Un pionnier suisse du VTT à l`accent américain

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Un pionnier suisse du VTT à l`accent américain
PORTRAIT
Butch Gaudy
Le modèle E-Jalopy avec propulsion Greenwheel intégrée à la roue arrière est le vélo dont Butch Gaudy rêvait:
élégant et facile à vivre malgré une propulsion électrique.
Texte et photo: Peter Hummel
Avant de découvrir le vélo, le Californien Butch Gaudy a été hôtelier
et motard. Il s’est installé à Berne et a développé des vélos à l’esthétique
très aboutie. Ils existent depuis peu en version électrique.
Un pionnier suisse du VTT
à l’accent américain
B
utch Gaudy est considéré com­
me un visionnaire et le doyen
de la scène VTT suisse. En 1984, il
était parmi les premiers à appor­
ter un VTT en Europe. Et ce n’est
pas par hasard: dans le Comté de
Sonoma en Californie, ce suissoaméricain s’occupait d’un motel
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bed & breakfast, autrement dit,
d’un établissement qui faisait à la
fois café, logement et où l’on pou­
vait louer des vélos. Butch était (et
est encore) un passionné de moto.
Pour lui, comme pour beaucoup
de ses contemporains de la géné­
ration post-easy-rider, rouler à
mo­to sur les étendues sans limites
de Californie était une façon de
vivre contre l’establishment. «Je
me suis mis au VTT quand j’ai dé­
couvert que des jeunes gens cools
avec leurs bécanes à gros pneus,
les ‹clunkers›, étaient plus rapides
en descente que moi sur ma Har­
ley.» Les «clunkers» des années 70
sont les ancêtres des VTT. Ceux
qui les ont développés, Richard
Cunning­ham, Mert Lavill, Steve
Potts ou Ross Shafer, qui devien­
dra plus tard un des bons amis de
Butch, étaient les vrais pionniers
de ce nouveau sport. Lorsque
ATE MAGAZINE / MARS 2012
PORTRAIT
Butch Gaudy
les droits de la marque contre une
taxe de licence annuelle tout en
restant responsable de la marque
et des produits. L’an dernier, il a
fêté ses 60 ans et a un peu levé le
pied.
Butch Gaudy est arrivé en Suisse
en 1983, on se mettait au vélo
pour des raisons énergétiques:
c’était le temps des mouvements
contestataires antinucléaires. Le
moment idéal pour ouvrir un ma­
gasin de vélos! Comme logo, il a
utilisé celui de son hôtel. L’aigle
symbolisant la liberté était facile­
ment compréhensible, mais dans
le nom MTB Cycletech, l’abrévia­
tion «MTB» était inconnue au ba­
taillon. Aujourd’hui, c’est le syno­
nyme anglais de «VTT».
Distribution de marques cultes
Au début, ce n’étaient pas ses VTT
qui occupaient le devant de la
scène, mais de grandes marques
américaines comme Specialized,
Klein, Mantis, Mountain Goat,
ATE MAGAZINE / MARS 2012
Yeti ou Rock Shox. Le tournant
est venu au milieu des années 90,
lorsque Specialized, son produit
phare, a repris sa propre distri­
bution en main. Très vite, les
concur­rents ont aussi opté pour
d’autres canaux de distribution.
Butch Gaudy a donc décidé de
vraiment lancer la marque MTB
Cycletech et ses quatre magasins
de Berne ont signé un partenariat
avec Cilo, autrefois leader sur le
marché suisse, mais que ses liens
avec le commerce automobile
avaient amené sur le déclin. Juste
avant la fermeture, en 2001, Gau­
dy a racheté un bébé encore sain
et s’est rattaché à l’entreprise Ve­
lobaze à Schlieren qui tombait à
pic, après la faillite de GT, autre
marque de VTT réputée. Il a cédé
Un amour d’acier
Butch Gaudy apprécie comme
per­sonne dans le monde du VTT
qu’on l’estime pour son enga­
gement et ses idées visionnaires.
En 1988 il a confondé Go-Dirt, le
premier magazine en allemand
consacré au VTT. Dans les années
90, le fabricant japonais de tubes
Tange l’a nommé vice-président
pour l’Europe. Ces dernières an­
nées, il a aussi fait partie du jury
dans les deux plus importantes
foires du vélo européennes, l’Ifma
et Eurobike.
Il n’a pas son pareil pour flairer
les tendances. Comme il a su gar­
der son esprit frondeur califor­
nien et ses idées non convention­
nelles, il a toujours suivi sa propre
voie. Au niveau du matériel, par
exemple: dans les années 80, il
­recherchait aux quatre coins du
monde un bon soudeur d’alu. Il l’a
trouvé chez un fabricant japonais
de piscines. En 1994, il a stupéfait
tous les spécialistes à Eurobike en
sortant le premier cadre en car­
bone monocoque à suspension,
développé avec Tinu Schütz à
l’ETH de Zurich. Inversement,
quelques années plus tard il dé­
montrait avec le Carpe Diem que
l’on pouvait fabriquer un vélo
simple et d’excellente qualité en
titane. Mais son grand amour a
toujours été l’acier. Et c’est dans
cette matière qu’il a forgé son pre­
mier vélo à succès, le Papalagi, un
modèle d’excursion qui existe de­
puis un quart de siècle. Autant
dire une demi-éternité dans un
monde où tout va si vite. Et c’est
unique dans toute la branche; le
Papalagi, qui tient son nom du
mot signifiant «pourfendeur du
ciel» aux îles Samoa, ne devait pas
se contenter de jouer les simples
vélos de trekking. Il devait être
un véritable globe-trotter, et c’est
pour cette raison que son cadre a
été réalisé en acier, envers et con­
tre toutes les tendances. Mais pas
dans n’importe quel acier bien en­
tendu, il fallait un alliage de qua­
lité supérieure doté d’une bonne
élasticité. «Steel is real: solide et
stable, confortable à con­duire et
s’il le faut réparable n’importe où
dans le monde», telle est la théorie
de Butch Gaudy. Le Bernois a vu
sa persévérance récompensée il y
a deux ans par un prestigieux prix
de design, le «Goldener Hase».
Le Greenwheel réalise un rêve
Bien sûr, Butch Gaudy ne pouvait
pas ignorer l’essor des vélos élec­
triques, mais il ne voulait pas se
contenter de sortir un produit
pour faire comme tout le monde.
Il fallait qu’il soit à la hauteur de la
renommée de la marque. Le con­
cept développé chez Copenhagen
Wheel, qui avait réussi à caser
toute la propulsion électrique
dans la roue arrière, l’intéressait
beaucoup. Il a donc cherché à en­
trer en contact avec Michael Lin
du MIT (lire page 24 et suivantes).
Deux visionnaires, une même
philosophie. «Aujourd’hui, on re­
cherche des solutions de trans­
ports faciles», explique Butch
Gaudy. «Le vélo électrique vert de
Michael prolonge parfaitement
l’idée de mon moyeu à deux vi­
tesses. Il répond totalement à une
condition de base du cyclisme: les
choses doivent être évidentes.
Reste à espérer que ce concept
aussi séduisant qu’exigeant tien­
dra ses promesses en version de
série et que Butch Gaudy et ses
partenaires trouveront une struc­
ture qui leur permettra de trans­
former cette excellente idée en
succès commercial.
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