Document - Fondation Besnard

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Document - Fondation Besnard
La répression franquiste 1936-1975
1-Le mécanisme répressif du fascisme catholique espagnol
C’est la période de la guerre civile 1936-1939 et de la post guerre - 1939 – 1950 - qui
est la plus sanguinaire. La répression dans la zone nommée factieuse par les républicains, puis
fasciste ou franquiste (entendu comme un fascisme catholique), a été si étendue qu’aucune
donnée fiable n’existe : les statistiques et les registres des cimetières de l’époque indiquent
environ un tiers des victimes.
Il demeure actuellement plus de 1.000 fosses communes non inventoriées. Entre 2000 et
2013, on a exhumé plus de 6.000 cadavres pour 332 fosses. La plus grande en avait 2.840
dans un cimetière à Málaga. La plupart des corps n’ont pas été identifiés.
L’Espagne est le second pays, après le Cambodge, pour le nombre de personnes
disparues pour des raisons de répression politique. On estime leur nombre (pour la période
1936-1950) à 114.000 ou 150.000. Il faut ajouter un nombre important d’enfants de familles
républicaines (soit orphelins soit retirés à leurs familles), dont les noms et les prénoms ont été
changés afin de les confier à des familles « bien pensantes ». Entre 1944 et 1945, le nombre
d’enfants dans ce cas était de 42.000. Il est donc probable que le nombre total minimum soit
de 50.000 exécutions.
Des historiens espagnols spécialistes de la répression durant le conflit de 1936-1939 et
le franquisme (Santos Juliá, Julián Casanovas, entre autres) estiment que dans la zone
républicaine il y eut 50.000 victimes1. Pour le régime franquiste, les données encore
incomplètes sont de 150.000 exécutions.
L’identification politique et syndicale des victimes n’est possible que pour des quartiers,
des villages, des zones particulières. Dans la ville de Saragosse, en Aragon, les adhérents des
syndicats anarchosyndicalistes, regroupés dans la Confédération nationale du travail - CNT -,
subirent, avec ceux de la centrale socialiste Union générale des travailleurs - UGT -, une
sauvage répression. Le nombre de fusillés dans cette ville entre 1936 et 1939 va de 3.600 à
7.000, selon les auteurs.
De plus, bien souvent, les soldats et les volontaires franquistes à l’arrière et sur le front
ramassaient des groupes de « rouges », des civils et leurs familles (femmes, vieillards et
enfants compris) pour les fusiller et les enterrer sur place. C’est la raison du nombre élevé de
fosses communes.
La répression ne touchait pas que les activités militaires et politiques : les institutions
républicaines furent annulées rétroactivement. Les mariages civils et les divorces ayant eu lieu
entre 1931 et 1939, furent considérées comme une fiction juridique. Le franquisme ne
reconnaissait que les mariages religieux et la séparation de corps autorisée ou pas par l’Église,
mais toujours onéreuse. Les diplômes obtenus durant les études faites en 1936-1939 dans la
1
Pour les liquidations de prisonniers de droite à Madrid en 1936, attribués, bien entendu aux
anarchosyndicalistes, alors que les assassins obéissaient (très majoritairement) aux ordres du PS, de la
Gauche républicaine et du PC voir « Autopsie d’une imposture » [http://www.fondationbesnard.org/spip.php?article2454]. Les crimes spécifiques planifiés par la Tchéka soviétique et les
dirigeants du PC (sans oublier André Marty) ne sont pas encore comptabilisés, mais ils concernent (à
mon avis) 2.000 ou 3.000 militants des brigades internationales et de la centrale syndicale
anarchosyndicaliste CNT – Confederación Nacional del Trabajo -.
1
zone républicaine (du baccalauréat aux titres universitaires) furent annulés. La plupart des
enseignants et des hauts fonctionnaires républicains furent fusillés, disparus ou rééduqués.
Des lois légalisèrent la répression : septembre 1939 Saisie des « biens des anciens
syndicats marxistes et anarchistes » ; mars 1940 « Loi sur la répression de la francmaçonnerie et le Communism […] sont considérés communistes les incitateurs, les dirigeants
et les collaborateurs actifs des activités ou de la propagande soviétique, trotskistes,
anarchistes ou similaires. »
2-La permanence de la répression
En octobre 1944, une organisation nouvelle, formée à la va-vite, « L’Union nationale
espagnole, UNE », se sert de l’euphorie de la libération de la France par les troupes alliées et
de la présence de nombreux combattants espagnols ayant servi dans la lutte antifasciste
française. Les organisations républicaines classiques sont méfiantes, mais une partie de leurs
militants est séduite par la volonté de faire tomber le franquisme qui semble fragilisé par la
défaite visible du nazisme.
L’UNE lance une invasion dans une zone des Pyrénées qui jouxte la France, le Val
d’Aran. Il y a 4.000 soldats dont un quart de jeunes Espagnols sans expérience. L’équipement
et le matériel militaires sont fragiles ou inexistants. La tactique est floue (absence de plan
d’évacuation, de regroupement en cas de résistance franquiste). En fait, c’est le parti
communiste qui domine l’UNE dans les coulisses. Il s’agit surtout de montrer de l’audace et
d’aligner un nombre important de morts, de « Héros du parti mort dans le combat contre le
fascisme espagnol » pour avoir un atout important dans les alliances politiques futures.
Cette invasion change le caractère de la répression. C’est de France que viennent des
camarades, des groupes, du matériel militaire. Mais la majorité des Espagnols est étiquetée et,
soumise aux tracasseries de la bureaucratie franquiste, accompagnée par la surveillance du
clergé catholique. Les travailleurs sont encadrés dans une structure syndicale imitée du
fascisme de Mussolini. Le syndicat est unique et obligatoire pour « toutes » les personnes
travaillant dans une entreprise : du patron aux balayeurs. Le syndicalisme est vu comme une
pièce essentielle du régime, afin que la classe ouvrière disciplinée collabore à la
reconstruction du pays. Du reste, il existe un ministère du syndicat unique, appelé aussi
« syndicat vertical », c’est-à-dire qu’il reçoit ses ordres des hautes sphères de l’État. Et le
ministère s’appelle officiellement « ministère du Mouvement », dans le sens de mouvement
syndical. La lutte des classes est assimilée à une guerre civile larvée : c’est donc une
conception subversive et délétère.
Cet embrigadement, ce fichage général des habitants expliquent qu’en 1947, le parti
socialiste espagnol évacue clandestinement par bateau une trentaine de maquisards des
Asturies et de Galice. À partir de 1952, la répression a pratiquement écrasé tous les
maquisards communistes.
Entre 1946 et 1951, les chiffres d’arrestation de la « Direction générale de la Sécurité »
sont : Communistes 4.410 ; Anarchistes 1.651 ; Socialistes et ugétistes 525 ; Bandits et
cambrioleurs 4672.
Quelques brefs commentaires s’imposent. « Bandits et cambrioleurs » signifient les
guérilleros, les maquisards, les militants clandestins qui continuaient le combat dans les villes
et dans les zones montagneuses (Cantabrique, Andalousie, etc.). Il y avait parmi eux surtout
2
Chiffres reproduits par Ángel Herrerín López La CNT durante el franquismo (Clandestinidad y
exilio 1939-1975), Madrid, siglo XXI, 2004, p. 155.
2
des communistes et des anarchosyndicalistes. Le nombre élevé de « Communistes » tient à
l’amalgame entre les différentes composantes de la gauche républicaines.
La lutte armée devient une action minoritaire. L’antifranquisme se transforme en
Espagne en un rejet latent. Ce refus peut s’exprimer indirectement : grève contre la hausse des
prix des tramways en 1951 à Barcelone. L’appareil du « Mouvement » est de plus en plus
infiltré à sa base par des délégués qui font un travail de taupe de politisation des travailleurs.
Cette période va de 1951 à la fin du régime en 1975 et elle est moins sanglante.
L’immense majorité des victimes sont des condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement
dans des lieux « décents » (par rapport à 1936-1944). Il y a moins de prisonniers mais
l’identification unique est celle de la loi, c’est-à-dire « communiste ».
3-Le sort du Mouvement libertaire espagnol
Le mouvement anarchosyndicaliste avait pu reconstituer de nombreux syndicats en
Catalogne en 1944-1945 et un périodique clandestin « Ruta [Voie, orientation] », fait à
Barcelone, avait un tirage de 5.000 exemplaires. Les franquistes et les antifranquistes étaient
dans l’expectative. De nombreuses rumeurs circulaient sur des défections dans l’armée ou
d’intervention des troupes alliées ayant vaincus les fascismes allemand et italien. Tout
entretenait un climat de changement politique imminent.
L’analyse de la Confédération nationale du travail - CNT - était de profiter de ce
moment d’inquiétude dans toute la société espagnole pour lancer des actions armées et pour
stimuler le syndicalisme clandestin. Mais fin 1945, puis en 1946-1947, il devint évident que
les divergences entre l’URSS et ses alliés pendant la guerre mondiale faisait du franquisme un
bastion anticommuniste sûr pour les « démocraties ».
L’erreur, énorme, impardonnable, des dirigeants anarchosyndicalistes fut de prolonger
le combat, avec peu de moyens dans tous les domaines. Cette situation s’expliquait, en partie,
par une scission en 1945 dans la CNT en exil. Une CNT avait deux ministres dans le
gouvernement républicain exilé au Mexique. L’autre CNT, avec une ex ministre et un autre
plus ou moins éloigné, refusait une alliance étroite avec le gouvernement. Les deux CNT
menaient quelques luttes en Espagne sans collaborer entre elles ! En outre, ces camarades
suivaient, de fait, deux tactiques clandestines contradictoires entre elles, ce qu’ils ne voyaient
apparemment pas.
Cette situation paradoxale et absurde peut se comprendre aujourd’hui par un mélange de
trois facteurs : -la combativité du prolétariat espagnol en attente d’une aide pour abattre la
dictature ; -un changement de la conjoncture politique internationale défavorable en cas
d’insurrection en Espagne ; -le dévouement que ressentent tous les groupes d’émigrés
honnêtes pour aider leurs compatriotes exploités.
L’action armée suppose un nombre important de camarades expérimentés et pourvu
d’un matériel efficace en quantité importante, avec des relais, des soutiens dans la population.
Ces trois éléments étaient faibles : de nombreux camarades très capables étaient morts ou
emprisonnés ; les armes lourdes manquaient presque totalement. Plus grave encore, les
cénétistes qui avaient échappé aux persécutions étaient, comme toutes les familles « rouges »,
tenaillés, depuis 1939, par la crainte d’être arrêtés et que les leurs soient victimes de
représailles. De plus, les privations depuis la fin de la guerre (manque de nourriture, de
médicaments) et la nécessité de passer, bien souvent, par un marché noir au prix très onéreux,
entrainaient le fait que pour une famille avec des enfants, subsister était parfois difficile.
Cacher, nourrir, soutenir et aider un militant clandestin tenaient de l’exploit.
3
Le travail syndical souterrain échappe par définition aux attentats ciblés, à la création de
commandos militaires. Il aurait pu se maintenir en entretenant l’esprit de révolte et de
solidarité entre les salariés, car ce n’était pas un danger immédiat
immédiat pour le régime. Et les
syndicalistes n’avaient, évidemment, pas besoin de prendre de grands risques, si ce n’est
savoir parler avec des personnes sûres
sûr dans des endroits discrets.
Mais les forces franquistes redoublaient d’effort pour découvrir les combattants
c
anarchosyndicalistes qui menaient des actions dangereuses pour le régime : exécution de
responsables phalangistes,, sabotage des lignes électriques des usines.
usines. La police secrète,
secrè à
force d’espionner, de surveiller tous les secteurs susceptibles de
de servir de base aux
combattants clandestins, réprima,
réprim , par ricochet, les activités syndicales. Les syndicalistes
étaient des proies faciles puisqu’ils
puisq ’ils ne pensaient pas à vivre constamment dans l’illégalité.
On le constate avec les arrestations
a
des comités régionaux de la structure syndicale :
1944 – 1947 = 57 ; 1948 – 1952 = 7 ; 1953 – 1965 = 8. À chaque fois, les camarades étaient
condamnés à de nombreuses années de prison,
prison, les familles étaient fichées. Lorsqu’ils
Lo
étaient
libérés, ils n’avaient
avaient plus confiance dans la lutte antifranquiste parce que le grand nombre de
d’anarchosyndicalistes en prison les poussait à considérer que leur confédération syndicale
syndi
était trop faible pour tromper les forces de répression franquistes.
Il y eut des groupes
roupes réduits de camarades héroïques qui luttèrent dans la période 19601960
1969 au prix d’arrestations, de peines de mort exécutée et de nombreuses années
d’incarcération. Josep Lluis Facerías (tué en 1957), Amador Franco, Francesc Sabater,
Joaquín Delgado et Francisco Granado, Salvador Puig Antich, etc., ont été quelques uns de
ces héros.
En fait, depuis 1962, des grèves spontanées étaient apparues et le régime et le patronat
les tolérèrent comme soupape d’échappement. Malheureusement, les anarchosyndicalistes
jeunes étaient fortt peu nombreux. Les enfants de cénétistes étaient rarement formés
politiquement par leurs parents. Ett s’ils l’étaient les souvenirs sanglants de la répression
franquistes de 1936-1950
1950 constituaient un frein, une crainte tout à fait compréhensible.
C’est ce mouvement ouvrier,
ouvrier en dépit de son éducation franquiste, de la méconnaissance
mé
de sa propre histoire, qui se forma seul contre les bureaucrates du syndicat unique et
obligatoire franquiste.. Il se forma également en prenant de plus en plus conscience des
tendances
ndances politiciennes de la gauche, soit pour l’orienter soit pour le manipuler. Il apprit
progressivement les symboles et les expériences des victimes du franquisme.
C’est dans ce terreau prolétarien que se reforma
ma le mouvement anarchosyndicaliste à la
finn de l’année 1975, à Barcelone, puis à Madrid, quelques semaines après la mort du dictateur
fasciste catholique
olique Francisco Franco.
Frank, 12.12.15
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