PDF

Transcription

PDF
LETTRE
MENSUELLE
N°178
IVG - IMG
juillet
août
2015
ENQUÊTE
GÉNÉTHIQUE VOUS INFORME
Suppression du délai de réflexion avant l’IVG :
64 femmes répondent à Gènéthique
L
e délai de réflexion avant une IVG est un des sujets du projet de
loi santé 1 . Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale,
cette disposition a suscité la polémique. A l’instar du quotidien
Le Monde qui avait demandé à ses lectrices de se positionner sur le
sujet, Gènéthique a sollicité des femmes qui ont accepté de partager leur expérience et ont donné leur témoignage en répondant à
un questionnaire en ligne 2. Alors que la commission des affaires du
Sénat vient de relancer le débat en supprimant cet article et que
les débats se poursuivront en septembre, Gènéthique restitue leur
parole.
« Je suis passée
de la peur au
courage d’assumer et de garder l’enfant. »
Elles sont 64 à avoir répondu. La moyenne d’âge de ces femmes est
de 26 ans. La plus âgée a 67 ans, la plus jeune 16 ans. L’une d’elle a dû
avorter à 14 ans. Si l’échantillon n’a pas de valeur représentative, cette
consultation donne cependant sa place, dans ce débat, à la parole de
femmes directement concernées par l’avortement et qui se disent
en majorité favorables au maintien du délai de réflexion obligatoire.
Gènéthique leur a demandé si elles souhaitaient effectivement la suppression du délai de réflexion, si ce délai avait pesé sur leur décision
et comment elles avaient traversé ces sept jours. Enfin, comment elles
considéraient l’avortement.
1. Des femmes qui ne souhaitent pas la suppression du délai de
réflexion
32 femmes estiment que ce délai est important et qu’il ne doit pas être
supprimé, que cette semaine a pesé sur leur décision.
Même si quasiment toutes ont traversé des « journées remplies de
doutes », si ce délai, « très perturbant », a été un moment éprouvant :
« J’ai été torturée. Changé des millions de fois d’avis » ou « j’étais perdue », « je n’arrêtais pas de penser à ce que j’allais faire et ça me faisait tellement mal », elles estiment cependant que cette étape a été
importante, voire nécessaire : un temps qui a été « très utile pour moi »
précise l’une d’elle.
Un délai jugé souvent trop court
Et plusieurs expliquent qu’il est même trop court. L’une d’elle raconte :
« J’y ai été forcée par ma famille et je pense que si le délai avait été plus
long j’aurais pu réussir à m’organiser pour garder cet enfant, ou du
moins réussir à me battre contre ma famille ». Une autre précise : « C’est
trop court et avec la pression des familles et du compagnon, il faudrait
qu’on nous écoute plus car c’est nous qui en souffrons après », tandis
qu’une troisième, qui n’a pas bénéficié du délai de réflexion, conclut :
« Car à l’heure d’aujourd’hui, je serai sûrement maman ».
Elles veulent éviter « la banalisation de l’acte » qui reste grave
« malgré tout ce que l’on peut essayer de nous faire croire », « une IVG
reste un moment douloureux dans la vie d’une femme », et prendre le
temps de « peser le pour et le contre », « pour être sûre », « pour ne pas
regretter », parce que « les décisions importantes ne doivent pas être
impulsives ».
La souffrance vécue après l’IVG justifie ce délai de réflexion
Elles légitiment l’opportunité de ce délai en évoquant souvent
leur souffrance après l’avortement : « Il s’agit aujourd’hui d’apprendre à vivre avec », « c’est un acte qui marque », « un choix que l’on
regrettera sûrement toute sa vie ». L’une d’elle explique : « Cela fait trois
ans que j’ai avorté et j’en souffre encore ». Et elles regrettent « qu’il n’y a
pas de suivi après l’avortement, on n’est pas accompagnée », ou encore
« ce délai est trop court et on nous laisse seule face à ce choix, sans réellement nous préparer aux conséquences d’un avortement ».
Elles racontent combien l’avortement vécu les a meurtries : « Je suis
allée au bout du processus d’avortement... Je l’ai regretté aussitôt... Ça
fait deux ans... Je ne m’en suis toujours pas remise, je pleure mon enfant
que j’ai tué... Je donnerai tout pour revenir en arrière et le garder... »
« J’ai avorté (…), mais j’ai encore du mal à dormir et pourtant cela fait
3 ans et demi ».
SUPPRESSION DU DELAI DE REFLEXION,
L’ENQUETE GENETHIQUE EN QUELQUES
CHIFFRES
64 femmes ont répondu spontanément à un questionnaire
mis en ligne sur le site Gènéthique.org, disponible du 6
au 31 mai 2015, et diffusé essentiellement via les réseaux
sociaux
Q1. Êtes-vous favorable à la suppression de ce délai de
réflexion de 7 jours entre les 2 rendez-vous médicaux ?
Non : 31
Oui : 22
Ne sait pas : 11
Q2. Cette semaine de réflexion a-t-elle pesé dans votre
décision ?
Non : 31
Oui : 32
Ne se prononce pas : 1
Q3. Quand vous avez appris que vous étiez enceinte,
l’avortement vous est apparu comme : (Plusieurs réponses
possibles)
· Une évidence, cette grossesse n’était ni prévue,
ni désirée : 12
· Une réponse douloureuse à une situation sans
issue : 33
· La réponse qui m’était imposée : 19
· Une alternative possible : 5
◗ 1. Article 17 bis (nouveau) : L’article L. 2212-5 du code de la santé publique avait été ainsi modifié en
première lecture par l’Assembée Nationale : 1° Après le mot : « écrite », la fin de la première phrase
est supprimée. Ainsi l’article devient : « Si la femme renouvelle, après les consultations prévues aux
articles L. 2212-3 et L. 2212-4, sa demande d’interruption de grossesse, le médecin doit lui demander
une confirmation écrite », la seconde partie : « Il ne peut accepter cette confirmation qu’après l’expiration d’un délai d’une semaine suivant la première demande de la femme, sauf dans le cas où le terme
des douze semaines risquerait d’être dépassé » est supprimée.
◗ 2. L’enquête menée via les réseaux sociaux, notamment par Facebook, a été réalisée 6 au 31 mai
2015.
→
→
ENQUÊTE
Au-delà des conséquences psychologiques, toutes les conséquences
de l’acte sont-elles toujours évoquées et prises en compte ? Une
femme raconte : « Je n’ai eu que 2 jours de réflexion. En septembre 2008,
j’ai arrêté la pilule. Je n’arrive plus à tomber enceinte ».
En quête d’une alternative à l’avortement
L’une d’elle raconte : « Lorsque j’attendais dans la salle d’attente de ma
gynécologue, une jeune femme dans la même situation que moi a craqué. Je n’oublierai jamais sa détresse et les questions qu’elle se posait
(…). J’espère qu’elle a eu ce délai de 7 jours et qu’elle a trouvé une main
tendue. Elle voulait garder son enfant et était contrainte d’y renoncer... »
Cette main tendue est évoquée par d’autres… qui regrettent de ne pas
avoir trouvé de solution pour garder leur bébé : « J’aurais préféré que
l’on m’aide à assumer ma grossesse ». « J’ai cherché et tenté de trouver
une solution pour ne pas avoir à faire ça ... mais en vain ! »
Plusieurs évoquent « un sentiment de solitude puisqu’impossible
d’en parler à qui que ce soit », « j’attendais juste le moment fatidique,
je n’avais personne avec qui en parler... », même en couple : « On se
sentait extrêmement seuls ». Ce que la loi Veil se proposait justement
d’éviter ?
Un délai qui a permis à certaines de garder leur bébé
A fortiori, l’une d’elle explique que ce délai lui a permis « d’éviter
de faire la plus grosse erreur de ma vie », tandis qu’une autre ajoute :
« Sans cette réflexion à l’heure d’aujourd’hui je n’aurais pas mon bébé,
c’est une longue semaine certes mais pour les femmes qui doutent, elle
est importante ! ». Quelques-unes précisent : « Je suis passée de la peur
au courage d’assumer et de garder l’enfant ». « Certains membres de
ma famille me mettaient la pression. Grâce à ces 7 jours, j’ai trouvé la
force de les affronter et de refuser d’avorter. » « J’ai changé d’avis. Après
le choc de la nouvelle, cette période m’a permis de revoir la situation
et de comprendre qu’il est possible de garder cet enfant. » L’une d’elle
semble très démunie par le temps nécessaire pour s’approprier une
grossesse : « Car il faut un temps de réflexion pour choisir cette vie qui
grandit en nous jour après jour ».
2. L’avis de celles qui s’interrogent ou veulent la suppression de
ce délai
Copyright : istock
« J’ai été
contrainte de
subir une IVG
médicamenteuse. On m’a
imposé de ne
pas le garder »
La culpabilité évoquée par celles qui demandent la suppression
du délai de réflexion
Celles qui demandent la suppression du délai de réflexion (22
d’entre elles) ne veulent pas faire face à la culpabilité qu’elles
ressentent en allant jusqu’à l’avortement : « On se sent déjà assez
coupable de faire ça », « et nous culpabilisons encore plus », et elles
estiment que « ce délai est infantilisant », « une pression supplémentaire », « une obligation irritante » qui « n’a rien changé dans mes choix,
du moment où j’ai fait les démarches, c’est que mon choix était sûr ».
L’une d’elle écrit : « Ces sept jours nous font mourir intérieurement »,
elle ajoute : « J’ai repris le court de ma vie une fois l’IVG faite. (…) Je vis
chaque jour avec ce que j’ai fait. Mais j’assume ». Tandis qu’une autre
raconte : « Ça ne fait qu’empirer la situation, car pendant cette semaine
de réflexion, on a un petit cœur qui grandit en nous, et plus on attend,
plus il grandit, et plus ça nous fais du mal de le faire partir ». A 19 ans,
cette jeune femme choisit de garder son bébé.
Certaines femmes « ne se savent pas »
Celles qui hésitent, elles sont au nombre de 11, estiment que ce
délai « provoque beaucoup d’incertitudes, mais permet aussi de ne
pas prendre une décision trop rapide pour ensuite la regretter ». « Car
ça dépend de chaque individu, chacun à sa situation, ou même l’âge,
la mentalité,... ». Une femme s’interroge : « Si l’on prend rendez-vous,
c’est qu’on ne veut pas de ce bébé, pourquoi en 7 jours tout pourrait
changer ? »
Mais d’autres encore n’ont pas pu bénéficier de ce délai, le regrettent
Si certaines estiment que ce délai est inutile, plusieurs femmes,
qui n’ont pas pu en bénéficier expriment leurs regrets : « J’ai eu
un rendez-vous pour une ordonnance de prise de sang pour le groupe
sanguin et le lendemain, on m’a donné le traitement. Je regrette
énormément. J’aurais aimé avoir du temps car c’est très dur. J’aurais
pu réfléchir et dire non à ceux qui m’y ont amenée ». Enfin une autre
avoue : « Avec le recul, je pense que si j’avais eu le délai légal, je ne l’aurais pas fait ».
Si l’article 17bis du Projet loi santé est adopté, toutes les femmes
se trouveront alors dans cette situation.
3/ Décider une IVG : une décision difficile souvent contrainte
La plupart des femmes qui ont répondu au questionnaire disent
qu’elles ont avorté : « J’ai choisi de ne pas garder l’enfant qui
m’avait pourtant donné tant de joie lorsque j’ai appris sa présence en
moi... ». Une décision souvent contrainte : 33 d’entre elles expliquent
que l’avortement a été « une réponse douloureuse à une situation
sans issue ». Et elles sont 19 à exprimer que cette solution n’était
pas la leur, mais « la réponse qui m’était imposée ». Elles racontent :
« Sous pression j’ai avorté ». « C’est ma mère qui a décidé l’avortement »,
« j’ai décidé, à bout de lutte contre le père de l’embryon et ma mère,
d’accepter l’Ivg médicamenteuse ». « J’ai été contrainte de subir une IVG
médicamenteuse. On m’a imposé de ne pas le garder ». La plus jeune
qui a 16 ans se rappelle : « J’ai décidé d’avorter à cause de mes proches
car ils me rabaissaient tous en me disant : ‘T’as que 14 ans, tu vas niquer
ta vie, t’es encore a l’école et tout’. Mais pour moi dans ma tête, je m’en
foutais, j’étais prête à le garder et à assumer ».
Parfois, les facteurs aggravants se mélangent : « J’ai finalement avorté
sous la pression de ma famille et de celle de mon copain lui-même. J’ai
beaucoup regretté et je regrette encore mais je n’avais pas vraiment le
choix car j’aurais été à la rue et je n’avais pas de moyens financiers ».
Toutes celles qui ont choisi de garder leur bébé partagent une même
joie : « Je suis heureuse de ne pas avoir avorté » ou « je ne le regrette pas
du tout ». A 18 ans, cette jeune femme raconte : « J’ai finalement gardé
mon bébé, et je suis aujourd’hui à 22 Sa3 et très heureuse ainsi que ma
famille. Tout le monde m’avait rejeté, ils sont ensuite revenus sur leur
décision, surtout ma mère qui a subit aussi un avortement et qui l’a très
mal vécu ».
Au terme de cette enquête, il apparaît que les femmes sont loin de
demander prioritairement des facilités d’accès à l’avortement, en
supprimant par exemple le délai de réflexion entre les deux rendezvous. Bon nombre d’entre elles regrettent d’avoir été au bout de la
démarche, elles regrettent d’avoir avorté. Elles reposent la seule vraie
question qui soit quand une grossesse non désirée s’annonce : comment aider, accompagner ces femmes pour qu’elles puissent accueillir l’enfant qu’elles portent ? 40 ans après le vote de la loi Veil, cette
question essentielle, qui était et qui demeure une obligation légale
introduite dans la loi, est restée lettre morte et n’a fait l’objet d’aucune
proposition politique. ■
◗ 3. Semaines d’aménorrhée. L’aménorrhée correspond à l’absence des règles.
Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
[email protected] - www.genethique.org
D irecteur de la publication : Jean-Marie Le Méné - R édacteur en chef : Marie-Anne Chéron
I mprimerie : PRD - N° ISSN 1627.498
IVG - IMG

Documents pareils