le cas "Ronan" - Cursus

Transcription

le cas "Ronan" - Cursus
RONAN - 18 ans
Epreuve de Rorschach
PRESENTATION DU SUJET
Ronan, 18 ans, est hospitalisé en C.H.S. (centre hospitalier spécialisé = hôpital
psychiatrique) après une T.S. (tentative de suicide) médicamenteuse (absorption
massive de Stilnox) à la fin de janvier 198... Il y aurait eu une autre T.S. par pendaison
le mois précédent. Aîné de trois enfants, Ronan a deux soeurs. Il double sa terminale C
et semble, depuis un an, avoir désinvesti l’école.
A l’examen médical, il donne une impression de ralentissement idéomoteur. Les gestes
sont lents et rares, la mimique stéréotypée. Les réponses à l’interrogatoire médical sont
lentes, brèves. Il ne participe pas à l’entretien. Faciès peu expressif, mais quelques
sourires adaptés.
Le comportement de Ronan dans le service est marqué par son peu de contacts avec
les autres patients. Il ne sollicite personne. Pour le psychiatre plusieurs diagnostics sont
possibles : état dépressif de l’adolescent, mode d’entrée dans la psychose, état
réactionnel...
C’est dans le cadre d’un stage que la psychologue qui lui a proposé le Rorschach l’a
rencontré.
Ronan a déjà été examiné par la psychologue du service. Aussi, lors du premier
entretien avec la psychologue stagiaire, celle-ci lui demande comment se passe son
séjour à l’hôpital. (La psychologue stagiaire a précédemment assisté à l’entretien de
Ronan avec le psychiatre.) Ronan énumère alors toutes les activités qu’il pratique dans
le service : vélo d’appartement, écoute d’émissions de radio, lecture, billard, Scrabble...
comme s’il devait veiller à ne rien oublier, et sans manifester aucune préférence. Il ne
recherche pas les relations avec les autres patients, sans pour autant les éviter. Ses
amis ne lui manquent pas.
La psychologue stagiaire lui demande s’il a l’impression d’être en vacances. Ronan
répond que c’est encore mieux qu’en vacances. Il raconte alors ses vacances d’été, en
camping « à moitié sauvage » avec des copains. Il dit avoir appris des choses comme
l’utilité de la vaisselle et « des trucs comme ça… C’était assez dur ». Trois semaines. Et
liberté totale. Le soir, ils « picolaient » avant d’aller en boîte. L’effectif du groupe était
variable, des fois deux, des fois quinze, rien que des garçons, « une bande de
machos ».
Ronan évoque ensuite une première «cuite» à 14 ans, puis pas une goutte jusqu’à
16 ans, et puis le jour de ses 18 ans (neuf mois auparavant). Il a eu du mal à trouver
des copains pour fêter son anniversaire à cause de la proximité du bac (mai).
Il aurait aimé faire partie d’un groupe de musiciens, mais il lui aurait fallu une guitare
électrique et un ampli et il n’avait qu’une guitare folk. En musique, Ronan dit être
passé de Brahms à Dorothée puis Goldorak et Skyrock. (Brahms : « Les petits trucs
qu’on met au-dessus des berceaux ».)
« Jusqu’à 14 ans, la musique c’était des morceaux qu’on entendait à la radio. Après,
j’ai découvert qu’il y avait des groupes derrière, des cassettes, le monde de la
musique en général. »
Lorsque la stagiaire psychologue demande à Ronan ce qu’il aime écouter comme
musique en ce moment, il répète : « en ce moment ?... en musique ?... » - Et après
un très long silence : « Il y a plein de trucs... » Finalement, il évoque une chanson
des Beatles, Nowhere man, qu’il traduit lui-même par : « L’homme de nulle part ».
La stagiaire psychologue propose un rendez-vous pour le lendemain, en vue de
proposer le Rorschach. Ronan accepte sans difficulté.
Lors de l’entretien avec la stagiaire psychologue, Ronan s’est montré plus à l’aise
qu’à la première consultation avec le psychiatre en présence, il est vrai, de plusieurs
personnes (psychologue, stagiaire-psychologue, infirmier). Cependant, Ronan
apparaît tendu, en proie à divers tics. Parfois il répète la question posée et observe
un très long temps de latence avant de pouvoir répondre. On peut supposer qu’il
s’agit alors d’une réaction de défense.
L’épreuve de Rorschach est proposée à Ronan avec un double objectif : d’une part,
affiner le diagnostic ; d’autre part, permettre à Ronan d’entrer plus facilement en
relation (le test étant considéré comme un médiateur possible).
Durant la séance de Rorschach, la stagiaire-psychologue constate une bonne qualité
de participation, par contraste avec la position de repli que montre Ronan dans le
service.
La séance de Rorschach va durer deux heures, dont la moitié pour l’enquête !
Consigne : « Je vais te montrer des planches et tu me diras ce que cela pourrait
être. » - Puis, en donnant la planche I : « Qu’est-ce que cela pourrait être ? »
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 1
Ronan - 18 ans
test de Rorschach
Relevé et cotation des réponses
Pl.
I
Réponses
(Prend la planche en mains.)
Une tache d’encre. On plie le papier en deux, c’est
symétrique.
(La Psychologue confirme qu’il s’agit bien d’une tache
d’encre. Elle rappelle que c’est une épreuve d’imagination
et qu’il est demandé d’imaginer ce que cela pourrait être.)
On est obligé de regarder dans ce sens-là ?...
 Une couronne, pff...
Si, comme ça, un casque ou bien une couronne,
je sais pas...
[Psychologue : Tu vois autre chose ?... ]
J’sais pas, avec euh... (un temps)
Autre chose qu’un casque, une couronne ?...
J’sais pas, avec des cornes. J’sais pas. Ah oui,
une espèce de crâne, j’sais pas.
 Une espèce d’animal imaginaire avec quatre z-yeux,
enfin, la partie supérieure du crâne seulement.
 (Un temps...)
(La Psychologue dit qu’il peut rendre la planche quand il
veut.)
Ben, peut-être qu’il y a des trucs, si, un animal ici, avec des
yeux, un bec, ça pourrait être un animal, une tête d’animal.
Pff...
(Rend la planche, apparemment peu satisfait.)
II
Ah, des couleurs !
(Prend la planche, puis la pose et l’observe très
attentivement, le front entre les mains. Nombreux tics au
niveau du visage.)
(Très long temps de latence...)
Une raie, le grand poisson avec des grandes ailes. (Montre
Enquête
Couronne = l’ensemble.
« Seulement c’est en noir, quoi, après j’ai
pensé à un casque. »
[- Qu’est-ce qui t’a fait changer d’idée ?]
« Ben, parce que les couronnes en général
c’est doré. »
Cornes = montre parties sup. à droite et à
gauche et partie inf. médiane. « Ça fait partie
du casque. »
Animal imaginaire : yeux = espaces blancs int.
Montre extrémité partie médiane inf. : « Ça, ça
serait une dent. »
Commente : « Un crâne, il n’y aurait pas
d’oreilles. »
Bec = partie médiane sup.
Appr.
Déterm.
Cont.
G
F
Frag
G
G
F
F
Obj
Obj
Gbl
F±
(Ad)
G
F±
Ad
Remarques
Remarque
Symétrie
C’F ? (enquête)
Remarque
Couleur
Raie = blanc médian.
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 2
Dbl
F
A
par un geste.)
 (Un long temps...)
Un oiseau écrasé sur la route. Il y a, euh, j’sais pas, un
oiseau qui se serait écrasé, j’sais pas, oui, splatch ! (Mime
l’écrasement en frappant du poing sur la table.) Marrant !...
Non ben, j’vois pas vraiment...
 Ouais, un avion aussi avec la tache blanche au milieu.
(Un temps. Fronce les sourcils...)
Oiseau écrasé = noir, avec rouge (« du sang »).
Avion = blanc médian. « C’est la même chose
que la raie, parce que c’est des formes
géométriques. »
G
CF
A
Sang
Dbl
F
Obj
[- Tu vois autre chose ?... ]
Il y a des trucs que je peux pas interpréter trop... Si, les deux [- Rouge sup. ?] – « Ben, un corps bizarre
avec peut-être deux pattes et une tête mal
taches rouges là. (Montre rouge sup.)
formée. Un monstre, quoi, bizarre. »
(R. remarque une différence à l’intérieur du
[- Qu’est-ce que ça pourrait être ?]
rouge et distingue parmi les détails internes au
rouge : « des yeux et un nez ».)
Ben, j’en sais rien.
« Un visage de profil avec une tête déformée et
un corps et des petites pattes. »
III
(Réponse immédiate :) Deux bonshommes qui font
du tambour, euh, face l’un à l’autre.
(Laisse la planche posée sur la table et la regarde de loin,
en plissant les yeux...)
Non, un insecte, j’sais pas, c’est une grosse araignée, le
devant seulement, avec des pattes, j’sais pas, une araignée
coupée en deux, quoi, dans ce cas-là.
Bonshommes = noir lat. - Tambour = noir
médian.
« Maintenant je vois d’abord ce que j’ai dit
après, le truc qui va te sauter dessus,
l’araignée. »
Araignée : noir. Pattes araignée = noir lat. inf.
« Les bonshommes, ce serait encore des
espèces d’extra-terrestres avec des becs
d’oiseaux, parce que là (noir sup.), ça
ressemble à des becs, c’est bizarre, quoi. »
Rouge lat. : « Ce morceau-là, ça me fait penser
au manche d’une guitare, tout de traviole, ou
bien, avec la forme comme ça, ce serait plutôt
une cornemuse. »
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 3
Cn
G
K
H
D
F
Ad
IV
(Mine perplexe, mimiques, pince les lèvres. Un temps de
latence...)
Ben, un espèce de gros bonhomme difforme qui est en train
de vomir...
Euh, pff... Ah oui, que, j’sais pas...
(Un temps...)
Avec un espèce de, comment dire, euh, j’sais pas comment
ça s’appelle. Pareil comme dans les films avec les
chevaliers là, Excalibur (montre parties lat. sup.). Enfin, un
gros mec comme ça, quoi...
(Tient la planche en mains. Souffle...)
Ou plutôt un, comment, ça revient sur la même idée, mais
comme ça part de là le truc, comme un dragon qui
cracherait du feu plutôt... Ou un chevalier qui cracherait du
feu, quoi... Ouais !...
 (Hausse les épaules, soupire...)
Non, ben c’est tout...
Ouais, c’est marrant...
L’ensemble.
G
K
H
G
G
kan
K
(A)
H
G
F
A
D
F
Obj
D
F
A
G
F
A
[- Qu’est-ce que tu trouves marrant ?]
Euh, je dirais que ça ressemble au genre d’individus pareils
qu’on voit dans « La Guerre des Etoiles » ou... Ouais.
V
  Un oiseau avec le bec ouvert, euh, ouais, j’sais pas
Oiseau = noir sup. (tête) et noir inf. (queue) –
quel genre d’oiseau ça pourrait être, j’sais pas,
« comme les hirondelles ».
bec de canard.
 (Un long temps...)
J’sais pas, ici, mais ce serait plus oiseau dans ce cas, ici ce
serait une paire de ciseaux ou quelque chose comme ça
(montre partie médiane inf.).
Et puis vu comme ça (cache une partie de la tache),
on dirait peut-être un dauphin, avec le bec, et puis
Tête de dauphin = noir lat.
la même chose de l’autre côté, quoi.
 Autrement, ben, une chauve-souris vue de dos aussi,
ouais... A moins que les ailes, j’me souviens plus comment...
Oui, ça peut être une chauve-souris.
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 4
Ban
(Ban)
 kan ?
VI
(Tient la plche en mains.)
 .....  .......
J’sais pas, un serpent qui se serait cassé la gueule d’un
immeuble, comme l’oiseau tout à l’heure. Ou bien qui aurait
été ouvert au couteau, comme ça, zoop ! (Mime le geste.)
 Ça rappelle aussi, j’sais pas, des formes que j’ai vues
dans des dessins de Philippe Druillet, là en haut, ce genre
de formes (montre petits détails médians inf.)...
 Autrement... 
Ah ouais, euh, un bateau de guerre sur l’eau et avec son
reflet, avec la cheminée, un canon, un espèce de pont, j’sais
pas quoi (souffle), ouais, j’crois que c’est tout. (A montré les
différentes parties du bateau au fur et à mesure.)
VII
(Prend la planche en mains.)
Aïe ! Euh, euh... (rit)
Une danse, avec euh, ça ça serait une coiffe (montre partie
lat. sup. droit), ouais, une danse bizarre, quoi...
 ..... 
Autrement, si, une espèce d’insecte avec des pattes là, là, là
(montre), l’avant bizarre, enfin, un truc d’extra-terrestre à
moitié, quoi...
(Un long temps...)
J’sais pas, une espèce d’éléphant style Babar ici (montre
tiers médian droit), enfin, la tête seulement, quoi.
 Euh, aussi une explication d’un, dans le blanc là, on peut
considérer le blanc aussi ? Ben, j’sais pas, on peut
considérer une tête, avec un casque, comme s’il y avait des
pointes...
Ou bien une grotte, l’entrée ou euh la sortie, la sortie, ça
c’est des souvenirs de français en première avec
Baudelaire. Il y a un prof qui nous avait fait un truc làdessus, disons que ça ressemblait à ça, ça aurait pu être
ça...
Ah ouais ! Euh, ça pourrait être aussi, euh, la coiffure d’un
excentrique avec euh, j’sais pas, les cheveux sur les côtés
et ici, j’sais pas, euh, une tête, quoi, sans les yeux, rien...
Ouais, ben je pense que, ben j’sais pas...
Serpent = l’ensemble ().
[- Qu’est-ce qui t’a fait penser à un
serpent ?]
« La tête et puis la longueur, avec deux yeux. »
(Druillet : dessinateur de bandes dessinées
fantastiques, illustrateur et peintre.)
« Un casque » = l’ensemble (), avec le blanc
de part et d’autre de partie médiane sup.
(« place pour les yeux ») et partie médiane sup.
« qui protège le nez ».
L’ensemble : « Deux dames qui se regardent.
Une espèce de danse égyptienne. La tête avec
une coiffe (tiers sup.), le tronc (tiers médian),
une jupe (tiers inf.). »
Insecte = tiers inf. (abdomen) et 2/3 inf. (quatre
pattes).
« Des yeux » (insecte) : partie int. plus claire du
tiers sup.
« Un animal très curieux, la bouche au milieu
avec les dents (partie axiale sup. du tiers inf.).
Je crois pas que ça existe, donc ça doit être
une belle invention, quoi ! »
« Plutôt la sortie. »
(Explique qu’il s’agissait d’un poème de
Baudelaire sur les grottes marines.)
Noir = cheveux, blanc = tête.
« En bas, une espèce de barbe comme il y
ème
avait au 19
siècle. » ()
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 5
DG
F
A
Dd
F±
Frag
DG
F
Obj
Pays
G
K
Abstr
H
G
F
A
D
F
(Ad)
Gbl
F
Gbl
F
Hd
Obj
Pays
Gbl
F
Hd
 kan
kob ?
 Ouais...
VIII
IX
   (Garde un moment la plche en mains, puis la pose
devant lui.)
 Euh, une panthère rose, là... et puis son, j’sais pas...
 Une fusée au décollage, ben...
Une fleur.
Et euh, une sorte de poisson plat avec deux yeux et... enfin,
un truc comme ça, quoi.
(Sourit...) Ça pourrait être aussi un casque, avec la visière
là, hop, hop, hop (montre), ou un masque de carnaval, un
truc comme ça, quoi.
(Eloigne la plche à bout de bras devant lui et la regarde ainsi
de loin...)
Pff... Ou bien un clown. Enfin, la tête d’un clown, quoi.
(Retourne la plche et lit ce qui est écrit au verso.)
C’est en quelle année ? 1948. Il y avait pas encore de
fusées. Zut !
 Une robe.
 Une fleur.
Panthère = rose lat. – « à cause de la tête et de
la souplesse des pattes ».
Fusée = l’ensemble.
Fleur = l’ensemble.
Poisson plat = l’ensemble, avec espaces blancs
int. = « les yeux ».
Casque = l’ensemble, avec « visière » (bleu).
« Genre casque d’aviateur. »
Masque = l’ensemble.
Tête de clown = l’ensemble, avec cheveux
(rose lat.), nez et maquillage (gris et bleu).
« C’est la couleur des cheveux qui m’a surtout
fait penser au clown. »
ème
Robe = l’ensemble. « Ben oui ! 19
siècle,
plusieurs jupons, un corsage (rose) avec les
manches bouffies, comme ça. »
Fleur = l’ensemble, avec pétales (rose-orangé),
cœur (partie médiane), feuilles (vert).
 Un extra-terrestre. (Rit, moue dubitative. Main sur le front, Extra-terrestre = vu à partir du rose lat. (« deux
fronce les sourcils et regarde attentivement la plche...)
yeux sur le côté »).
Ça pourrait aussi être un masque de carnaval, ouais, hum
hum. (Baille...)
Masque de carnaval = vu à partir du blanc
médian et deux espaces blancs int. (« des trous
Il y aussi des crocodiles, deux. Euh, j’sais pas si c’est des
pour les yeux »).
crocodiles ou caïmans, euh, un truc dans le genre, quoi...
Crocodiles, caïmans = détails dans le vert,
(Ferme un œil.) Ouais !
entre vert et orangé.
(Rend la plche : ) Si, Louis XVI avec la poire là (montre
blanc médian), les cheveux (orangé), et puis le chapeau
avec les plumes (vert et rose).
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 6
D
(A)
Ban
G
G
Gbl
FC
kan
kob
F
F
Obj
Bot
A
CF ?
G
G
F
F
Obj
Obj
G
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G
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Obj
G
CF
Bot
DG
F±
(H)
DblG
F
Obj
D
F
A
Gbl
F
Hd
CF ?
CF ?
X
   
(Long temps de latence : près de 2 minutes !...)
Euh, un bonhomme, euh, encore un visage, j’sais pas,
ouais... avec des couleurs qui correspondent pas, quoi...
[- Comment ça ?]
Parce qu’il aurait les yeux jaunes, une moustache bleue,
une barbichette grise, une bouche orange,
des cheveux roses, un diadème sur le front (vert médian
inf.), avec une tête de mort en pendentif...
On voit pas le haut, quoi... A moins qu’il soit chauve ? Tiens,
ouais, chauve avec des cheveux sur le côté...
 Euh, autrement, plein de petites bestioles, j’sais pas
qu’est-ce que ça peut être... Deux qui regardent dans un
périscope et deux qui arrivent vers elles. Les deux qui
seraient ici (gris), je dirais qu’ils auraient l’impression d’être
pas contents, en colère. Et les autres (bleu), ils arriveraient
avec des airs belliqueux.
Autrement, ah ouais, tiens, la tête d’un lapin ici, avec du vert
qui, j’sais pas pas, coule, avec des yeux crevés, non c’est
idiot, ouais avec du vert qui coule
des yeux.
Autrement, les deux taches jaunes ça pourrait faire penser à
des soleils, parce qu’il y a un point orange là (montre jaune
médian inf.).
Le visage d’un empereur mongol, ou j’sais pas, avec
la moustache là, une espèce de truc en pic ici...
Ouais. Ben ouais, j’crois que c’est tout.
DD
FC
Hd
DD
kan
A
Obj
Scène
D
kan
Ad
Frag
D
CF
Frag
DD
F
Hd
A propos du « diadème » : « Maintenant, là en
vert, ça fait des licornes aussi. »
Bestioles = gris sup. – « avec des antennes,
des yeux et des petites pattes, trois pattes ».
« Impression d’insatisfaction, de surprise. »
[- «Belliqueux» ?] « Ils ont une arme (vert
adjacent au bleu sup.). Ils ont pas l’air
méchant ?... »
Tête de lapin = vert médian inf.
Visage d’empereur mongol = l’ensemble, avec
moustache (vert inf.), yeux (bleu central),
casque à pointe (gris sup.).
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 7
Ban
kan de type kp
Épreuve des Choix
Planches préférées :
Planche III
Planche VIII
Planche IX
Planche IV
« Parce que c’est marrant avec les deux trucs. »
« Celui-là aussi, parce que je vois le masque, un pilote d’avion, et en même temps une fusée
qui décolle, je trouve ça marrant. »
« Parce qu’il y a plein de trucs dedans, des trucs marrants. »
« Celui-là, je le trouve marrant. Je retiens l’image du grand bonhomme, l’extra-terrestre qui
crache du feu. C’est un peu comme une armure, quoi. »
Planches moins aimées :
Planche I
Planche V
Planche X
« Parce que, à part une tache d’encre, faut vraiment chercher. »
« Celui-là, ça serait la même chose aussi. »
« Celui-là, j’sais pas pourquoi. »
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 8
Ronan – 18 ans
Récapitulatif des cotations
Pl.
I
II
III
IV
V
VI
Réponses cotées
Appr.
Déter.
Cont.
1. Une tache d’encre
2. Une couronne
3. Un casque
4. Espèce de crâne... d’animal imaginaire
5. Une tête d’animal
6. Une raie
7. Un oiseau écrasé sur la route
G
G
G
Gbl
G
Dbl
G
F+
F+
F+
F
F
F+
CF
Frag
Obj
Obj
(Ad)
Ad
A
A Sang
Obj
8. Un avion
9. Deux bonshommes qui font du tambour
Dbl
G
F+
K
10. Un insecte, une grosse araignée
11. Gros bonhomme... en train de vomir
12. Un dragon qui cracherait du feu
13. Un chevalier qui cracherait du feu
14. Un oiseau avec le bec ouvert
15. Une paire de ciseaux
16. Un dauphin avec le bec
17. Une chauve-souris vue de dos
18. Un serpent qui se serait cassé la gueule
19. Des formes... vues dans des dessins
20. Un bateau de guerre sur l’eau
D
G
G
G
G
D
D
G
DG
Dd
G
F
K
kan
K
F+
F+
F
F+
F+
F
F+
G
K
G
D
Gbl
F
F+
F+
Gbl
Gbl
D
G
G
Gbl
G
G
DG
G
G
DG
DblG
D
Gbl
DD
DD
F+
F+
FC
kan
kob
F+
F
F
F
CF
F+
CF
F
F
F+
F
FC
kan
D
kan
D
DD
CF
F
VII 21. Une danse bizarre (deux dames)
22. Une espèce d’insecte
23. Une espèce d’éléphant genre Babar
24. Une tête avec un casque
25. Une grotte, l’entrée ou la sortie
26. La coiffure d’un excentrique
VIII 27. Une panthère rose
IX
X
28. Une fusée au décollage
29. Une fleur
30. Une sorte de poisson plat
31. Un casque avec la visière
32. Un masque de carnaval
33. La tête d’un clown
34. Une robe
35. Une fleur
36. Un extra-terrestre
37. Un masque de carnaval
38. Des crocodiles ou caïmans
39. Louis XVI
40. Un bonhomme, un visage
41. Plein de petites bestioles qui... périscope
42. La tête d’un lapin avec des yeux crevés
43. Des soleils
44. Le visage d’un empereur mongol
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 1
H
Scène
Ad
H
(A)
(H)
A
Obj
A
A
A
Frag
Obj
Pays
Abtsr
H
A
(Ad)
Hd
Obj
Pays
Hd
(A)
Obj
Bot
A
Obj
Obj
Hd
Obj
Bot
(H)
Obj
A
Hd
Hd
A/Obj
Scène
Ad
Frag
Frag
Hd
Remarq.
Ban
 Ban
 Ban
 Ban
Réponses nouvelles
(réponses données à l’enquête)
II. Un corps bizarre, deux pattes, une tête...
un visage de profil, un corps...
III. Manche d’une guitare
Une cornemuse
VI. Un casque
VII. Une espèce de barbe
X. Des licornes aussi
D
D
D
Gbl
G
D
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 2
F
F
F
F
F
F
A ou H
Obj
Obj
Obj
Hd
(A)
Université Rennes 2
ÉPREUVE DE RORSCHACH1
Cas « Ronan »
Une analyse des réponses
COTATION DES REPONSES
Il s’agira d’abord d’expliciter et de justifier notre cotation
des réponses de Ronan.
 Planche I
Nous coterons «une tache d’encre» dans la mesure où,
lors de la présentation du test, il n’a nullement été indiqué à
Ronan qu’il s’agissait d’encre. C’est donc bien une
interprétation de sa part.
«Couronne» et «casque» sont cotés séparément, car,
s’il s’agit bien de deux couvre-chefs, ils en représentent
néanmoins deux types différents. Il est possible que la
couleur (C’) de la tache ait influé sur la réponse «casque»,
mais l’enquête n’est pas suffisamment explicite à ce sujet.
Les «cornes» ne sont pas cotables séparément du
«casque» : elles participent d’un commentaire descriptif de
celui-ci.
«Espèce de crâne» et «espèce d’animal imaginaire»
semblent n’être qu’une seule et même réponse, que nous
ne coterons qu’une seule fois. Par contre, il est moins
évident de décider si «un animal, une tête d’animal» de la
fin est distinct ou pas de l’animal imaginaire. Compte tenu
de la rotation de la planche et des commentaires à l’enquête
sur «dent» et «bec» (détails différents, localisations
différentes), il s’agit plus probablement de deux percepts
différents.
Nous coterons une F pour ces deux dernières
réponses, puisque nous ne savons pas de quels types
d’animaux il s’agit.
Au total : 5 réponses cotables.
 Planche II
La mention de la couleur d’emblée par Ronan est à
relever, mais n’est pas cotable (c’est une remarquecouleur). De la même manière, on ne cotera pas non plus la
nomination (Cn) des taches rouges en fin de réponse,
puisqu’elles ne sont pas interprétées à ce moment-là (elles
ne le seront qu’à l’enquête).
Au total, on retient ici trois réponses cotables : «raie»,
«oiseau écrasé sur la route», «avion».
La seconde réponse (oiseau) intègre le rouge (enquête :
«du sang»). Dans la mesure où il s’agit d’une F et où c’est
probablement «le grand poisson avec des grandes ailes»
qui a suscité par association le percept «oiseau», on cotera
un déterminant CF.
D’autre part, il n’y a pas lieu de coter un déterminant de
kinesthésie, puisqu’il n’y a perception ici ni d’un mouvement
actuel, ni d’un mouvement intentionnel, ni d’une posture
(voir définition de la réponse-mouvement). Le mouvement
est passé («un oiseau qui se serait écrasé») et agi (non
1
intégré dans le percept), ce n’est donc pas de la
kinesthésie.
Nous avons une réponse nouvelle à l’enquête, cotable à
part, localisée dans le rouge d’abord seulement nommé
(intervention de la psychologue). Ce ne sont cependant pas
une réponse-couleur. On remarque la finesse d’observation
de Ronan qui distingue des petits détails internes au rouge,
en les interprétant comme des yeux et un nez.
 Planche III
Deux réponses cotables, dont la kinesthésie humaine
banale.
La seconde réponse est une F, la première d’un
protocole où il y en aura d’ailleurs beaucoup (le F+ % sera
de 63,3 seulement, en sachant que nous avons largement
crédité Ronan de plusieurs F qui auraient pu être cotées
F).
«L’insecte» (réponse 10) est vu coupé en deux : contenu
Ad.
A l’enquête, les «bonshommes» sont décrits dans une
association contaminée («avec des becs d’oiseau»), mais
que nous cotons à part puisque donnée secondairement
(élément nouveau à l’enquête).
Nous avons une fois encore deux réponses nouvelles :
«manche d’une guitare, tout de traviole» et «cornemuse»,
cotées à part. La première est une F. Pas de déterminant
couleur.
 Planche IV
Comme pour la pl. I, nous nous retrouvons avec une
série de réponses qui s’enchaînent par association et qu’il
est difficile de distinguer les unes des autres. Malgré les
transformations d’images auxquelles on assiste ainsi,
il semble qu’il n’y ait que trois percepts différents sur
la même base («ça revient sur la même idée»). Nous les
distinguerons en fait par leur contenu : humain/animal,
vomir/cracher du feu.
Au total donc, trois réponses cotables : «espèce de gros
bonhomme», «dragon qui cracherait du feu», «chevalier qui
cracherait du feu» (le commentaire final sur «La Guerre des
étoiles» semble concerner le même personnage... ?).
Il s’agit, bien entendu, de trois réponses kinesthésiques
(K et kan), le mouvement vu étant le même : une expulsion
orale violente.
 Planche V
Deux des réponses banales sont ici données, bien
qu’avec des particularités : «un oiseau» est vu en position
latérale (et non à l’endroit ou à l’envers comme il est plus
courant), et «une chauve-souris» est vue... de dos !
- Licence 3 de Psychologie : Psychologie clinique & projective – C. Bouchard, MCU Université Rennes 2.
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 1
La mention «avec le bec ouvert» semble descriptive et
aurait nécessité plus de précision à l’enquête. Faute
d’éléments sûrs, nous ne coterons pas de kinesthésie.
Les deux autres réponses («une paire de ciseaux» et
«un dauphin») sont en rapport associatif évident avec
l’oiseau premièrement vu, par le motif du «bec» (= pl. I).
La réponse «dauphin» est une F.
la dernière, en s’appuyant sur le commentaire donné à
l’enquête.
- La précision complémentaire : «visière... genre casque
d’aviateur» pour la réponse 31 fait jouer un élément de
couleur, mais à retardement, quasiment dans une réponse
nouvelle, et ne peut donc être coté au niveau de la réponse
31 elle-même.
 Planche IX
 Planche VI
Trois réponses cotables, la première («un serpent qui se
serait cassé la gueule») étant très explicitement similaire à
la réponse 7 (pl. II). Nous n’avons pas, là non plus, à coter
de kinesthésie (voir commentaire de la cotation pl. II). Par
contre, le «serpent» semble avoir été évoqué par une partie
de la tache, selon un processus perceptif de type DG
(confabulation).
Le contenu de la réponse «des formes que j’ai vues
dans les dessins de Philippe Druillet» ne peut être cotée
Abstraction (il ne s’agit pas d’une idée ou d’une ambiance,
mais bien de «formes»), ni Symbole (ces «formes» ne
représentent aucune notion ou idée particulière). Nous
coterons donc ce contenu : Fragment.
A l’enquête une réponse nouvelle, dont le contenu
reprend le thème «casque» (= pl. I), et qui a la particularité
d’inclure le blanc de bordure externe (Dbl bord e). On cotera
l’appréhension : Gbl(e).
 Planche VII
C’est à la pl. VII que Ronan nous donne le plus grand
nombre de réponses cotables, auxquelles s’ajoute encore
une réponse nouvelle à l’enquête !
Pour «une danse» (réponse 21), on pourra coter un
déterminant K en raison des éléments de l’enquête, qui
confirment qu’il s’agit de «deux dames qui se regardent».
Mais on remarquera que la première réponse est plus
formelle, plus abstraite aussi.
Remarquons également que les contenus A, Ad et Hd
des réponses 22, 23, 26 sont à la limite du pseudo-animal
ou du pseudo-humain ; que la réponse 21 est proche d’un
contenu Abstraction et d’une réponse-forme ; et que la
réponse 24 est une association Hd et Obj («une tête avec
un casque»).
 Planche VIII
De nouveau nous avons une série abondante de
réponses cotables : huit au total.
Parmi les particularités de la cotation :
- On rend compte de «panthère rose» par un
déterminant FC. Il s’agit en effet d’un animal coloré, selon
une association, de plus, assez conventionnelle (référence
probable au personnage de dessin animé «Pincky, la
Panthère rose»). Il faut y ajouter (double cotation du
déterminant) une kan, justifiable par la remarque donnée à
l’enquête : «à cause... de la souplesse des pattes».
- La réponse qui suit («une fusée au décollage») est plus
nettement kinesthésique (kob). Faute de plus d’éléments
recherchés en ce sens à l’enquête, on ne peut ici assurer
qu’un facteur d’estompage et/ou de couleur a pu jouer
(fumées ? flammes ?).
- La réponse «fleur» n’est pas cotable comme réponsecouleur, puisque Ronan ne nous indique en rien qu’une
impression de couleur y a contribué.
- Les quatre dernières réponses sont des «mauvaises»
formes (F), et l’on peut seule créditer d’un facteur couleur
Le nombre des réponses à coter demeure important (on
en compte six pour cette planche).
La réponse «une fleur» est plus explicitement
chromesthésique que la réponse similaire à la pl. VIII.
Comme nous avons affaire à une F, nous coterons : CF.
La réponse «un extra-terrestre» est une confabulation
(DG), selon l’enquête. De même pour le «masque de
carnaval» (DblG).
La partie où sont vus «des crocodiles ou caïmans» est
un grand détail (D) et non un petit détail (Dd). Malgré sa
petite dimension, il se détache en effet assez clairement à
l’intérieur du vert central - (voir manuel Beizmann).
Enfin, remarquons que nous pouvons hésiter, pour
«Louis XVI» (réponse 39), entre un contenu Hd et un
contenu (Hd). Dans le cas d’un personnage historique, il est
convenu de coter une réponse humaine simple, donc Hd.
 Planche X
Il faut ici coter cinq fois.
Nous relevons surtout :
- des combinaisons de détails aux réponses 40, 41 et 44
(cotation DD pour la localisation) ;
- deux kinesthésies animales (réponses 41 et 42) : si la
première est très nette, donnant même lieu à une
dramatisation particulière (Scène), la seconde est plus
complexe. Le mouvement y est plus subi qu’agi ou
intentionnel, et concerne en fait une partie du corps de
l’animal (yeux au niveau de la «tête de lapin»). On ne peut
coter ici une kp (il ne s’agit pas d’un contenu H ou Hd), mais
on a bien l’équivalent animal d’une kp.
- enfin, notons deux réponses-couleur, à coter FC
(réponse 40) puisqu’il s’agit d’un objet coloré, et CF
(réponse 43) en raison d’un facteur formel présent mais de
médiocre qualité. (On ne peut compter comme réponsecouleur la nomination du vert dans la réponse 42.)
A l’enquête, le détail du «diadème» (partie de la réponse
40) se transforme, modifiant partiellement celle-ci, pour
donner une réponse nouvelle («des licornes»).
Récapitulatif des cotations : voir supra page 1 suivant le
relevé des réponses.
Cotation des réponses nouvelles (enquête): voir supra
page 2 suivant le relevé des réponses.
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 2
appréhension massivement globale (mode d’appréhension). C’est bien la structure des taches qui a joué ici,
plus que la couleur (qui caractérise les trois dernières
planches), comme le montre notamment la concentration
des réponses globales à la pl. VIII, dont la structure
générale est plus propice à une appréhension d’ensemble.
ANALYSE FORMELLE
L’analyse formelle consiste à reprendre systématiquement les données de la cotation à partir du
psychogramme, et à les étudier dans la construction
progressive d’une analyse psychodynamique ( portrait
caractérologique ou personnologique).
2. Le mode d’appréhension est en effet de type G, la
globalisation perceptive étant à plusieurs reprises obtenue
par confabulation (DG ou DblG) ou par combinaison (DD).
On remarque aussi plusieurs inclusions du blanc
intermaculaire (Gbl).
On ne relève qu’une seule localisation en Dd (réponse
19).
1. Nous remarquons d’abord le nombre important des
réponses. Elles se sont multipliées dans la dernière partie
du protocole, à partir de la pl. VII. (Seules les pl. II, III, IV et
VI n’ont reçu que trois réponses ou moins.)
Il semble que cette variation de production soit liée à la
structure des taches : les planches VII à X concentrent plus
de la moitié du nombre total de réponses et les trois-quarts
des réponses de détail, dans un ensemble où domine une
Synthèse des cotations
R = 44
F % = 68,2
F+ % = 63,3
H % = 22,7
A % = 38,6
G
D
Dbl
Dd
K
kan
kob
CF
FC
H
Hd
(H)
A
Ad
A)
(Ad)
Objet
Frag
Scène
Bot
Pays
Sang
Abstr
= 68,2 %
= 25 %
= 4,5 %
= 2,3 %
=4
=4
=1
=4
=2
T.A. : G+++ D- - - Dbl- Dd
R.C. % = 40,9
Succession : variable
plutôt G  D  G
Ban = 4 (dont 3 inhabituelles)
Interprétation :
Ces premières observations montrent chez Ronan une
approche situationnelle plutôt synthétique, mais sans
superficialité. Ronan remarque au contraire très justement
les principales caractéristiques de chaque nouvelle
situation, et s’efforce de les intégrer dans une cohérence
d’ensemble ou d’en inférer du sens, quitte à risquer un
forçage interprétatif de la réalité. Sa pensée évolue
volontiers par associations plus ou moins (auto)critiques.
Nous retenons aussi du nombre des réponses que
Ronan est capable d’une disponibilité psychique et d’une
expression riche, au contraire de ce que peut laisser croire
au premier abord son retrait apparent. Comme l’avait
justement pressenti la psychologue, la situation Rorschach
a pu trouver chez Ronan une réponse positive d’expression
et d’échange.
3. Le déterminant formel est peu et mal utilisé (F %
faible), à l’avantage de nombreuses kinesthésies et de
réponses-couleur (compte tenu des quelques fois où nous
avons hésité à coter une réponse-mouvement ou une
= 3
= 6
= 1
= 10
= 3
= 2
= 2
= 12
= 3
= 2
= 2
= 2
= 1
= 1
réponse-couleur, leur nombre est même peut-être sousestimé par nous).
Nous avons été souvent amenés à coter F en raison de
contenus difficiles à apprécier : imprécisions, êtres
imaginaires, fantastiques.
On remarque que Ronan semble en général conscient
du fait que ses interprétations F sont douteuses, comme
en témoignent les précautions oratoires ou les commentaires (verbaux, mimiques) par lesquels il les accompagne.
Interprétation :
Le mode de signification précédemment analysé n’est
pas toujours maîtrisé quant à sa pertinence et confirme son
caractère parfois forcé. Ronan n’en est cependant pas
complètement dupe. Il montre une conscience interprétative assez juste, bien que pas peu efficace.
4. Les réponses-mouvement, nous l’avons déjà
remarqué, sont assez caractéristiques :
- les trois kinesthésies de la pl. IV reprennent avec
insistance un thème commun d’expulsion orale violente ;
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 3
- les deux autres kinesthésies humaines (pl. III et VII)
concernent des personnages doubles (et non uniques
comme à la pl. IV). Dans les deux cas, il s’agit de
personnages nettement sexués (bonshommes, dames),
menant une action commune, liée à la musique (tambour,
danse). Dans les deux cas aussi, ces interprétations
de mouvement humain vont faire l’objet d’un traitement particulier : contamination secondaire pour les
«bonshommes» dotés (à l’enquête) de becs d’oiseaux ;
spécification humaine à retardement pour les «dames».
- les kinesthésies animales : Hormis celle de la pl. VIII
(réponse 27), quasi-banale, elles ne concernent que des
actions violentes, voire franchement agressives (réponses
41, 42). Comme pour les kinesthésies humaines, elles se
distinguent en : vision unique et de face d’un être animal qui
expulse violemment quelque chose au niveau de la bouche
(réponse 12) ou des yeux (réponse 42), ou bien vision
double de confrontation agressive (réponse 41).
- quant aux réponses 7 et 18, si l’on ne peut les coter
comme des kinesthésies, elles constituent cependant deux
réponses gestuelles bien particulières, à caractère là encore
de violence agressive, destructrice, et même autodestructrice («qui se serait écrasé... qui se serait cassé la
gueule»). On remarque, de plus, l’accompagnement des
gestes de Ronan par des onomatopées très expressives,
nous renvoyant à l’idée d’une agressivité orale.
- enfin, la kinesthésie d’objet de la réponse 28
représente également un mouvement de projection
(expulsion) violente.
Interprétation :
L’analyse des réponses-mouvement nous indique un
nouvel élément de compréhension. Elle révèle une
agressivité orale importante, en grande partie réprimée car
elle rend dangereuse pour Ronan toute relation duelle de
face à face. Seule la musique permet une rencontre plus
sereine (harmonie ?), ou au moins une modération de
l’agressivité toujours latente. (On peut ainsi supposer que le
thème de la musique, très présent dans l’entretien avec la
psychologue qui a proposé le test, a grandement contribué
à susciter détente et confiance chez Ronan.)
Par ailleurs, on remarque une tendance à agir la
violence agressive non intégrée ou insuffisamment intégrée
dans une symbolisation. En ce cas, la violence agie parce
que non représentable ou peu représentable autrement, est
impulsive et peut être auto-destructrice.
5. Les réponses-couleur sont moins importantes en
nombre, dans l’ensemble d’un protocole d’ailleurs peu fourni
en éléments pathiques (émotion, sensorialité) :
- le rouge des pl. II et III a seul été vivement ressenti, en
lien avec la problématique agressive que nous venons de
découvrir. Divers procédés défensifs permettent à Ronan
d’en limiter (médiocrement) l’impact : pseudo-kinesthésie
dramatisante (pl. II), évitement du rouge (pl. III), qualité F
de la CF (pl. II) et des réponses nouvelles données à
l’enquête pour les deux planches II et III.
- les autres réponses-couleurs sont toutes données dans
les planches-pastel et semblent davantage participer des
processus associatifs de type confabulant précédem-ment
cités.
6. On ne relève, dans ce protocole, ni réponses
d’estompage (déterminants E) ni réponses de clair-obscur
(déterminants Clob).
Interprétation :
Au vu des réponses-couleur produites par Ronan, se
confirme sa sensibilité agressive, dont nous percevons ici
une dimension de violence impulsive et les aménagements
défensifs - notamment : scotomisation et essais de maîtrise
intellectuelle (Ronan insiste par exemple, à l’enquête de la
pl. II, sur la géométrie des deux réponses formelles, toutes
deux vues, de plus, dans le blanc central).
Nous apprenons également que, sur le plan affectif,
Ronan est plus réactif que réceptif, plus actif que passif, ce
qui confirme notre analyse d’une répression défensive
d’autant plus sévère et difficile à maintenir que sa
disposition générale est plutôt tonique.
7. Le contenu des réponses nous apporte d’autres
éléments d’analyse, riches d’information.
Concernant le H % et le A %, nous relevons qu’ils sont
l’un et l’autre peu élevés (le A % surtout est faible), à
l’avantage de contenus autres, variés, et qui représentent
une bonne moitié des réponses.
Nous relevons encore l’ambiguïté fréquente des
contenus humains et animaux, souvent de type «pseudo»
ou à la limite du pseudo(-humain ou -animal). Les êtres
humains ou animaux perçus par Ronan sont généralement
imprécis ou bien relèvent d’un univers plus ou moins
fantastique, manifestement influencé par le cinéma et la
télévision.
Enfin, nous constatons que toutes les réponses de
détails Hd, Ad, (Ad) concernent la tête ou le visage, ou des
attributs de la tête ou du visage, avec une récurrence de
becs, de dents et d’yeux. Cette focalisation thématique se
constate encore à l’examen des contenus Obj, qui figurent à
plusieurs reprises des couvre-chefs (casque, couronne :
quatre fois sur onze), un masque (une fois), ou un
maquillage (enquête réponse 33). Dans le même ordre
d’idées, nous relevons :
- que la réponse 34 (pl. IX) figure un vêtement («une
robe»), sans parler du chevalier de la pl. IV (un personnage
en armure d’après le commentaire à l’épreuve des choix) ;
- que d’autres contenus Obj portent sur des objets dotés
d’un «appendice» propulseur (réponse 20 : «un bateau de
guerre sur l’eau... avec la cheminée, un canon»), ou
constituant eux-mêmes un tel genre d’instrument (réponse
41 : «périscope» dans une scène de guerre animalière) ;
(Remarquons que le «bateau de guerre» est double,
comme sont doubles les autres protagonistes antagonistes
des paires animales ou humaines vues par Ronan dans les
pl. III, VII et X.)
- que le contenu Pays de la réponse 25 (pl. VII) est
perçu dans le sens d’une ex-pression (sortie). (De façon
générale, les espaces intermaculaires sont vus par Ronan
comme des formes planes ou comme des creux qui
ex-priment et non comme des trous ou des creux à remplir
ou dans lesquels se loger.)
- ajoutons à tout cela l’araignée de la réponse 10, que
Ronan projette littéralement sur la psychologue dans une
locution soudain familière : «le truc qui va te sauter
dessus».
Interprétation :
L’analyse du contenu nous permet surtout de préciser
notre étude des modes défensifs utilisés par Ronan à
l’encontre de son agressivité (sadique-orale) et des risques
allo-destructeurs encourus. On peut reconnaître des
mécanismes de répression, de rétention, de contrôle
intellectuel (qui ne va cependant pas jusqu’à l’intellectua-
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 4
lisation et/ou la rationalisation) - tous ces procédés étant, en
fait, fragiles, précaires, en particulier du point de vue de la
vigilance intellectuelle déployée (on a vu les faiblesses
qualitatives du déterminant F chez Ronan).
Il faut sans doute s’en féliciter, en ce sens que ces
procédés ne sont pas très structurés ni trop rigides. Ils n’en
constituent pas moins une inhibition importante et qui
garantit pourtant mal Ronan contre un risque permanent de
bouffées de violence impulsive.
8. Enfin, relevons les mouvements de planches,
nombreux et réguliers tout au long de ce protocole - sauf
pour la pl. III, qui a été posée sur la table et regardée de loin
(recul). Nous pouvons reconnaître là une autre expression
de la difficulté de relation et d’échange, puisque cette
réponse posturale coïncide avec l’une des deux réponses
de couple humain en face-à-face. Un malaise particulier a
d’ailleurs marqué aussi l’autre réponse de ce type (réponse
21, pl. VII : interprétation humaine latente et différée à
l’enquête, mention d’une danse bizarre).
Il n’est pas aisé de repérer une logique particulière dans
les rotations de planches pratiquées par Ronan, mais on
peut retenir que, dans plusieurs cas, il renverse l’image dès
la première interprétation : pl. V, VIII, IX, X. A la fin de sa
réponse à la pl. VIII, il va même jusqu’à retourner la planche
et faire ainsi un constat d’anachronisme (la date lue au
verso) qui, cependant, ne va pas le conduire à rectifier sa
réponse.
Là encore, on peut reconnaître une capacité d’initiative
active remarquable chez un jeune homme au premier abord
si passif, en même temps que son peu de perméabilité aux
démentis apportés par la réalité extérieure (ou à ce qu’il
peut percevoir comme tel).
ANALYSE SEQUENTIELLE
L’analyse séquentielle complète l’analyse formelle en
resituant les réponses dans leur enchaînement dynamique,
et en veillant particulièrement à repérer les moments
critiques du protocole, leur signification fonctionnelle pour le
sujet, les aménagements défensifs et les tentatives d’issue
qu’ils suscitent.
Ronan commence le protocole (PLANCHE I) par une
interprétation factuelle, de «bon sens», n’ayant
apparemment pas compris qu’il doit interpréter la tache (la
consigne donnée ne le précisait effectivement pas). Il
montre en revanche, par cette première réponse, qu’il a
immédiatement compris le mode de fabrication du stimulus
(voir notre analyse de son mode d’appréhension).
On peut toutefois y reconnaître aussi une attitude
semblable à celle qu’il a pu avoir en entretien : d’abord
laconique, descriptif, peut-être prudent, il se détend ensuite,
dès qu’il a perçu la relation comme assurée et fiable. (Dans
le Rorschach, la psychologue ne le contredit pas, mais
confirme sa réponse tout en lui en demandant plus).
La seconde attitude de Ronan n’est pas moins
significative : il interroge la consigne par une question
(comme il le fera encore une autre fois à la planche VII à
propos du blanc central), mais sans attendre de réponse et
d’autorisation pour faire comme il le souhaite. En
l’occurrence, ces deux demandes portent sur la possibilité
de regarder la planche à l’envers, puis de «considérer le
blanc» (pl. VII) - c’est-à-dire, pour les deux fois, de traiter la
tache différemment ou au contraire de ce qui semble
attendu.
Le mode d’entrée en relation que résument ces deux
premières réponses (interprétation factuelle, puis question
et retournement de la planche), rejoint ainsi ce que nous
avons précédemment dit de l’esprit de synthèse de Ronan,
et complète notre description de son attitude en situation
d’entretien, faite d’abord d’inhibition prudente et de négation
réactive («Nowhere man... L’homme de nulle part»).
Ce n’est qu’après ce préambule qu’il commence
véritablement à interpréter la tache, donnant tout de suite
les deux premières des nombreuses réponses Barrière
(Fischer & Cleveland) que nous donnera Ronan : c’est un
objet qui couvre la tête (casque) et/ou qui la rend puissante
(couronne, cornes).
Ce n’est que secondairement (et après un retour à la
position initiale de la planche) que Ronan peut nous donner
une tête (et non plus un «couvre-chef») - mais animale et...
«imaginaire», où subsiste d’ailleurs un autre appendice dur
et pointu (après les cornes) : «un bec».
Ainsi, la séquence des réponses de Ronan à la
planche I «donne le ton», d’entrée de jeu. On y perçoit
mieux sa «stratégie» d’inhibition première, sa capacité
réelle d’initiative voire d’opposition, la composante
agressive de sa problématique, la thématisation de celle-ci
par une focalisation sur la tête, à la fois lieu de l’expression
agressive («cornes», «bec») et de sa répression défensive
(«casque», défense par la fantaisie : «animal imaginaire»,
dévitalisation et restriction : «crâne... pas d’oreilles»).
Le rouge de la PLANCHE II est tout de suite remarqué
(«ah, des couleurs !»)... mais pas directement interprété. La
séquence des trois réponses données commence et finit par
des localisations dans le blanc, qui à l’enquête seront
soulignées comme «formes géométriques» (intellectualisation). Le rouge ne sera, de plus, clairement impliqué que
de façon désignative d’abord (et en fin de réponse) : «les
deux taches rouges» - et spécifiquement interprété
seulement à l’enquête : «du sang».
Bref, on peut ici parler d’un choc au rouge, dont nous
avons déjà analysé la signification traumatique pour Ronan,
brusquement confronté à une induction de violence. La
maîtrise en est difficile, recourant à plusieurs procédés
actifs et «pré»-symboliques (rotation de la planche,
onomatopée, coup de poing sur la table), puis à une
négation : «Marrant !... je vois pas vraiment».
Invité à revenir sur le rouge latéral à l’enquête, Ronan
s’attachera d’ailleurs à ne donner qu’une réponse-forme,
laborieuse et peu convaincante, et qui trahit son malaise
anxieux : «un corps bizarre... une tête mal formée... un
monstre, quoi, bizarre... une tête déformée... «
Comme nous l’avons remarqué, la PLANCHE III est la
seule que Ronan ne manipule pas. Il ne la touche même
pas et s’en tient à distance (recul). On peut penser que,
cette fois encore, le rouge participe à cette réaction très
défensive : le rouge ne sera interprété qu’à l’enquête, et au
niveau des détails latéraux seulement, les plus extérieurs.
Mais nous avons vu que l’implication humaine et
relationnelle, bien perçue par Ronan, a certainement
participé aussi à ce malaise.
La seconde réponse (10) confirme la scotomisation du
rouge et transforme la perception humaine (la première de
tout le protocole) en une perception animale, plus limitée
(«coupée en deux»). C’est secondairement, à l’enquête,
que se révélera toute l’agressivité latente dans ces deux
réponses. Quant au rouge, il y sera abordé par la même
entrée thématique que les «deux bonshommes», c’est-àdire la musique.
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 5
Avec la PLANCHE IV, Ronan va nous donner d’autres
réponses humaines et animales, pour la première fois vues
de face. Il lui aura ainsi fallu quatre planches avant de
pouvoir envisager la représentation d’une figure humaine ou
animale entière et intégrant l’ensemble du stimulus !
Dans le même temps, on découvre pourquoi cela lui a
été tellement difficile et pénible (tendance Clob de la
réponse 11). La confrontation s’avère chargée d’une
violence agressive extrême (par projection), à peine
atténuée par le recours à la fantaisie (références
cinématographiques, animal imaginaire) et par une
prestance dénégative («ouais, c’est marrant»).
Après un tel face-à-face, il n’est plus étonnant de trouver
les deux réponses banales de la PLANCHE V curieusement
contournées : l’oiseau est vu depuis un côté de la planche,
la chauve-souris est retournée par une volte-face imaginaire
(«vue de dos»). Pas étonnant non plus de trouver «un
dauphin... et puis la même chose de l’autre côté», et non
deux dauphins. Pas étonnant, enfin, de constater le motif
redondant du «bec» (oiseau, dauphin).
La planche V, autrement dit, est abordée dans un effet
continué de l’impact de la planche IV, celle-ci ayant très
certainement touché au coeur même du problème de
Ronan, ou au moins réveillé l’un de ses fantasmes
fondamentaux.
Nous remarquons aussi l’association bec/paire de
ciseaux : s’agit-il d’une variante Objet du bec (un bec, ça
pique et ça coupe) ? - ou bien d’une image de «castration»
orale (opposition bec-oiseau / paire de ciseaux : «mais ce
(ne) serait plus oiseau dans ce cas») ?...
Avec la PLANCHE VI, on va retrouver des réactions et
des procédés défensifs assez semblables à ce qui s’est
produit à la planche II. Ronan le fait d’ailleurs lui-même
observer : «comme l’oiseau tout à l’heure». Une fois de
plus, il a très justement perçu la caractéristique principale
de cette planche : la verticalité de la tache et le contraste
axe/étendue. C’est, enfin, une nouvelle confrontation qui
s’impose à lui (une figure animale entière, vue de face).
La réaction à cette situation conflictuelle emprunte
pratiquement les mêmes voies défensives qu’à la planche II
: retournement de la planche, réponse différée, recours à
l’évocation (onomatopée, geste) - mais sans parvenir à une
intégration vraiment maîtrisée de l’impact anxiogène
premier. Ce n’est que secondairement, après une fuite vers
la périphérie de la tache (la réponse 19 est la seule
localisation en Dd de tout le protocole) et par une nouvelle
référence à la fantaisie voire à l’art (Druillet), que Ronan
peut revenir au stimulus dans son ensemble - pour une
image dédoublée (comme le «dauphin» de la pl. V), figurant
un objet de guerre !
Ronan réintègre ainsi sa «cuirasse» de départ (voir
aussi le casque explicitement protecteur donné à l’enquête),
après une longue séquence de déstabilisation qui aura duré
depuis la planche II.
La PLANCHE VII va toutefois ramener Ronan à la même
question que la planche III, à savoir : la relation duelle. Il va
y répondre exactement de la même manière : contenu
humain défini mais atténué, motif de la danse (musique),
passage de l’humain à l’animal (réponse 22), réduction de la
figure animale («un truc d’extra-terrestre à moitié»). La
manière par laquelle Ronan traite dans un premier temps
cette planche VII peut ainsi se lire en analogie étroite avec
son traitement de la planche III - cette fois cependant dans
un malaise anxieux plus net : «une danse bizarre... l’avant
(de l’insecte) bizarre... un animal très curieux (enquête sur
l’insecte)... »
Mais, comme à la planche II, Ronan va bientôt pouvoir
retrouver une autre de ses stratégies défensives, et affirmer
le contrôle de son angoisse, repris à la fin de la planche VI
et un instant menacé (début pl. VII) : il retourne la planche,
interprète le blanc médian... et reprend le motif significatif de
la tête casquée (protégée en même temps qu’agressive :
«comme s’il y avait des pointes»).
Remarquons que c’est après ce moment de «retour», de
«remise en forme», que Ronan nous donne deux réponses
d’un genre tout à fait inédit jusque là. La réponse 25 est
énoncée sur le mode de l’anecdote-souvenir, tandis que la
réponse qui suit nous présente pour la première fois un
personnage de face qui ne soit pas agressif ou dangereux,
mais «excentrique». Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un
personnage entier, que sa coiffure constitue une forme de
«couvre-chef» atténuée (cheveux et non plus casque), et
qu’il n’a pas d’yeux !
Ronan retrouvera d’ailleurs les mêmes procédés
défensifs et presque les mêmes interprétations, lorsque, au
cours de ses réponses à la PLANCHE VIII, apparaîtra une
nouvelle figure vue de face («une sorte de poisson plat») et
un nouveau malaise anxieux (formulation hésitante de la
réponse 30), après une autre réponse rappelant aussi la
planche II (pl. II : «une raie», «un avion» - planche VIII :
«une fusée au décollage», «un poisson plat»). Aussitôt
réapparaît un casque, puis un masque, et la qualification peut-être dénégative du carnaval et du clown
(= «excentrique» de la réponse 26).
Il semble ainsi que, depuis la planche VI puis la planche
VII, Ronan a retrouvé un fonctionnement plus assuré voire
renforcé dans son équilibre défensif, et en particulier grâce
à des procédés de dédramatisation que l’on peut interpréter
comme une dénégation et un refoulement (on est passé de
personnages inquiétants et casqués... à des personnages
drôles et déguisés !). La réponse 25 marque ainsi un
changement particulier dans l’attitude générale de Ronan au
cours de ce protocole (son fonctionnement, toutefois, reste
le même.)
Ronan va maintenir la même attitude tout au long de ses
réponses aux PLANCHES IX et X, non sans difficulté
pourtant. Les divers êtres humains (surtout des visages)
qu’il interprète à plusieurs reprises sont des personnages
dont le caractère plus ou moins fantaisiste ne trompe pas
Ronan lui-même, tendu, mal à l’aise, ou faussement distant
(réponses 36, 37, 39, 40, 44). Même masqué ou déguisé, le
face-à-face qui s’impose à lui à travers toutes ces réponses
demeure anxiogène, le laissant assez démuni du point de
vue de ses possibilités défensives et adaptatives (la qualité
formelle de ces réponses est souvent médiocre). A
l’évocation d’un face-à-face problématique s’ajoute, il est
vrai, la difficulté pour lui de maintenir son appréhension
globale habituelle (structure morcelée des taches VII à X).
Ronan alterne avec les contenus Hd ou (H) quelques
réponses d’un tout autre genre. La réponse 38, intercalée
entre un «masque de carnaval» peu assuré et un «Louis
XVI» distant, constitue le seul D interne (intra-maculaire)
produit par Ronan, peut-être par l’effet de son attention
alors focalisée sur le blanc central (comme en témoignent
les réponses 37 et 39). Il nous donne là un type
d’appréhension tout à fait exceptionnel chez lui, bien qu’il ait
perçu à plusieurs reprises des parties internes des taches.
D’un point de vue dynamique, c’est avec cette réponse 38
qu’il retrouve, un instant, une meilleure qualité de
perception. Remarquons que Ronan ferme alors un oeil :
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 6
pour séparer les deux crocodiles qu’il aperçoit (= «dauphin»
de la pl. V) ?...
La kinesthésie animale de la PLANCHE X (réponse 41)
revient d’ailleurs à de la dualité... et à la conflictualité
agressive que cela entraîne pour Ronan. Notons que cette
scène animale survient après une réponse qui a troublé
Ronan par son incomplétude formelle supposée («on voit
pas le haut»), et qu’elle s’organise autour d’un «périscope»
(vu aussi dans le haut de la planche retournée), ce qui
semble supposer un rapport bas/haut et peut-être
dedans/dehors, médiatisé par cet instrument. On peut ici
suggérer que l’échec partiel de Ronan à maintenir, pour la
réponse 40 qui a précédé, une complétude formelle, a
fragilisé ses défenses par fermeture ou couverture et, un
instant, réactivé l’agressivité interne, violente, menaçante
qu’il cherche constamment en endiguer.
A l’occasion, on remarque aussi la mention «un air
belliqueux», dont on peut se demander si elle ne refléterait
pas une tendance paranoïde. La remarque de l’enquête
(«ils ont pas l’air méchant ?») est peut-être davantage une
recherche de connivence avec la psychologue.
Quoi qu’il en soit, avec la réponse 41 se repère un
nouveau moment critique, de déstabilisation des processus
de refoulement et de contention (mode d’appréhension,
réponses Barrière) propres à Ronan à l’encontre de ses
pulsions agressives. Il ne s’agit pas d’une rupture de la
frontière dedans-dehors comme dans les réponses
psychotiques ou borderline : la qualité formelle reste bonne,
adaptée, et le reste du protocole ne manifeste, à aucun
moment, d’incertitude ou de vulnérabilité des contours. Par
contre, c’est la forme comme moyen de contention (et non
de contenance) et de contrôle à distance (périscope) qui a
connu ici une faille. En témoigne la réponse qui suit où,
cette fois, ce sont des yeux qui sont crevés, d’où s’échappe
une couleur.
Les deux réponses 41 et 42 (auxquelles on peut ajouter
la CF de la réponse 43) constituent ainsi une séquence
forte, manifestement complexuelle, qu’on peut supposer en
relation de conséquence avec l’échec relatif de la réponse
40. Tâchons de la restituer :
Face à cette planche X difficile à interpréter selon le
mode d’appréhension propre à Ronan, et qui vient après
une planche IX déjà éprouvante pour lui, Ronan tente une
nouvelle réponse de visage humain, mais sans tout de suite
parvenir à l’aménager sur le mode de la fantaisie adopté
depuis la planche VII. La forme de ce visage, de plus, est
incomplète, dépourvue de haut. Même par la qualification
«chauve», Ronan ne réduit pas cette absence de «couvrechef» (chauve = pas de cheveux !). Le changement de
position de la planche (souvent significatif chez lui d’une
réaction défensive) ne lui permet toujours pas de trouver
la globalisation optimale recherchée
(«impression
d’insatisfaction, de surprise»), ni surtout d’éviter le
surgissement agressif, conflictuel, à peine atténué par le
contenu animalier (il s’agit d’ailleurs d’animaux anthropomorphisés : ils regardent dans un périscope et ont des
armes !). Le motif des yeux et du regard, dont nous avions
pu jusqu’ici seulement soupçonner l’importance, se confirme
comme particulièrement sensible, impliqué dans la
problématique d’ensemble. Organe de contrôle et de mise à
distance (périscope), ils sont ici connotés d’une valeur
pathique forte, à la fois active, expressive («du vert» :
quasiment C pure... «qui coule») et passive (dans un
retournement agressif : «yeux crevés»).
Ce n’est qu’après la séquence des réponses 41 à 43,
que Ronan peut revenir au visage humain, cette fois bien
repris dans la construction fantaisiste recherchée, et doté
d’un «espèce de truc en pic» (en haut)... d’un «casque à
pointe» (enquête). L’équilibre se trouve ainsi rétabli, entre
expression et répression, entre pulsions agressives et
contrôle défensif.
Quelques commentaires, enfin, à propos de l’épreuve
des choix.
On n’est pas trop surpris de trouver, parmi les planches
préférées, les planches III et VIII, qui sont sans doute celles
où Ronan a su le mieux affronter l’épreuve de la figuration
humaine : introduisant en III le motif de la musique, et
développant à partir de la VIII celui des masques et des
personnages grimés. Le commentaire de la planche VIII
semble, d’autre part, suggérer une synthèse possible des
diverses interprétations données à cette planche : satisfaction de Ronan à pouvoir accomplir une contamination
aussi adroite, dans le sens de son mode d’appréhension ?...
On peut être plus surpris par son choix positif des
planches IX et IV, moins heureusement traitées par Ronan
au moment d’y répondre. Elles ont en commun d’avoir
suscité l’interprétation «extra-terrestre» (réponses 13 et 36).
Est-ce un autre constat de satisfaction pour Ronan ? (Extraterrestre = une variante de Nowhere man ?...)
Relevons que les quatre planches classées parmi les
préférées sont toutes qualifiées par la formule «c’est
marrant», dont nous avons vu qu’elle tient, dans le discours
de Ronan, une fonction principalement dénégative. Cela
signifierait-il que ces choix, bien qu’apparemment positifs,
ne sont cependant pas dépourvus d’un certain malaise ?
Quant aux planches non aimées, Ronan est moins
explicite dans ses commentaires. On peut deviner que les
planches I et X lui rappellent des moments particulièrement
traumatiques du protocole. Pour la planche V, c’est plutôt sa
position après la planche IV qui en a rendu le traitement
difficile pour Ronan, comme on l’a vu. Le même effet de
déplacement se répéterait-il ici dans ce choix négatif de la
planche V, alors que la planche IV est retenue parmi les
choix positifs ?
DISCUSSION DIAGNOSTIQUE
Diagnostic psychodynamique et structurel
On a vu, dans la présentation du sujet, le diagnostic
psychiatrique évoqué à propos de Ronan : « état dépressif
de l’adolescent, mode d’entrée dans la psychose, état
réactionnel ». Que nous apporte le test de Rorschach au
regard de ces hypothèses ?
Il faut ici être prudent, car nous avons affaire à un
adolescent et qu’à cet âge il est souvent encore difficile de
parler d’organisations structurelles bien définies. Ronan, de
plus, est dans une situation existentielle et psychique
critique (deux tentatives de suicide récentes) et peut-être
soumis à un traitement psychopharmacologique qui modifie
son fonctionnement psychique habituel. Il n’est cependant
pas impossible de repérer des problématiques et des
mécanismes identifiables selon le critère des grandes
lignées structurelles connues.
Il nous paraît peu probable, au vu du Rorschach de
Ronan, qu’il s’agisse chez lui de psychose. Si la qualité
formelle de ses réponses est faible, celles-ci n’impliquent
jamais de faillites ou de fragilités de l’objet (au sens
psychanalytique de « relation d’objet »). On ne retrouve
jamais, dans les réponses de Ronan, la problématique de
constitution d’une frontière (rapport dedans-dehors) et d’une
cohérence unitaire (individuation), caractéristiques des
réponses psychotiques – ni la fragilité narcissique, la
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 7
relation d’objet anaclitique et la lutte contre une dépression
abandonnique typiques des protocoles borderline (personnalités dites « limites » ou état limites, selon la nosologie de
J. Bergeret).
Le type et la qualité des modes défensifs confirment
également cette exclusion différentielle : pas de déni, ni
de projection massive, incontrôlée ; pas de réponses
incohérentes (contaminations, illogismes), ni de clivage ;
pas de dévitalisations proprement dites (= confusion animé /
inanimé, desséchement, pétrification, pourrissement…).
Même si l’on a, à plusieurs reprises, des interprétations
confabulées et des contenus fantastiques, ces réponses ne
sont jamais totalement inadaptées. Ronan conserve en
général une conscience interprétative, qui peut même se
faire finement critique et auto-correctrice. Ses réponses de
fantaisie empruntent largement à tout un imaginaire
socioculturel contemporain (et propre à son âge et à sa
génération) issu de la bande dessinée, du cinéma et de
la littérature de fantasy, de façon explicite (citations,
références). Pour autant, comme on l’a constaté au cours
de notre analyse de ces réponses, ces contenus ne sont
pas aléatoires et ne semblent pas relever d’une « simple »
défense par références culturelles (rationalisation, discours
de séduction voire de connivence à l’adresse de la psychologue).
Ce qui domine, en revanche, dans les réponses
Rorschach de Ronan, est une agressivité constante et
intense, et les très nombreuses tentatives de maîtriser celleci.
On remarque d’ailleurs que cette agressivité s’exprime
tout au long du protocole de Ronan de façon progressive
mais très tôt : d’abord discrète (latente) dès la planche I
(« cornes », « bec », images de couvre-chef), elle émerge
brutalement à la pl. II (« oiseau écrasé »), et se trouve de
nouveau atténuée à la pl. III (« araignée » qui se révèlera
après coup sous-tendue par une attaque de la psychologue
à l’enquête). Les réponses suivantes, aux planches IV à IX,
alternent des expressions défensives de cette agressivité,
retenue, contenue notamment par des masques et des
couvre-chefs ; et d’autres plus franches, moins contrôlées
mais toujours assez précises (F+ % moyen-fort).
De cette agressivité, nous avons retenu :
1) qu’elle se déployait principalement dans un registre
sadique-oral, et en partie sadique-anal (« canon » d’un
bateau de guerre, rép. 20 ; « fusée au décollage », rép. 28) ;
2) qu’elle pouvait s’accompagner d’une réponse
gestuelle directement agie (réponses 7 et 18) ou clairement
suggérée dans la relation actuelle avec la psychologue
(enquête réponse 10) ;
3) que cette agressivité pouvait être soit agie (altéro- ou
extéro-centrée), soit (plus rarement) subie (= figures vues
de face, qui vomissent ou crachent, des rép. 12 et 13 – ou
de façon plus atténuée, références répétées aux yeux et
au regard, devenu nettement hostile, « belliqueux », à
l’enquête de la rép. 41). On n’observe cependant aucune
réponse témoignant clairement d’un retournement de
l’agressivité sur soi (nous pensons aux tentatives de suicide
de Ronan) ;
4) que l’agressivité, bien que faisant l’objet de plusieurs
atténuations défensives, n’est jamais accompagnée
d’angoisse de culpabilité franche (pas d’annulation, de
retournement dans le contraire, de dénégation, d’expression
de malaise anxieux à l’égard de la psychologue…).
Enfin, notons que Ronan est capable d’évoquer
des relations humaines différenciées (sexuation des
personnages, attribution d’une action précise), qui restent
1
cependant en-deçà de toute conflictualité. La conflictualité
est plus franche – mais « armée » – lorsqu’il met en scène
des figures animales (rép. 41, pl. X). Nous avons noté que
le face-à-face direct est violent et dangereux.
Tous ces éléments, sans totalement valider l’hypothèse
d’une organisation de personnalité névrotique (pas d’indices
d’érotisation des relations ou des objets, ni de rivalité
oedipienne, ni d’angoisse de castration), se rapprochent
toutefois davantage de ce type de personnalité et de
problématique que d’une organisation psychotique ou
« limite ». Toutefois, les aménagements défensifs utilisés
par Ronan, qui relèvent d’une importante inhibition avec des
aménagements défensifs coûteux (= travail psychique
intense), rigides (= peu variés) et fragiles (= d’une efficacité
inégale), pourraient se développer dans le sens d’angoisses
paranoïdes et de défenses par clivage (du moi ou de l’objet)
d’un tout autre ordre.
Si l’on revient aux hypothèses diagnostiques émises par
le psychiatre référent de la prise en charge médicale de
Ronan, il est certain que celui-présente un état dépressif,
que nous dirions plutôt critique que « réactionnel », sur le
fond d’une problématique complexe, dans un registre plus
probablement névrotique (conflictualisation oedipienne en
latence, non résolue), mais sur le fond aussi d’un surinvestissement (« fixation » dans le vocabulaire freudien) de
l’oralité sur un mode sadique-oral. Nous ne repérons pas de
signes clairs et francs d’un risque de décompensation
psychotique ou d’ « entrée dans la psychose ».
Diagnostic de la situation-problème actuelle
Comme à chaque fois que l’on choisit d’utiliser des tests
lors d’une investigation psychologique, il convient de
rechercher ce que les résultats de ceux-ci peuvent nous
apporter comme éclairage pour comprendre le problème
actuel du sujet, en l’occurrence ses deux tentatives de
suicide récentes et connues, ayant conduit à son hospitalisation en établissement psychiatrique.
Nous ne disposons malheureusement pas d’informations
sur les circonstances de ces deux T.S. Non pas que ces
circonstances suffiraient à elles seules à « expliquer » ces
actes : à des circonstances ou épreuves de vie identiques,
tous les individus ne réagissent pas de la même manière
mais selon la résonance subjective qu’elles prennent pour
chacun et en fonction de leur personnalité et de leurs
vulnérabilités psychiques propres. Ce qui nous aurait
intéressés de pouvoir éclaircir ici est non seulement à quoi
Ronan a répondu par ses deux T.S. (et par d’autres
symptômes éventuels que nous ne connaissons pas) – mais
surtout ce qui a pu produire en lui, et tel qu’il est, une
décompensation l’ayant conduit à de tels actes.
Par ailleurs, de quel type d’acte s’agit-il ? En effet, un
agir symptomatique peut avoir plusieurs « visées », ou
plutôt plusieurs fonctions, le plus souvent inconscientes
quant à ses motifs psychiques, au-delà des « mobiles »
conscients éventuellement allégués, par le sujet et/ou par
autrui (témoins, proches, soignants) à son propos.
Autrement dit, quel type de solution à ces épisodes de
décompensation, ces agirs traduisent-ils ?
On ne peut ici qu’émettre quelques conjectures et les
discuter de façon différentielle. (Voir document joint en
1
- Il ne s’agit pas ici d’un déni de toute conflictualité (ou
a-conflictualité) comme dans les fonctions « limites », mais
bien de conflictualité inhibée (refoulement), retenue, comme
en témoignent les nombreux indices d’agression agie et/ou
subie, et surtout les réponses aux pl. VI et X.
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 8
annexe sur les différents types d’agirs, selon la psychopathologie psychiatrique et psychanalytique.)
Pourrait-il s’agir d’un acting out (« acte-symptôme »
au sens de Braconnier) ? – Cette hypothèse n’est pas
invraisemblable, compte tenu de l’agressivité importante ici
en jeu et de la conflictualité latente refoulée. En ce cas, les
T.S. de Ronan serait peut-être un « appel à l’aide » comme
on le dit souvent de ce type de T.S., mais peut-être aussi
une manière indirecte d’attaquer autrui par le détour d’une
auto-agression (retournement sur le moi). Remarquons au
passage l’ambiguïté de l’expression « tentative de suicide »
qui peut renvoyer tantôt à un essai, plus ou moins risqué,
de « jouer » de- et par- sa propre disparition, parfois par
défi, d’autres fois pour s’accorder un répit plus ou moins
dépressif (« je voulais dormir », « je voulais me reposer ») ;
tantôt un suicide manqué, aux motifs très variés et dont
« l’échec » est toujours à interroger. Notons également le
caractère symbolique (au sens de « symbolisation ») du
mode opératoire (modus operandi) choisi par Ronan, qui
s’inscrit dans le registre érotique-oral (ingestion massive
d’hypnotiques, familièrement appelés « somnifères ») et
qui s’attaque à la tête (surinvestie par Ronan) et à la
fonction respiratoire (pendaison). Il y aurait là un « choix
du symptôme » (Freud) de type plutôt névrotique, en
cohérence avec l’hypothèse d’une mise en acte (actesymptôme névrotique).
Il n’est pas impossible cependant que les agirs
suicidaires de Ronan puissent relever d’un passage à l’acte.
Son impulsivité soudaine, qui contraste fortement avec sa
retenue ordinaire, et le fait que le langage ne puisse pas
tout à fait « résorber » une agressivité ou une violence
agie (réf. aux réponses parlées-agies aux pl. II et VI au
Rorschach) pourraient aller dans le sens de cette hypothèse. Toutefois, a contrario, Ronan montre au Rorschach
des capacités de représentation et de symbolisation plutôt
élaborées et assez bien contrôlées. On n’observe, à aucun
moment de ses réponses, même dans les passages les plus
critiques, de vacillements de sa perception et de son travail
interprétatif, ou de sortie du « cadre » de la situation-test.
Si impulsivité il y a bien chez Ronan, elle ne semble pas
liée à une tendance à se couper de l’autre (l’éjection « hors
scène » selon Lacan) ou à se décharger d’un « vide
intérieur » angoissant (Balier).
Si « passage à l’acte » il y a eu, ce pourrait être par
impossibilité actuelle de Ronan à affronter directement
l’autre, ou un certain autre (paternel ?) (refoulement intense
de toute conflictualité par surcharge d’agressivité) et pour lui
échapper dans une fuite radicale. Le mode opératoire des
T.S. de Ronan correspond mal, toutefois, à une telle
dynamique de raptus irréfléchi et immédiat. Cette seconde
hypothèse reste cependant ouverte, faute d’informations
suffisantes sur les circonstances des T.S. de Ronan.
Dans le cas de Ronan, on peut dire qu’il présente
actuellement une dangerosité (psychologique), d’abord pour
lui-même mais éventuellement aussi pour autrui, en raison
de la problématique d’agressivité que nous avons dégagée
de ses réponses au Rorschach. Cette même problématique
le limite, de plus, dans ses essais de socialisation, et plus
largement dans ses relations aux autres. Ronan est
cependant capable de rencontrer autrui, mais indirectement,
notamment par une médiation à la fois culturelle, agie et
sensorielle bien précise : la musique (la seule relation
humaine positive, constructive, évoquée dans son
Rorschach est le « tambour » entre les personnages de la
pl. III, en écho peut-être de la relation clinique actuelle avec
une jeune étudiante en psychologie, avec qui il trouve un
sujet de conversation, fortement investi et riche de sens
pour lui : la musique !).
Nous relevons par ailleurs que Ronan dispose de
bonnes capacités de symbolisation, de verbalisation et
surtout de réflexion (il est capable d’examiner spontanément, de commenter ses réponses au Rorschach et
d’essayer de les améliorer en retour). Ce sont là de bons
indicateurs pour un possible accès à une relation psychothérapeutique.
Il vaudra mieux cependant ne pas lui proposer, du moins
d’emblée, une relation thérapeutique imposant le seul faceà-face, actuellement trop « frontal », dangereux pour lui
(d’où sans doute son repli taciturne lors des entretiens
précédemment proposés par l’équipe soignante), ni un
dialogue peu « cadré », peu directif. Une modalité de
relation comme celle qu’a mise en place, intuitivement, la
jeune psychologue (thème de la musique, utilisation d’une
activité « médiatrice » concrète et support et cadre de
verbalisation) semble préférable, du moins dans un premier
temps – y compris dans les activités éventuelles à proposer
à Ronan lors de son hospitalisation (pas de groupe de
parole par exemple, mais plutôt une activité en petit groupe
autour d’un jeu individuel à plusieurs, aux règles précises,
telle une activité… musicale !).
Perspectives pronostiques
Par « pronostic » nous n’entendons évidemment pas
une prédiction du devenir de Ronan. Toute évaluation
diagnostique doit apporter des éléments de compréhension
de la personnalité et/ou du « fonctionnement psychique »
d’un sujet, et nous permettre ainsi de repérer ses
ressources comme ses vulnérabilités ainsi que les
contextes et circonstances qui peuvent favoriser l’essor de
ces ressources ou au contraire placer le sujet dans des
« impasses » l’exposant à ses vulnérabilités (décompensation, essais symptomatiques plus ou moins « réussis » de
recouvrer cet équilibre psychique perdu de façon épisodique, ponctuel, ou de façon chronique).
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 9
C.B. – mars-avril 2016
Annexe
Les différents types d’agirs
Point de vocabulaire :
a) En psychologie et en criminologie, on a pris l’habitude de parler de passage à l’acte
pour désigner toute conduite agie d’agression ou de violence, que celle-ci soit
altéro- ou extéro-orientée ou auto-orientée, et que ce soit envers une personne ou
une chose.
b) En psychanalyse, de nos jours, on emploie plutôt le terme générique agirs
pour désigner globalement toute conduite agie, quels qu’en soient l’objectif et la
dynamique.
Typologie des agirs :
1. Chez Sigmund Freud, le terme « acte » apparaît dans la notion d’acte manqué,
en allemand : Fehlleistung (Leistung : accomplissement, réalisation ; fehl : mal placé,
déplacé, pas de mise, manqué, raté) pour désigner l’accomplissement « mal venu » d’un
acte conscient perturbé ou remplacé par un autre acte, expressif d’une intention nonconsciente opposée et refoulée. L’acte manqué relève donc d’un « retour du refoulé ». En
ce sens, l’acte manqué est à l’agir ce que le lapsus est à la parole.
2. Freud emploie aussi le terme allemand Agieren, qui signifie : mettre en acte,
jouer (au sens dramatique, théâtral), pour désigner la mise en acte par laquelle le patient
en cure remplace par un acte ou une conduite agie le travail de remémoration (Freud
associe souvent, pour les opposer, Agieren ou « mise en acte » au verbe errinern : se
souvenir). « [Le patient], pour ainsi dire, met en acte devant nous au lieu de nous
informer. » (Freud, Abrégé de psychanalyse, 1938, trad. fr., PUF, 1975, p. 44).
Pour Freud, la notion de « mise en acte » relève donc d’abord de la théorie de la
cure psychanalytique (« technique psychanalytique »). La mise en acte correspondrait
ainsi à une actualisation transférentielle, qui obéit à la répétition et qui recourt à l’action
motrice au lieu de s’exposer à la remémoration. Plus tard, un autre auteur (Jacob Moreno,
l’inventeur du psychodrame) proposera de parler d’acting out pour désigner cette forme de
résistance au travail thérapeutique.
Par extension, on parle parfois de « mise en acte » ou d’ « acting out », ou encore
d’actes-symptômes (Alain Braconnier), pour désigner une conduite agie qui exprime
symboliquement mais inconsciemment, et à l’adresse d’un autre, un désir ou un conflit
refoulé. Le modèle d’une telle « mise en acte » est l’acte-symptôme névrotique.
3. Le terme passage à l’acte est plus ambigu. En psychiatrie, il désigne un acte le
plus souvent agressif et violent à caractère fréquemment impulsif et parfois délictueux
(Maurice Porot). En psychanalyse, Jacques Lacan reprend et interprète la définition
psychiatrique, en distinguant le passage à l’acte et l’acting out.
Selon lui, en effet, le passage à l’acte correspondrait à une faillite momentanée du
sujet dans une situation où celui-ci s’identifie totalement au désir d’un Autre, au regard
duquel il lui semble ne plus pouvoir exister. Entendu en ce sens, le passage à l’acte n’est
pas forcément agressif ou transgressif. Il peut aussi prendre la forme de la fugue ou du
suicide, par exemple. A la différence de l’acting out, nous dit Lacan, le passage à l’acte ne
s’adresse pas à un autre, mais correspond au contraire à une sortie du sujet « hors de la
scène du monde » (Lacan, 1963). Le prototype du passage à l’acte ainsi défini est celui du
raptus psychotique, c’est-à-dire une manifestation paroxystique caractérisée par une
Cas « Ronan » - réponses Rorschach / 10
irrépressible émergence émotionnelle (angoisse) et qui réalise sous une forme soudaine
une conduite agie, souvent destructrice et parfois transgressive.
4. Plus récemment, le psychiatre et psychanalyste Claude Balier (1997) a
également proposé la notion de recours à l’acte. Il s’agit alors d’une issue exclusivement
économique en réponse à une excitation générée par une terreur sans nom (de l’ordre de
l’irreprésentable). L’angoisse n’est pas perçue par le sujet, l’acte apparaît absurde et
inattendu. C’est un agir de toute-puissance, automatique, permettant d’échapper à une
menace d’effondrement réactivée par un stimulus. Balier distingue le recours à l’acte du
passage à l’acte, qui selon lui est un agir défensif contre l’angoisse liée à des représentations psychiques qui ne peuvent être contenues et génèrent une décharge motrice
immédiate ( « passage à l’acte » selon Lacan).
En résumé :
En psychiatrie, le passage à l’acte (ou raptus) est un comportement le plus
souvent agressif et violent, à caractère fréquemment impulsif et délictueux (Porot).
En criminologie, on utilise le terme de passage à l’acte dans une acception proche
de celle de la psychiatrie, mais de manière élargie : tout comportement d’agression ou de
violence, éventuellement judiciarisable comme infraction.
En psychanalyse (et en psychologie clinique d’inspiration psychanalytique), le
passage à l’acte est un type particulier de conduite agie. D’où l’utilisation du terme agir,
plus général, lui-même distingué et décliné en :

acte manqué (Freud) : acte conscient perturbé ou remplacé par un autre acte, non
contrôlé, expressif d’une intention inconsciente opposée (refoulée) ;

mise en acte (Freud) ou acting out, ou encore acte-symptôme (Braconnier) :
conduite agie qui exprime symboliquement mais inconsciemment, et à l’adresse
d’un autre, un désir ou un conflit refoulé ;

passage à l’acte (Lacan) : correspond à une faillite momentanée du sujet dans une
situation où celui-ci s’identifie totalement au désir d’un Autre, au regard duquel il
lui semble ne plus pouvoir exister (le sujet se laisse choir « hors de la scène
du monde » [Lacan] et de la relation), dans une sorte de « moment psychotique »
ou d’ « épisode forclusif » (J.D. Nasio) ;

recours à l’acte (Balier) : décharge d’énergie psychomotrice sans représentation,
en lien avec une excitation psychique interne irreprésentable.
Cas « Ronan » - analyse des réponses Rorschach / 11

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