Sacrifice semestriel Tous les semestres, c`est la même histoire. Je

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Sacrifice semestriel Tous les semestres, c`est la même histoire. Je
Sacrifice semestriel
Tous les semestres, c'est la même histoire. Je suis incapable d'empêcher mon
esprit de vagabonder pour le mettre face à l'énorme charge de travail qui
l'attend lors des révisions.
Il faut vraiment que je cesse de badiner avec le savoir. Alors cette fois, pensée,
chère amie, j'ai décidé que je vous traînerai - de force s’il le faut- là où vous
avez de tous temps été le mieux muselée et canalisée : dans une bibliothèque !
Je la sens saisie d'inquiétude : elle va certainement se débattre pour me
détourner de ma résolution qu’elle sait instable et fragile. Hâtivement je me
rue vers la Place de la République, en tâchant d’affecter un air ferme et décidé
pour impressionner ma propre oisiveté.
Qu’importent les distractions, je serai inflexible ! Froid et intransigeant, oui, à
l’opposé de ce vent doux et frais qui me caresse délicieusement le visage. Ce
matin, le soleil se hisse tant bien que mal vers le zénith, et oublie dans son
effort surhumain de projeter ses rayons dans l’ombre que dessinent
malicieusement les arbres. Quelle belle journée ! Tiens, c’est amusant, j’ai cette
vague impression d'être sorti dans un but précis, mais lequel... ? Diantre !
Indubitablement, ma légèreté a une fois de plus pris l’ascendant sur ma soif -
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pourtant insatiable - de connaissances. Vite, à la bibliothèque, mon unique
chance de salut !
J'arrive, tant bien que mal, face à la bibliothèque ; classique, épurée, pierreuse.
C’est tout bonnement effarant que l’ascétisme des vies dédiées aux sciences et
au savoir transparaisse dans les lieux de transmission de ces derniers. M’est
avis qu’il faudrait essayer de maquiller l’austérité des études si l’on veut voir
plus de gens s’y investir. J’ai moi-même mené une enquête d’un sérieux
remarquable que je pense faire parvenir au Ministère compétent tant les
résultats en sont intéressants et instructifs. Par exemple, j’ai découvert que
pour éradiquer l'absentéisme estudiantin et égayer les amphithéâtres - tout en
respectant leur architecture, je ne suis pas anarchiste et je conçois qu’il faille
préserver l’Ordre immuable de l’Université - il suffirait d’y installer des
toboggans et des petites pistes de ski munies de stations de tire-fesses ! C'est
simple comme bonjour.
Finalement, malgré son apparence peu avenante, je m’engage dans la
bibliothèque. À peine en ai-je passé le seuil, le silence qui y règne me saute à la
gorge et me la noue. Je réalise soudain avec une panique poignante que les
boyaux décharnés du bâtiment asphyxient mon sentiment de liberté. Je le sens
agoniser mais j’avance et l’abandonne à son calvaire, bourreau malgré moi. Les
larmes me montent aux yeux alors que je m’assoie péniblement à une table
libre : il a rejoint l'effroyable tribut que l'innocence a déjà payé sur l'autel de
l'apprentissage.
Hébété, je plonge dans un des ouvrages essentiels de ma formation comme
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dans un cauchemar. Ce ne sera qu’après avoir piétiné de longues minutes dans
la torpeur moite du paragraphe « Épidémiologie de l’association entre
néphropathie interstitielle aigüe et allergie à l’huile de coude : une approche
pluriquantiqualitative » que je retrouverai le courage de lever la tête. Le ciel
que j’abandonnai plus tôt, désormais voilé par quelques cotonneux nuages, me
regarde paisiblement à travers une fenêtre. Un frémissement s’empare de mon
corps et en apaise la tension : le monde me tend encore ses longs bras fleuris
bien que je le trahisse en m’écartant ainsi de lui. Je me résigne, penaud mais
rassuré, à enfin travailler.
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