SAS et licenciements : les juges du fond en délicatesse avec le droit

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SAS et licenciements : les juges du fond en délicatesse avec le droit
15 FEV 10
Hebdomadaire Paris
Surface approx. (cm²) : 630
N° de page : 27-28
91 BIS RUE DU CHERCHE MIDI
75006 PARIS - 01 53 63 55 55
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Juridique Entreprise et expertise
SAS et licenciements :
les juges du fond en délicatesse
avec le droit des sociétés
Différents arrêts de cours d'appel (en
particulier, Paris et Versailles) ayant trait aux
délégations de pouvoirs dans les SAS sont
intervenus devant des formations de droit
social et certaines des solutions retenues
semblent heurter, quelque
peu, la pratique
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Par Philippe Engel,
tant du droit social que du droit des sociétés, avocat associe
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es décisions concernant, pour la plupart, des
notifications de licenciements ont d'ores et
déjà un impact fort dans la mesure où l'argument développé, à savoir le défaut de qualité
de la personne signataire de la lettre de licenciement, est
quasi systématiquement soulevé par les conseils des salariés
et que la sanction majoritairement retenue est la nullité du
licenciement.
1. Les principes
1.1. En droit du travail
D résulte des articles L 1232-2 et T, 1232-6 du Code du
travail que la convocation à un entretien préalable à un licenciement et la notification du licenciement doivent émaner de «l'employeur». Ne peut donc procéder au licenciement d'un salarié que celui qui a la qualité d'employeur ou
de représentant de l'employeur.
A noter que l'absence de qualité à agir du signataire d'une
lettre de licenciement constitue une irrégularité de fond
qui rend nul le licenciement (Cass. soc. 13 septembre 2005
n° 02-47 619).
1.2. En droit des sociétés
II résulte de l'article L 227-6 du Code de commerce que,
vis-à-vis des tiers, le président de la SAS est la seule personne habilitée à représenter la société de manière générale
sans être obligée de justifier pour ce faire d'autre chose que
sa désignation en cette qualite.
A l'origine, la SAS était la seule société commerciale ne
pouvant désigner qu'un représentant légal. La Cour de
cassation en avait déduit fCass com 2 juillet 2002 OCF
Répartition c/Blanc Bull Joly 2002 p 967) que les statuts
ne pouvaient confier à une personne qualifiée de directeur
général un pouvoir géneral de représentation de la sociéte
et qu'il ne pouvait agir valablement a l'égard des tiers qu'en
vertu d'une délégation icijUe du président. On peut noter
FIDAL
3447692200504/GST/AYM/2
et Olivia Rault-Dubois,
avocat, Fidal
à cc propos que, dès l'origine, la Cour dc cassation a parfaitement admis la possibilité de délégations de pouvoir indépendamment de toute mention statutaire que justement
elle excluait à l'époque
La loi du 1er août 2003 a doté, de manière optionnelle, cette
société de nouveaux représentants légaux en la personne
des directeurs generaux et des directeurs genéraux délegués Maîs la désignation d'un directeur général ou d'un
directeur général délégué ne lui coulet e pas ipso facto les
mêmes pouvoirs, notamment dc représentation de la sociéte, que le président.
Ceux-ci résultent de la mention qui en est faite dans les
statuts, en application de l'article L. 227-6 alinéa 3 du Code
de commerce Seule d'ailleurs une mention statutaire peut
avoir cet effet, et non une simple décision d'assemblée génerale L'opposabilite de la désignation des directeurs généraux et des directeurs généraux délégués — et donc de leurs
pouvoirs — aux tiers suppose naturellement, outre le dépôt
des statuts au greffe, leur inscription es qualités au registre
du commerce.
Maîs l'obligation de mentionner dans les statuts les pouvoirs d'une personne autre que le president ne concerne
que le directeur général ou le directeur général délégué.
2. La jurisprudence des cours d'appel (formation sociale)
Plusieurs arrêts des cours d'appel de Versailles et Fans ont annulé, sur le fondement de l'article L 227-6 du Code de commerce, des licenciements pour défaut de pouvoir du signataire
de la lettre de licenciement
Ces décisions s'inscrivent dans un mouvement qui semble
contraire à k jurisprudence traditionnelle de k chambre
sociale de la Cour de cassation, laquelle admet une certaine
souplesse dans la conduite des procédures de licenciement
(notamment, absence de délégation écrite, validité du licenciement d'un salarié d'une filiale prononcé par le DRH groupe )
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Elles sont, en outre porteuses d'une certaine confusion
dans l'application des dispositions du Code de commerce
2.1 Le salarié est un tiers par rapport a la société
Pour justifier l'application des dispositions de l'article
L 227-6 du Code de commerce, les cours d'appel considèrent que les salaries sont des tiers par rapport au contrat de
societe et au fonctionnement intrinsèque de celle-ci en dépit de leur étroite participation a l'activité economique de
la société (not CA Pans 3 decembre 2009, n° 09/05422),
argumentation non retenue par la 22e chambre Ç de
la cour d'appel de Pans dans un arrèt du 10 avril 2008
(n° 06710899)
2.2 Les personnes habilitées à représenter et a diriger la
SAS
2 2 1 Les mandataires sociaux
Le president de la SAS
Les cours d appel, conformément aux dispositions de l'article L 227-6 du Code de commerce, rappellent que le president de la SAS a, indépendamment du contenu des statuts, qualité pour représenter la societe dans la mesure ou il
est régulièrement nomme ct inscnt au KBis (Ç \ Versailles,
IQjanvier 2010, RG n° 09/00597 , CA Versailles, 24juin
2008, RG n° 07/02686) En conséquence, le president de
la SAS a qualite pour signer une lettre de licenciement
Les directeurs généraux ou directeurs généraux
délégues
De même, les cours d'appel réaffirment que les directeurs
generaux ou directeurs generaux delegues ne peuvent disposer des pouvoirs de direction et de représentation qu'a
la double condition que leurs pouvoirs identiques a ceux
du president soient prévus par les statuts et qu'ils soient
mscnts au RCS avec mention sur l'extrait K bis (CA Ver
sailles, 24 septembre 2009, RG n° 08/02615) Des lors que
ces deux conditions sont reunies, les directeurs generaux
ou directeurs generaux delegues ont qualite pour signer
une lettre de licenciement et ce, conformément aux textes
applicables A noter, toutefois, que certains arrêts semblent
laisser entendre que les directeurs generaux ou directeurs
generaux delegues seraient investis d'une «delegation» dc
pou\oirs par le president de la SAS
Ainsi, la cour d'appel de Versailles dans un arrêt du 24 septembre 2009 dispose que «les pouvoirs du president de
la SAS intimée ne pouvaient être confies a des directeurs
generaux ou directeurs generaux delegues qu a la double
condition que cette delegation soit prévue par les statuts
et déclarée au RCS avec mention sur l'extrait KBis» (CA
Versailles 24 septembre 2009 , dans le même sens CA
Versailles, 3 decembre 2009 , CA Versailles 10 decembre
2009, précités)
Or, les directeurs generaux ou directeurs generaux delegues sont des mandataires sociaux et détiennent leurs pouvoirs, non d'une delegation de pouvoirs du president de la
SAS maîs des statuts et de leur declaration es qualites au
RCS Leurs pouvoirs sont inhérents a leur mandat social
FIDAL
3447692200504/GST/AYM/2
Des lors, les cours d'appel semblent confondre les notions
de directeur general salarie et de directeur general mandataire
En resume, ont la qualite pour procéder au licenciement
d'un salane (et ce, conformément aux dispositions du Code
du commerce) le president de la SAS, ou le directeur
general ou un directeur general delegue des lors que ces
derniers sont investis, dans les statuts, des pouvoirs du president et qu'ils figurent en cette qualite au RCS
2 2 2 Les delegataires
Les arrêts précités des cours d'appel ne remettent pas en
cause la faculté pour les mandataires sociaux d'accorder
des délégations de pouvoirs au profil de salanes de l'entreprise (CA Versailles 24 juin 2008, RG n° 07/02686) Cependant, les conditions d'une telle delegation ne sont pas
clairement définies par les cours d'appel
S'agissant du pouvoir de licencier, il semble, a la lecture des
arrêts, que ce pouvoir ne pourrait être valablement exerce
par un delegataire qu aux conditions suivantes
le delegant a lui-même le pouvoir de licencier (CA Pans,
3 decembre 2009 RG n° 09/05422),
il a reçu lui-même la faculté de déléguer ce pouvoir (CA
Versailles, 2 septembre 2008, RG n° 07/01839),
et que ces formalités ont ete accomplies au jour du licenciement
En outre et c'est la, la nouveaute, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 10 decembre 2009, semble exiger que
cette delegation soit portée au registre du commerce et des
societes (CA Pans 10 decembre 2009, RG n° 09/04775)
Elle paraît, en effet, se fonder conjointement sur les dispositions des statuts de la societe qui prévoyaient que le president peut consentir une delegation a tout tiers et celles de
I article R 123-54 2°, a) du Code de commerce A l'évidence, en exigeant que la delegation soit portée a l'extrait
K Bis, la cour d'appel de Pans ajoute au texte On peut
noter, a cet égard un arrêt récent de la chambre civile de
la Cour de cassation (Cass 2e civ 9 juillet 2009 Bull Joly
12/2009 p 1091) a titre d'illustration de la validation d'une
delegation de pouvoirs dc représenter la societe, qui plus est
en justice, domaine dans lequel la cour a toujours procede a
des vérifications tres ngoureuses
Les juges du fond avaient rejeté le recours forme par la
SAS au motif que seul le president pouvait délivrer une
delegation speciale pour ester en justice instance par instance A quoi la cour repond que le president peut déléguer
ses pouvoirs de représenter la societe a toute personne de
son choix et aussi autonser la subdelegaùon On ne saurait
être plus clair ' I>s juges de la cour suprême n'exigent en
aucun cas - et on ne verrait pas d'ailleurs sur quel fondement - l'inscription de telles délégations dans les statuts el
l'intéresse n'a pas a être inscnt au registre du commerce au
titre d'une telle delegation II est dès lors souhaitable que
la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce
rapidement sur cette question afin de mettre fin a ce debat
judiciaire et secunscr les procedures de licenciements ainsi
que toutes les chaînes de délégations dans les SAS •
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