Je suis fasciné par la vie d`ermite

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Je suis fasciné par la vie d`ermite
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tendances&loisirs
«Je suis
fasciné par
la vie
d’ermite»
L’invité. Le réalisateur Gaël Métroz a
suivi un sage en Inde plus d’une année.
Son long-métrage montre des paysages
magnifiques. Et une quête universelle.
INTERVIEW ALINE PETERMANN
PHOTOS CHARLY RAPPO/ARKIVE.CH
Coopération. Votre film
«Sâdhu» raconte l’histoire
d’un sâdhu, un sage hindou,
ascète et ermite. Pourquoi
ce sujet?
Gaël Métroz. Les sâdhus me
fascinent. Ils vivent dans le
dénuement et j’ai beaucoup
de questions par rapport à la
notion du confort, à cette
idée de vivre avec moins.
Est-ce qu’il n’y a pas une vie
plus simple? Qui, en étant
plus simple, devient plus
belle?
Vous-même vivez avec
le minimum?
Je n’ai pas de domicile. Je vis
soit ici chez mes parents, soit
à la montagne là-haut (ndlr:
un chalet sans eau courante
à 2000 m), soit chez des amis
en Valais ou en Espagne. Je
n’ai pas de voiture. J’ai mes
bouquins, mon ordinateur,
ma caméra. Par choix.
Vivre sans confort, est-ce
une quête spirituelle?
Ce qui m’intéressait, c’est ce
que les sâdhus peuvent vivre
dans leur érémitisme. Je ne
suis pas spécialement fasciné par l’hindouisme et je n’ai
plus la foi.
Que s’est-il passé?
Je l’ai perdue en traversant
le désert du Soudan avec
mon âne. A un moment, il
s’est effondré sur une dune.
On était les deux au bout du
rouleau. Là, tu as juste envie de pleurer ou de prier.
J’ai prié, mais personne n’a
répondu. Je me suis aperçu
que j’étais cette petite four-
«Ce n’est pas parce
qu’on vit dans le dépouillement que la
vie est plus simple»
mi sur la terre. Et voilà! Je
me suis dit qu’il fallait que
je fasse mon monde à moi,
que personne ne m’entendait. Mais je le vis très bien
et j’admire les gens qui ont
la foi.
Suraj Baba, le sâdhu du film,
doute souvent. Il ne se reconnaît pas dans les autres
sâdhus.
Oui, il est tiraillé. C’est un
Gaël Métroz dans le jardin familial, à Liddes: «J’ai beacoup de questions
marginal parmi les marginaux. Et pendant le tournage, il a eu une vraie crise
de foi. Il cherchait sa voie, se
posait des questions sur le
sens à donner à sa vie. C’est
ce que j’essaie de montrer
dans ce film: ce n’est pas
parce qu’on vit dans le dépouillement total que la vie
est plus simple et qu’on ne
se pose plus de questions.
Comment avez-vous
rencontré Suraj?
Je suis allé aux sources du
Gange – c’est là qu’il y a
les sâdhus les plus rigoureux. J’ai passé plusieurs semaines près de ces lieux sacrés. Et un jour, j’ai vu Suraj
au pied d’un glacier. Je l’ai
rencontré le lendemain. On
ne parlait pas. Le surlendemain, on a parlé trois mots. Il
m’a apporté un thé, on a parlé un peu plus. C’était devenu un handicapé de la communication. Passer huit ans
dans une grotte en silence,
ça change quelqu’un.
D’où vient-il?
Il est né de bonne famille à
Darjeeling. A l’adolescence,
il voulait jouer dans un
groupe de rock. Il était passionné de littérature. Et ses
parents sont morts subitement. Son frère et lui se sont
fait arnaquer et ont été spoliés de leur héritage – le restaurant familial. Suraj a eu
une réaction de rejet et il est
parti dix ans faire le tour de
l’Inde. Il est monté à Gango-
Coopération
N° 39 du 25 septembre 2012
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et j’ai l’impression que les
sâdhus font souvent tout le
contraire. Ils sont vraiment
centrés sur eux. Mais Suraj
est différent, il est devenu
pour moi le vrai sâdhu, un
homme en quête.
Vous avez beaucoup voyagé.
Quand avez-vous attrapé le
virus?
On a toujours beaucoup
voyagé avec mes parents.
Assez loin. Chaque été. Et je
me suis mis à prolonger mes
séjours assez rapidement.
C’était une grande liberté.
L’Inde, votre continent
fétiche?
J’y ai été à 20 ans pour la première fois et y suis retourné
une dizaine de fois. Mais j’ai
préféré le Pakistan – où j’ai
vécu une année avec des
Pachtouns – pour sa mentalité, même si c’est moins
coloré, bien plus défavorisé.
Là, peu importe ce qui t’arrive, si tu as un ami, tu es défendu à mort.
Et le futur? Toujours sur les
quatre chemins?
Tant que j’ai l’énergie de
faire ça, oui.
par rapport à la notion du confort, à cette idée de vivre avec moins.»
tri, à 3200 m, et s’est installé
dans une grotte. Il en a retapé une deuxième pour méditer. C’est là que j’ai vécu
trois mois. Il fallait que je
l’apprivoise, qu’on fasse
connaissance.
Vous l’avez filmé pendant
dix-huit mois.
Oui, je voulais aller au pèlerinage de la Kumbha Mela,
le plus grand du monde. Il a
lieu tous les douze ans et en
2010, il a réuni 70 millions de
personnes. Suraj a décidé de
m’accompagner et ça a débouché sur plus d’une année
de périple en tandem. Et 240
heures d’images… Après la
Kumbha Mela, il a voulu aller aux frontières du Tibet. Je
l’ai filmé comme sujet d’un
documentaire. A aucun moment, il ne joue de rôle ou
n’est dirigé.
Un voyage astreignant, non?
On a marché, pris le bus, le
train. Quand on pouvait, on
a pris les transports publics.
Le but n’était pas de faire
une grande aventure, je ne
suis pas Mike Horn! A la fin,
la région du Mustang, c’est
plus d’un mois à 30-40 km
par jour.
Et Suraj, avait-il une bonne
condition?
Il était très à l’écoute de son
corps. A force de vivre seul
dans une grotte, tu es habitué à vivre avec ton nombril! Pour moi, le rôle du
sâdhu, c’est de tuer l’ego…
Portrait express
Nomade dans l’âme
Né le 28 novembre 1978.
Port d’attache. Liddes (VS).
Profession. Journaliste et
réalisateur.
Filmographie. «Nomad’s Land, sur
les traces de Nicolas Bouvier», «Kalash, les derniers
infidèles du Pakistan».
Cinéma. «Je regarde tout. Cela va du dernier Batman au
dernier Pixar, en passant par Luis Buñuel ou Orson Welles.
Je suis bon public, tant que c’est bien
fait. En ce moment, j’ai une phase
Emir Kusturica. J’aime bien son côté
dynamique, vivant.»
Temps libre. «Marcher, le volley,
lire et refaire le monde avec
mes amis.»
Actuel. «Sâdhu», dans les salles
romandes dès le 26 septembre.
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" lien www.sadhu-lefilm.com