entretien avec Julian Maynard smith station house opera
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entretien avec Julian Maynard smith station house opera
Roadmetal, Sweetbread 5 Entretien avec Julian Maynard Smith Station House Opera (SHO) En 1980, Julian Maynard Smith, en compagnie de Miranda Payne et d’Alison Urquhart, fonde à Londres Station House Opera (SHO) dont le but était de combiner des éléments spectaculaires venus du théâtre proprement dit, mais aussi de l’architecture ou de la sculpture. D’où, d’ailleurs, le nom Opera, qui était une façon de dire que cette compagnie n’allait pas faire du théâtre, mais presque du théâtre. Quelque chose qui ne correspondait finalement à aucun champ défini, et qu’on pouvait aussi bien appeler Opera, en hommage lointain aux opéras mis en scène par Robert Wilson. Lequel Wilson est, avec les chorégraphes de la Judson Church, notamment Trisha Brown et Yvonne Rainer, un des ancêtres revendiqués de la compagnie anglaise. À ce jour, Julian Maynard Smith reste le directeur artistique de la compagnie. C’est lui qui, avec Susannah Hart, créa en 1998 le duo Roadmetal, Sweetbread, un des hits de SHO. Le principe en est simple : sur scène, un homme et une femme se font les choses que se font, parfois, les couples pendant que, sur un écran, le même couple se fait les mêmes choses ou presque. Toute la saveur chorégraphique de cette pièce somptueusement décalée tient, encore une fois, à ce presque. Les spectateurs assistent à la naissance d’un perturbant double monde qui bouscule tous les repères et qui retrouve une catégorie centrale dans toutes les créations de SHO : l’instabilité. Quand avez-vous crée Roadmetal, Sweetbread ? Julian Maynard Smith : Susannah Hart et moi avons commencé à le jouer en 1998. Nous avons joué ensemble cinq ans et puis j’ai laissé tomber pour mes propres travaux, et Susannah aussi, quelques années plus tard. Tout le monde est finalement parti faire son propre travail. Il y a cinq ans, la pièce a complètement arrêté de tourner. Ceci est donc une reprise, une renaissance. Pourquoi la reprendre aujourd’hui ? Il y a plusieurs raisons. Des théâtres nous demandaient de remonter le projet. Nous nous sommes demandés si nous devions reprendre la pièce avec l’équipe originelle, ou pas la reprendre du tout et l’oublier, et finalement, on s’est dit qu’elle n’avait pas perdu sa pertinence et qu’il serait intéressant de la reconstruire avec de nouveaux comédiens. De plus Station House Opera était en train de créer de nouvelles pièces qui réfléchissaient aux nouvelles technologies, à internet, au streaming, et nous trouvions intéressant de confronter une pièce ancienne, à la technologie somme toute sommaire, avec ces nouvelles pièces. Comment utilisez-vous la technologie dans Roadmetal, Sweetbread ? La technologie est très simple : une cassette, un écran, un appareil pour lire la cassette. Il se passe une action sur scène et la même action, ou presque la même, est reprise sur l’écran. Parfois, les deux actions sur scène et sur l’écran sont à l’unisson ; parfois, il y a de légères différences. Roadmetal, Sweebread est constitué de douze ou treize séquences et à chaque fois la structure varie légèrement. Dans une séquence par exemple, un des personnages – il y a un homme et une femme – est à l’unisson de ce qui se passe sur l’écran, et l’autre pas. Dans un autre cas, les deux personnages sur scène se livrent à une série d’actions, tandis qu’à l’écran un des deux n’est pas là, et l’autre fait les mêmes actions que sur scène mais seul. On ne cherche pas avec la technologie à inonder le plateau d’informations venues de l’extérieur mais au contraire à donner à voir avec plus d’acuité ce qui arrive sur scène en livrant deux versions des faits aux spectateurs : l’une live, l’autre sur écran. Est-ce que la pièce raconte quelque chose ou est-ce un exercice abstrait ? À l’origine tout a plutôt commencé par une question abstraite sur la relation entre la vidéo et la chose elle-même. Quelle est la relation entre la vidéo et la chose qu’elle filme. C’était une investigation sur la perception. Si les deux personnages font la même chose sur la scène et en vidéo, à l’unisson, est-ce que cela signifie que c’est réel ? Si nous voyons tous les deux une voiture, nous pensons que c’est la réalité, mais être d’accord avec l’autre n’implique pas que ce que sur quoi nous sommes d’accord soit vrai. Voir la même action en même temps sur un écran et sur scène, est-ce que cela suffit à prouver la vérité d’une action ? Et puis, nous nous sommes aperçus qu’on ne peut pas avoir deux personnes sur scène sans que les gens ne construisent, malgré eux, une sorte de Roadmetal, Sweetbread relation, donc on s’est dit : ok, laissons arriver cela, laissons venir ce sens imprévu. Et on a joué avec et on a construit les scènes pour aboutir à une sorte de structure dramatique. Les premières scènes sont très simples, et puis on arrive à un point où les deux personnages se haïssent et veulent se tuer. La scène et l’écran racontent la même histoire ? Oui et non. La vidéo fournit une version équivalente à ce qui arrive live mais pas exactement semblable. Dans une des séquences, sur scène l’homme et la femme se font des choses sexuelles, mais sur l’écran la femme le fait toute seule, sans l’homme. C’est donc qu’elle n’a pas besoin de lui, à l’écran. Toutefois cela reste, dans les deux cas, une histoire entre un homme et une femme, débouchant sur une violence finale qui ressemble plus d’ailleurs à une violence de dessin animé qu’à une véritable violence. Les deux versions sont donc légèrement différentes et la tentation est grande de dire qu’une version est celle d’un des deux personnages, et l’autre version celle du second. Mais, en fait, cela change sans arrêt. Il y a une perception sans cesse différente d’un événement et je crois que tout le monde peut comprendre cela. 6 À vous entendre, j’ai l’impression que le mot tension fut le mot clé qui guida la création de Roadmetal, Sweetbread ? Oui, je crois que la tension est ce qui mène la pièce, ce qui lui fournit sa structure artistique. A l’origine, la pièce était en partie une protestation contre la façon dont la vidéo était utilisée sur les scènes d’Europe, ces espèces d’effets envahissants du multimédia qui, au fond, éteignait tout, noyait tout. Nous voulions être très minimal. Il faut garder les choses simples pour qu’une autre signification, imprévue, invisible d’abord, puisse surgir de ces choses. Il est vraiment possible de faire surgir des significations complexes d’un usage très simple de la technologie. Qu’est-ce qui vous intéresse le plus finalement quand vous créez une pièce ? Que le public soit très conscient de l’espace dans lequel il est. Parce que je suis ou je me considère essentiellement comme un sculpteur. Je pense à la performance comme si je faisais des sculptures avec des êtres humains, et je crois que le public peut être plus touché s’il garde conscience de ce travail de sculpture de l’espace, s’il reste conscient de l’espace dans lequel il est. Après, il peut regarder en paix. Entretien réalisé par Stéphane Bouquet — septembre 2012 Station House Opera est une compagnie britannique de renommée internationale au style visuel et physique totalement unique, créant des œuvres au large répertoire allant de grandes performances in situ dans l’espace public, construites avec des blocs de béton, à des spectacles reliant 3 continents grâce à une diffusion simultanée sur internet. Créée en 1980, la compagnie a généré plus de 30 spectacles, aux échelles et modes de présentation très divers. Station House Opera a créé des projets aux quatre coins du monde, spécifiquement pour certains lieux comme le Pont de Brooklyn à New York, à l’historique Frauenkirche de Dresden ou la Cathédrale de Salisbury, et a tourné à travers le monde, de l’Azerbaïdjan au Kosovo, de la Chine au Brésil. Compagnie visionnaire, elle a été, et est toujours, une référence pour de nombreux artistes qui lui ont succédé. www.stationhouseopera.com / www.artsadmin.co.uk