L`accès au permis de conduire théorique est semé d`embuches pour
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L`accès au permis de conduire théorique est semé d`embuches pour
L'accès au permis de conduire théorique est semé d'embuches pour les personnes en difficulté avec l'écrit: les nombreuses démarches et les formulaires à remplir peuvent décourager, et l'examen lui-même pose des problèmes de lexique et de syntaxe. Deux personnes (au moins) à l'Association Lire et Ecrire se préoccupent de cette question. Rencontre avec Eliane Bornet, formatrice à la section Riviera-Chablais, et Paul Pignat, chargé, pendant 3 mois, du projet Permis de conduire au secrétariat général. Interview réalisée par Vincent Darbellay. Vincent. Lire et Ecrire s'intéresse à la question du permis de conduire, comment y est-on arrivé ? Paul. La dernière enquête auprès des participants a révélé que 18% des sondés avaient indiqué avoir pour motivation l’obtention du permis de conduire. Eliane. Un groupe de travail de la fin des années 90' a sensibilisé à cette problématique les services auto et des moniteurs. Il a obtenu, entre autres, que l'examen théorique puisse être passé aussi par oral. La langue ne doit bien sûr pas être un obstacle à la participation à un examen dont le but est de prouver qu'on connait les règles de la route. Actuellement, l'examen se passe sur ordinateur et, depuis le 1er janvier 2008, dans une des trois langues nationales seulement, ce qui augmente les problèmes pour des gens en difficulté avec l'écrit. Mais il est quand même possible d'avoir un accompagnateur près de soi qui aide à bien comprendre les questions. Il s’agit alors de passer un examen accompagné. V. En quoi l'examen présente-t-il des difficultés pour un public en situation d'illettrisme ? E. et P. Le vocabulaire est compliqué et le questionnaire contient des expressions qui ne sont pas du tout utilisées dans la vie courante, par exemple la chaussée, signal avertisseur, tracé sinueux, l'intersection, empiéter, faire défaut... La syntaxe peut aussi être un obstacle, certaines phrases étant complexes, certaines distinctions délicates, par exemple distinguer si la voiture est obligée de passer ou si elle a le droit de passer peut se révéler, selon comment la phrase est tournée, difficile à saisir. Il y a aussi certaines questions qui demandent deux réponses, mais on ne sait pas si on doit en donner une ou plusieurs. Et il y a 50 questions auxquelles on doit répondre en 45 minutes… V. Comment en êtes-vous arrivés, à la section Riviera-Chablais, à proposer un atelier centré sur le permis de conduire ? E. En 2007, quelques personnes ont fait la demande de travailler sur le CD d'apprentissage des règles de la route. En fait, elles demandaient de l'aide pour travailler le questionnaire qui prépare à l'examen théorique. L’objectif de l'atelier, de 1h30 par semaine, était, tout naturellement, la compréhension du questionnaire. Les apprenants étaient aussi fortement incités à travailler à la maison pour poursuivre l'apprentissage et le consolider. Il y a eu 2 ateliers, sur 2 ans, avec pour chacun 5 personnes inscrites. Certains ont réussi l'examen, d’autres ont abandonné. C'est assez exigeant. Pour certains apprenants, le permis de conduire est un rêve, un rêve d'autonomie, mais le but est trop éloigné. Parfois, il y a eu un gain même si le permis se révélait impossible. Par exemple, une personne a compris l’importance de la signalisation lumineuse (feu rouge et feu vert) pour sa sécurité. D’autres ont appris des choses qui les ont aidés à circuler à vélo. De toute façon, il y a un apprentissage, mais il est important de ne pas faire miroiter un objectif inaccessible. P. La première étape consiste à bien informer, au cours d'une discussion préalable, le participant potentiel des enjeux. Indiquer d'abord que cela lui prendra du temps et de l'argent, expliquer la procédure, indiquer quels papiers il faut remplir... Je souligne, avec Eliane, le fait que c'est capital de dire immédiatement à certaines personnes intéressées que le but est peut-être impossible à atteindre. L'aide à offrir est uniquement au niveau de la langue, pour le reste, ce sont les moniteurs qui agissent. Ceux-ci ne considèrent pas l’intervention de Lire et Ecrire comme une concurrence, au contraire, ils sont plutôt satisfaits de cette complémentarité. Il arrive que ça soit eux qui désirent adresser les gens à notre association. Les moniteurs ne sont pas des enseignants. Parmi les personnes qui se préparent à l’examen, une grande partie est autonome et travaille individuellement avec le CD. Les moniteurs rencontrent donc lors de leurs cours pour la préparation de l’examen de plus en plus les personnes en difficulté avec la compréhension de l'écrit (soit en situation d'illettrisme, soit de langue étrangère), et ils sont ouverts à une complémentarité. Evidemment un des obstacles premiers est d'ordre financier, nous avons le permis le plus cher d'Europe (2500.- à 3000.- francs en moyenne). Concernant la formation à Lire et Ecrire, l'atelier permis de conduire offre une grosse différence par rapport aux cours ordinaires de théorie dont le but est fixé très précisément: un examen sous forme de QCM, un enjeu qui est, ainsi, sanctionné par une réussite ou un échec. V. Quelles sont les grandes lignes du projet romand ? P. Il y a un aspect formation et un aspect sensibilisation. Pour l'instant, 3 volets du projet ont déjà été accomplis: premièrement, faire le point de la situation avec les cantons et les sections et évaluer les besoins; deuxièmement, retravailler pour la plateforme un matériel pédagogique élaboré principalement par Eliane (le scénario se compose de 4 parties: lexicale, le fonctionnement des QCM, la gestion de l'espace, la construction de phrases); troisièmement, lancer une démarche d’action politique (auprès des offices de la circulation) et de sensibilisation (auprès des moniteurs). V. Peux-tu détailler la partie action politique et sensibilisation ? P. La situation est très différente d'un canton à l'autre. Pour passer l'examen théorique accompagné, par exemple, il faut, dans le canton de Vaud, attester qu'on suit les cours Lire et Ecrire depuis 3 mois. Par contre, à Genève, il faut une attestation médicale (pas de distinction entre un handicap et une difficulté de compréhension en lecture). En Valais, on ne peut, théoriquement, faire une demande d'examen accompagné qu'après deux échecs (mais on me dit que la pratique est plus souple). Dans l'idéal, il faudrait que les demandes pour le permis accompagné soient adressées par les moniteurs aux offices de la circulation. Cela se fait déjà dans le Jura, à Fribourg et en Valais (mais là, il faudrait changer cette règle des 2 échecs préalables pour plus de clarté). Cependant, le fédéralisme fait qu'une unification des pratiques est probablement très difficile. De plus, une collaboration entre les moniteurs et Lire et Ecrire devrait être mise en place car les moniteurs sont bien placés pour orienter les personnes en situation d’illettrisme vers Lire et Ecrire. Dans ce sens, Lire et Ecrire a pris contact avec la fédération faitière des moniteurs d'auto-école. On va donner un module de sensibilisation de 3 heures lors de la formation initiale des moniteurs. Puis il y aura, lors de la formation continue, 8 heures de sensibilisation jusqu'en 2014. E. Dans la pratique cependant, certaines personnes en difficulté avec l'écrit viennent frapper à la porte de Lire et Ecrire plutôt avant de contacter un moniteur, c'est-à-dire avant de rentrer dans une procédure couteuse, avant que le compteur financier ne se mette à tourner. On a tout avantage à une action de vaet-vient des moniteurs à Lire et Ecrire, une concertation. P. Le danger de devenir moniteur à la place des moniteurs n'existe pas car les choses sont bien délimitées. Lire et Ecrire peut agir côté compréhension (comprendre les questions dans un temps relativement court), les moniteurs travaillent à préparer au contenu de l'examen : la connaissance des règles de la route. V. Le projet romand prévoit-il aussi une démarche pour simplifier les examens ? P. Oui. On prévoit d'intervenir auprès de l'organisation qui fabrique les questionnaires. Elle est déjà sensible à la question de la langue et essaie de bien séparer les objectifs. Ils reçoivent, par exemple tous les résultats et lorsqu'ils constatent que certaines questions donnent très largement lieu à un échec, ils les retirent. On peut travailler cependant encore plus à des simplifications lexicales et syntaxiques. Il faudrait pouvoir collaborer aussi avec les gens qui fabriquent le CD d'apprentissage. Mais il faut dire qu'il n'y a pas d'organisation attitrée pour les concevoir. Leur fabrication est commandée par des éditeurs qui ont un but commercial. Et d’ailleurs il existe en fait une dizaine de CD, mais le livre bleu Bien conduire est le seul document certifié par les services. V. Est-ce qu'on trouve une méthode d'apprentissage pour acquérir les compétences nécessaires pour passer l'examen théorique ? P. Il n'y a pas de méthode d'apprentissage qui réfléchit à une progression, il n'y a pas, à ma connaissance, une didactique. Il n'y a que du drill, un entrainement aux questions sur le modèle de l'examen. Une méthode progressive est à inventer ! J'ai constaté aussi qu'il n'y a pas de sites adaptés à des faibles lecteurs (en tout cas aucun qui s'annonce comme tel), il y en a cependant certains qui lisent à haute voix les questions. Il y a donc de quoi faire. V. Concrètement, quelles sont les étapes à venir ? P. Agir auprès des offices cantonaux de la circulation en fonction de leurs particularités pour simplifier l'accès à l'examen accompagné; collaborer avec l'Association des services automobiles pour simplifier les questions de l'examen. Demander aux éditeurs de mettre en place un CD avec lecture orale des questions et réponses; continuer à proposer des modules de sensibilisation pour moniteurs; continuer la création de scénarios pédagogiques à l’attention des formateurs à mettre sur la plateforme de l’Association; établir une information claire destinée aux apprenants intéressés, qui leur indique les conditions de passation de l’examen dans leurs cantons respectifs. Merci pour toutes ces informations !