Cartier,période fauve

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Cartier,période fauve
SUCCESS STORY
DEPUIS PRÈS D’UN SIÈCLE LA PANTHÈRE RÈGNE SUR LA DESTINÉE
DU GRAND JOAILLIER. CONJUGUÉE À L’INFINI, SA SILHOUETTE
INTEMPORELLE S’ARTICULE AU FIL DES CAPRICES LES PLUS FOUS.
AUJOURD’HUI, L’ICÔNE DEVIENT TOP-MODÈLE D’UN CLIP ÉVÉNEMENTIEL.
RETOUR SUR UNE LÉGENDE GRIFFÉE. Par Sandrine Merle
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Cartier, période fauve
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NAISSANCE D’UNE ICÔNE TACHETÉE
La panthère apparaît pour la première fois sur un carton
d’invitation en 1914. Longiligne et altière, elle est tapie
aux pieds d’une élégante en robe Poiret jouant avec ses
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sautoirs. On dit que Louis Cartier, le commanditaire de ce
dessin, revenait d’un voyage en Afrique où il avait été
fasciné par la beauté de l’animal. On dit aussi qu’il a été
inspiré par la sulfureuse marquise italienne Luisa Casati,
maîtresse du poète Gabriele D’Annunzio, qui arrivait aux
bals vénitiens en tenant ses panthères en laisse. Mais à
la Belle Époque, les séductrices étaient nombreuses à
s’afficher en compagnie du félin. L’écrivain Colette fait
même scandale en posant à moitié nue sur le pelage tacheté. Pelage tacheté que Louis Cartier se plaît, lui, à métamorphoser en motifs abstraits sur cette montre ronde
dans le plus pur style Art déco : en platine, elle est entièrement pavée de brillants et d’onyx figurant les rosettes.
Il faut attendre l’arrivée de Jeanne Toussaint (1887-1976)
chez Cartier pour que l’animal devienne figuratif. Cette
demi-mondaine devenue la muse et la collaboratrice de
Louis Cartier éprouve une véritable passion pour la peau
à rosettes qu’elle porte en toque, en manteau et dont elle
tapisse les murs de son appartement parisien. Pour celle
qu’il surnomme « la Panthère », car elle est lascive et dotée d’un sens inné de l’élégance, le joaillier sculpte le félin qui orne les vanitys et les étuis à cigarettes, en aplat,
dans de l’onyx ou du jade. À l’affût ou bondissantes, elles
semblent sortir du « Livre de la jungle » de Kipling.
« Au début des années 30, le thème de la panthère commence à être dans l’air du temps, car il correspond à une
envie d’exotisme déclenchée par l’Exposition coloniale »,
explique l’historienne du bijou, Marguerite de Cerval.
Jeanne Toussaint, qui vient d’être nommée directrice artistique de la haute joaillerie, a déjà la profonde intuition
que les femmes vont s’emparer de la symbolique liée au
félin. « Ce dernier n’a pas acquis cette force et cette puissance par hasard, précise Pierre Rainero. Il incarne les
aspirations des femmes modernes qui commencent à
prendre le pouvoir à un tournant économique et social. »
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1. Broche-pince panthère, créée pour la duchesse de Windsor
en 1948. 2. Bracelet jonc à deux têtes. 3. Bague en platine,
diamants et rubis. 4. Boucles d’oreilles en or, onyx
et émeraudes. 5. Bracelet avec taches en saphirs, truffe
en onyx et yeux émeraude. 6. Collier en or jaune avec
taches en laque. 7. Manchette en platine avec saphirs, onyx
et émeraudes. 8. Broche-pince, créée pour la duchesse de
Windsor en 1949, en platine, or blanc et diamants avec un
cabochon de saphir cachemire. 9. Collier en or avec calcédoines.
INSPIRATION ANIMALE
C’est la duchesse de Windsor qui, à la fin des années 40,
déclenche la mode des broches panthère. Cette Américaine deux fois divorcée, et pour laquelle le roi Édouard VIII
a abdiqué, collectionne les pièces désormais travaillées en
volume. Le dessinateur Peter Lemarchand, qui retranscrit
les idées de Jeanne Toussaint, passe des heures au zoo de
Vincennes... Il suggère à merveille l’énergie contenue dans
le corps agile qui s’étire sur un cabochon d’émeraude de
près de 117 carats ou dans le corps articulé qui se transforme en bracelet. On sent la tension des muscles fuselés, la férocité et en même temps la sensualité du fauve
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usqu’au 20 mars, Cartier diffuse son nouveau film publicitaire sur les chaînes de
télévision et dans les salles de cinéma.
Et contre toute attente, la vedette n’est
pas une top-modèle ou une égérie connue
de la maison – comme Monica Bellucci –,
mais la célébrissime panthère. C’est elle
qui nous entraîne dans un périple extraordinaire retraçant l’histoire de Cartier, de la rue de la
Paix à l’Inde, en passant par la Chine et la Russie. « La panthère s’est naturellement imposée car elle est notre emblème », explique Pierre Rainero, directeur de l’image, du
style et du patrimoine.
PHOTOS CATEL RIOU/CARTIER, ARCHIVES CARTIER/CARTIER ET D. R.
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SUCCESS STORYCARTIER, PÉRIODE FAUVE
LA DUCHESSE DE WINDSOR,
LA FEMME PANTHÈRE DE CARTIER
qui se dresse sur un saphir de 152 carats.
Portés par ce sujet qui se prête à toutes
les prouesses, les artisans de la maison
réussissent à articuler son corps pour qu’il
puisse s’enrouler autour du poignet et se
transformer en bracelet, un bracelet qui
est aujourd’hui le plus cher jamais vendu :
il a été adjugé 4,5 millions de livres sterling
lors de la vente des bijoux de la duchesse
de Windsor en 2010.
Les artisans imaginent également un serti exclusif pour ces fauves joailliers : les parties de métal qui
maintiennent la pierre ne sont plus en forme de grain mais
de poil, très fin. Dans les années 50, le mannequin angloindien Nina Dyer va devenir la plus grande collectionneuse
de panthères Cartier. Elle est connue pour sa fascination
des fauves au point que, comme Luisa Casati, elle est sui-
LES CROCODILES
DE MARÍA FÉLIX
Avec le dessinateur Peter Lemarchand,
Jeanne Toussaint imagine une véritable
ménagerie. Parmi les plus célèbres pièces
animalières, deux furent commandées par
l’actrice María Félix, celle que l’on aurait
pu surnommer « la Panthère mexicaine ».
Mais elle préfère la beauté dangereuse
des reptiles... Le collier, réalisé en 1975, est
composé de deux crocodiles qui se transforment en deux
broches pavées respectivement de 1 023 diamants
jonquille et de 1 066 émeraudes. Autre joyau :
le bracelet serpent en diamants entièrement articulé,
dont l’envers est émaillé de rouge, de vert et de noir.
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pour mettre en valeur l’un d’entre eux. Quant au duc
– surnommé le Prince charmant de la rue de la Paix –, il passe
des heures avec Jeanne Toussaint à peaufiner le dessin et trouver
la combinaison de pierres de couleur qui vont le mieux à son
épouse. Dans le film, la broche Flamant Rose, composée d’un
agencement de pierres de couleur est la parfaite illustration
de cette relation féconde entre Cartier et le couple Windsor.
vie dans les rues de Paris par deux spécimens
noirs que lui a offerts son premier mari, le baron von Thyssen. Son second mari, le prince
Sadruddin Aga Khan, lui offre quantité de
pièces exceptionnelles : une épingle de jabot décorée d’une panthère étirée accompagnée d’un saphir de 30 carats servant de
cache-pointe, une broche panthère à clipper
en fermoir sur le devant d’un collier de plusieurs rangs de perles, ou encore un bracelet rigide orné de deux têtes face à face. La panthère devient un bijou interchangeable, les deux têtes du bracelet
en or cannelé peuvent être portées en boucles d’oreilles
tandis que le corps devient, lui, la poignée d’un sac du soir.
L’ÉTERNELLE ÉGÉRIE
Ça y est : à partir des années 60, la panthère s’est définitivement imposée comme l’icône Cartier. Elle est indissociable du joaillier de la rue de la Paix, qui, sans Jeanne
Toussaint, continue à la décliner à l’infini. En montre dotée d’un bracelet infiniment souple. Sur le flacon du parfum Panthère. Les dessinateurs continuent à explorer
tous ses mouvements et attitudes possibles : elle figure
assise, à demi couchée, les pattes croisées, lovée autour
d’une pierre. Au fur et à mesure, ils la modernisent comme
avec cette bague en or jaune tacheté de laque noire, formée d’une tête aux angles affûtés, au profil caréné et à la
mâchoire ouverte dans laquelle on enfile le doigt. Aujourd’hui, la maison développe un nouveau registre, un
mélange de figuratif et d’abstrait, comme avec cette manchette dont la tête en diamants se prolonge par un corps
stylisé à l’extrême, composé d’un agencement fluide de
figures géométriques. Le répertoire semble inépuisable.
« La maison Cartier a tellement travaillé autour de la panthère qu’on peut considérer qu’elle l’a inventée », estime Marguerite de Cerval. D’ailleurs, elle se l’est appropriée au point qu’aucun autre joaillier n’ose vraiment
s’aventurer sur ce terrain. Comment pourrait-il rivaliser ? !
PHOTOS BETTMANN/CORBIS, NILS HERRMANN/COLLECTION CARTIER, CAMERA PRESS/SNOWDON/GAMMA, JACOPO RAULE ET D. R.
Le film de Madonna, « W.E. » (sortie en France le 9 mai), raconte
l’histoire d’amour entre Édouard VIII et Wallis Simpson, cliente
fabuleuse pour Cartier. Pour les besoins du film, le joaillier a prêté
ou refait à l’identique de nombreuses pièces mythiques. La duchesse
de Windsor vouait une passion immodérée aux bijoux. Elle déclencha
une véritable mode en portant le premier bijou panthère, cette
fameuse broche où le félin se dresse sur un cabochon de saphir,
pierre qu’elle appréciait pour son bleu-violet assorti à ses yeux...
Elle est aussi la première à plébisciter l’or jaune, qui, après 1945,
détrône le platine. Sa passion pour les bijoux est telle qu’elle fait
réaliser des tenues Balenciaga, Dior et Schiaparelli spécialement