le testament - Cours de theatre Paris

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le testament - Cours de theatre Paris
LE TESTAMENT
de Muriel ROBIN
Hier je me sentais bien, j'étais en pleine forme, de bonne humeur, une pêche pas possible.
Je me suis dit : « allez tiens, je vais faire mon testament »
Oh ! La vache, à ça m'a pris la nuit. A la fin, j'étais morte, je n'arrête pas de changer des
trucs. Tout à l'heure ma sœur m'a appelé, elle m'a contrariée. Tactactactactactac. Quatre
pages ! J'ai fait sauter 4 pages.
Alors sinon, je crois que c'est pas mal. J'ai fait deux parties, moi.
La première partie, j'ai mis 1, petit a : tous les gens que j'aime. Alors il y a Poupette, il y a
Pierre, il y a Alain, il y a Françoise, Bernard. Petit b, j'ai mis ceux qui m'aiment aussi. C'est
important quand même.
Où je l'ai foutu ce post-it ! Ah, le voilà ! Ah ah ! Il faudra que je le recopie sur mon machin. Il
n'y en a pas pour une heure non plus. Bon ! Petit c, j'ai mis les gens que j'aime bien, comme
ça. J'ai mis le Prince Charles. Je l'aime beaucoup … et toutes ces histoires…
Bref. Alors l'autre partie, j'ai mis tous mes biens. Ça m'a pris un temps… J'ai tout listé, tout
numéroté, tout étiqueté. Vous verriez chez moi, il y a des étiquettes partout. Alors le premier
commence à un, forcément.
Et le dernier, je vais vous le dire… 5012.
Alors là, on est au bord de la grande surface, c'est Carrefour.
Simone, 2088. Je ne peux pas la voir, cette Simone. Qu'est-ce que je lui ai mis ? Ah très
bien ! Une télécommande. Elle va être contente Simone, de faire clac clac… Très bien…
hein, Jean Denis. Qui c'est celui là ? Je ne connais pas, je ne sais pas qui c'est. Ah ! Jean
Denis, séparé. C'est mon frère.
Alors là, vous allez voir quand vous allez le faire, le testament. Le plus difficile, c'est les
proches.
Parce qu'il y a ce qu'on veut leur donner mais il y a aussi ce qu'ils pensent qu'ils vont avoir.
Et alors, là, il faut le trouver le juste milieu. Par exemple, ma sœur. Elle pense qu'elle aura
100 000, moi je voulais lui laisser 20 000. Et ben, le juste milieu, elle aura, clac, 10 000. Les
proches. Les parents. Mes parents, ce n'est pas que je ne veuille rien leur laisser mais enfin
bon, dans l'ordre des choses, s'il y a un bon dieu, s'il ne m'arrive pas de tuile, quand même si
tout se passe bien, c'est quand même eux qui vont partir avant moi ! Merde alors ! Il ne
manquerait plus que ça !
Remarquez je m'excite mais s'ils meurent avant, ils vont me léguer des trucs que j'ai pas du
tout pris en compte, moi. Et bien, c'est des trucs à redistribuer ça. C'est du boulot ! Vous
allez voir : « Ce jour, je lègue à mes parents tout ce qu'ils m'auront légué » Et en même
temps, si c'est pour prendre un camion, tout déménager de chez eux, venir chez moi,
décharger le camion, le recharger pour repartir chez eux. Tout ça le jour de l'enterrement !
Franchement, on aura autre chose à foutre qu'à trimballer les meubles ! D'autant qu'on aura
les deux cercueils à se farcir. Enfin, je dis les deux, les trois. Parce que moi, entre temps j'y
suis passée.
Ça ne tient pas la route mon truc. Moi, je vous la donne la combine. Ils me donnent tout, je
ne garde rien. Et rendez vous au tas de sable. Moi les parents, ça va. Et alors pour le reste,
pareil pour tout le monde : 10 000, 10 000, 10 000. Et il me reste … 800 000. C'est une
somme, hein. Mais ça tout le monde le comprendra, c'est pour ma fille. C'est bien normal,
elle le placera, elle le dépensera, elle en fera ce qu'elle veut d'ailleurs. Je ne serai plus là.
C'est à elle, c'est à elle. Alors quand même, détail important : « penser à faire … une fille ! ».
Voilà. Alors, moi je ne sais pas vous. Mais moi, tout ce qui est cousin, cousine, c'est famille
et pas famille. C'est-à-dire, ce n'est pas 10 000, ça c'est sûr. Ça ne peut pas dix balles non
plus.
Moi j'en meurs d'envie, mais on ne peut pas, ce n'est pas la peine. Il est bien mon testament,
non ! D'ailleurs si je veux aller jusqu'au bout, il faut que je pense à la concession. Il y a en 2,
3, par cœur, je les connais.
Ils sont capables de me poser à même le sol.
A l'indienne, on la bâche et puis on va bouffer.
Alors bon, pour le marbre, il faut que je pense à la couleur, à la forme, au texte. Le… truc là,
ça a un nom …c'est important le …flafff.. Et pis merde, épitaphe ! Je ne veux pas une phrase
du genre « ci gît », ça on s'en doute que j'y gît, j'y fais pas des crêpes.
Si j'y gît, c'est que j'ai pas pu faire autrement !
Non, je voudrais un truc plus original.
Ou peut être aussi, c'est pas mal une phrase connue, une phrase comme ça … « pour
toujours », « à tout jamais », « à tout à l'heure », « je reviens ». Je ne sais pas. Je me dis, il
faut que je pense au cercueil. On n'aime pas ce mot, comment voulez-vous que je l'appelle.
J’suis énervée moi ! Franchement qu'est ce que j'ai besoin d'aller faire un testament, moi. Je
vais bien, je suis en pleine forme, j'ai jamais été aussi bien. Il n'y a aucune raison pour que je
meure.
On ne va pas me tirer dessus demain ! Je ne travaille pas dans la mafia.
Je suis caissière au Printemps.
Avant qu'on me tire dessus, j'ai une petite margeounette.
Vous allez dire je me coince les doigts dans le tiroir-caisse, franchement oh ! , ben oui, je
jugule très vite, hémorragie, je garrotte, je garrotte.
Je ne me vide pas de mon sang comme ça à la première éraflure, un samedi après-midi, au
Printemps rayon soutien-gorge.
Quels bonnets ? Quels bonnets ? ON DIRAIT QU'ELLES PARTENT TOUTES AU SKI ! ! ! Je
ne peux plus les voir. Je vais m'en faire une. Je vais en dessouder une, je le sens. Je sais
même laquelle. Celle qui rigole tout le temps. Hihihi… Combien je vous dois ? Hihihi…
Combien tu me dois ?
Regarde ça va aller très vite ? (imite deux coups de pistolet) Ah ! tu rigoles moins ! ça te l'a
coupée la chiquette ! Comme ça j'irai en prison, je serai prise en charge. Mon lit ma gamelle.
Bonbons, esquimaux, caramels. Je tomberai amoureuse d'un maton, bouffe l'esquimau et
pas le bâton.
Voilà. Vous avez vu en tout cas je vais bien ? Écoutez, quand je prépare mon testament, je
rêve que je vais en prison. Si ça ce n'est pas une fille qui va bien ! Franchement si on vous
demande comment je vais. Vous direz : ben, écoutez, nous, on l'a vue cette fille. Et bien, elle
va drôlement bien !