Migros Magazine Juin 2013 - Boulangerie

Transcription

Migros Magazine Juin 2013 - Boulangerie
société
16 |
|
reportage
| No 23, 3 juiN 2013 |
Une
journée
d’examen
dans la
peau d’un
apprenti
Pendant
cette journée
d’examen,
le travail de
Paulin Tornay
est scrupuleusement
observé.
A g.: Christof
Simeon,
expert et à d.:
Didier Michellod, chef de
production.
Paulin Tornay aura 18 ans
dans quelques semaines.
Aujourd’hui, il termine sa formation
de boulanger-pâtissier par seize
heures d’examen durant lesquelles
il doit réaliser une longue liste
de produits.
H
ier, la journée était consacrée à
la boulangerie. Paulin a façonné
pains de seigle, mi-blanc, croissants et compagnie durant huit heures.
«Ça a été tranquille. Je ne suis pas très
content de la fente de mes pains au lait
et je n’ai pas pu terminer tout ce que je
voulais faire, mais ça va.» Il était même
tellement relax qu’il est allé au cinéma le
soir. «Il a l’air de ne pas s’en faire, mais
au fond, il est très stressé», glisse sa maman, Geneviève Tornay.
Le jeune homme, d’origine vietnamienne, adopté à l’âge de trois mois
par une famille de Vollèges (VS), rêvait
depuis longtemps de travailler dans ce
Migros Magazine |
domaine. «Je voulais un métier à la fois
manuel et créatif. Lors d’un salon des
métiers, j’ai vu un stand de pâtissier et
j’ai tout de suite su que c’était ça.»
Son avenir est d’ores et déjà tracé; son
CFC en poche, il ira chez un chocolatier
de renom, Nicolas Taillens, à CransMontana, pour se former comme confiseur, son rêve.
Les choses sérieuses
commencent
La journée va être longue. A 6 heures, le
jeune apprenti se lève. Une douche, un
café et c’est parti. Il n’est pas encore 7
heures lorsqu’il arrive au laboratoire des
boulangeries Michellod, à Sembrancher
(VS) pour la mise en place.
Didier Michellod, le chef de production, lui montre encore en vitesse une
astuce pour la tarte aux légumes. L’examen ne commence que dans une heure,
mais il faut rassembler tous les ustensiles dont il aura besoin, afin de ne pas
perdre du temps à aller les chercher. «On
marche beaucoup dans ce laboratoire, il
est énorme», sourit Paulin. Il est encore détendu et loquace. «Il faut que je
me garde du temps à la fin pour tout nettoyer car ça compte dans la note finale.»
C’est le grand départ. Dans un
carré de pâte feuilletée cuit la
8h
|
société
Migros Magazine | No 23, 3 juiN 2013 |
|
reportage
| 17
Le candidat essaie de garder son calme. Les tartes mettent
trop de temps à cuire.
A g.: la
préparation
de la
ganache
framboise.
Ci-contre:
l’une des recettes au
programme
de l’examen.
veille, il découpe la forme de la pièce imposée de l’examen: un millefeuille sur le
thème «Un grand-père de 70 ans aime
la musique». Il a choisi de réaliser un
saxophone décoré, car la finition est
son point fort. Mais première coquille: le
manche de l’instrument casse lorsqu’il
le saisit. «Pas grave, cela sera le fond
du millefeuille. Avec la crème, ça tiendra.» L’expert scrute d’un œil attentif.
«Hier, c’était pas mal. En général, quand
ils sont mal préparés, ils n’arrivent pas
à terminer dans les temps», observe
Christof Simeon. Expert depuis vingt
ans, il est chargé de contrôler toutes
les étapes. Un deuxième expert viendra
dans l’après-midi pour noter les produits finis.
Deux tartes cuisent au four. Le
téléphone du laboratoire n’arrête pas de sonner et cela déconcentre
notre jeune ami. Il ne dit plus rien, son
visage est fermé, concentré.
Les tartes cuisent trop lentement. Les autres produits attendent que le four se libère, le
retard s’accumule. Heureusement, il entame les S au chocolat, «le produit que
tout le monde rate: si on remue trop ou
pas assez la masse, c’est loupé. Et si le
four n’est pas à la température exacte
aussi.» Les siens seront parfaits!
9h
10 h
11 h
Les experts hument l’une des réalisations
de Paulin Tornay.
Voilà quatre heures que Paulin travaille. Il est toujours
hyper concentré. L’expert surveille la
cuisson, casse chaque biscuit pour en
juger l’intérieur, il les hume. «Le goût
n’a pas tellement d’importance pour
l’examen de fin d’apprentissage. On regarde qu’ils sachent effectuer les recettes et que les produits aient un bel
aspect. Si c’est le cas, normalement, le
goût suit.»
Le saxophone millefeuille
est monté. «Et voilà!»,
s’exclame le jeune apprenti. Dans la
chambre froide, il se prépare un sandwich. Une boisson sucrée, une cigarette.
12 h
société
18 |
|
reportage
| No 23, 3 juiN 2013 |
Migros Magazine |
Le chef des
experts du canton
du Valais, Roger
Rickly, est boulanger et fils de boulanger. Son avis
sur les examens
pratiques et l’évolution du métier.
La famille
de Paulin
est venue
le soutenir
et trinquer
à sa santé.
parole d’expert
«Le critère numéro un:
la qualité du produit»
Sur quels critères sont jugés les apprentis?
On regarde toutes les étapes, est-ce que la
pâte lève bien, a-t-elle eu un temps de repos
suffisant, la cuisson était-elle correcte, trop
chaude ou trop longue, et quelle appréciation
peut-on donner au produit fini. Le premier critère reste la qualité du produit ainsi que la manière de procéder. Mais l’on peut avoir eu un
problème lors de chaque étape, il est donc important que toutes les étapes soient prises en
compte dans la note. On attend un peu de
fantaisie. Le but est que les candidats
puissent à la fin de leurs examens travailler de
manière autonome.
Les S en chocolat sont des pièces réputées difficiles
à réaliser.
A peine le temps de regarder s’il fait beau
dehors et c’est reparti.
Un peu de fantaisie pour ses
cœurs de France qui auront
quatre ailes. Mais la pâte n’est pas assez
caramélisée et c’est de nouveau un petit point de perdu. Il se rattrapera sur la
pâte à chou, elle aussi présentée de manière créative en forme de cygne. Entretemps, le deuxième expert, Manfred Imboden, est arrivé. Les pains de la veille
sont pesés, coupés, la mie glisse entre les
doigts pour en vérifier la texture.
La tension monte d’un cran.
Les experts discutent, les
fours sonnent et sur le feu, la ganache
framboise fume dangereusement. Les
gestes de Paulin deviennent brusques.
Il souffre. «J’ai l’impression de ne pas
avancer», se désole-t-il.
Le calme revient. Il est
temps de préparer le thème
surprise de cet examen. Des brownies.
Coup d’œil inquiet sur
l’horloge, soupir. «Ça va
être chaud!». Il reste encore à faire
les canapés valaisans, les bâtons aux
amandes, les macarons-sucettes et les
13 h
14 h
15 h
16 h
tartelettes exotiques, à couper les brownies, enjoliver les tartes et les mousses et
surtout, la décoration de la pièce maîtresse qui attend au frigo.
Les experts lui donnent dix
minutes supplémentaires.
Le gong sonne. Hélas, les macarons-sucettes ne sont pas terminés, et les finitions des produits n’ont pas pu être réalisées. Coup dur. Les produits sont exposés, pour réaliser son autocritique devant les experts. Ceux-ci ne feront pas
de commentaires avant la note finale,
début juillet (lire encadré).
Paulin est frustré mais les produits
présentés ont belle allure et cela n’a
échappé ni aux experts, ni à Didier Michellod. «Dommage pour le glaçage des
canapés, estime le chef. Mais tu as certainement réussi, je suis fier de toi».
Dans le couloir, la famille et les collègues attendent de venir découvrir le résultat. Les cygnes trônent à côté d’une
frangipane en forme de papillon. L’on se
régale de ces délices et Paulin retrouve
des couleurs et le sourire.
17 h
Textes: Mélanie Haab
Photos: Isabelle Favre
Comment choisissez-vous les produits qui
seront réalisés durant l’examen?
La première partie est fixe, il s’agit de la base du
métier. il y a ensuite une partie option, où l’apprenti peut développer ses points forts et où
l’on attend de la créativité et une diversité de
produits. On a aussi un thème imposé, pour
cette année soit un pain décoré ou une tourte
sur le thème «un grand-père de 70 ans qui aime
la musique», mais aussi un produit surprise.
Qu’est-ce que le nouveau système changera?
Dès l’année prochaine, les critères seront uniformisés, la liste des produits ne sera plus fixe,
il y aura une partie à choix et une partie décidée le jour même de l’examen. Surtout, notre
métier n’aura plus qu’une dénomination «boulanger-pâtissier-confiseur» qui sera à orientation selon le choix de formation de l’apprenti,
soit plus dirigée boulangerie-pâtisserie, soit
pâtisserie-confiserie.
Comment le métier a-t-il évolué ces dernières
années?
Le nombre de professionnels n’a pas beaucoup évolué. il y a de grandes différences selon
la taille de l’entreprise, mais la machine n’a pas
remplacé le travail manuel. Elle reste un support pour la base (la pâte), les finitions se font
à la main. Ce métier se révèle fascinant car il
façonne des histoires familiales ou entrepreneuriales, et permet de voyager.