L`expérience française de la gouvernance des sociétés

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L`expérience française de la gouvernance des sociétés

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L’expérience française de
la gouvernance des sociétés
3 questions à Michel Germain,
Marie-Aude Noury et Véronique Magnier
La 14e édition du Club
NexisNexis, qui s’est tenue
le 30 septembre dernier à la
Maison de l’Amérique
Latine, a été l’occasion de
découvrir des éléments du
rapport de la Fondation
pour le Droit continental
sur la gouvernance des
sociétés, grâce à ses rédacteurs : Michel Germain,
Professeur à Paris II, Véronique Magnier, Professeur
à Paris-Sud, et Marie-Aude
Noury, Avocat au Barreau
de Paris.
Jean-François Dubos,
président de la Fondation
et Président du Directoire
de Vivendi a honoré de sa
présence cette brillante
manifestation. Page 2
Jean-François Dréan
Maison de l’Amérique Latine
E
n France, le rôle alloué à la soft law
pour affiner les règles de gouvernance
n’a cessé de s’accroître avec le temps.
En témoigne la dernière version du code de
gouvernance de l’AFEP/MEDEF publié en
juin 2013 introduisant en France la pratique
du « say on pay », marquant l’avènement
d’une démocratie actionnariale.
C’est dans ce contexte d’assimilation de
la soft law, qualifié de paradoxale par JeanFrançois Dubos, où la France semble privilégier la voie de l’autorégulation en matière
de gouvernance, que La Fondation pour le
Droit continental, a pris l’initiative de présenter dans un rapport les pratiques de gouvernance des sociétés en France. Sujet qui est
loin d’être « orphelin », comme le rappelle
Michel Germain, l’objectif de ce rapport
était avant tout de formaliser les principes et
traditions qui sous-tendent le droit français
en matière de gouvernance.
Si les rédacteurs du Rapport s’accordent à
dire que, d’une manière générale, le « modèle
français » fonctionne bien, mélangeant « soft
law » (« comply or explain » ; plus récemment « say on pay » ; ou encore la responsabilité sociale des entreprises) et « hard law »
(conventions réglementées ; fonctionnement
des organes de direction, Conseil d’administration, Directoire, Conseil de surveillance),
certains aspects mériteraient d’être améliorés pour une plus grande transparence. n
Créée en 2007, la Fondation pour le Droit
Continental soutient le rayonnement du droit
continental et contribue à l’équilibre juridique
mondial. Elle compte, notamment, parmi ses
membres fondateurs la Cour de cassation, le
Conseil d’État, le ministère de la Justice et des
Libertés, le Conseil National des Barreaux, le
Conseil Supérieur du Notariat.
Le président de son Conseil scientifique
(composé de 61 membres et correspondants,
français et internationaux) est Michel Grimaldi, professeur à l’Université Paris 2 - Panthéon-Assas.
La Semaine Juridique - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 42 - 17 octobre 2013
Jean-François Dréan
14e rencontre du Club LexisNexis
« La notion de gouvernance traduit le génie
français d’assimilation
de concepts anglosaxons » (Jean-François Dubos)
JCP E : Quelles évolutions sont en cours
en matière de conflit d’intérêts ?
M. Germain : La notion de conflit d’intérêts
est à l’origine de beaucoup de thèmes généraux du gouvernement des entreprises, comme
le concept d’administrateur indépendant ou
l’idée d’un comité des rémunérations.
Dans le régime des conventions réglementées,
le cas des groupes est particulièrement topique
car les conventions sont innombrables entre
sociétés d’un groupe ; la question essentielle est
de savoir comment réussir à les classer comme
conventions courantes à des conditions normales. Le caractère courant est difficile à déterminer. De la pratique des commissaires aux
comptes est issue récemment un projet de loi
d’habilitation du 4 septembre 2013 visant à
permettre par ordonnance d’exclure du régime
des conventions réglementées celles passées
entre une société cotée et ses filiales détenues
directement ou indirectement à 100 %. Mais
est-ce bien une solution à l’abri de la critique ?
Plus largement, le code de gouvernance AFEP/
MEDEF indique que « l’administrateur a l’obligation de faire part au conseil de toute situation
de conflit d’intérêts même potentiel et doit
s’abstenir de participer au vote de la délibération
correspondante ». La prévention du conflit d’intérêts fonctionne par conséquent sous le double
angle information et abstention, la sanction ne
pouvant se concevoir que comme celle de la responsabilité personnelle du dirigeant n’agissant
pas dans l’intérêt social. Si la décision prise est
désavantageuse pour la société, la responsabilité
éventuelle des membres du CA s’impose, mais
la part de responsabilité de l’administrateur déloyal serait certainement beaucoup plus importante que celle des autres membres.
Le système français mixe ici norme juridique et
soft law de façon plutôt satisfaisante.
Le code de gouvernement d’entreprise AFEP/
MEDEF dans sa version actualisée de juin 2013
a introduit le say on pay dans le code de gouvernement d’entreprise AFEP/MEDEF, dans
sa version actualisée de juin 2013. Laisser cette
question à un système d’autorégulation risque
de créer des conflits éventuels de compétence
entre les pouvoirs légaux du conseil d’administration et ceux reconnus par la soft law aux
assemblées d’actionnaires.
Le dispositif adopté par le code AFEP/MEDEF
prévoit que la rémunération (due ou attribuée)
au titre de l’exercice aux dirigeants sera soumise au vote de l’assemblée des actionnaires,
étant précisé qu’il est consultatif et a posteriori
et qu’en cas de vote négatif le conseil d’administration devra se réunir et rendre publique la
suite qu’il entend donner au vote des actionnaires. Il va être appliqué pour la première fois
par la société Pernod-Ricard.
Système adopté ingénieux donc qui consiste à
ce que l’assemblée se prononce sur un chiffre
réel dans un jugement qui donne des repères
pour l’exercice suivant, mais qui suscite des interrogations. N’y a-t-il pas par exemple risque
de conflit si une indemnité de départ autorisée
par les actionnaires comme convention réglementée est suivie d’un avis négatif, rendu dans
le cadre du say on pay, le jour où l’indemnité
devrait être attribuée ? De même, quid des sociétés qui ne se réfèrent pas au code AFEP/MEDEF, mais par exemple au code Middle Next et
ne sont pas concernées par le say on pay ?
JCP E : Le dispositif retenu du say on pay
est-il satisfaisant ?
M-A. Noury : Le contrôle par les actionnaires
de la rémunération des dirigeants par un vote
est un des aspects de la gouvernance qui est
actuellement le plus partagé dans les pays occidentaux.
JCP E : Où en est-on avec la règle comply or explain ?
V. Magnier : La règle figure parmi les mécanismes principaux de la gouvernance. Elle
signifie que chaque société concernée doit
préciser, parmi les recommandations d’un
code de référence, celle qu’elle a choisi d’appli-
De gauche à droite : Véronique Magnier, Guillaume Deroubaix, Michel Germain, Marie-Aude Noury
La Semaine Juridique - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 42 - 17 octobre 2013
quer (comply) et celle qu’elle a pris l’initiative
d’écarter, à charge pour elle de s’en expliquer
(explain). La liberté octroyée ne serait que l’illustration du principe « one size does not fit all »,
autrement dit une solution unique ne convient
pas à tout le monde.
Introduite tout d’abord au Royaume-Uni,
donc dans un système de common law, elle a
été étendue à tous les États de l’Union européenne par voie de directive. En France, en
pratique, 105 sociétés du SBF 120, dont 36 du
CAC 40, ont choisi de se référer au code AFEP/
MEDEF, dont la nouvelle version de juin 2013
précise que « l’explication à fournir lorsqu’une
recommandation n’est pas appliquée doit être
compréhensible, pertinente et circonstanciée ».
Le versant « explain » de la règle étant rarement
utilisé et les explications fournies peu claires,
les investisseurs ont tendance à privilégier les
sociétés qui respectent étroitement les recommandations du code, alors qu’il est remarquable que l’innovation à promouvoir serait au
contraire de se libérer du code !
Le contrôle de l’application de la règle viendra
grâce à la mise en place du Haut comité chargé
du suivi de l’application des recommandations
du code AFEP/MEDEF ; s’il constate qu’une
société n’applique pas correctement « comply or
explain », il pourra donner un avis à son conseil
d’administration et si celui-ci ne suit pas l’avis,
ledit avis figurera dans le rapport de gestion…
les actionnaires étant alors à même de se saisir
de la question.
Reste la question d’une éventuelle sanction.
Certains ont suggéré de s’inspirer des pouvoirs
d’injonction et de sanction octroyés à l’AMF.
N’y a-t-il pas là un risque d’aller trop loin, car
le propre d’un « code » (le vocable est ici trompeur) de gouvernance est de proposer, et en
aucun cas d’imposer…
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