Rembrandt : dans rintimité du maître de la lumière
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Rembrandt : dans rintimité du maître de la lumière
Date : 29 SEPT/05 OCT 16 Page de l'article : p.58-60 Journaliste : Léopoldine Chambon Périodicité : Hebdomadaire OJD : 116117 Page 1/3 Culture "Titus lisant", 1656-1658. La naïveté enfantine sublimée par le regard du père. Rembrandt : dans rintimité du maître de la lumière Eclatant Le musée Jacquemart-André abrite, le temps d'une exposition, toiles, dessins et gravures de Rembrandt Van Rijn. Une plongée au cœur de l'univers de ce prodigieux artiste et de son œuvre mystique. Tous droits réservés à l'éditeur JACQUEMART3 9589519400507 Périodicité : Hebdomadaire OJD : 116117 Date : 29 SEPT/05 OCT 16 Page de l'article : p.58-60 Journaliste : Léopoldine Chambon Page 2/3 Couleurs vives, palette acidulée. rée par la pénombre. Évocation du vice, corde aussi la quotidienneté des Dans l'atelier du peintre rieter Last- chez ce vieil homme, évaluant l'éten- sujets : plume à la main, Rembrandt man, dans l'Amsterdam des années due de sa richesse à la lueur d'une bou- raconte l'agitation des rues d'Amster1620, lejeune Rembrandt observe d'un gie (Parabolede l'homme riche). Menace dam, où il s'installe en 1632. Les enfants œil curieux les compositions chan- sourde planant au-dessus de la sainte s'approchent de la vieille Marchande tantes de son maître. Un socle d'inspi- Famille en déroute sur les chemins de de crêpes, fouillant avec empressement ration solide, qu'il met bientôt au ser- l'Egypte (la Fuite en Égypte). De la comvice de l'élaboration de ses propres plexité de ce jeu de lumière Rembrandt Rembrandt cherche oeuvres. L'élève cherche, tente de sus- se joue, allant même jusqu'à figurer à rendre compte citer l'émoi par le jeu d'expressions de deux sources lumineuses, explique le de l'expression des êtres. ses figures. Exalté par la colère, Balaam commissaire de l'exposition Emmatance sa monture (l'Ânesse de Balaam) nuel Starcky en désignant Saint Paul leurs poches pour sustenter leur gourdevant l'ange du Seigneur qui semble assis à sa table de travail. Âgé d'à peine mandise ; le visage du Charlatan se souffler au châtié de Dieu : « Voici, je 23 ans, le peintre hollandais érige cet fige, l'œil malicieux annonciateur de suis sorti pour te f aire obstacle, car, à usage en trait original de son labeur : de quèlques facéties... mes yeux, le chemin que tu suis Foyer des P r o v i n c e s te mène à la ruine. » Unies, Amsterdam se révèle T â t o n n e m e n t s stylisun chemin propice vers le tiques : dans cette toile, l'élève succès. Secondant Hendrick reprend sujet et composition Van Uylenburgh dans son atede son aîné,accordant ses lier, Rembrandt se voit prépinceaux à ceux du peintre senter de gracieuses oppord'Amsterdam. En cours de fort u n i t é s : les commandes mation, l'artiste scrute égaleprestigieuses s'amoncellent, ment avec acuité chaque paroffrant à l'artiste le loisir d'excelle de ses traits, saisis dans primer toute sa virtuosité des séries d'autoportraits. dans l'art du portrait. Isolé au D'une méticuleuse précision, centre de la cimaise, le PorY Autoportrait à ['écharpeet à la trait delà princesseAmaliavon toque fait déjà preuve de l'obSolms matérialise la confiance session de Rembrandt : cerner que lui prête l'entourage l'impact de la lumière sur son "Parabole de l'homme riche", 1627. Ce vieil homme qui d'Uylenburgh. Et pourtant : modèle. contemple sa richesse dans la pénombre symbolise le vice. pas de grandiloquents éloges, L'apprentissage a été frucderrière les traits un peu grostueux : de retour à Leyde, les tons l'obscurité sous-jacente, il suggère la siers de la femme de Frédéric Henri s'obscurcissent, les compositions scène plus qu'il ne la décrit, en renfor- d'Orange-Nassau, stathouder de Holacquièrent une originalité qui, çant toute l'intensité. lande : «II ne flatte pas son modèle. appuyée sur une solide maîtrise de l'esAmalia est telle que Rembrandt la perpace, se teinte d'une profonde inten- Point dè dessins préparatoires à ces çoit», appuie Emmanuel Starcky. sité dramatique. Stupeur du convive, chefs-d'œuvre de jeunesse. Ses cro- Joues affaissées, menton bas, regard attablé auprès du Christ irradiant quis - plume, sanguine et pierre noire - las : derrière l'ancien tondo, point de devant la révélation du mystère de la rehaussés à vifs traits de lavis brun ou flagorneries mais une mise en valeur résurrection. Le moment choisi dans le gris n'ont pas l'usage de modèles struc- délicate. Repas des pèlerins d'Emmaùs Qacque- turels. Et c'est à même le support que C'est aussi l'aboutissement personmart-André) n'a rien d'anodin... À l'artiste charpente son ouvrage. « On nel, et le mariage avec Saskia Van Leyde, ville parcourue des discours de compte près de ZOO dessins dans la pro- Uylenburgh, cousine du marchand mouvements ecclésiaux variés, Rem- duction de Rembrandt», explique le d'art. Épouse attentive, à laquelle il brandt lit les textes bibliques et y commissaire Peter Schatborn, spécia- promet fidélité dans des toiles allégotrouve une source d'inspiration qu'il liste des dessins du maître. Fort de sa riques (Portrait de l'artiste en costume n'abandonnera jamais. Témoignage «grande mémoire visuelle», Rembrandt oriental), elle est aussi sa muse, qu'il de la naissance d'un style, cette toile, reprend dans ses feuilles volantes les travestit là en une gracieuse déesse comme les deux autres ouvrages issus compositions de ses prédécesseurs. Ne Flore (Saskia en Flore). «Portant la des collections du musée Jacquemart- retrouve-t-on pas, derrière cette Adora- main à son ventre, elle est cette image de André, évoque une période clé de la tion d'un des trois Rois Mages (La Haye), la fécondité», indique le commissaire carrière de l'artiste, plongeant le spec- les échos des gravures de Rubens ? d'exposition. Et de fait : Saskia lui dontateur dans un début de carrière Inspiration passée, instinct du pré- nera un fils, Titus, dont Rembrandt fécond. sent : malgré ce regard tourné vers les fera un portrait très personnel. La formule est habile : de la source anciens, il exalte la composition d'une À la tête de son propre atelier, le lumineuse, issue d'un point focalisé, le manière personnelle. Un trait épais, peintre agrandit ses propres collectableau acquiert son sens, projette dans vigoureux et sûr, confère à ces dessins tions, faisant la part belle aux images une atmosphère dramatique structu- toute leur modernité. À laquelle s'ac- bibliques. Une thématique qui l'obTous droits réservés à l'éditeur JACQUEMART3 9589519400507 Date : 29 SEPT/05 OCT 16 Page de l'article : p.58-60 Journaliste : Léopoldine Chambon Périodicité : Hebdomadaire OJD : 116117 Page 3/3 sède, si l'on en croit Emmanuel Starcky. Dans ses ouvrages, « il ne cherche pas à rendre compte de la beauté en soi, mais de l'expression des êtres », souligne le conservateur. Douleur du Christ, dans son Ecce homo; les yeux levés aux cieux, Christ apparaît conscient du sacrifice qu'il va concéder pour la salvation de l'homme... À côté de la grisaille préparatoire, la gravure de la scène permet une comparaison instructive quant au mode de travail de l'artiste. Un parallèle rare que cette exposition vient mettre en valeur : l'ouvrage préparatoire est l'un des rares travaux connus de l'artiste pouvant être mis en comparaison avec sa gravure aboutie. Malgré les mécènes vigilants, la disgrâce aura accompagné les derniers jours de Rembrandt. gnie, la mise en scène dramatique de ses travaux semble exprimer toute la gravité d'un artiste désormais intégralement plongé dans la réflexion mystique. C'est la sagesse, vingt ans après son premier essai, se dégageant du Repas des pèlerins d'Emmaùs (Louvre) où la sainteté de Jésus, auréolé d'un halo lumineux, est exprimée dans toute sa simplicité. Ce sont les gravures du Christ en Croix qui, d'un état à l'autre, s'obscurcissent intensément au gré de la pointe sècheMaigre les mécènes vigilants, la disgrâce aura accompagné les derniers jours de Rembrandt. Demeure dans sa solitude après la mort d'Hendrickje et de son fils, l'artiste quittera le monde le 4 octobre 1669, laissant derrière lui un œuvre prolifique, rythmé par les mouvements intimes de l'existence. Chaleureux écrin de ceux-là, l'exposition "Rembrandt intime" ouvre la porte de cette secrète demeure du maître de la lumière, de cet exégète génial de la mystique chrétienne. • Léopoldine Chambon Éphémère répit que cette période heureuse. Bientôt, la disparition de Saskia et les troubles financiers, doublés d'une mauvaise gestion de son patrimoine, ravissent à Rembrandt les joies de l'existence. Et s'il trouve en Hen- MuséeJacquemart-André, Paris VIIIe, drickje Stoffels une apaisante compa- jusqu'au 23janvier 2017. www. musee-jacquemart-andre. com Tous droits réservés à l'éditeur JACQUEMART3 9589519400507