Je suis fasciné par la vie d`ermite
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Je suis fasciné par la vie d`ermite
118 tendances&loisirs «Je suis fasciné par la vie d’ermite» L’invité. Le réalisateur Gaël Métroz a suivi un sage en Inde plus d’une année. Son long-métrage montre des paysages magnifiques. Et une quête universelle. INTERVIEW ALINE PETERMANN PHOTOS CHARLY RAPPO/ARKIVE.CH Coopération. Votre film «Sâdhu» raconte l’histoire d’un sâdhu, un sage hindou, ascète et ermite. Pourquoi ce sujet? Gaël Métroz. Les sâdhus me fascinent. Ils vivent dans le dénuement et j’ai beaucoup de questions par rapport à la notion du confort, à cette idée de vivre avec moins. Est-ce qu’il n’y a pas une vie plus simple? Qui, en étant plus simple, devient plus belle? Vous-même vivez avec le minimum? Je n’ai pas de domicile. Je vis soit ici chez mes parents, soit à la montagne là-haut (ndlr: un chalet sans eau courante à 2000 m), soit chez des amis en Valais ou en Espagne. Je n’ai pas de voiture. J’ai mes bouquins, mon ordinateur, ma caméra. Par choix. Vivre sans confort, est-ce une quête spirituelle? Ce qui m’intéressait, c’est ce que les sâdhus peuvent vivre dans leur érémitisme. Je ne suis pas spécialement fasciné par l’hindouisme et je n’ai plus la foi. Que s’est-il passé? Je l’ai perdue en traversant le désert du Soudan avec mon âne. A un moment, il s’est effondré sur une dune. On était les deux au bout du rouleau. Là, tu as juste envie de pleurer ou de prier. J’ai prié, mais personne n’a répondu. Je me suis aperçu que j’étais cette petite four- «Ce n’est pas parce qu’on vit dans le dépouillement que la vie est plus simple» mi sur la terre. Et voilà! Je me suis dit qu’il fallait que je fasse mon monde à moi, que personne ne m’entendait. Mais je le vis très bien et j’admire les gens qui ont la foi. Suraj Baba, le sâdhu du film, doute souvent. Il ne se reconnaît pas dans les autres sâdhus. Oui, il est tiraillé. C’est un Gaël Métroz dans le jardin familial, à Liddes: «J’ai beacoup de questions marginal parmi les marginaux. Et pendant le tournage, il a eu une vraie crise de foi. Il cherchait sa voie, se posait des questions sur le sens à donner à sa vie. C’est ce que j’essaie de montrer dans ce film: ce n’est pas parce qu’on vit dans le dépouillement total que la vie est plus simple et qu’on ne se pose plus de questions. Comment avez-vous rencontré Suraj? Je suis allé aux sources du Gange – c’est là qu’il y a les sâdhus les plus rigoureux. J’ai passé plusieurs semaines près de ces lieux sacrés. Et un jour, j’ai vu Suraj au pied d’un glacier. Je l’ai rencontré le lendemain. On ne parlait pas. Le surlendemain, on a parlé trois mots. Il m’a apporté un thé, on a parlé un peu plus. C’était devenu un handicapé de la communication. Passer huit ans dans une grotte en silence, ça change quelqu’un. D’où vient-il? Il est né de bonne famille à Darjeeling. A l’adolescence, il voulait jouer dans un groupe de rock. Il était passionné de littérature. Et ses parents sont morts subitement. Son frère et lui se sont fait arnaquer et ont été spoliés de leur héritage – le restaurant familial. Suraj a eu une réaction de rejet et il est parti dix ans faire le tour de l’Inde. Il est monté à Gango- Coopération N° 39 du 25 septembre 2012 119 et j’ai l’impression que les sâdhus font souvent tout le contraire. Ils sont vraiment centrés sur eux. Mais Suraj est différent, il est devenu pour moi le vrai sâdhu, un homme en quête. Vous avez beaucoup voyagé. Quand avez-vous attrapé le virus? On a toujours beaucoup voyagé avec mes parents. Assez loin. Chaque été. Et je me suis mis à prolonger mes séjours assez rapidement. C’était une grande liberté. L’Inde, votre continent fétiche? J’y ai été à 20 ans pour la première fois et y suis retourné une dizaine de fois. Mais j’ai préféré le Pakistan – où j’ai vécu une année avec des Pachtouns – pour sa mentalité, même si c’est moins coloré, bien plus défavorisé. Là, peu importe ce qui t’arrive, si tu as un ami, tu es défendu à mort. Et le futur? Toujours sur les quatre chemins? Tant que j’ai l’énergie de faire ça, oui. par rapport à la notion du confort, à cette idée de vivre avec moins.» tri, à 3200 m, et s’est installé dans une grotte. Il en a retapé une deuxième pour méditer. C’est là que j’ai vécu trois mois. Il fallait que je l’apprivoise, qu’on fasse connaissance. Vous l’avez filmé pendant dix-huit mois. Oui, je voulais aller au pèlerinage de la Kumbha Mela, le plus grand du monde. Il a lieu tous les douze ans et en 2010, il a réuni 70 millions de personnes. Suraj a décidé de m’accompagner et ça a débouché sur plus d’une année de périple en tandem. Et 240 heures d’images… Après la Kumbha Mela, il a voulu aller aux frontières du Tibet. Je l’ai filmé comme sujet d’un documentaire. A aucun moment, il ne joue de rôle ou n’est dirigé. Un voyage astreignant, non? On a marché, pris le bus, le train. Quand on pouvait, on a pris les transports publics. Le but n’était pas de faire une grande aventure, je ne suis pas Mike Horn! A la fin, la région du Mustang, c’est plus d’un mois à 30-40 km par jour. Et Suraj, avait-il une bonne condition? Il était très à l’écoute de son corps. A force de vivre seul dans une grotte, tu es habitué à vivre avec ton nombril! Pour moi, le rôle du sâdhu, c’est de tuer l’ego… Portrait express Nomade dans l’âme Né le 28 novembre 1978. Port d’attache. Liddes (VS). Profession. Journaliste et réalisateur. Filmographie. «Nomad’s Land, sur les traces de Nicolas Bouvier», «Kalash, les derniers infidèles du Pakistan». Cinéma. «Je regarde tout. Cela va du dernier Batman au dernier Pixar, en passant par Luis Buñuel ou Orson Welles. Je suis bon public, tant que c’est bien fait. En ce moment, j’ai une phase Emir Kusturica. J’aime bien son côté dynamique, vivant.» Temps libre. «Marcher, le volley, lire et refaire le monde avec mes amis.» Actuel. «Sâdhu», dans les salles romandes dès le 26 septembre. ! " lien www.sadhu-lefilm.com