Culture pluri médiatique et nouvelles formes de sociabilité
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Culture pluri médiatique et nouvelles formes de sociabilité
Culture pluri médiatique et nouvelles formes de sociabilité. GENERATION WHY Monique Dagnaud Monique Dagnaud est directrice de recherche au CNRS. Elle a été membre du Conseil supérieur de l’Audiovisuel de 1991 à 1999 puis a repris des travaux de recherche en approfondissant des questions sociales rencontrées lors de ce mandat. Un premier axe concerne la régulation des médias. Un second ace concerne la culture des adolescents dans l’univers des loisirs. 1) L’emprise de l’économie des médias sur les jeunes Autour des enfants et des adolescents s’est construit un espace public culturel, nourri par une profusion de nouveaux supports et de nouveaux contenus médiatiques, dont l’extension, s’articule avec les innovations technologiques. L’économie des médias, plus encore que dans d’autres secteurs industriels, est une économie de fuites en avant et de renouvellement de produits, sollicitant ardemment le consommateur : les opérateurs doivent investir dans des produits sans cesse plus sophistiqués, pour accompagner et stimuler les goûts et les pratiques. Cette économie cible avant tout autre public, celui des enfants et des adolescents. L’emprise des images et des machines à communiquer ne cesse de s’étendre sur les jeunes. Pourquoi cet investissement ? Ce flot des activités marchandes vise en premier les jeunes, car : - ils ont du temps libre, - ils disposent d’un certain pouvoir d’achat direct (argent de poche) ou comme prescripteur des biens de consommation familiale : en ce sens les industriels et les annonceurs ont tiré le parti de l’évolution du modèle familial vers un modèle contractuel (ou associatif), - les stratégies de marques qui s’organisent autour des contenus médiatiques ambitionnent de fidéliser ces consommateurs dans le futur, - les jeunes, beaucoup plus que les adultes, sont curieux des nouveaux produits, notamment des produits technologiques, et sont sensibles aux marques qui permettent de s’identifier à des groupes affinitaires, - les jeunes tendent à construire leur identité à partir de ce flot marchand : ils y puisent, par le biais des goûts musicaux ou des marques vestimentaires notamment, des signes de distinction à partir desquels se façonnent les regroupements entre pairs. 2) Le temps consacré à ces activités médiatiques → Une étude américaine affirme que les jeunes passent cinq mois de leur année dans la pratique des médias (prévision du Census Bureau publiés en décembre 2006 pour l’année 2007). → Le rapport 2009 de la Kaiser Family Foundation, qui analyse régulièrement le temps passé dans les médias par les enfants de 8-18 ans, fait état d’une durée moyenne de 7 heures trente huit minutes par jour –soit 10 h minutes au total, car dans ces 7 heures et demi il y a souvent consommation simultanée de plusieurs médias. Créteil – 9 décembre 2010 Ce temps consacré aux médias a augmenté d’une heure et dix sept minutes en 5 ans (de 6 h 21 en 2004 à 7 h 38 minutes en 2009). Cette augmentation concerne particulièrement chez les jeunes des minorités, donc des couches populaires. L’étude signale aussi que seulement un tiers des parents imposent des règles à leurs enfants dans la consommation des médias. → Cette frénésie médiatique de la jeunesse est sans doute moins marquée en France. Mais elle prend aussi le chemin d’une activité envahissante. En 2009, les enfants de 4-14 ans passent 2h 9 en moyenne devant la télévision (soit seulement une minute de moins qu’en 2008), et si les jeunes consomment beaucoup internet, c’est en moyenne un peu moins de deux heures par jours. Si l’on rajoute la console de jeux, l’ordinateur, le portable, le baladeur, la radio, on obtient des chiffres qui doivent d’une heure ou deux de moins qu’aux Etats-Unis. Mais l’addiction médiatique est bien présente. → Si l’on se tourne essentiellement vers internet, on s’aperçoit que les jeunes ont une consommation bien spécifique. Les 15-25 ans – et pas que les diplômés ! – se sont pris eux aussi d’un engouement pour le Web. Que font-ils de ce pluri-média? Au-delà des usages banalisés de la messagerie et de la recherche d’information, ils sont sans conteste les premiers participants des blogs, des sites personnels, des chats, des forums, des messageries instantanées, des partages de fichiers et des réseaux sociaux. Une grosse majorité d’entre eux (74 % des 15-20 ans) ont eu une activité d’autoproduction sur ordinateur (photos, écriture personnelle, production de vidéo, musique, création de blogs ou de sites personnels). Les jeunes figurent ainsi comme l’avant-garde du Web relationnel et du Web expressif. Par ailleurs, ils téléchargent de la musique et consomment en direct des programmes de télévision ou de radio : ils ont en fait importé sur le Net leurs consommations d’avant. Enfin, ils s’adonnent aux jeux vidéo : 56 % des 15-19 ans, 39 % des 20-24 ans les pratiquent tous les jours ou une ou plusieurs fois par semaine, une tendance qui est surtout masculine. → Par ailleurs, on s’aperçoit que d’avoir des enfants dans un foyer est prédictible d’avoir un abonnement haut débit sur le Net -80% des foyers avec enfants. Donc l’immersion dans la culture numérique transcende les clivages sociaux. 3) Les divers aspects de la web culture juvénile Autonomie, prise de distance à l’égard de la famille En réalité, contrairement à la télévision qui se regarde encore volontiers en famille, le Web fait l’objet d’une appropriation individuelle dans l’espace privé des jeunes, et d’ailleurs les parents, la plupart moins experts et intimidés par cette cyber socialisation ne cherchent pas trop à s’y immiscer1. Les adolescents livrent peu de détails à leurs parents sur leurs activités numériques, 1 Selon une étude effectuée en 2008 (1000 questionnaires + une enquête qualitative de 50 interviews) sur une population de 8-18 ans, il apparaît que pour 78 % d’entre eux Internet « fait partie des meubles », 60 % des jeunes disposent d’un lieu dans lequel ils peuvent surfer en toute tranquillité, une proportion qui augmente évidemment avec l’âge. « Comprendre le comportement des enfants et des adolescents sur internet pour les protéger des dangers ». Fréquences écoles, association d’éducation aux médias, financée par la Fondation pour l’Enfance. Créteil – 9 décembre 2010 et ne se confient que parcimonieusement lorsque quelque chose les trouble (confrontation avec de la pornographie ou lorsqu’ils sont victimes d’insultes ou de harcèlement), ainsi qu’en témoignent une étude européenne2). Symétriquement, souvent, les parents sont respectueux de la sphère d’autonomie de leur progéniture. Au final, cette culture de la chambre, curieusement, rassérène la famille –les enfants ne trainent pas dehors -, et simultanément elle inquiète : internet est le média dont les parents se méfient le plus, en raison des « mauvaises rencontres possibles », et des images violentes ou pornographiques auxquelles leur progéniture peut être exposée3. Jeu sur les identités et construction identitaire Quels sont les traits de la culture adolescente dans le web 2.0 ? La cyber communication diffère profondément de celle de la graphosphère. Les blogs et les réseaux s’éloignent de l’exploration intérieure que révèlent les journaux intimes, les jeunes y travaillent plus une projection de soi qu’une recherche d’explication de soi ; plus précisément, la réflexivité demeure mais l’internaute ne perd jamais à l’esprit que sa subjectivité va être publicisée 4, qu’elle doit être affinée sous un angle original. Cette communication est donc en partie calculée. Dominique Cardon 5 met l’accent sur la présentation de soi en clair–obscur (les identités flottantes) car l’adolescent s’adresse en principe à des amis, mais sait que des inconnus peuvent se glisser dans son public. Créer un fan club autour de soi, voilà l’affaire. La popularité se gagne grâce à la mise en ligne de son roman personnel - portraits, musiques et écrits, notification de ses contacts et de ses univers d’appartenance. Ce fan club vise à la constitution et à la consolidation d’un réseau social. Plus de transparence qu’on imagine Les études signalent que les jeunes des 18-24 ans y sont adeptes d’une certaine transparence. 85 % mettent en ligne leur nom de famille, 86 % déposent des photographies d’eux-mêmes, 65 % des photos de leurs proches, 79 % y dévoilent leurs passions ou leurs intérêts personnels, 51 % dévoilent leur orientation sexuelle, 42 % mettent leur CV –tous ces scores dégringolent après 25 ans, et se réduisent encore plus au fur et à mesure que l’on avance en âge. Parallèlement, ces données personnelles sont rendues visibles aux seuls amis pour 43 % des 18-24 ans –un chiffre qui peut paraître faible, mais qui est supérieur à celui des autres catégories d’âge, les digital natives maitrisant mieux les paramètres de confidentialité que les autres6. 2 Risk and safety on the internet, The perspective of European children, The London School of Ecnomics and Political Science, 2010. Lorsqu’ils sont confrontés à des matériaux pornographiques seulement 35 % des 9-16 ans en informent leurs parents, et 30 % informent leurs parents lorsqu’ils sont harcelés ou insultés. 3 Thèse de Sophie Jehel : Enfants, parents, médias et société du risque. Les classifications de contenu permettentelles une régulation des médias, Paris I, soutenance en décembre 2009. 4 Irwin Altman The environment and social behavior. Monterey, CA: Brooks/Cole, 1975 5 Réinventer la démocratie : internet, nouvel espace démocratique, débat de la République des idées à Grenoble, mai 2009. 6 Source : étude IFOP 2010 sur les réseaux sociaux. Créteil – 9 décembre 2010 Naissance d’une culture expressive à base d’images et de sons Les idées et émotions qui s’échangent ne passent pas que par le langage des mots et sont brassées dans une immense variété d’images et de sons : émerge ainsi depuis une dizaine d’années une culture expressive développée par les adolescents d’aujourd’hui 7, une démocratie sémantique dont la créativité enthousiasme les chercheurs 8. Dans cette ébullition, il est difficile de distinguer le pur amateur qui bricole des contenus visuels pour divertir son cercle d’amis, et dialoguer avec lui, de l’apprenti artiste qui tente une percée dans l’espace public, du geek qui, en relation avec la confrérie des technophiles, cherche l’exploit informatique. Plus que jamais avec le Net, les frontières sont poreuses entre loisir cultivé, pratique d’amateur, engagement semi professionnel (parallèle à une autre activité), et mobilisation d’un réseau en vue d’une carrière. Autrement dit pour, se faire repérer, se faire connaître et se faire aimer, et éventuellement se faire financer, les adolescents disposent aujourd’hui d’une vaste panoplie de langues dont ils sont l’inventeur et le véhicule de circulation. Le Web 2.0 insuffle alors un appel à la création qui s’imbrique à la socialisation juvénile, et qui est aussi un moyen pour des créateurs ou des eentrepreneurs de se faire connaître. A s’enthousiasmer sur la créativité des adolescents, on oublie cependant que ce jeu identitaire peut se révéler d’une sidérale pauvreté lorsqu’il s’agit seulement de crâner sans beaucoup d’inspiration ou de discernement devant ses copains et copines. Autrement dit, les «chats» sur le Net, comme dans les cours de récréation, atteignent souvent le degré zéro de la réflexion, pullulent d’onomatopées, d’interjections, d’exclamations et de phrases futiles. La sociabilité numérique : étendue, exubérante, légère Presque tous les jeunes aujourd’hui sont inscrits sur des sites sociaux : cette immersion commence un peu lors des primaires (20 % des enfants français auraient un compte Facebook), s’accentue avec l’arrivée au collège (48 %), et devient quasiment générale au moment du lycée (90 %) selon une étude effectuée en 2008 en France 9. Selon un sondage IFOP en 2010, 62 % des 18-24 ans déclarent être membres de 4 réseaux sociaux ou plus et 84 % sont membres de Windows Live, 77 % de Facebook (93 %et 85 % pour les étudiants). Cette donnée essentielle reconfigure les modes de relations entre les jeunes : elle relaie, prolonge, réorganise les contacts sans toutefois, évidemment, éradiquer ou même réduire le face-à-face avec les amis ou/les sorties entre jeunes. Prenons Facebook, le plus vaste des réseaux sociaux 10 : il revendique 19 millions d’inscrits français en 2110, et 500 millions à l’échelle de la planète. Ici l'amitié, valeur éternelle, fait entendre une sonorité magique. L'extension presqu'à l'infini de la zone des proches, inaugure l'amitié High-Tech : une amitié fort éloignée de celle, plus authentique et plus confiante, que l’on construit dans « la vie réelle ». 7 Laurence Allard, Express yourself 2.0, in Eric Maigret et Eric Macé, Penser les médiacultures, Armand Colin, 2005. Henry Jenkins, Fans, Bloggers, and Gamers: Media Consumers in a Digital Age, NYU Press, 2006 9 « Comprendre le comportement des enfants et des adolescents sur internet pour les protéger des dangers ». Fréquences écoles, association d’éducation aux médias, financée par la Fondation pour l’Enfance. 10 Monique Dagnaud, La culture Facebook contamine les adultes, Slate.fr, 6 novembre 2010 8 Créteil – 9 décembre 2010 De liens en liens on se connecte avec une galaxie d'individus: la moyenne sur Facebook, selon le sociologue maison du réseau, Cameron Marlow qui le relate dans son blog, serait de 120 amis. Le terme «amis» est usurpé, car la qualité de la relation va du fusionnel (on se dit et on se montre tout) à l'indifférence abyssale (la nuée des contacts passifs). D'après l'étude effectuée sur une observation d'un mois par Cameron Marlow, un membre de Facebook affichant 150 amis maintient le contact avec une vingtaine (il a au moins cliqué une fois sur leur page); il a eu un échange sans retour (one-way), par le biais d'un commentaire ou d'un message, avec une petite dizaine de personnes; et il a échangé réellement, par communication réciproque, avec 5-6 amis. Ces chiffres augmentent un peu avec la taille du réseau, si on a affiche 500 amis, on échange réellement sur le mois avec une dizaine de personnes. A première vue, ce qui est spectaculaire c'est le compteur d'amis, pas l'ébullition conversationnelle! On fait mieux avec un bon vieux téléphone. Donc, ces «amitiés» se chauffent d'une intensité variable. Certains «amis» sont des proches, d'autres de vagues ou d'anciennes connaissances, d'autres des personnes inconnues juste croisées que l'on ne reverra jamais, d’autres des amis d’amis à peine identifiés. L'activité sur les sites de type Facebook, au demeurant, démarre souvent de la vie amicale réelle, la prolonge, mais ensuite, de contact en contact, elle s'éloigne du noyau primaire en dérivant vers la nébuleuse des amis d'amis - avec lesquels on échange moyennement, peu ou pas du tout. D'ailleurs on communique «dans les nuages»: on envoie une information à plein d'intéressés potentiels et ils répondent si et quand ils veulent. Il y a fort à parier que les vraies conversations s'opèrent dans la sphère des intimes d'avant, ceux d'ailleurs auxquels on consacre du temps au téléphone. Par contre le partage de fichiers -créations personnelles, morceaux de musiques, films, jeux, photos, vidéos ou informations - pour lequel les sites communautaires sont bien adaptés, s'opère facilement avec des inconnus. On leur lance un petit salut qui porte peu à conséquence, mais le lien, très abstrait, qui relie à eux est nourri d’une certaine confiance, puisqu’il est fourni par le réseau d’amis. Au final, le friending de Facebook (le poke qui apostrophe en disant « veux-tu m’ajouter comme ami ? ») est une convention entre deux personnes, qui n’engage pas à grand chose, engendre « des coopérations faibles », et parfois rien du tout, alors que l’amitié, en face à face et souvent relayée par des conversations dans Facebook, repose sur la confiance et des échanges intimes. Toutefois, le participant au réseau social voit mécaniquement s’agrandir les contacts auxquels il a accès et il y a des chances pour que cette ouverture constitue aussi, dans une mesure, un bol d’air par rapport du « petit monde » qu’il fréquente habituellement : comme le souligne Antonio A. Casilli11 : « il y a incontestablement un élément d’exploration et de mise en contact entre gens d’horizons et de trajectoires de vie différents que les services en ligne ont tendance à encourager ». Cependant, il ne faut pas idéaliser la fonction de mixage du Réseau : on s’ouvre certes à d’autres, mais on a toutes les chances de naviguer dans le même univers socioculturel. Internet élargit les chances de participation à espace public à tous en baissant les barrières d’entrée dans l’arène, mais reproduit en son sein les clivages de la société. Plutôt qu’une conversation généralisée, on devrait plutôt évoquer, à son endroit, de millions de rhizomes conversationnels, qui se rejoignent, déci delà par des contacts presque accidentels, grâce à la navigation errante, agrément du voyage en contrée numérique. 11 Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques, Vers une nouvelle sociabilité ? , Le Seuil, 2010 Créteil – 9 décembre 2010 Apothéose du présent Autre originalité de ces échanges en ligne : ils entretiennent une apothéose du présent emblématique de la culture adolescente. « Demain c’est loin, l’avenir, c’est la minute d’après », chante le groupe de rap IAM. Bien plus que leur contenu intrinsèque, ces bavardages sur Facebook, où un écrit parsemé de clins d’œil typographiques se substitue à l’oral, tissent un lien ininterrompu entre amis12. La fréquence des connexions et leur durée dessine un espace commun, un sas où s’élaborent une sensibilité et une humeur générationnelle. L’efficacité de la technologie se porte alors au service d’un mouvement séculier : « nous construisons ensemble notre jeunesse ». L’amitié en ligne fait l’objet de critiques, comme si elle marquait la fin des liens profonds et quasi exclusifs de l’amitié véritable –la fin du bff, best friend for ever13, au profit de rapports superficiels, et souvent utilitaires : « nous avons confié nos cœurs à des machines, nous sommes en train de devenir des machines » écrit William Deresiewicz. Or, ce pessimisme semble une vue de l’esprit, si l’on regarde de près la vie des adolescents et des jeunes adultes. L’amitié est au plus haut dans les valeurs encensée par les jeunes. Ceux-ci savent bien distinguer les différents niveaux concentriques qui vont de l’attachement intime et durable au contact en pointillée avec les membres du réseau. De fait, c’est sur cet ensemble de liens à intensité graduée qu’ils comptent, plus que tout, pour fonctionner et avancer dans la vie, bien avant les formes d’institution collective ou même la famille –pourtant portée en écharpe. Les groupes de pairs, dont l’importance s’est accentuée avec l’individualisme, technologie ou pas, forment le pilier d’appui pour franchir cette longue période qui va de la fin de l’enfance au statut d’adulte autonome. 4) Risques du Web Une vaste étude européenne (25 pays européens) vient d’être réalisée sur ce thème pour les 9-16 ans (un peu sur le modèle des travaux de la Kaiser Family Foundation) 14. Les résultats sont difficiles à interpréter : s’ils n’incitent pas à enclencher une panique morale comme le font certains médias, ils montrent tout de même quelques risques liés à la navigation en mer numérique. → 12 % d’entre eux affirment avoir été confrontés à quelque chose qui les a gênés ou bouleversés au cours de leur navigation, et 5% disent avoir été insulté ou harcelé (bullied) –néanmoins, de manière générale, avoir été insulté ou harcelé n’est pas une expérience si rare, puisque 19 % des jeunes européens confessent avoir connu ce problème – avec 27 % de « harcelés », les jeunes français se situent dans la fourchette haute. Ces données signalent sans trop de surprise que règne une certaine violence dans les rapports des préadolescents ; et ce qui se passe dans l’univers numérique prolonge (et peut-être amplifie), les mœurs du monde physique. 12 Stéphane Hugon, Circumnavigations, L’imaginaire du voyage dans l’expérience Internet, CNRS Editions 2010. « Ami », vous avez dit « ami » ? William Deresiewicz, Books, n° 16, octobre 2010 14 Risk and safety on the internet, The perspective of European children, The London School of Ecnomics and Political Science, 2010 13 Créteil – 9 décembre 2010 → Le risque le plus grave est de rencontrer quelqu’un en face à face qu’on a connu par le Web : moins d’un enfant sur 10 fait cette expérience (1 sur 12 exactement). Mais seulement 1 sur 7 de ceux qui se sont rendus à cette rencontre disent que cette rencontre les a perturbées (soit 1% de l’ensemble des jeunes). → 22 % des 11-16 ans disent avoir été confrontés aux contenus suivants : la haine (12 %), l’anorexie (11 %), l’automutilation (self-harm, 8 %), la drogue (7 %) le suicide (5%°). → 14 % des 9-16 ans disent avoir été confrontés par le Net à des images à caractère nettement sexuel durant les 12 derniers mois, mais au total 23 % en avaient vu –la télé et la vidéo étant le moyen le plus fréquent. Ces images, sans surprise, choquent davantage les petits que les teen-agers. → les parents, le plus souvent, ne sont pas informés de ces rencontres « qui heurtent la sensibilité des jeunes » : Lorsqu’ils sont confrontés à des matériaux pornographiques seulement 35 % des 9-16 ans en informent leurs parents, et 30 % informent leurs parents lorsqu’ils sont harcelés ou insultés. Le fait de se confier aux parents est plus fréquent dans les pays nordiques que dans les pays latins. Conclusion Nous n’avons pas développé d’autres aspects : - l’imaginaire du Web (un monde parallèle dans lequel le réel est peu investi) - la culture du LOL - la culture du détournement de la récupération - la culture de la pulsion (exacerbée par les possibilités d’anonymat) Mais simplement en se concentrant sur certains aspects (la sociabilité particulière, les jeux identitaires), et en évoquant ces derniers, on peut dire que c’est un horizon mental et de sociabilité tout à fait nouveau qui se met en place. La technologie permet ainsi d’amplifier et de reconfigurer des tendances qui existent dans la société (individualisme, replie sur les pairs et l’amitié, défiance à l’égard de la politique et de la société en général, désenchantement). Mais ces reconfigurations sont suffisamment conséquentes pour que l’on puisse parler d’une ère culturelle nouvelle propre à la génération « la génération why », suite de la génération X (celle qui est se situe entre les baby boomers et la génération des digital natives). Des ouvrages de Monique DAGNAUD La teuf. Essai sur le désordre entre générations, Paris, Le Seuil, 2008. Enfants, consommation et publicité télévisée, La Documentation française, 2007 Adresses pour retrouver des interventions de Monique Dagnaud : http://www.telos-eu.com/ - http://www.slate.fr/source/monique-dagnaud Créteil – 9 décembre 2010