Épisode 184

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Épisode 184
ÉPISODE 184
Mainstage : Rock Buster
Les Beat’ONE entrèrent officiellement dans le Rock’n’Rumble avec CATCH ME IF YOU
CAN. Le message adressé aux concurrents fut explicite : à eux de suivre le rythme, si tant est
qu’ils le pouvaient. Les lyrics de la chanson n’avaient jamais autant été en adéquation avec
leur état d’esprit.
This is a song about arrogance
To show the wind how to fly
I’m just indefectible
Tonight I’ll bring you “hell”
Catch me if you can
[…]
La sono de qualité vous mettait une claque dans la gueule. La basse de Jeff se calait sur
les rythmes cardiaques, quand la guitare de Korgan injectait un coup de booster aux fatigués.
Red, décidé à mettre le feu avec son micro, avait pris le parti de faire la majorité du live sans
son instrument.
Dans ce but, la plupart des chansons avaient été répétées façon « Redless », sans la
guitare rythmique. Le chanteur voulait habiter la belle scène mise à sa disposition, et
comptait exploiter au maximum sa configuration. Dans ce cas, Mademoiselle Red
s’apparentait presque à une gêne, sur des titres très dynamiques. Pour compenser l’absence
de sa fiancée, il avait voulu son micro rouge.
Les amateurs de sensations fortes furent ravis lorsque, d’entrée de jeu, il se suspendit
au rebord de sa plateforme, au moyen d’une barre métallique qu’il tint d’une main, l’autre
occupée par son arme de destruction massive.
Rock-Feast oblige, les Beat’ONE ne jouaient pas d’emblée devant leur public. La
convention rassemblait des gens venus de tout horizon, se retrouvant parfois devant une
scène par pure curiosité. Le challenge était de les fidéliser, et pour ce faire, la piste de
prédilection restait l’éponyme HOT CHILI.
Lors de sa sortie sur les ondes, les radios l’avaient tellement passée en boucle qu’elles
avaient pour ainsi dire formaté l’oreille du public. De manière quasi-conditionnée, même
sans savoir qui en était l’auteur, on y était réceptif. Ce soir, les auditeurs furent surtout
réactifs dès que le groupe entonna les premières notes.
Hey Hot Chili!
I guess you’ve been told
Babe, no need to grow old
You’ve already got
Your mama’s butt
And just one touch
And I’ve got enough
To go crazy ‘bout that tiny tiny… (ass)
Yeah you’re really Hot chili chili
[…]
Le public était au top, ponctuant les rimes avec Red, et reprenant les refrains en chœur.
Les fans jouaient vraiment le jeu, ayant compris que cela s’inscrivait dans une compétition de
drague. Plus ils s’amuseraient, plus ils feraient envie aux spectateurs des autres scènes, qui
seraient tentés de rejoindre la fête. Car plus on était de fous… Nul besoin d’expliquer aux
aficionados que c’était eux qui réécriraient l’histoire du Rock’n’Rumble ce jour-là.
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Comme tous les artistes performant au Sinéad, les Beat’ONE avaient donné la consigne
via les réseaux sociaux de rendre le concert mémorable. Que l’on soit dans le public, en
coulisses ou à la régie, chacun devait apporter sa pleine contribution.
Que la formation ressorte de ses tiroirs des vieilleries très connues comme BABY
BOMB et DILUVIUM de Brent, ou enchaine avec des nouveautés telle que PANDORA BOX,
enregistrée en studio il y a moins de deux semaines, les Holy Suckers accueillaient chaque
changement de piste avec le même enthousiasme.
Faisant montre d’une vitalité contagieuse, le quatuor assurait le show. On les aurait dit
au sommet de leur forme, et carburant à l’énergie nucléaire ! Red, sans doute sous pile à haut
voltage, sautait plus que ne le ferait un gymnaste olympique sur un programme libre. Il casait
ses sauts carpés, ses sauts de voleur, ou ses sauts périlleux durant des solos de basse ou de
guitare, ou s’en servait pour donner de l’impact à ses cris et ses borborygmes étranges.
Ses impulsions n’avaient rien à envier aux athlètes de haut niveau. Ses réceptions
étaient en deux teintes : impeccables et maîtrisées, ou complètement casse-gueule. Il donnait
bien plus de sa personne qu’on en attendrait d’un simple chanteur. Pour ses Holy Suckers
peu objectifs, il était en passe de devenir « The Frontman par excellence », car il continuait
de chanter entre chacune de ses cabrioles, avec une aisance dénotant de son endurance, du
parfait placement de sa voix, ainsi que de ses temps de respiration.
Red avait ce don de rendre facile la technicité de sa prestation. Que ce soit devant un
objectif d’appareil photo lors d’une session de shooting, ou celui des caméras. Il jouait
brillamment avec ces dernières, aussi bien pour la retransmission sur écrans géants que pour
les futures vidéos du live.
Jeff n’était pas en reste. Lui, avait sûrement avalé une toupie avant de monter sur
scène. On en venait à se demander comment il maintenait sa ligne de basse en tournoyant
aussi vite qu’une girouette soumise au mistral. Il avait sûrement pris goût à faire le
tourniquet avec les effets de volant de son kilt…
Un autre qui s’amusait aussi à faire tourner quelque chose était Korgan. S’aidant de sa
sangle, il passait sa guitare dans son dos, la ramenait entre ses mains, et enchainait avec ses
riffs dont il avait le secret. Les fans en raffolaient parce que tous se doutaient que c’était
quitte ou double. Soit l’instrument restait coincé dans son dos, et c’était la lose, soit il
réussissait son coup et passait pour un frimeur qui le valait bien. C’était un sans-faute à
chaque fois, pour le plus grand bonheur du public.
Quant à Jay, son beau mohawk coiffé avec soin n’était plus qu’un vieux souvenir. Ses
headbangs fleuraient la frénésie. Il finirait probablement avec une minerve à l’hôtel…
On adulait préférentiellement le chanteur et les guitaristes, mais un bon fan de rock
savait que la batterie portait tous les titres dynamiques, décidait des accélérations et
décélérations du tempo, en plus d’être garant du fun.
Combien de fois les mains avaient claqués en suivant son rythme ? Combien de fois Red
avait callé dessus ses sauts de kangourou punk ? Combien de fois la foule avait entamé un
pogo sur les beats de la grosse caisse ou des caisses claires ? Et combien de fois le slapping de
la basse et de la guitare s’était marié aux percussions ?
Red s’était changé en coach non pas sportif, mais de folie « physique », exigeant ici des
jumps, là des headbangs, là-bas des bras en l’air, et enfin des cris d’euphorie à en défier les
loups. Il réussit même à caser une ola lors du sixième titre, DR MABOUL.
À la septième piste – ALL HER DOING –, il se lança dans un mini strip-tease plus
artistique que pervers. Il ne poussa pas le vice jusqu’à se défroquer, incitant les suiveurs à
respecter son exemple. Il se foutait que les fans aient ou non de l’estime pour leur propre
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nudité. Ou que certains espèrent attirer la concurrence en se dénudant. Ce qui lui importait
était de préserver l’innocence de leur mascotte. Une petite fille jouait ce soir.
Lui pourtant frileux se retrouva donc simplement vêtu d’un jean déchiré aux genoux et
de Doc’M®. Son T-shirt avait été bazardé au profit d’un fan heureux. À courir de plateforme
en plateforme, il produisait suffisamment d’énergie pour lutter contre le froid. Sans compter
l’aide des lance-flammes qui agrémentaient chacune de ses chansons de projections
pyrotechniques.
Imitant leur idole, de nombreux Holy Suckers tombèrent la chemise. Le drone s’en
donna à cœur joie pour filmer les filles en soutifs, les mecs bien gaulés, ainsi que celles et
ceux qui se foutaient des complexes qu’aurait pu leur refiler un corps ingrat, et prenaient
juste du bon temps. Les images, projetées par flash sur les écrans géants, étaient agrémentées
de compliments et de commentaires tendancieux des artistes.
C’était des « tableaux » de choix. Les Beat’ONE savaient que la régie d’Emy Event©,
sous la supervision de leur directeur artistique autoproclamé (Dean) et des vidéastes de
Coop-Com Record©, faisait des captures d’images pour les diffuser sur les écrans des autres
mainstages. Il en allait de même pour les concurrents, le but étant de donner aux différents
challengers une idée de la température des shows adverses.
De fait, le Rock’n’Rumble était une grosse mascarade de racolage :
« Venez chez nous, c’est plus cool ! »
« Venez de ce côté, on sait s’amuser ! »
« Venez donc nous voir, c’est chaud par ici ! »
Et pourquoi pas : « viens du côté obscur, on a des cookies ! »
Tous les attrape-nigauds étaient bons à brandir. Même les cookies !
C’était un malheureux cliché, mais une paire de seins en bikini attirait pas mal
d’individus bulbaires. Et en dépit de leur basse moralité, les statistiques les comptabilisaient
pour les résultats finaux. Ce n’était point avisé de dénigrer les pervers qui espéraient assouvir
leur voyeurisme, du moment qu’aucune agression sexuelle n’était perpétrée.
Les drones n’étaient pas là que pour rehausser le show et accentuer un effet
d’immersion. Certains appartenaient au service de sécurité et à la police, à des fins de
surveillance et de dissuasion. Quant au reste, les règles interdisaient toute attitude à
caractère pornographique. Mais entre une charte et son respect scrupuleux, il y avait parfois
un monde dès que s’en mêlaient l’alcool et la fumette.
Un arrêt sur image du public de Rock Valley, où performait Иeologism, montrait bien
des spécimens féminins seins à l’air, quand elles ne faisaient pas tournoyer leur string.
Heureusement, jusque-là les flashs visuels des autres shows, bien qu’affriolants pour
certains, n’avaient pas réussi à débaucher un seul Holy Sucker.
Il fallut compter trois-quarts d’heure de spectacle avant que l’on note les premiers
remaniements significatifs de foule. Certaines scènes se désemplissaient drastiquement au
profit des autres. Pour sa part, Rock Buster connut un nouvel arrivage fort encourageant. Red
ne manqua pas de mettre à l’honneur ces « déserteurs de l’ennemi », en empruntant à la
devise même de Paradise-City pour donner du cachet à sa déclaration :
— Welcome to Rock Buster, the mainstage you won’t leave!1
Sur les réseaux sociaux, la phrase ferait fureur.
C’est à ce moment que la régie d’Emy Event© prit en otage tous les écrans géants du
parc des expositions. Chaque scène eut un visuel de la globalité des artistes en compétition.
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Bienvenus à Rock Buster, la scène que vous ne quitterez pas !
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Alors que les yeux étaient rivés sur les panneaux compartimentés par les shows adverses, les
haut-parleurs crachotèrent une voix électronique :
— Mesdames et messieurs les artistes, faites vos jeux.
Cette nouvelle règle du Rock’n’Rumble avait été instaurée par Tessa. Elle s’était assuré
que tous les groupes signent les clauses de cette version deux point zéro, s’ils voulaient
participer au marathon. La voix annonçait les battles. Red ne fut pas le seul à frissonner
d’anticipation.
Le principe, expliqué sur la page officielle de la Rock-Feast, et transmis à tous ceux qui
en possédait l’application smartphone, était simple. Durant trois à quatre minutes, deux
groupes s’affrontaient en duel. Il était interdit de décliner un défi lancé par l’adversaire. À
l’issu du « combat artistique », les fans plébiscitaient le vainqueur en se rendant
préférentiellement sur sa scène. Que leur décision soit fair-play ou non, les musiciens
devaient s’y soumettre.
Étaient prohibés tout propos racistes, homophobes, antisémites, islamophobes. Bref,
les injures étaient exclues, sauf lorsqu’elles étaient déjà incluses dans les lyrics d’une chanson
dont la sortie officielle datait d’avant le XIIème impact de la Rock-Feast. Rien n’empêchait
d’user de rhétorique et de figures de style pour marquer des points, soit en taclant
verbalement l’opposant, soit en séduisant directement son public. Tessa comptait sur cette
méthode pour permettre aux groupes rivaux de régler « sainement » leurs comptes.
En théorie, la musique et/ou le spectacle restaient les maîtres mots. Sauf que ça, c’était
dans le meilleur des mondes. Le show ne serait pas interrompu si un groupe ne respectait pas
cette règle. Bien entendu il risquait la disqualification, mais Emy Event© devrait y réfléchir à
deux fois au manque à gagner, avant de sortir un gros bonnet du marathon. Après tout, la
présence de super rockstars contribuaient aussi à la popularité du festival. Que ces derniers
soient grossiers ou non.
Tandis que Red consultait ses amis du regard, une nouvelle voix robotique, plus grave
que la précédente, s’éleva :
— The Beat’ONE, vous avez deux challengers. Deathwish. Et NITRΩ.
De toute évidence, ils avaient été lents à réagir. Leurs adversaires les attendaient au
tournant, pour avoir été si prompts à les provoquer en duel. Le public hua, jugeant ces défis
comme de l’acharnement. Le groupe ne pouvait qu’accepter désormais. La question était de
savoir qui affronter en premier.
— Est-ce que vous me faites confiance ? demanda Red.
Une réponse positive lui parvint des fans, mais il avait surtout adressé sa question à ses
acolytes. Ceux-ci l’interrogèrent du regard. Ils le laissaient décider. Red se réjouit de ne pas
avoir instigué le duel. La défaite de l’adversaire n’en serait que plus délectable. Parce
qu’étrangement, il avait l’absolue certitude de l’emporter.
— Deathwish.
Le public fut galvanisé. Depuis l’altercation au Rock Square, qui avait évidemment
circulé sur la toile, les Holy Suckers attendaient cet affrontement. Certains anticipaient avec
fébrilité la riposte de Red, convaincus qu’il mettrait la pâtée à cet homophobe d’Antero
Pomelo.
Concrètement, ce serait à Axe, le chanteur, de défendre l’honneur de Deathwish. Or
Red n’avait aucun grief contre lui, personnellement. Hélas, quand on adoptait un chien, on se
tapait aussi ses puces. Et Antero était une sous-espèce de parasite qui n’apportait rien à la
chaîne alimentaire ni au cycle de la vie. Pour Red, le leader de ce groupe avait autant d’utilité
qu’un cafard. Mais ce n’était pas sous sa botte qu’il finirait écrasé.
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Du côté de Rock Riot, la mainstage de Deathwish, fans comme artistes nourrissaient
les mêmes attentes. La réponse des Beat’ONE fut accueillie avec des huées et des vivats.
Difficile de savoir si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle. La régie d’Emy Event©
connecta la sono à celle de Rock Buster, et le MC électronique lança la battle :
— Deathwish versus The Beat’ONE. Get ready to rumble!
*
Rock Buster vs Rock Riot
Sur les six écrans géants, les Holy Suckers visualisaient désormais différents plans de
Rock Riot. C’était comme suivre une vidéo conférence sur des panneaux titanesques de
cinéma en plein air.
— Hé, Axe, t’es sûr de suivre ton leader dans cette mascarade ? demanda Red.
— Quoi, t’as les foies ? railla Axe.
— Mais c’est évident, enfin ! intervint Antero avec condescendance. Il ne peut qu’avoir
les chocottes, il y a une absence flagrante de couilles chez ce mec.
Son public ricana.
— C’est peut-être pas de sa faute, remarque, fit Jackal. Je ne sais même pas si c’est un
mec, en vrai !
Ses fans le portèrent aux nues, ceux des Beat’ONE le vouèrent aux gémonies. Les autres
membres de son groupe s’esclaffèrent.
— C’est petit, Jackal, rétorqua Red sans perdre le sourire. La maitresse a dit qu’on
n’attaquait pas sur le physique. Mais puisque ton intellect est encore du niveau primaire, je
vais être bon prince et te donner un adversaire à ta hauteur.
D’un geste ostentatoire, Red désigna la plateforme légèrement surélevée sur sa droite.
C’était le signal.
— Hey, what’s up, Holy Suckers?
Sur fond de timbales et de gong japonais, les gigantesques lettres P-G s’illuminèrent.
Rock Buster entra en ébullition en comprenant ce qui se tramait. Lentement tractée sur sa
plateforme, une fillette de neuf ans fit une entrée digne de star internationale, entourée de
fumigènes, le poing levé, tenant haut son micro rose décoré de stickers à têtes de mort.
Elle l’ignorait encore, mais Peneloppe Lana Poppy-Garett entrait cette nuit-là dans la
légende, comme la première enfant star de l’histoire de la Rock-Feast.
Avec un sourire goguenard, Red énonça à l’intention de ses interlocuteurs via écran
géant :
— Elle est en quatrième grade (CM1), pour info. Mais si ça peut te rassurer, Jackal, c’est
une pro. Ne la sous-estime pas parce qu’elle est pré-ado. Je pense que c’est assez fair-play,
mon beau. Et encore, j’ai un doute, vu votre niveau. J’ai peur qu’elle ne vous mette K.O.
Un « ouh ! » du public vint ponctuer ce slam tout en rimes. Le plus jouissif, c’est qu’il se
trouva des fans du côté de Rock Riot pour accorder des points à Red Kellin. Depuis sa
plateforme, Jeff incitait Penny et la foule à huer sur Deathwish, tandis que Korgan se tapait la
cuisse d’hilarité. Jay leva ses pouces à l’intention de sa fille et lui envoya un baiser de manière
très ostensible. Quoi qu’elle ferait ou dirait, elle avait le feu vert de papa.
Les Holy Suckers s’attendaient à une performance de P-G ce soir-là. Cependant,
personne n’avait été préparé à ce que cette carte soit jouée de cette manière ! La surprise
gagna en « sensationnel » lorsque Peneloppe pointa son micro vers l’une des caméras
connectées aux écrans de Rock Riot puis déclara :
— Deathwish, je relève votre défi.
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Les membres du quintet adverse se dévisagèrent, royalement embêtés, hésitant
désormais sur le choix de leurs mots. Que répondre à cette gosse, si ce n’est de retourner dans
les jupons de sa mère ? Ce que fit Antero Pomelo.
— Oh, si ça peut te rassurer, ma mère ne porte pas de jupons. Elle déteste les jupes et
les robes, rétorqua Penny d’un air candide, déclenchant l’hilarité générale. Et puis ça fait cinq
ans que je traine plus dans ses pattes. Si c’était toujours ton cas à presque 10 ans, c’est pas
mon hobby, tu vois ? De toute façon, maman est d’accord pour que je joue ce soir. Toi, tu sais
pas que les vacances d’hiver ont commencé, pas vrai ? déplora-t-elle.
Son ton ne masqua aucunement son exaspération. De son point de vue, elle n’avait pas
affaire à une flèche. Le public n’en pouvait plus de s’esclaffer.
— Pour le Rock’n’Rumble, j’ai la permission de minuit de mon super papa. Alors,
Deathwish, on a le cran d’affronter P-G et la Beat’ONE family, ou on a les foies ?
Elle avait délibérément employé la même expression que le chanteur Axe, preuve qu’en
matière de clash, ce petit brin de fille avait tout d’une vieille commère ! C’était une pipelette
patentée.
À cet instant, l’on sut que cette déclaration venait d’assurer la victoire des Beat’ONE.
N’importe qui trouverait humiliant d’affronter une gamine en duel, même si elle avait une
langue bien pendue qu’on aurait souhaité lui faire ravaler. Mais en se rétractant suite au défi
qu’il avait lui-même lancé, Deathwish se ridiculiserait.
Les mauvaises langues de la presse rock ne manqueraient pas de souligner sa
« couardise » face à une enfant relevant le gant qu’il avait jeté. Les titres à sensation se
voyaient d’ici : « Deathwish mis à mort par la mascotte des Beat’ONE ». « Deathwish poussé
au suicide par P-G, l’adorable fille rock’n’roll de Jet des Beat’ONE ». « Il croyait lancer un
duel, le leader de Deathwish s’est retrouvé à court de fuel ».
Clairement, Deathwish s’était tiré une balle dans le pied en défiant les Beat’ONE. Avant
même d’avoir chanté, il avait été battu par K.O. Quant à leurs fans, ils auraient l’air fin en
huant sur une fillette.
Nombreux accusèrent les Beat’ONE de tricherie, mais en leur âme et conscience, ils ne
purent en apporter la preuve. Aucune règle n’avait été enfreinte. Et avancer qu’ils se
cachaient derrière les beaux yeux d’une gamine pour ne pas affronter de vrais mecs, serait
sous-entendre que ces mêmes « vrais mecs » n’étaient pas de taille à affronter ladite gamine.
Avec un sourire carnassier, Jay relança le beat, ses percussions annonçant le peloton
d’exécution.
Selon les règles, l’adversaire devait attendre que la première formation qui relançait la
musique eût terminé sa performance. La régie coupait le son provenant de la scène en standby, pour permettre au groupe qui chantait de faire son show à l’intention des deux publics,
sans interférences intempestives de la partie concurrente. Le timing était donc crucial, et Jay
venait de donner la main à sa bande.
— Est-ce que vous êtes chauds comme un volcan ce soir ? hurla P-G. (Sa voix fluette
renforcée par la batterie paternelle, elle fut naturellement ovationnée par un public vendu à
sa cause.) Vous êtes avec moi pour leur mettre le feu aux fesses ?
Red remua la tête, autant amusé que consterné. Où était passé son respect envers les
aînés ? Mais il était de ces aînés qui ne méritaient point le respect de leurs cadets. Deathwish
avait brillé par un manque d’honneur.
Pour une fois, ce n’était pas Red qui avait incité Penny à se montrer si effrontée. Elle le
tenait de sa mère de toute façon. Au fond, c’était ce qu’il attendait d’elle. La gamine montrait
des signes d’une future rockeuse « fouteuse de merde ». Elle avait l’âme d’une Beat’ONE. Nul
doute que même les fans « rageurs » de Deathwish allaient s’en amuser.
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Quelque part, c’était presque un coup bas. Mais on ne le dirait jamais assez, tous les
coups étaient permis au Rock’n’Rumble ! Comme modifier les paroles de ses propres
chansons, par exemple.
No cheating
You got to deal with it
My CREW is the best.
No kidding
You see, WE got the beat
The Beat’ONE got it hot
[…]
Avec une facilité qui relevait sans doute du congénital, Peneloppe revisita les lyrics de
PAPA GOT IT HOT en une version « THE BEAT’ONE GOT IT HOT » très groovy. Sa
performance convainquit les Holy Suckers que quoi qu’il arrive, les Beat’ONE avait déjà de la
relève.
À aucun moment elle ne se laissa submerger par les hurlements de la masse. Si le
retour dans son oreillette la déstabilisa, elle le montra à peine. Mais là où elle fut à saluer,
c’est d’avoir réussi à suivre Red dans ses délires scéniques sans chanter faux.
Et le chanteur ne l’avait pas épargnée. Il l’avait poussée à se lâcher, à se déchainer, et
surtout à s’amuser. Elle avait clairement pris son pied, et avait communiqué son
enthousiasme toute infantile aux fans. Si bien qu’à la fin de la performance, Red, Jeff, Korgan
et Jay furent forcés de tout suspendre pour l’applaudir, imités par le public. Ils étaient
unanimes, P-G avait été royale.
Elle croulait sous les papouilles de tonton Jeff et de son super papa quand la voix
électronique intervint, passant cette fois la main à leur challenger. À en juger par la tête qu’ils
firent, ils en avaient carrément oublié l’existence de Deathwish.
En fait, quoi que décide le public après ce duel leur importait peu. Ils s’éclataient en
famille, et s’était le principal. Certains estimaient qu’ils avaient des comptes à régler avec telle
ou telle formation, mais cela n’engageait que ces gens. Eux le prenaient carrément par-dessus
la jambe.
*
Mainstage : Rock Storm
L’annonce de la victoire des Beat’ONE sur Deathwish fit à peine grimacer Tony. Il en
faudrait plus pour l’effrayer, même si dans son quatuor, ils s’accordaient sur le fait que les
membres de Deathwish étaient des pointures dans leur art.
Leur défaite n’avait certainement pas été sur le plan musical. À tous les coups, les
Beat’ONE avaient sorti une de leurs bottes secrètes ; une espèce d’attrape-nigauds pour
amadouer le public adverse. Ils avaient annoncé la couleur depuis la veille : ils prendraient
éhontément les fans par les sentiments.
À vrai dire, Deathwish partait déjà perdant. Les propos à connotation homophobe de
son leader avant le show – et pas que les siens d’ailleurs, toute sa bande étant quasiment
réfractaire à la communauté LGBT –, l’avaient desservi.
Tony refusait de croire qu’on jugerait NITRΩ sur ces critères. Après tout, leur groupe
jouait suffisamment sur le fan-service boy’s love et affichait des couleurs très gay-friendly.
Leurs attachés de presse et manager avaient finement œuvré de ce côté-là, à tel point que les
médias spéculaient sur la possible relation Ulrich/Sen.
Pour être honnête, les concernés eux-mêmes n’étaient pas plus fixés quant à leur
orientation. Il se pouvait que Sen, le batteur, soit pansexuel. Mais il ne viendrait pas à l’idée
de Tony d’amorcer une conversation sur ce sujet. Si son acolyte choisissait de l’entretenir sur
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ses relations intimes, il l’écouterait dans la mesure du possible. Mais en réalité, il s’en foutait
pas mal.
Ce que faisaient les membres de NITRΩ et avec qui ils le faisaient ne l’intéressait pas le
moins du monde, tant que cela ne nuisait pas à leur popularité. Or la bourde de Megan avec
Red Kellin commençait à avoir un impact négatif sur l’image du groupe. Et voilà qu’AMP©
décidait de se servir de cette turbulence pour faire vendre !
Personnellement, il aurait opté pour une autre tactique. Il était plus enclin à garder un
profil bas durant quelques semaines, le temps que les choses se tassent. Il ne s’agissait pas de
faire l’autruche, mais de se focaliser sur la musique, les tournées, les lives et les émissions de
divertissement. Couper une moitié des ponts avec les médias en évitant les conférences de
presse, les photo-shootings en plein air, et même les fan-meetings.
Mais Axis Music Publishing© ne l’entendait pas de cette oreille. Tony se demandait si
Ethan Bosco n’y avait pas mis son grain de sel. Le conflit n’était pas tant envers tout le groupe
des Beat’ONE qu’envers son chanteur. Toujours était-il que la maison mère de leur
production avait exigé d’eux qu’ils les défient ouvertement lors du Rock’n’Rumble. Parce que
ce serait, une fois de plus, vendeur !
Tony ne craignait pas cette bande, loin de là. Mais il savait quand attendre, et quand
frapper. Comme dans l’art de la guerre, il fallait déterminer si son opposant était en phase yin
ou yang, et réagir en conséquence. Soit en attaquant, soit en gardant ses distances. Les
Beat’ONE avaient fait tourner le vent en leur faveur à ce festival. Leur foncer dessus comme
un bison buté était stupide. Mais le discours d’AMP©, bien que déguisé, restait explicite.
« On vous assure des infrastructures de dingue, il n’y a pas moyen que vous perdiez face
à une maison de disque aussi précaire et tâtonnante que Coop-Com Record©. »
Le leader de NITRΩ avait la désagréable sensation d’être utilisé comme un couperet.
Quelqu’un réglait ses comptes avec les Beat’ONE, ou Red Kellin, ou peu importe, et se servait
de son groupe comme d’une arme.
Il savait gérer Ethan Bosco, mais AMP© était un requin financier. Ses arguments ne
feraient pas le poids contre cet adversaire appartenant au S.H.I.B©, une banque
d’investissement dont le grand patron figurait dans le top 10 des fortunes nationales, qui
sponsorisait un club de première ligue de soccer, et détenait deux grands canaux de diffusion
télévisuels.
NITRΩ était en passe de devenir une des pièces du jeu d’échec que jouait cette jeune et
riche maison, contre on ne sait quel autre concurrent sur le marché des labels. Pourvu qu’ils
n’écopent pas du rôle du pion. Cavalier, tour, fou, restaient toujours un meilleur choix.
Pourquoi pas reine ?
Or pour être une pièce aussi puissante du jeu d’AMP©, il faudrait le mériter. Et cela
passait par battre les Beat’ONE ce soir, comme l’avait insidieusement demandé la maison de
prod’. Si on lui avait demandé son avis, Tony aurait souhaité que toutes ces raisons
économiques et socio-éthiques ne viennent pas polluer le duel qu’annonçait à présent le MC :
— NITRΩ versus the Beat’ONE. Get ready to rumble!
*
Rock Buster vs Rock Storm
Les deux scènes des challengers furent mises en communication. Red dévisagea le
leader de NITRΩ, armé de sa guitare et planté devant son micro. Ils pourraient se regarder en
chien de faïence durant des heures, mais le public n’était pas là pour ça. Et s’il fallait mettre
un terme à leur guéguerre, autant que ce soit les aînés qui aient le premier et le dernier mot.
— Dis, Tony, j’avais un message pour toi.
— Puisque tu tiens tant à me le dire, vas-y, soupira Tony, blasé.
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Des deux côtés, le public huait. C’était à qui couvrirait l’autre des pires imprécations.
— Nan, les gars, soyons civilisés, tenta d’apaiser Korgan.
Cette affaire de battle n’allait pas calmer les esprits, loin de là. En établissant cette
règle, Tessa Mommsen ne devait avoir aucune idée de ce qu’elle faisait. Prenait-elle son pied
en ce moment ? La garce en elle jubilait à coup sûr !
— Montrez-vous classe, ajouta Jay. Soyez dignes de nous.
Jeff pouffa. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre ! L’euphorie de l’audience faisait
passer les fans pour des drogués ! Il n’empêche que la tactique fonctionna temporairement.
Les Holy Suckers firent silence.
Le Rock’n’Rumble ne jugeait pas que les artistes. L’épreuve prenait aussi en compte
l’attitude des fans. Et il était possible que le comportement fair-play ou sportif d’un public
sauve l’image des musiciens.
De plus, Red se souvenait d’un commentaire de Lawson qui l’avait marqué. « Vous avez
l’art et la manière de gérer votre public. » Dans certains duels, la différence se ferait
probablement à ce niveau. À leur capacité à contrôler cette masse qui les adulait le temps
d’un live, et honnissait un groupe supposé rival. À leur aptitude à faire délirer des milliers de
personnes comme une seule entité. À leur manière de faire adhérer toutes ces individualités à
leur unique idéologie. À leur facilité à partager de façon égale avec chacun d’eux, une seule
vision des choses. À leur compréhension des mêmes codes.
— Mon message concerne cet air blasé dont tu as fait un bushido.
Si les Nitro Maniacs puristes le houspillèrent, pour les Holy Suckers ce fut bien envoyé.
— Je n’attends pas de toi qui tu me comprennes, rétorqua Tony. Il a été prouvé que si
nous dialoguons en apparence, nous ne communiquons pas. On doit venir de planètes
différentes.
Surenchère des Nitro Maniacs qui plébiscitèrent leur star, contre les « bouh » des Holy
Suckers puristes. Red fut à deux doigts de se pincer l’arête du nez. Cette battle s’annonçait
plus verbale que musicale. Elle se jouerait à coups de répliques cassantes. Il ne manquait plus
que le public se mette à scander « cassé ! » de part et d’autre. C’était du grand n’importe
quoi ! Tessa ne l’emporterait pas au paradis. Mais puisqu’il fallait jouer le jeu…
— Oh, je te rassure. Ce que je tiens à te « communiquer » sera à ton bas niveau de
compréhension.
Décidément, Red Kellin avait l’intention de prendre tous ses adversaires de haut. Et ce
n’était point son public qui l’en blâmerait.
— J’ai fait écouter un de vos singles à un ami. Un amour à qui je donne des cours de
guitare électrique.
— Abrège ! s’impatienta Tony.
Il n’était pas là pour écouter Red papoter. Quand on se battait en duel, même musical,
on ne racontait pas sa vie !
Red laissa exprimer toute sa jubilation dans son sourire narquois. Avait-il sortit Tony
Le Blasé de sa zone de confort ?
La majorité des Holy Suckers n’eut pas besoin de décodeur pour deviner l’identité de
« cet amour à qui Red donnait des cours ». Il s’agissait bien évidemment de Rudy Leblanc, et
de nombreux Nitro Maniacs seraient hypocrites en niant avoir saisi à qui il faisait allusion.
Qui de parfaitement à la page ignorait encore qu’Authentic Caramel-Vanilla était le chouchou
de Red Kellin ?
Alors, que pensait cette personnalité d’une œuvre de NITRΩ ?
— En écoutant LESS AND LESS, il m’a dit à peu près ceci : la chanson est bien, mais je
tarde à rentrer dans le délire parce que le chanteur de NITRΩ se donne un genre, en se la
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jouant un peu blasé. Le genre « j’ai la flemme, mais je le fais quand même parce que c’est
vous ». Comme si tu nous accordais une faveur. Mais ce soir fais-moi une faveur, justement.
Mets la gomme tout de suite, parce que ton adversaire n’a rien d’un moteur diesel lent.
Les cris enthousiasmés de ses fans ponctuèrent ce second point remporté dans cette
joute verbale.
— En général, se lancer soi-même des fleurs masque pas mal de complexes, glissa
Ulrich. Tu es obligé d’affirmer toi-même tes supposées qualités, de peur que les autres en
doutent ?
— Mais il y a méprise, se désola faussement Red. C’est pas de moi que je parle, chéri. Je
ne me mets pas dans le même thésaurus qu’un moteur au fuel. Red Kellin soupe avec les
dragons, dîne à la table des dieux. Ce serait trop cruel de ma part de vous prendre de front,
quand on sait que vous arrivez à peine à la cheville de Deathwish, et que Deathwish a été
ratatiné par notre mascotte. C’est pas sport.
Red dut laisser passer la vague de quolibets des Nitro Maniacs, contrebalancée par les
rires et les sifflements vénérateurs de ses fans.
— Alors pour vous affronter, j’appellerai un Holy Sucker.
Le public de Rock Buster entra en délire. Son hystérie fut si violente qu’elle couvrit la
surenchère de NITRΩ, qui criait son indignation. C’était de la triche ! Mais encore une fois,
rien ne disait que les Beat’ONE enfreignaient les règles. Après tout, avec ou sans son
chanteur, la formation continuait de jouer. Et si le challenger ne se sentait pas les couilles
d’affronter un fan profane, alors il n’avait pas sa place dans ce marathon.
— Est-ce qu’il y a une Gia au nom kilométrique dans le public ?
Lorsque Gia parvint enfin à se hisser sur la tarentule steampunk, il fut évident que les
Beat’ONE ne considéraient pas NITRΩ comme des adversaires à leur mesure. Ils étaient tout
juste bon à affronter une rookie.
Une rookie survoltée !
Gia n’arrêtait pas de sauter partout. Elle allait participer à une putain de battle ! Elle
confirma que son nom était bel et bien kilométrique en en épelant les 16 caractères. On se
souviendrait longtemps de cette anecdote.
— Je peux mourir heureuse ! lança-t-elle lorsqu’on lui refila son propre micro.
— C’est après ta performance que tu pourras honorer ton rencard avec la Grande
Faucheuse, si ça te chante, rappela Jeff, sous les rires du public. Et puisqu’on dit honneur aux
dames, on laisse la main à NITRΩ.
Une façon de dire que c’était une bande de femmelettes.
— C’est petit, Jeffrey, ricana Korgan.
— Mais ils ont une dame dans leur bande, se défendit-il. On n’a fait qu’équilibrer la
balance.
Ce mec était aussi fourbe qu’un renard. Il serait désormais difficile pour NITRΩ de
contrer cet argument.
Du côté de Rock Storm, un sentiment de colère mêlé de haine s’était abattu telle une
tempête, sur scène comme dans le public. Pour le coup, la mainstage portait bien son nom.
Les Beat’ONE ridiculisaient et humiliaient leurs adversaires en contournant les règles, et
Emy Event© n’y voyait que du feu. Ils devaient être disqualifiés !
Le groupe débuta le duel avec hargne, tandis que Red se mettait en retrait et cachait sa
joie. Sans frimer, il savait que sa bande avait l’avantage. On s’éclatait, on s’amusait, on riait à
Rock Buster, tandis qu’on grinçait des dents, serrait des poings, et lançait des anathèmes du
côté adverse. Or la musique, le show, ne fonctionnait que lorsque l’on partageait des
émotions positives, ou à défaut, moins nocives que celles des NITRΩ et leurs suppôts.
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Gia n’était pas stressée pour un sous. Les Beat’ONE la soupçonnèrent de carburer à
quelque substance illicite. Vu la dilatation de ses pupilles, elle n’y était pas allée de main
morte. Mais sa manière d’agripper le micro en disait long. Elle l’avait, elle ne le lâcherait plus.
Après cette nuit, les chroniqueurs de rock décriraient la performance du groupe NITRΩ
comme un tableau assez terne. Non parce qu’il manquait de couleurs. Au contraire, il y avait
eu suffisamment de contrastes pour apporter du relief à leur prestation.
Le problème viendrait de Gia. Encore inconnue du grand public et de la presse, elle
débuterait le premier chapitre de son histoire ce jour-là.
Entourée d’une formation que l’on pouvait désormais qualifié de « all-star band », la
jeune femme mettrait le groupe adverse à l’amende avec une intensité vocale digne des
légendes du rock féminin. Le duel avait tourné court, dès l’instant où elle avait pris
possession de la scène.
Elle avait fait de Rock Buster son domicile. Elle avait été la patronne. Elle avait tenu
l’orchestre. Et à son choix de titre, GUN ON YOUR TEMPLE, elle avait clairement pointé une
arme sur la tempe de NITRΩ.
Après un bon début de show, l’intensité du jeu de ce dernier donnerait l’impression de
s’essouffler, des suites de cette battle. L’ambiance autour de Rock Storm évoquerait ces cieux
couverts, alourdissant l’atmosphère comme avant un orage, tandis que Rock Buster
s’enflammait littéralement.
Au départ, il était évident que NITRΩ gérait. Aussi bien Tony au chant et à la guitare,
qu’Ulrich et Sen au clavier et à la batterie. La bassiste Omega parvenait à suivre le rythme, et
ne déméritait pas pour un premier live d’une telle envergure. Le show avait été rodé durant
les répétitions. Carré, propre. Peut-être un peu trop propre, justement, car c’était là que le bât
blessait.
Musicalement, ils étaient en place. Mais après la prestation de Gia, la comparaison
avait malheureusement pointé le bout de son nez, et il n’y avait pas eu photo.
Gia faisait les growls que l’on réservait d’habitude à la gent masculine. Elle passait de la
troisième à la huitième octave comme on ferait un parcours de santé. Elle avait du coffre, du
tissu vocal, et plus impressionnant encore, parvenait à en faire de la dentelle. Elle avait du
blues dans le sang, du rock dans la voix, et la gestuelle d’une puce sauteuse. Le tout concentré
dans un petit corps d’un mètre 60.
On ne pouvait plus que se rendre à l’évidence. Le phrasé si spécial de mec blasé de
Tony, qui passait très bien sur CD, avait un peu de mal à s’épanouir sous les contraintes d’un
live donné à deux publics géographiquement séparés. En salle close, NITRΩ aurait respecté
son contrat sur scène. Mais le Rock’n’Rumble plaçait la barre un peu au-dessus, pour cette
formation.
Oh, pas de beaucoup. Ç’aurait presque été insignifiant si seulement Gia n’avait pas
explosé le beat ! À côté, on aurait presque pu croire que son adversaire souffrait d’un manque
de pratique en live, alors que c’était elle la rookie. La jeune femme était simplement faite de
cette étoffe de pur talent.
Charmés par sa performance, les Beat’ONE avaient obtenu du public qu’il lui accorde
un second titre. Elle avait pris tout le monde par les sentiments en interprétant une version
bien à elle de MODERN ROCKER, titre mythique des Dius Core.
Il ne faisait aucun doute, elle incarnait cette idéologie du rock moderne que John Cerni
avait si bien retranscrite à travers ses lyrics.
So you wanna rock a stadium?
No need to be Mr. Attractive
You’ve got to be radioactive
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Babe, act like a piece of radium
[…]
Elle avait été radioactive.
Ce fut donc avec un peu de recul que certains assistèrent à la suite du spectacle de Rock
Storm, titillés par l’horripilant doute que c’était plus fun du côté de Rock Buster. D’autres ne
se gênèrent pas d’aller vérifier par eux-mêmes. Quel était l’intérêt de finir sa soirée aigri,
alors qu’on faisait les fous pas très loin ?
Au final, ce fut un dénouement tristounet pour un événement que les Nitro Maniacs
puristes avaient attendu sur le pied de guerre. Ils avaient été persuadés que NITRΩ clouerait
définitivement le bec à Red Kellin. Mais seule l’idée de la battle avait été palpitante. La réalité
avait été frustrante, pour ne pas dire décevante.
*
Mainstage : Rock Buster
Chez les Beat’ONE, c’était « delirium must go on » ! Le temps que la régie comptabilise
les déplacements des spectateurs et annonce l’issue de la battle, Jay en profita pour caser son
discours.
— Faites-la kiffer. Une ovation à Gia, mesdames et messieurs !
Il lui leva le bras en signe de victoire, tandis qu’une salve d’applaudissements faisait
bourdonner la place. Elle l’avait amplement mérité.
— Vous avez adoré sa prestation ? reprit-il de manière rhétorique. Eh bien, vous allez la
revoir, parce que Gia vient de réussir son audition.
— Tu signes avec Coop-Com Record© demain, Amazone, sourit Red.
Pour ne pas déroger à son tempérament, Gia souhaita mourir, tant elle était heureuse.
— Comme je disais, attends d’abord de parapher « lu et approuvé » au bas de ton
contrat, avant d’aller batifoler avec la Mort. Ta vie privée avec la Grand Faucheuse ne nous
regarde pas !
— Jeffrey Scott, ce comique, conclut Korgan, sarcastique.
À en juger par le retour hilare du public, ils passaient un très bon moment. Et le but
était de le faire durer jusqu’au bouquet final. À ce stade, les Beat’ONE avaient réussi à faire
comprendre à leurs fans qu’au fond, le Rock’n’Rumble n’était qu’un prétexte. S’ils perdaient
ce marathon de popularité, les Holy Suckers n’en vivraient pas moins leur meilleure RockFeast en douze ans.
La formation reprit les rênes, une fois que le MC eut rapporté sans surprise la nouvelle
de sa victoire sur NITRΩ. Durant la demi-heure qui suivit, elle délivra un show
grandiloquent, à grands renforts de fumigènes, de flammes, et de jeu laser. Le spectacle
mêlait musique électronique et effets pyrotechniques, mettant en valeur les plateformes par
des lumières projetées sur les pieds de la tarentule métallique.
L’effet stroboscopique n’en sublima que plus les prestations de NINE DESOLATIONS
OF A DOOMED, MIDNIGHT SECRETARY, LA TUA CANTANTE et UT, FA, SOL :
DEVILISH SYMPHONY, servies par une instrumentation symphonique puissante et au poil.
Les ingés-son avaient fait du bon boulot.
Les Beat’ONE, se démarquant peu à peu avec les atouts de leur scène étrange, étaient
en passe de convaincre le grand public de leur nouveau concept de livebuster, quand vint
l’heure de leur troisième battle.
Cette fois, ils décidèrent du challenger à affronter. Ayant cette propension à faire les
choses en grand, ils s’attaquèrent à l’un des favoris. Celui que les pronostics encensaient pour
avoir fait le plus d’entrées lors des deux derniers impacts du festival : Naytray. Bien qu’il ait
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conclu un essai marqué il y a deux ans, d’aucuns disaient qu’ils devaient cet avantage à
l’absence des Mad Babiz l’an passé. Les Beat’ONE allaient éprouver cette théorie.
*
Mainstage : Rock Xtrem
C’est le cœur déchiré que Timothy quittait la scène de son groupe préféré. Il ne pensait
pas se sentir si Holy Sucker dans l’âme. À la base, il s’était laissé porter par l’engouement,
pour ne pas dire l’ultra-fanatisme, de Rudy. Son premier amour rock’n’roll de sa génération,
si l’on puit dire, était sans conteste Naytray. Et ne voilà-t-il pas qu’il lui faisait cocu !
En même temps, les Beat’ONE servaient l’une de leurs plus belles performances. Les
captures d’images de Rock Buster étaient de plus en plus alléchantes. Ils assumaient un
nouveau concept qui faisait lentement mais sûrement chavirer les cœurs du public des autres
mainstages.
La rumeur circulait, ainsi que les échos des naufragés des scènes qu’avaient fait couler
les Beat’ONE. Pour autant, on ne s’ennuyait pas du côté de Naytray. Et c’était une litote.
Timothy et Mir avaient été aux anges. Le métis asiatique avait résilié son abonnement
de « ruminant coincé du cul », pour le plus grand plaisir du métis afro. Mir s’était lâché.
Comme la majorité des spectateurs, tous deux étaient torse nu, ayant contracté la manie de
Nigell a toujours finir à demie à poil lors de ses shows.
Arborant des peintures de guerre sur le visage, le quintet était entré en scène sous les
applaudissements rythmés des fans, calés sur le tempo de leur titre VALETUDINARIAN. Ils
avaient tout de suite enchaîné avec KING OF THE DAMNED, qui avait littéralement
déchaîné la foule.
Les guitaristes jumeaux et le bassiste travesti avaient insufflé un élan d’énergie en
habitant toute la scène. Ils étaient inépuisables, inarrêtables, comme dopés aux
amphétamines. Leur Stoner-metal était groovy. Le public dansait réellement, ne se
contentant pas de pogoter ou de se trémousser de manière désarticulée.
CHAINS fut suivi de SPARE A DIM, et en l’espace de quelques minutes, tout le monde
était en nage, aussi bien sur scène que dans la fosse. La soirée s’annonçait belle avec Naytray.
Elle prit une autre tournure, celle de la véritable compétition, quand leur première battle
contre Иeologism fut remportée haut la main. BENEATH CHAOS était un morceau contre
lequel peu se relevaient.
La chanson avait été popularisée par le sixième opus du jeu vidéo The mastermind
beneath chaos, dont elle constituait le thème. L’audience de Rock Valley s’était autant amusé
dessus que celle de Rock Xtrem qui en avait siphonné une portion.
Mélangeant des titres de leur premier album EDENIA avec ceux du dernier en date,
leur prestation enchantait les fans dont le nombre allait toujours grossissant, après l’avoir
emporté sur le groupe Misty Rain au second duel.
Après 11 chansons, un troisième défi leur était parvenu. Un défi qui avait fait frissonner
plus d’un, car à mesure que le festival battait son plein, une vérité s’imposait. Les Beat’ONE
avaient rejoint le peloton de tête. Et si l’on n’arrêtait pas leur progression, il se pouvait
carrément qu’ils finissent en pole position…
Tel était ce qui avait décidé Timothy et Mir de jeter un œil à Rock Buster. Avec un peu
de chance, peut-être tomberaient-ils sur leurs amis. Ils avaient donc quitté un amoureux pour
un autre amant.
En parlant d’amour, Mir avait été particulièrement démonstratif cette soirée. Il n’avait
pas hésité à quémander des marques d’affections, jusqu’à voler des baisers à Timothy. Bien
que ça ne le déplaise pas, le mannequin était complètement perdu. L’autre ne l’avait pas
habitué à un tel comportement.
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En revanche, le méchant tacle dont il avait « gratifié » le connard qui les avait traités de
« sales pédés » avait été apprécié. Et pas seulement de Timothy… C’était plus « Mir ». C’était
rassurant.
C’est main dans la main qu’ils coururent jusqu’à Rock Buster, portés par une foule qui
espérait arriver sur le nouveau champ de bataille avant qu’elle ne soit engagée.
*
Rock Buster vs Rock Xtrem
— Alors Jay, comme ça votre petit me défie ? Il a les dents longues.
— Je vais t’en foutre du petit, Nigell ! grogna Red.
— Tu vois cette scène où le petit-frère tente vainement de reprendre la balle que le
grand-frère tient au-dessus de sa tête ? rétorqua Nigell, railleur. C’est ce qui va se passer dans
quelques minutes.
— T’as oublié de préciser la distribution du casting de ta scène, Nigell, intervint Jeff. Je
viens d’avoir la production, le rôle de celui qui tient la balle a été attribué aux Beat’ONE.
Il fut plébiscité par Rock Buster quand Rock Xtrem le couvrit de « bouh ! ».
— Mais le fair-play est notre philosophie, alors la fameuse baballe est dans votre camp,
dit Korgan. On vous laisse commencer.
— Ah non ! protesta Terry. C’est vous qui avez sorti le lion de sa tanière. Et y’a intérêt à
ce que ce soit pour une bonne raison. Sinon, va falloir trouver une parade pour éviter qu’il
vous morde. Alors on vous écoute.
— Bien envoyé, concéda Red. (Il grimaça suite à l’effet Larsen du micro, puis reprit :)
Holy Suckers, est-ce que ça vous dit qu’on éblouisse le lion ?
L’assentiment assourdissant de ses fans lui donna le feu vert.
— Vous vous souvenez qu’on vous a fait ranger vos portables au début du show ? Pour
cette battle, la restriction est levée. Mais ce sera à un signal précis. À chaque fois que
j’entamerai le refrain, et uniquement durant le refrain, vous lancerez tous en même temps
l’application « torche » de votre smartphone.
— J’en déduis que vos projecteurs sont HS, si vous en êtes réduits à vous rabattre sur
les torches de vos fans, railla Ran. On vous a refilé du matos défectueux ?
— Il dit ça parce qu’il est dégouté, renchérit Red. Il sait que ça va être super génial, du
coup il flippe. Music, Maestro !
WEREWOLVES débuta ce duel qui laisserait quasiment la régie sur le cul. Tout staff
confondu : que ce soit celui de Coop-Com Record©, de Sound D© qui gérait Naytray, ou
d’Emy Event© qui avait un vaste aperçu du festival depuis le bunker de contrôle.
Le rendu de milliers de smartphones s’allumant puis s’éteignant en rythme avec la voix
de Red, était à couper le souffle. Naytray regretta certainement d’avoir laissé la main à
l’adversaire. Après un tel show, la comparaison fit mal. L’imprévisibilité de leurs challengers
fut sans conteste ce qui créa la différence.
Vu les réactions des deux publics lors de la prestation des Beat’ONE, l’on craignait à
présent que la déception guette certains fans du côté de Rock Xtrem, même si nombreux
furent satisfaits de leurs stars favorites.
À l’annonce des résultats, le public de Naytray déplora que le duel ait été si court. Les
fans restaient persuadés que leur groupe tenait la dragée haute aux Beat’ONE. Seulement,
voilà belle lurette que les Holy Suckers étaient convaincus de la suprématie de leurs idoles.
Ce que la victoire des Beat’ONE ne fit que confirmer.
*
Mainstage : Rock Buster
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Une information vint modifier l’ambiance, et donner un autre souffle au
Rock’n’Rumble. Durant dix minutes, furent affichées les statistiques de mi-parcours. Il se
révéla que Mad Babiz était en tête, suivi de près par Naytray malgré sa battle perdue, talonné
par les Beat’ONE quasiment à égalité avec Иeologism. KlaiM défendait dans un mouchoir de
poche sa cinquième position contre Misty Rain, mais un grand écart les séparait du quatuor
de tête.
Les chiffres n’étaient cependant pas figés. Les statistiques fluctuaient en continue,
preuve qu’il n’y avait pas de cassure dans le rythme des transferts de fans. Certaines
grimpaient de manière constante. D’autre décroissaient de façon déprimante. Il y en avait qui
semblait ne pas varier, car les pertes étaient bizarrement compensées par de nouveaux
arrivages.
Désormais, il fallait s’attendre à ce que le quatuor en tête soit assailli de défis, puisque
leurs scènes constituaient un réservoir de spectateurs.
Pour éventuellement se débarrasser de Иeologism qui leur collait aux basques, les
Beat’ONE sortirent une autre arme de leur chapeau. On commençait à se demander ce qu’ils
feraient lorsqu’ils seraient à court de munitions. Mais tous ces rebondissements tenaient le
public en haleine, dans l’expectative d’une nouvelle intrigue. D’une nouvelle pirouette.
Que réservaient-ils pour la suite ? Pour l’heure, ils allaient se changer en jukebox.
— C’est le moment de passer commande de vos titres de rock préférés sur notre page
ownet©, annonça Red. Peu importe qu’elles soient de nous ou d’un autre groupe. La régie va
nous refiler les pourcentages d’ici quelques minutes, et on vous jouera les trois en tête de
votes.
Pour les fans, ce fut Noël à la St Valentin. Jeff glissa avec fourberie :
— Prévenez vos copains. S’ils veulent écouter un cover des Beat’ONE d’une chanson en
particulier, qu’ils votent nombreux et ramènent leur fraise. Même si c’est que pour cinq
minutes, le temps de kiffer la chanson, de kiffer leur vie, de kiffer sa race, et de retourner
s’ennuyer d’où ils viennent.
Korgan remua la tête. Tant de perfidie… Dire qu’il était le premier à râler quand
d’autres groupes racolaient leurs fans. Le guitariste se souvenait encore du petit contentieux
qui les avait opposés à KlaiM, à leurs débuts. Jeff avait moyennement pris le fait que ce jeune
groupe se serve de la notoriété des Beat’ONE pour se constituer un fanbase. Et aujourd’hui, il
se tapait leur guitariste.
Fourbe un jour, fourbe toujours !
Naturellement, après avoir « kiffé leur vie », comme disait Jeff, très peu auraient la
motivation de se manger des centaines de mètres de trajet retour.
Le temps que le dispositif « human jukebox » soit mis en place, TO ALL FALLEN
HEROES… et KILL THIS SONG furent exécutées dans une ambiance tribale aux relents
épiques, grâce aux cris sauvages orchestrés et préenregistrés.
Une fois les votes comptabilisés par le staff de Coop-Com Record© préposé aux
réseaux sociaux, le groupe démontra qu’il avait plusieurs cordes à son arc. Ce fut à cette
occasion que l’on put constater qu’ils étaient autant à l’aise sur du garage rock que du folk
rock, au même titre que du grunge. Les fans apprécièrent une sympathique reprise de
SILENT SCREAM de Mad Babiz, une version unique de PUPPET IN WITCHY GLITTER
NAILS de Tisbon, et un cover très enjoué de WELCOME BACK de Gengis.
Durant toute la durée de cette dernière, Red se remémora les retrouvailles entre Rudy
et ses amis, alors qu’un groupe de mariachi la performait devant la demeure de Yakim. Il
l’ignorait encore, mais cette opération venait d’éjecter son groupe de sa troisième position,
suite à l’afflux de nouveaux adeptes.
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De retour à leur propre set, Red exigea sa guitare pour la prochaine piste. Un roadie la
lui apporta, et il ne se gêna pas de le reluquer.
— ‘Tain, ils en font des pas mal de nos jours.
Le public de pervers lui donna raison. Le jeune homme était grand, la chevelure longue
et blonde, un peu gauche dans son T-shirt informe, mais portait un jean stretch sombre qui
mettait ses jambes en valeur. Il était surtout mort de peur, ce qui le rendait très malléable
pour la vanne.
— Attends deux secondes, le retint Red. Pars pas sans dire bonsoir à tout le monde.
Livide, Sven se tourna vers la foule qui le salua en chœur. Le chanteur se demanda s’il
n’allait pas lui faire un AVC.
— T’as au moins une pièce d’identité sur toi ? Parce que si tu te retrouves aux urgences
à cette heure, ça va être galère de gérer la paperasse. Tu vas pas nous faire une crise
cardiaque, hein ? Allez, sois fort. Ils t’adorent. Fais-leur un coucou.
Bêtement, Sven leva main et fit un coucou.
— Qu’il est mignon ! dit Jeff, sarcastique.
Il se retenait difficilement de rouler des iris. Ce que ce dadais pouvait être pataud !
Alors qu’il avait tout pour plaire ; il lui suffisait de s’assumer juste au tiers.
La foule s’esclaffa. Red étudia le garçon. Ce n’était clairement pas gagné. Gia était un
véritable cadeau ; celui-ci une grenade dégoupillée. À tout moment, il pouvait leur péter à la
figure !
— Assieds-toi. Viens là, l’invita-t-il en tapotant le cageot métallique sur lequel il s’était
lui-même assis.
Sven l’y rejoignit. Red lui demanda de se détendre, il n’allait pas le manger. Peut-être
lors de son prochain quatre heures, mais pas ce soir. Ce soir, il faisait l’amour au public.
Inutile de dire que ce ne fut pas rassurant pour un sous. Le jeune homme était aussi pétrifié
que les fans étaient euphoriques.
— C’est quoi ton nom, déjà ? Je le retiens jamais en entier.
— Parce que t’as une mémoire de rat, balança Jeff.
— Il est nouveau dans le staff, se justifia Red auprès du public qui se moquait.
Apportez-lui un micro, exigea-t-il quand Sven marmonna son prénom.
— Sven Krauz, répéta ce dernier de manière plus audible, d’une voix tremblante.
Et il n’y avait pas que sa voix qui tremblait. Les écrans géants exposaient son stress avec
une froide cruauté. Il y eut des sifflements d’encouragement. Un bourdonnement de
spéculations s’éleva de la foule. À quelle sauce allait-on le manger, celui-là ? Une chose était
certaine, la présence de cet inconnu sur scène régalait le public. Bon nombre de Holy Suckers
en furent jaloux.
— C’est moi qui te fais flipper ou c’est eux ? demanda Red en désignant le public.
— Euh… un peu les deux.
— T’es au courant que même s’ils ressemblent à des zombies, ils ne mordent pas, hein ?
tenta de le dérider Korgan. Au pire des cas, c’est pas contagieux.
Ça n’eut pas l’air de le décrisper mais ç’eut le mérite de détendre encore plus
l’ambiance. Le guitariste lança un regard inquiet à leur leader ; un regard « on fait quoi, on
annule ? ».
— Hé, Sven, t’es sûr d’être un Holy Sucker ? demanda Jay.
Sven fit oui de la tête en dévisageant le batteur d’un air méfiant.
— Prouve-le. C’est quoi la devise d’un Holy Sucker ? Personne ne souffle. Et elle est
facile, même ma fille la connait.
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Le public n’arrêtait pas de siffler, trouvant la situation de plus en plus comique. Mais ce
n’était pas le cas de Red. Il avait certes le cœur à rire, mais d’un rire jaune. Il regarda dans les
yeux le jeune paumé en qui il avait voulu croire.
Dans les iris couleur ambre, Sven ne lut qu’un seul message : « it’s now or never ». Il
déglutit, porta son micro à ses lèvres et répondit :
— A great Sucker never gives a fuck.
— Bien, souffla Red en se tenant la poitrine, comme soulagé. J’ai cru qu’il n’allait jamais
nous la sortir. Faut pas être constipé comme ça sur scène, mon vieux ! C’est pas bon pour la
santé. Pète un coup. Tu me stresses, là. J’ai cru vieillir de trois ans ! Je ne compte pas mourir
à 27 ans, mais je suis pas pressé d’avoir 30 piges, mec.
Il reçut des rires moqueurs au même titre que de la compassion. Mais le plus gratifiant
fut l’ébauche de sourire qu’il parvint à arracher à Sven.
— Je vais te poser une question étrange. Si tu devais chanter en duo avec moi, là,
maintenant, tu choisirais quel titre ?
L’auditoire s’enflamma. Pour tous ces followers, il ne faisait aucun doute que ce blond
dégingandé était un foutu veinard !
Le regard de Sven s’agrandit, catastrophé. Il y avait un sacré changement de plan. Ce
n’était pas prévu qu’il chante en duo. Il devait gérer sa prestation seul, comme un grand. Mais
le groupe avait compris qu’il n’y parviendrait pas cette nuit-là, écrasé par l’envergure du
show, impressionné par l’ampleur de l’évènement, et surtout perdu face à la grandeur du
talent des hommes qui se tenaient sur cette plateforme.
Son oncle allait le descendre. Il était en train de cracher sur la chance unique que lui
donnait la vie. Combien pouvaient y prétendre ? Il avait été tiré d’un quartier populaire de
Prague, arraché à une vie pitoyable de dealer en herbe, pour se retrouver à des milliers de
kilomètres sur une grande scène de rock, aux côtés d’une grande star du rock. Et il perdait ses
moyens.
Pathétique !
D’aucuns diraient que c’était excusable. Mais lui savait qu’il ne se le pardonnerait
jamais. De plus, tous ces gens le houspilleraient. Ces dizaines de milliers de bouches lui
cracheraient dessus. Surtout après qu’une gamine de moins de 10 ans se soit illustrée sur
cette plateforme telle une patronne !
Il avait assez bien répété WHAT YOU’VE GOT. Il avait suivi son enregistrement studio
à Darney, et connaissait sa mélodie par cœur, pour avoir vu et entendu son oncle la composer
et longuement travailler dessus. Mais s’il devait chanter en duo avec Red Kellin, ce n’était pas
ce titre qu’il choisirait.
Sven réduisit ses tremblements en serrant plus fermement son micro dans sa main. Ce
petit objet était son sésame vers un lendemain meilleur. Son futur outil de travail, s’il se
donnait la possibilité de décrocher ce job. Quoi qu’il arrive, il devait réussir cette audition. Ou
du moins, tout donner dans l’espoir d’y parvenir.
— MACULA, version acoustique.
Cette fois, sa voix n’eut aucun trémolo dû au trac, bien que cette satanée entité
paralysante soit toujours là. Red ne cilla même pas face à cet imprévu. Bien au contraire, il lui
sourit.
— MACULA, hein ? répéta-t-il d’une voix empreinte de douceur pourtant légèrement
fêlée par la douleur. Oui, la version acoustique est un très bon choix.
Il déposa son micro sur le côté, alla troquer Mademoiselle Red contre une guitare à
caisse creuse, et revint près de Sven. Il ferma les yeux durant trois secondes, temps qu’il lui
fallut pour se recentrer, puis plaça un accord.
17
Il avait commencé une ébauche de cette chanson avant le décès de son père. Mais c’était
la mort de ce dernier qui lui avait apporté le déclic pour la réécrire et lui trouver un titre. Au
début, quand il la chantait, elle lui évoquait le sang qui maculait l’intérieur de la carcasse de
la Porsche de rallye d’Andrew.
Aujourd’hui, un autre allait la chanter pour lui. Et peu importe l’interprétation qu’en
ferait Sven, si elle sonnait vraie, il l’adopterait. C’était assez de nourrir le souvenir macabre de
l’incident qui avait provoqué le trépas de son père.
L’artiste en herbe à ses côtés n’avait pas le même vécu que lui. Mais Sven avait ses
expériences personnelles – celles qui l’avaient amené à faire ce choix de titre ; ce changement
de dernière minute en tout état de conscience, puisqu’on ne pouvait dire qu’il ignorait les
enjeux. Il était bel et bien assis là en connaissance de cause.
Les notes coulèrent de sa guitare. Fluides, limpides, justes, vraies. Presque d’instinct,
Sven sut quand ouvrir la bouche. Lorsqu’il réalisa que Red s’était débarrassé de son micro,
qu’il ne pourrait pas le récupérer sans tuer la musique de son instrument, il sut que la
chanson serait son fardeau. Il la porterait seul – comme prévu –, et n’allait pas se foirer.
Parce qu’à cet instant, il chantait pour Red Kellin. Et pour tout l’or du monde, il ne ruinerait
pas ce moment magique.
You’re running out of time
It’s too late
The blood is running out
Woo woo
You’re running to catch the time
It’s too late
Your voice can’t come out
.
MACULA!
I thought that blood could drown my torment
Tell me why you’re spilling yours
MACULA!
I thought together we could enjoy the moment
Tell me why I’m left outta the door
MACULA!
.
It’s your precious life that runs in my veins
The damned fate we have in common
Let me taste these sweet memories again
In the bitterness of our sharing genes
.
But you’re running out of time
And it’s too late
The blood is running out
Woo woo
Yet you’re running to catch the time
Now it’s too late
Your voice can’t come out
.
MACULA!
It wasn’t enough, you’ve gone too early
18
Then what am I supposed to do?
MACULA!
I can’t waste a minute, I can’t give in
With hands soiled by your blood
MACULA!
.
Now you leave me with that burden
To bear my future without your presence
No wonder my heart has been broken
It’s not something you could mend
.
I’m running out of time
It’s too late
Your blood is running out
Woo woo
I’m running to catch the time
It’s too late
My voice can’t come out
.
You’re running out of time
(Out of time)
Your voice can’t come out
Woo woo
I’m running to catch the time
(To catch the time)
But my voice can’t come out
MACULA!
.
Le public n’en revenait pas. Que Red accorde une telle chance à un roadie, de plus, lors
d’un live de cette importance, était surréaliste. L’on commença à se demander ce qui se
tramait. Surtout que le morceau avait été subtilement chanté, sur le fil de l’émotion, en
parfait équilibre entre intimité et partage. La voix du jeune homme ne ferait peut-être pas
l’unanimité, mais le moment avait été intense. De quoi refiler la chair de poule.
Ce n’était pas donné à tout le monde de chanter vrai, sans fioriture, seulement
accompagné d’une guitare acoustique. Souvent, la bande instrumentale masquait les
imperfections de la voix. Mais cette fois, on les avait entendues. Et au lieu d’être une
faiblesse, elles avaient été une force. Elles avaient donné à cette voix à l’accent slave un
charme unique, fragile, et qu’on avait envie de préserver.
Nombreux anticipaient à présent la suite, le moment où les Beat’ONE leur
annonceraient que le fameux Sven Krauz venait de réussir son audition.
— Pour ceux qui sont longs à la détente, je confirme, nous faisons bel et bien des
auditions lors du Rock’n’Rumble, annonça Jay.
Limite s’ils ne se foutaient pas des résultats finaux du marathon. On aurait presque pu
croire qu’ils avaient leur propre programme, et que le Rock’n’Rumble n’était qu’un parasite
venu se greffer dessus. Leur désinvolture relevait de l’art.
— Certains diront qu’on prend cette compète par-dessus la jambe, ajouta le batteur. Et
on leur répondra : non, sans blague !
19
Korgan demanda au public de lui rappeler la devise des Holy Suckers. Comme elle le
stipulait si bien, ils n’en avaient rien à cirer ! Il n’empêche qu’en dépit de leurs paroles et de
leurs actes, tout était fait pour dégouter ceux qui n’avaient pas mis les pieds à Rock Buster.
— Qui sait si vous ne passez pas à côté de votre chance en étant au « mauvais »
endroit ? lâcha Jeff, l’air de rien. Mais c’est vous qui décidez, reprit-il avec sérieux. Si vous
voulez qu’il signe avec Coop-Com Record©, allumez vos portables.
Le cœur de Sven eut un raté. Il n’allait même pas être jugé par les Beat’ONE mais par
son public. Jusqu’au bout, ces musiciens – et particulièrement Jeff – l’auraient mis à
l’épreuve. Il se souvenait encore du bassiste lui ordonnant de faire le guet dans le froid de
Noël, tandis que le chanteur s’envoyait en l’air dans un préfabriqué avec son homme,
quelques heures avant que le fils de ce dernier ne se fasse enlever.
Il en avait vécu des choses, avec les Beat’ONE ! Et il n’avait pas fini d’en vivre, réalisa-til lorsqu’il dû protéger ses yeux d’une agression oculaire. Il se dit que ses larmes étaient une
réaction réflexe pour protéger sa cornée. Ça n’avait rien à voir avec l’émotion qui le
submergeait à cet instant, alors que des milliers de petits points blancs scintillaient dans la
masse sombre et grouillante, quelques mètres plus bas, à ses pieds.
— Maintenant tu sais ce qu’il te reste à faire, dit Korgan. La graine de talent, tu l’as.
Fais-la germer. Ne les déçois pas.
Ne nous déçois pas.
Faute de mots, et ne se faisant pas confiance pour aligner une phrase intelligible en
anglais, Sven fit une courbette. Il se sauva de scène, peu désireux d’étaler au grand jour son
émotivité. Dans sa fuite, il se prit les pieds dans un câble et se vautra comme un con. Il se
releva à toute vitesse, refit une courbette, et disparut.
On rit beaucoup, énormément, mais ce ne fut pas méchant. Bien entendu…
— Ç’aura été une sortie pour le moins fracassante, commenta Red.
Il se racla la gorge tout en réfléchissant sur le choix de passage du prochain candidat. Il
s’agissait de la jouer stratège sur ce coup-là. Il savait que Lou-Ahn avait aussi une mauvaise
gestion du stress. L’appeler maintenant serait contreproductif. Il allait jouer sur son ego en
lui faisant clôturer les auditions. Elle ne supporterait pas de faire moins bien que Memphis.
Leurs répétions avaient été édifiantes.
Plus il y pensait, plus il se disait qu’il se servirait bien de l’un pour tirer l’autre vers le
haut. Ils se stimuleraient mutuellement, dans l’adversité, mais dans la même équipe. Il ferait
d’eux un duo. Un duo explosif. Ça promettait des étincelles. À condition que le public valide
leur prestation.
— J’appelle le candidat Memphis Langley à la barre.
— Sur scène, tu veux dire, rectifia Jeff.
— Je ne vois pas de différence. Dans tous les cas, il passe devant un jury.
— Si tu le dis.
— C’est moi ou il me cherche depuis tout à l’heure ?
— Pas de ma faute si y’a pas la lumière à tous tes étages.
Red le toisa. Il ne tomberait pas dans le panneau. Jeff avait eu Korgan en l’obligeant à
casser une guitare. Le pauvre ne s’était pas encore décidé sur la victime de son prochain
meurtre. Une chose était certaine : ce ne serait pas Lancell, sa Stratocaster Fender blanche, sa
préférée, ni sa Dark Gibson EDS à double manche au design exotique. Il y tenait beaucoup
trop.
Jeff cherchait sa petite bête, mais Red savait qu’il ne la trouverait pas. Pas après le coup
fourré que lui avait fait Dean avec sa fausse non-demande en mariage ! Il avait épuisé son
forfait « pigeon ».
20
— Comment on sait que c’est Memphis Langley qui montera sur scène, et non un
imposteur ? demanda Jeff, pour lui faire les pieds. C’est vrai, quoi. Il fait peut-être partie des
hommes de peu de foi qui ont quitté Rock Buster pour une autre scène.
— T’inquiète. J’ai un moyen de m’en assurer.
Lorsque Memphis débarqua, sans T-shirt, en nage, et sans doute désinhibé par on ne
savait quelle substance – on opta pour du Fresh Tonic© pour préserver son innocence –, il
fut mis à l’épreuve. Red lui demanda d’identifier la personne avec qui il s’était photographié
dans l’avion, sur son vol Saunes-Nior.
— Hé, mais c’est Rina, ma frangine ! s’étonna-t-il en se penchant de plus belle sur le
smartphone du chanteur.
Pour faire participer le public, ce dernier avait refilé une copie du fichier au staff, qui le
projeta sur écrans géants.
— Comment elle a trop une tête de con ! se moqua le frère.
— C’est de famille, si ça peut te rassurer, avança Jeff.
Décidément, il était en forme question vanne. Effectivement, les Langley avaient des
têtes à claques. Red relata succinctement les circonstances l’ayant amené à croiser la route de
Rina. Pour la défense de la jeune femme, il l’avait incluse dans son selfie par surprise, d’où la
tête d’ahurie.
— Elle m’a dit que t’es plutôt doué, mais qu’il te manque le « truc ». Cette chose qui fera
qu’elle croira à fond à ta musique. (Memphis se rembrunit.) Et si tu prouvais à ta sœur ce
soir, qu’elle se trompe ? Si tu lui disais, en une chanson, qu’elle peut d’ores et déjà croire en
toi, en ta musicalité, parce que t’as les capacités de décrocher un contrat avec le label des
Beat’ONE ? Donne aux Holy Suckers la preuve qu’eux peuvent croire en Memphis.
Le regard du jeune homme capta la lumière et brilla d’un éclat étrange. Red se retint de
sourire. Il avait eu les bons mots. Le garçon tremblait d’excitation, d’anticipation. Il prenait le
défi à titre personnel, et c’était juste la bonne attitude.
La manière dont il se saisit du pied de micro en dit long. Il venait d’investir la scène,
sans avoir la moindre idée d’où il mettait les pieds. Mais il était là, bien là, et comptait le faire
savoir à tout le public, à tout Nior, à tout le pays. Au monde entier, s’il le fallait !
— Je dis toujours que c’est pas d’abord aux autres de croire en ce que t’as, déclara-t-il. Il
faut que tu croies encore plus ce que tu crois. Et quand tu commences à vraiment croire ce
que tu crois, y’a personne au monde qui peut te bouger de cette position !
Silence dans le public. Le mec avait frappé fort, au point de faire perdre leur latin à
plusieurs milliers de Holy Suckers en une seule réplique.
— Eh bien, j’espère que tu y crois avec plus de droiture que ne l’est ta sémantique,
renchérit Jeff. Je n’ai jamais vu quelqu’un parler de manière aussi bancale. Après Red.
L’hilarité gagna l’audience, sous les protestations de Red :
— Hey, je m’exprime très bien !
— Tu parles le Red Kellin, dans ce cas, concéda Jeff. Un dialecte dont les arcanes
m’échappent. Excuse-moi si je n’en maîtrise pas les bases. Pour la paix dans le monde, on
conclura que celui-ci parle le Memphis, fit-il en désignant le concerné du menton. Et
procurez-vous un décodeur, d’ici à ce qu’il réussisse son audition. Il se peut qu’un coaching
façon Coop-Com Record© l’attende à Saunes. Mais pour que ce soit possible, montre-nous
donc ce que t’as dans les tripes !
Memphis sourit. Avec une aisance qui relevait presque du naturel, il demanda à Jay
d’envoyer la sauce. Il avait le trac, ça se voyait. Mais il n’y avait pas d’autre endroit au monde
où il aimerait être.
21
Il se pouvait que faire vivre un rêve soit vocation pour les Beat’ONE. Ils venaient de
donner à un jeune homme la possibilité de toucher le sien du bout des doigts. À ce dernier de
s’en saisir, de s’en emparer, d’aller l’arracher. Et vu la façon dont il tenait son micro, il ne
faisait aucun doute qu’il élirait domicile sur scène.
La scène deviendrait le terrain de jeu de Memphis Langley.
Le gamin leur offrit cette nuit-là une version très habitée de PROMETHEUS. Le petit
avait chaussé des bottes de géants, et il s’avérait qu’elles lui allaient comme un gant. Il avait
déchainé le public. C’était certain qu’il allait leur attirer du monde. Peut-être pas ce jour-là,
mais à l’avenir.
There you go again
Enduring the pain
Crying would be vain
It won’t wash away your sins
.
You think
No one can deliver
The one with the liver
Feeding the hungry eagle
You sink
But you’re not a believer
Who pray and quiver
To a god to end this struggle
.
[Eaten
Your hope has been eaten
Broken
All your dreams are broken
Fallen
They said you have fallen
Yet, better keep on failing
You know, than never trying]
.
Then you’ll go again
Enduring that pain
Crying will be vain
So break the chains
.
With the devil to pay
You learn life is a battle
Where agony knows no ending
In this incessant replay
You’re stuck in the middle
With the desire to put an ending
But fighting is your atonement
For dreaming as high as mountains
.
[Eaten
Your hope has been eaten
22
Broken
All your dreams are broken
Fallen
They said you have fallen
Yet, better keep on failing
You know, than never trying]
.
Your back trapped against the ropes
You may come to think there’s no hope
Despite your past defeats
Don’t you lose prospect
Still bet on your win
Like Prometheus
On that mountain
Keep up the Fight
Till you wreck the chains
.
[Eaten
Your hope has been eaten
Broken
All your dreams are broken
Fallen
They said you have fallen
Yet, better keep on failing
You know, than never trying]
Les Beat’ONE avaient mis la main sur une perle. Il s’avérait que Memphis était le type
d’artiste qui se révélait et donnait tout ce qu’il avait une fois sur scène. Sa performance
n’avait absolument rien eu à voir avec celle un peu lisse de ses répétitions. Il avait une voix
naturellement fêlée. Une cassure qui ne s’entendait pas lorsqu’il parlait, mais qui ressortait
sur la majorité de ses notes ténues.
Gia avait une voie impressionnante, Sven, une voix touchante, Memphis se payait une
voix « imprégnante ». Celle qui ne s’oubliait pas. Qu’allait leur réserver Lou-Ahn ? Ils eurent
leur réponse dans la foulée.
Lorsqu’elle monta sur scène, toute timide, elle fut surprise par l’engouement du public
derrière elle. Les fans étaient de plus en plus emballés par ces auditions étranges, donnant
l’impression de participer en direct live à un télé-crochet musical. Il ne faisait aucun doute
qu’ils seraient impitoyables si le candidat se loupait. Après tout, ce dernier rognait un peu du
show des stars. Alors la prestation se devait d’être au niveau.
Lou-Ahn avait ce petit grain de soul ; cette voix torturée qui exprimait naturellement la
mélancolie de l’âme. Elle n’avait pas besoin de donner dans le pathos pour toucher son
public. Et son étrange timidité nimbait son personnage scénique d’un certain mystère.
Elle se tenait sur la plateforme steampunk les jambes flageolantes, mais animée du
désir de bien faire. Non de ne pas décevoir. Elle ne chantait pas non plus pour que l’on soit
fier d’elle, ni pour que ce soit un moment de partage. Elle chantait parce qu’elle voulait être
entendue. Écoutée.
Assez de se cacher derrière ses amis, de se retrancher dans l’intimité de ses proches, de
sa chambre. Il était temps d’éclore. De fleurir. Elle avait les jambes en coton, mais bien
ancrées sur la scène pour défendre avec légitimité son titre : SHE IS SO FIERCE.
23
First you have to guess
What is in her mind
Because she won’t confess
Yet in her heart grows pain
Sometimes she’s just so fierce
Sometimes… she is so fierce
.
To prove you how much she carries that guilt
She is about to destroy everything you built
She is another lost soul burned by her ego
So fierce, she is so proud and won’t let go
Until you admit she’ll be the last man standing
Even if that hell doesn’t know a fuckin’ ending
.
She’ll seek her salvation alone
You begging or not to be the one
Releasing her from the evil entity
That had taken hold of her sanity
She’s not the type to be yielding, no
She ain’t the type to bow, you know
[…]
Après cet entracte en chanson, les fans furent heureux de reprendre en cœur avec Red,
PURGATORY, version revisitée entre hardcore et Metal sombre. Les classiques tels que
NATIVITY de Brent et OTHER SELF, une reprise de Dius Core, y passèrent, ainsi que des
titres rarement chantés en lives comme CURSED, et PAIN, WHAT PAIN ?, avec lesquels Red
fit une démonstration de son chant diphonique et de ses borborygmes chamaniques si
uniques.
Les cadreurs se firent une joie de capter l’énergie de la fosse au plus près, tandis que les
Holy Suckers se mettaient allègrement en scène pour la caméra. Mosh et wall of death
étaient de sortie.
Tandis que d’autres scène connaissaient un coup de mou, ou en était au rappel, le show
des Beat’ONE retrouvait un second souffle après cette pause d’auditions atypiques. Red en
avait encore sous le pied, ayant un peu récupéré lors des prestations de leurs poulains. Le
spectacle semblait même être passé à un autre niveau de puissance, tant le rythme imposé
par Jay et sa batterie ne s’essoufflait pas, maintenant une pression presque cruelle sur le
public.
Cette fois, la setlist n’était plus qu’une succession de morceaux saccadés et rapides –
NAUGHTY BITCH, BUBBLE-GUM, HEADY DESIRE, THIRD SEX/SEX TAPE –, déchainant
les slammers et autre body surfing. La folie gagna l’auditoire lorsqu’à l’issue d’un duo drumsguitare, Korgan brisa pour la première fois sur scène son instrument, le cœur aussi
euphorique que peiné.
Le bassiste, heureux comme jamais d’avoir poussé le guitariste dans ses
retranchements, courait de plateforme en plateforme, gratifiant le peuple de ses headbangs
rotatifs dont il avait fait sa spécialité. Avec son kilt et ses tresses tribales, Jeff renvoyait
l’image d’un sexy viking adepte de Metal.
La frénésie fut subitement coupée par la voix électronique du MC, annonçant aux
Beat’ONE leur quatrième défi.
*
24
Mainstage : Rock Pride
Lawson avait quitté Rock Buster une heure plus tôt. Il devait faire son job, et Dragan
comptait sur lui pour donner aux auditeurs un large aperçu du festival. Aussi renflouait-il les
statistiques de Rock Pride, scène du groupe Mad Babiz, après un tour éclair sur trois
mainstages dont deux n’avaient pas eu grâce à ses yeux.
La foule était compacte. On reconnaissait les Mad Monsterz à leur signe distinctif : un
fou du roi tirant la langue sur fond noir, dans un triangle de Penrose pourpre à l’envers. Le
logo était imprimé sur tout ou partie de leurs vêtements ou accessoires. Un T-shirt, une
casquette, les poches arrière d’un jeans, le dos d’une veste en cuir, le devant d’un débardeur,
ou encore incrusté dans des montures de lunettes, des bracelets de force, des semelles de
chaussures, ou carrément dans la peau.
Lawson s’en était procuré en pendentif. On était fan de Mad Babiz, ou on ne l’était pas !
Nul besoin de présenter ce groupe. En place depuis la fin des années 90, cette
formation originaire de Soslë, au style si particulier, avait acquis une renommée mondiale.
Owlz et sa bande faisaient le job, en remuant de fond en comble Rock Pride, leur plateforme
de prédilection. Elle leur avait toujours été réservée à chacune de leur participation, partant
du fait unanime qu’ils étaient la fierté du rock national.
La tente était archi blindée ; les écrans projetaient de la haute définition ; et les murs
d’amplificateurs Marshall, de part et d’autre de l’estrade, crachaient un son à briser des
nuques et à mettre le feu au sang. Dans la fosse sévissait une véritable guerre. Les circles pits
s’enchainaient. Il en naissait à tout instant ; quatre, voire cinq, en même temps. Survoltés, les
fans se jetaient à cœur perdu dans la mêlée, tandis que les musiciens offraient un show plus
que bonnard.
Le public savoura religieusement la tripotée de titres constituant la setlist, la majorité
figurant au Top 10 du Hit-Parade. Petit bémol tout de même, pas de titre de SILENT
SCREAM, leur dernier album. Mais c’était bien bon. Mieux, c’était putain de bon !
Naturellement, ils avaient remporté tous leurs duels. Et pourtant, on ne leur avait pas
fait de cadeau. Ils n’avaient cessé d’être sollicités, leur show entrecoupé de nombreux défis.
Or c’était se rendre à l’abattoir que de lancer le gant à Mad Babiz. De toute évidence,
Иeologism, Hölle, Vishous Seed, Musta’kin, Greyzier, Underdogs, et War’n Bones, ne
l’avaient pas compris.
C’était à cela que l’on reconnaissait un « parrain » du rock. Ils n’engageaient pas les
hostilités au Rock’n’Rumble. C’était aux adversaires de venir mourir à leurs pieds. Et lorsque
d’eux-mêmes, ils déclaraient une battle, c’était la preuve que le challenger méritait les
honneurs.
Alors pouvait-on déduire que les Beat’ONE étaient dignes de les affronter ?
*
Rock Buster vs Rock Pride
La seule et unique fois où les Mad Babiz déclarèrent la guerre, il fallut que ça tombe sur
eux. Red n’y vit aucune poisse mais plutôt une espèce de gratification. Ceci dit, son groupe ne
s’inclinerait pas par respect pour ce mastodonte dont on disait qu’il avait repris le flambeau
de John Cerni et ses acolytes.
Toute la Génération D.C. savait pertinemment que Mad Babiz n’était point Dius Core.
Ils en étaient les légataires officieux mais pas officiels. Peut-être qu’à l’issue de ce
Rock’n’Rumble, seraient-ils enfin sacrés héritiers de ce trône laissé vacant trop tôt, et trop
longtemps. Tout ce qu’il leur manquait était de remporter ce marathon de popularité. Et ils
pouvaient compter sur les Beat’ONE pour ne pas leur faciliter la tâche.
25
Quoi qu’il en soit, John Cerni pouvait reposer en paix. Le talent de performeur de
certains challengers était à son paroxysme, galvanisé par le public. Il ne faisait aucun doute
que cette nuit-là, un groupe se tiendrait au sommet de la gloire.
— Parait que vous avez le vent en poupe. On s’est dit qu’on allait vous le couper, déclara
Owlz d’un air égrillard.
— Tu cherches les emmerdes, toi, s’esclaffa Red.
Son public hua mais la ferveur n’y fut pas. Les Beat’ONE expérimentèrent ce qu’avaient
vécu d’autres groupes avant eux : les audacieux imbéciles qui avaient osé défier les fameux
« bébés fous ». Il fallait du cran pour houspiller Mad Babiz. Votre propre conscience vous
vilipendait lorsque vous vous montriez grossier envers ces superstars.
D’après un sondage réalisé l’an dernier, Patrick Silhver dit Owlz, et Raffaelo Giacomo
dit Raphael, respectivement chanteur et lead-guitariste de Mad Babiz, avaient été déclarées
« personnalités les plus aimées du peuple », quasiment toutes générations confondues.
Difficile de lutter contre ça, même lorsqu’on se payait le titre de Mr Scandalicious, mot valise
pour scandalous et delicious (by Red Kellin ; who esle ?).
— On tire à la courte paille pour savoir qui commence ? demanda Red.
— On est galants, on vous laisse la main, rétorqua Raphael.
Jeff renifla.
— Vous êtes tellement sûr de gagner !
— Loin de moi toute envie de me vanter, mais je ne mentirais pas en disant que ça l’est
d’avance, renvoya Nathaniel, le batteur. Un pronostic logique et pragmatique de la part
d’invaincus sur huit battles, ajouta-t-il lorsque les Holy Suckers grognèrent.
— Huit ?! s’étrangla Red.
C’était le double de leur palmarès. Il n’y avait clairement pas photo !
— Ils ont été invaincus parce qu’ils ne nous affrontaient pas, insinua Korgan, plébiscité
par ses fans.
— Depuis quand tu te la ramènes autant ? s’étonna Ulyss.
Comme la plupart, le bassiste et pianiste de Mad Babiz savaient que Korgan était d’un
tempérament calme, pour ne pas dire « peace and love » dans ce groupe de survoltés.
— J’ai cassé une guitare, il me faut un sacrifice humain en compensation. Je crains que
vous ne finissiez sur l’autel de ma frustration.
Les fans explosèrent de rire.
— C’est quoi ce délire ?!
— Korgan a perdu un pari et a dû détruire une de ses magnifiques guitares, avança Jeff,
torpillé du regard par le concerné. L’une de celles qu’il bichonne encore plus que sa femme.
Korgan grommela.
— Il ne dément même pas ! s’horrifia Owlz, sous les rires de l’audience.
— Il n’a plus rien à perdre, madame l’attend déjà au tournant, révéla Red. Vous avez
affaire à un homme désespéré. Le genre de mec qu’il est fortement déconseillé de pousser à
bout.
— Vous êtes fous, soupira Hycliff en remuant la tête.
— Dit le guitariste de « Mad » Babiz, opposa Jay.
L’ambiance était à l’humour des deux côtés. Il n’y avait aucune hostilité entre les
artistes, si bien que les deux auditoires ne ressentaient pas le besoin de se traiter de noms
d’oiseaux.
— Hey, Holy Suckers, ça vous dit qu’on les fasse mentir ? demanda Red. Faisons les
choses en grand. Je choisis SPARKLING TEARS !
— Hé, non, je proteste ! brailla Owlz. C’est le titre que je voulais chanter !
26
— Du grand cru de Dius Core pour être sûr de nous ratatiner, hein ? renifla Red. Fallait
pas nous laisser la main.
— Ouais, mais tu tenais tellement à la chanter au prochain live In Memoriam Cerni,
plaida Owlz, dégouté. Du coup je me disais que j’allais te la laisser pour cette occasion, parce
que je me la réservais pour celle-ci.
Red dansa sur un pied, puis sur l’autre. C’était touchant de la part d’Owlz. Mais bien
que l’autre le prenne par les sentiments, il ne pouvait céder aussi facilement.
— Allez Owlz, sois sympa, accorde son caprice au petit-frère, dit Raphael d’un air
goguenard.
Une façon de se rétracter avec classe, tout en humiliant gentiment les « petits-frères ».
Ç’aurait été bien négocié si Owlz ne se montrait pas bougon. Visiblement il y tenait.
— Le petit-frère te propose un truc de ouf, concéda Red. Si t’es assez fou pour suivre,
ajouta-t-il néanmoins, sarcastique.
— Si tu nous prends par les sentiments…, sourit Raphael.
— Que l’on soit de dialectes différents, que l’on vienne d’horizons opposés, que l’on soit
rivaux ou deux complets étrangers, avec la musique on parle la même langue. C’est un fait
universel, cet art est connu pour fédérer des cœurs, rassembler des mœurs, et unifier ce qui
est dissemblable. Pourquoi finir ce Rock’n’Rumble si symbolique en battle ? Pourquoi faire
un duel quand on peut faire un duo ? Ce serait un honneur pour les Beat’ONE de chanter
SPARKLING TEARS de Dius Core avec Mad Babiz.
Avant d’entendre la réponse des concernés, les deux publics approuvèrent sa
proposition. Les applaudissements disaient clairement que les spectateurs désiraient voir ce
show-là ; les duos Owlz-Red au chant, Nathaniel-Jet à la batterie, Ulyss-Jeff à la basse, et le
trio Raphael-Hycliff-Korgan à la guitare. Une performance unique au monde, à un quart
d’heure de la clôture du marathon.
— Putain ! exhala Ulyss. Je parie que c’est comme ça que vous avez piqué les fans de vos
adversaires. Avec des discours et des idées aussi classe !
Les Beat’ONE le remercièrent du compliment.
— On demande à la régie d’Emy Event© de ne pas couper le son de l’une des scènes,
énonça Owlz. Est-ce possible ?
Il fallut compter trois minutes pleines avant que ne leur soit donné le feu vert. Ils
prenaient le staff d’Emy Event© de court, les Beat’ONE ne dérogeant pas à leur statut
d’anarchistes. Ils étaient ce caillou dans un système huilé ; ce grain de sable que l’on
s’attendait à voir faire dérailler l’engrenage, mais qui au final donnait un résultat bien
meilleur que le mécanisme d’origine.
Red l’ignorait encore, mais l’idée des duos en lieu et place de duels serait recyclée et
officialisée comme un des nouveaux programmes de la Rock-Feast. Pour l’heure, il dédiait la
chanson à ceux qui, dans l’adversité, ne voyaient pas encore le bout du tunnel.
Jamais public ne fut plus comblé que celui de Rock Buster et Rock Pride. Deux
formations au top de leur niveau, pour le prix d’un.
La chaleur de la ligne de basse emportait la mélodie, telle une vague sur laquelle
surfaient les voix des chanteurs. Alors qu’on attendait d’eux des solos interminables, les trois
guitaristes s’étaient lancés dans un putain de bœuf, à vous faire le cœur gros comme une
maison.
SPARKLING TEARS ne racontait pas une histoire gaie, mais laissait à l’interprète la
liberté d’en faire un message d’espoir. Le grondement sourd des deux sets de batterie
n’étouffait en rien la puissance vocale d’Owlz. Mais le plus mémorable fut la charge
émotionnelle contenue dans la voix de Red.
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La presse spécialisée le dirait « magistral » sur ce titre. Certaines mauvaises critiques
iraient jusqu’à le qualifier de « ce chanteur qui chantait si bien les chansons des autres ».
D’autres, plus magnanimes, le gratifieraient carrément du titre de « successeur de John
Cerni. »
Mais Red Kellin ne chantait pas SPARKLING TEARS comme John, ni en « imitant »
John. Il la chantait comme Red, tout simplement. À mettre le cœur en vrac tandis que les
yeux, trop secs, cherchaient désespérément cet horizon que lui seul semblait voir, le visage
hanté par l’horreur et l’affliction.
Nombreux ne manqueraient pas de comparer cette version de Red et Owlz à celle de
Cerni, mais sur le moment, tous ne purent qu’apprécier le son. Vivre la musique. Et à
supposer qu’il faille une hymne à la Rock-Feast, l’un des refrains illustrerait parfaitement
l’essence du festival : la magie salvatrice de la musique.
Play the crazy tune
The same old song
You repeat day long
When tears gone dry
When your mind wanna fly
To free itself from
Your body prison
Sometimes you need
To go back to music
To find the magic
To see the light
To feel alive
[…]
Ce duo achevait presque en beauté l’heure de jeu. Il mit un coup de massue aux fans, à
tel point que personne n’osa bouger. Nul ne quitta sa scène pour l’autre, et le verdict, certes
sans réelle surprise, fut des plus singuliers : une parfaite égalité.
*o*o*
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