n°156 / été 2005 - Archives municipales de Nantes

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n°156 / été 2005 - Archives municipales de Nantes
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S UPPLÉMENT
À
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N ANTES P A SSION , M AGAZINE
DE L ’I NFORMATION MUNICIPALE N °156- ÉTÉ
2005
LES 11 QUARTIERS NANTAIS
HISTOIRES DE QUARTIERS
Quinze pages d’actualité
Chantenay : la Fraternité
Marsauderies : l’amicale
laïque a 50 ans
sur votre lieu de vie
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Chantenay
Na n te s a u q u o t i d i e n
“Mon meilleur souvenir, c’e s
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Depuis le début du XXe siècle
installée dans le quartier populaire
de Chantenay, rue de l’Amiral-duChaffault, la Fraternité se montre à
la hauteur de son nom en luttant
quotidiennement pour plus de
justice sociale. Un combat discret
mais efficace, dont ont bénéficié
des centaines de Nantais comme
Hélène, Andrée, René.
[Été 2005]
“
S
i je suis ce que je suis, c’est
grâce à la Frat. Je courais pour
y venir !”, raconte Andrée, 83
ans, fidèle de l’association
depuis... 70 ans ! “J’avais 13
ans, une copine m’a amenée, un hasard. À
mon arrivée, la femme du pasteur m’a
accueillie dans le hall en disant “sois la
bienvenue dans cette maison”. Ça m’a
marquée. J’y suis restée, ai participé à
toutes les activités. J’y ai rencontré mon
mari et nous y avons amené nos enfants.
Dans les Fraternités, les gens sont appelés
par leur prénom. On se sent accueilli, chez
soi. La Frat, c’est ma maison, je ne la quitterai jamais.” En 1935, Andrée vivait au
Marchix, un quartier alors misérable : “Mes
frères et moi vivions avec notre mère dans
une pièce de quatre mètres sur quatre,
sans eau, sans électricité.” Pauvres parmi
les pauvres, premiers “clients” de la Fraternité : “Notre association s’est toujours
intéressée prioritairement aux démunis.
Depuis toujours, nous luttons pour plus
de justice dans le monde. Ça fait grandiloquent de dire ça, mais c’est vrai”, affirme
Hélène, présidente de l’association,
membre d’une famille “Frat” depuis trois
générations. “Nous avons créé toutes
sortes d’animations, d’aides, qui n’existaient pas ailleurs. Quand les pouvoirs
publics prennent le relais, on passe la
main... et on fait autre chose.”
Un second foyer. Pour de très nombreux Nantais, la Frat est ou a été, plus
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Fête de la Fraternité en 1914.
La Frat, plus
qu’une institution,
un second foyer.
qu’une institution, un second foyer. C’est
là que, pendant des années, des centaines
d’enfants pauvres ont vécu leurs plus
beaux Noëls, autour d’un arbre géant qui
portait des cadeaux somptueux à l’époque :
chocolat et oranges. Là qu’ils ont passé
leurs jeudis et leurs dimanches à profiter
des animations prodiguées, quand la télé
et les consoles vidéo n’existaient même
pas dans les rêves. Là que certains ont pu
échapper au fléau de l’alcoolisme grâce
au soutien de la Croix bleue. Là que
quelques-uns ont rencontré le protestantisme, puisque la Frat émane de la Mission populaire évangélique, membre de la
fédération protestante de France. “Un petit
nombre de convertis ont créé la petite locomotive qui tire l’ensemble. Mais les pro-
testants sont avant tout des laïcs, et nul n’a
jamais été contraint d’adopter notre religion pour bénéficier de nos actions. À l’office du dimanche, nous sommes une douzaine, alors que des centaines de personnes fréquentent nos locaux. On pourrait
dire pour résumer... qu’on ne refuse pas les
protestants !”, rigole Hélène.
C’est ici aussi qu’on a pu assister aux premières projections cinématographiques,
dès 1910, “à même le rocher qui se trouve
en face de nos locaux !” En des temps où
l’aide sociale publique était rare ou inexistante, la Frat palliait les manques : “Tous
les gens que je rencontre qui sont venus à
la Frat à un moment de leur vie sont restés
marqués. C’est un tremplin qui a permis à
bon nombre de décoller et qui demeure
pour beaucoup le meilleur souvenir de leur
enfance”, assure Hélène. René confirme :
“C’est ce qui m’a construit, j’étais d’un
milieu très modeste, sur fond d’alcoolisme
et de maltraitance. Des copains m’ont
amené ici, c’est ce qui a changé ma vie.
J’ai fait beaucoup de voyages à l’étranger
avec des équipes ouvrières, des voyages
d’études pour rencontrer d’autres ouvriers.
Notre travail sur différents thèmes a donné
lieu à des publications. Sans la Frat, j’aurais pu tourner délinquant.”
Contre la misère, pour la culture
pour tous. “Ascenseur social” avant
qu’on invente le terme, la Frat a déterminé
aussi la vie d’Hélène : “Les pasteurs sont
des gens très érudits. Ils m’ont fait décou-
}
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e st d’avoir rencontré la Frat”
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René, Hélène, Andrée et Titia.
} vrir l’art, la littérature... Ici, beaucoup ont
acquis une culture universitaire qui leur
était inaccessible. On a fait du théâtre, des
soirées poésie. René par exemple est un
puits de culture sans avoir fait d’études.”
Résolument, la Frat brandit sa sensibilité
“de gauche” : “Nous avons toujours été
proches des mouvements ouvriers, des
syndicats. Quand les municipalités refusaient l’accès de leurs salles aux partis de
gauche et d’extrême gauche, nous prêtions nos locaux. Nous avons milité pour la
paix, contre la guerre d’Algérie, avons fait
partie de ceux qui diffusaient le manifeste des 121 appelant à l’insoumission...
Nous avons soutenu la création du Planning
familial et combattu pour la libération de la
femme en général,” raconte Hélène qui se
souvient aussi des premiers centres aérés,
une idée “Frat”, dans les années 70. “On
partait en 4L et on ramenait dix gosses de
Bellevue par voiture !”
Officiellement créée en 1905 avec la loi de
séparation de l’église et de l’État, devenue association loi 1901 en 1926 “pour
s’ouvrir à tous”, la Fraternité continue de
combattre la misère sur tous les fronts.
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Noël à la Frat en 1934.
Colonie de vacances
à la Bernerie en 1934.
Aujourd’hui encore et, depuis cinq ans,
sous l’égide de Titia et Rédouane Es-Sbanti, couple de pasteurs, ses deux foyers
accueillent sans-abri et jeunes mères en
difficulté ; son accueil de jour est un lieu de
convivialité et d’écoute pour les personnes
désorientées ; dix-neuf intervenants assurent l’alphabétisation de cinquante-trois
demandeurs d’asile ; ses chorales sont
ouvertes à tous - et notamment pour l’une
d’entre elles aux enfants handicapés mentaux ; son atelier de socio-esthétique offre
soins du visage et coiffure aux personnes
en précarité... Et l’ancien “Foyer de l’âme”,
le temple, est devenu magasin d’insertion :
“Pour nous, il n’y a pas de lieu sacré. Maintenant, les offices ont lieu dans cette pièce,
qui est une salle polyvalente. Voyez, la
croix est posée sur l’armoire.”
Besoin d’un coup de main ? La Frat tend la
sienne. “On peut pas venir à la Frat et sortir indemne. Aujourd’hui, souvent, d’anciens membres venus dans leur jeunesse
reviennent s’investir pendant leur retraite.”
Andrée conclut : “mon meilleur souvenir,
c’est d’avoir rencontré la Frat.”
En 1871, un pasteur écossais, interpellé par un ouvrier de Belleville, s’installe à Paris, crée un
dispensaire pour soigner les communards massacrés et loue des salles de bistrot pour
évangéliser les ouvriers. D’autres pasteurs le rejoignent et s’installent en France, notamment à
Saint-Nazaire et Nantes, en 1884, dans le quartier des Ponts où la Mission populaire
évangélique construit une première salle de cent vingt places, puis plusieurs autres, avec l’aval
du pasteur déjà en place. En 1903, rue de l’Héronnière, quatre-vingt dix personnes se réunissent
le dimanche soir. En 1907, l’arrivée du pasteur Emmanuel Chastand donne un nouvel élan au
mouvement : conférences, réunions de mères de famille, société de gymnastique, création de la
Croix bleue. Les locaux de la rue Amiral-du-Chaffault sont inaugurés le 2 février 1908. En 1909,
l’école de garde est créée pour prendre en charge les petits après les cours afin qu’ils ne soient
pas livrés à eux-mêmes dans la rue ; en 1910, la Frat crée une coopérative de travail, une troupe
d’éclaireurs unionistes et une société de secours mutuel ; en 1912, un cercle ouvrier d’études
sociales voit le jour ; en 1916, une école de vacances fonctionne ; après la guerre, c’est une école
de mutilés qui s’occupe de réapprendre la vie aux blessés et les former à un métier compatible
avec leur état ; parallèlement, les bénévoles fabriquent des prothèses pour les mutilés ; à partir
de 1919, une colonie de vacances accueille les jeunes à la Bernerie ; en 1921, le pasteur
Chastand fonde la “Société des enfants de la paix”, 1re société de France pour l’éducation
pacifiste des jeunes ; en 1934, un cercle d’études sociale, un “foyer du jeune homme” sont
créés, ainsi qu’une salle de cinéma, un atelier de théâtre ; pendant la guerre, la colonie de la
Bernerie accueille des enfants parisiens évacués, la Frat’ héberge des réfugiés du Nord et de
Belgique (1 500 de mai à juillet 1940). Après la guerre, la Frat fonde un foyer pour héberger les
travailleurs maghrébins qui vivent dans des baraquements sur le quai de la Fosse.
Du 6 au 16 octobre, la Frat’ célèbre son centenaire pendant dix jours de manifestations sociales,
culturelles, religieuses et festives, autour d’une exposition qui évoquera son histoire.
Contact : La Fraternité, 5, rue Amiral-du-Chaffault. Tél. 02 40 69 37 63.
PASCALE WESTER
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Les premiers temps
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marsauderies :
50 ans de lutte
et d’éducation populaire
Construction de l’école des Marsauderies en 1951.
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Créée en 1954, l’amicale laïque des
Marsauderies (l’ALM) s’apprête à
fêter son cinquantième anniversaire. Retour sur l’histoire d’une
association qui n’a jamais failli à
ses valeurs d’éducation populaire
et de laïcité.
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S
ituée au carrefour des quartiers
de l’Éraudière, Port-Boyer et
Saint-Joseph, l’école primaire des
Marsauderies abrite l’une des
plus anciennes et des plus emblématiques
amicales laïques de Nantes. Une histoire
commune qui remonte à cinquante ans.
“Pour tous ici, l’amicale, c’est l’école et
l’école, c’est l’amicale, explique Jean
Gautier, adhérent de l’ALM depuis 1957 et
ancien président. C’est ce qui fait notre
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particularité : nous ne sommes pas rattachés à un quartier, mais à une école, dont
nous portons le nom.” Une spécificité qui
trouve son explication dans la naissance
de l’école.
Une naissance dans la lutte
“L’école des Marsauderies a été construite
au début des années 50, raconte Jean
Gautier. Elle devait apporter un véritable
souffle en désengorgeant celles de SaintJoseph et des Poilus, complètement saturées. Pourtant, à l’heure de la première
rentrée, en octobre 53, le résultat était très
loin des espoirs suscités...” De fait, la
presse locale de l’époque dresse un
constat alarmant sur l’état du nouveau
groupe scolaire : bâtiments encore en travaux, matériaux dangereux qui traînent
dans la cour et, comble du comble, point
de toilettes pour les petits écoliers... C’est
dans ce contexte de mécontentement que
les parents d’élèves commencent à s’organiser avec les instituteurs. “Les murs
s’écroulaient, s’emporte Jean Gautier, il
fallait bien faire quelque chose ! Très vite,
l’idée de fonder une amicale laïque s’est
imposée comme un moyen d’action efficace. À la seconde rentrée, le 13 octobre 54,
l’amicale laïque des Marsauderies était en
place, forte de ses sept membres”.
Les débuts sont balbutiants. Il faut toute la
force de persuasion d’une poignée de militants qui sacrifient leurs soirées aux
séances de porte à porte pour recruter des
adhérents. Et le résultat est là. Dans les
années 60, l’ALM compte déjà plus de 200
membres. Aujourd’hui, ils sont 1 150 !
“Le combat fondateur, autour de la
construction des bâtiments, a scellé l’esprit des Marsauderies, analyse Yves
Pouzaint, actuel président. Depuis, l’amicale a toujours lutté pour obtenir des infrastructures décentes. C’est quasiment un
combat identitaire ! Puisque nous ne
dépendons pas d’un quartier clairement
défini, ce sont nos locaux qui nous identifient aux yeux des gens”. “C’est vrai,
reconnaît Yvette Danneyrolle, amicaliste
de longue date et responsable de la commission Histoire de l’amicale. Il a fallu se
battre pour que la salle Bonnaire, attenante à l’école, soit terminée, de la même
façon que l’obtention d’un gymnase, en
1969, a été le résultat d’une lutte acharnée”.
Un principe fondateur : l’éducation populaire
Les quatre militants n’en perdent pas de
vue pour autant l’un des principes fondateurs de toute amicale laïque : l’éducation populaire. Les Marsauderies proposent depuis toujours un grand nombre
d’activités périscolaires, essentiellement
autour du sport et de la culture. Mais à
l’ALM, point de course aux performances,
l’essentiel est ailleurs : “Dès les origines,
l’objectif de notre action ne résidait pas
dans le résultat sportif, explique Yvette
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Ginsburger. Les gens venaient chez nous
La laïcité au cœur des pratiques
permettre aux gens de se défouler en faipour le loisir. Ce qui nous animait, c’était
La laïcité reste la valeur qui traverse toutes
sant un peu de sport ou d’envoyer leurs
l’éducation populaire. Nous nous adresles actions des Marsauderies, à l’image du
enfants à la garde d’un entraîneur”, note
sions à tous, mais surtout à ceux qui
clivage typiquement régional entre
Yves Pouzaint. L’ALM mène donc une vraie
avaient de faibles revenus. C’est toujours
l’école publique et l’école privée. “Le sloréflexion sur l’évolution de l’école en
le cas aujourd’hui, même si ces idées sont
gan “Touche pas à mon école publique”
défendant les valeurs de la laïcité. “Nous
peut-être moins ancrées dans une société
reste très ancré dans nos fondamentaux,
cherchons vraiment à être un lieu de rende plus en plus consumériste...”
admet Jean Gautier. L’ALM a été de tous les
contre et de débat citoyen”, ajoute le pré“Évidemment nous nous adaptons aux
combats laïcs, du refus des lois Debré en
sident. “Le problème, ajoute Yvette
évolutions de notre temps, souligne Jean
1959 à la grande manifestation parisienne
Ginsburger, c’est que depuis 30 ans, le
Gautier, mais nous
en 1994, en passant
avons toujours en
par la lutte célèbre
tête notre mission
entre écoles laïques et
éducative. Je me
confessionnelles en
rappelle qu’en 62,
85”. Yvette Danneynous avons acheté
rolle reconnaît avoir
un appareil de proadhéré à l’ALM sur ces
convictions laïques.
jection 16 mm, parce
“Il faut tout de même
que tout le monde
se souvenir que l’ALM
n’avait pas forcéa dû négocier certains
ment accès au cinévirages délicats, admet
ma. On organisait
des séances le jeudi
Yves Pouzaint... PenDanneyrolle, Yvette Ginsburger, Yves Pouzaint
L’amicale des Marsauderies a été de tous les combats
pour les enfants et Yvette
dant longtemps par
et Jean Gautier (de gauche à droite).
laïcs. Ici lors de la manifestation parisienne en 1994.
le samedi soir pour
exemple, les élèves
les familles”. Ils
des écoles privées du
sont nombreux dans le quartier à n’avoir
monde associatif s’est peu à peu profescoin n’avaient pas accès aux activités propas oublié ces projections. Certains se
sionnalisé. Au début de l’aventure et jusposées par l’amicale... Aujourd’hui, la
rappellent qu’au printemps 68, l’amicale
qu’en 1980, l’amicale ne fonctionnait
question est tranchée et c’est heureux !
a adhéré au réseau “Certifié exact” qui
qu’avec des bénévoles. Aujourd’hui, l’ALM
Notre ouverture à ces enfants m’apparaît
diffusait des documentaires de journaemploie l’équivalent de cinq temps plein,
comme une évolution extrêmement posilistes et cinéastes “remerciés” après les
répartis sur une vingtaine d’intervenants.
tive.”
événements de mai. “Jusqu’au début des
Forcément, ce n’est plus tout à fait le
Et c’est bien ce visage que les quatre miliannées 70, on a eu un sacré succès avec ça.
même esprit.”
tants veulent donner aujourd’hui à leur
Après, la télé nous a tués...”
Reste un aspect et pas des moindres : qui
association, celui d’un espace de lutte,
L’une des grandes spécificités de l’amicale
dit amicale laïque, dit forcément fête de fin
mais aussi de questionnement et de débat.
laïque, c’est son refus, depuis ses orid’année... Aux Marsauderies, pas question
À l’image de leurs 50 ans d’histoire.
gines, d’être un simple outil de consomqu’une autre structure touche aux événemation de sport et de culture pour les
ments festifs de l’école. “Ça, c’est l’affaiMATHILDE GRANGIENS
adhérents. “Nous ne sommes pas là pour
re de l’amicale !”
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