Quelle Chine, pour quel monde, en 2020 ? Vers quel modèle de

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Quelle Chine, pour quel monde, en 2020 ? Vers quel modèle de
Quelle Chine, pour quel monde, en 2020 ?
Publication 13 décembre 2013
Préface de Jean-Pierre RAFFARIN
En un tiers de siècle seulement, la Chine a rattrapé et dépassé tous les pays du monde sauf les USA
en termes de PNB. On prédit qu’elle leur prendra la première place dans moins de dix ans. D’ores et
déjà, certains se plaisent à imaginer un monde bipolaire dominé par le couple Chine-Amérique.
Cependant, depuis la crise en 2008 du système financier mis aux commandes par l’Amérique, et le
renouveau en novembre 2012 de la gouvernance chinoise lors du XVIIIe congrès, l’idée que la
Chine suivrait une courbe de rattrapage, hier encore assez fidèle à la réalité, perd de son pouvoir
descriptif. Outre que le modèle de référence lui-même ressort brouillé de cette crise, la croissance
chinoise s’avère tendre désormais davantage au développement intérieur qu’au service de la
mondialisation occidentale.
Au moment où semblait se dessiner l’hypothèse d’un G2, elle fait place à une divergence stratégique
à mesure que la Chine se prend toujours davantage elle-même pour projet, tandis que les USA
maintiennent leur préférence pour un magistère universel du commerce.
Cette évolution en train de germer oblige d’ores et déjà tous les autres pays – non pas à choisir leur
camp, on n’est plus en guerre froide – mais à engager pour leur part des stratégies appropriées pour
s’adapter à cette nouvelle donne, et si possible peser sur son cours futur.
C’est tout spécialement vrai de l’Union Européenne, première puissance économique mondiale mais
instance paralysée par son manque d’unité, de qui on attend qu’elle concoure activement au
remodelage du monde qui se dessine.
Cent ans après son collapsus de 1914, elle n’en retrouvera l’énergie que dans une plus grande unité
de vues franco-allemande. Cinquante ans après avoir, la première, reconnu la République Populaire
de Chine, la France est en outre à l’honneur pour impulser en 2014 un partenariat amplifié entre
l’Europe et la Chine.
À la veille de cette année riche en possibilités fécondes, la Fondation Prospective et Innovation a tenu
à en éclairer l’avenir en traitant, au Futuroscope, de Quelle Chine dans quel monde en 2020 ?
Vers quel modèle de développement Chinois ?
Publication 13 décembre 2013
Préface de Jean-Pierre RAFFARIN
La Chine du XXIè siècle nous pose une question troublante. Quoi de plus dérangeant que de voir
quelqu’un qu’on croyait occupé à vous rattraper vous dépasser et prendre un autre chemin que celui
sur lequel on croyait le précéder à jamais?
C’est pourtant bien ce qui se passe. On savait la Chine vingt fois plus nombreuse que la France, ou
deux fois et demi plus que l’Union Européenne, mais cela se compensait en termes de PIB par
habitant : la Chine mettrait du temps à remonter de la 93è place, juste devant la Bosnie Herzégovine
ou la Tunisie avec 4 300 $ par tête environ, jusqu’aux 108 831 $ de chaque Luxembourgeois ou à la
18è place de la France, dont chaque citoyen est à peu près dix fois plus riche qu’un Chinois.
Or, tel est exactement l’ambition de la Chine : reprendre la première place qui fut la sienne au fil des
millénaires jusqu’à la parenthèse des deux derniers siècles. Elle a prouvé sa capacité à le faire en
réalisant en trente ans un rattrapage prodigieux, dont la poursuite fera d’elle vers 2030 la première
puissance économique mondiale. Mais on se trompe peut être lourdement en ne voyant que l’aspect
rattrapage, qui nous séduit par la validation implicite qu’il comporte de notre propre mouvement.
Car la Chine d’après le XVIIIè Congrès du Parti Communiste qui a confié à une nouvelle direction
le soin de mettre en œuvre son XIIè Plan tend aujourd’hui à se définir par triangulation, et non plus
selon le seul vecteur linéaire d’un rattrapage de l’Occident, qui était le premier but fixé par Deng
Xiaoping, dans la ligne encore du Maoisme d’antan.
Le premier sommet de ce triangle de repérage, c’est la relance de la réforme pour aujourd’hui : par
sa simple dynamique, la croissance chinoise a créé le besoin d’une refonte de ses conditions pour se
poursuivre plus avant : réforme urbaine, réforme financière, réforme juridique, réformes sociales sont
à présent requises, voire urgentes.
Le second sommet est alors le passé, dans sa double dimension : d’une part, il propose à la méditation
des dirigeants l’exemple d’une supériorité alors incontestée, qu’il s’agit de recouvrer — c’est un
horizon mental essentiel, mais qui ne correspond pas du tout à l’idée d’égaler ni imiter l’Amérique.
La Chine grandiose dont il s’agit était à son apogée un millénaire avant qu’on ne découvrît l’Amérique,
elle n’a donc rien à chercher du côté de cette dernière en termes d’identité ou de réussite à accomplir.
Mais il y a d’autre part une seconde leçon du passé, à savoir qu’on peut passer complètement à côté
des opportunités majeures amenées par l’histoire et connaitre dès lors humiliation et décadence. La
Chine trouve cette expérience dans les années d’attrition qui la réduisirent à ne compter que pour
moins de 5% de la production mondiale, elle qui en fournissait le quart depuis toujours ! A l’heure
où elle se relève de ce recul historique, elle est spécialement attentive à penser la nature, la portée et
les risques des transitions, c’est le noyau de sa résolution dans la conduite d’une nouvelle
transformation majeure.
Cette transformation est enfin à la fois requise et calibrée par un troisième sommet, qui est la
conscience lucide de ce que l’avenir de l’humanité ne permettra pas la prolongation de la dynamique
initiée par l’Occident, et à laquelle le miracle chinois vient d’apporter une si remarquable extension.
Le progrès demain consistera à transformer complètement la manière de vivre de l’humanité dans un
sens plus compatible avec les limites de son écosystème planétaire, et un pays qui constitue le
cinquième de cette humanité est dans l’obligation d’y travailler le tout premier.
Pour éclairer la transformation de portée historique que la Chine s’apprête à amorcer, nul n’était plus
éclairant à consulter que M. Justin Yifu Lin, hier chief economist et senior vice-President de la
Banque Mondiale, dont les travaux font référence à propos de la Chine et qui est un conseiller écouté
des dirigeants chinois.
En acceptant de venir débattre avec trois éminents économistes français réunis autour de lui par la
Fondation Prospective et Innovation et le CERDI que dirige le professeur Patrick Guillaumont, le
professeur Lin a de beaucoup dépassé l’analyse du cas chinois pour s’élever à une réflexion sur les
conditions générales du développement hier et aujourd’hui.
Le présent livre que la Fondation Prospective et Innovation en tire, comme elle en a l’usage, sous sa
seule responsabilité et non à titre d’actes de la rencontre, est ainsi de nature à éclairer sur les enjeux
majeurs du XXIè siècle, dont c’est peut-être le plus navrant indice pour les Européens de mesurer que
ce ne sont plus eux qui les formulent.
Jean-Pierre
Président de la Fondation Prospective et Innovation
RAFFARIN