Les questions en français : micro et macro-variation

Transcription

Les questions en français : micro et macro-variation
Les questions en français : micro et macro-variation*
Éric Mathieu
Université d’Ottawa
Hé ! La France, ton français fout le camp !
Jadis dans un café je demandais : « Combien vous dois-je ? ». Maintenant : « Qu’est-ce
que je vous dois ? ». Et à côté de moi j’entends : « Je vous dois combien ? » ou « J’vous
dois quoi ? ». (Thévenot 1976 : 164)
1.
Introduction
La variation linguistique en français moderne est omniprésente et est sans aucun doute la plus
impressionnante lorsqu’elle met en jeu la structure des interrogatives. En effet, nombreuses sont
les façons en français moderne de poser une question : toutes les formes représentées en (1) sont
possibles.
(1)
a.
Où vas-tu ?
b.
Où est-ce que tu vas ?
c.
Où tu vas ?
d.
Où c’est qu’tu vas ?
e.
Où c’est qu’c’est qu’tu vas ?
f.
Où qu’tu vas ?
g.
Où c’est-ti qu’tu vas ?
h.
Tu vas où ?
i.
C’est où qu’tu vas ?
j.
C’est où c’est que tu vas ?
k.
Où-ce tu vas ?
La diversité des structures interrogatives en français est telle qu’elle a, au cours des années,
suscité de nombreux travaux, notamment Terry (1970), Pohl (1965), Ashby (1977), Fox (1989),
Coveney (1995, 1997). La majeure partie des travaux sur les questions fut au départ inscrite dans
le cadre de la sociolinguistique. Ce n’est que plus tard que la grammaire générative s’est
sérieusement intéressée à la variation des questions (mais aussi plus généralement), notamment
dans le cadre de la théorie des Principes et des Paramètres (P&P, Chomsky 1981). Selon la
théorie des P&P, la majorité de la variation linguistique fait partie intégrante de la Grammaire
Universelle, et est par conséquent innée, dans le sens où un ensemble d’options est possible au
départ. Telle ou telle langue choisit tel ou tel sous-ensemble de traits disponibles : c’est là où se
trouve le domaine de l’expérience. L’état de la langue interne d’un locuteur A peut cependant
être différent de celui d’un locuteur B puisque son expérience ne sera pas forcément la même.
Ainsi s’explique la variation inter-individuelle au sein d’une même langue. Ce dernier concept de
2
langue n’est d’ailleurs qu’une abstraction : une construction politique et économique. Selon cette
approche, la différence entre le français et l’italien n’est donc pas catégorique, mais plutôt
continue (le concept chomskyien de langue-I versus langue-E).
Dans le présent article, nous étudierons deux dialectes d’une même langue sous une
approche générativiste (le terme « variationniste » que j’utiliserai ici et là est donc dans la lignée
de la grammaire chomskyienne – voir références à Kayne (1984), etc. ci-dessous – et non pas
dans la lignée de Labov qui laisserait supposer que des résultats numériques et des statistiques
seraient énoncés, ce qui ne sera pas le cas). L’intérêt que suscitent l’étude des similitudes et
surtout des différences entre deux variantes d’une même « langue » est la possibilité qu’elle
donne d’identifier et de classer les éléments responsables de la variation par rapport à un point
antérieur où les deux variantes partageaient les mêmes traits. On parle donc ici de « microvariation » en opposition à « macro-variation » ; cette dernière s’intéressant, par exemple, aux
distinctions entre des familles de langues. La recherche sur les micro-paramètres est très active
depuis les travaux de Rizzi (1982) et de Kayne (1984) – voir par exemple Zanuttini (1997),
Roberge et Vinet (1989), Poletto (2000), Poletto et Pollock (2004), Vinet (2001), etc. Elle a
d’ailleurs abouti à un projet commun : celui de la cartographie des structures syntaxiques – voir
les articles réunis dans Cinque (2002), Rizzi (2004) et Belletti (2004).
En opposition aux micro-paramètres se trouvent donc les macro-paramètres. Un exemple,
désormais classique, d’un macro-paramètre est celui de Baker (1996), le paramètre de
polysynthèse. Le paramètre en question groupe d’un côté les langues où les relations syntaxiques
argumentales sont exprimées morphologiquement sur le verbe et où l’incorporation nominale est
productive (le mohawk), et d’un autre, les langues où les relations syntaxiques argumentales ne
sont pas exprimées morphologiquement sur le verbe et où l’incorporation nominale n’est pas
3
possible. D’autres macro-paramètres tels que le paramètre des sujets nuls et le paramètre de
l’ordre des mots ont alimenté plusieurs années de recherche fructueuse.
Le présent article poursuit dans un premier temps une approche micro-variationniste et se
concentre sur les questions où le mot interrogatif reste dans sa position argumentale (ou position
in situ). Je me propose de comparer la distribution de ces items lexicaux entre deux variantes du
français : d’un côté, le français parlé en France, et de l’autre, le français parlé au Québec et en
Ontario (français laurentien).1 Ces deux variantes rentrent bien dans le cadre de la recherche sur
la micro-variation puisqu’en comparant les deux français, nous pouvons utiliser comme contrôle
le point antérieur où les deux variantes partageaient les mêmes traits, c’est-à-dire avant la
Conquête.
Il faut noter que, bien qu’il y ait de nombreuses similitudes entre les formes interrogatives
dans les deux variantes étudiées dans cet article, des différences notoires ont déjà été répertoriées
et étudiées dans la littérature (Lefebvre et Maisonneuve 1982, Obenauer 1976, 1983, 1994, Vinet
2001). Ces différences concernent en majorité les questions totales. Il n’en reste pas moins que
les similitudes et/ou les différences des constructions interrogatives in situ restent sans véritable
description ou analyse. Le but de cet article est de combler cette lacune. La conclusion que je tire
des entretiens informels que j’ai eu avec des locuteurs natifs est, qu’à la différence des questions
totales, il y finalement peu de différences entre le français parlé en France et le français laurentien
si l’on se concentre sur les questions partielles in situ.
La deuxième partie de cet exposé se concentre sur la macro-variation. Dans un premier
temps, nous formulerons l’hypothèse selon laquelle les questions partielles in situ sont un réflexe
tardif, mais naturel, du changement prosodique de la phrase qui a eu lieu entre le 12ème et le
14ème siècle. Il sera proposé que les langues où les mots interrogatifs peuvent rester in situ ont
un système intonatif qui privilégie dans la phrase un accent final alors que les langues où les mots
4
interrogatifs se déplacent dans la périphérie gauche ont un système accentuel tout à fait différent.
Enfin, nous examinerons la question se rapportant à l’émergence des questions partielles in situ.
Loin d’être un développement récent, il sera démontré que les questions in situ font partie
intégrante de la grammaire française depuis plus de deux siècles. En somme, alors que la section
2, en comparant le français laurentien et le français parlé en France, se concentre sur la microvariation, la section 3 s’attarde sur le macro-paramètre qui réunit ces deux variantes sous une
même enseigne, c’est-à-dire le groupe des langues où l’accent principal tombe en fin de phrase.
La troisième partie de cet article se concentre sur le statut actuel des constructions
interrogatives in situ en français (aussi bien le français parlé en France que le français laurentien)
et offre une solution quant au problème posé par l’optionalité du mouvement interrogatif dans la
langue. Il est proposé que le résidu syntaxique représenté par le mouvement correspond à une
interprétation spécifique alors que l’option in situ correspond à une interprétation distincte de la
première ; le discours s’articulant autour de ces différentes variantes formelles.
2.
Micro-variation : le français d’ici et le français de là-bas
Mon point de départ est l’étude de Mathieu (2002, 2004). Cette étude fait ressortir des données et
des jugements fort différents de ceux proposés par Boeckx (1999), Cheng et Rooryck (2000) et
Zubizarreta et Vergnaud (2002). En effet, ceux-ci affirment que les indéfinis interrogatifs in situ
en français sont toujours présuppositionnels (leurs données suivent de près celles de Chang
1997). Selon ces auteurs, une réponse négative à une question in situ en français est impossible.
Ainsi, une réponse comme celle en (2) n’est pas légitime.
5
(2)
A.
B.
Tu as mangé quoi à midi ?
* Rien.
Mathieu (2002, 2004) démontre qu’il y a cependant au moins un dialecte/registre du français dans
lequel les indéfinis interrogatifs in situ ne sont pas présuppositionnels. Dans cette variété de
français, une réponse négative à une question in situ (par exemple, rien à la question en (2 A.))
est tout à fait acceptable.
Après plusieurs enquêtes informelles auprès de locuteurs natifs, il s’est avéré que cette
variété est en fait plus ou moins la norme, du moins en France, puisque la majorité des locuteurs
français interrogés s’accordent à dire que les indéfinis interrogatifs en français ne sont nullement
présuppositionnels (le français parlé en Suisse semble tolérer les deux possibilités, voir en
particulier Starke 2001 et Baunaz 2005, 2008). Les exemples en (3), (4) et (5) sont des exemples
attestés et sont représentatifs de fragments de discours dans le français parlé en France :
(3)
A.
Tu manges quoi ?
B.
Rien... comme 1 soir sur deux...
http://www.szigetfestival.com/forum/viewtopic.php?id=1359&action=new
(4)
A.
Tu fais quoi ce soir?
B.
Bah rien de particulier.
http://www.chez.com/wolf13/021230.htm
(5)
A.
Vous faites quoi exactement dans la vie ?
6
B.
En ce moment rien. J'avais un mi-temps chez MacDonald. Mais j’ai démissionné.
J’en avais marre de sentir la frite.
http://www.rennet.org/cyber/polar/polar13.htm
Une présupposition associée aux indéfinis interrogatifs n’est, bien entendu, pas entièrement
exclue dans cette variante du français. Mais si elle est présente, elle n’est nullement obligatoire et
relève donc plutôt du domaine de la pragmatique, plutôt que du domaine de l’interface syntaxesémantique. La présupposition, si elle est présente, est en tous cas associée au locuteur. Une
réponse négative est donc toujours tout à fait possible, puisque l’interlocuteur n’est jamais tenu
de suivre les présuppositions envisagées par le locuteur.
Dans la dernière partie de Mathieu (2004), une analyse paramétrique des différences entre
les registres/dialectes français est proposée : d’un côté, il y a les dialectes où les mots
interrogatifs in situ sont associés à une présupposition ; de l’autre, les dialectes où les mots
interrogatifs ne sont pas associés à une présupposition. Le but du présent article est de démontrer
que, bien que des différences dialectales ou de registres soient attestées, il n’en demeure pas
moins que le dialecte qui associe une présupposition aux indéfinis interrogatifs in situ n’est pas le
français « canadien », comme il a été suggéré dans la littérature (référence à « North-American
French » ou « Canadian French »). Une série de tests sur des locuteurs natifs du Québec et de
l’Ontario laisse à penser que les mots QU in situ en français laurentien ne sont pas associés à une
présupposition. La variété du français à laquelle se réfèrent Chang (1997), Boeckx (1999), Cheng
et Rooryck (2000) et Zubizarreta et Vergnaud (2001) reste donc à être clairement définie.
D’autant plus que de nombreuses questions considérées dans la littérature comme agrammaticales
sont en fait parfaitement grammaticales aussi bien en français laurentien qu’en français de
7
France. En effet, les mots interrogatifs peuvent rester in situ dans les questions indirectes avec
certains verbes comme l’illustrent les exemples en (6).
(6)
a.
Je sais pas c’est où.
b.
Tu as vu c’était qui ?
Débutons notre exposé avec les faits suivants. Il faut tout d’abord noter que les questions
in situ sont attestées dans des contextes autres que les contextes qui nous intéressent dans cet
article. Je tiens à les mentionner, car toute étude, qu’elle soit statistique ou non, se doit d’ignorer
ces contextes. La phrase en (7a) est la seule variante possible, la phrase en (7b) n’étant pas
grammaticale. En effet, (7a) illustre un mot interrogatif in situ même s’il y eu inversion du verbe
et du sujet. Normalement, cette option n’est pas possible, comme le montre l’exemple en (8).
(7)
(8)
a.
Savez-vous où ?
b.
*Où savez-vous ?
*As-tu vu quoi ?
La question en (7a) est bien entendu une question où le verbe sélectionne une subordonnée
interrogative bien que celle-ci soit elliptique. En effet, (7a) est une question en réaction à un type
d’énoncé comme elle est partie, tout comme sa variante in situ illustrée en (9a). (9b), où il n’y a
pas d’inversion du verbe et du sujet est bien entendu tout aussi agrammatical que (7b).
(9)
a.
Vous savez où ?
8
b.
*Où vous savez ?
D’autres verbes sélectionnent des subordonnées interrogatives elliptiques, par exemple deviner,
illustré en (10).
(10)
Elle est partie. Mais devinez-vous où ? (elle est partie)
Notons également que les questions échos sont possibles, mais qu’elles ne sont en aucun cas à
considérer comme des vraies questions.
(11)
A.
Je suis allé au casino.
B.
incrédule : Tu es allé où ?
À l’inverse, il faut noter que certaines questions partielles in situ ne sont pas possibles, comme
celle représentée en (12). Le morphème négatif bloque la relation entre l’opérateur (qu’on
représente généralement dans la périphérie gauche de la phrase, c’est-à-dire dans la zone C, alors
que la variable est quantifiée par cet opérateur). Ces effets d’intervention ont été étudiés par
Chang (1997), Boeckx (1999), Mathieu (1999, 2002, 2004), et Chen et Rooryck (2000)2.
(12)
*Tu ne fais pas quoi ?
Les contraintes et les règles mentionnées ci-dessus se retrouvent à la fois dans le français
laurentien et dans le français parlé en France. On retrouve également dans les deux variantes du
français des contextes qui, à l’opposé de ce que nous venons de décrire, favorisent l’option in
9
situ. Ainsi, les syntagmes prépositionnels contenant des mots interrogatifs sont plus naturels in
situ qu’inversés, comme en témoigne la question en (13a) versus la question en (13b).
(13)
a.
Tu viens d’où ?
b.
D’où tu viens ?
D’autre part, un locuteur qui demanderait la profession de son co-locuteur favoriserait une
question in situ, plutôt qu’une question inversée, ce qui renforce l’hypothèse de Mathieu (2004)
selon laquelle les mots interrogatifs in situ en français dénotent des prédicats.
(14)
A.
Il fait quoi dans la vie ?
??Qu’est ce qu’il fait dans la vie ?
B.
Il est médecin.
En résumé, il semble donc que le français laurentien partage avec le français parlé en France les
mêmes contraintes sur le QU in situ. Mais la question qui se pose désormais est : est-ce qu’il
existe des preuves que le QU in situ existe vraiment en français laurentien ? La réponse est
positive. Même si, intuitivement et non statistiquement (il faudrait faire une comparaison des
deux variantes du français à ce sujet de manière systématique), il semblerait que les interrogatives
in situ sont un peu moins usitées en français laurentien qu’en français de France, il n’en reste pas
moins qu’elles sont possibles, voire même très productives. En guise d’illustration, leur fréquence
n’est pas négligeable dans le corpus parlé Ottawa-Hull du laboratoire de sociolinguistique de
l’Université d’Ottawa ; et les exemples en (15), (16) et (17), tirés d’un corpus de l’Université de
York, montrent que les questions in situ sont bel et bien présentes dans le français laurentien.
10
(15)
-
Lui il est parti lui … ben
-
Ouais ?
-
Ouais
-
Il est allé où ?
-
En vacances
-
Ah
(Ginette 2, Corpus Français Parlé, Université de York, Françoise Mougeon)
(16)
Mais ça s’trouve où, ça là, c’bosse-là ? Dans l’aine, ben ça doit être achalant pour
marcher ?
(Ginette 3, Corpus Français Parlé, Université de York, Françoise Mougeon)
(17)
-
C'est sombre ici
-
ouais
-
hein hein … on réserve où … Tout à coup on soupe pas … ouais
-
Ça va dépendre des pertes et des profits hein ça va dépendre des #
(Ginette 4, Corpus Français Parlé, Université de York, Françoise Mougeon)
Il semblerait qu’il y ait une corrélation entre le fait que les constructions QU in situ sont moins
usitées en français laurentien qu’en français de France et le fait que les constructions QU avec
renforcement de type multiple (comme en 1e, i, j, k) sont plus courantes dans la variante
laurentienne que dans la variante française. Il y a donc une différence subtile, mais réelle, entre
les deux types de français. J’y reviendrai dans la section 3 où nous tenterons de donner une
explication à ce fait empirique.
11
Si on se tourne désormais vers les questions totales, on se rend compte qu’à la différence
des questions totales, sur les questions QU in situ, des différences importantes se manifestent
entre les deux variantes de français qui nous intéressent dans cet article. Ces différences sont bien
connues, je ne m’attarderai donc pas sur elles. Je noterai seulement la possibilité en français
laurentien d’utiliser l’inversion avec la seconde personne du singulier et du pluriel ; variante qui
n’a rien de formel, car au contraire cette possibilité est ressentie par les locuteurs comme étant
tout à fait informelle.
(18)
Viens-tu ?
Pour les autres personnes (1ère personne du singulier et du pluriel, d’un côté, et pour la 3ème
personne du singulier et du pluriel, de l’autre), l’inversion est tout à fait impossible à générer
(Auger 1993, 1995). Le français laurentien rejoint donc là le français parlé en France, qui depuis
le 18ème siècle, rejette les inversions3. Preuve en est que l’inversion en français contemporain ne
suffit plus pour former une interrogation. Elle donne par conséquent lieu à des hypercorrections
par redondance avec est-ce que comme l’illustre l’exemple en (19) et la fameuse répartie du
comique français Coluche lors du pastiche d’un jeu de télévision dans les années 1970, cf. (20).
(19)
est-ce que vient-il ?
(20)
Simone -
Bonjour Guy. Candidats de Cajarc venus nombreux, bonjour!
Le premier candidat, c'est monsieur?
1er candidat -
Monsieur Moulinot! Marchand d'articles de pêche sur la place du
12
marché à Cajarc : Un article de pêche de qualité s'achète chez
Moulinot!
Guy Lux -
Posez votre question, monsieur?
1er candidat -
Oui, alors, est-ce le Schmilblick est-il vert?
Guy Lux -
Non monsieur. A quoi pensiez-vous?
1er candidat -
À un vers de terre de chez Moulinot.
L’inversion n’est d’ailleurs plus productive dans les questions QU où le mot interrogatif s’est
déplacé dans la périphérie gauche ni en français laurentien ni en français de France. Ainsi, en
français laurentien la variante en (21a) s’oppose à la variante en (21b).
(21)
a.
b.
*Quand es-tu parti ?
Quand c’est qu’t’es parti ?
Par contre, une différence majeure entre les deux variantes du français concerne les questions
totales avec intonation sans la particule -tu. (22a) n’est pas très usité en français laurentien,
certainement à cause du fait que la variante en (22b) est possible (voir le principe de blocage
introduit dans la section 4). D’autre part, la version avec est-ce que (22c) n’est pas commune non
plus en français laurentien. Par contre, comme le fait remarquer un des évaluateurs du présent
article, la phrase en (22c) est plus fréquente en français laurentien que la phrase en (22a).
(22)
a.
Tu viens demain matin ?
b.
Tu viens-tu demain matin ?
c.
Est-ce que tu viens demain matin ?
13
En résumé, bien que pour certains locuteurs francophones laurentien les interrogations partielles
in situ sont plus rares que pour certains francophones de France, la conclusion qu’on peut tirer
d’une enquête informelle auprès de locuteurs natifs est que peu de différences existent entre les
deux variantes de français pour les questions partielles en général (les questions in situ incluses).
Les différences sont plus notoires pour les questions totales. La prochaine section abandonne la
micro-variation pour s’attarder quelque peu sur la macro-variation. Nous tâcherons de
comprendre pourquoi le français, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, a développé la variante QU in situ
au cours des siècles.
3.
Macro-variation et évolution de la langue
Selon Roberts (1993), il était possible en ancien français d’assigner le nominatif non seulement
sous Spéc-tête, mais aussi sous Gouvernement4. Voilà pourquoi il était possible de produire des
phrases comme celles illustrées en (23) et (24) où le verbe monté en C0 était capable de régir le
sujet dans le spécifieur de TP5.
(23)
Comment fut ceste lettre faitte ?
‘Comment cette lettre fut-elle faite ?’
(MirND XXXVI, Schulze 1888 : 198, dans Roberts 1993 : 81)
(24)
Vialt donc Yvains ocirre monseigneur Gauvain ?
‘Yvain veut-il donc tuer Monsieur Gauvain ?’
14
(Chrétien de Troyes, Price 1971 : 226, dans Roberts 1993 : 81)
Par contre, à partir du 14ème siècle l’inversion du type en (23) et (24) devient de moins en moins
automatique. Se développent en effet au même moment des renforcements avec est-ce que dans
les interrogatives partielles objets qui font en sorte que le verbe est rejeté après le sujet (les
renforcements dans les contextes où le mot interrogatif est un sujet sont antérieurs puisqu’ils sont
déjà attestés au 12ème siècle, (Moignet 1973, Jensen 1990, Foulet 1921). L’utilisation de est-ce
que se grammaticalise petit à petit : est-ce que qui fut jusqu’à là utilisé en majorité dans des
contextes emphatiques perd de sa valeur sémantico-pragmatique. D’autre part, est-ce que dans les
questions totales apparaît au 16ème siècle (Foulet 1921, Marchello-Nizia 1997, Buridant 2000).
Puisque les sujets nominatifs ne peuvent plus être régis sous gouvernement, les phrases
comme celles présentées en (25) deviennent agrammaticales.
(25)
a.
*Quel ami a Jean rencontré ?
b.
*Pourquoi éternue Jean ?
c.
*Viendra Jean ?
Une fois l’inversion du type en (25) bannie de la grammaire, se développe donc l’alternative
mentionnée plus haut. L’élément est-ce que est inséré sous C0. Certainement afin d’éviter
l’utilisation de est-ce que, qui semble moins populaire qu’on pourrait le penser, tant en français
classique qu’en français moderne, une option se développe un peu plus tard : celle représentée en
t-il, schéma qui est très ancien mais qui à l’origine thématise le sujet. Selon Fournier (2002), ce
n’est qu’au 16ème siècle qu’il devient le schéma normal avec un SN. Comparez (26a) avec (26b)
et (27a) et (27b).
15
(26)
(27)
a.
Quel ami est-ce que Jean a rencontré ?
b.
Quel ami Jean a-t-il rencontré ?
a.
Est-ce que Jean viendra ?
b.
Jean viendra-t-il ?
Pour résumer, le français passe d’un système où le sujet peut facilement suivre le verbe à un
système où le sujet précède le verbe. On parle d’ailleurs souvent du fait que le français a évolué
vers un système où l’ordre SVO est privilégié ; toute autre permutation étant considérée comme
gênante. Je pense cependant qu’il faut séparer le paramètre SV du paramètre VO. On ne s’attend
pas du tout à ce qu’une langue où les spécifieurs précédent les têtes soit forcément une langue où
les têtes précèdent les compléments, et inversement : on ne s’attend pas à ce qu’une langue où les
spécifieurs suivent les têtes soit forcément une langue où les têtes suivent les compléments. Les
corrélations auxquelles on s’attendait au début de la théorie des Principes et des Paramètres ne se
sont pas matérialisées (ce qui a d’ailleurs poussé certains chercheurs, par exemple, Kayne 1994 à
proposer un ordre SVO universel sous-jacent). Il faut donc s’attacher séparément à comprendre
pourquoi le français est devenu une langue où on privilégie l’ordre VO.
Il faut noter tout d’abord que l’ancien français est une langue V2. Comme l’allemand, et
la majorité des langues germaniques, montent dans la périphérie gauche toutes sortes d’éléments
topicalisés et focalisés. L’exemple en (28) illustre un cas où un adverbe occupe la zone 1 alors
que le verbe est dans la zone 2.
16
(28)
Lors descendi li rois aval
(Le Chevalier à la Charrette 3319)
‘Alors le roi descendit.’
Un sujet peut également occuper la zone 1 comme l’illustre l’exemple en (29). Ce fait est d’une
importance capitale comme nous allons le voir.
(29)
Aucassins tent la main
(Aucassin, X, 35)
‘Aucassin tend la main.’
La contrainte V2 commence à s’effriter au 14ème siècle et s’estompe petit à petit au fil des
siècles. Clark et Roberts (1993) démontrent que dans les textes en ancien français l’ordre (X)VS
est attesté à 58% et l’ordre SV(X) à 34%. D’après ces auteurs, cette fréquence est assez élevée
pour que le paramètre V2 soit déclenché ou reste en vigueur. Par contre, en moyen français la
fréquence des formes Adv V S diminue alors que la fréquence des formes Adv S V augmente.
D’après Clark et Roberts (1993) ce changement de fréquence provoque une érosion. Le
paramètre V2 devient instable et la grammaire évolue vers le français moderne.
L’important pour nous c’est qu’il semble y avoir une corrélation très forte entre la perte de
V2 (et donc de l’inversion) et le changement prosodique de la phrase française. Selon Herman
(1954 : 285), « La proposition possédait, en ancien français, un accent de phrase initial en dehors
de l’accent syntaxique final… l’accent initial, tout en étant un phénomène phonétique, est
étroitement lié à des facteurs sémantiques et syntaxiques. » D’autres ont fait remarquer que la
zone 1 (zone pré-verbale avec le verbe sous C0) en ancien français confère au terme qui l’occupe,
s’il est nouveau, une valeur d’insistance, d’emphase ; autrement elle sera occupée par un terme de
17
rappel qui neutralise cette emphase potentielle et assure la cohésion textuelle. Elle a en outre
fonction démarcative, assurant l’autonomie de la proposition (Marchello-Nizia 1995 : 64).
Adams (1987) propose explicitement que la disparition de V2 en français est liée au
changement du système prosodique de la langue. Se développe à la fin du 12ème siècle un
système où le français sépare prosodiquement du reste de la phrase un élément dans la périphérie
gauche par processus de dislocation, comme l’illustre l’exemple en (30). Jusqu’à cette période,
les constructions V2 ne comportaient aucune pause après l’élément déplacé dans la périphérie
gauche de la phrase : la phrase était donc prononcée comme une seule unité d’intonation comme
peut l’être la phrase avec élément focalisé en (31) (voir Kroch 2001).
(30)
Iceste guere, lairés la vo ester ?
‘Cette guerre, l’abandonnerez-vous ?’
(Raoul de Cambrai, fin 12ème siècle, 1162)
(31)
Dix francs ce truc m’a coûté
Dans la même veine, pour de Boer (1926), le renforcement des questions par est-ce que est
justement lié au fait que la phrase française a un « rythme fortement ascendant » et « la place
initiale d’une phrase est faible » (p. 319). La forme renforcée avec est-ce que se grammaticalise
en français afin de pallier l’insuffisance de l’accent initial sur le terme interrogatif, insuffisance
accentuelle due au rythme ascendant de la phrase : « Enfin nous avons cru constater que la cause
essentielle de la formation et de la « grammaticalisation » des formules interrogatives du français
doit être cherchée dans l’accentuation finale spéciale du français, rythme qui, d’un côté, invite la
langue à placer le mot à accentuer sous l’accent final, et qui, d’autre part, rend la place initiale
18
tellement faible, que cette faiblesse force presque la langue à renforcer le mot interrogatif,
lorsque celui-ci se trouve au début de la phrase. » (p. 326-7).
Enfin, toujours dans la même optique, Noyer (2002) démontre que la grammaire de la
métrique de l’ancien français a évolué au cours du 12ème siècle. Les textes avant cette période
sont presque parfaitement iambiques alors que les textes après cette période le sont moins ou pas
du tout. En effet, les textes les plus anciens utilisent l’octosyllabe, un vers de huit syllabes qui a
pour ancêtre le dimètre iambique latin. Les vers de huit syllabes sont utilisés dans les lais
primitifs, les fabliaux, les chansons de geste et dans la poésie lyrique ainsi que dans la poésie
légère. L’octosyllabe survit jusqu’à l’âge classique, mais par exemple le 17ème siècle l’utilise
dans les genres dits « mineurs » alors que le 18ème le réserve à de courts poèmes et à des épîtres.
L’alexandrin, vers de douze syllabes, est le vers le plus utilisé en français depuis le 16ème siècle.
Dans l’octosyllabe, la dernière syllabe doit être accentuée (avec possibilité d’une syllabe
supplémentaire non accentuée). L’exemple en (32), où les syllabes accentuées apparaissent en
italique, illustre l’octosyllabe.
(32)
En Ba/biloi/ne la /cité
Furent / dui ho/me re/nomé
Dui ci/teain / de grant / hautece
De pa/renté / et de / richece. (Pir. 1– 4, dans Noyer 2002 : 128)
Les résultats obtenus par Noyer vont dans le sens des remarques de Pope (1934 : 82) sur ce qu’on
appelle communément la période II de l’ancien français. Selon Pope les facteurs dominants dans
l’évolution de la prononciation dans la seconde période de l’ancien français et du moyen français
19
[c. 1100–1600] sont, d’un côté, l’érosion de l’accent tonique typique de la première période [c.
500–1100], et de l’autre, une nouvelle tendance à lier les mots entre eux de manière plus étroite6.
Bien entendu, les grammaires métriques ne sont pas naturelles dans le sens où elles sont
partiellement façonnées par la manipulation créative du poète qui est en grande partie consciente.
Cependant, le fait que tel ou tel style poétique/métrique est accepté comme la norme dans une
culture n’est pas complètement dissocié des propriétés phonologiques et syntaxiques de la langue
parlée dans cette culture. Noyer en conclut donc qu’on s’attend à ce qu’il y ait des liens entre le
changement dans la grammaire métrique et l’évolution de la langue7.
La relation entre le changement prosodique du français et la chute de V2 est assez connue
depuis les travaux d’Adams (1987). Par contre, la relation entre le changement prosodique et
l’évolution des questions totales et surtout partielles, est moins reconnue dans la littérature.
Encore moins reconnue est la relation entre le changement prosodique du 12ème siècle et le
développement des questions partielles in situ. L’hypothèse que je voudrais par conséquent
proposer est la suivante : les questions partielles in situ se sont développées en français grâce à/à
cause de la progression de l’accent final de la phrase. Par un effet que j’appellerais « effet
tsunami », le changement qu’a subi l’ancien français a eu des répercussions catastrophiques (dans
le sens de la théorie du chaos, voir Lightfoot 1999). Certaines répercussions n’ont pas tardé à se
faire sentir, comme le renforcement avec est-ce que dans les questions partielles (d’abord dans les
interrogations sujet, puis les interrogations objet, voir plus haut). D’autres bouleversements ont
eu lieu plus tard : le cas des questions totales (utilisation de est-ce que, utilisation de l’intonation
simple, etc.). Enfin, d’autres changements ont eu lieu encore un peu plus tard : l’émergence des
questions partielles in situ. Ce bouleversement s’applique aussi bien au français laurentien qu’au
français de France, puisque l’hypothèse proposée est que l’émergence de la construction QU in
situ est antérieure à la Conquête. Il existe, cependant, bel et bien, des différences entre le français
20
laurentien et le français parlé en France par rapport à la fréquence des constructions QU in situ
(tel que mentionné dans la section 2) et par rapport à la disponibilité de certaines structures (1f et
k sont possibles en français laurentien, mais pas en français de France). Je propose qu’il y a une
corrélation entre ces deux phénomènes : puisque le renforcement avec est-ce que et ses
nombreuses variantes paraît plus courant en français laurentien qu’en français de France, la
variante QU in situ est par conséquent moins fréquente. Ce blocage peut s’expliquer par une
contrainte qui minimise les structures si ces structures ne sont pas associées à deux interprétations
différentes (voir section 4 à ce sujet). Une conclusion que l’on peut tirer de cette micro-variation
entre les deux variantes du français est la suivante : l’effet tsunami ne s’est pas développé
exactement de la même manière au Québec et en Ontario qu’en France. Il semblerait en effet que
le développement de la construction se soit donc fait plus tard au Québec et dans régions
limitrophes où l’on parle le français laurentien, ce qui expliquerait sa fréquence actuelle
moindre.
Avant de conclure cette section, je voudrais apporter des exemples à l’hypothèse que j’ai
proposée plus haut et selon laquelle les mots interrogatifs in situ français se sont développés bien
plus tôt qu’il est généralement admis (voir par exemple la citation au début de cet article, Hé ! La
France, ton français fout le camp ! Thévenot 1976 : 164). On trouve un premier exemple dans la
littérature dès 1784, répété en (33). La littérature étant bien plus conservatrice que l’usage oral de
la langue, on peut donc s’attendre à ce que les questions partielles in situ aient été utilisées bien
avant Diderot (tous les exemples cités qui suivent dans le texte sont tirés de Frantext).
L’existence de tels exemples démontre que la construction QU in situ en français n’est pas un
réflexe récent, mais plutôt une conséquence de la progression de l’accent final à partir du 12ème
siècle.
21
(33)
DENIS DIDEROT Le Rêve de d'Alembert 1784
[…] comparaison qui s’ensuivent nécessairement de toutes ces impressions qui font la
pensée et le raisonnement.
- Mademoiselle De L’Espinasse.
Et cette comparaison se fait où ?
- Bordeu.
à l’origine du réseau.
- Mademoiselle De L’Espinasse.
Et ce réseau ?
- Bordeu.
N’a à son origine aucun sens qui lui soit propre : ne
voit point, n’entend […]
Au vingtième siècle, plusieurs exemples de mots interrogatifs in situ apparaissent dans l’œuvre
de Colette, où les dialogues informels sont nombreux. Considérez les exemples en (34) et (35).
Ces exemples démontrent que la construction QU in situ n’est pas une invention récente.
(34)
K568/ COLETTE / Claudine à l’école / 1900
Luce et Anaïs. La porte s’ouvre violemment, Luce, en chemise courte, se jette dans la
chambre, éperdue :
-je t’en prie, défends-moi, Anaïs est si méchante ! ...
-elle t’a fait quoi ?
-elle m’a versé de l’eau dans mes bottines, d’abord, et puis dans le lit elle m’a donné des
coups de pied et elle m’a pincé les cuisses, et quand je me suis plainte elle m’a […]
(35)
K568/ COLETTE / Claudine à l’école / 1900
sous le nez de Luce, portant le chiffre 22.850. La gamine, joyeusement, m’envoie un
« oui » de la tête ; ça va bien. Satisfaite, je demande alors à ma voisine :
22
« vous avez combien ? » elle hésite et murmure, réservée : « j’ai plus de 20.000 francs. »
-moi aussi, mais combien plus ?
-dame... plus de 20.000 francs...
-eh ! Je ne vous demande pas de me les […]
Les mots interrogatifs in situ se retrouvent chez d’autres auteurs et ceci dès 1912, comme
l’illustrent les exemples en (36), (37) et (38).
(36)
K464/ ROLLAND Romain / Jean-Christophe : La Nouvelle journée / 1912
-comment t’appelles-tu ?
-Georges.
-c’est vrai. Je me souviens.
-Christophe-Olivier-Georges... tu as quel âge ?
-quatorze ans.
-quatorze ans ! Il y a si longtemps déjà ? ...
(37)
K279/ MONTHERLANT Henry de / Le Songe / 1922
un avant sur le coin de la gueule ! Mais ça, t’comprends, j’peux pas te dire : j’te dis c’qui
faut q’tu fasses...
-avance donc, avance donc. Quand je suis aux peupliers, je fais quoi ?
-tu prends à gauche.
-tu me montres la droite avec ta main !
-c’est-y que tu veux me faire dire que j’connais pas
23
ma gauche et ma droite ?
(38)
K472/ MARTIN DU GARD Roger / Les Thibault : L'Été 1914 / 1936
sans aller plus loin, comme un pantin dont on a lâché les ficelles, il s’affala sur le bout
de la chaise longue, houssée de toile blanche, qui était devant lui.
- « vous partez quand ? » demanda-t-il, de sa voix courte et sifflante.
- « demain matin, patron. »
Philip, comme s’il suçait une pastille, faisait avec ses lèvres, un bruit mouillé.
Curieusement, les mots interrogatifs in situ n’apparaissent pas chez Céline, qui pourtant est
supposé privilégier des dialogues conformes à la langue parlée (sa prose est, en fait, parsemée de
plusieurs inversions qui sont plutôt associées à la langue soutenue).
Enfin, je voudrais montrer que l’effet tsunami décrit ci-dessus a eu d’autres conséquences
importantes dans la grammaire du français. En effet, le développement des questions discontinues
est une conséquence directe du changement prosodique du français. Considéré comme nonstandard, l’exemple en (39b) illustre la séparation de l’opérateur interrogatif du nom avec lequel
il est associé et normalement contigu (comme en (39a)).
(39)
a.
Combien de livres est-ce que tu as lus?
b.
Combien est-ce que tu as lu de livres ?
Les constructions QU discontinues sont en fait très anciennes. En effet, elles semblent faire leur
apparition dès le 16ème siècle comme le montrent les exemples suivants.
24
(40)
R580/ *Anonyme / Sottie des sots ecclésiastiques qui jouent leurs bénéfices / 1511
page 353 / XVI.
Dieu scet combien j’euz de maulx
En tracassant parmy la ville.
(41)
R944/ *Anonyme / Ulenspiegel / 1530
page 177 / [Histoire 19]
Quartement demanda le rector : « Combien y a il de la terre jusques au ciel ? »
(42)
R976/ DU SAIX Antoine / La Touche naifve pour esprouver l'amy et le flateur inventée
par Plutarque, taillée par Erasme et mise à l'usage francoys... [trad.] / 1537 page 84 /
combien il y a de cas dont l’on peult dire : « Cecy est villain, cella est temeraire »
Pour résumer, nous avons vu dans cette section que le français est passé d’un système où l’accent
était initial ou variable (comme l’anglais) à un système où l’accent est final (que ce soit au niveau
du mot ou au niveau de la phrase). L’hypothèse qui a été proposée est que le français a développé
les constructions QU in situ précisément parce que l’accent s’est déplacé à la fin de la phrase.
Même si le français laurentien semble avoir développé les constructions QU in situ un peu plus
tard que le français de France, il n’en reste pas moins que les deux systèmes langagiers se
ressemblent : tous les deux ont subi l’effet tsunami qui veut que l’accent initial se soit déplacé en
queue de phrase. Dans les deux cas, cet effet a favorisé l’émergence des constructions QU in situ.
Dans la section qui suit, je donne un aperçu du système qui régit les questions in situ en français
moderne et je tente d’expliquer pourquoi les questions où le mot interrogatif se place en tête de
phrase restent possibles dans la langue.
25
4.
Les mots QU in situ et l’interface syntaxe-phonologie
Nous avons vu dans la section précédente qu’en ancien français l’accent principal était capable de se
déplacer comme en anglais moderne (l’accent ne portait pas forcément sur la syllabe finale) et que l’accent
de la phrase était initial. En français moderne, l’accent principal est final, que ce soit au niveau de la phrase
ou au niveau du mot (nous n’aborderons pas ici la question de l’accent emphatique, qui est généralement
initial). La question qui se pose désormais est pourquoi le français, que ce soit le français laurentien ou le
français de France, tolère non seulement les mots interrogatifs in situ, mais également les mots
interrogatifs déplacés à gauche de la phrase. Le but de cette section est d’apporter l’esquisse d’une réponse
à cette question et se place dans la continuité d’un travail amorcé en collaboration avec Fatima Hamlaoui
(Hamlaoui et Mathieu 2007). Je reprends donc les idées avancées dans cette étude et je réfère le lecteur à
cet article pour de plus amples détails.
L’hypothèse de travail est la suivante : les questions QU in situ et les questions avec mouvement en
français ne sont pas utilisées dans les mêmes contextes. Plus précisément, le déplacement des mots interrogatifs
en français n’est pas provoqué par des traits morphosyntaxiques (le paramètre n’est donc pas placé sur deux
valeurs), mais directement par des conditions d’interface. Le déplacement au début de la phrase a lieu, pour
les cas qui nous intéressent, afin de faciliter l’appariement avec l’interface phonologique-prosodique.
Alors que dans des travaux antérieurs j’ai proposé que les mots interrogatifs en français se déplaçaient à la
périphérie gauche de la phrase afin de satisfaire des considérations pragmatiques portant sur le mot
interrogatif lui-même (Mathieu 2004) ou pour des raisons sémantiques (Butler et Mathieu 2004),
Hamlaoui et Mathieu (2007) proposent l’alternative selon laquelle certaines propriétés prosodiques, par
ailleurs caractéristiques du français (accent final), sont responsables de la distribution des mots
interrogatifs en français. Par contre, même si les trois analyses mentionnées ci-dessus apparaissent a priori
contradictoires, il s’avère qu’elles sont complémentaires : des contraintes distinctes imposées par des
interfaces différentes peuvent être résolues simultanément par le biais du déplacement du mot interrogatif
26
au début de la phrase. Le modèle le plus naturel pour rendre compte des ces propriétés est un modèle où la
Forme Logique (LF) a une interface directe avec la Forme Phonologique (PF), et où ces dernières ont un
contact direct avec le module syntaxique. Toutes les hypothèses mentionnées ci-dessus ont, en effet, un
point commun : aucun trait syntaxique n’est nécessaire pour motiver le mouvement du mot interrogatif en
tête de phrase.
L’étude de Hamlaoui et Mathieu (2007) sur la prosodie des mots interrogatifs in situ en français se
place dans le cadre d’une recherche prolifique et récente sur le rôle de la prosodie dans l’énonciation et
l’interprétation des questions. La pertinence des attributs prosodiques en relation avec les mots
interrogatifs in situ est en effet devenue importante ces dernières années (Cheng et Rooryck 2000, Reglero
2005, Richards 2006). L’originalité du projet réside dans le fait qu’il étudie la structure informationnelle
des questions et la façon dont les questions interagissent avec la prosodie. Bien que les linguistes utilisent
souvent des formes interrogatives afin d’établir un contexte en vue d’éliciter un axe focus-topique dans la
réponse, peu de chercheurs se sont intéressés à la structure informationnelle de ces questions. Les récents
travaux d’Engdahl (2006) sont par conséquent particulièrement pertinents puisqu’ils proposent
l’hypothèse selon laquelle l’agencement informationnel des questions, tout comme n’importe quel autre
énoncé, reflète l’état informationnel du locuteur. Des contextes différents demandent à ce que soient
réalisées des questions distinctes.
L’idée est donc que les questions font partie du discours et le discours décide quel élément reçoit
l’accent principal. Le principe de correspondance accent-focus (Reinhart 1995, Neeleman et Reinhart
1998, Szendrői 2001, 2003) s’avère donc pertinent non seulement pour les phrases déclaratives, mais
également pour les questions, notamment pour les deux types de questions en français (avec et sans
mouvement du mot interrogatif). La seule différence entre les deux constructions est que pour le cas où le
mot interrogatif est en tête de phrase, le mot interrogatif est seulement une partie du matériel qui reçoit
l’accent principal (et est donc focalisé) alors que dans le cas du Qu in situ seul le mot interrogatif reçoit
27
l’accent principal (le matériel qui précède le mot n’est pas proéminent prosodiquement). Par conséquent,
une question in situ en français est particulièrement appropriée dans un contexte où ce qui précède le mot
interrogatif in situ est lié contextuellement alors qu’une question où le mot interrogatif in situ est considéré
par le locuteur comme appartenant déjà au fond (en opposition avec la notion de focus) alors qu’une
question où le mot interrogatif est antéposé est appropriée dans un contexte où tout le contenu de la
question nécessite d’appartenir au focus. L’exemple en (43) tiré de Chang (1997) illustre ce phénomène.
(43)
A:
C’est l’anniversaire de Pierre la semaine prochaine
B:
Et tu vas lui acheter quoi?
La phrase énoncée par A est au sujet de l’anniversaire de Pierre : l’événement selon lequel
« un cadeau a été acheté » est affirmé (il n’est pas présupposé). Le fait que lorsqu’on fête
l’anniversaire de quelqu’un, en général on lui achète un cadeau, fait partie de la connaissance
encyclopédique de B. En ces sens, « A va acheter un cadeau à Pierre » fait donc déjà partie du
contexte. Par conséquent, cet élément n’a pas besoin d’être focalisé : il est désaccentué.
L’information présupposée et le matériel lié contextuellement sont généralement, voire toujours,
moins proéminents au niveau prosodique (voir la règle de désaccentuation de Reinhart 2006 et
son extension aux domaines plus large que le groupe nominal dans Szendrői 2001 et Hamlaoui et
Mathieu 2007).
L’observation importante qu’on retire des données en français est que l’accent principal
ne peut pas projeter au-delà du syntagme nominal interrogatif dans des exemples comme Tu as vu
qui?. Cette observation semble a priori inattendue dans la mesure où on part du principe, dans la
littérature sur le focus, que l’accent principal dans sa position neutre est toujours capable de
projeter plus haut dans la phrase et que seul l’accent déplacé est incapable de le faire (Reinhart
28
2006). Par exemple, la réponse en (44a) est tout à fait légitime à la fois pour la question en (44b)
et en (44c).
(44)
a.
Il a bu du lait.
b.
Qu’est-ce qu’il a fait?
c.
Qu’est-ce qu’il a bu?
On voit donc que la même forme, celle en (44a) peut s’associer à deux interprétations au niveau du
discours : focus étroit (sur lait) ou focus large (sur il a bu du lait). Dans les cas des questions partielles en
français, Hamlaoui et Mathieu (2007) formulent l’hypothèse selon laquelle celles-ci sont contraintes par le
cas du blocage (Blocking Principle, Williams 1997), phénomène bien connu dans le domaine de la
morphologie, et qu’on a appliqué de manière très productive et fort intéressante dans le domaine de la
syntaxe ces dernières années. Dans le cas qui nous concerne, l’idée est la suivante : l’existence de la
variante où le mot interrogatif est antéposé correspond au focus large (via la projection du focus) et celleci bloque la variante où le mot interrogatif in situ correspondrait lui-même/aussi au focus large. Dans le
cas de (44a), au contraire, puisqu’une seule forme est possible, la phrase est ambigüe. Le principe suivant
semble donc s’imposer :
(45)
Le principe de la projection de focus
Si un mot interrogatif in situ est placé dans la position qui reçoit l’accent principal, la question
n’est pas interprétée comme dénotant un focus large, s’il y a une variante de la question où
l’interprétation avec le focus large est obtenue par le biais du mouvement du mot interrogatif.
29
Ce principe est pertinent non seulement pour le français, mais s’avère également pertinent pour l’anglais.
L’anglais est une langue où l’accent peut se déplacer dans la phrase déclarative. Bien que ce phénomène
soit peu discuté dans la littérature, il s’avère que le contraste qui existe en français entre les questions aux
mots interrogatifs antéposés et les questions in situ existe également en anglais. Par contre, le contraste
n’est pas syntaxique, mais phonologique. Par exemple, Engdahl (2006) mentionne que les mots WH en
anglais ne sont pas normalement accentués, mais que dans certains cas l’accentuation est possible. Les
questions peuvent être manipulées phonologiquement afin qu’elles deviennent pertinentes pour un
contexte donné. Le dialogue en (46) illustre le phénomène. A, B et C ont discuté d’un voyage à
Édimbourg. B et C se sont un peu écartés du sujet de la conversation.
(46)
A:
So WHEN are we going to Edinburgh?
A1 :
#So, when are we going to Edinburgh?
Lorsque A mets l’emphase sur when, cela montre que la question qu’elle aborde (le départ pour
Édimbourg) a déjà été discutée mais qu’elle n’a pas été réglée.
En résumé, bien que le français moderne tolère à la fois les constructions interrogatives in
situ et les constructions interrogatives antéposées, il fait usage, au contraire de l’anglais, de la
prosodie pour les constructions in situ d’un côté, mais de la syntaxe pour les constructions
antéposées d’un autre côté, alors que l’anglais a recours à la phonologie pour distinguer les deux
contextes familiers et non-familiers, puisque l’alternative in situ n’est pas possible dans cette
langue. On peut supposer donc que l’ancien français était comme l’anglais, c’est-à-dire langue où
l’accent se déplaçait aussi bien au niveau du mot qu’au niveau de la phrase, et que par conséquent
l’alternative interrogative in situ n’avait pas lieu d’être. Ce n’est qu’après la chute de l’accent
initial et de l’accent variable que la construction in situ s’est développée pour devenir la question
30
la plus naturelle dans un contexte donnée. Par contre, puisque l’option mouvement n’a pas
complètement disparu en français moderne, nous observons un phénomène où deux variantes
positionnelles se retrouvent associées à deux interprétations différentes.
5.
Conclusion
En résumé, cet article a en premier lieu comparé la grammaire du français laurentien et le français
parlé en France en se concentrant sur les questions QU in situ. Bien qu’il y ait des différences
importantes entre les deux variantes de français lorsqu’on se penche sur les questions totales, peu
de différences font surface en ce qui concerne les questions QU in situ. L’inversion en français
laurentien n’est possible que dans le contexte des interrogatives totales. Comme en français de
France, l’inversion n’est pas utilisée dans les questions où le mot interrogatif QU s’est déplacé
dans la périphérie gauche de la phrase, même si les renforcements avec est-ce que et ses variantes
multiples sont plus courants en français laurentien qu’en français de France (ce qui, comme je l’ai
indiqué, expliquerait la raison pour laquelle les constructions QU in situ semblent un peu moins
fréquentes en français laurentien). L’idée principale qui a été proposée dans cet article est
l’hypothèse selon laquelle l’apparition de la construction QU in situ en français est un réflexe
(retardé, mais moins tardif qu’on pourrait le penser à priori) de l’érosion de l’accent initial dans la
prosodie de la phrase française et de la disparition de l’accent variable. La dernière section de cet
article a essayé d’expliquer pourquoi les questions où le mot QU se place en tête de phrase n’ont
pas disparu en français moderne. L’hypothèse proposée est la suivante : la construction avec
mouvement s’est vue associée à une interprétation spécifique alors que la construction QU in situ
31
s’est vue associée à une autre interprétation, cette dernière favorisant un contexte plus riche que
la première.
Références
Adams, Marianne. Old French, null subjects and verb second phenomena, Thèse de doctorat,
UCLA, 1987.
Ashby, Michael. « Interrogative forms in Parisian French », Semasia 4, 1977, p. 35–52.
Auger, Julie. « More evidence for verbal agreement-marking in colloquial French », Linguistic
perpectives on the Romance languages : Selected papers from LSRL XXI, Current Issues in
Linguistic Theory 103, Ashby, William J., Mithun, Marianne, Peressinollo, Giorgi, Raposo,
Eduardo (s. la dir. de), Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins, 1993, p. 178–198.
Auger, Julie. « A morphological analysis of Québec colloquial French pronominal clitics »,
Proceedings of Chicago Linguistic Society 31, Dainoza, Andra, Hemphill, Rachel, Luka,
Barbara, Need, Barbara, Pargman, Sheri (s. la dir. de), 1995, p. 32–49.
Baker, Mark. The Polysynthesis Parameter, Oxford, Oxford University Press, 1996, 576 p.
Baunaz, Lena. « The syntax and semantics of wh in-situ and existentials: the case of French »,
Leiden Working Papers in Linguistics 2, 2005, p. 1–27.
Baunaz, Lena. Split-DP and floating quantifiers: A syntactic approach to French
quantification, Thèse de doctorat, Université de Genève, 2008.
Belletti, Adriana. Structures and beyond: The cartography of syntactic structures, Volume 3,
Oxford, Oxford University Press, 2004, 288 p.
32
Boeckx, Cedric. « Decomposing French questions », University of Pennsylvania Working papers
in linguistics 6, Proceedings of the 23rd Annual Penn Linguistics Colloquium, Alexander,
Jim, Han, Na-Rae, et Minnick Fox, Michelle (s. la dir. de), 1999, p. 69–80.
de Boer, Cornelis. « L’Évolution des formes de l’interrogation en français », Romania LII, 1926,
307–327.
Buridant, Claude. Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, SEDES, 2000, 800 p.
Butler, Alastair, et Mathieu, Éric. The syntax and semantics of split constructions : A
comparative study, Palgrave MacMillan, New-York, 2004, 240 p.
Cardinaletti, Anna, et Roberts, Ian. « Clause structure and X-second », Functional structure in
DP and IP: The cartography of syntactic structures, Volume 1, Cinque, Guglielmo (s. la
dir. de.), Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 123–166.
Chang, Lisa. WH-in-situ phenomena in French, Thèse de maîtrise, Université de la Colombie
Britannique, Vancouver, 1997.
Cheng, Lisa, et Rooryck, Johan. « Licensing WH-in-situ », Syntax 3, 2000, p. 1–19.
Chomsky, Noam. Lectures on Government and Binding, Dordrecht, Foris, 1981, 371 p.
Cinque, Guglielmo. Functional structure in DP and IP : The cartography of syntactic
structures Volume 1, New-York, Oxford University Press, 2002, 248 p.
Clark, Robin, et Roberts, Ian. « A computational model of language learnability and
language change », Linguistic Inquiry 24, 1993, p. 299–345.
Côté, Marie-Hélène. « Concurrence structurale, conditions d’appréhensibilité et
changement syntaxique : La chute de la structure V2 en français ». Canadian Journal of
Linguistics/Revue Canadienne de Linguistique 40, 1995, p. 165–200.
33
Coveney, Aidan. « Variation in interrogatives in spoken French : A preliminary report »,
Variation and change in French, Posner Rebecca, Green, John N., et Ayres-Bennett,
Wendy (s. la dir. de.), London/New-York, Routledge, 1990, p. 116–133.
Coveney, Aidan. « The use of QU-final interrogative structure in spoken French », Journal of
French Language Studies 5, 1995, p. 143–171.
Coveney, Aidan. « L’approche variationniste et la description de la grammaire du français : Le
cas des interrogatives », Langue française 115, 1997, p. 88–100.
Engdahl, Elisabet. « Information packaging in questions », Empirical issues in syntax and
Semantics, Volume 6, Bonami, Olivier, et Cabredo-Hofherr, Patricia (s. la dir. de), 2006,
93–111.
Foulet, Lucien. « Comment ont évolué les formes de l’interrogation », Romania XLVII, 1921,
p. 243–348.
Fournier, Nathalie. Grammaire du français classique, Belin, 2002, 446 p.
Fox, Cynthia A. Syntactic variation and interrogative structures in Québécois, Thèse de
doctorat, Université de Indiana, 1989.
Hamlaoui, Fatima, et Mathieu Éric. « French WH questions at the syntax-phonology interface »,
manuscrit, 2007, 22 p.
Herman, Joszef. « Recherches sur l’ordre des mots dans les plus anciens textes français en
prose », Acta Linguistica Academiae Scientiarum Hungaricae 4, 1954, 351–379.
Jensen, Frede. Old French and comparative Gallo-Romance syntax, Tübingen, Max
Niemeyer Verlag, 1990, 601 p.
Kayne, Richard. Connectedness and binary branching, Dordrecht, Foris, 1984, xiv, 258 p.
Kayne, Richard. The antisymmetry of syntax, Cambridge, Mass., MIT Press, 1994, 175 p.
Kroch, Anthony. « Syntactic change », The handbook of contemporary syntactic theory, Baltin,
34
Mark, et Chris Collins (s. la dir. de), Malden, Mass., Blackwell, 2001, p. 699–729.
Labelle, Marie. « Clausal architecture in Old French », Lingua, 117, 2007, p. 289–316.
Lefebvre, Claire, et Maisonneuve, Huguette. « La compétence des adolescents du Centre-Sud :
les structures complexes, La syntaxe comparée du français standard et populaire :
Approches formelle et fonctionnelle, Tome 1, Lefebvre, Claire (s. la dir. de), Québec,
Office de la langue française, 1982, p. 171–206.
Lightfoot, David. The development of language: Acquisition, change and evolution, Oxford,
Blackwell, 1999, 287 p.
Marchello-Nizia, Christiane. L’évolution du français : Ordre des mots, démonstratifs,
accent tonique, Paris, Armand Colin, 1995, 213 p.
Marchello-Nizia, Christiane. La Langue française aux XIVème et au XVème siècles,
Paris, Nathan, 1997, 478 p.
Mathieu, Éric. « French WH in situ and the Intervention Effect », UCL Working Papers in
Linguistics 11, Iten, Corinne, et Neeleman, Ad (s. la dir. de), 1999, p. 441–472.
Mathieu, Éric. The syntax of non-canonical quantification : A comparative study, Thèse de
doctorat, University College London (UCL), 2002.
Mathieu, Éric. « The mapping of form and interpretation: The case of optional WH-movement in
French », Lingua 114, 2004, p. 1090–1132.
Mathieu, Éric. « Stylistic Fronting in Old French », Probus 18, 2006, p. 189–234.
Moignet, Gérard. Grammaire de l’ancien français, Paris, Klincksieck, 1973, 446 p.
Neeleman, Ad, et Reinhart, Tanya. « Scrambling and the PF interface », The projection of
arguments: Lexical and compositional factors, Butt, Miriam, et Geuder, Wilhem (s. la dir.
de), CSLI Publications, 1998, p. 309–353.
Noyer, Rolf. « Generative metrics and Old French octosyllabic verse », Language Variation
35
and Change, 14, 2002, p. 119–171.
Obenauer, Hans-Georg. Études de syntaxe interrogative du français, Tübingen, Niemeyer, 1976,
vii, 135 p.
Obenauer, Hans-Georg. « Une quantification non-canonique : La Quantification à Distance »,
Langue Française, 58, 1983, p. 66–88.
Obenauer, Hans-Georg. Aspects de la syntaxe A-Barre, Thèse de Doctorat d’Etat, Université de
Paris VIII, 1994.
Pohl, Jacques. « Observations sur les formes d’interrogation dans la langue parlée et dans la
langue écrite non littéraire », Actes du Xème congrès international de linguistique et de
philologie romanes, Paris, Klincksieck, 1965, p. 501–516.
Poletto, Cecilia. The higher functional field. Evidence from Northern Italian dialects, New-York,
Oxford University Press, 2000, xii, 207 p.
Poletto, Cecilia, et Pollock, Jean-Yves. « On wh-clitics and wh-doubling in French and some
North Eastern Italian dialects », Probus 16, 2004, p. 241–272.
Pope, Mildred K. From Latin to Modern French with special consideration of Anglo-Norman,
Manchester, Manchester University Press, 1934, xxix, 571 p.
Reglero, Lara. « Wh-in-situ constructions: Syntax and/or phonology? », Proceedings
of the 24th West Coast Conference on Formal Linguistic, Alderete, John, Han, Chunghye, et Kochetov, Alexei, Somerville, Mass., Cascadilla Proceedings Project, 2005, p.
334–342.
Reinhart, Tanya. « Interface strategies ». OTS Working Papers in Theoretical Linguistics,
Utrecht, OTS, Utrecht University, 1995, p. 55–109.
Reinhart, Tanya. Interface strategies: Optimal and costly computations, Cambridge, Mass., MIT
Press, 2006, 350 p.
36
Richards, Norvin. « Beyond strength and weakness », Manuscrit, MIT, 2006, 60 p.
Rizzi, Luigi. Issues in Italian syntax, Dordrecht, Foris, 1982, xiv, 188 p.
Rizzi, Luigi. The structure of CP and IP: The cartography of syntactic structures Volume 2,
Oxford, Oxford University Press, 2004, 384 p.
Roberge, Yves, et Vinet, Marie-Thérèse. La variation dialectale en grammaire universelle,
Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1989, 143 p.
Roberts, Ian. Verbs and diachronic syntax. A comparative history of English and French,
Dordrecht, Kluwer, 1993, x, 373 p.
Starke, Michal. Move dissolves into Merge: A theory of locality, Thèse de doctorat, Université de
Genève, 2001.
Szendrői, Kriszta. Focus and the syntax-phonology interface, Thèse de doctorat, University
College London (UCL), 2001.
Szendrői, Kriszta. « A stress-based approach to the syntax of Hungarian focus », The
Linguistic Review, 20, 2003, p. 37–78.
Terry, Robert M. Contemporary French interrogative structures, Montréal, Éditions Cosmos,
1970, 156 p.
Thévenot, Jean. Hé ! la France, ton français fout le camp !, Gembloux, Duculot, 1976, 174 p.
Vance, Barbara. Syntactic change in medieval French: Verb second and null subjects,
Dordrecht, Kluwer, 1997, 412 p.
Vinet, Marie-Thérèse. D’un français à l’autre : la syntaxe de la micro-variation, SaintLaurent, Québec, Fides, 2001, 194 p.
Williams, Edwin. « Blocking and anaphora », Linguistic Inquiry, 28, 1997, p. 577–628.
Zanuttini, Raffella. Negation and clause structure: A comparative study of Romance
languages, New-York, Oxford University Press, 1997, 216 p.
37
Zubizarreta, Maria-Luisa, et Vergnaud, Jean-Roger. « Intervention effects in the French WH-in
situ construction: syntax or interpretation? » LSRL, Volume 1, 2002.
*
Je tiens à remercier Marie-Hélène Côté, Marie-Claude Séguin et Marie-Claude Tremblay pour leurs précieux
jugements grammaticaux ainsi que Shana Poplack pour m’avoir gentillement fait part des statistiques pour les
questions QU in situ dans plusieurs corpus du français déposés au Laboratoire de Sociolinguistique de l’Université
d’Ottawa. Ces statistiques m’ont permis de me donner une idée de la fréquence des constructions QU in situ en
français laurentien. Je remercie également les participants du colloque Les français d’ici pour leurs commentaires,
questions et suggestions, ainsi que les deux évaluateurs de cet article qui ont contribué à son amélioration. Un grand
merci aussi à Sharlène Pilote et Hélène Tourigny pour leur assistance éditoriale. Enfin, je remercie tout
particulièrement le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada (CRSH) pour son appui financier
(Subvention de recherche #410-2005-1781, Les Indéfinis Prédicatifs et l’Interface Syntaxe-Sémantique).
1
On distingue généralement, au Canada, deux ensembles linguistiques s’étendant chacun sur plusieurs provinces :
d’un côté, le français acadien, parlé principalement au Nouveau-Brunswick (mais dans une partie seulement de cette
province), ainsi qu’en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et une partie du Québec (Gaspésie, Côte-Nord) ;
et de l’autre côté, le français laurentien, parlé dans presque tout le Québec, mais aussi dans les communautés
francophones de l’Ontario et de l’Ouest.
2
La question en (12) est grammaticale si elle est interprétée comme question écho, mais nous laisserons de côté cette
interprétation, car elle est d’une toute autre nature, ne constituant pas une vraie question dans la mesure où il n’y a
pas de variable sur laquelle porte la question. (12) est clairement agrammaticale si la question est interprétée comme
une vraie question. Un des évaluateurs mentionne l’exemple suivant : Qui fait quoi et qui ne fait pas quoi ? Cette
phrase est effectivement grammaticale, mais a ceci de particulier qu’elle comporte des questions à mots interrogatifs
multiples. Sans rentrer dans les détails (voir Mathieu 2002), les questions à mots interrogatifs n’ont pas la même
structure que les questions à un seul mot interrogatif in situ. Dans les premières, il n’y a pas de relation de
mouvement : aucun opérateur ne se déplace, d’où l’absence d’effets d’intervention, alors que dans les secondes un
opérateur (nul) se déplace et crée des effets d’intervention (voir Mathieu 1999, 2002, 2004).
38
3
Sauf bien entendu à l’écrit, où le registre est tout autre, et peut-être aussi par le biais d’expressions figées ou bien
encore dans des contextes propices à un style soutenu.
4
Le gouvernement correspond au concept de « rection », concept bien connu dans la grammaire traditionnelle, alors
que Spec-tête correspond à l’accord (par exemple, accord du sujet avec le verbe, de l’adjectif avec le nom, etc.).
5
Selon Fournier (2002), l’option postposition du sujet nominal (option dominante jusqu’au 14ème et 15ème siècles)
est encore fréquente au 16ème siècle, mais sa régression se précipite à la fin du siècle, et elle considère que dès 1600,
ce schéma est totalement abandonné. Fournier mentionne le fait que Malherbe barre dans son exemplaire de
Desportes les vers qui suivent, et les successeurs de Malherbe n’auront pas même un mot de commentaire à propos
de cette syntaxe devenue définitivement hors d’usage.
(i)
Viendra jamais le jour qui doit finir ma peine ?
(Desportes, Les Amours D’Hyppolyte, XXXVI) 1573
(ii)
Doibt son malheur estre estimé offense ? Marot
(iii)
Peut un roi si félon avoir un cœur humain ? Garnier
6
« The dominant factors in the evolution of pronunciation in Later Old and Middle French are the gradual lessening
of the heavy tonic stress that characterized Period I and a new tendency to link closely together words closely
connected in thought. »
7
Faisons également remarquer qu’une distinction intéressante entre la période I et la période II de l’ancien français
s’est produite en relation avec la contruction V2. En effet, il semblerait que l’ancien français était une langue V2
symétrique pendant la période I (Côté 1995, Labelle 2007), alors que les faits de la période II laissent à supposer que
l’ancien français était une langue V2 asymétrique (les effets V2 étant des exemples de Dislocation Stylistique,
Cardinaletti et Roberts 2002, Roberts 1993, Vance 1997, Mathieu 2006). Une langue V2 symmétrique permet l’ordre
XVS non seulement dans les propositions principales, mais aussi dans les propositions subordonnées. Une langue V2
asymmétrique est une langue où seules les subordonnées sont des contextes adéquats pour les constructions V2.
39

Documents pareils