Simulation numérique du transfert thermique à
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Simulation numérique du transfert thermique à
Simulation numérique du transfert thermique à travers des matériaux minéraux K. S. Nguyen — C. Baux — Y. Mélinge — C. Lanos LGCGM – INSA & IUT de Rennes – 3, rue du Clos Courtel – 35704 Rennes cedex 7 [email protected] RÉSUMÉ. La simulation numérique du transfert thermique en condition d’incendie dans des matériaux minéraux hydratés présentant des changements de phases (gypse, ciment…) est présentée dans ce papier. Les analyses thermiques de type ATD/TG, permettent d’identifier les paramètres de dégradation thermique des matériaux. Le cas de changements de phases complexes est abordé. Le modèle de transfert thermique est construit en introduisant la cinétique de conversion chimique du matériau étudié dans l’équation de conservation de la chaleur. Le code de calcul proposé repose sur un schéma implicite et exploite la méthode des différences finies. ABSTRACT. The simulation of high temperature transfer in hydrated phase change minerals (such as gypsum, cement…) is presented in this paper. Thermal analyses such as DTA/TG allow us to determine the degradation kinetics of hydrated minerals. Thermal transfer of complex material with phase changes is modelled. The model of conversion kinetic of materials is introduced in the fundamental heat equation. The development of numerical code is then based on an implicit scheme using the finite difference method. MOTS-CLÉS : Transfert thermique, simulation numérique, cinétique, changement de phase. KEYWORDS: Thermal transfer, numerical modelling, kinetic, phase change. 1. Introduction Un incendie naturel dans un bâtiment est caractérisé par une courbe d’évolution de température décomposable en trois phases sur la figure 1 (1ère phase de développement, 2ème phase de combustion et la dernière phase de décroissance). Afin d’examiner le comportement au feu des éléments constitutifs du bâtiment, des essais sont réalisés en laboratoire. Des fours reproduisent une évolution de la température représentative d’un incendie réel. Selon la virulence de l’incendie à simuler, les normes proposent différentes courbes modèles de température nommées actions thermiques normalisés (fig. 1 droite) : ISO 834, HC, HCM, RWS… 25e rencontres de l’AUGC, 23-25 mai 2007, Bordeaux 25e rencontres de l’AUGC, 23-25 mai 2007, Bordeaux 2 Température embrasement Réaction au feu Résistance au feu Mise à feu inflammabilité exothermicité fumée Stabilité Confinement - intégrité - isolation Courbe normalisée Temps développement Feu développé décroissance Figure 1. à gauche : Evolution de la température d’un incendie- modélisation par des courbes modèles, à droite : Quelques courbes normalisées utilisées dans les essais feu et les simulations numériques. La protection passive reposant sur l’utilisation de matériaux isolants pour cantonner feu dans un compartiment et protéger les structures porteuses constitue une des stratégies de protection incendie possible. Globalement, les matériaux isolant minéraux utilisés à cette fin permettent de distinguer deux catégories : les matériaux à faible conductivité et les matériaux à forte chaleur latente [1]. Figure 2. Courbes de température enregistrées dans essai au four consigne température ISO 834 (à gauche : 30mm de produit minéral commercial Promatect, à droite : 30mm de produit minéral TL-P développé dans le projet FIREMAT[1]) Le comportement de chaque catégorie peut être identifié lors d’essais au feu réalisés sur des fours de laboratoire [2]. Le four suit une consigne de température normalisée. Le matériau à tester constitue une des parois du four et l’évolution de la température dans cette paroi est enregistrée durant l’essai. Les matériaux à faible conductivité (figure 2 gauche) sont caractérisés par une évolution de température simplement conditionnée par la diffusion de chaleur. Les matériaux à changement de phase (figure 2 droite) font apparaître un palier isotherme, au voisinage de 100°C pour le matériau testé, qui retarde la montée de température en face froide. Lorsque Simulation numérique du transfert thermique 3 les réactions chimiques sont épuisées, l’évolution des températures redevient caractéristique d’un problème de simple diffusion. Un tel comportement est particulièrement intéressant vis-à-vis de la protection incendie [3], le délai nécessaire à l’intervention des secours et à l’évacuation des victimes étant couplé à une élévation contenue des températures. Nous présentons dans la suite du texte la méthode développée pour simuler le comportement de tels matériaux. Une des approches traditionnelles pour modéliser les effets de changement de phase est le modèle de Cp équivalent. L’effet de chaleur latente liée au changement de phase est retraduit par une simple évolution de la chaleur spécifique Cp en fonction de la température [4 – 6]. Notre approche tient compte de la cinétique de dégradation thermique des matériaux testés [7]. Le modèle reposant sur les résultats d’analyses thermiques différentielles et thermogravimétriques (ATD/TG) permet de produire des simulations numériques qui sont comparées aux résultats d’essais. 2. Données expérimentales et évaluation des paramètres du modèle 2.1. Propriétés thermo-physiques de matériaux à changement de phase 2.1.1. Conductivité thermique λ(T) La conductivité thermique des matériaux à changement de phase est très influencée par la température. Dans le cas du gypse, souvent utilisé en protection incendie, ce paramètre évolue fortement dans une gamme de température de 100 à 150°C [8]. Cette caractéristique est estimée à l’aide d’un CTmètre (technique du fil chaud associée à un choc thermique [8]). La figure 3 permet de présenter l’évolution de la conductivité d’un produit formulé à base de gypse [1] et différentes données bibliographiques relatives au gypse. 0.50 Conductivity (W/mK) 0.45 0.40 0.35 0.30 0.25 0.20 0.15 0.10 0.05 0.00 0 200 400 600 800 1000 Temperature (°C) Figure 3. Courbe de conductivité thermique du gypse (à gauche : produit formulé, à droite : valeurs de références) [9]. 25e rencontres de l’AUGC, 23-25 mai 2007, Bordeaux 4 2.1.2. Chaleur latente ∆H et chaleur spécifique Cp(T) La variation enthalpie avant et après changement de phase donne la valeur de chaleur latente de conversion chimique. Dans notre modèle, nous intégrons cette valeur (par ex. le gypse |∆H| = 586 Jg-1 mesuré à 124°C) dans terme source de l’équation de la chaleur. La chaleur spécifique utilisée dans notre modèle est quasiment constante avec l’évolution de température (par exemple dans l’intervalle température de 194°C à 246°C pour le gypse : Cp=700 J.kg-1.K-1). Pour une modélisation reposant sur le Cp équivalent, la chaleur spécifique présente de fortes fluctuations (figures 4) sensées reproduire les effets de changement de phase. Figure 4. Variation enthalpie (à gauche) et chaleur spécifique (à droite) du gypse en fonction de température [9] avec indication de la température de changement de phase. 2.1.3. Mass volumique ρ(T) L’analyse TG permet de tracer la courbe de perte de masse en fonction de la température. Les pertes de masse sont généralement associées aux réactions de changement de phase (déshydratation, dégazages…). Les données caractéristiques pour un gypse sont indiquées sur la figure 5. 1 0.95 Relative densite 0.9 0.85 0.8 0.75 0.7 30 130 230 Température (°C) 330 430 Figure 5. Perte de masse du gypse (à gauche : produit formulé caractérisé par les deux stades de la déshydratation du gypse, à droite : recensement des résultats des autres auteurs [9]). Simulation numérique du transfert thermique 5 2.2. Paramètres cinétiques de conversion chimique Le modèle retenu pour le transfert de chaleur repose sur l’équation de la chaleur (1) dans laquelle apparaît un terme source caractéristique des effets thermiques associés aux transitions de phases minérales du matériau. ∂ ∂T ∂T λ . − φg = ρ .Cp. ∂z ∂z ∂t (1) L’effet du terme source dans équation de chaleur peut correspondre à une réaction endothermique φg>0 ou φg<0 pour une réaction exothermique. φg = − ρ .∆H . ∂α ∂t (2) où ∆H est la variation d’enthalpie et dα/dt correspond à la cinétique de la réaction chimique. α est le paramètre d’avancement de la réaction chimique (α = 0 en début de réaction et α =1 en fin). Nous considérons classiquement que cette cinétique est le produit séparé d’une partie évoluant avec la conversion chimique f(α) et d’une autre partie évoluant avec température k(T) selon la loi empirique d’Arrhenius ∂α Ea = f (α ).k . exp − ∂t R.T (3) où Ea est énergie d’activation de la réaction et R = 8.314 J.mol-1.K-1 constante de Boltzmann, k est la constante de vitesse de la réaction. La fonction f(α) fait également intervenir l’ordre de la réaction chimique, la micro structure du matériau… Ces trois paramètres constituent un triplet de paramètre cinétique de conversion. La forme de f(α) peut être identifiée en utilisant les résultats des analyses TG [10]. Dans le cas du gypse, les figures 6 et 7 présentent l’évolution de α en fonction de dα/dt lors les tests isothermes. La forme des courbes retraduit les deux réactions chimiques consécutives de déshydratation du gypse (en hémihydrate puis en anhydrite). Ces réactions sont caractérisées par des courbes en “cloche”. Il s’agit d’un type d’équation f(α) nommé modèle d’autocatalyse de Sestak-Berggren [11] dont les paramètres m et n sont tels que : f (α ) = α m .(1 − α ) n [4] 2.2.1. Modèle à réaction chimique unique En simplifiant le problème de conversion chimique, [7] a proposé d’utiliser une loi symétrique en α et (1-α) de type f(α) = αn(1-α)n avec n=0,4 dans le cas de gypse; k = 2,92E+09 s-1; Ea = 94,44 kJ.mol-1. La figure 6 valide le modèle au regard des résultats obtenus lors d’analyses isothermes à 100°C; 112,5°C; 113,4°C et lors d’analyses réalisées à vitesse d’évolution de température de 2,5°C.min-1; 5°C.min-1 et 10°C.min-1. 25e rencontres de l’AUGC, 23-25 mai 2007, Bordeaux 6 α 1.2 1 100 °C 0.8 112,6 °C 113,4 °C 0.6 modèle modèle modèle 0.4 0.2 dα/dt (1/s) 0 0 0.0002 0.0004 0.0006 0.0008 0.001 0.0012 0.0014 Figure 6. Validation du modèle proposé par [7] avec courbes d’essais (par définition α évolue de 0 à 1). 2.2.2. Modèle de réactions chimiques couplées En illustration de tels problèmes, nous examinons les réactions couplées de déshydratation du gypse. CaSO4.2H2O → CaSO4.0,5H2O + 1,5 H2O (de gypse à hémihydrate) CaSO4.0,5H2O → CaSO4 + 0,5 H2O (de hémihydrate à anhydrite) Ces deux réactions se produisent dans l’intervalle température 80°C à 150°C. Ces deux réactions sont couplées. Sur les figures 6 et 7, on illustre ce couplage par le raccordement des deux parties en “cloche” des courbes. En considérant ce phénomène comme la somme des deux cinétiques des réactions couplées dα/dt = (dα/dt)1 + (dα/dt)2, nous proposons le modèle cinétique suivant : f1(α) = α0,505(1α)0,97; k1 = 2,6296E+08 s-1; Ea1 = 82 kJ.mol-1 avec 0<α<0,8 puis f1(α) linéaire pour 0,8<α<1 et et f2(α) = α0,53(1-α)0,835; k2 = 1,8667E+04 s-1; Ea2 = 56 kJ.mol-1 avec 0,7<α<1 et f2(α) linéaire pour 0<α<0,7 . La comparaison des résultats obtenus lors d’analyses isothermes à 105°C, 115°C, 117°C avec les résultats du modèle est présentée sur la figure 7. α 1.2 1 0.8 modele modele 0.6 modele 117°C 115°C 105°C 0.4 0.2 dα/dt (1/s) 0 0 0.0001 0.0002 0.0003 0.0004 0.0005 0.0006 0.0007 0.0008 0.0009 0.001 Figure 7. Ajustement du modèle de réactions chimiques couplées avec les courbes d’essais (par définition α évolue de 0 à 1). Simulation numérique du transfert thermique 7 3. Simulation numérique La numérisation du modèle exploite la méthode des différentes finies avec un schéma de calcul implicite. La discrétisation correspond à un maillage monodimensionnel de l’espace (∆z) et de temps (∆t). L’incrément de temps est modulé de façon à assurer la stabilité du problème numérique en tenant compte de la contribution du terme source dans les équations. Le code de calcul a été validé antérieurement (matériau conductif simple, modèle à réaction unique [7] ajusté au cas du gypse). La restructuration du code permet maintenant de simuler des réactions chimiques successives, éventuellement en interaction (jusqu’à 3 réactions). Quelques exemples de résultats sont donnés sur la figure 8. 1200 T(°C) 1200 1000 T(°C) 1000 800 800 Furnace temperature Furnace temperature Temperature of hot side 600 600 Temperature of hot side Temperature of cold side Temperature of cold side 400 400 200 200 0 the first and second isothermal plateau 0 0 20 40 60 80 100 t(min) 120 0 T(°C) 1200 1200 1000 1000 800 20 40 60 80 100 t(min) 120 T(°C) 800 Furnace temperature Furnace temperature Temperature of hot side 600 600 Temperature of hot side Temperature of cold side 400 Temperature of cold side two isothermal plateaus in one and the third one 400 two isothermal plateaus in one 200 200 0 0 0 20 40 60 80 100 t(min) 120 0 20 40 60 80 100 t(min) 120 Figure 8. Courbes de température obtenues sous sollicitation ISO 834 à travers 30mm de matériaux à changement de phase (de gauche à droite; de haute en bas: cas de matériau avec 1 réaction, 2 réactions découplées, 2 réactions couplées et 3 réactions chimique de changement de phase). 4. Conclusion : Le modèle proposé permet de bien modéliser la cinétique de dégradation chimique d’un matériau sous l’effet des hautes températures. Ce modèle permet de tenir compte d’effets de couplages de réactions chimiques sans rendre trop complexe le traitement mathématique du problème de transfert de chaleur. L’identification des paramètres du modèle repose sur une simple interprétation des résultats d’analyses TD/TG. Le modèle est particulièrement adapté aux cas de matériaux formulés avec des minéraux hydratés. Sa validation complète passe par la confrontation des résultats de simulations avec les résultats de tests en laboratoire. Ces travaux sont actuellement initiés. 8 25e rencontres de l’AUGC, 23-25 mai 2007, Bordeaux Remerciements Les auteurs tiennent à remercier l’Equipe Matériaux Inorganiques: Chimie Douce et Réactivité de l’UMR 6226 pour leur contribution dans le cadre des analyses TD-TG. Bibliographie [1] Baux C., Daiguebonne C., Féjean J., Gérault Y., Guillou O., Jauberthie R., Lanos C., Mélinge Y., Tessier C., « Development of New Materials with Improved Fire Resistance ». 9th European Meeting on Fire Retardancy and Protection of Materials, Lille, France, 2003. [2] Féjean J., « Développement des liants composites minéraux : application à la protection incendie », Thèse de doctorant, INSA de Rennes, 2003. [3] Mehaffey J.R., Cuerrier P., Carisse G., Fire Materials, vol. 18, pp.297-305, 1994. [4] Axenenko O., Thorpe G., « The modelling of dehydration and stress analysis of gypsum plasterboards exposed to fire », Comp. Mat. Science, vol. 6, pp. 281-294, 1996. [5] Takeda H., Mehaffey J. 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[11] Brown M.E. and the ICTAC committee, « Computationals aspect of kinetic analysis – Part A The ICTAC kinetic projects », Thermo. Acta (355-2000), Elsevier, pp.125-143.