n°156 / été 2005 - Archives municipales de Nantes
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NantesQ25-Une01 7/06/05 12:31 S UPPLÉMENT À Page 1 N ANTES P A SSION , M AGAZINE DE L ’I NFORMATION MUNICIPALE N °156- ÉTÉ 2005 LES 11 QUARTIERS NANTAIS HISTOIRES DE QUARTIERS Quinze pages d’actualité Chantenay : la Fraternité Marsauderies : l’amicale laïque a 50 ans sur votre lieu de vie NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 26 HISTOIRES DE QUARTIERS Chantenay Na n te s a u q u o t i d i e n “Mon meilleur souvenir, c’e s 26 Depuis le début du XXe siècle installée dans le quartier populaire de Chantenay, rue de l’Amiral-duChaffault, la Fraternité se montre à la hauteur de son nom en luttant quotidiennement pour plus de justice sociale. Un combat discret mais efficace, dont ont bénéficié des centaines de Nantais comme Hélène, Andrée, René. [Été 2005] “ S i je suis ce que je suis, c’est grâce à la Frat. Je courais pour y venir !”, raconte Andrée, 83 ans, fidèle de l’association depuis... 70 ans ! “J’avais 13 ans, une copine m’a amenée, un hasard. À mon arrivée, la femme du pasteur m’a accueillie dans le hall en disant “sois la bienvenue dans cette maison”. Ça m’a marquée. J’y suis restée, ai participé à toutes les activités. J’y ai rencontré mon mari et nous y avons amené nos enfants. Dans les Fraternités, les gens sont appelés par leur prénom. On se sent accueilli, chez soi. La Frat, c’est ma maison, je ne la quitterai jamais.” En 1935, Andrée vivait au Marchix, un quartier alors misérable : “Mes frères et moi vivions avec notre mère dans une pièce de quatre mètres sur quatre, sans eau, sans électricité.” Pauvres parmi les pauvres, premiers “clients” de la Fraternité : “Notre association s’est toujours intéressée prioritairement aux démunis. Depuis toujours, nous luttons pour plus de justice dans le monde. Ça fait grandiloquent de dire ça, mais c’est vrai”, affirme Hélène, présidente de l’association, membre d’une famille “Frat” depuis trois générations. “Nous avons créé toutes sortes d’animations, d’aides, qui n’existaient pas ailleurs. Quand les pouvoirs publics prennent le relais, on passe la main... et on fait autre chose.” Un second foyer. Pour de très nombreux Nantais, la Frat est ou a été, plus NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 27 Fête de la Fraternité en 1914. La Frat, plus qu’une institution, un second foyer. qu’une institution, un second foyer. C’est là que, pendant des années, des centaines d’enfants pauvres ont vécu leurs plus beaux Noëls, autour d’un arbre géant qui portait des cadeaux somptueux à l’époque : chocolat et oranges. Là qu’ils ont passé leurs jeudis et leurs dimanches à profiter des animations prodiguées, quand la télé et les consoles vidéo n’existaient même pas dans les rêves. Là que certains ont pu échapper au fléau de l’alcoolisme grâce au soutien de la Croix bleue. Là que quelques-uns ont rencontré le protestantisme, puisque la Frat émane de la Mission populaire évangélique, membre de la fédération protestante de France. “Un petit nombre de convertis ont créé la petite locomotive qui tire l’ensemble. Mais les pro- testants sont avant tout des laïcs, et nul n’a jamais été contraint d’adopter notre religion pour bénéficier de nos actions. À l’office du dimanche, nous sommes une douzaine, alors que des centaines de personnes fréquentent nos locaux. On pourrait dire pour résumer... qu’on ne refuse pas les protestants !”, rigole Hélène. C’est ici aussi qu’on a pu assister aux premières projections cinématographiques, dès 1910, “à même le rocher qui se trouve en face de nos locaux !” En des temps où l’aide sociale publique était rare ou inexistante, la Frat palliait les manques : “Tous les gens que je rencontre qui sont venus à la Frat à un moment de leur vie sont restés marqués. C’est un tremplin qui a permis à bon nombre de décoller et qui demeure pour beaucoup le meilleur souvenir de leur enfance”, assure Hélène. René confirme : “C’est ce qui m’a construit, j’étais d’un milieu très modeste, sur fond d’alcoolisme et de maltraitance. Des copains m’ont amené ici, c’est ce qui a changé ma vie. J’ai fait beaucoup de voyages à l’étranger avec des équipes ouvrières, des voyages d’études pour rencontrer d’autres ouvriers. Notre travail sur différents thèmes a donné lieu à des publications. Sans la Frat, j’aurais pu tourner délinquant.” Contre la misère, pour la culture pour tous. “Ascenseur social” avant qu’on invente le terme, la Frat a déterminé aussi la vie d’Hélène : “Les pasteurs sont des gens très érudits. Ils m’ont fait décou- } [Été 2005] Na n te s a u q u o t i d i e n e st d’avoir rencontré la Frat” 27 NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 28 HISTOIRES DE QUARTIERS René, Hélène, Andrée et Titia. } vrir l’art, la littérature... Ici, beaucoup ont acquis une culture universitaire qui leur était inaccessible. On a fait du théâtre, des soirées poésie. René par exemple est un puits de culture sans avoir fait d’études.” Résolument, la Frat brandit sa sensibilité “de gauche” : “Nous avons toujours été proches des mouvements ouvriers, des syndicats. Quand les municipalités refusaient l’accès de leurs salles aux partis de gauche et d’extrême gauche, nous prêtions nos locaux. Nous avons milité pour la paix, contre la guerre d’Algérie, avons fait partie de ceux qui diffusaient le manifeste des 121 appelant à l’insoumission... Nous avons soutenu la création du Planning familial et combattu pour la libération de la femme en général,” raconte Hélène qui se souvient aussi des premiers centres aérés, une idée “Frat”, dans les années 70. “On partait en 4L et on ramenait dix gosses de Bellevue par voiture !” Officiellement créée en 1905 avec la loi de séparation de l’église et de l’État, devenue association loi 1901 en 1926 “pour s’ouvrir à tous”, la Fraternité continue de combattre la misère sur tous les fronts. 28 [Été 2005] NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 29 Noël à la Frat en 1934. Colonie de vacances à la Bernerie en 1934. Aujourd’hui encore et, depuis cinq ans, sous l’égide de Titia et Rédouane Es-Sbanti, couple de pasteurs, ses deux foyers accueillent sans-abri et jeunes mères en difficulté ; son accueil de jour est un lieu de convivialité et d’écoute pour les personnes désorientées ; dix-neuf intervenants assurent l’alphabétisation de cinquante-trois demandeurs d’asile ; ses chorales sont ouvertes à tous - et notamment pour l’une d’entre elles aux enfants handicapés mentaux ; son atelier de socio-esthétique offre soins du visage et coiffure aux personnes en précarité... Et l’ancien “Foyer de l’âme”, le temple, est devenu magasin d’insertion : “Pour nous, il n’y a pas de lieu sacré. Maintenant, les offices ont lieu dans cette pièce, qui est une salle polyvalente. Voyez, la croix est posée sur l’armoire.” Besoin d’un coup de main ? La Frat tend la sienne. “On peut pas venir à la Frat et sortir indemne. Aujourd’hui, souvent, d’anciens membres venus dans leur jeunesse reviennent s’investir pendant leur retraite.” Andrée conclut : “mon meilleur souvenir, c’est d’avoir rencontré la Frat.” En 1871, un pasteur écossais, interpellé par un ouvrier de Belleville, s’installe à Paris, crée un dispensaire pour soigner les communards massacrés et loue des salles de bistrot pour évangéliser les ouvriers. D’autres pasteurs le rejoignent et s’installent en France, notamment à Saint-Nazaire et Nantes, en 1884, dans le quartier des Ponts où la Mission populaire évangélique construit une première salle de cent vingt places, puis plusieurs autres, avec l’aval du pasteur déjà en place. En 1903, rue de l’Héronnière, quatre-vingt dix personnes se réunissent le dimanche soir. En 1907, l’arrivée du pasteur Emmanuel Chastand donne un nouvel élan au mouvement : conférences, réunions de mères de famille, société de gymnastique, création de la Croix bleue. Les locaux de la rue Amiral-du-Chaffault sont inaugurés le 2 février 1908. En 1909, l’école de garde est créée pour prendre en charge les petits après les cours afin qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes dans la rue ; en 1910, la Frat crée une coopérative de travail, une troupe d’éclaireurs unionistes et une société de secours mutuel ; en 1912, un cercle ouvrier d’études sociales voit le jour ; en 1916, une école de vacances fonctionne ; après la guerre, c’est une école de mutilés qui s’occupe de réapprendre la vie aux blessés et les former à un métier compatible avec leur état ; parallèlement, les bénévoles fabriquent des prothèses pour les mutilés ; à partir de 1919, une colonie de vacances accueille les jeunes à la Bernerie ; en 1921, le pasteur Chastand fonde la “Société des enfants de la paix”, 1re société de France pour l’éducation pacifiste des jeunes ; en 1934, un cercle d’études sociale, un “foyer du jeune homme” sont créés, ainsi qu’une salle de cinéma, un atelier de théâtre ; pendant la guerre, la colonie de la Bernerie accueille des enfants parisiens évacués, la Frat’ héberge des réfugiés du Nord et de Belgique (1 500 de mai à juillet 1940). Après la guerre, la Frat fonde un foyer pour héberger les travailleurs maghrébins qui vivent dans des baraquements sur le quai de la Fosse. Du 6 au 16 octobre, la Frat’ célèbre son centenaire pendant dix jours de manifestations sociales, culturelles, religieuses et festives, autour d’une exposition qui évoquera son histoire. Contact : La Fraternité, 5, rue Amiral-du-Chaffault. Tél. 02 40 69 37 63. PASCALE WESTER [Été 2005] Na n te s a u q u o t i d i e n Les premiers temps 2929 NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 30 HISTOIRES DE QUARTIER marsauderies : 50 ans de lutte et d’éducation populaire Construction de l’école des Marsauderies en 1951. Na n te s a u q u o t i d i e n Créée en 1954, l’amicale laïque des Marsauderies (l’ALM) s’apprête à fêter son cinquantième anniversaire. Retour sur l’histoire d’une association qui n’a jamais failli à ses valeurs d’éducation populaire et de laïcité. 30 S ituée au carrefour des quartiers de l’Éraudière, Port-Boyer et Saint-Joseph, l’école primaire des Marsauderies abrite l’une des plus anciennes et des plus emblématiques amicales laïques de Nantes. Une histoire commune qui remonte à cinquante ans. “Pour tous ici, l’amicale, c’est l’école et l’école, c’est l’amicale, explique Jean Gautier, adhérent de l’ALM depuis 1957 et ancien président. C’est ce qui fait notre [Été 2005] particularité : nous ne sommes pas rattachés à un quartier, mais à une école, dont nous portons le nom.” Une spécificité qui trouve son explication dans la naissance de l’école. Une naissance dans la lutte “L’école des Marsauderies a été construite au début des années 50, raconte Jean Gautier. Elle devait apporter un véritable souffle en désengorgeant celles de SaintJoseph et des Poilus, complètement saturées. Pourtant, à l’heure de la première rentrée, en octobre 53, le résultat était très loin des espoirs suscités...” De fait, la presse locale de l’époque dresse un constat alarmant sur l’état du nouveau groupe scolaire : bâtiments encore en travaux, matériaux dangereux qui traînent dans la cour et, comble du comble, point de toilettes pour les petits écoliers... C’est dans ce contexte de mécontentement que les parents d’élèves commencent à s’organiser avec les instituteurs. “Les murs s’écroulaient, s’emporte Jean Gautier, il fallait bien faire quelque chose ! Très vite, l’idée de fonder une amicale laïque s’est imposée comme un moyen d’action efficace. À la seconde rentrée, le 13 octobre 54, l’amicale laïque des Marsauderies était en place, forte de ses sept membres”. Les débuts sont balbutiants. Il faut toute la force de persuasion d’une poignée de militants qui sacrifient leurs soirées aux séances de porte à porte pour recruter des adhérents. Et le résultat est là. Dans les années 60, l’ALM compte déjà plus de 200 membres. Aujourd’hui, ils sont 1 150 ! “Le combat fondateur, autour de la construction des bâtiments, a scellé l’esprit des Marsauderies, analyse Yves Pouzaint, actuel président. Depuis, l’amicale a toujours lutté pour obtenir des infrastructures décentes. C’est quasiment un combat identitaire ! Puisque nous ne dépendons pas d’un quartier clairement défini, ce sont nos locaux qui nous identifient aux yeux des gens”. “C’est vrai, reconnaît Yvette Danneyrolle, amicaliste de longue date et responsable de la commission Histoire de l’amicale. Il a fallu se battre pour que la salle Bonnaire, attenante à l’école, soit terminée, de la même façon que l’obtention d’un gymnase, en 1969, a été le résultat d’une lutte acharnée”. Un principe fondateur : l’éducation populaire Les quatre militants n’en perdent pas de vue pour autant l’un des principes fondateurs de toute amicale laïque : l’éducation populaire. Les Marsauderies proposent depuis toujours un grand nombre d’activités périscolaires, essentiellement autour du sport et de la culture. Mais à l’ALM, point de course aux performances, l’essentiel est ailleurs : “Dès les origines, l’objectif de notre action ne résidait pas dans le résultat sportif, explique Yvette NantesQ25-histoire 6/06/05 16:44 Page 31 Ginsburger. Les gens venaient chez nous La laïcité au cœur des pratiques permettre aux gens de se défouler en faipour le loisir. Ce qui nous animait, c’était La laïcité reste la valeur qui traverse toutes sant un peu de sport ou d’envoyer leurs l’éducation populaire. Nous nous adresles actions des Marsauderies, à l’image du enfants à la garde d’un entraîneur”, note sions à tous, mais surtout à ceux qui clivage typiquement régional entre Yves Pouzaint. L’ALM mène donc une vraie avaient de faibles revenus. C’est toujours l’école publique et l’école privée. “Le sloréflexion sur l’évolution de l’école en le cas aujourd’hui, même si ces idées sont gan “Touche pas à mon école publique” défendant les valeurs de la laïcité. “Nous peut-être moins ancrées dans une société reste très ancré dans nos fondamentaux, cherchons vraiment à être un lieu de rende plus en plus consumériste...” admet Jean Gautier. L’ALM a été de tous les contre et de débat citoyen”, ajoute le pré“Évidemment nous nous adaptons aux combats laïcs, du refus des lois Debré en sident. “Le problème, ajoute Yvette évolutions de notre temps, souligne Jean 1959 à la grande manifestation parisienne Ginsburger, c’est que depuis 30 ans, le Gautier, mais nous en 1994, en passant avons toujours en par la lutte célèbre tête notre mission entre écoles laïques et éducative. Je me confessionnelles en rappelle qu’en 62, 85”. Yvette Danneynous avons acheté rolle reconnaît avoir un appareil de proadhéré à l’ALM sur ces convictions laïques. jection 16 mm, parce “Il faut tout de même que tout le monde se souvenir que l’ALM n’avait pas forcéa dû négocier certains ment accès au cinévirages délicats, admet ma. On organisait des séances le jeudi Yves Pouzaint... PenDanneyrolle, Yvette Ginsburger, Yves Pouzaint L’amicale des Marsauderies a été de tous les combats pour les enfants et Yvette dant longtemps par et Jean Gautier (de gauche à droite). laïcs. Ici lors de la manifestation parisienne en 1994. le samedi soir pour exemple, les élèves les familles”. Ils des écoles privées du sont nombreux dans le quartier à n’avoir monde associatif s’est peu à peu profescoin n’avaient pas accès aux activités propas oublié ces projections. Certains se sionnalisé. Au début de l’aventure et jusposées par l’amicale... Aujourd’hui, la rappellent qu’au printemps 68, l’amicale qu’en 1980, l’amicale ne fonctionnait question est tranchée et c’est heureux ! a adhéré au réseau “Certifié exact” qui qu’avec des bénévoles. Aujourd’hui, l’ALM Notre ouverture à ces enfants m’apparaît diffusait des documentaires de journaemploie l’équivalent de cinq temps plein, comme une évolution extrêmement posilistes et cinéastes “remerciés” après les répartis sur une vingtaine d’intervenants. tive.” événements de mai. “Jusqu’au début des Forcément, ce n’est plus tout à fait le Et c’est bien ce visage que les quatre miliannées 70, on a eu un sacré succès avec ça. même esprit.” tants veulent donner aujourd’hui à leur Après, la télé nous a tués...” Reste un aspect et pas des moindres : qui association, celui d’un espace de lutte, L’une des grandes spécificités de l’amicale dit amicale laïque, dit forcément fête de fin mais aussi de questionnement et de débat. laïque, c’est son refus, depuis ses orid’année... Aux Marsauderies, pas question À l’image de leurs 50 ans d’histoire. gines, d’être un simple outil de consomqu’une autre structure touche aux événemation de sport et de culture pour les ments festifs de l’école. “Ça, c’est l’affaiMATHILDE GRANGIENS adhérents. “Nous ne sommes pas là pour re de l’amicale !” [Été 2005] Na n te s a u q u o t i d i e n Fête de l’école en 1960. 31