le mouvement ultra dans le football en italie

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le mouvement ultra dans le football en italie
©Didju222
LE MOUVEMENT ULTRA DANS LE
FOOTBALL EN ITALIE
Le 06.11.2008
1
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .................................................................................................... 3
1. HISTORIQUE DU MOUVEMENT ...................................................................... 4
1.1. Inspiration du mouvement............................................................................ 4
1.2. Formation du mouvement ............................................................................ 4
1.3. Evolution du mouvement ............................................................................. 5
2. BASES ET PRINCIPES DU MOUVEMENT....................................................... 7
2.1. Qu’est-ce qu’un ultra ? ................................................................................. 7
2.2. Principes et caractéristiques de bases ........................................................ 8
2.3. Les groupes et leurs banderoles .................................................................. 9
2.4. Relations entre les Ultras ........................................................................... 10
2.5. Nouvelle génération d’ultras ...................................................................... 11
3. DANS LE STADE ............................................................................................ 12
3.1. Organisation .............................................................................................. 12
3.2. Soutien vocal ............................................................................................. 14
3.3. Le spectacle des tribunes .......................................................................... 16
4. DEPLACEMENTS, VIOLENCE ET REPRESSION ......................................... 18
4.1. Déplacements ............................................................................................ 18
4.2. Violence et répression ............................................................................... 19
5. POLITIQUE ET RACISME ............................................................................... 22
5.1. Situation dans les années 70. .................................................................... 22
5.2. Situation dans les années 90 ..................................................................... 23
6. COMMENT LES ULTRAS SONT-ILS VUS ? .................................................. 24
6.1. Par les médias ........................................................................................... 24
6.2. Par la population ........................................................................................ 25
6.3. Par les spectateurs .................................................................................... 26
CONCLUSION ..................................................................................................... 27
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 28
ANNEXES ............................................................................................................ 29
Déplacement à Milan ........................................................................................ 29
Images .............................................................................................................. 36
2
INTRODUCTION
Je suis supporter de l’Inter de Milan depuis une petite dizaine d’années et je suis
le championnat italien chaque week-end. J’ai bien sûr rapidement entendu parler
de ces ultras : je me posais beaucoup de questions afin de comprendre ce
mouvement qui m’intriguait. D’un côté, ils passionnent avec leurs chants, leurs
spectacles et leur présence. De l’autre, ils se battent, créent beaucoup de
problèmes et font beaucoup de dégâts. Je pensais que ces gens étaient quand
même des personnes spéciales et étranges. J’en avais un peu marre que des
matchs soient annulés par leur faute ou que le club doive jouer des matchs sans
public à cause de certaines de leurs actions. Je voulais donc comprendre ce
mouvement, ses principes et ses valeurs mais aussi ses problèmes.
Pourquoi avoir choisis d’étudier les ultras italiens? Tout simplement parce que le
mouvement ultras est né en Italie. Les suisses, les français et le reste de l’Europe
se sont inspirés, soit du modèle ultra italien, soit du modèle hooligan anglais. C’est
aussi en Italie que les ultras posent le plus de problèmes, notamment à cause de
la violence. Il y a souvent des affrontements, soit entre ultras, soit avec la police.
L’opinion publique est révoltée de devoir payer des impôts pour réparer ce qu’ils
détruisent ou pour envoyer des centaines de policier par stade chaque week-end.
Les gens sont fâchés de devoir payer les répercussions des actes de ces
supporters, comme les interdictions de déplacement par exemple.
En même temps, les ultras rendent le stade vivant, ils l’animent, notamment grâce
aux chants, aux spectacles, etc…Un club de foot sans ultras ne serait pas
vraiment un club de foot.
Je me suis donc renseigné à travers des livres, des vidéos et aussi à travers le
vécu : j’ai décidé de me rendre sur le terrain. Je suis donc allé à Milan, dans la
fameuse Curva1 Nord de l’Inter, dans le but de vivre un match chez les ultras pour
mieux comprendre leur façon de vivre le match et de vivre tout simplement. Un
autre but de ce voyage était celui de rencontrer un ultra qui pourrait répondre à
mes questions.
1
En français : Virage. C’est le nom qui est utilisé pour dénommer l’endroit où se trouvent les ultras
3
1. HISTORIQUE DU MOUVEMENT
Pour commencer, nous allons voir comment est né le mouvement ultras et
regarder son évolution.
1.1. Inspiration du mouvement
Le mouvement ultras débute réellement vers la fin des années soixante. Mais
nous devons revenir en arrière, au début des années soixante pour trouver
l’origine de ce mouvement.
Vers 1960, des clubs de coordination sont créés dans les tribunes, ce sont des
groupes formés de personnes qui souhaitent donner plus de soutient à leur
équipe, qui souhaitent plus participer au match. Cependant, ces supporters ne
peuvent pas encore être considérés comme des ultras car ils demeurent des
supporters classiques. Seuls quelques drapeaux et quelques slogans
apparaissent dans les tribunes, il n’y a pas de véritable groupe et un attachement
à la tribune quasiment inexistant. Ces clubs de coordination ne seront qu’un palier
dans la création du mouvement ultras en Italie.
Au même moment, le hooliganisme commence à s’exporter depuis l’Angleterre,
notamment grâce aux compétitions européennes et aux médias. Les jeunes
britanniques se déplacent pour suivre leur équipe même en dehors de leur pays.
Cela plaît beaucoup aux jeunes italiens qui voient ces jeunes venir chez eux pour
défendre et encourager leur équipe à tout prix : au moyen de slogans, de
tambours, de drapeaux et de banderoles.
1.2. Formation du mouvement
Ce n’est que quelques années plus tard que naîtra le mouvement ultras : à la fin
des années soixante. L’Italie traverse une période étrange avec les manifestations
estudiantines de mai 1968. Un climat d’agitation, de terrorisme et de crise politique
règne dans le pays. Les jeunes, qui ont majoritairement entre 15 et 20, se
retrouvent au stade dans les virages (derrière les buts). Ils sont à cet endroit car la
ferveur y est plus intense et le prix des places est plus accessible.
Durant cette période, la politique fait partie intégrale de la vie des jeunes. Ceux qui
se retrouvent dans les stades se retrouvent aussi au sein de leur groupe politique.
4
Une cohésion de groupe se forme facilement, notamment à l’aide de ces
convictions extra-footballistiques qui les unissent.
Les jeunes ultras reprennent donc les bases du hooliganisme et des centres de
coordination. Ils amènent des énormes drapeaux, reprennent les chants venus
d’Angleterre et créent leurs banderoles. Mais ils se vêtissent aussi d’une toute
autre manière, ils s’habillent aux couleurs de leur club, ils sont beaucoup plus
attachés au club de football que les hooligans anglais. Le modèle hooligan laisse
un espace beaucoup plus grand entre le groupe de supporter et le club de foot.
Très vite, les ultras italiens vont se rendre compte de leur potentiel et de ce qu’ils
peuvent apporter à l’équipe, de la force et de l’importance de leur soutient. Le
mouvement grandit donc aussi vite que le football, les gens veulent faire partie
intégrante du match, ils veulent être plus qu’un supporter normal qui va au stade
simplement pour regarder le match, ils veulent aider leur équipe.
1.3. Evolution du mouvement
Au début du mouvement, il n’y a qu’un, voire exceptionnellement deux groupes
d’ultras par équipe, ils sont quelques dizaines voir une petite centaine de
personnes. Dans les années 80, ils sont des milliers à l’image du premier groupe
ultras, la fossa dei leoni du Milan AC, qui compte 15'000 membres à cette époque.
La violence entre ultras fait son apparition vers le milieu des années 70 et
augmente constamment avec le temps. Les déplacements se généralisent, ce qui
augmente les risques de violence.
On note une augmentation des spectateurs et des ultras dans le début des
années 80. Les groupes ultras se multiplient, ils réunissent maintenant des amis
ou des gens avec une passion commune. Il y a une nouvelle génération d’ultras
qui va naître, une génération qui aura beaucoup de différents avec les anciens
ultras.
En 1989, une loi va être crée et marquera le mouvement ultras à jamais : la loi qui
concerne les interdictions de stades.
Le début des années 90 est aussi marqué par l’arrivée de l’extrême droite dans
les virages, on va assister à une sorte de combat politique dans les tribunes.
5
La répression se durcit, la police aussi, utilise beaucoup la violence. Les ultras
sont révoltés par cette répression qu’ils estiment trop forte. Des réunions et des
manifestations seront crées pour discuter des problèmes du mouvement et de
lutter contre la répression. Il sera tout de même très difficile de faire défiler des
milliers d’ultras ensemble alors qu’ils s’insultent ou se battent chaque week-end.
Des institutions comme le Progetto Ultras, créé pour prévenir la violence et
promouvoir la culture ultras, vont naître. Les manifestations pour dénoncer la
répression excessive vont être plus fréquentes dans les années 2000. En 2003, la
loi sur l’interdiction de stade de 1989 va être durcie.
Dans les années 2000, beaucoup de grands groupes historiques vont disparaître,
notamment à cause des différents petits groupes qui veulent s’approprier le
virage.
Si on regarde maintenant au-delà des frontières, le phénomène ultras s’est très
bien exporté dans toute l’Europe et même le monde. Contrairement au
hooliganisme, il constitue un exemple à suivre de part ses principes. Le
mouvement ultras va tout d’abord s’exporté dans les pays latins comme l’Espagne
et le Portugal vers 1980, la France vers 1985 puis ensuite l’ex-Yougoslavie,
l’Autriche, la Suisse, l’Allemagne, la Grèce, etc… Le phénomène s’est même
exporté en Asie et en Afrique, mais beaucoup plus tard.
C’est la victoire de l’Italie lors de la Coupe du Monde de 1982 qui a mis les
projecteurs sur le mouvement ultras, les gens se sont intéressés au championnat
italien et ont donc aussi vu ces ultras. Les déplacements lors de compétitions
européennes ont aussi aidé à l’exportation du phénomène, comme l’avait fait le
hooliganisme.
Le climat politique en Italie a donc favorisé la création du mouvement ultra. Bien
qu’ayant une évolution constante et favorable au départ, le phénomène ultra doit
actuellement faire face à plusieurs problèmes, notamment la répression, la
violence et la différence de mentalité entre les nouveaux et les anciens ultras.
Même s’il est inspiré de deux bases différentes (le hooliganisme et les centres de
coordination), le mouvement ultras a des principes bien à lui. Nous allons
maintenant regarder de plus près ces principes ainsi que les bases du
mouvement.
6
2. BASES ET PRINCIPES DU MOUVEMENT
Afin de mieux comprendre la mentalité ultra, voyons maintenant les bases et les
divers principes du mouvement ultras
2.1. Qu’est-ce qu’un ultra ?
Ultras: Dénomination qui est donné pendant la Restauration à ceux qui voulaient
pousser à leurs dernières conséquences les principes de la royauté. Ce terme est
repris pour désigner les jeunes supporters italiens qui s’organisent au sein
d’associations pour soutenir activement les équipes de football à partir de la fin
des années 1960. Ils encouragent les leurs au moyen de slogans et d’animations
visuelles.
Contrairement aux préjugés, les ultras ne sont pas des adolescents complètement
perdus et issus de milieux difficiles. Ce sont généralement des jeunes entre 15 et
25 ans (voire plus) qui proviennent de milieux tout à fait normaux et variés
contrairement aux hooligans anglais qui viennent presque tous de milieux
défavorisés et qui correspondent plus à ce stéréotype. Pourquoi le foot ? C’est
tout simplement un sport simple qui est à la porté de tous, c’est le sport le plus
populaire en Italie depuis toujours, c’est presque une religion chez les transalpins.
Le mouvement ultras est un mélange de cultures : celle de la rue, du stade et du
sport.
Les ultras démontrent une grande fierté et un honneur auquel il ne faut pas porté
atteinte. Ils sont fiers de leur ville, de leur équipe, de leur groupe d’ultras. Ils se
sentent important dans leur groupe, un peu comme les joueurs d’une équipe de
football, mais en plus nombreux. Il y a un fort sentiment d’appartenance, ils
représentent ce groupe, ils sont ce groupe. Ils veulent être reconnus, être les
meilleurs. Ils tiennent beaucoup à leur engagement, comme ils le disent euxmêmes : ce sont eux les vrais supporters, les supporters ultimes.
Les ultras se réclament « acteurs à part entière », pas spectateurs. Les
spectateurs sont ceux qui payent leurs places, qui s’asseyent et qui admirent les
stars sur le terrain. Les ultras refusent cela, ils restent debout et participent
comme les joueurs, ils sont le « douzième homme » de l’équipe. Un ultra vit toute
la semaine en pensant au match du week-end, c’est sa passion. Il donnerait tout
7
pour son équipe, il va la suivre partout, peu importe la distance. Il vit pour son
équipe. Cela m’a bien été démontré dans l’interview que j’ai fait à Milan.
2.2. Principes et caractéristiques de bases
Il y a plusieurs principes de bases qui caractérisent les ultras, ces principes ne
sont notés nulle part, ce sont des règles morales que tout ultra est tenu de
respecter.
Le principe le plus important est certainement celui d’être toujours présent, pour
son équipe et pour son groupe. Il y a bien sûr le fait de soutenir son équipe : un
ultra qui ne chante pas n’est pas un ultra. Généralement les chants durent tout le
long du match. Il y a une forte solidarité entre les ultras, ainsi celui qui n’arrive pas
à payer le déplacement se verra aider financièrement par le reste du groupe, cette
solidarité est la même lors de bagarres entres ultras ou lors d’altercations avec les
forces de l’ordre. On demande aussi de la loyauté dans les affrontements, pas
d’armes blanches ni d’armes à feu, on combat loyalement. Malheureusement ce
principe n’est plus trop respecté depuis les années 80-90, l’usage de couteaux est
très fréquent. Les ultras refusent toute aide financière extérieure, de la part du
club ou d’autres sociétés, ils s’autofinancent. Ce principe est à l’heure actuelle très
théorique car en pratique, même si ils ne le disent jamais au grand jour, les ultras
ont d’autres revenus que les leurs. Ils doivent aussi être indépendants dans leurs
idées, leurs actes, ils ne doivent s’inspirer que d’eux-mêmes. Il y a un fort respect
pour les anciens du groupe dans le mouvement ultras, de par leur vécu et leurs
actes, ils sont très fortement respectés et des places bien précises leurs sont
réservées dans le stade.
Les joueurs ne sont pas adulés par les ultras, ce sont de véritables mercenaires
qui ne donnent pas d’importance au maillot, ils pensent plus à l’argent qu’au club
pour lequel ils jouent. Toutefois, certains joueurs sont quand même appréciés, ce
sont les joueurs qui ont des valeurs morales, qui aiment le club et qui démontrent
un attachement pour celui-ci. Les joueurs courageux et combatifs sont aussi
beaucoup appréciés, c’est très certainement car leur mentalité se rapproche
beaucoup de celle des ultras et qu’ils possèdent les mêmes traits de caractère.
Un des points importants du phénomène ultra est l’adversaire. C’est presque un
ennemi de guerre, on le haït, on l’insulte et souvent, on le combat. On combat
8
physiquement mais aussi par la parole, les actions et par sa discréditation. Il y a
un match dans le match qui se déroule dans les tribunes.
2.3. Les groupes et leurs banderoles
Les ultras se divisent en groupes : au départ du mouvement, il y en a souvent que
1 ou 2 par équipe, le nom de ses groupes s’inspire de l’Anglais le plus souvent
(Les Boys San de l’Inter, les Panters de la Juventus, etc…) mais bon nombre de
groupes possèdent un nom italien (La fossa dei Leoni du Milan AC, fossa dei Lupi
de l’AS Roma, etc…). Chaque groupe possède sa banderole, elle signifie
beaucoup de choses pour les ultras, c’est l’objet qui montre la présence d’un
groupe. C’est un déshonneur de se déplacer sans banderole et la honte suprême
est celle de se la faire voler. Lorsque cela arrive, le groupe stoppe généralement
ses activités.
La banderole délimite la place qu’occupe le groupe dans la tribune, c’est d’ailleurs
comme ça que les ultras vont réussir à s’approprier le virage. Les supporters
classiques possèdent une mentalité bien différente des ultras, ils adoptent un
comportement très différent. Lorsque les ultras ont commencé à placer leurs
banderoles, les supporters classiques ne se sentaient plus à leur place et sont
donc partis dans les tribunes latérales ou dans la tribune opposée. La banderole
représente le territoire des ultras, c'est-à-dire la tribune derrière un des buts : la
curva.
La taille d’une banderole peut varier, ça va de la banderole de déplacement qui
est grande de quelques mètres jusqu’à celle du Comando Ultras Curva Sud de
l’AS Roma dans les années 80 qui mesurait 53 mètres et occupait toute la
longueur du virage. Pour les déplacements, les groupes disposent tous d’une
banderole de taille réduite vu le peu de place qui leur est réservée.
La banderole est généralement aux couleurs du club, et contient bien sûr le nom
du groupe. Le vocabulaire du nom des groupes est souvent un vocabulaire à
connotations guerrières (Brigate, Commando, etc…). Le mot Ultras est aussi
présent dans le nom de bon nombre de groupes (Ultras granata du Torino, Ultras
Tito Cucchiaroni de la Sampdoria de Genova, etc…). Souvent des noms
d’animaux sont dans le nom de groupes ultras (Fossa dei Griffoni du Genoa,
Fossa dei Leoni du Milan AC, etc…). Ces noms sont souvent accompagnés de
symboles ou d’objets guerriers (Une épée, une hache, un glaive, etc…), des têtes
9
de morts, des têtes d’animaux (Lions, tigres, etc…) ou encore des symboles
politiques (Le Che, l’étoile rouge, la croix celtique, etc…). Une bonne partie des
groupes sont clairement imprégnés politiquement, ainsi le nom des groupes
s’inspire des groupes radicaux (Brigate, Fronte, etc…) et les symboles de ces
groupes sont eux aussi inspirés de ce contexte politique (Figure du « Che », un
poing fermé, la croix celtique, etc…). Ce sont des noms et des symboles marqués
de gauche car la tendance au début des années 70 est clairement gauchiste, nous
verrons cela de plus près dans le chapitre 5 : Politique et racisme.
Par la suite, avec l’arrivée des nouveaux ultras qui sont moins imprégnés de
politique que ceux de 1970, le nom des nouveaux groupes change un peu de
domaine. Les noms sont plus ironiques voir provocateurs : Brianza Alcoolica,
Nuclei sconvolti2, Bravi Ragazzi3, etc… Les emblèmes qui apparaissent sur les
banderoles des groupes ou sur des drapeaux, étendards, etc… changent eux
aussi : les ultras vont les chercher dans le contexte des bandes dessinées
(Astérix, Donald, etc…) et de l’alcool ou de la drogue (chope de bière, feuille de
chanvre, etc…). On voit aussi de symboles liés à la ville comme le S.P.Q.R. à
Roma ou l’insigne de la ville.
Je vous invite à aller voir l’image n°1 dans la partie « Images » des annexes.
2.4. Relations entre les Ultras
Il existe des jumelages entre les ultras d’équipes différentes. Ces jumelages
peuvent toucher les virages entiers ou uniquement 2 groupes. Ils sont très fragiles
car un événement peut bouleverser et inverser un jumelage.
Les jumelages et les rivalités se basent sur plusieurs domaines : le domaine
sportif, « l’esprit de clocher » ou les rivalités régionales, la politique (comme nous
le dit l’ultra que j’ai interrogé) et les incidents du passé entre les ultras de ces deux
équipes. Ainsi l’ensemble des ultras de l’Inter sont jumelés avec ceux de la Lazio.
Ce jumelage est basé sur la politique : les deux tifoserie4 étant clairement
d’extrême droite. Si deux mêmes équipes en haïssent une, il se peut qu’un
jumelage naisse.
2
En français : Les noyaux fous
En français : Les hommes braves
4
Tifoseria : est l’ensemble des supporters d’une équipe
3
10
Quand deux équipes sont jumelées, il n’y a pas de chants ou de banderoles
insultantes entre les deux camps, on y reprend souvent ensemble des chants de
l’autre club jumelé ou encore des chants contre le rival d’un des deux clubs. On
peut facilement se rendre avec l’écharpe de son club dans l’autre tifoseria, on
n’aura pas de problèmes. Lorsqu’une des deux équipes doit jouer un match
important, il se peut que les ultras de l’autre club jumelé se déplacent et viennent
aider leurs amis, pour encourager mais aussi pour d’éventuels affrontements. La
banderole du groupe qui vient aider est exposée à côté des autres.
Il y a certaines alliances bien soudées mais la plupart sont fragiles et peuvent
éclater pour diverses raisons : un résultat dans un match important, des tensions
avec les supporters classiques, un changement de dirigeants ultras ou encore des
violences entre des membres des deux clans.
2.5. Nouvelle génération d’ultras
Une nouvelle génération d’ultras fait son apparition à la fin des années 80. Les
idées de cette nouvelles génération sont assez différentes des principes de base
et cela crée beaucoup de discussions avec les anciens ultras du groupe.
Une des causes de ces changements de principes ou de mentalité est la
répression trop forte que subit le mouvement dans les années 90, les ultras ne
sont plus libres comme avant et sont donc obligés de s’adapter. Ils adoptent tout
d’abord le look casual des hooligans anglais, il consiste principalement à être plus
discret pour éviter la police. Les ultras au look casual portent des habits normaux
afin de ne pas se faire remarquer et n’ont comme signe distinctif qu’une écharpe
du club ou de leurs groupes (vous pouvez voir des ultras au look casual sur les
images 7, 8, 9, 11 et 14 des annexes). Ils s’inspirent énormément du mouvement
hooligan. Un des principes des ultras est celui d’avoir ses propres idées, il est
pleinement bafoué.
Ces nouveaux ultras se font plus discrets dans les transports, afin de ne pas être
encadrés par la police, ils ne prennent pas les trains spéciaux5. Cette nouvelle
génération utilise beaucoup les armes blanches comme les couteaux, pourtant un
combat loyal est un des principes des ultras. On note aussi des attaques
organisées et énormément de vandalisme, on accuse même certains ultras de ne
5
Voir chapitre 4.1
11
pas être de vrais ultras mais d’être juste des personnes qui profitent du
phénomène de masse pour tout casser, on appel ces personnes les cani sciolti6.
Je me réfère à l’interview de l’ultra (en annexe), qui m’a un peu éclairé à ce sujet.
Lors de déplacements, le matériel urbain est souvent saccagé et contrairement à
avant, ces ultras cherchent la violence avant tout. Ils ne sont pas imprégnés dans
la politique comme l’étaient les ultras des années 60-70 mais cette fois-ci, les
nouveaux ultras sont clairement matqués de droite contrairement aux premiers
ultras qui eux, étaient de gauche.
Avec cette nouvelle mentalité qui se rapproche du mouvement hooligan, les
groupes perdent beaucoup d’influence et ne peuvent rien faire contre. Il y a
beaucoup plus d’électrons libres qu’avant. Certains groupes ne sont néanmoins
pas touchés ou très peu.
Nous pouvons donc relever six principes fondamentaux : l’indépendance des
idées, l’autofinancement, la solidarité, la présence, la loyauté lors des
affrontements et le respect pour les anciens. Malheureusement, avec la nouvelle
génération d’ultras, bon nombre de ces principes sont bafoués et cela créera des
problèmes comme la disparition de grands groupes historiques qui laissent place
aux petits groupes. Les ultras se rendent compte que le mouvement part à la
dérive
.
3. DANS LE STADE
Nous allons maintenant voir comment cela se passe dans le stade à travers
l’organisation, le soutient vocal et le spectacle dans les tribunes.
3.1. Organisation
Une des principales caractéristiques du mouvement ultras est l’organisation,
contrairement aux hooligans anglais qui ont une organisation très limitée.
Les ultras se regroupent dans un virage, voir même deux pour certaines équipes
(Napoli, Fiorentina, Brescia ou encore Catania par exemple). Ce lieu est choisi
pour diverses raisons : C’est un lieu où la ferveur est plus forte que dans le reste
du stade vu sa position, le prix des places est bas ce qui permet à tout le monde
6
En français : Chiens enragés.
12
de s’y rendre. De plus, en étant derrière le but, ils sont derrière leur équipe, ils
jouent un peu le rôle du gardien qui protège son but. Très vite, il y a un fort lien
sentimental qui lie les ultras à leur tribune, c’est un territoire à défendre, il
représente même la ville entière pour eux. Lorsque le stade est partagé par deux
équipes, comme c’est le cas à Milan, à Rome ou à Gènes, les ultras de chaque
équipe occupent le virage opposé. Ainsi nous avons la Curva Nord de l’Inter et la
Curva Sud de Milan AC, idem pour les équipes de Rome et de Gènes.
C’est à la fin des années 70 qu’on s’organise vraiment. Comme pour toute
communauté, des règles se mettent en place. Ceci dit, elles vont souvent au-delà
de la loi. Ainsi l’usage de drogues est courant en curva, encore rare aux débuts du
mouvement, il augmente avec le temps. C’est généralement des drogues douces
qui sont consommées mais l’usage de drogues dures n’est pas exclu. Ces règles
sont acceptées par le club de football mais aussi par la police qui ne s’aventure
dans la tribune qu’en cas de violents affrontements. En effet, toute présence
policière est considérée comme une intrusion ennemie, les ultras détestent les
policiers et il serait donc suicidaire d’entrer en curva pour les policiers7.
Le personnage le plus important de la curva est le capo8 (voir image n°2 dans les
annexes), il occupe généralement ce poste car il s’est fait remarquer par son
courage et sa bravoure dans les affrontements, c’est un personnage connu de
tous qui est généralement un vétéran des ultras du club. Le capo est positionné
sur la rambarde, il tourne le dos au terrain pendant tout le match et dirige la curva
à l’aide d’un mégaphone ou d’une sono pour les groupes les plus organisés. C’est
lui qui entretiendra les relations directes avec le club. Ensuite, chacun met la main
à la pâte, certains ont un rôle bien précis, l’organisation des ultras est comparable
à celle d’un groupuscule politique. Le mouvement s’est d’ailleurs certainement
inspiré de cette organisation. Mêmes les femmes sont présentes, leur participation
est précieuse notamment pour la réparation de drapeaux, la gestion des affaires
courantes, la vente, etc…
Le capo se trouve au centre de la curva. En face de lui se trouve le groupe le plus
important, le plus ancien. Les autres groupes se rapprochent du centre suivant
leur importance et chaque groupe possède un capo qui suit les indications du
7
8
Nous en reparlerons d’avantage dans le chapitre 4.2
Capo signifie Chef en italien.
13
capo du groupe central. Dans chaque groupe, nous trouvons les plus anciens aux
premiers rangs, les accès sont contrôlés et n’importe qui ne peut pas s’y rendre.
Le match se vit debout sur les sièges.
On organise des collectes lors des matchs et des cartes de membres sont créées
et chaque membre paye des cotisations qui servent généralement à acheter de la
peinture pour les banderoles ou à financer d’autres achats de matériel. Le
mouvement ultra veut garder son indépendance, ainsi toute aide du club est
refusée. Cela permet de pouvoir contester et de s’opposer aux décisions du club.
Les groupes ultras produisent aussi des gadgets qu’ils vendent aux entrées des
secteurs avant le match (voir image n°3 dans les annexes). Au début, c’est
principalement des écharpes ou des casquettes qui sont fabriquées mais
aujourd’hui, il y a différents types de gadgets : des pulls, des autocollants, des
porte-clés, des drapeaux, etc… Les ultras de la Lazio iront même jusqu’à ouvrir
des boutiques en ville mais ce sont les seuls ultras du pays qui le font.
Certains ultras possèdent un local, il leur sert de lieu de réunion et de rencontre
mais il sert aussi pour l’entreposage de matériel. Ceux qui ne disposent pas de
local se retrouvent dans un bar, toujours le même, ils le considèrent comme leur
siège.
3.2. Soutien vocal
Les chants sont très importants pour les ultras, au début du mouvement, cela
constituait l’unique moyen de soutien, ensuite le matériel a fait son apparition.
Le but de ces chants est bien sûr d’encourager, de donner de la force à son
équipe. En étant en curva, on chante quasi tout le match et ce presque sans
arrêts, les chants varient (il y en a beaucoup). Les ultras s’inspirent de plusieurs
types de musique, leur répertoire est vaste: il va de l’opéra jusqu’aux chants
révolutionnaires en passant par la pop. Ils se sont aussi inspirés des hooligans
pour certains rythmes. On colle ensuite des paroles sur ces rythmes, ainsi on peut
avoir plusieurs chants différents pour un seul rythme. Il peut arriver que certains
mouvements soient associés aux chants : battements de main, sauts,
déplacement à gauche ou à droite de toute la rangée, etc…
Les paroles s’appuient sur plusieurs thèmes : l’amour pour le club est très souvent
évoqué (« Questo è un canto di amore che ci viene dal cuore forza Inter ale,
14
Impazzisco per te »9).L’attachement à la ville est aussi un thème utilisé, nous
voyons certains chants en dialecte local10.
Il y a aussi les chants dédicacés aux joueurs qui sont généralement chantés
pendant l’échauffement des équipes juste avant le match, ces chants sont souvent
très élémentaires en scandant le nom d’un joueur sur une mélodie quelconque,
mais il arrive que les chants soient plus élaborés, souvent pour les joueurs qui
plaisent le plus aux ultras (Ainsi Javier Zanetti, joueur de l’Inter depuis 13 ans et
actuel capitaine a un chant spécial : « Tra i nerazzurri c’è, un giocatore che,
dribbla come Pelè, dai Zanetti ale » (« Il y a entre tous les nerazzurri11, un joueur
qui dribble comme Pelè12, allez Zanetti allez »). Les ultras sont aussi souvent fiers
de chanter l’affirmation d’un titre, d’un succès (Le fameux « Siamo noi, siamo noi, i
campioni dell’Italia siamo noi »13).
Un autre thème énormément utilisé est celui de l’adversaire, le chant contre
l’adversaire est très répandu et il en existe généralement plus d’un par équipe.
Ces chants reprennent souvent des défaites mémorables ou des événements peu
honorables pour un club (rétrocession dans la ligue inférieure pour tricherie,
etc…). Les paroles utilisées pour ces chants sont souvent très vulgaires et
insultantes pour l’adversaire. Ils chantent ce type de chants dans le but de
déstabiliser l’adversaire. Il faut dire qu’il y a toujours une surenchère de la part des
ultras, la plupart ne pensent pas certaines insultes graves qu’ils disent.
Certains chants sont contre des faits de matchs : une mauvaise décision de
l’arbitre, un joueur qui reste trop longtemps par terre, un méchant tacle, etc... Dans
ces cas les insultes fusent pendant de longues minutes. Il y a aussi certains
chants contre la police ou le gouvernement.
Lorsque un joueur adverse est impliqué, il est sifflé à chaque fois qu’il touche la
balle, et ce jusqu’à la fin du match.
Le soutient vocal est très important car les joueurs sont obligés de l’écouter même
sans le vouloir, ce n’est pas comme une banderole ou un drapeau qu’ils ne voient
9
En français : « C’est une chanson d’amour qui nous vient droit du cœur, Aller l’Inter, je suis fou de
toi »
10
En Italie, les dialectes sont presque plus parlés que la langue italienne, ils sont très différents les
uns des autres et mettent en avant la fierté d’appartenir à une région avant d’appartenir à l’Italie.
11
Bleus et noirs, les couleurs de l’Inter ici utilisé pour définir un interiste.
12
Joueur brésilien considéré comme un des plus grands joueurs de l’histoire du foot
13
En français: « C’est nous, c’est nous, les champions d’Italie c’est nous »
15
qu’au début du match. C’est là qu’on peut dire que ce public joue ce fameux rôle
du « douzième homme », ça reflète la mentalité ultra, ils veulent participer au
match et non pas le regarder.
Pour le choix et la synchronisation des chants pendant le match, c’est le capo qui
s’en occupe. Il choisit un des nombreux chants et donne le départ à l’aide de son
mégaphone
3.3. Le spectacle des tribunes
Les ultras sont réputés pour leur sens du spectacle, si au départ ce spectacle
reste élémentaire, il deviendra avec le temps très élaboré et organisé.
L’accessoire de base des ultras est le drapeau, il a toujours été très important
pour eux car c’est vraiment le premier accessoire qui est apparu dans les tribunes.
Il est grand et économique, un simple bout de tissu aux couleurs du club peut faire
l’affaire, il faudra ensuite un mât en bois, en plastique ou en fer. Il y a plusieurs
sortes de drapeaux : les drapeaux aux couleurs du club et avec le nom du groupe,
le drapeau politique (Nous verrons l’émergence de drapeaux nazis ou fascistes un
peu plus tard), le drapeau de la nation (Le célèbre tricolore italien) ou encore un
signe de solidarité envers certains peuples (Le Tibet par exemple).
Dès 1975, il y a aussi beaucoup de fumigènes ou d’autres objets pyrotechniques
qui arrivent dans les stades, d’abord dans les villes portuaires, et ensuite dans le
reste de l’Italie. Les ultras les récupèrent généralement gratuitement sur les
bateaux mais il peut arriver qu’ils doivent en payer. Dès 1993, les fumigènes sont
interdits dans les stades de foot suite à plusieurs problèmes.
Les drapeaux et divers fumigènes sont le spectacle en cours de match, mais le
réel spectacle se produit juste avant le coup d’envoi, quand les joueurs entrent sur
le terrain. On appelle cela la coreo en italien ou le tifo en français. Au départ, il n’y
en a que pour les matchs importants et il est très rudimentaire. C’est un match
entre les ultras où celui qui aura le plus d’imagination gagnera. L’on voit ainsi des
rouleaux de papier toilettes se dérouler depuis la curva, des confettis tomber, des
centaines de drapeaux identiques, etc… Mais avec le temps, ça deviendra un
véritable spectacle organisé minutieusement. On trouve plusieurs supports : des
grandes feuilles en plastique ou en papier sont tendues par chaque personne du
virage, des petits drapeaux en plastique et des ballons de baudruche sont agités,
16
des grandes toiles peintes sont posées sur le public, etc… Pour les grands
matchs, ces spectacles sont préparés des mois à l’avance. On a d’abord l’idée
(généralement les ultras les plus influents de la curva), ensuite on choisit le
support (souvent plusieurs supports sont utilisés) et après, on prend le plan de la
tribune qui a été donné par le club puis on décide où mettre quoi. Finalement le
jour du match, quelques ultras (entre 30 et 50 en général), en accord avec le club,
entrent quelques heures avant le début du match afin de déposer les différents
accessoires sur chaque siège, les limites sont bien marquées par des fils et en
général tout le virage (voire plus) participe au tifo. Les tifo ne durent que 1-2
minutes, c’est beaucoup d’argent et de travail pour très peu de temps de
spectacle. Un tifo peut coûter plusieurs milliers de francs suisses. Théoriquement,
ils ne reçoivent aucune aide financière mais dans la pratique c’est bien souvent
différent, surtout aujourd’hui.
Ces spectacles sont la marque de fabrique des ultras, ils sont réputés dans tout le
monde, ça démontre le sens du spectacle qui caractérise le mouvement ultras.
On trouve souvent dans les curva des banderoles simples (blanches ou
unicolores) appelés striscioni avec des messages en fonction de l’actualité : pour
faire passer un message aux dirigeants, à d’autres personnes ou à l’adversaire
(contre la répression, en hommage à un ultra ou à une personne décédée, etc…).
Ainsi, lorsqu’un supporter de la Lazio est tué lors d’un derby le 28 octobre 1979,
on voit une banderole dans la curva de l’AS Roma lors du derby suivant :
« 28/10/79 : « Esempio » (Exemple). Ce sont souvent des choses très choquantes
qui apparaissent sur les banderoles contre l’adversaire. Il y a une surenchère
utilisée pour discréditer l’adversaire, qui peut être très macabre à l’image de la
banderole du derby de Roma, mais aussi être juste insultant ou humiliant comme
des références à la rétrocession en deuxième division de la Juventus.
Il peut arriver que les ultras fassent une sorte de grève contre les dirigeants ou les
joueurs, dans ce cas là, la curva est vide et contient juste une banderole pour faire
passer le message.
On voit donc que le stade est un lieu d’expression, de par les chants, de par les
spectacles et de par les revendications. Il constitue aussi un espace de liberté où
tout est presque permis, mais malgré tout, tout est organisé de manière précise et
17
efficace. Maintenant qu’en est-il des déplacements? Nous allons voir cela dans le
prochain chapitre qui traitera également de la violence et de la répression.
4. DEPLACEMENTS, VIOLENCE ET REPRESSION
Les ultras ressentiront vite le besoin de se déplacer avec son équipe pour la
soutenir, l’accompagné en territoire ennemi. Ces déplacements amèneront à la
violence qui conduira à la répression sur le mouvement ultra.
4.1. Déplacements
Les ultras veulent toujours être présents pour leur équipe, c’est la principale
motivation aux déplacements qu’ils vont entreprendre au cours des années 70.
Mis à part la volonté d’être présents pour son équipe, un fort sentiment de
découverte des autres groupes ultras occupe les ultras qui effectuent le
déplacement. La présence d’ultras adverses stimule les locaux et améliore ainsi la
qualité du spectacle et de l’encouragement.
Au départ, ils sont quelques dizaines et voyagent avec les membres des centres
de coordination dans des cars organisés, mais la différence de mentalité entre les
ultras et les supporters classiques va les pousser à s’organiser eux-mêmes.
En 1975, les premiers trains spéciaux sont organisés, ce sont des trains qui sont
prévus pour les supporters qui veulent se rendre à un match de foot. Ces convois
ne s’arrêtent généralement pas dans la gare centrale de la ville mais plutôt dans
une plus petite gare plus proche du stade pour des raisons de sécurité. La police
n’est pas présente à bord de ces trains et l’anarchie règne un peu. Ainsi l’usage
de drogue, l’abus d’alcool et les différentes déprédations ne sont pas rares. Seuls
des contrôleurs sont présents à bord, les ultras en profitent souvent pour voyager
gratuitement étant donné qu’un groupe d’ultras pèse plus qu’un contrôleur. La
police encadre les ultras dès l’arrivée en gare. Les ultras en auront marre d’être
encerclés de policiers et essayeront le plus souvent d’organiser des voyages en
car. Dans ce cas là, la police ne peut pas les escorter, ainsi les ultras sortent du
car protègent eux-mêmes leur bus en l’encerclant à l’arrivée au stade.
Les déplacements feront un tri naturel entre les « vrais » supporters qui suivent
leur équipe partout et ceux qui se contentent des matchs à domicile. Vers 1980,
18
ces expéditions se généralisent et se déplacer devient quelque chose de normal, il
y a une certaine culture du déplacement qui se crée chez les ultras. Ce ne sont
plus des dizaines d’ultras mais des centaines voire des milliers qui se déplacent.
L’affichage de la banderole est une chose très importante lors des déplacements,
elle indique aux groupes locaux la présence de groupes visiteurs. Se déplacer
sans sa banderole est quelque chose d’inacceptable. Au début, les secteurs
visiteurs n’existent pas et les ultras se retrouvent donc au milieu des supporters
locaux. Très vite, cela va poser des problèmes et des secteurs visiteurs seront
créés un peu plus tard. La sécurité va s’améliorer au fil des ans.
La notion de territoire est très importante pour les ultras, ils reprennent ça des
hooligans anglais. De leur tribune jusqu’à la ville entière, il se considère comme
les défenseurs de leur territoire et toute intrusion ennemie est considérée comme
une attaque, une menace. Ceci entraîne obligatoirement de la violence, elle se
produit principalement dans le stade mais pas uniquement, elle se déplace dans
les alentours voir même au centre ville. Ainsi quand des ultras envahissent leur
tribune, ils vont la défendre. Quand ils envahissent la ville, ils vont aussi la
défendre.
4.2. Violence et répression
Avant 1970, les violences sont assez rares et elles touchent les acteurs du match :
joueurs, arbitres mais pas les supporters adverses vu qu’il y en a très peu voire
pas du tout. Ainsi on assiste souvent à des menaces de morts, des arbitres suivis
jusqu’à chez eux, des jets de bouteilles depuis les tribunes, etc… Dès l’arrivée des
ultras, d’autres violences vont se produire car ils manifestent leur présence, ils
montrent leurs couleurs et comme dit plus haut : ils n’ont pas de secteur séparé du
reste de la foule. Les ultras ne font pas venir la violence dans le stade, ils la font
augmenter et en changent la cible. Les visiteurs doivent faire très attention, ils
doivent anticiper les mouvements, les embuscades, etc… Il arrive que les ultras
se battent avec le public normal au début des déplacements car les ultras les
empêchent de voir le match tranquillement : ils sont debout, chantent, ont des
drapeaux, des fumigènes. En général, les ultras visiteurs sont placés dans le
virage opposé à celui qu’occupent les ultras locaux. Malgré tout, les ultras locaux
peuvent se déplacés librement dans le stade et peuvent faire le tour facilement vu
qu’il n’y a pas de secteurs délimités.
19
Dès 1974, les violences entre ultras commencent vraiment et sont très
nombreuses. Il y a des agressions organisées comme c’est le cas dans les
manifestations politiques de l’époque. Petit à petit, l’usage d’armes apparaît
(bâtons, couteaux, cocktails Molotov, lance-fusées, etc…) et les attaques sont
plus fréquentes, des trains spéciaux sont brûlés avec des cocktails Molotov à
Florence, de violentes bagarres aux couteaux éclatent à Milan, etc… On atteindra
l’apogée de cette violence dans la fin des années 70, ce sont de véritables
guerres qui se déroulent dans les stades chaque week-end, et plusieurs
personnes meurent. Lors d’un derby romain en 1979 : un supporter de la Lazio se
retrouve perforé par une fusée envoyée de la curva sud de l’AS Roma. Les
supporters de la Lazio sont enragés après ce meurtre et veulent empêcher le
match de se dérouler. Malgré les nombreux incidents en tribune et une police
dépassée, le match aura lieu. A la fin du match, de violents affrontements auront
lieux aux alentours du stade et dans la ville. Ce meurtre secoue l’opinion publique
et l’Italie prend conscience de l’ampleur qu’a prise cette violence. La mort est
frôlée à plusieurs reprises et l’Italie est scandalisée. Cependant le nombre de mort
reste faible par rapport aux dangers que cela représente.
Des premières mesures sont prises : les contrôles seront plus fréquents, les
spectateurs pourront être fouillés, il y aura beaucoup plus de force de l’ordre dans
les gradins, les mâts des drapeaux, les fumigènes et les banderoles aux noms
guerriers seront interdits (seulement temporairement car ces choses seront
réintroduites plus tard). Ces mesures répressives ne changeront pas grand-chose.
Malgré la forte présence de policiers, il y a toujours autant voire plus d’actes
violents, les armes se répandent et le sommet de cette violence au niveau
européen sera le fameux drame du Heysel en 1985 où 39 personnes moururent
piétinées.
Le 13 décembre 1989, une grande loi de répression va être mise en place et va
toucher le mouvement ultras à jamais, la loi n°401 qui est la loi relative à l’ordre
public lors des manifestations sportives. L’une des principales mesures de cette loi
est la fameuse interdiction de stade : la daspo qui peut durer de 6 mois à 3 ans.
En 1990, l’Italie accueille la Coupe du Monde et rénove une bonne partie de ses
stades. Ces rénovations ne conviennent pas aux ultras car les concepteurs ont
20
mis l’accent sur la sécurité avec des secteurs visiteurs protégés, des séparations
entre les secteurs, des vitres en plexiglas ou encore des postes de sécurité.
On assiste à une modification de la violence : puisque l’on ne peut plus se battre
contre les adversaires, on se bat contre la police. On assiste aussi à beaucoup
d’actes de vandalisme en dehors des stades dans toute la ville. Les groupes
perdent un peu le contrôle de cette nouvelle génération qui est en train d’arriver
dans les virages.
La police a souvent recours à la violence et souvent de manière exagérée avec
des charges inutiles et des blessés voire des morts. Ceci a créé une mentalité
anti-police et tous les ultras détestent cette dernière peut-être plus que
l’adversaire. Les ultras sont très solidaires entre eux, ainsi on voit plusieurs
banderoles qui dénoncent cet abus de répression (« Citoyen libre ? Non, Ultras »).
En 1999, les trains spéciaux sont supprimés et la vente de billet aux adversaires le
jour du match est interdite. En 2000, le gouvernement, d’entente avec la
fédération de football, signale que lorsqu’une banderole raciste ou violente
apparaît dans les tribunes, le match sera suspendu. Cette situation ne s’est jamais
produite…
En 2003, on opère à un durcissement de la loi n°401 de 1989: une personne peut
être arrêtée sur preuve vidéo jusqu’à 36 heures après le match, le préfet peut
déplacer un match ou en interdire l’accès aux visiteurs, les fumigènes et feux
d’artifice sont interdits.
Il est dommage qu’on ait utilisé beaucoup de répression et aucune prévention. Il
n’y a eu aucun dialogue entre les deux parties (Ultras et police), on a répondu à la
violence par la violence
Il y a actuellement beaucoup de discussions sur le moyen de stopper cette
violence, souvent, la solution anglaise contre le hooliganisme est évoquée : une
augmentation des prix a poussé les hooligans hors des stades et c’est désormais
un public « sage » qui occupe les stades anglais, ce qui convient actuellement
parfaitement aux clubs de foot qui veulent des spectateurs qui adoptent
l’attitude « je paye et je m’assieds ». Cependant je pense que c’est une fausse
solution, les hooligans se retrouvent dehors et se battent toujours dans la rue, on
n’a pas résolu le problème : on l’a déplacé. De plus, une augmentation des prix
21
retiendrait encore plus les italiens d’aller au stade, et les stades sont déjà vides à
l’heure actuelle…
La violence et la répression ainsi que le chapitre suivant qui traitera de la politique
et du racisme, seront largement évoqués dans l’interview.
5. POLITIQUE ET RACISME
Les ultras sont souvent assimilés à la politique, au racisme, essayons maintenant
de savoir et de comprendre pourquoi. Il y a deux phases, celle des années 70 et
celle des années 90.
5.1. Situation dans les années 70.
Le mouvement ultra nait vers la fin des années 60 alors que la politique est en
pleine crise en Italie. Des manifestations secouent le pays depuis des années,
elles sont souvent violentes à l’image de mai 68. Les jeunes se retrouvent
confrontés chaque jour à la politique, ils baignent dedans. La majorité est
clairement à gauche (86,8% des italiens se disent de gauche en 1975). Le
terrorisme présent depuis les années soixante redouble vers 1975, ça secoue
l’Italie et c’est au centre des préoccupations de l’opinion publique.
Ainsi, ceux qui militent dans la rue sont les mêmes que ceux qui vont au stade,
cela entraîne forcément un déplacement de la politiques depuis la rue jusqu’au
stade qui constitue un théâtre d’expression pour ces jeunes gens.
Les ultras adoptent ainsi des noms qui proviennent des groupes radicaux (brigate,
fronte, etc…). Des symboles sont aussi utilisés, ainsi, il n’est pas rare de voir une
figure du « Che », un poing fermé, etc… dans les tribunes. Des symboles et des
noms de droite sont aussi utilisés par certains groupes, mais ça ne reste qu’une
faible minorité.
Les ultras font exprès d’utiliser des noms et des symboles guerriers pour faire
peur, pour choquer, pour provoquer. Il n’y a souvent pas d’adhésion réelle au
mouvement politique, pas mal d’ultras ne sont pas impliquées politiquement. Le
but principal reste de créer un climat de peur.
Les groupes politiques fascinent les ultras surtout par leur organisation, on trouve
d’ailleurs beaucoup de similitudes dans une organisation de groupe ultras et une
22
organisation de groupuscule politique. On peut même aller plus loin en trouvant
beaucoup de points communs entre le mouvement ultra et la vie d’un groupe
politique : volonté de se faire entendre, volonté de choquer et de provoquer,
violences, organisation, affrontements avec la police, etc…
Dans les virages, il existe aussi des contradictions politiques, ainsi les premiers
ultras de Verona s’appellent « Brigate Gialloblu », le terme brigate étant clairement
de gauche, le groupe contient pourtant beaucoup de militants d’extrême droite et
va vite se distinguer par son racisme.
Malgré tout, les ultras empruntent plus des symboles à la gauche que de
véritables convictions politiques. Il n’y a pas eu d’infiltration politique dans les
stades : C’est le stade qui est venu à la politique et non pas la politique qui est
venue au stade.
5.2. Situation dans les années 90
Un peu laissée à l’abandon depuis quelques années, la politique fait son grand
retour dans les stades au début des années 90. Cette fois ci la tendance est
fortement à droite.
L’Italie doit faire face à un nouveau problème, l’immigration. Cela se traduit par
une montée en puissance de la droite et surtout de l’extrême droite dans les
années 90. Cette fois ci, la jeunesse n’a pas baigné dans la politique et on peut
parler d’une véritable pénétration des groupuscules d’extrême droite dans les
virages italiens. Les premiers virages touchés sont ceux réputés d’extrême droite,
ainsi l’Inter, la Lazio et Verona sont les premiers touchés. Ensuite, certaines
tribunes de gauche sont aussi touchées, c’est le cas de celle de l’AS Roma et de
Bologna. Ce sont d’abord des symboles qui sont empruntés à l’extrême droite puis
des banderoles racistes et plus rarement des agressions contre des étrangers
dans les tribunes. On observe une banalisation du racisme en Italie, ainsi nous
pouvons trouver des banderoles du genre : lors du derby romain de 1996, les
ultras de la Roma montre un striscione « Vous avez la couleur des juifs » (Bleu et
blanc, couleurs du drapeau israélien) tandis que ceux de la Lazio brandissent :
« Et vous en avez l’odeur ».
23
A Verona, on proteste contre l’arrivée d’un joueur africain : un mannequin noir est
pendu au virage et une banderole est brandie : « Le noir nous vous l’offrons pour
nettoyer le stade ».
Peu à peu, la quasi-totalité des villes sont touchées et seuls quelques irréductibles
groupes de gauches gardent leurs convictions. C’est le cas de Livorno, Pisa,
Ancona, etc… Certains se déclarent par contre apolitiques comme ceux du Milan
AC, de la Fiorentina, de la Sampdoria ou encore de Napoli. Dans certains cas, il y
a une cohabitation entre les groupes de gauche et de droite comme à Modena ou
à Perugia, étonnamment ceci se passe sans trop d’incidents.
Les ultras d’extrême droite les plus connus sont les Irriducibili de la Lazio, en 2005
lors de Lazio-Livorno, il y a un réel combat politique qui règne dans les tribunes.
Les ultras de la Lazio le gagneront haut la main. Des dizaines de drapeaux
fascistes, nazis ou italiens fleurissent dans la curva nord et une banderole est
déployée : « Rome est fasciste » (voir image n°12). Paolo Di Canio, joueur de la
Lazio, saluait d’ailleurs son public en faisant un salut fasciste après avoir marqué
un but (voir image n°13). Cela créa beaucoup de polémiques en Italie.
Cependant, il faut encore une fois relativiser la politique dans les stades, elle est
souvent utilisée pour choquer et discréditer l’adversaire plutôt que comme une
réelle conviction politique. Par exemple, il peut arriver que des cris de singes
descendent de la curva lorsqu’un joueur noir joue dans l’équipe adverse. Cela est
très choquant et incompréhensible mais les ultras le font pour discréditer
l’adversaire, l’humilier et pour choquer l’ensemble des personnes. Même si pas
mal d’ultras ont de réelles pensées extrémistes, une bonne partie adopte juste ce
comportement pour ces raisons.
6. COMMENT LES ULTRAS SONT-ILS VUS ?
Comment réagissent le peuple et les médias par rapport à ce phénomène ? Quel
est leur opinion ? Nous allons tenter de répondre à ces questions dans ce
chapitre.
6.1. Par les médias
24
Dans les premières années du mouvement, les médias se soucient très peu du
mouvement ultra. La presse et le peuple, en général, sont plus préoccupés par les
violences politiques qui se produisent à ce moment là. Ce n’est que vers 1980,
après une période assez violente, que les médias vont s’intéresser à ce
phénomène. Ils vont vraiment prendre conscience de cette violence après le
fameux derby romain où un homme a été tué par une fusée lancée depuis la curva
sud de l’AS Roma. Petit à petit des institutions comme la ligue de football italienne
(Lega Calcio) vont regarder de plus près ce phénomène.
Très vite, il y aura une surenchère des violences par la presse, les incidents feront
les gros titres et on en parlera beaucoup. Les ultras reprochent aux médias de ne
voir que le côté négatif du mouvement et de surenchérir les faits. La presse fait
cela car « ça fait vendre ». Ainsi les médias ne cherchent pas à comprendre le
mouvement ultras et jouent sur les stéréotypes classiques (par exemple celui des
jeunes drogués en perdition et aux services sociaux). Ils ne montrent pas les côtés
positifs du mouvement : la fidélité, la présence dans n’importe quel cas, les
jumelages, les actes de solidarité dont ils font preuve, etc... Il s’agît par exemple
de solidarité envers d’autres peuples, ainsi, quand une catastrophe naturelle se
produit, les ultras font des collectes dans les tribunes afin de récolter des fonds. Il
arrive aussi qu’ils brandissent une banderole avec le numéro de compte d’une
association ou qu’ils se rendent sur place pour aider lors d’un tremblement de
terre en Italie par exemple.
Les ultras détestent donc les journalistes et les médias en général presque autant
que les policiers. Malgré tout, les ultras gardent minutieusement les articles de
presse qui parlent de leur groupe, cela constitue la récompense d’un travail, une
fierté. Les articles de journaux font aussi augmenter la réputation d’un groupe.
6.2. Par la population
En général, les ultras sont plutôt mal perçus par l’opinion publique. C’est surtout
dû au fait qu’ils créent beaucoup de problèmes, notamment lors de leurs
déplacements où il se produit beaucoup d’agressions et d’actes de vandalisme. La
population se fait un peu les mêmes idées sur les ultras que la presse, et ce n’est
pas si étonnant étant donné que le travail de la presse est de renseigner les gens.
Ils sont souvent pris pour des fous, des gens à problèmes. Eux aussi ne voient
pas les bons côtés du mouvement ultras. Il est vrai que les ultras affichent mal
25
lorsqu’on allume la télévision et que l’on voit des centaines d’ultras combattre avec
les forces de l’ordre ou insulter leurs adversaires. N’en serait-il pas autrement si la
presse montrait un groupe d’ultras en train de collecter de l’argent pour des
peuples défavorisés ?
6.3. Par les spectateurs
Il est fréquent que des spectateurs qui ne sont pas des ultras soient en curva
(c’était d’ailleurs mon cas lorsque j’ai été dans la curva nord de l’Inter). Le rapport
entre les ultras et ces personnes est bon, les ultras ne rejettent pas les gens qui
viennent dans leur curva alors qu’ils ne sont pas ultras et sympathisent même
souvent avec eux. Les gens qui vont dans ces virages sont les gens qui cherchent
plus d’ambiance que dans les tribunes latérales qui sont calmes. Il y a souvent un
esprit d’émulation et ces personnes adoptent le comportement d’un ultra pendant
le match.
En ce qui concerne les spectateurs qui sont dans les tribunes classiques, c’est
difficile à dire, les avis sont partagés
Il y a actuellement en Italie, et ce depuis quelques années, une baisse du nombre
de spectateurs dans les stades. On peut expliquer cela par plusieurs facteurs : le
prix des billets qui est élevé, la télévision, et surtout aux yeux des médias : la
violence dans les stades. Si les trois arguments peuvent être valides, les ultras
sont souvent accusés d’être la principale cause de ce problème. Mais est-il si
dangereux de venir au stade, au point de décider de ne plus y aller en famille ?
Un certain temps peut-être, maintenant non. Les deux premiers arguments sont
beaucoup plus plausibles, pourquoi payer cher son billet alors que l’on peut rester
dans son salon et regarder le match pour moins cher ?
Je suis assez d’accord avec l’ultra que j’ai interviewé sur ce sujet, nos opinions
sont un peu près les mêmes comme vous pourrez le voir.
26
CONCLUSION
Le mouvement ultra est donc en train de traverser une période à problèmes qui, à
long terme, pourrait causer la mort du mouvement.
Les nouveaux ultras créent beaucoup de violence et la répression contre le
phénomène ne cesse d’augmenter. Le football moderne est un football de
consommation, les dirigeants souhaiteraient que les gens s’asseyent et restent
calmes comme c’est le cas en Angleterre. Pour parvenir à cela, ils essayent
justement de faire comme les anglais il y a quelques années : ils augmentent le
prix des places et modifient les stades de manière défavorable aux ultras. Le seul
problème est que les italiens réagissent différemment : les stades se vident alors
qu’ils sont bondés en Angleterre.
Du point de vue personnel, ce TM m’a fait changer d’idée sur le mouvement ultras.
J’ai compris ce qu’était la mentalité ultras. Je trouve que les principes sont bons et
supporter l’équipe de la manière dont ils le font est très plaisant (j’ai pu m’en
rendre compte lors de mon voyage à Milan, je compte d’ailleurs retourner voir des
matchs en curva dans le futur).
Cependant, il reste quand même des choses que je ne cautionne pas comme la
violence excessive et les déprédations lors des déplacements. Je ne comprends
pas pourquoi ils ressentent le besoin de le faire. A vrai dire, je comprends
beaucoup plus la mentalité des années 70 que celles des années 90-00. Les gens
se battaient aussi en 70, mais ça restait correct et ils ne cassaient rien… du moins
au début.
27
BIBLIOGRAPHIE
Livres :
BROUSSARD Philippe, Génération Supporter, enquête sur les ultras du football,
Parie, Robert Laffont, 1990.
BUSSET Thomas et al., Le football à l’épreuve de la violence et de l’extrémisme,
Aoste, Antipodes, 2008.
LOUIS Sébastien, Le Phénomène ultras en Italie, Paris, mare & martin, 2006.
MIGNON Patrick, La violence dans les stades : supporters, ultras & hooligans
(étude scientifique de l’INSEP14), [s.l.], INSEP, 1995.
Video :
ZIG ZAG PRODUCTIONS, Hooligan FC – Italie, Italie, 2007.
Autre :
Interview d’un ultra de l’Inter que j’ai réalisé moi-même, Milan, 13 septembre 2008.
14
Institut National du Sport et de l’Education Physique (en France)
28
ANNEXES
Déplacement à Milan
Je me suis donc rendu à Milan, dans la Curva Nord de l’Inter le samedi 13 septembre
2008 lors du match Inter–Catania. Ce déplacement a failli être compromis à la dernière
minute, le mercredi soir, lorsque le préfet de Milan n’autorise la vente de billets qu’aux
habitants de la Lombardie. Mon billet étant déjà réservé depuis internet, je devais me le
faire rembourser. Je décide tout de même de partir à Milan avec ma confirmation d’achat
et d’essayer de rentrer dans le stade. J’arrive donc au stade vers 16h30, le match est à
20h30. Les billetteries ouvrent, j’essaye d’aller acheter mon billet mais à chaque fois ils
me demandent une carte de résidence en Lombardie. A 18h, les endroits où l’on peut
retirer son billet commandé sur internet ouvrent. La dame ne contrôle pas les cartes de
résidences, j’ai finalement mon billet.
Je me dirige vers le bar du stade, « Il baretto » où je retrouve des amis, l’un d’eux connaît
un ultra que je pourrais interviewer à la fin du match. Je vois déjà beaucoup d’ultras dans
ce bar et bon nombre d’entre eux ont des sacs avec des drapeaux, des banderoles, des
étendards, bref, je ne me suis pas trompé de porte. Nous rentrons dans le stade 1h30
avant le coup d’envoi, nous passons facilement les « contrôles de sécurité », nous ne
sommes en faite pas fouillés alors que nous nous rendons dans la curva…
Après avoir monté les mythiques marches de San Siro, nous arrivons à l’entrée des
secteurs (qui au passage n’en portent que le nom, en curva, on peut aller où on veut). Là
je vois les gadgets vendus par les ultras :
29
La curva se rempli petit à petit pendant que les joueurs s’échauffent sur le terrain,
quelques chants en hommage aux joueurs sont chantés. A 20h25, tout est prêt pour le tifo
d’avant match. Il sera dédié à l’entraîneur de Catania, Walter Zenga qui est une légende
de l’Inter. C’était un gardien de l’Inter qui était aussi supporter interiste depuis sa plus
tendre enfance. Voici ce que ça donne :
15
Quelques minutes après, le match commence et les chants démarrent. Etant interiste, j’en
connais la plupart et peu donc les chanter. Juste avant la pause, un joueur de l’Inter est
expulsé suite à une réaction violente sur un adversaire qu’il l’a retenu par le maillot
pendant quelques secondes, toutes les insultes fusent et le joueurs se fera siffler par
toute la curva pendant le reste du match. L’Inter gagne le match 2-1.
15
Image : www.curvanordmilano.net
30
Nous sortons du stade et retrouvons « l’ultra » que je vais interviewer. Nous nous rendons
dans un petit bar en plein air à une centaine de mètres du stade où certains ultras se
retrouvent après chaque match pour parler du match à peine joué mais aussi du prochain
déplacement.
Je m’apprête donc à interviewer Nico, 21 ans, appartenant au groupe « Irriducibili » de
l’Inter. C’est un des principaux groupes de la curva, le plus marqué d’extrême droite. Nico
n’a pas la tête de l’emploi : contrairement au crâne rasé que l’on pourrait imaginer, il a les
cheveux mi-longs et passe tout à fait inaperçu, look normal avec une écharpe aux
couleurs de l’Inter. Il est très disponible et prend le temps de répondre, c’est quelqu’un de
sympathique. Je commence donc l’interview :
Pour vous, qu’est-ce qu’un ultra ?
« C’est quelqu’un qui suit son équipe partout, qui chante et qui encourage son équipe
pendant le match. C’est quelqu’un qui pense toute la semaine au match du week-end. Un
ultras n’aime pas la police et est prêt à se battre avec. Un ultra cherche les affrontements
avec les ultras adverses ».
Pour toi, la politique est-elle importante dans le mouvement ultra ?
« Oui, il y en a mais il n’y a rien de mal, c'est-à-dire que ça ne serait pas juste de parler de
politique pendant tout le match, de faires des actes politiques durant tout le match. Moi je
suis d’extrême droite comme la quasi-totalité des ultras de mon groupe, mais dans notre
groupe, nous avons aussi des gens comme lui (ndlr : il me montre un autre ultra assis à
côté de nous) qui sont de gauche et qui ne sont pas rejetés. Ils ne participent juste pas
aux actions politiques que l’on fait et il savent très bien qu’il ne peuvent pas venir avec un
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T-shirt du Che Guevara par exemple ». L’ultra de gauche intervient : « Moi je supporte
l’Inter et c’est tout ».
Nous reprenons l’interview de Nico:
« Mais comme je l’ai dis, pour moi il n’y a rien de mal, c’est une chose qui nous unit plus
et personne n’est obligé de penser comme nous ou de faire ce que l’on fait. On oblige
personne ».
La politique est-elle à l’origine de quelques rivalités ?
« Oui bien sûr, il y a de fortes rivalités dues à la politique avec des ultras comme ceux du
Livorno. La plus grande rivalité politique en Italie est celle entre les ultras de la Lazio et
ceux du Livorno, respectivement d’extrême droite et d’extrême gauche. Mais il y a aussi
des jumelages qui se créent grâce à cette politique, justement comme celui de l’Inter avec
la Lazio ».
Selon vous, la violence est-elle trop présente ?
« Non, il en faut plus ! Plus sérieusement si deux groupes veulent se battre, qu’ils se
battent, ils ne font aucun mal. Il faut aussi dire que les affrontements avec les adversaires
sont beaucoup plus rares que dans le temps. Dans les années 80, les supporters
adverses partaient du secteur bleu (ndlr : le secteur à l’oposée de la Curva Nord de l’Inter.
C’est le secteur visiteur) et venaient en direction de la Curva par les tribunes latérales. Là
tout le monde se battait. C’était assez dangereux car les familles se trouvaient dans ces
tribunes latérales pendant que ces ultras se battaient violemment ».
Justement, on nomme souvent la violence des ultras comme cause de la
diminution de fréquentation des stades, qu’en pensez-vous ?
« Non ce n’est pas vrai, actuellement, on ne peut pas dire ça. Ca fait au moins 5-6 ans
qu’il n’y a pas eu d’incidents à San Siro (ndlr : stade de l’Inter et du Milan AC). On peut
venir tranquillement avec sa famille sans rencontrer de problèmes. Mais il est vrai que
pour celui qui voit les incidents de Catania d’il y a deux ans (ndlr : un policier avait été tué
et une guérilla urbaine s’était déclenchée) à la TV, cela peut constituer un bon motif pour
ne pas venir au stade. Mais selon moi les principales raisons sont le prix élevé des places
et le foot à la TV. Quand on paye 30 euro par personne pour venir au stade (en y ajoutant
encore les éventuels frais d’autoroute et de parcage) alors qu’on peut le voir pour 5 euro
à la TV chez soi avec toute la famille, il n’y a même pas besoin de faire le calcul. Donc je
pense que la violence est le dernier des problèmes pour ce qui est de la sous-affluence
dans les stades ».
Les gens se font une mauvaise image des ultras…
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« Oui bien sûr, ils nous prennent pour des gens très violents et c’est tout. Bien sûr que,
dans les années 80, il y a eu un fort pic de la violence mais maintenant ce n’est plus
comme ça. Celui qui reste chez lui devant la TV peut peut-être s’imaginer que c’est
encore comme cela mais celui qui vient au stade voit très bien qu’il n’y a pas énormément
de violence ».
Que penses-tu des mesures de sécurité prises ?
« Ce sont des conneries. Ce n’est pas en mettant des tourniquets et en interdisant à ceux
qui n’habitent pas la région d’avoir des billets qu’ils vont résoudre le problème. Les
derniers incidents qu’on a eu étaient avec les napolitains, ils provoquaient continuellement
et c’est parti ».
« Maintenant ils interdisent à ceux du sud de venir au nord et à ceux du nord de venir au
sud. Par exemple aujourd’hui, ils ont limité la vente de billets aux résidants de la
Lombardie et donc interdit le déplacement à ceux de Catania alors que nous sommes
jumelés. Il ne se serait rien passé, c’était un des matchs les plus sûrs de la saison ».
« Je pense que s’ils ne veulent réellement pas de violence, il faut escorter les ultras
visiteurs : par exemple lors de notre dernier déplacement à Gênes, ils nous ont escorté à
la sortie du bus et nous ont amené dans le secteur visiteur. A la fin du match, ils ont fait le
chemin inverse et il ne s’est absolument rien passé. La dernière fois que la Juventus est
venue jouer à Milan, ils les ont laissés enfermer dans le parking visiteur et les ont ensuite
escortés jusque dans le stade. Il ne s’est rien passer. Maintenant on a souvent des
problèmes avec des napolitains, même quand les mêmes mesures sont prises, car
beaucoup de napolitains vivent à Milan pour cause de travail. Ces supporters là ne
prennent donc ni les trains spéciaux ni les bus organisés par les ultras. Ils provoquent
beaucoup à l’extérieur du stade et il y a souvent des incidents ».
« Il arrive aussi que le secteur visiteur soit fermer à cause de l’interdiction de déplacement
mais c’est complètement stupide vu que ce secteur est sécurisé et bien encercler par la
police. Ce cas s’est produit avec la Juventus, mais il y a un groupe ultras de la Juventus à
Milan. Ils ont pu se procurer des billets sans problèmes et même en acheter pour les
ultras venant de Turin. C’est illogique dans le sens que ces ultras vont donc dans les
tribunes normales et cela augmente les risques d’affrontements. C’est pareil lorsqu’ils
ferment le secteur visiteur contre des équipes comme l’Atalanta, Parma ou encore
Bologna étant donné que ces villes sont à 1-2 heures de route de Milan. Les supporters
viennent donc acheter des billets avant le jour du match. Si le secteur visiteur est ouvert, il
est impossible de s’affronter dans le stade ».
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Que penses-tu des gens qui cassent tout lors des déplacements ? Sont-ils vraiment
des ultras ?
« Ca fait aussi partit du comportement ultras d’aujourd’hui. Un ultras vraiment sérieux ne
le fera pas et se contentera de respecter les principes de base, mais ils est vrai qu’il y a
des gens, comme « ces putain d’ultras napolitains » à Rome la semaine passée16, qui
veulent jouer au vrais ultras et qui profitent du prétexte d’être ultras pour tout casser, ils
ont vraiment un problème. C’est vrai qu’il y en a qui s’en fiche de l’équipes et qui sont là
pour tout casser mais il y en a aussi qui tiennent vraiment à leur équipe et qui cassent
tout ».
Les ultras haïssent la police…
« Bien sûr, nous haïssons la police et comment ! Il y a les ultras d’extrême gauche, les
communistes, qui détestent la police pour d’autres raisons que nous, ils prônent l’anarchie
donc ne s’entendent pas avec la police. Nous, nous la haïssons pour la répression trop
présente et trop violente. D’un côté, ils essayent de faire leur travail, mais de l’autre ils
sont excessifs et des affrontements éclatent avec eux lorsqu’ils frappent sans motifs, il y
en a qui prennent du plaisir à frapper les ultras. Il y a aussi des supporters qui la haïssent
sans motif, tout le monde la haïs donc ils la haïssent ».
Y a-t-il une grande différence entre les ultras d’aujourd’hui et ceux des années 80 ?
« Oui, bien sûr. Dans les années 80, c’était vraiment le maximum, les ultras se
déplaçaient énormément et il y avait beaucoup d’incidents. Quand il y avait des
problèmes, tu te faisais arrêter, au pire tu devais payer une amende et c’est tout.
Maintenant tu te fais prendre, tu ne peux plus aller au stade pendant des années et tu
dois passer au commissariat lors de chaque match. Dans les années 80, tu te battais au
couteau et tu n’avais presque rien, maintenant s’ils te voient avec un fumigène, tu ne peux
plus aller au stade pendant 3 ans. La loi n’est pas égale pour tous et cela n’arrive qu’aux
ultras. Si les mêmes incidents se produiraient dans un autre contexte, les sanctions ne
seraient pas les mêmes. Maintenant un jeune qui veut devenir ultra est retenu par la peur
de ces sanctions qui te ruinent toute une vie suivant les amendes où les peines de prison
dont tu écopes ».
Ne pensez-vous pas que l’adversaire a changé et que les ultras combattent
maintenant la police plutôt que les ultras adverses ?
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Lors de la première journée de championnat, les ultras napolitain étaient plus de 6'000 à arriver
dans la capitale. Ils ont cassé du matériel urbain et ont frappés des innocents. Plusieurs autobus
ont notamment étés détruits.
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« Oui. Un ultra voudrait se battre avec l’adversaire et pas avec la police. Mais maintenant,
ce n’est plus possible. La répression et toutes ces choses ont fait que les ultras se battent
plus avec la police qu’avec les adversaires, on ne peut presque plus se battre contre les
ultras adverses ».
Milan, le 13 septembre 2008.
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Images
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Image n°1 : On peut voir les différentes banderoles de groupes ultras en dessous
des bandes noires, bleues et blanches.
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Image n°2 : Le capo est l’homme debout sur la rambarde.
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Photo prise par moi lors de Inter-Palermo en avril 2007
Photo prise par moi lors de Inter-Catania en septembre 2008
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Image n°3 : Voici les gadgets qui se vendent à l’entrée de la curva.
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Image n°4 : Cette image nous montre bien l’atmosphère crée par les fumigènes.
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Photo prise par moi lors de Inter-Catania en septembre 2008
Photo prise sur le site : www.imbastici.it
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Image n°5 : Chaque siège à une feuille de papier pour le tifo qui est prévu.
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Image n°6 : Voilà ce que donne un tifo au final. Les parties bleues et noires sur
les côtés de l’image sont formées avec des feuilles de papier identiques à celles
de la photo du dessus.
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Photo prise par moi lors de Inter-Catania en septembre 2008
Photo prise sur le site : www.boys-san.it
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Image n°7 : Voici des ultras qui s’apprêtent à combattre avec diverses armes.
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Image n°8 : Des scènes de violences et de vandalismes toujours plus présentes…
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Photo prise sur le site : www.kataweb.it
Photo prise sur le site : www.worldpress.com
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Image n°9 : Affrontements dans le stade entre des ultras et des policiers.
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Image n°10 : Violents affrontements à Catania en février 2006 à la fin du match
entre Catania et Palermo. Ces affrontements prennent la tournure d’une sorte de
guérilla urbaine et un policier sera tué cette nuit là.
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Photo prise sur le site : www.kataweb.it
Photo prise sur le site : www.globalpress.it
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Image n°11 : Voici les drapeaux d’extrême droite qui fleurissent dans les tribunes.
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Image n°12 : Voici la fameuse banderole « Roma è fascista ». On peut noter la
présente de beaucoup de drapeaux italiens qui est aussi un signe d’extrême
droite.
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Photo prise sur le site : www.brianzapopolare.it
Photo prise sur le site : www.brianzapopolare.it
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Image n°13 : Voici Paolo di Canio qui salue ses supporters à sa manière après
avoir marquer un but…
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Image n°14 : Un groupe d’ultras de la lazio fait des saluts fascistes lors d’un de
ses déplacements. On peut aussi noter la présence de drapeaux italiens avec un
symbole fasciste.
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Photo prise sur le site : www.adelaideinstitute.it
Photo prise sur le site : www.ilmessaggero.it
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