douleur du nouveau-né à terme : étude rétrospective de la prise en
Transcription
douleur du nouveau-né à terme : étude rétrospective de la prise en
59 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2001, 140, 59-78 DOULEUR DU NOUVEAU-NÉ À TERME : ÉTUDE RÉTROSPECTIVE DE LA PRISE EN CHARGE DANS UN SERVICE DE RÉANIMATION NÉONATALE (*) A. ALBERT (1) , J.L. DEMARQUEZ M.C. SAUX ( 4 ) (2) , T. MANSIR (3) et La prise de conscience de la douleur en période néonatale, bien que tardive, a permis de développer des stratégies antalgiques jusqu’alors inexistantes pour cette tranche d’âge. L’objectif de ce travail est de dresser un état des lieux de la prise en charge de la douleur du nouveau-né à terme, par le biais d’une étude rétrospective dans l’unité de réanimation néonatale de l’hôpital Pellegrin, à Bordeaux. L’enquête a été réalisée à partir de trente nouveaux-nés à terme hospitalisés dans le service entre Juillet 1998 e t Septembre 1999. L’emploi d’échelles d’évaluation de la douleur est retrouvé dans 1/3 des cas et reste paradoxalement assez dissocié des thérapeutiques antalgiques. Les traitements font appel à des stratégies non médicamenteuses de prévention et de réduction de la douleur ou de l’inconfort d’une part ; des traitements pharmacologiques, essentiellement morphiniques et paracétamol intraveineux, (*) (1) (2) (3) (4) Manuscrit reçu le 15 octobre 2001. Docteur en Pharmacie,11, rue du Temple, 87000 Limoges. Professeur en Médecine, Chef de Service de Réanimation Néonatale au CHU Pellegrin de Bordeaux. Docteur en Médecine, Praticien Hospitalier en unité de Réanimation Pédiatrique au CH de Pau. Professeur en Pharmacie, Chef de Service de Pharmacie Hospitalière au CHU Haut-Lévêque de Bordeaux. 60 d’autre part. Notre travail propose un arbre décisionnel de prise en charge de la douleur du nouveau-né à terme. Cette étude traduit la complexité de la prise en charge de la douleur en réanimation néonatale et les efforts consentis par les soignants. La formation des équipes, l’emploi judicieux d’outils d’évaluation validés, l’établissement de consensus thérapeutiques sont des prérequis essentiels à une prise en charge de qualité. INTRODUCTION « Le premier pas vers le bonheur, affirmait Jean-Jacques Rousseau, est de ne point souffrir ». Or, la réalité de la perception douloureuse en période néonatale ne s’est imposée que tardivement. Pendant longtemps, de nombreux facteurs ont en effet conduit à la négliger : conceptions neurophysiologiques erronées et déni de la douleur, difficulté de l’évaluation, éventail thérapeutique restreint pour cette tranche d’âge, craintes associées à l’usage des morphiniques, etc. Il a fallu attendre les travaux d’Anand en 1987 [1] pour mettre fin à un certain nombre d’idées préconçues et motiver ainsi une nouvelle approche de la douleur du nouveau-né. Méconnaître ou dénier la douleur peut, en effet, avoir des conséquences graves : augmentation de la morbidité et de la mortalité néonatales [2], mémorisation de la douleur [3-5] et exacerbation de la perception ultérieure de stimuli algogènes, forte probabilité de retentissements psychologiques. C’est pourquoi la prévention et le traitement de la douleur du nouveau–né apparaissent comme une obligation médicale et éthique, part intégrante de la prise en charge globale de tout patient hospitalisé. En Septembre 1998, la signature d’un plan d’action triennal ministériel de lutte contre la douleur, complété depuis par de nouvelles circulaires, traduit la volonté d’engager des efforts dans ce domaine, etc. Efforts d’autant plus nécessaires qu’une enquête organisée en octobre 1998 par l’Association pour le Développement de l’Analgésie Pédiatrique et financée par le Secrétariat d’État à la Santé dévoile l’hétérogénéité et l’insuffisance de la prise en charge de la douleur chez l’enfant, et tout particulièrement chez le nourrisson de moins d’un an [6]. 61 À l’heure où la douleur du tout-petit ne peut plus être ignorée, nous avons souhaité faire le point sur sa prise en charge en milieu hospitalier : comment est-elle appréhendée en pratique ? Quels en sont les points forts, mais aussi les principaux écueils ? Nous avons dans ce but mené une étude rétrospective, portant sur l’évaluation de la douleur, l’instauration de traitements antalgiques et le suivi de leur efficacité dans un service de réanimation néonatale. MÉTHODE Cette étude a été menée dans le service de Réanimation Néonatale de l’hôpital Pellegrin, à Bordeaux. Les nouveaux-nés ont été dans un premier temps sélectionnés selon les critères d’inclusion suivants : - hospitalisation en service de réanimation néonatale entre Juillet 1998 et Septembre 1999, - terme supérieur à 37 semaines d’aménorrhée, - douleur potentielle associée à des gestes médicaux (douleur de fond ravivée par des soins douloureux, techniques invasives comme pose de cathéters centraux, drainage, intubation), à une chirurgie (phase post-opératoire neurochirurgicale, digestive, etc.), à une pathologie médicale (entérocolite ulcéronécrosante, etc.) ou traumatique (hémorragie méningée, traumatismes obstétricaux, etc.). Puis, l’analyse des dossiers médicaux et les observations recueillies auprès du personnel soignant ont fourni différentes données : - caractéristiques du nouveau-né : sexe, terme, poids à la naissance, conditions d’accouchement, motif(s) et durée d’hospitalisation, ventilation, intubation, pratique d’une sédation. - douleur du nouveau-né : nature et origine, modalités de l’évaluation (grilles employées, périodicité de la cotation, motif(s) d’arrêt), traitements antalgiques (caractéristiques principales de la prescription antalgique, effets indésirables, corrélation entre scores de douleur et traitement antalgique, motif(s) d’arrêt de l’antalgie). 62 Les résultats ont été analysés selon trois grands axes, correspondant aux étapes majeures de la prise en charge de la douleur : en premier lieu, reconnaissance et évaluation de la douleur ; puis instauration de traitements antalgiques médicamenteux et / ou non médicamenteux ; enfin, suivi de l’efficacité des thérapeutiques antalgiques grâce à l’appréciation régulière de l’intensité de la douleur. RÉSULTATS Sur l’ensemble des nouveaux-nés hospitalisés dans le service de Juillet 1998 à Septembre 1999, trente patients ont répondu aux critères d’inclusion. Évaluation de la douleur Alors que l‘appréciation de signes cliniques sans score de douleur (évaluation « empirique ») est couramment transcrite dans les dossiers de soins, l’emploi d’échelles d’évaluation (évaluation « objective ») n’est effectué que pour un tiers des nouveaux-nés (Tableau I). La cotation est alors généralement réalisée par les infirmières, suite à une prescription médicale. L’établissement de scores de douleur est majoritairement effectué en phase post-opératoire (70 %), situation pour laquelle la douleur est plus systématiquement anticipée. Le choix des grilles utilisées n’est cependant pas nettement corrélé à la nature de la douleur (aiguë, prolongée, ou post–opératoire). Par ailleurs, seulement 30 % des grilles réalisées ont été jointes au dossier médical. La périodicité moyenne de l’évaluation est faible (scores réalisés 2,7 fois en moyenne par jour pour un même patient), tout comme sa durée (cotation effectuée pendant seulement 2 jours et demi en moyenne, et pourtant d’autant plus indispensable que la douleur est prolongée). 63 Tableau I : Évaluation de la douleur des nouveaux-nés par des grilles comportementales Fréquence d’emploi des grilles d’évaluation de la douleur cotation des douleurs d’origine médicale (entérocolite ulcéronécrosante, etc.) ou traumatique (hémorragie méningée, traumatismes obstétricaux, etc.) taux de cotation effective de la cotation des douleurs d’origine chirurgicale (phase post-opératoire douleur : neurochirurgicale, digestive, etc.) 33,3 % cotation des douleurs dues aux soins invasifs (pose de cathéters centraux, drainage, intubation, etc.) en phase post- grille Amiel-Tison opératoire grilles non identifiées Nature des grilles utilisées Périodicité moyenne de l’évaluation autres situations douloureuses 0% 70 % 30 % 20 % 50 % échelle de douleur du prématuré – Réanimation PellegrinEnfants 1994 10 % grilles non identifiées 20 % périodicité journalière moyenne 2,7 fois / j intervalle de temps moyen entre deux cotations 2 heures Délai moyen entre constatation d’un état algique / début de cotation moins d’1 jour Durée moyenne de l’évaluation 2 jours 1/2 Motifs de l’arrêt de l’évaluation situation non algique 60 % transfert dans un autre service 0% décès 0% non précisés 40 % 64 Corrélation entre intensité thérapeutique antalgique de la douleur et choix de la 25 20 15 48:00:00 10 5 0 78:25:00 3 54:00:00 3 43:30:00 4 38:30:00 4 32:30:00 14:50:00 4 27:30:00 1 20:00:00 1 11:00:00 0:30:00 5 24:00:00 10 Posologie (µg /kg /h) 12 10 8 6 4 2 0 0:00:00 Score L’évaluation « empirique » de la douleur s’accompagne de tentatives d’apaisement et de modification de la prescription antalgique initiale. Néanmoins, il n’apparaît pas d’adéquation nette entre l’évolution des scores et celle des posologies antalgiques. Nous avons établi, pour chaque enfant ayant bénéficié d’une cotation de la douleur, un graphique exprimant les variations de scores et de posologies antalgiques en fonction du temps : paradoxalement, ces deux paramètres évoluent de manière indépendante. À titre d’exemple, le cas du patient 3 est représenté sur la Figure 1. Alors que la douleur post-opératoire du patient fluctue entre 1 et 10 sur une période de 32 heures, la thérapeutique antalgique administrée reste inchangée. Temps (heures cumulées) SCORE FENTANYL MORPHINE Fig. 1 : Graphique scores de douleur / Posologies antalgiques (exemple du patient 3) Traitements antalgiques Traitements non médicamenteux Les soins infirmiers sont organisés de manière à prévenir ou réduire l’inconfort et la douleur des nouveaux-nés (Tableau II). 65 Tableau II : Stratégies infirmières de réduction des situations inconfortables / douloureuses - soins regroupés, pose de voies veineuses périphériques limitant le nombre de prélèvements, - fixation des pansements à l’aide de bande élastique cohésive (COHEBAN®) et non de sparadraps traditionnels, - utilisation de moustaches de sonde d’intubation et électrodes de Particularités petite taille, d’exécution des soins douloureux - emploi de sonde digestive siliconée, - l’administration de solution de saccharose 25 % avant les micro prélèvements au talon est peu fréquente (2 %), - l’application de crème EMLA® (4 % des cas) au site de prélèvement est seulement réalisée pour les soins prévus assez longtemps à l’avance (ponction lombaire notamment). - installation douillette : membres non attachés, petits sacs placés sous les épaules (dégagement des voies aériennes supérieures) et du bassin (prévention des déformations orthopédiques), corps ceint d’une sorte de « nid » de draps, Soins de nursing et de cocooning - massages quotidiens du corps, en particulier plis et points d’appui (prévention d’œdèmes et d’escarres). La préservation de l’état cutané est d’autant plus importante que les enfants hospitalisés en réanimation ont souvent un état général médiocre. Précautions relatives à l’environnement et la dimension affective - environnement le moins agressif possible ; lumières éteintes la nuit, sauf si l’enfant nécessite des soins ou une surveillance particulière, - les parents qui le désirent sont associés au suivi de leur enfant. Traitements antalgiques médicamenteux Durant l’étude, il n’existait pas dans le service de protocole thérapeutique antalgique écrit. Vingt-six nouveaux-nés (soit 86,7 %) ont bénéficié d’une thérapeutique antalgique médicamenteuse, les produits utilisés appartenant aux trois paliers définis par l’O.M.S. (Figure 2). Cependant, tous les enfants traités ont reçu des analgésiques opioïdes, seuls ou associés à d’autres classes thérapeutiques (Figure 3). Parmi les associations antalgiques (23 % des cas), la combinaison paracétamol (PRODAFALGAN®) + morphine est utilisée chez la moitié des patients (49 %). 66 AUTRES 5% PALIER 1 18 % PALIER 3 66 % PALIER 2 11 % Fig. 2 : Taux d’utilisation des antalgiques durant la période de l’étude : répartition par palier antalgique ® 2 % DOLIPRANE 2 % SACCHAROSE 2 % SUFENTA® ® 4 % EMLA ® 2 % EFFERALGAN 32 % FENTANYL ® 14 % PRODAFALGAN ® 11 % NUBAIN 31 % MORPHINE Fig. 3 : Taux d’utilisation des antalgiques durant la période de l’étude : répartition par spécialités antalgiques Par ailleurs, dans 73 % des cas, le traitement comporte une succession de médicaments antalgiques ; le relais fentanyl puis morphine est le plus fréquent (44 %). 67 Dans 53 % des cas, l’effet sédatif des opioïdes est renforcé par celui de benzodiazépines, notamment le midazolam (HYPNOVEL®). Le relâchement musculaire par curarisation (bromure de vécuronium, NORCURON®) est recherché dans 30 % des cas. Enfin, l’équipe médicale a signalé une possible rigidité thoracique lors de l’emploi de fentanyl et un seul cas de syndrome de sevrage (3 %). Le principal motif d’arrêt des antalgiques est l’absence de manifestation ou de situation douloureuse (Figure 4). hospitalisation > 1 mois 8% situation non algique 62 % changement de service 15 % décès 15 % Fig. 4 : Circonstances d’arrêt de la prescription antalgique DISCUSSION La prise en charge de la douleur, déjà difficile chez l’enfant en période néo-natale, est encore plus délicate dans le contexte de la réanimation où l’étude a été réalisée. Dans l’unité dédiée à l’urgence, la priorité des soins est naturellement accordée au maintien des fonctions vitales. Le petit patient est confronté à des douleurs d’origine multiple : dues à la pathologie (aiguës pour le plus grand nombre), et / ou liées à des gestes 68 techniques (prélèvements, pose de cathéters, aspirations, drainage, etc.). Les manifestations douloureuses aiguës (gémissements, crispation du visage, hypertonie des membres, position antalgique, etc.) ne doivent pas occulter les douleurs prolongées et chroniques, souvent silencieuses (« enfants trop calmes » en état d’atonie psychomotrice). L’environnement est inconfortable [7-8] : séparation de l’environnement familial, situation d’inconfort, environnement sonore et lumineux agressif, intubation, ventilation assistée, etc. Tous les nouveaux–nés sous antalgiques étudiés étaient sédatés : l’inhibition comportementale engendrée par la sédation et / ou la relaxation musculaire est susceptible de masquer des manifestations douloureuses. Le contexte réanimatoire modifie donc les réactions comportementales des nouveaux-nés hospitalisés et module l’expression de la douleur dont l’évaluation n’en est que plus difficile. Le personnel de cette unité ne disposant pas de consignes strictes d’évaluation des différentes douleurs, plusieurs facteurs peuvent expliquer la faiblesse de la cotation de celles-ci : L’absence d’échelles d’évaluation validées pour le nouveau-né à terme en réanimation néonatale. Néanmoins, il est à possible d’utiliser différents scores selon la nature de la douleur diagnostiquée [9] : - pour les douleurs aiguës : l’échelle de Douleur Aiguë chez le Nouveau-né (DAN) proposée par Carbajal et al. [10], le Premature Infant Pain Profile (PIPP) proposé par Stevens et al. [11] ou le Neonatal Infant Pain Scale (NIPS) établi par Lawrence et al. [12], - pour les douleurs post-opératoires : le score Amiel-Tison [4,13], ou le Crying - Requires increased oxygen administration - Increased vital signs - Expression Sleeplesness (CRIES) proposé par Krechnel et Bildner [14], - enfin, pour les douleurs prolongées : l’Échelle de Douleur et d’Inconfort du Nouveau-né (EDIN) proposée par Debillon [15-16]. Dans le service, les échelles de douleur validées pour le nouveau-né à terme ne sont employées qu’en situation chirurgicale (questionnaire douleur Amiel-Tison). Dans les autres cas, une grille propre au service, conçue pour le prématuré en réanimation, est utilisée. Le choix de l’échelle dépend, par ailleurs, de la nature de la douleur ressentie. Or, dans les dossiers, la nature de la grille utilisée n’est mentionnée que dans 30 % des cas. Dans ces 69 conditions, il est difficile d’apprécier la pertinence de l’échelle choisie en fonction de la situation clinique dans 70 % des cas. Les échelles sont perçues comme longues à remplir et d’emploi peu commode. L’hétérogénéité d’évolution des scores selon les grilles ne facilite ni la rapidité ni la validité de la cotation obtenue - score maximal pour un comportement douloureux sévère (échelle propre au service), ou inversement (échelle Amiel Tison). Au manque de souplesse des grilles s’ajoute la charge de travail, souvent lourde en réanimation. La prise en charge optimale de la douleur implique, par ailleurs, une formation spécifique de l’équipe soignante à la reconnaissance et l’évaluation des manifestations douloureuses néonatales. L’emploi d’outils d’évaluation de la douleur validés offre de multiples intérêts [17-19] : réduction de la part de subjectivité inhérente à toute évaluation (systématisation de l’observation et du recueil de données), amélioration de la spécificité et de la sensibilité (signes les plus pertinents de douleur regroupés en grandes familles de symptômes), cohérence de l’évaluation accrue (outil d’évaluation commun, reproductible, autorisant la comparaison de scores pour un même patient), quantification de la douleur (chaque item a un score). Des échelles permettant de mieux dépister la douleur, de guider le choix thérapeutique initial et de suivre l’efficacité de l’antalgie pratiquée doivent être mise en place et leur usage systématique dans les situations douloureuses. La thérapeutique antalgique devrait être en relation avec les scores de douleur et fonction de la situation clinique du nouveau-né. Or, l’étude révèle une faible corrélation observée entre les scores de douleur et l’ajustement des thérapeutiques antalgiques qui réduit considérablement l’intérêt de la cotation. Pourtant, l’optimisation de la prise en charge n’est possible qu’avec la généralisation de l’emploi d’échelles d’évaluation de la douleur et par la mise en place du protocole des traitements antalgiques adaptés aux scores. La mise en place d’une thérapeutique antalgique, comportant ou non des médicaments antalgiques, implique une parfaite coordination entre les différentes équipes du service. La qualité de l’installation du petit patient et le respect de son sommeil la réduction des nuisances sonores et lumineuses [21-23], l’amélioration des protocoles infirmiers sont essentiels : il s’agit d’éviter les gestes douloureux inutiles, et de réaliser les soins nécessaires avec une même efficacité pour une douleur moindre [21,23-27]. [20-22], 70 Le choix des antalgiques, restreint en période néonatale, est fondé sur l’intensité de la douleur et l’environnement clinique du petit patient (assistance ventilatoire en particulier). Dans notre étude, les nouveaux-nés traités ont bénéficié précocement d’une antalgie par opioïde par voie intraveineuse, justifiée par la sévérité des douleurs. L’usage des opioïdes en période néonatale, bien que fréquent en pratique quotidienne, reste encore toutefois hors des indications de l’Autorisation de Mise sur le Marché. Les particularités pharmacodynamiques et pharmacocinétiques de la période néonatale [28-30], associées aux variations intra- et interindividuelles imposent rigueur, prudence et personnalisation des prescriptions. L’administration des différents antalgiques nécessite en outre une surveillance clinique étroite dans un environnement technique adéquat. L’emploi du fentanyl (32 %) ou de la morphine (31 %) est conditionné par la stabilité des fonctions hémodynamique et / ou respiratoire du nouveau-né hospitalisé : lorsque les nouveaux-nés sont hémodynamiquement stables en respiration spontanée, la morphine est préférée au fentanyl et au sufentanil. L’usage de ces derniers, à fort effet dépresseur respiratoire, est réservé aux sujets ventilés [31-32]. La nalbuphine est utilisée dans une moindre proportion (11 %). Cet antalgique de puissance moyenne est intéressant pour son moindre risque de dépression respiratoire, sa bonne tolérance hémodynamique et cardiaque. Néanmoins, son effet sédatif puissant [33], sa courte durée d’action [33-34], et l’existence d’un effet plafond limitant certes ses effets secondaires (respiratoires et digestifs), mais aussi son pouvoir analgésique [31,34], restreignent son usage. Certains auteurs [20,35] estiment que la nalbuphine lève l’action analgésique des morphiniques et conseillent de différer son emploi lors d’un relais entre ces deux catégories d’opioïdes ; d’autres n’estiment pas cette précaution utile [33]. L’association antalgique la plus fréquemment rencontrée est celle du paracétamol avec un morphinique (83 %) : cette combinaison synergique permet d’accroître l’effet analgésique, tout en réduisant les doses opioïdes et donc la survenue d’effets secondaires. L’association morphiniques/benzodiazépines (53 % des cas), majorant la sédation et la dépression respiratoire, nécessite une surveillance accrue. Par ailleurs, l’association fentanyl/midazolam (35 % des cas) potentialise l’effet hémodynamique des deux produits avec risque d’hypotension grave. 71 Les techniques d’anesthésie locale (crème EMLA®), permettant de prévenir la douleur occasionnée par des soins répétés et quotidiens [7,36-37], restent peu utilisées (4 %). Les raisons invoquées sont d’ordre essentiellement pratique : délai de 1 h 30 à respecter entre l’application de l’anesthésique et l’acte douloureux, changement au dernier moment de site de prélèvement, etc. L’emploi de solution de saccharose est également faible (2 %). Ce moyen simple et peu coûteux est pourtant utile lors de gestes peu douloureux, tels les microprélèvements. Il est ainsi conseillé d’administrer 0,5 à 2 ml de saccharose, à au moins 12 %, 2 minutes avant le geste. Quelques réserves doivent toutefois conduire à la prudence : association du goût sucré et de la sensation douloureuse, problème de tolérance, risque d‘hyperglycémie secondaire [38-40]. La pose systématique en réanimation néonatale d’une voie IV, périphérique ou centrale, présente des avantages nombreux [27] : nombre d’injections douloureuses restreint, limitation du nombre des manipulations, stabilité des concentrations plasmatiques, rapidité d’action des médicaments. L’administration intraveineuse continue est parfois complétée par des IVD de moins de cinq minutes, précédant des actes douloureux. Toutefois, pour le fentanyl, les perfusions courtes d’au moins 15 minutes sont à préférer aux injections rapides majorant les risques de rigidité thoracique [35]. Les prescriptions discontinues ou « à la demande », qui exposent l’enfant à des accès douloureux, sont à éviter [27]. Les posologies antalgiques sont à adapter en fonction de l’état clinique, apprécié subjectivement ou par le biais d’une cotation de la douleur ; toute modification devrait reposer sur la réévaluation du score de douleur. La diminution progressive du traitement par morphinique permet, par ailleurs, de prévenir tout syndrome de sevrage. La valeur faible du coût global des médicaments antalgiques (environ 0,26 euros / jour / nouveau-né, dans notre étude), ne peut être un frein au traitement pharmacologique de la douleur. La prise en charge de la douleur est en outre susceptible de réduire la morbidité des sujets, la durée et donc le coût de l’hospitalisation. L’absence de protocole d’évaluation de la douleur et de consensus thérapeutique antalgique en réanimation néonatale a conduit à la proposition d’un arbre décisionnel (Figure 5). Cet outil a été construit à partir des données 72 DIAGNOSTIQUER LA DOULEUR reconnaissance de la sémiologie des manifestations douloureuses chez le nouveau-né nouveau-né douloureux DÉTERMINER LA NATURE DE LA DOULEUR douleur neurogène (non développée) nouveau-né non douloureux réévaluation régulière selon l’évolution de l’état clinique, la réalisation de gestes douloureux douleur par excès de nociception ÉVALUER L’INTENSITÉ DE LA DOULEUR emploi de grilles d’évaluation comportementales évaluation de la douleur aiguë évaluation de la douleur post-opératoire évaluation de la douleur prolongée échelles DAN, PIPP, NIPS échelles AMIEL TISON, CRIES échelle EDIN TRAITER LA DOULEUR - traitement de la cause - traitement du symptôme traitements non médicamenteux respect de la dimension affective traitements médicamenteux prise en charge infirmière confort du nouveau-né prescription d’antalgiques, gestion des effets secondaires et surveillance clinique anticipation et prévision de la douleur EMLA saccharose douleurs légères : paracétamol si échec ou douleurs modérées : nalbuphine si échec ou douleurs intenses : morphine, fentanyl et analogues SUIVRE L’EFFICACITÉ DE L’ANTALGIE poursuivre / ajuster / arrêter le traitement Fig. 5 : Arbre décisionnel de prise en charge de la douleur chez le nouveau-né à terme 73 de la littérature et s’est enrichi des résultats de l’étude menée dans le service, en collaboration avec les équipes soignantes. L’arbre décisionnel hiérarchise et systématise les différentes étapes de la prise en charge de la douleur, afin d’optimiser la thérapeutique antalgique et reprend les étapes classiques de la démarche validée par l’adulte en les adaptant au nouveau-né à terme : - diagnostic précoce (et, mieux, anticipation) de la douleur, - évaluation de son intensité grâce à des grilles de cotation adaptées à la situation clinique, - choix du traitement antalgique selon l’intensité de la douleur et l’environnement clinique du nouveau-né, - suivi régulier de l’efficacité de l’antalgie, par réévaluation régulière des scores de douleur. CONCLUSION La formation des soignants, la coopération des différentes équipes, l’établissement de consensus thérapeutiques permettant l’échange et l’harmonisation des pratiques, apparaissent essentiels. La prise en charge de la douleur, dont l’hétérogénéité est encore plus criante en période néonatale, est avant tout un travail d’équipe, multidisciplinaire. De nombreux efforts ont déjà été engagés dans la prévention et la lutte contre la douleur. L’étude menée dans le service de Réanimation Néonatale a contribué à la sensibilisation des personnels aux situations douloureuses. Elle a permis une réflexion sur la prise en charge des douleurs du nouveau-né et la mise en place d’une démarche décisionnelle consensuelle. L’évaluation de cette démarche devra être réalisée d’ici quelques mois. La lutte contre la douleur, sans entraver les soins de base, doit être un combat de tous les jours, renversant les « habitudes de service » et intégrant à son organisation l’expérience d’autres unités : le bien-être et la qualité de vie des nouveaux-nés hospitalisés en dépendent. 74 RÉFÉRENCES 1- Anand (K.J.S.), Hickey (P.R.) - Pain and its effects in the human neonates and fetus. - New England Journal of Medicine, 1987, 317, 1321-1329. 2- Anand (K.J.S.) - Neonatal Stress Responses to Anesthesia and Surgery. - Clinics in Perinatalogy, 1990, 17, 207-214. 3- Porter (F.) - Pain in the newborn. - Clinics in Perinatalogy, 1989, 16(2), 549-564. 4- Pichard-Leandri (E.) - Neurophysiologie du nouveau-né confronté à la douleur. - Douleur et Analgésie, 1998, 4, 161-166. 5- Basbaum (A.) - Memories of pain. - Science & Medicine, 1996, 11, 22-31. 6- Annequin (D.) - Enquête Nationale sur la Prise en charge de la Douleur chez l’Enfant, financée par la Direction Générale de la Santé, sous la direction de Annequin (D.), Octobre 1998, site Internet www.pediadol.org. 7- Baujard (C.), Mandel (R.), Durand (P.), Al Hosri (J.), Devictor (D.) La douleur en réanimation pédiatrique. - Annales de Pédiatrie, 1999, 46(4), 239-244. 8- Wood (C.) - Prise en charge de la douleur en réanimation pédiatrique. Revue Internationale de Pédiatrie, 1997, n° Hors Série, 53-56. 9- Debillon (T.), Gras-Leguen (C.), Boscher (C.), Fleury (M.A.) - Les grilles d’évaluation de la douleur chez le nouveau-né : revue de littérature. - Douleur et Analgésie, 1998, 4, 167-172. 10 - Carbajal (R.), Paupe (A.), Hoenn (E.), Lenclen (R.), Olivier-Martin (M.) - DAN : une échelle d’évaluation comportementale de la douleur aiguë du nouveau-né. - Archives de Pédiatrie, 1997, 4(7), 623-628. 11 - Stevens (B.), Johnston (C.), Petryshen (P.), Taddio (A.) - Premature Infant Pain Profile: Development and Initial Validation. - Clinical Journal of Pain, 1996, 12(1), 13-22. 75 12 - Lawrence (J.), Alcock (D.), McGrath (P.), Kay (J.), MacMurray (S.B.), Dulberg (C.) - The development of a tool to assess neonatal pain. - Neonatal Network, 1993, 12(6), 59-66. 13 - Cheru (F.), Ducasse (C.), Thuret (C.) - La douleur de l’enfant : spécialité de l’évaluation. - In éd. Sauramps médical, 7 e Congrès annuel SOFRED, 1997, 223-236. 14 - Krechel (S.W.), Bildner (J.) - C.R.I.E.S. : a new neonatal postoperative pain measurement score. Initial testing of validity and reliability. - Paediatric Anaesthesia, 1995, 5(1), 53-61. 15 - Lassauge (F.), Paris (I.), Zyka (F.) - Douleur du nouveau-né en maternité, proposition de validation de l’échelle de douleur et d’inconfort du nouveau-né (E.D.I.N.). - In Sixième Journée, La douleur de l’enfant : quelles réponses. ATDE / direction générale de la santé, 13 Novembre 1998, 73-77. 16 - Ravault (N.) - Validation d’une échelle d’évaluation de la douleur en néonatalogie. - La lettre de Pediadol, 1996, 6. 17 - Debillon (T.) - Évaluation et prise en charge de la douleur chez le nouveau-né. - Revue Internationale de Pédiatrie, 1997, n°Hors Série Juin, 49-52. 18 - Annequin (D.) - L’évaluation de la douleur chez l’enfant. - In Journées d’Enseignement Post-Universitaire de Trousseau, Réalités pédiatriques, 1998, (28), 64-70. 19 - Gauvain Piquard (A.) - Principe de validation des échelles d’évaluation de la douleur. - In Sixième Journée, La douleur de l’enfant : quelles réponses. ATDE / direction générale de la santé, 13 Novembre 1998, 7–10. 20 - Feldman (M.) - La douleur du prématuré et du nouveau-né. - In Ecoffey (C.), Murat (I.) La douleur chez l’enfant. éd. Médecine-Sciences Flammarion 1999, 133-147. 21 - Fuks (M.) - La douleur chez l’enfant. - Magazine Infirmière, Mars 1995, (92), 68-73. 22 - Lelain (F.), Defosse (T.), Carbajal (R.) - La douleur chez le nouveau–né. - Soins Pédiatrie, Puériculture, 1997, (177), 29-30. 76 23 - Vial (M.) - L’environnement du bébé hospitalisé : comment l’améliorer ? - In Bensoussan (P.) Le bébé à l’hôpital. éd. Syros, 1995, 53-67. 24 - Travail Groupe Infirmier PEDIADOL - Stratégies non médicamenteuses de prise en charge de la douleur de l’enfant. In Cinquième journée, la douleur de l’enfant : quelles réponses. ATDE / direction générale de la santé, 17 Janvier 1997, 12-26. 25 - Tyzio (S.), Ledoux (Y.), Fresco (O.) - Enquête sur les pratiques infirmières en néonatalogie. In Septième journée, la douleur de l’enfant, quelles réponses, ATDE / direction générale de la santé, 3 Décembre 1999, 25-34. 26 - Demeusy (S.), Kinzelin (N.) - L’infirmière face aux microprélèvements en néonatalogie. - In Sixième journée, La douleur de l’enfant : quelles réponses, ATDE / direction générale de la santé, 13 Novembre 1998, 113-122. 27 - Debillon (T.) - La douleur en réanimation pédiatrique. - In Ecoffey (C.), Murat (I.) La douleur chez l’enfant. éd. Médecine-Sciences Flammarion, 1999, 127-132. 28 - Varin (F.) - Âge et insuffisance hépatique. - In Leblanc (P.P.), Aiache (J.M.), Besner (J.G.), Buri (P.), Lesne (M.) Traité de biopharmacie et pharmacocinétique. 1992, 325-331. 29 - Murat (I.) - Particularités pharmacologiques de l’enfant. - In Gosgnach (M.), Chauvin (M.), Riou (B.) Pharmacologie en AnesthésieRéanimation. éd. Arnette, 1998, 109-119. 30 - Labaune (J.P.) - Abrégé de Pharmacocinétique. Paris : Masson éd., 1989. 31 - Spahr-Schopfer (I.) - Analgésiques morphiniques. - In Ecoffey (C.), Murat (I.) La douleur chez l’enfant. éd. Médecine-Sciences Flammarion, 1999, 45-52. 32 - Treluyer (J.M.), Pons (G.) - Pharmacologie des antalgiques chez l’enfant. - Revue Internationale de Pédiatrie, 1997, n° Hors Série, 3-8. 77 33 - Annequin (D.) - Utilisation du NUBAIN® (nalbuphine). - In Cinquième journée, La douleur de l’enfant : quelles réponses. ATDE / direction générale de la santé, 17 Janvier 1997, 137-140. 34 - Dubray (C.) - Utilisation des antalgiques de palier II chez l’enfant. Douleur et Analgésie, 1998, 4, 185-188. 35 - Sizun (J.), Giroux (J.D.), Soupre (D.) - Effets nocifs des traitements antalgiques chez le nouveau-né. - Société de Médecine Périnatale, 1996, 311-317. 36 - Gourrier (E.), Karoubi (P.), El Hanache (A.), Merbouche (S.), Mouchnino (G.), Dhabhi (S.), Leraillez (J.) - Utilisation de la crème EMLA chez le nouveau-né à terme et prématuré, étude d’efficacité et de tolérance. - Journal de Pédiatrie, 1995, 2, 1041-1046. 37 - Gourrier (E.), El Hanache (A.), Merbouche (S.), Mouchnino (G.), Leraillez (J.) - Utilisation de la crème EMLA chez le nouveau-né et le prématuré. - In Cinquième journée, La douleur de l’enfant : quelles réponses, ATDE / direction générale de la santé, 17 Janvier 1997, 32–40. 38 - Carbajal (R.), Chauvet (X.), Couderc (S.), Olivier-Martin (M.), Rossi (G.), Nisand (I.) - Effets analgésiques du sucre oral et de la succion d’une tétine chez le nouveau-né. - In La douleur de l’enfant, quelles réponses, ATDE / direction générale de la santé, Novembre 1998, 97–103. 39 - Ravault (N.), Annequin (D.) - Effet apaisant du sucre chez le nouveau–né : revue de la littérature. - Douleur et Analgésie, 1998, 11, 179-184. 40 - Ravault (N.) - Le saccharose : un antalgique pour le nouveau-né ? Réalités Pédiatriques, 1998, 34, 35-37. 78 ABSTRACT Pain in full-term neonates: A retrospective study in an intensive care unit Although tardive, the awareness of neonatal pain has led to the development of antalgic strategies previously unknown in this age group. The aim of this retrospective study was to conduct an overview of neonatal pain in the neonatal intensive care unit at Pellegrin Hospital, Bordeaux, France. Thirty full-term neonates hospitalized between July 1998 and September 1999 were studied. The value of pain evaluation scales was confirmed in one third of cases but was debatable in the others in which antalgic therapies were required. These treatments involved non–medicamentous prevention strategies and the reduction of pain and discomfort, on the one hand; and pharmacological treatments based mainly on intravenous morphinics and paracetamol, on the other. A decisional tree for the management of pain in such patients is proposed. This study reveals the complexity of managing neonatal pain and the efforts required by the nursing staff. Training of these teams, the judicious use of validated evaluation scales and the establishment of a therapeutic consensus are the pre-requisites for good quality patient management. Key-words: antalgic therapy, full-term neonate, intensive care, pain, pain scales. __________