La guerre d`Indochine. De l`Indochine française aux

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Saigon (...)
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La guerre d’Indochine. De l’Indochine française
aux adieux à Saigon 1940-1956
Entretien avec Ivan Cadeau
jeudi 9 juin 2016, par Ivan CADEAU, Ivan SAND
L'auteur :
Officier et docteur en histoire, Ivan Cadeau est rédacteur en chef adjoint de la
Revue historique des armées. Spécialiste des guerres d’Indochine et de Corée, il
est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur le sujet. Son dernier livre, La
guerre d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux à Saigon, 1940 – 1956,
est paru aux éditions Tallandier. Ivan Sand, Doctorant à l’Institut Français de
Géopolitique (IFG), diplômé de l’EDHEC. Il contribue au Diploweb depuis 2013.
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/La-guerre-d-Indochine-De-l.html
60 ans après la fin de ce conflit, l’historien Ivan Cadeau revisite la guerre
d’Indochine, à l’occasion de la sortie de son ouvrage "La guerre
d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux à Saigon 1940-1956". Il
répond aux questions d’Ivan Sand pour le Diploweb.com.
Ivan Sand : Quel est le cheminement intellectuel qui vous a conduit à la
publication de cet ouvrage ? De nombreux livres traitent de la guerre
d’Indochine, que souhaitiez-vous apporter à l’historiographie de ce conflit
?
Ivan Cadeau : Comme vous le soulignez, il existe de nombreux livres relatifs à la
guerre d’Indochine, qu’il s’agisse de témoignages ou d’ouvrages à caractère
scientifique. Parmi ceux-ci, pourtant, rares sont les études traitant d’histoire
militaire, et le conflit indochinois a souvent été abordé sous l’angle politique et/ou
diplomatique, les aspects « militaires » ayant été insuffisamment traités. Seul le
livre du général Gras [1], sorti à la fin des années 1970 et augmenté au début des
années 1990 s’intéressait à la stratégie opérationnelle des belligérants. C’est dans
cette continuité que j’ai souhaité écrire mon livre tout en révisant l’histoire – ce
qui est la base du travail d’historien et en revenant sur certaines croyances ou en
nuançant certains aspects en apportant une autre analyse possible. Ainsi par
exemple de la bataille d’Hoa Bin (novembre 1951-février 1952) qui est
communément présentée comme une grande victoire française. Or non seulement
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celle-ci ne résout rien d’un point de vue stratégique mais elle ruine les efforts de
pacification dans le delta et aboutit à un renversement de l’équilibre au profit du
Viêt-Minh à l’intérieur de celui-ci.
IS : Les historiens font généralement démarrer le conflit en 1945.
Pourquoi avez-vous fait remonter votre analyse à 1940 ?
IC : Pour être intelligibles de tous, les historiens « bornent » chronologiquement
les événements. Pourtant ceux-ci sont la conséquence de causes antérieures.
Dans le cas de la guerre d’Indochine, on ne peut comprendre le conflit qui débute
en 1945 (et que l’on ne fait habituellement et arbitrairement commencer qu’en
décembre 1946) sans remonter à l’année 1940 et à l’effondrement de la France
comme grande puissance sur la scène internationale. C’est cependant ce fait
historique majeur qui permet la mainmise japonaise sur l’Indochine, puis
l’éradication de la souveraineté française et, enfin, l’éclosion des partis
nationalistes et indépendantistes dont le Viêt-Minh, mouvement d’obédience
communiste, sortira vainqueur au Vietnam. Dans le même ordre d’idée, j’ai
souhaité conclure mon ouvrage par un chapitre portant sur les deux dernières
années de la présence française en Extrême-Orient, entre 1954 et 1956.
Beaucoup de livres s’achèvent généralement avec la défaite de Diên Biên Phu et
les accords de Genève. Il m’a semblé que l’étude de ces deux années où la France
quitte le Nord-Vietnam et tente de continuer à jouer un rôle en Asie à partir du
Sud-Vietnam est particulièrement riche et s’inscrit dans le prolongement de la
guerre. On le sait, cette politique sera vouée à l’échec.
IS : À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, quel rôle jouent les
Américains en Indochine ? Aurait-il été possible de trouver une solution
négociée à cette époque avec les dirigeants du Viêt-Minh ? Était-ce la
volonté des pouvoirs politiques français ?
IC : Le président Roosevelt est foncièrement anticolonialiste et n’est pas le plus
francophile des dirigeants américains. Les contacts entre ces derniers et le ViêtMinh se font à la fin de la guerre par l’intermédiaire de l’Office of Stategic
Service (l’ancêtre de la CIA) dont les cadres entretiennent de bons rapports avec
le Viêt-Minh. Il s’agit pour les Américains de récupérer les pilotes abattus par les
Japonais et d’obtenir du renseignement. Le caractère communiste du mouvement
Viêt-Minh semble largement leur échapper à l’époque et celui-ci bénéficie d’un
fort capital sympathie. Si les Américains ne peuvent s’opposer au retour des
Français en Indochine à la fin de l’année 1945, ils leur suppriment, en revanche,
toute l’aide matérielle qui aurait pu faciliter les opérations de reconquête, ce qui
explique en partie la pauvreté du corps expéditionnaire dans ce domaine. À partir
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de l’été 1950 et du déclenchement de la guerre de Corée, le regard et la politique
américaine à l’égard du combat de la France en Indochine changent.
Il est toujours malaisé de réécrire l’histoire – le fameux « What if ? » des AngloSaxons – mais il est raisonnable de penser qu’en 1945 entre une France désireuse
de retrouver son prestige passé, n’ayant pas assimilé l’ampleur des changements
dans les territoires qu’elle occupe, et un parti nationaliste communiste souhaitant
l’unité et l’indépendance du Vietnam, une solution de compromis était difficile.
Dans le contexte de l’époque, les négociations entreprises entre 1945 et 1946
montrent bien des désaccords et des antagonismes de fond dont on voit mal
comment ils auraient pu être réglés sans qu’une des deux parties ne renonce à
ses buts. À cette date, la position française définie par le général de Gaulle, puis
plus tard par les premiers dirigeants de la IVe République, est nette : il s’agit de
restaurer la souveraineté française et les droits de la métropole sur ses
possessions extrême-orientales.
IS : Sur le théâtre des opérations, dans quelle mesure la géographie
indochinoise (longues distances, végétation dense, voies de
communication difficiles d’accès) a-t-elle favorisé le développement de
nouveaux moyens de mobilité ?
IC : Le milieu physique de la péninsule indochinoise est un milieu
particulièrement contraignant. Sur ce théâtre d’opérations, plus que sur tout
autre théâtre rappelle le colonel Gazin, commandant à deux reprises le génie du
corps expéditionnaire, « la géographie commande ». La géographie à laquelle il
convient d’ajouter le climat, qualifié de débilitant pour les combattants
européens, qui use les hommes et les matériels. Les infrastructures terrestres
étant inadaptées et agressées tant par les intempéries que par l’action de
l’adversaire, le travail de rétablissement des itinéraires (routiers, ferrés, et
fluviaux) va s’avérer une tâche écrasante sans cesse renouvelée, tout comme les
opérations d’ouverture de route, qui permettent de garantir la sécurité et la libre
circulation sur les axes de communication. L’utilisation de l’arme aérienne va
redonner une mobilité tactique, opérative et stratégique au corps expéditionnaire
: en s’affranchissant des contraintes liées aux axes terrestres, le commandement
pensera avoir trouvé une solution. Le concept de base aéroterrestre inauguré
d’abord à Hoa Binh puis à Na San semblera effectivement prouver le bien-fondé
de ce raisonnement. Malheureusement, le potentiel aérien restera toujours
insuffisant et la voix de l’armée de l’air insuffisamment écoutée, d’où des
déconvenues lors de la bataille de Diên Biên Phu.
IS : Au niveau opérationnel, quelles sont les leçons tirées de la guerre
d’Indochine ?
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IC : Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les opérations que mène
l’armée française en Extrême-Orient revêtent un caractère particulier d’un genre
nouveau. Là, à quelques exceptions près, pas de front et un adversaire qu’il est
bien difficile de capturer ou de détruire. Le terrain de la guerre n’est plus le
même, il englobe désormais les populations qui deviennent un enjeu en même
temps qu’un acteur de la guerre. Aussi parle-t-on de « guerre en surface », de
guerre « contre-insurrectionnelle », « révolutionnaire », « contre-subversive »,
etc. Avec les faibles moyens dont il dispose et en proposant des réponses
inadaptées, le corps expéditionnaire perd peu à peu le contrôle et le soutien de
ces populations. C’est l’un des grands enseignements tirés de la guerre, à savoir
qu’il faut d’une part s’adapter rapidement aux conditions de la lutte (conditions
géographiques), en regagnant une mobilité perdue - d’où la nécessité de se doter
de matériels légers et adaptés - et à la forme de guerre imposée par l’ennemi.
Fort de l’expérience acquise, les cadres français tenteront de mettre en pratique
ces « lessons learned » au cours de la guerre d’Algérie, avec plus ou moins de
succès.
IS : Sur le plan politique, comment est perçu le conflit depuis Paris ?
Quelles étaient à l’époque les priorités politiques des dirigeants français ?
IC : La définition des buts de guerre est l’affaire du gouvernement, la conduite
des opérations est l’affaire du commandant en chef. Or, hormis au début
(restaurer la souveraineté française), les buts de guerre ont constamment évolué
ou ont été mal définis : s’agissait-il de défendre le monde « libre » contre le
monde communiste, de véritablement promouvoir l’indépendance des États
associés, de construire une vraie fédération indochinoise à l’intérieur de l’Union
française [2] ? L’hésitation était constante, l’instabilité gouvernementale de la IVe
République ne permettaient pas de toute manière de pouvoir mener une politique
cohérente au long terme. Une chose est claire : dans le contexte que connaît la
France de l’après-guerre, le problème indochinois ne constitue pas une priorité
et, pour le régler, le pays ne peut d’ailleurs mettre à disposition que des moyens
limités.
IS : En métropole, a-t-on immédiatement relié ce conflit avec les
soulèvements observés dans les autres colonies françaises ? Dans l’esprit
des autorités politiques, existait-il une sorte de hiérarchie entre les
différents territoires d’outre-mer ?
IC : Bien sûr que l’on n’ignore pas que les événements en Indochine sont
observés avec attention dans les autres colonies ou protectorats français par les
mouvements indépendantistes. Ainsi, la parole de la France et sa puissance sont
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mesurées à l’aune de sa politique indochinoise. Cette raison entraîne le
commandement militaire dans des choix politiques : la guerre en pays thaï ou la
défense du Laos en 1952-1953 sont directement liées à la capacité de la France à
défendre les populations qui lui sont fidèles. Quant à la question d’une «
hiérarchie » existante, il est certain que même si Saigon est la « perle de
l’Extrême-Orient », l’Indochine n’a jamais – avec ses 40 000 Européens –
constituée une colonie de peuplement contrairement à l’Afrique du Nord où les
intérêts nationaux sont beaucoup plus forts. Pour cette raison, nombre de
personnalités politiques mais également militaires sont dès le début des hostilités
favorables – même s’ils ne le disent pas forcément publiquement – à un abandon
de l’Indochine, qui use le potentiel économique et militaire de la France. Les
hauts responsables de l’armée de l’air notamment, tournés vers la préparation
d’une éventuelle confrontation contre l’Union soviétique et ses alliés considèrent
que la guerre d’Indochine absorbe ses crédits et empêche une modernisation
efficace de son appareil aérien. En 1953, le général Fay, chef d’état-major de
l’armée de l’air déclarera d’ailleurs : « Pas un homme, pas un avion pour
l’Indochine »…
Copyright Juin 2016-Cadeau-Sand/Diploweb.com
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. Ivan Cadeau, La guerre d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux
à Saigon, 1940 – 1956, éditions Tallandier, 2015.
Ivan Cadeau, La guerre
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d’Indochine. De l’Indochine
française aux adieux à Saigon
1940-1956, éd. Taillandier
4e de couverture
Saigon, avril 1956 : la France quitte le sol vietnamien. Près d’un siècle après la
conquête, au terme de dix années de guerre et de centaines de milliers de morts,
la page de l’Extrême-Orient français se referme.
Au printemps 1940, l’effondrement de la France sonne le glas de l’Indochine
française. L’intrusion japonaise et le réveil des nationalismes locaux bouleversent
les rapports que la métropole entretient avec le Vietnam, le Laos et le Cambodge.
Après 1945, cependant, les Français ne saisissent pas l’ampleur des changements
survenus au cours du second conflit mondial chez les peuples colonisés. Au
Vietnam, les revendications du Viêt-minh sont en totale opposition avec la
politique menée depuis Paris. Fin 1946, la rupture est consommée : la guerre
d’Indochine commence. Elle va durer neuf ans. Neuf ans de guerre sans front, et
au cours desquels le corps expéditionnaire français ne parvient pas à vaincre un
ennemi insaisissable mais omniprésent.
Face à la tactique de guérilla du Viêt-minh, notamment, le matériel moderne de
l’armée française se révèle peu adapté. Embuscades et pièges démoralisent les
soldats et le haut commandement perd progressivement l’initiative du combat. En
mai 1954, la défaite de Diên Biên Phu porte le coup de grâce aux forces du corps
expéditionnaire et accélère la fin des hostilités.
Les officiers français sortent profondément marqués de ce combat, meurtris par
l’indifférence, le mépris et l’opprobre dont ils se sont sentis victimes de la part de
la nation. Nombreux sont les cadres bien décidés à ne plus revivre l’humiliation
de l’expérience indochinoise, alors qu’une nouvelle guerre les attend sur un autre
théâtre d’opérations, en Algérie.
Plus d’informations sur le livre d’ Ivan Cadeau, La guerre d’Indochine. De
l’Indochine française aux adieux à Saigon, 1940 – 1956, sur le site des
éditions Tallandier.
Notes
[1] Général Yves Gras, Histoire de la guerre d’Indochine, éditions Denoël,
1992.
[2] L’Union française est l’organisation politique créée par la Constitution de la
Quatrième République qui comprenait la métropole et les territoires de
l’empire colonial français.
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