Plage de voyage : Innocence comme unique action
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Plage de voyage : Innocence comme unique action
Semaine 94 Plage de voyage : Innocence comme unique action Et il parle. Il parle tout seul. Il cherche le contact avec la personne assise en face de lui. Celle-ci se tait. Elle l’ignore. Des questions banales, des remarques sur le temps, le voyage. Il insiste jusqu’à s’inquiéter sincèrement de savoir si elle a une langue. Vraiment ? Peine perdue. Le bouclier est épais et ses lances des fleurs fragiles. Dans son sac, une collection de journaux qui n’en sont plus. Il commente l’actualité, s’offusque du prix d’un litre de lait, se rappelle qu’il doit encore aller en commissions. Ça ferme à quelle heure déjà ? Ce qu’il pense est évacué à haute voix sur le champ. Les idées s’enchaînent, décousues. Parfois incompréhensibles. Les mots sont lents, les phrases lourdes. On pourrait croire qu’il a trop bu. Il amène de l’agitation dans ce compartiment bien rangé. L’habitude des passagers s’en voit inlassablement troublée. Une petite fille métisse va et vient dans le couloir du wagon. Il l’appelle « petit trésor ». C’est vrai qu’elle est mignonne. Elle sirote son biberon de thé froid. Caries assurées dans quelques années. Soudain pour l’amuser, il devient chien et se met à aboyer. Une voyageuse en colère se lève et l’apostrophe : elle aimerait bien lire en paix. Qu’est-ce qu’elle a dit ? Il ne comprend pas. Il ne comprendra jamais. Un homme amusé sourit en tapotant sur le clavier de son ordinateur. Maintenant il miaule, et fredonne, la bouche pâteuse. Et la petite fille insouciante rit. Elle rit avec lui. Avec celui que l’on appelle « un simple d’esprit ». Saba CL