Usages de la rue et temporalités
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Usages de la rue et temporalités
31e Journée Rue de l’Avenir 26 septembre 2014 à Martigny (voir programme encarté) Ephémères, évolutifs, modulés, reconquis… Usages de la rue et temporalités 31e année • 2/2014 • CHF 7.50 www.rue-avenir.ch l’édito P renez une rue, une place, en centreville ou dans un quartier, et observezla. Comment les comportements et les usages évoluent-ils, dans la journée, selon les jours et les saisons? A l’heure de pointe en semaine, l’après-midi, le dimanche, en hiver ou en été, l’espace vit de manière très différente. Une zone piétonne très agréable l’été quand il fait beau devient peu engageante le soir quand les magasins sont fermés et les terrasses inoccupées. Lors de réaménagements, il est devenu aujourd’hui évident de tenir compte des besoins de tous les usagers, non pas de répondre seulement aux exigences de la circulation. Face à des espaces urbains contraints, on a développé des solutions innovantes de mixité spatiale, abaissé la vitesse pour favoriser la cohabitation des usages et des usagers. La dimension du temps est par contre encore peu prise en compte. En Suisse, l’aménagement de l’espace-rue reste très normé et cadré. Il n’offre que peu de marge de manœuvre pour une modulation des usages ou une appropriation temporaire de l’espace. Les possibilités ouvertes par la loi (p.ex. jeux et activités dans la rue) sont peu connues, partant peu exploitées. C’est le thème de ce bulletin, qui présente quelques exemples d’aménagements ou de dispositifs, pérennes ou éphémères, issus de politiques de villes, de projets pilotes mais aussi de démarches ou d’actions citoyennes. Avec un zoom sur un mobilier urbain qui évolue aussi, entre kits d’aménagements temporaires et détournement d’éléments existants. Ce premier tour d’horizon, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, vise à questionner notre manière d’aborder l’aménagement de l’espace-rue. Comment y introduire des possibilités de souplesse et de modularité? Pourquoi ne pas permettre une appropriation de l’espace moins normée, à l’aide de dispositifs légers, peu chers, éphémères… RdA 2 Rue de la Serre, La Chaux-de-Fonds. Suite au bouclement du croisement voisin pendant quelques semaines à l’occasion d’un chantier, la rue revit. Partant de cette expérience, un collectif d’habitants se mobilise pour faire des propositions à la Ville. Une démarche intéressante, à découvrir sur www.zonelilas.ch Photo Y. Dickopf (pendant la fête des voisins 2014). Lucerne en plein boom – et la mobilité piétonne? Mini-voyage d’étude Mobilité piétonne, vendredi 19 septembre, l’après-midi. Programme détaillé et inscription sur: www.mobilitepietonne.ch Traduction consécutive en français. Les exemples de Belgique et du Québec présentés dans ce bulletin nous ont été signalés par les membres du Réseau RUES. Un grand merci à eux ! Ceux de Suwon, de Vienne et de Dallas ont été présentés lors de la conférence Walk21 2013 à Munich. Impressum Rue de l’Avenir Organismes membres de l’association: ATE - Association transports et environnement Mobilité piétonne - Association suisse des piétons PRO VELO Suisse - Association pour les intérêts des cyclistes Organismes associés: La Rue - groupe de travail de l’EPFL, Ligues de la santé VD, Pro Juventute, Pro Senectute. Secrétariat, rédaction, abonnements et changements d’adresses: Jannick Badoux, 1880 Bex • 079 837 43 32 • [email protected] Contact correspondants régionaux et prestations Rue de l’Avenir: Alain Rouiller • 022 777 10 02 • [email protected] PAO: Ecodev Sàrl, Neuchâtel Impression: Pressor, Delémont Rédaction du numéro: Fabien Roland et Dominique von der Mühll N.B: certain-es rédacteurs/trices appliquent les rectifications orthographiques de 1990 (par ex. suppression du circonflexe et des traits d’union) CCP: 20-7856-6 www.rue-avenir.ch Page de couverture: La plage éphémère «Scuba», installée sur la place de La Sallaz à Lausanne pendant l’été 2012. Ici on n’a pas cherché à simuler le futur aménagement, mais à permettre le temps d’un été une animation de ce large espace devenu vide. Photo et copyright: Lionel Chabot. ZTL, une expérience qui commence à faire école Nées en Italie au début des années 90, les «zones à trafic limité» ont été progressivement adoptées par bon nombre de villes de la Péninsule pour gérer la circulation dans les centres. Retour sur une visite récente à Turin, et sur un outil de gestion modulable qui commence, timidement, d’être exploité ailleurs. L a ZTL est à l’origine conçue comme une mesure favorisant la préservation patrimoniale des centres anciens. Son utilisation s’inscrit aujourd’hui dans des plans de déplacement à l’échelle de la ville voire de la région urbaine, et poursuit des objectifs environnementaux de limitation des nuisances (congestion, pollution). Alternative potentielle au péage urbain, elle est basée sur un contrôle d’accès par caméra, modulé dans le temps et selon les types d’usagers, géré par des dispositifs informatisés. Turin, porte d’entrée. Panneaux d’entrée, affichage intelligent et marquage au sol. Une caméra enregistre le numéro de plaque des voitures entrantes. Photo D. von der Mühll. Turin, ZTL situation 2012. 36 portes contrôlent les entrées dans la zone. Les droits d’accès et les moments autorisés varient selon les secteurs, les types d’usagers et les types de véhicules. Des places revalorisées La mise en place de la ZTL dès 2004 et son extension en 2010 participent aussi d’une volonté de revalorisation culturelle et touristique de la Ville. En témoigne le réaménagement de trois places emblématiques, longtemps dédiées au stationnement, désormais devenues piétonnes. L’opération a été rendue possible par des partenariats public-privé pour la création de parkings souterrains (privés) sous les places publiques. A Turin, les conditions d’accès dans la zone peuvent sembler complexes au non-initié: hors le début de matinée, où le transit est interdit entre 7h30 et 10h30, elles varient selon les secteurs voire les rues (réservées au transport public), les types d’usagers, les types de véhicules. Par ailleurs visant d’abord à maîtriser la congestion dans le centre, l’instauration de la ZTL ne s’accompagne pas d’un abaissement de la vitesse maximale autorisée, et la perspective ne semble pas envisagée. Dans des rues peu réaménagées, une circulation plus fluide n’est ainsi pas toujours un avantage pour le piéton. A Nantes – et bientôt à Genève Reste que l’outil est intéressant, et qu’il est adaptable. En France, Nantes l’a exporté et exploité pour la deuxième étape de transformation du Cours des 50-Otages, ce large boulevard à fort trafic, déjà réaménagé et limité à 30 km/h (voir RdA 4/2011). En Suisse, Genève va tout prochainement procéder à un essai à la rue du Rhône. Rien dans la loi suisse ne s’y oppose, aux dires de l’Office fédéral des routes, pour autant que l’on respecte le «principe de proportionnalité». Bon à savoir. Dominique von der Mühll Pour en savoir plus • Page dédiée aux ZTL sur le site www.rue-avenir.ch • Bulletin n° 4/2011 «Europe: les bonnes pratiques». • Supplément à paraître dans le n° 3/2014 (visite à Turin). • Article sur les ZTL dans le bulletin RdA France n°23, novembre 2008 www.ruedelavenir.com • Pages du site internet de la Ville de Turin (en italien): www.comune.torino. it/trasporti/ztl/ RdA • 2/2014 Favoriser les transports publics Les objectifs, les dispositions prises et les mesures d’accompagnement varient selon les villes (voir références encadré). A Turin, il s’agissait prioritairement d’alléger la charge de trafic dans le centre de la ville et d’optimiser l’offre en transport public existante en favorisant l’avancement des bus. Mandatée par la Ville, une entreprise privée a développé un très impressionnant système informatique, qui gère tout à la fois les accès à la ZTL, les carrefours à feux (priorité aux bus, gestion de la congestion) et l’information en temps réel aux usagers. 3 Démarche urbaine ou action citoyenne – quand l’éphémère prend place... Les aménagements éphémères ont fait leur apparition, en milieu urbain surtout, depuis une dizaine d’années. Entre démarches de villes et actions citoyennes, les contextes, les objectifs et les acteurs diffèrent. En partie du moins. Une constante: (re)découvrir la rue autrement. L es exemples présentés ici illustrent différents cas de figure: projets initiés par des villes, en lien avec une politique de revalorisation urbaine et/ou de mobilité, projets citoyens prolongeant une démarche engagée par les autorités ou actions de reconquête de la rue. Aménagements éphémères d’un été, dispositifs temporaires permettant d’offrir des espaces à vivre, expériences pilotes ouvrant de nouvelles perspectives, actions d’habitants imaginatives et ludiques, tous ces exemples montrent qu’il est possible, souvent à petit prix, d’apporter un grand plus au quotidien de l’espace public et de la vie urbaine. Aménagements ou actions éphémères permettent de découvrir «l’espace à la porte» d’une manière différente. Une expérimentation essentielle: bien des gens – décideurs compris – n’arrivent pas à imaginer qu’un espace pourrait être différent de ce qu’ils voient tous les jours. Permettre d’expéri- Genève, Les Yeux de la Ville. Fermeture et plantations, le temps d’un été. Photo A. Rouiller. menter c’est aussi parler à l’émotionnel, une dimension si importante, dont on parle certainement trop peu… Faire plus avec moins, «toujours enlever un zéro, voire deux» selon le slogan de The Better Block, oser la souplesse, faire place à l’imagination, expérimenter… Les exemples qui suivent montrent que ce n’est pas qu’une utopie. Brooklyn, Pearl Street Triangle. Un aménagement éphémère reconduit depuis 2007. Photo [email protected] 4 Les Yeux de la Ville, il y a 10 ans Les aménagements éphémères «Les Yeux de la Ville», qui ont pris place le temps d’un été dans plusieurs rues de Genève entre 2003 et 2006, résultaient d’une volonté de la Ville d’offrir aux habitants des espaces qui permettent d’expérimenter «en vraie grandeur» un usage différent de rues ou de places. Pour certaines, il s’agissait de donner suite à des demandes d’habitants. Quelques-unes ont été transformées définitivement suite à la manifestation. A New York, éphémère reconduit Réalisé en 2007 à titre éphémère par la Ville de New York, l’aménagement du «Pearl Street Triangle» a redonné vie à un triangle d’asphalte qui servait à l’époque de parking et de déchèterie sauvage. La légèreté de l’intervention a rendu possible son évolution au fil des ans et des besoins. Les quelques places de stationnement ne semblent aujourd’hui manquer à personne. Dernières réalisations en date: la création d’une grande fresque par un artiste local et l’installation de vélos en libre-service à l’été dernier. Après Paris Plage, «Paris Respire»… L’opération a été lancée par la Ville de Paris en 2004 dans un premier quartier. Aujourd’hui plusieurs secteurs dans différents quartiers sont fermés à la circulation le dimanche de 10h à 19h, permettant aux riverains de profiter de la tranquillité et offrant aux Parisiens des espaces libérés de la circulation qui invitent à la flânerie et à la détente, à pied, en roller ou à vélo. Une douzaine le sont toute l’année, quatre autres seulement en été. Les barrages (fixes ou filtrants) sont très simples. Un quartier écomobile à Suwon (Corée) Dans le cadre du 2e Festival mondial de l’Ecomobilité en 2013, la Ville de Suwon (1,1 mio d’habitants) a financé un programme pilote ambitieux: durant le mois de septembre, un quartier entier a été libéré du trafic motorisé. Associés activement au processus, les habitants ont été invités à expérimenter toutes sortes de modes de déplacement mis à disposition, plus de 4000 d’entre eux ont accepté de renoncer à l’usage de la voiture pendant un mois. Un congrès international a renforcé la visibilité de l’opération. Suwon (Corée). Le «Bicycle Bus». Photo site internet Ecomobility Festival. Actions Asphalt Pirates à Vienne En marge du groupe de travail «espaces publics», actif dans le cadre d’un Agenda21 développé depuis 2007 dans le 8e arrondissement de Vienne (Josefstadt), le groupe des «pirates de l’asphalte» a organisé plusieurs actions visant à permettre aux habitants de vivre autrement l’espace public à la porte de chez eux: grande table pour un repas collectif, cinéma, concert de musique classique ou lecture en plein air, télévisions descendues dans la rue pour un match de foot… piétonne. Aujourd’hui c’est pour la mise en œuvre d’autres projets en attente que la population se mobilise, pour des pique-niques du dimanche qui rassemblent jusqu’à plusieurs centaines voire milliers de personnes. Josefstadt à Vienne. Télévisions de sortie, pour un match visionné dans la rue. Photo site Josefstadt Gand et le «Vélo de Troie» «Fiets van Troje» (Vélo de Troie), c’est le nom symbolique qui désigne l’ensemble des idées émises par un groupe chargé d’imaginer des scénarios pour la mobilité à Gand en 2050. Devant l’intérêt suscité auprès des habitants par l’idée des «leefstraat» (rues vivantes), la Ville de Gand a décidé de fermer deux rues à la circulation pendant le mois de juin 2013, au moyen d’un simple tapis d’herbe synthétique et de barrières amovibles. Huit autres vont suivre en 2014. Bruxelles.. «Pic Nic the Street» sur le boulevard Anspach, un dimanche midi. Source www.lavenir.net Aux USA – «Tuning the street» La démarche est née à Dallas (USA), dans un quartier périphérique qui avait fait l’objet de projets dont la réalisation avait tourné court. Un groupe d’artistes a initié des actions de revitalisation d’espaces de quartier par l’usage, associant des aménagements sur rue avec du matériel très simple (tables, chaises, plantes en pot, pneus peints de couleurs vives) et la réoccupation d’arcades vides repeintes pour l’occasion. Une démarche qui a maintenant essaimé dans plusieurs villes. Gand (Belgique). Une barrière amovible évocatrice. Photo Lensopgent 2013. Dallas, The Better Block. Une action d’appropriation de la rue, avec des moyens très simples. Source The Better Block. Dominique von der Mühll Pour en savoir plus • www.paris.fr > Recherche par «Paris respire» • www.thebetterblock.org Paris respire. Des rues fermées au trafic le dimanche. Photo D. von der Mühll. • www.ecomobilityfestival.org (Suwon) • http://agendajosefstadt.wordpress.com blog de l’Agenda21 de Josefstadt. RdA • 2/2014 «Pic Nic the Street» à Bruxelles La manifestation est relayée par les réseaux sociaux, son nom fait référence au piquenique organisé en 1971 sur la Grand-Place de Bruxelles, une action qui avait été à l’époque décisive pour obtenir que la place devienne 5 Des aménagements à géométrie variable Il n’est pas toujours facile de trouver le bon équilibre entre les différentes sollicitations que subit l’espace public. Tour d’horizon de quelques villes qui ont cherché des réponses sous forme d’une différenciation des usages dans le temps. La Grande-Allée à Québec, dans sa configuration «stationnement autorisé». La zone pavée sert au stationnement. L’été, des bollards sont installés et elle devient espace piéton. Photo [email protected] U ne rue piétonne doit-elle l’être en toute saison et à toute heure? Les espaces dédiés à l’automobile, en circulation ou stationnée, sont-ils «incompressibles», et leur usage dès lors irréversible? Dans les exemples qui suivent, régimes de circulation et principes d’aménagement ont intégré la variation des besoins en fonction de la saison ou du jour de la semaine. Québec: faire vivre les rues en toute saison Montréal, un tronçon de la très longue et très vivante rue Sainte Catherine, dans le nouveau Quartier des spectacles, a été repensé en lien avec les nombreuses activités culturelles qui animent le quartier. En temps normal, la rue est ouverte au trafic et offre du stationnement public latéral. Le trottoir est séparé de la chaussée par de faibles dénivelés et des bollards amovibles. En été, la rue peut être entièrement fermée au trafic lors des grands festivals qui rythment Montréal. Le projet a répondu aux attentes de la population et il est aujourd’hui question de piétonniser une autre portion de la rue selon le même principe. La Grande-Allée, une des rues commerçantes les plus animées de Québec, a été réamé- 6 nagée au début des années 2000 selon les mêmes principes. Selon les besoins, la rue adopte différentes configurations. Entre septembre et juin, elle est ouverte à la circulation sur deux voies et accueille du stationnement latéral. L’été, le stationnement est interdit et l’espace récupéré permet d’élargir les trottoirs et d’accueillir des terrasses. Le choix des matériaux de revêtement et du mobilier urbain, ainsi qu’une dénivellation faible entre trottoir et chaussée permettent de renforcer cette image d’espace public polyvalent. Belgique, France: des zones partiellement piétonnes Plus proche de nous, on trouve quelques exemples de rues «semi-piétonnes» en France et en Belgique. A ne pas confondre avec les zones de rencontre, dont l’aménagement s’apparente souvent à celui des rues piétonnes mais où la circulation automobile est autorisée, les rues «semi-piétonnes» sont des rues fermées à la circulation seulement à certaines périodes et pour une durée déterminée. C’est le cas à Mons, où le réaménagement du quartier du Marché-aux-Herbes est en cours. Dans le cadre de ce projet, la plupart des espaces requalifiés seront strictement piétons. Toutefois, à la demande des commerçants, la rue des Fripiers adoptera un régime semi-piétonnier: ouverte à la circulation en semaine (à vitesse modérée), elle sera entièrement piétonne le samedi. A La Rochelle, le quartier du Vieux Port devient entièrement piéton avec l’arrivée de l’été. Ce régime de circulation est entré dans les habitudes, et il y a fort à parier qu’un futur réaménagement des quais leur conférera un caractère plus en phase avec cette vocation semi-piétonne. Lorsque ces régimes «évolutifs» sont couplés à un aménagement de qualité, ils permettent ainsi de rééquilibrer l’usage de l’espace public en faveur du piéton et de la vie sociale. Fabien Roland Et les vélos ? L’accent est souvent mis sur la cohabitation entre piétons et véhicules motorisés mais les aménagements à géométrie variable prennent moins souvent en compte les besoins des cyclistes. A Montréal comme à Québec, plusieurs kilomètres de bandes et de pistes cyclables sont traditionnellement fermés chaque hiver et servent à stocker la neige. Cette mesure est cependant décriée par les associations qui se mobilisent régulièrement pour demander le maintien de l’accessibilité cyclable en toute saison. La Ville de Copenhague a quant-à-elle testé le principe de «parking flex» aux abords des écoles. Pendant les heures de classe, le stationnement est réservé uniquement aux vélos. Le reste du temps, les places sont réservées pour les voitures. Le mobilier urbain pour changer de point de vue Pour les collectivités qui n’ont pas les moyens de mettre en œuvre de lourds programmes de requalification urbaine, le mobilier urbain offre la possibilité de transformer rapidement et de façon réversible l’ambiance et le caractère d’un espace public. O n ne se rend pas toujours bien compte de l’importance que revêt le mobilier urbain dans notre perception des espaces publics: quelques bancs bien placés peuvent suffire à redonner vie à des lieux désaffectés. Nous présentons ici quelques interventions où le mobilier joue un rôle central. Art urbain: le mobilier détourné L’art urbain permet d’offrir un autre regard sur des éléments de mobilier habituels, souvent oubliés dans le paysage urbain. Souvent ludique, le détournement donne une seconde vie à des objets du quotidien. Fast Bench (banc minute), Berlin. Un «hacker urbain» détourne avec humour le mobilier de rue qui lui tombe sous la main. Ici, des supports vélos qui profitent aussi au piéton ! Source: www.florianriviere.fr Parklets: la ville en kits Le «parklet», terme qui ne semble pas encore avoir d’équivalent français, est un espace public modulable, conçu aux dimensions d’une place de stationnement standard. Apparu à San Francisco en 2005 dans le cadre des «Parkings days», le principe de cet espace public mobile et modulable s’est rapidement répandu en Amérique du Nord. Huntington Drive, Los Angeles. La Ville promeut l’idée de l’espace public sur catalogue. Les citoyens peuvent ainsi concevoir leur « parklet » sur mesure: fonction, dimensions, teintes et matériaux sont choisis librement. Source: [email protected] Fabien Roland Pour en savoir plus • Le site du projet Lively Cities, avec de nombreuses réalisations: www.lively-cities.eu • La démarche «People Street» de Los Angeles: http://peoplest.lacity.org ULP du jardin de la Maison de la Culture, Namur. L’installation d’une buvette, de quelques tables, parasols et transats a permis de réhabiliter un espace central auparavant déserté par les habitants. Source: www.gaunamur.be RdA • 2/2014 Urban life points: des espaces vivants Le projet européen Lively Cities a pour but «la réappropriation citoyenne des espaces publics pour qu’ils deviennent des lieux de destination». Avec les ULP – «Urban Lifestyle Points» – une série d’espaces publics centraux mais peu utilisés ont été sélectionnés pour y tester des activités destinées à rassembler les gens. En Belgique le projet a impliqué cinq villes où des mesures simples ont permis de transformer radicalement les espaces publics et leurs usages. 7 Jouer dans la rue: un plaisir redécouvert Des enfants qui jouent dans la rue ? Une image on ne peut plus banale il y a encore deux générations, devenue rare voire incongrue de nos jours, tant l’on s’est habitué à l’idée que la circulation est incompatible avec les jeux des enfants, même dans des petites rues de quartier. Une situation qui est en train de changer… L es espaces où les enfants ont la possibilité de jouer en toute liberté se sont considérablement réduits en quelques décennies. C’est ainsi qu’une activité qui était considérée comme banale il y a quelques décennies est devenue de plus en plus marginale. Au point où l’on considère trop souvent aujourd’hui qu’un enfant n’a rien à faire dans la rue: c’est trop dangereux, cela gêne la circulation ou nuit au calme des voisins. Pourtant, pour les enfants, la rue représente un espace de jeu et de socialisation privilégié, et irremplaçable Play Streets et «rues à jouer» Au Royaume-Uni et en Belgique on a remis à jour le principe de «rues à jouer»: des rues de quartier peuvent être fermées au trafic automobile pendant quelques heures ou à certaines périodes, avec l’aval des autorités. Seuls la circulation et le stationnement des riverains et des véhicules d’urgence restent autorisés, tandis que les rues peuvent être réinvesties par les enfants et leurs jeux. Au Royaume-Uni, un texte de loi autorise le principe des Play Streets (rues à jouer) depuis 1938. Tombées dans l’oubli dans les années 1980 avec l’essor de la voiture, elles ont été réhabilitées ces dernières années, sous la pression de groupes de parents, d’abord à Bristol, puis à Londres. Bristol. Une rue à jouer: avec les parents pour les petits, entre copains pour les plus grands. Source: playingout.net 8 En Belgique, les «rues réservées au jeu» sont également inscrites de longue date dans le code de la route. De nombreuses communes proposent même des guides de mise en œuvre à l’intention des parents souhaitant mettre en œuvre une rue à jouer. Le modèle implique un engagement des habitants de la rue. Un système de «parrainage» est mis en place pour que les enfants ne restent pas sans surveillance. L’inauguration de la rue est un événement auquel les enfants participent activement, les sensibilisant ainsi aux limites de leur espace de jeu, par exemple en installant eux-mêmes les barrières fermant la rue au trafic. Les rues à jouer ont le mérite d’être faciles à mettre en œuvre: un panneau et quelques barrières suffisent. Ainsi, grâce à la participation des habitants et à la volonté politique des communes, les rues redeviennent des espaces ludiques le temps d’une partie de cache-cache – ou plus. En Suisse, les possibilités existent Les «rues à jouer» n’ont pas d’existence en tant que telles dans la loi suisse. La question du jeu dans la rue est cependant traitée dans l’Ordonnance sur la circulation routière OCR (art. 46 al. 2bis et art. 50 al. 2): «Il est permis d’utiliser (…) sur les routes secondaires à faible circulation (p.ex. dans les quartiers d’habitation), toute la surface de la chaussée pour pratiquer des activités, notamment des jeux, qui se déroulent dans un espace limité, ceci pour autant que les autres usagers de la route ne soient ni gênés, ni mis en danger.» Cette disposition, qui reste très largement ignorée, avait été exploitée à la fin des années 90 par un groupe d’habitants de Berne pour initier des activités de «reconquête» de leur rue. Leur démarche a été à l’origine des «rues résidentielles light» mises en place en concertation avec la ville et le canton, qui ont préfiguré le développement En Belgique. Le panneau officiel consacré aux rues réservées au jeu. Photo B. Dupriez. des nombreuses zones de rencontre que l’on trouve aujourd’hui dans les quartiers bernois. Leur démarche avait fait école dans le quartier des Fleurettes, à Lausanne. Plus connu mais bon à rappeler: les jeux sont autorisés sur les rues signalisées en zone de rencontre, qui consacrent aussi la priorité des piétons sur la chaussée. Fabien Roland et Dominique von der Mühll Pour en savoir plus • Plusieurs associations britanniques de promotion des rues à jouer, à Bristol: www.playingout.net à Londres: www.londonplay.org.uk et en Angleterre: www.playengland.org.uk • Dossier «rues réservées aux jeux» sur le site de l’association bruxelloise www.ieb.be • Sur la démarche de reconquête de la rue à Berne: bulletin RdA 2/2000 sur www. rue-avenir.ch > Archives bulletins.