Le choix du premier traitement dans l`ostéoporose
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Le choix du premier traitement dans l`ostéoporose
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Revue du Rhumatisme 75 (2008) 382–384 Éditorial Le choix du premier traitement dans l’ostéoporose夽 Selecting first-line treatment for patients with osteoporosis Mots clés : Fractures ; Ostéoporose ; Traitements de l’ostéoporose ; Adhésion ; Observance Keywords: Fractures; Osteoporosis; Strategies for osteoporosis; Adhesion; Compliance Les indications des traitements antiostéoporotiques ont été clarifiées par les recommandations de l’Afssaps publiées en février 2006. Ces recommandations ont été élaborées à partir des données d’autorisations de mise sur le marché (AMM), et des résultats d’essais thérapeutiques ayant démontré l’efficacité de ces traitements, c’est-à-dire leur capacité à réduire l’incidence des fractures. Les essais thérapeutiques pris en compte ont été conduits sur le principe de la médecine basée sur les preuves (evidence-based medicine [EBM]), de manière prospective, contre placebo. La réduction du risque de fracture est bien entendu le seul critère à considérer. Ces recommandations permettent donc de savoir quels traitements sont efficaces, mais elles n’indiquent pas quel traitement doit être choisi en première intention. La question du choix du premier traitement ne peut pas être résolue sur des critères EBM. En effet, il n’existe pas dans la littérature d’essais randomisés comparatifs des traitements entre eux sur leur effet antifracturaire. Les critères intermédiaires que sont la densité osseuse et les marqueurs biochimiques du remodelage ne peuvent pas servir à la comparaison des traitements entre eux, puisque ces deux critères intermédiaires ne sont pas liés de manière nette au bénéfice antifracturaire, d’une part, et que, d’autre part, l’effet des différentes molécules sur ces paramètres peut être différent sans pour cela préjuger d’une différence d’effet antifracturaire. Autrement dit, nous ne disposons pas dans l’ostéoporose d’une étude de type BEST qui compare dans la polyarthrite rhumatoïde non seulement des traitements différents mais aussi des stratégies différentes d’usage et de succession des traitements de fond. Les méta-analyses ne sont pas non plus des éléments fiables de comparaison : leur lecture attentive montre que les paramètres choisis varient d’une méta-analyse à l’autre : doses des traite- 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais sa référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2007.11.008 ments étudiés (et comparés), durée de suivi, choix des fractures étudiées, caractéristiques des patientes, sévérité de la maladie, temps d’analyse. . . Le changement d’un seul paramètre modifie le résultat de la méta-analyse et l’attention des praticiens a récemment été attirée sur ce point [1]. Il faudra par conséquent dans l’avenir réfléchir à la valeur que l’on peut accorder à des études observationnelles comparatives prospectives ajustées sur les paramètres accessibles de confusion [2]. Notre expérience doit ici nous enseigner : toutes les études (très nombreuses) observationnelles du traitement hormonal substitutif ont donné le même résultat que l’étude Woman Health Initiative (WHI) (première étude randomisée contre placebo) pour le risque de fracture et le risque de cancer du sein, mais une différence, et de taille, est apparue pour le risque artériel. Dans la mesure où une étude comparative de deux traitements antiostéoporotiques sur le risque de fracture nécessiterait un nombre considérable de patientes, elle ne sera jamais faite et une nouvelle méthodologie mérite donc d’être élaborée. Le choix du premier traitement chez une patiente ostéoporotique repose donc sur l’avis du praticien, qui peut s’appuyer sur trois éléments. Le premier à respecter est la contrainte des conditions d’AMM et de remboursement. Le second est la connaissance sur le traitement, en tenant compte de son efficacité et de sa réversibilité. Son efficacité peut dépendre des caractéristiques de la population étudiée (et donc s’appliquer plus ou moins bien à la patiente : âge, T score. . .) et peut être différente selon la nature du risque fracturaire (risque vertébral seulement et/ou risque périphérique ou risque majeur de fracture de l’extrémité supérieure du fémur). Un grand nombre de données en circulation reposent sur des analyses posthoc, c’est-à-dire des analyses conduites après la fin de l’étude dans des groupes de patientes définis a posteriori. Ainsi s’expliquent des bizarreries : tel médicament a un effet sur le risque de fracture du col fémoral chez les femmes de plus de 74 ans, mais l’effet n’est pas statistiquement significatif chez les femmes de plus de 80 ans, tel autre réduit le risque de fracture non vertébrale seulement si le T score est Éditorial / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 382–384 inférieur à −3, tel autre enfin seulement s’il existe déjà plusieurs fractures vertébrales. . . Ces analyses posthoc sont très utiles au prescripteur, mais elles font l’objet de peu d’attention de la part des méthodologistes. La réversibilité est un élément important à prendre en compte dans une stratégie thérapeutique à long terme et d’autant plus que la patiente est jeune et/ou à haut risque. On peut opter pour un traitement rapidement réversible (traitement hormonal, risédronate, ranélate de strontium, tériparatide. . .) parce que le traitement de relais est déjà programmé, ou souhaiter au contraire un traitement à effet plus prolongé (alendronate, zolédronate. . .). Enfin, le troisième élément est la patiente ellemême (sévérité de la maladie, contre-indications et intolérance des traitements, intérêt de bénéfices extraosseux, traitements ou pathologies concomitantes multiples) et son choix personnel, qui est essentiel dans la décision. Il existe en effet des données convaincantes pour montrer que la principale cause d’échec des traitements antiostéoporotiques dans la pratique médicale quotidienne est l’absence de persistance aux traitements [3] ; par conséquent la recherche de l’adhésion de la patiente à son traitement est un critère important de la décision. Il faut d’abord rappeler l’intérêt majeur des apports en vitamine D, permettant de traiter l’hyperparathyroïdie secondaire, mais aussi ayant sans aucun doute des bénéfices extraosseux, en particulier musculaires, et sur le risque de chute [4]. La discussion de la supplémentation ne doit pas porter sur la dose administrée, mais plutôt sur la valeur sérique de 25OHD3 à atteindre : celle-ci ne doit pas être inférieure à 30 ng/ml (dans la population générale et en particulier chez les personnes âgées). On peut par souci de simplification distinguer ensuite cinq situations. 1. Un bénéfice extraosseux est souhaitable Chez les femmes récemment ménopausées, ayant des raisons cliniques de recevoir un traitement hormonal, c’est-à-dire des troubles climatériques considérés comme gênants, voire invalidants, le traitement hormonal substitutif est le traitement de première intention. Les réanalyses récentes de l’étude WHI ont confirmé que l’effet antifracturaire était indépendant de l’âge et de l’ancienneté de la ménopause, à l’inverse du risque cardiovasculaire qui dépend clairement de l’ancienneté de celle-ci. Il est possible (même si le niveau de preuve est faible) que le risque de cancer du sein et le risque thromboembolique varient de manière importante en fonction de la voie d’administration des estrogènes, d’une part, et de la nature du progestatif associé d’autre part. Dans cette situation toutefois il persiste trois problèmes : • la dose nécessaire au traitement des troubles climatériques peut être insuffisante pour la protection osseuse ; • la durée du traitement ne sera que de quelques années, en fonction de la nécessité du traitement des troubles climatériques et ne règle donc pas le problème de l’ostéoporose à distance ; • ce traitement ne s’applique pas aux patientes ayant déjà souffert de fracture en l’absence de données cliniques dans cette population. 383 Chez les femmes à risque, le raloxifène diminue le risque de cancer du sein hormonodépendant, avec un effet d’ampleur comparable à la molécule de référence, c’est-à-dire le tamoxifène. Par conséquent, chez les femmes sans trouble climatérique et en particulier sans bouffées de chaleur (que le raloxifène pourrait aggraver) ayant une crainte vis-à-vis du cancer du sein, on peut discuter le raloxifène. Cette situation est rencontrée par exemple chez les patientes qui arrêtent le THS en raison de mastodynies. Il est nécessaire de rappeler que le raloxifène a apporté la preuve de son efficacité sur les fractures vertébrales, mais pas sur les fractures périphériques, de sorte que sa prescription dépend aussi de l’estimation de ce risque (voir point 4). 2. Les femmes âgées Chez les femmes de plus de 80 ans, seuls deux traitements ont fait l’objet d’études dédiées (posthoc) : le ranélate de strontium et le risédronate. Dans ces études, les deux produits ont montré qu’ils réduisaient dans cette tranche d’âge le risque de fracture vertébrale et pour le ranélate de strontium le risque de fracture périphérique ; on notera qu’aucun des deux n’a apporté la preuve d’une réduction du risque de fracture de l’extrémité supérieure du fémur au-delà de 80 ans. Dans l’étude montrant la diminution du risque de fracture périphérique par le zolédronate chez des patientes ayant fait une fracture de l’extrémité supérieure du fémur, 42 % des patientes avaient plus de 75 ans et 14 % plus de 85 ans. Il n’y a pas de preuve d’efficacité des traitements médicamenteux chez les patientes âgées à risque de chute, sans ostéoporose sousjacente. 3. Les maladies sévères Chez les femmes ayant une ostéoporose vertébrale sévère avec au moins deux fractures vertébrales, il existe un « créneau » de remboursement pour le tériparatide. Ce traitement ne peut être prescrit au total que pour 18 mois. Il paraît logique de le prescrire dans cette situation en première intention, en sachant qu’au terme des 18 mois un relais systématique par un traitement antirésorptif doit être réalisé, afin de maintenir le bénéfice obtenu. Il s’agit là de l’application stricte d’une règle de remboursement, car il faut noter que les analyses posthoc des études cliniques ont toutes montré un bénéfice antifracturaire des autres traitements chez les femmes sélectionnées sur ce critère de fractures vertébrales multiples. De plus la notion que le tériparatide en deuxième intention, après un traitement par bisphosphonate, avait un effet densitométrique retardé doit être revue sur la base des données récentes. La réponse densitométrique semble en effet satisfaisante au moins après risédronate, même si on n’a pas de données antifracturaires dans cette situation. Lorsque la sévérité de la maladie ostéoporotique est définie par l’existence d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur, le zolédronate sera utilisé en première intention car c’est le seul traitement étudié dans cette population. 384 Éditorial / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 382–384 4. Le risque de fracture périphérique Le risque de fracture périphérique peut être quantifié par les paramètres suivants [5] : il dépend de l’âge, de la densité fémorale, de la taille, de la valeur de la vitamine D, et des antécédents fracturaires. Quand ce risque est élevé, on ne prescrira pas en première intention un traitement sans preuve d’effet sur ce risque. 5. La patiente non adhérente Il existe des situations cliniques dans lesquelles on peut prédire que le traitement sera mal ou non pris. Certains essais cliniques ne sont conduits d’ailleurs que chez des patientes observées au préalable quelques semaines avec un apport en calcium, afin de ne pas inclure dans l’étude des patientes dont la prise d’un traitement oral paraît aléatoire. Une étude célèbre dans le domaine cardiovasculaire a montré que, dans le groupe placebo, les patients adhérents au traitement placebo allaient mieux (différence statistiquement significative) que les non adhérents [6]. Les patients adhérents sont aussi ceux qui suivent plus attentivement les consignes « péritraitement » : régime alimentaire, exercice physique. . . À l’inverse, il n’y a pas d’effet antifracturaire lorsque l’adhésion est inférieure à 50 % [7]. Il reste ensuite beaucoup de situations dans lesquelles le choix du premier traitement reste difficile. C’est le bon sens qui guide la prescription : un bisphosphonate intraveineux ou la ranélate de strontium s’il existe une pathologie de l’appareil digestif supérieur ; les bisphosphonates s’il existe un risque thromboembolique, et chez les sujets polymédicamentés, compte tenu de la facilité d’administration des formes hebdomadaires, mensuelle, ou annuelle. Ainsi, les possibilités thérapeutiques dans l’ostéoporose sont aujourd’hui suffisamment vastes pour permettre une stratégie adaptée au risque individuel et donc de choisir le meilleur traitement de première intention pour une patiente donnée. Références [1] Gotzsche PC, Hrobjartsson A, Maric K, et al. Data extraction errors in metaanalyses that use standardized mean differences. JAMA 2007;298:430–7. [2] McKee M, Britton A, Black N, et al. Methods in health services research. Interpreting the evidence: choosing between randomised and nonrandomised studies. BMJ 1999;319:312–5. [3] Adami S, Isaia G, Luisetto G, et al., ICARO study Group. Fracture incidence and characterization in patients on osteoporosis treatment: the ICARO study. J Bone Miner Res 2006;21:1565–70. [4] Broe KE, Chen TC, Weinberg J, et al. A higher dose of vitamin D reduces the risk of falls in nursing home residents: a randomized, multiple-dose study. J Am Geriatr Soc 2007;55:234–9. [5] Roux C, Briot K, Horlait S, et al. Assessment of non-vertebral fracture risk in postmenopausal women. Ann Rheum Dis 2007;66:931–5. [6] Granger BB, Swedberg K, Ekman I, et al. Adherence to candesartan and placebo and outcomes in chronic heart failure in the CHARM programme: double-blind, randomised, controlled clinical trial. Lancet 2005;366:2005–11. [7] Siris ES, Harris ST, Rosen CJ, et al. Adherence to bisphosphonate therapy and fracture rates in osteoporotic women: relationship to vertebral and non vertebral fractures from 2 US claims databases. Mayo Clin Proc 2006;81:1013–22. Christian Roux Service de rhumatologie, hôpital Cochin, université Paris-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France 21 novembre 2007 Disponible sur Internet le 2 avril 2008