verbes et les noms pour les malades de MH (p =
0,39). Les résultats sont présentés en Table 11.
Tables 11 : Pourcentages de bonnes réponses (et standard-deviation) à l’Expérience 5b
Verbes
Noms
33
Patients MH
93,9 ( 10,8 )
90,4 ( 11,5 )
Contrôles
94,2 ( 13,8)
92,8 ( 8,6)
3) Discussion
Les patients atteints de MH ne semblent pas avoir de difficultés particulières pour les verbes
en dépit pourtant des difficultés du patient atteint d’une aphasie du noyau caudé et des
difficultés d’application des règles de conjugaison des malades de MH (Teichamn et al. En
préparation).
L’absence de résultats est peut-être due au matériel utilisé. En effet, celui-ci était
particulièrement facile comme en témoigne les taux élevés de réussite et la nature des erreurs
faites par les sujets. Ces dernières ne sont pas des erreurs de récupération de mots (le sujet
donnerait un mot approché ou inexact) mais des erreurs conceptuelles dues aux images ou au
savoir commun des sujets. Un matériel avec des mots plus rares montrerait peut-être des effets
plus significatifs. Cependant, il n’y a pas de raison de penser a priori que les déficits des
patients MH pour les verbes soient du même ordre d’importance que ceux notés pour
l’application des règles de syntaxe.
3.7 Expérience 6 : abstraits intuitifs (modalité orale)
Cette dernière expérience a pour but de voir si la différence que nous avons observée chez les
patients MH pour la généralité entraîne une différence pour les mots abstraits intuitifs qui ont
été utilisés par Bachoud-Lévi et Dupoux pour leur patient DPI.
2) Matériel
Nous avons utilisé 24 mots concrets (beurre, bigorneau) et 24 mots abstraits (dette, paire)
appariés en longueurs (1,96 vs 1,92, p = 0,85) et en fréquence (voir annexe VI)
Procédure: Nous avons choisi de présenter aux patients des définitions des mots à nommer
pour des raisons méthodologiques : les mots abstraits étaient moins imageables que les mots
concrets. Il y aurait donc eu un biais fort en faveur des concrets. De plus, pour faire deviner
les mots abstraits de la liste, il aurait fallu avoir recours à de petites histoires ou à de
nombreuses images, ce qui aurait rendu la tâche beaucoup plus difficile à contrôler. Il était
34
demandé aux sujets de trouver le mot correspondant à la définition. Les définitions étaient
présentées oralement, et répétées une fois en cas d’échec.
Exemple : Contrat de location d’appartement. [bail]
3) Résultats
Nous avons comptabilisé les taux de réponses correctes c’est-à-dire correspondant à la
réponse attendue et trouvée par plus de 80 % des sujets contrôles dans une expérience pilote.
Lorsque le patient a eu besoin d’une seconde présentation, nous avons compté la réponse
comme bonne.
Les patients atteints de MH ne sont pas significativement ( p = 0.713) moins performants que
les contrôles pour les abstraits que pour les concrets. Les patients et les contrôles retrouvent
significativement moins bien les abstraits ( p < .05). Les malades de Huntington présentent la
même différence que les contrôles, leur taux de réussite étant seulement inférieur à celui des
contrôles (voir Table 12).
Table 12 : Pourcentage moyen de réponses correctes (et standard-déviation) pour l'expérience
5b
Concrets intuitifs
Abstraits intuitifs
Patients MH
80 ( 17,0)
67 ( 24,0)
Contrôles
88 ( 16,7)
73 ( 12,9)
35
Abstraits intuitifs en définition
Taux de bonnes
réponses
1
0,8
0,6
Concrets
0,4
Abstraits
0,2
0
Sujets contrôles
Sujets MH
Les patients et les contrôles retrouvent significativement moins bien les abstraits (p < .05).
Les malades de Huntington présentent la même différence que les contrôles, leur taux de
réussite étant seulement décalé vers le bas. Lorsque l’on restreint l’analyse en éliminant les
items catégorie trop difficiles pour les contrôles de façon à faire disparaître la différence entre
exemplaires et catégorie pour cette population, elle disparaît aussi pour les sujets HD.
4) Discussion
La différence significative entre les mots concrets et les mots abstraits chez les sujets
contrôles correspond bien à l’intuition que les mots abstraits sont plus difficiles à manipuler.
Le matériel que nous avons utilisé avait d’abord été testé chez des sujets contrôles plus jeunes
et plus diplômés que les sujets contrôles des patients MH. Ceux-ci ne présentaient pas de
différences significatives entre les concrets et les abstraits, ce qui montre que l’abstraction
dépend du niveau culturel. Sur un plan méthodologique, cela démontre également
l’importance de tester des groupes contrôles appariés en âge et en niveau culturel. Si le groupe
de témoins jeunes et cultivés avait été utilisé pour la comparaison, nous aurions conclu à tord
à une atteinte spécifique des mots abstraits chez les MH.
Il est intéressant de noter qu’on ne retrouve pas la différence significative obtenue dans
l’Expérience 3a en dépit du fait que les mots généraux sont abstraits et que les mots abstraits
sont généraux. Il apparaît donc utile de tester plusieurs définitions analytiques plutôt qu’un
critère intuitif.
L’absence de différence significative des patients MH par rapport aux contrôles montre que
ces patients ont peut-être un déficit lexical diffus mais non spécifique à une des deux
catégories testées. Les moins bonnes performances des sujets MH pourraient être liées à un
36
phénomène linguistique plus général (comme la compréhension de la syntaxe) ou à un déficit
des fonctions exécutives nécessaires ici pour comprendre le sens de la définition.
3.7 Discussion générale
Il ne semble pas que les patients atteints de MH aient des troubles du lexique concernant les
mots abstraits ainsi que les autres classes de mots définis comme potentiellement abstraits. Ils
présentent plutôt des difficultés générales pour retrouver le bon mot. Dans la mesure où nous
avons manipulé de nombreux facteurs en rapport avec la difficulté à retrouver un mot
(imageabilité, abstraction intuitive, généralité, domaine social, verbe, non détection), il est peu
probable que ces difficultés générales soient d’ordre purement lexical. Il est vrai que nous
n’avons pas testé par exemple la fréquence des mots ou la longueur qui sont d’autres facteurs
corrélés avec des difficultés de récupération lexicale. Cependant, il est plus économique de
penser que, comme les patients HD reproduisent les mêmes écarts que les sujets contrôles
entre catégories aisées et difficiles à retrouver, leurs problèmes doivent plutôt être de l’ordre
des fonctions exécutives.
De ce point de vue, il conviendrait de creuser la différence qu’il y a à récupérer un mot par
une tâche de dénomination d’image et par une tâche de définition puisque nous avons obtenu
une différence significative entre catégorie et exemplaire dans l’Expérience 3a que nous
n’avons pas retrouvé dans l’Expérience 3c.
L’absence de résultats significatifs avec les différents contrastes testés ne signifie pas pour
autant que tout ou partie des catégories que nous avons construites ne mobilisent pas des
circuits neuronaux spécifiques. Il faudrait appliquer le matériel que nous avons construit ici
avec d’autres types de patients, en particulier différents types d’aphasies temporales.
37
4. Conclusion
Notre travail a permis de montrer que les mots abstraits pouvaient être définis plus
précisément que par l’intuition et plus positivement que par la non-simplicité ou la non
imageabilité (Expérience 1). Sur la base de nouvelles définitions, les mots abstraits peuvent
constituer une classe de mots susceptible d’être touchée, comme les animaux ou les nombres,
par des troubles spécifiques d’une catégorie. Néanmoins, nous n’avons pas pu mettre en
évidence chez des sujets contrôles ces sous-systèmes cognitifs propres aux mots abstraits
(Expérience 2). L’absence de résultats est peut-être due au protocole (tâche de mémoire) qui
n’a pas su activer suffisamment ces sous-systèmes.
L’application de ces définitions à des patients atteints de MH et à des aphasiques a permis de
montrer que les MH n’avaient pas de troubles spécifiques des mots abstraits. Alors que les
MH connaissent d’importants troubles de l’utilisation des règles syntaxiques, nos expériences,
qui testent un ensemble important de facteurs, suggèrent que leurs troubles lexicaux sont
réduits. Seule une expérience (Expérience 3a) a donné des résultats significatifs. Sa
comparaison avec les autres tâches de récupération de mots pourrait nous éclairer sur les
problèmes, probablement exécutifs, que rencontrent les MH.
L’absence de résultats sur les quatre aphasiques testés ne constitue pas une infirmation des
caractérisations proposées pour les mots abstraits. La neuropsychologie des déficits
spécifiques d’une catégorie est avant tout une étude de cas uniques. S’ils existent, comme le
suggèrent les quelques dissociations observées en faveur des mots abstraits, nous n’avons pas
eu affaire à l’un de d’eux. Néanmoins, notre matériel peut permettre à l’avenir d’observer de
nouveaux déficits spécifiques d’une catégorie qui, sans cela, seraient restés dans l’ombre. En
particulier, il pourrait permettre d’éclairer les relation entre le lexique et les systèmes
d’inférences spécialisés auquel il est relié : les troubles de ces systèmes (par exemple, la
théorie de l’esprit dans l’autisme) entraîne t-elle des déficits spécifiques d’une catégorie ?
C’est toute laquestion des relations entre le langage et la pensée qui est ici posée.
Enfin, les diverses tâches de cotations que nous avons fait passer à des sujets contrôles sur
l’imageabilité, la concrétude et la généralité en fonction de nombreux paramètres éclairent
incidemment une autre question, moins linguistique, celle des critères qui sont à l’origine de
notre sentiment d’abstraction. Loin d’être un sentiment homogène, il peut être décomposé en
plusieurs facteurs seulement partiellement corrélés.
.
38
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42
Liste des annexes
I. Expérience 1
Liste des mots imageables et non imageables
II. Expérience 2
Liste des mots détectés et définis
III. Expériences 3a, 3b et 3C
Liste des mots catégories et exemplaires
III. Expérience 4
Liste des mots sociaux et non sociaux
IV. Expériences 6
Liste des verbes et des noms
V. Expériences 7 et 8
Liste des abstraits intuitifs
43
Remerciements
Je remercie Anne-Catherine Bachoud-Lévi et Dan Sperber, mes directeurs de DEA, qui m’ont
encadré tout au long de l’année avec attention et gentillesse. Emmanuel Dupoux a joué un
rôle crucial pour coordonner mes activités sur trois laboratoires, je le remercie vivement
d’avoir pu permettre cette colaboration interdisciplinaire. Je dois ajouter des remerciements
particuliers à Anne-Catherine Bachoud-Lévi qui a eu la lourde, ingrate et difficile tâche de me
faire plonger les mains dans le cambouis de l’empirie.
Je remercie également Vanessa Nurock, Daniel Andler, Emmanuel Dupoux, Karim N’Diaye
et Pascal Boyer pour m’avoir poussé à faire ce dea, cette année et avec cette équipe. Leurs
conseils m’ont été précieux.
Isabelle Darcy, Diogo Almeida, Marie-François Boisse et Sophie Baudic m’ont
généreusement aidé dans mon travail de laboratoire. Je leur en suis reconnaissant.
Violaine Tisseau a relu ce manuscrit, Karim N’Diaye a apporté une aide technique
indispensable. Je les remercie, ainsi que tous les habitants et associés du 45, avenue de la
République qui ont eu la patience et l’amitié de supporter avec moi les aléas de cette année.
Je remercie enfin tous les sujets contrôles et les patients de l’hopital Henri-Mondor qui ont
bien voulu se plier au cadre parfois contraignant de mes expériences.
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I. Expérience 1
Liste des mots imageables et non imageables
Mots
Mots non imageables
humide
crampe
rire
nausée
froid
brulé
migraine
sucré
sueur
mouelleux
hurlement
rapeux
frisson
mouillé
amende
moisissure
Moyenne non imageables
Moyenne imageable
balcon
méduse
hanche
dinosaure
soleil
comète
carré
jardin
cercle
trône
médaille
orangé
transparent
bulle
Moyenne immageables
Note d'imageabilité
Note de concrétude
3,07
2,86
2,07
2,29
2,57
1,93
3,14
2,64
1,79
2,50
2,64
3,07
2,57
1,79
2,71
1,79
2,46
1,63
1,44
1,50
1,63
1,88
1,38
2,06
1,50
1,25
1,88
1,44
1,81
1,50
1,25
1,94
1,63
1,61
1,14
1,07
1,07
1,29
1,36
1,29
2,07
1,43
1,43
1,57
1,36
2,29
2,07
1,43
1,49
1,13
1,06
1,19
1,63
1,50
2,06
2,00
1,13
2,06
1,81
1,25
2,00
2,00
1,25
1,58
46
II. Expérience 2
Liste des mots détectés et définis
Mots
Liste A
détectés
snob
cajoler
sourire
respect
mépris
nausée
frissonner
parent
crampe
rêve
durée
brulé
aigu
chaleur
onctueux
définis
domaine social
salaire
royaume
dette
athée
louer
virus
gène
puberté
vaccin
prédateur
climat
chimie
météo
milliard
siècle
Mots
Liste B
détectés
ridicule
menacer
vulgaire
punition
dédain
fouiner
écoeurant
crainte
douleur
endormi
strident
premier
amer
humide
rugueux
Définis
Domaine social
bail
tante
paix
innocent
vote
hérédité
calorie
clone
carnivore
stérile
azote
alphabet
kilomètre
physique
atomique
47
III. Expériences 3a, 3b et 3C
Liste des mots catégories et exemplaires
Catégories
Rongeur
Reptile
Bijoux
Poisson
Animal
Jeu
Oiseau
Meubles
Nourriture
Arme
Singes
Planète
Véhicule
Bagages
Dessert
Instrument de musique
Fleurs
Couvert
Fruit
Vivant
légume
chiffre
Arbre
Vetement
Pièce
Insectes
Outil
Membres
Organe
Plante
Felin
Exemplaires
Cerise
Aigle
Serpent
Fourmi
Piano
Cactus
Rose
Artichaut
Cerveau
Collier
Perroquet
Trois
Banane
Valise
Canon
Marteau
Commode
Palmier
Table
Castor
Chimpanzé
Gâteau
Jambe
Voiture
Terre
Un
Couteau
Manteau
Trompette
Cœur
Requin
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III. Expérience 4
Liste des mots sociaux et non sociaux
Mots sociaux
Détectés
menacer
tricheur
chef
sourire
rire
donner
bouder
détester
moquerie
mépriser
Définis
louer
licencier
honoraire
braconnage
retard
respect
colonie
punition
messe
bail
Mots non sociaux
Détectés
aigu
mort
migraine
pleuvoir
couler
amer
tomber
frisson
rugueux
crampe
Définis
mammifère
vaccin
hérédité
organe
climat
biologie
archipel
alphabet
siècle
puberté
49
IV. Expériences 5a et 5b
Liste des verbes et des noms
Expérience 5a
Noms (accordés au
contexte)
vie
faits
cours
prix
marché
cri
danse
bois
salle
ferme
marches
coupe
boîte
porte
fête
bouche
doutes
couches
livres
nuit
Verbes (conjugués)
prie
fait
vit
court
ferme
boite
coupe
portent
crie
sales
marcher
danse
marchent
boit
fête
bouche
livre
couches
nuit
doute
Expérience 5b
Noms
araignée
balle
chapeau
château
cheval
chocolat
crayon
croix
église
épouvantail
fraise
gateau
hippopotame
journal
kangourou
livre
marin
loupe
moto
seau
sourcil
tabouret
Verbes
arroser
bêcher
boire
conduire
cracher
courir
déboucher
dormir
écrire
fumer
lancer
Lire
Nager
Pêcher
Piloter
Plier
Ramer
Ratisser
Repasser
Sauter
Skier
Verser
50
V. Expériences 6
Liste des abstraits intuitifs
Concrets
artichaud
cheval
montagne
journal
chaise
crocodile
serpent
chaîne
casquette
allumette
hirondelle
bague
beurre
hanche
feuille
quilles
barbe
forêt
selle
jardin
rideau
éponge
pantalon
chandelier
horloge
lit
bigorneau
crucifix
échiquier
olivier
Moyenne
Abstraits
retard
paix
perte
honoraire
tragédie
vertige
braconnage
discours
paire
dette
panne
serment
alphabet
ignorance
semaine
messe
honte
deuil
bail
santé
salut
respect
organe
usure
colonie
punition
puberté
tante
évasion
addition
Moyenne
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