Les dessous du Qatar bashing

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Les dessous du Qatar bashing
Les dessous du Qatar bashing :
Les attaques informationnelles contre le Qatar à propos de l'esclavage
salarié.
Contexte géoéconomique et géopolitique
En 2010, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Qatar se disputent
l’attribution de la Coupe du monde de football de 2022. Le Qatar remporte le vote final devant
les Etats-Unis, malheureux finalistes. Cette décision de la FIFA rend perplexes de nombreuses
personnes, dont le président Barack Obama qui indique alors que « ce choix est une mauvaise
décision ». Des rumeurs de corruption émergent quant à l’attribution de cette Coupe du monde,
et la polémique enfle.
Les enjeux économiques sont colossaux : dans le cadre de la préparation de cette Coupe du
monde, le Qatar mène d’intenses travaux de remise à niveau de son réseau d’infrastructures.
L’Etat qatari s’est ainsi doté d’un budget de 64 milliards de dollars pour rénover métros,
tramways, stades, réseaux d’assainissement etc.
Ces travaux colossaux sont menés par plus d’un million et demi de migrants, représentant 94%
de la main d’œuvre au Qatar. Ces migrants travaillent le plus souvent dans des conditions
précaires et sont soumis à la « kafala », système de « parrainage » qui oblige les étrangers
souhaitant travailler dans un pays du Golfe de disposer d’un « parrain », qui devient alors leur
« sponsor ». A ce titre, les travailleurs étrangers sont les cibles d’abus : confiscation de
passeport, bas salaires, mauvaises conditions de travail. L’Organisation internationale du travail
assimile cette pratique à de l’esclavage moderne. Il est également important de souligner le
nombre élevé de décès de travailleurs immigrés sur les chantiers qataris.
Depuis l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar en 2010, cette précarité extrême est
au centre des revendications officielles et publiques des organisations non gouvernementales et
des organisations syndicales internationales. Celles-ci exercent une forte pression sur le Qatar
afin que celui-ci aligne sa législation du travail sur celle de l’Organisation internationale du
travail, agence spécialisée de l’ONU de légitimité internationale.
Présentation des acteurs impliqués
Organisations non gouvernementales
• Sherpa
Association basée à Paris ayant pour objectif de « protéger et défendre les populations victimes
de crimes économiques », elle porte plainte en mars 2015 contre l’entreprise Vinci, qu’elle
accuse entre autres de travail forcé au Qatar. Elle est aidée dans cette démarche par le syndicat
CGT de Vinci, qui fait office notamment de relais d’opinion.
• Human Rights Watch (HRW)
Basée à New York, la mission de cette association est de « défendre les droits de l'homme et le
respect de la Déclaration universelle des droits de l'homme ». Dans l’affaire du Qatar, elle cible
principalement l’Etat qatari lui-même, ainsi que la FIFA afin que celle-ci use de son influence
pour que le Qatar réforme sa législation.
• Amnesty International
Cette association s’oppose à toutes formes de torture, de peines de mort et « d’entrave à la
liberté individuelle ». Dans cette polémique « d’esclavagisme moderne », elle critique
principalement et vertement les dirigeants de la FIFA. Leur campagne s’oriente
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progressivement vers une demande de changement de pays d’accueil pour la Coupe du monde
2022.
Nous pouvons également citer les associations Global Network for Rights and Development
(Norvège) et Anti Slavery International (Royaume-Uni).
Organisations internationales
• Organisation Internationale du Travail (OIT)
Agence spécialisée de l’ONU visant à promouvoir les droits du travail. La Commission
d’enquête de l’OIT est l’un des moyens les plus puissants des Nations Unies pour contribuer à
faire respecter la loi. Elle représente dans cette polémique l’acteur international « légal », vers
lequel les ONG et les organisations internationales se tournent. Elle est appelée plusieurs fois à
statuer et à mener des enquêtes contraignantes envers le fonctionnement du droit qatari.
• Confédération Syndicale Internationale (CSI)
La mission principale de la CSI consiste « à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts
des travailleurs au travers de la coopération internationale entre les syndicats, de campagnes
mondiales et d’actions militantes au sein des principales institutions internationales ». A ce titre,
elle cherche à faire respecter les normes du travail de l’Organisation Internationale du Travail
partout dans le monde. Dans cette affaire qatarie elle est l’un des principaux intervenants,
n’hésitant pas à interpeller avec ardeur l’Etat qatari, la FIFA et le secrétaire général des Nations
Unies Ban Ki Moon. Elle demande plusieurs fois à la FIFA de procéder à un nouveau vote
concernant la Coupe du Monde 2022.
• FIFA
Chargée de l’attribution et de l’organisation de la Coupe du monde 2022, la FIFA est la cible
de critiques virulentes qui la conduisent à mettre en place des organes de contrôle des
législations locales. De plus, entachée dans des polémiques de corruption, sa crédibilité et son
pouvoir d’influence sont mis à mal.
L’Etat du Qatar
Pays hôte de la Coupe du monde 2022, le Qatar est bien évidemment la cible principale des
revendications. Son ministère du travail répond aux revendications de manière positive,
assurant qu’il fait tout son possible pour assurer de bonnes conditions de travail aux travailleurs.
Il conteste régulièrement le nombre de décès avancé par les différents acteurs.
Organes de presse
La presse fait volontiers écho aux articles accusant le Qatar. Premiers relais du « Qatar
Bashing », ils signent des tribunes souvent virulentes et égratignent la législation qatarie
concernant le droit du travail. La presse dans son ensemble insiste également sur la corruption
de la FIFA et à ce titre demande un nouveau vote pour l’attribution de la Coupe du monde 2022.
S’ils sont trop nombreux pour être tous cités, nous avons retenu ici à titre d’exemples Le Monde,
The Guardian, The NewYork Times et The New Republic. Cette liste est bien entendue non
exhaustive.
Personnalités influentes
• Sharan Burrow
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Secrétaire générale de la CSI, elle exerce une grande influence sur l’OIT et n’est pas avare de
commentaires « anti-Qatar » auprès des médias.
Déroulé chronologique de la polémique
Mai 2011
La CSI publie un rapport intitulé « Les faces cachés du miracle du Golfe » dans lequel elle
dénonce les conditions de travail dans les chantiers qataris. A l’issue de ce rapport, la CSI et
l’IBB (Internationale des travailleurs du Bâtiment et du Bois, confédération syndicale
rassemblant les travailleurs de la construction et du bois) ont écrit au président de la FIFA afin
de lui demander publiquement de veiller aux conditions de travail sur les chantiers qataris.
Novembre 2011
Sharan Burrow, secrétaire générale, annonce que la CSI « fera campagne contre la tenue de la
Coupe du Monde 2022 au Qatar » si ce dernier n’améliore pas les conditions de travail des
travailleurs immigrés. Au nom de la CSI, elle condamne alors la décision prise de tenir la
COP18 à Doha, spécifiant que les « droits des travailleurs y sont bafoués » et que le Qatar ne
mérite pas l’attribution de la Convention sur le climat.
Juin 2012
HRW publie un rapport spécialement consacré au Qatar intitulé « construire une meilleure
Coupe du Monde » dans lequel l’association critique le système légal qatari relatif aux
conditions de travail, qu’elle qualifie de « contraire aux règlementations de l’OIT ». HRW
appelle l’Etat qatari à faire évoluer ses lois vers une amélioration des conditions de travail, et
sollicite également la FIFA à faire usage de son influence auprès de l’Etat qatari. Le Ministère
du Travail du Qatar répond à ce rapport par une lettre dans laquelle il s’engage à améliorer les
conditions de travail des travailleurs immigrés.
Juillet 2012
La CSI menace à nouveau le Qatar de faire campagne contre sa Coupe du monde.
Février 2013
HRW s’insurge contre le Qatar, assurant que celui-ci n’a pas respecté sa promesse faite en
matière de réforme du droit du travail.
Mai 2013
La CSI appelle officiellement la FIFA à procéder à un nouveau vote concernant la Coupe du
Monde 2022.
HRW sort une tribune virulente sur son site internet appelant le Qatar à « abolir les exigences
relatives aux visas des travailleurs ».
Septembre 2013
Sepp Blatter, alors président de la FIFA, reconnait que le choix du Qatar était effectivement
une erreur. Il déclare alors que « des chefs de gouvernement européens ont conseillé à leurs
membres qui pouvaient voter de se prononcer pour le Qatar, parce qu'ils étaient liés à ce pays
par des intérêts économiques importants ».
The Guardian publie un article intitulé « Revealed : Qatar’s World Cup Slaves », écrit par Pete
Pattisson, membre de l’ONG Anti Slavery International. Il relaie des informations obtenues par
la CSI et Anti Slavery International selon lesquels 4000 ouvriers mourront sur les chantiers
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qataris d’ici le début de la Coupe du Monde. Il précise également que « l’exploitation et les
abus s’apparentent à de l’esclavage moderne ».
Le journal Le Monde se fait le relais d’un reportage sur le quotidien des immigrés ouvriers qui
travaillent dans des chantiers qataris dans des conditions difficiles.
Octobre 2013La CSI envoie une délégation afin d’accéder aux chantiers qataris afin de procéder
à une « enquête inopinée ». Cette délégation se voit alors refuser le droit de contrôler les
installations et est renvoyée par l’Etat qatari.
Novembre 2013
Dans un rapport intitulé « The Dark Side of Migration : Spotlight on Qatar’s construction sector
ahead of the World Cup », Amnesty International critique les conditions de travail et interpelle
les dirigeants de la FIFA afin que ceux-ci « travaillent avec les autorités du Qatar afin
d’empêcher de telles pratiques ».
La CSI envoie une lettre publique à Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations Unies, afin
de le convaincre de lancer une enquête officielle concernant les conditions de travail au Qatar.
Janvier 2014
HRW indique dans un rapport « de graves abus subis par les migrants travaillant au Qatar » et
accuse le Qatar de rester sourd aux revendications des organisations nationales et humanitaires.
Février 2014
The Guardian signe une enquête conjointe avec le « comité de coordination népalais » qui
stipule « qu’environ 400 népalais et 500 indiens sont morts sur les chantiers qataris». Suite à
cette enquête, Sharan Burrow déclare symboliquement que « le nombre d’ouvriers morts sur
les chantiers qataris surpassera le nombre des joueurs qui joueront dans ces stades ».
Mars 2014
La CSI publie un rapport intitulé « Le Qatar : un cas difficile à défendre » dans lequel elle
fustige les conditions de travail locales.
Mai 2014
Le journal The New Republic estime dans un article intitulé « FIFA Needs to Take the 2022
World Cup Away from Qatar » que le nombre d’ouvriers morts sur les chantiers s’élèvera à
terme à 4000, et demande à la FIFA de relancer un processus de vote afin de « stopper les décès
d’ouvriers immigrés ».
Février 2015
HRW se réjouit dans un communiqué de la pression exercée sur le Qatar, indiquant que cette
pression a permis d’imposer au Qatar une réforme des conditions de travail.
Mars 2015
dans le cadre des chantiers liés à l'organisation du Mondial 2022 de football au Qatar,
l’association Sherpa porte plainte contre Vinci Construction Grands Projets (VCGP) et sa filiale
qatarie QDVC pour travail forcé, réduction en servitude et recel. Le parquet de Nanterre ouvre
une enquête préliminaire pour vérifier les allégations de Sherpa. Cette accusation pousse Vinci
à exercer une pression sur sa filiale qatarie, et entraine la création de chartes éthiques.
Décembre 2015
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la CSI publie un rapport intitulé « Qatar : profits et pertes. » à l’occasion de la « Journée
internationale des migrants » fustigeant les conditions de travail de ces derniers au Qatar et
comparant celui-ci à un « Etat esclavagiste ». Chargeant le Qatar et la FIFA, elle insiste
également sur le rôle des multinationales occidentales chargées de la construction des
infrastructures.
Mars 2016
Suite à une plainte d’une douzaine de pays (dont le Royaume-Uni, la France, le Pakistan et le
Canada) accusant le Qatar de ne pas respecter la convention des Nations Unies sur le travail
forcé, l’Organisation internationale du travail donne 12 mois au Qatar pour réformer sa
législation du travail et garantir des services d’inspection du travail efficaces, faute de quoi le
pays fera l’objet d’une Commission d’enquête de l’OIT en mars 2017 prochain.
Avril 2016
Sous le vent des critiques, le président de la FIFA, Gianni Infantino, annonce la création d’un
organe de surveillance, en charge de contrôler les conditions de travail sur les chantiers des
stades au Qatar. Ce comité de surveillance est créé en fonction des recommandations de John
Ruggie, expert en droits humains, qui a rendu public un rapport commandité par la FIFA
concernant justement la question des droits de l’homme dans les célébrations sportives prévues
par la FIFA.
Amnesty International sort un rapport traitant des abus commis contre les travailleurs immigrés,
intitulé « Le revers de la médaille. Exploitation sur un site de la Coupe du monde de football
Qatar 2022 ». Ce rapport exerce une forte pression sur Gianni Infantino, nouveau président de
la FIFA, afin qu’il « mette à profit ses rencontres avec de hauts responsables qatariens pour
demander une réforme des lois ». Amnesty International insiste également sur le rôle que doit
jouer la FIFA dans l’influence des réformes qataries.
Juillet 2016
Lors de l’Euro de football en France, Amnesty International lance une campagne de
sensibilisation intitulée « J’aime le foot, pas le travail forcé. Dites non au travail forcé au
Qatar ». Cette campagne dénonce l’inaction de la FIFA en tant que « commanditaire principal
des installations ». Cette campagne est accompagnée d’une pétition intitulée « La Fifa ne peut
plus fermer les yeux Signez notre pétition pour demander à la FIFA et ses sponsors de mettre
fin à la terrible exploitation sur les chantiers de la Coupe du monde. »
Septembre 2016
Le Qatar annonce abandonner le système de la « kafala ».
Etude du résultat
Dans cette polémique, nous pouvons distinguer deux dynamiques majeures. La première est la
volonté d’organisations de peser sur l’Etat Qatari afin que celui-ci aligne sa législation sur les
volontés de l’Organisation internationale du travail. Les campagnes de déstabilisation, à
l’image de celle lancée par Sherpa contre Vinci, permettent également de concentrer in fine la
pression médiatique sur l’Etat qatari. Il s’agit donc là d’un combat mené « pour la défense des
droits de l’homme et du droit du travail ». La seconde dynamique est la pression exercée sur la
FIFA afin que celle-ci remette en cause sa décision de 2010 et procède ainsi à un nouveau vote.
Dans les deux cas, le Qatar est affaibli par ses attaques informationnelles. Il apparaît alors que
la candidature qatarie est totalement décrédibilisée. Cette campagne de déstabilisation porte
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d’ailleurs ses fruits : le 9 septembre dernier, le Qatar a annoncé l’abandon du système de la
« kafala », abandon sensé entrer en vigueur en mars 2017.
Il serait cependant superficiel de se limiter aux simples considérations légales et humanistes.
Bien entendu, l’objectif n’est pas de dénigrer le travail important –et nécessaire- des
associations et des organisations internationales, et il est également inconcevable de dédouaner
le Qatar des terribles conditions de travail engendrées par sa législation. Toutefois, hors de toute
considération partisane, il est nécessaire de s’intéresser à la portée géopolitique et
géoéconomique de cette campagne méritant le qualificatif de « Qatar bashing ». En effet cette
région du Golfe est propice aux confrontations économiques : une féroce compétition se déroule
entre Qatar et Emirats arabes unis dans une quête de leadership régional. Difficile de coexister,
coincés entre les géants saoudiens et iraniens ! Car si le Qatar a remporté l’attribution de la
Coupe du monde de 2022, Dubaï accueillera en 2020 l’Exposition universelle. Engagés
durablement dans des rapports de force, ils cherchent tous deux à asseoir une légitimité
culturelle, religieuse, financière et économique. Aussi, les demandes récurrentes de
réattribution de la Coupe du monde 2022 auprès de la FIFA et les pressions exercées sur cette
dernière interrogent. Cette campagne de déstabilisation, alimentée par des institutions
internationales, profite aux Etats qui cherchent à décrédibiliser totalement la candidature qatarie
et espèrent relancer un processus de vote et d’attribution de la part de la FIFA, cette fois en leur
faveur. A ce sujet l’Etat qatari dénonce régulièrement les agissements d’un cabinet d’influence
australien, Australie qui selon eux n’aurait « pas digéré d’avoir perdu l’organisation de la Coupe
du monde ».
Louis-Sixte Quetant
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