L`apiculture au Cambodge

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L`apiculture au Cambodge
L'apiculture au Cambodge
par Eric Page
Mon premier voyage au Cambodge date de
janvier 2000. Un ami d'origine
cambodgienne m'avait demandé d'aller au
Cambodge pour initier son oncle à
l'apiculture. Durant 3 semaines nous avons
parcouru le pays du nord au sud à la
recherche d'abeilles et d'apiculteurs. Nous
avons découvert ici 3 espèces d'abeilles
mais aucun apiculteur, uniquement des
chasseurs de miel.
Impressionnantes ces fourmis !!!
Les espèces d'abeilles
Sans doute la plus répandue est l'abeille Apis florea. C'est la plus petite abeille du monde. Elle
bâtit à des hauteurs différentes suivant sa convenance. Elle ne fait qu'un seul cadre, qui au
départ n'est pas plus gros qu'une capsule de pot à confiture. L'essaim grandira petit à petit
pour devenir de la taille d'un couvercle de seau d'environ 25 cm de diamètre.
Les abeilles auront pris soin de bâtir leur construction dans les feuillages pour être à l'abri des
pluies fortes et fréquentes en périodes de mousson. Les deux extrémités de la branche où sera
bâti le cadre sera recouvert d'une substance noirâtre ressemblant à de la propolis et ayant pour
but d'éloigner les prédateurs notamment les fourmis, nombreuses dans ce pays.
Cette abeille semble assez craintive, l'essaim s'envole au moindre danger et ne semble pas
décidé à revenir sur son cadre suite à une frayeur, malgré la présence de miel et de couvain.
Les chasseurs de miel n'auront donc pas grand mal à chasser les abeilles afin de récupérer le
cadre. Les cambodgiens mangent indifféremment le miel et le couvain, d'où une destruction
importante des colonies.
On peut en plein centre ville de Phnom-Penh découvrir ces petits essaims dans les arbres. Il
n'est hélas souvent pas possible de récupérer ces abeilles. Une légende dit ici au Cambodge
qu'un essaim qui se pose devant une maison y apporte le bonheur et l'argent. L'enlever, le
vendre serait refuser le bonheur apporté par le destin qui serait alors remplacé par du malheur.
Alors pas question d'y toucher même moyennant une grosse liasse de dollars. Le cadre
mélangeant couvain et miel sera vendu quelques dollars, devant se négocier comme tout ici.
L'abeille Apis dorsata est l'abeille la plus grosse du monde. Comme sa sœur Apis florea elle
ne fait qu'un seul cadre, le plus souvent à des hauteurs très importantes, d'où une difficulté
pour l'observer. Son seul et unique cadre fera, une fois terminé, environ 2 mètres de haut et 1
mètre de large. Pour avoir travaillé une fois avec cette abeille, je ne l'ai pas trouvé très
agressive, mais les cambodgiens en ont très peur. Un jeune cambodgien, après l'inspection
d'un essaim, était même venu vers moi et m' avait dit "vous vous êtes un surhomme". Les
cambodgiens disent que si une seule de ces abeilles vous pique sur la tête les cheveux
deviennent blancs à cet endroit pour le restant de vos jours. Le fait que le miel se trouve à la
partie supérieure du cadre conduira les cambodgiens chasseurs de miel à détruire la colonie
afin de prendre le miel. Ce miel en quantité plus abondante que chez les floreas sera mis en
bouteilles plastiques de récupération après un filtrage très sommaire, ou laissé dans une
bassine contenant de nombreuses abeilles mortes et vendu à la louche. Le prix est d'environ
10 dollars, soit 9 € (mi-2003).
L'abeille Apis cerana plus grosse que l'abeille Apis florea est cependant plus petite que notre
abeille Apis mellifera. Elle a comme point commun avec celle-ci de construire plusieurs
cadres. Comme notre abeille, elle recherchera une cavité pour se protéger des intempéries.
Cette abeille vit à l'état sauvage au Cambodge, mais a été "domestiquée" par des apiculteurs
vietnamiens car il est possible de la mettre en ruche et de travailler avec, comme les abeilles
mellifera. Cette abeille est très nerveuse, rien à voir avec la dorsata qui elle semble plutôt
lymphatique. Mieux vaut avec elle prévoir des visites courtes, car malgré la fumée, elle
s'attaque rapidement et en grand nombre à ses prédateurs. C'est un moyen de défense
important pour elle, notamment pour faire face aux fourmis rouges carnivores très
nombreuses ici. En plus de piquer, cette abeille a une caractéristique importante par rapport
aux autres "elle mord".
Les essais d'élevage au Cambodge de cette abeille n'ont pas été concluants à ce jour. Outre le
fait que ces abeilles s'attaquaient à nous malgré la fumée après avoir marqué leur
mécontentement par des vrombissements, il nous a été impossible d'en conserver la souche
dans notre rucher, malgré différents essais. Le comportement a toujours été le même. D'abord
la colonie est belle et prospère, puis tout à coup les abeilles cessent de récolter puis la reine
cesse sa ponte. Dès que les cadres sont vides, l'essaim s'envole. A noter tout de même que le
fait d'avoir clippé la reine pour empêcher ce phénomène n'a rien changé à cet essaimage
sauvage. Pourtant aucune cellule royale n'avait été faite pour remplacer la reine ne pouvant
plus voler. Présent au moment de l'essaimage, j'ai pu constater que la reine avait réellement
disparue alors qu'elle était présente le matin même. Celle-ci n'était pourtant pas tombée au sol.
Aurait- elle été transportée par les abeilles ? Je devrai renouveler les essais pour bien
comprendre ce comportement.
Mais mon analyse à ce jour est la suivante : cette abeille migre en fonction des floraisons et
des miellées. En l'absence de rentrée de nectar, elle quitte son domicile pour aller vers d'autres
lieux plus propices. D'où l'absence de rentrée de nectar conduisant à la cessation de la ponte.
Mais ceci reste une hypothèse restant à vérifier.
Enfin signalons l'absence totale dans le pays d'abeilles Apis mellifera. Je viens de remédier à
cette absence par l'achat de 3 ruches Langstroth au Vietnam. Cette abeille a été introduite au
Vietnam il y a déjà quelques années mais n'est pas originaire dans cette région du globe.
L'histoire tragique du Cambodge explique pourquoi aucun Européen n'ait à ce jour introduit
cette abeille dans ce pays. Cependant d'après mes informations, des Vietnamiens l'avaient déjà
tenté avant 1975. L'apiculteur serait mort pendant le régime Khmer Rouge. Après sa mort
personne n'aurait su comment s'occuper de ces abeilles et le rucher aurait fini par périr.
Introduction de l'abeille mellifera au Cambodge
Ceci est ma deuxième tentative d’introduction. La première avait été faite en août 2000. Je
n'avais que 3 semaines pour élever des reines et essayer de multiplier les colonies. N'ayant pas
le temps de faire toutes les démarches légales pour l'importation de cette espèce d'abeilles
dans ce pays, c'est par le biais d'un passeur que nous avions franchi la frontière afin de ne pas
avoir de soucis avec la douane.
Le jour de mon départ, j'avais réussi à diviser et élever de nouvelles reines et je laissais à
Phnom-Penh 7 ruchettes dont 4 avaient des reines tout juste nées le matin de mon départ. Le
résultat a été une catastrophe. D'abord les 4 reines vierges n'ont jamais été fécondées, ceci
sans doute dû à l'absence importante de mâles. Ensuite les 3 autres ruches ont fini par dépérir
sans que j'en comprenne trop la raison. Mon équipe sur place (2 cambodgiens) ne connaissait
bien sûr rien à l'apiculture et devant les ruches qui étaient en train de dépérir, ils ont fini par
cesser de donner des nouvelles. J'apprenais quelques mois plus tard par un autre ami
cambodgien là-bas que tout était mort et que mes deux cambodgiens n'osaient pas me le dire.
Retour en 2002 pour une nouvelle tentative
Cette fois nous rapporterons les abeilles par bateau. La remontée du Mékong par voie
maritime me semblant plus sûre vu l'état des routes au Cambodge. Lors de la première
tentative les abeilles avaient été fortement secouées durant toute la journée du voyage et je
préférais éviter cela. Cette fois ci, pas de passeur, nous passerons la frontière avec un bateau
pour touristes.
Toujours pas de papiers officiels, alors je mise sur la chance. Les bagages des bateaux ne sont
en général pas vérifiés car il s'agit d'un bateau réservé aux touristes. Mais le fait d'être le seul
passager à posséder un visa business semble durant quelques minutes poser un problème,
mais au bout de quelques minutes le chef du poste décide de ne pas faire de zèle et de me
laisser passer. Le bateau ne sera pas contrôlé et nous repartons sans soucis. Après quelques
minutes de navigation, des anglais avec nous dans le bateau, commencent à s'interroger sur les
bruissements entendus à l'arrière. J'explique aux voyageurs dans le bateau que nous
transportons des abeilles afin d'introduire cette espère dans le pays. Juste à coté de moi un
cambodgien nous dit alors, qu'il est douanier et qu'il vient juste de finir son service pour renter
chez lui à Phnom-Penh. Très vite il me félicite me disant que son pays a besoin de gens
comme moi pour aider au développement. Me voilà rassuré.
Cette fois je vais rester pour former mon équipe composée de 3 personnes. Peisy, Yuth et
Bagnia. Je vais durant 4 mois leur expliquer le comportement de cette abeille et tenter de
multiplier les 3 ruches que nous venons de rapporter de la ferme aux abeilles située dans le
delta du Mékong.
Notre premier travail sera d'élever des mâles. En effet je ne veux pas refaire la précédente
erreur. Un cadre de cire à mâles sera donc introduit dans chacune des 3 ruches. Après la
naissance des premiers mâles nous pourront démarrer l'élevage des reines. Mais dès notre
retour de Saïgon , nous devions rencontrer nos premiers prédateurs.
L'apiculteur vietnamien nous avait fait cadeau d'un nuclei de fécondation avec une jeune reine
fraîchement fécondée et ses ouvrières. Quelques heures après l'avoir mis en place dans notre
jardin , je devais découvrir que cette mini ruche était recouverte de fourmis rouges carnivores
qui n'avaient fait qu'une bouchée de notre reine et de ses filles.
Nous n'avions dans un premier temps pas trop attaché d'importance à cet épisode malheureux.
J'avais pour habitude de respecter les fourmis pour leur courage au travail comme nos
abeilles. Mais mon indulgence pour ces fourmis devait vite cesser.
Après quelques semaines à nourrir et après les premières naissances des premiers mâles, nous
commençons l'élevage de reines. Que de difficultés ! Notre ruche éleveuse ne semblait pas
disposer à élever des reines ou plus exactement ne voulait en élever qu'une ou deux. Est-ce dû
à la saison ? Cette abeille en novembre commence à prévoir l'hivernage de son pays d'origine.
Rappelons tout de même qu'elle n'est pas originaire de cette région et qu'au Vietnam elle y a
été aussi importée. Cependant après de nombreux essais, j'arrivais à faire élever un certain
nombre de reines et ceci en plusieurs fois.
Notre quantité d'abeilles n'étant pas très importante nous devions procéder à la fécondation en
nuclei les plus petits possible afin de ne pas utiliser un trop grand nombre d'abeilles. Notre
voisin se chargeât de nous fabriquer ces petits nucleus composés tout simplement de 6
planchettes clouées, à l'exception du toit sur lequel repose l'unique minuscule cadre. Ces
nucleus se révéleront donner de très bons résultats même s'il nous fallût attendre environ 3
semaines après l'introduction des reines pour y voir les premiers œufs.
Cependant, jour après jour nous avions de moins en moins de nucleus. Hélas oui , tous les
jours nous devions faire face à des attaques de fourmis rouges qui en moins de 10 minutes
dévoraient nos abeilles et les reines. Nous devions trouver une solution rapidement si nous ne
voulions pas que tous nos nucleus et nos 3 ruches y passent car les ruches aussi étaient
victimes de ces attaquent et ne devaient leur survie que grâce à notre intervention.
La première solution fût d'enduire les pieds des supports avec de l'huile de vidange. Mais
hélas, après deux ou trois jours il n'y avait plus aucun effet. L'achat de graisse épaisse, style
graisse pour pompe à graisse, nous donna aussi de bons résultats pendant quelques jours
seulement. Nous nous décidâmes alors de faire des bacs à eau aux pieds de chaque support.
Le résultat fut aussi concluant mais révéla vite ses failles.
Mais d'où venaient donc ces fameuses fourmis ? Tout simplement des manguiers même qui
servaient de parasols à nos ruches. Une dizaine de manguiers, mais des milliers et des milliers
de fourmis et des dizaines et des dizaines de nids. En effet notre ruche était placée dans notre
jardin à l'ombre des manguiers. Tous les jours les manguiers perdaient des feuilles. Il suffisait
qu'une feuille tombe dans le bac à eau pour que cela crée un pont et permette à nos cruelles
fourmis d'attaquer à nouveau.
Après avoir essuyé une nouvelle attaque de 3 ruches dont une périt dans la bataille, nous
décidâmes d'ouvrir la guerre contre cet insecte et de détruire tous les nids. Armés d'une
branche coiffée d'un tissu garni de pétrole, nous tuâmes tout l'après- midi durant, les nid de
fourmis. Des dizaines et des dizaines furent ainsi détruits. Le lendemain nous pensions avoir
tout détruit, mais un morceau de viande laissé au pied d'un arbre nous montra très vite, que
ces fourmis était toujours aussi nombreuses dans notre jardin.
Quelques semaines avant mon retour en France, nous avions 10 ruches, 4 très populeuses, 4
sur trois cadres seulement mais qui laissaient bon espoir et 2 dont les reines n'avaient pas
encore commencé la ponte. Quelques jours avant mon départ, nous devions subir l'attaque des
3 ruches par les fourmis. L'une fut totalement dévorée, mais je réussis à sauver les deux autres
à temps.
Aujourd'hui (mi-2003) je suis en France, mon équipe me signale qu'il ne nous reste plus que 8
ruches, une des reines n'a jamais été fécondée et la colonie a fini par périr. En revanche les 7
ruches semblent (d'après leur dire) en très bonne forme. Il faut dire que la saison des fleurs
recommence dès janvier après la longue période des moussons.
Mon retour prochain dans ce pays permettra de continuer, je l'espère, le développement de
cette espèce et de commencer la production de miel. Mais je sais que je ne suis sans doute
qu'au début des problèmes à gérer pour la survie de cette espère dans ce pays. C'est
pourquoi nous devons, afin d'assurer une certaine sauvegarde de l'espèce, diversifier les lieux
et les régions d'implantation d'abeilles mellifera au Cambodge.
Depuis mon départ les fourmis n'ont plus réattaquées et mon équipe que j'ai souvent en ligne
par Internet a réussi à former 2 nouvelles ruches par simple division. Mais mon retour est très
attendu...
Eric Page
Email : [email protected]