UnevisioninverséedesÉtats-Unis

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SAMEDI 17 OCTOBRE 2009 LE POPULAIRE DU CENTRE
Sports
Omisports
ÉCONOMIE ■ Joel Maxcy est directeur du laboratoire d’économie du sport de l’université de Georgia
« Une vision inversée des États-Unis »
Spécialiste du marché du
sport américain, Joel Maxcy
présente une image des
États-Unis bien loin du libéralisme politique qui les caractérise. Pour favoriser
l’équité sportive, les Ligues
professionnelles n’hésitent
pas à faire preuve d’interventionnisme à travers une
série de mesures.
retraite, avant le “salary
cap”, il gagnait dans les
3 0 m i l l i o n s d e d o l l a r.
Aujourd’hui aucun joueur
ne gagne cette somme.
■ A qui appartiennent géné-
ralement les Franchises ?
Souvent à des petits grou­
pes d’associés, des gens ri­
ches dont la fortune pro­
vient d’un autre marché.
Le sport est bénéfique
pour eux. Il peut arriver
que la compagnie soit en
déficit d’une année sur
l’autre, mais il n’y a jamais
eu dans l’h i s t o i re un e
Franchise vendue moins
chère que son coût
d’achat. Le risque est nul,
une Franchise a toujours
une valeur.
Matthieu Marot
[email protected]
J
oueurs très syndicali­
sés, “salary cap”, draft,
l e m a rc h é d u s p o r t
américain tranche ra­
dicalement avec son ho­
mologue européen.
Invité par la faculté de
droit et des sciences éco­
nomiques de Limoges à
l’initiative du centre de
droit et d’économie du
sport, Joel Maxcy, direc­
teur du laboratoire d’éco­
nomie du sport de l’uni­
versité de Georgia, se
trouvait récemment à Li­
moges. Expert du marché
du travail des sportifs et
des moyens de régulation
en vigueur dans les Ligues
professionnelles nord­
américaines, il présente
un modèle américain sin­
gulier.
■ L’économie du sport estelle une matière en vogue
aux États-Unis ? Le nombre
de programmes a aug­
menté de manière impor­
tante dans les années
1990. Aujourd’hui, plus de
200 programmes sont
consacrés à cette discipli­
ne. Le marché du sport est
unique, en pleine crois­
s a n c e e t re c h e rc h e d e
nombreuses personnes
qualifiées.
Un impact limité
de la crise
■ Quelles sont les différences les plus frappantes entre
le marché du sport aux
États-Unis et en Europe ? La
syndicalisation des
joueurs. Chez nous, tout
est négocié par des con­
ventions collectives. En
Eu ro p e, l e m a rc h é e s t
beaucoup plus libre. La vi­
sion des États­Unis s’en
trouve totalement inver­
sée.
■ Quel a été l’impact de la
ESSOR. Aux États-Unis, les programmes en matière d’économie du sport sont en plein essor.
PHOTO THOMAS JOUHANNAUD
■ Dans quels domaines tra-
vaillez-vous plus particulièrement ? Sur l’organisa­
tion, la structure des
Ligues, les équipes pros de
NBA, NCAA, baseball,
football américain. Nous
avons des bases de don­
nées impressionnantes.
« Des syndicats
très puissants »
■ Quels types de travaux
avez-vous conduit dernièrement ? Récemment, nous
avons réalisé une publica­
tion sur les transferts dans
le baseball. Il existe un
partage des revenus dans
la Ligue et on a calculé le
niveau optimal de partage.
Cela montre que si on
partage trop les revenus,
les petits clubs n’ont plus
intérêt à acheter de gros
joueurs et ce n’est pas bon
pour l’équilibre compéti­
tif.
Nous avons également
travaillé sur l’impact de la
longueur des contrats.
Seuls les bons joueurs
vont se voir offrir de longs
contrats car l’équipe
prend un risque en les fai­
sant signer. C’est une éco­
nomie académique.
Notre but est de faire
prendre aux Ligues des
décisions rationnelles grâ­
ce aux outils économi­
ques.
agency”, les joueurs en fin
de contrat ont pu partir li­
brement. Cela a profondé­
ment bouleversé les habi­
tudes.
■ Avez-vous facilement accès aux données du sport
professionnel ? Au États­
Unis, les syndicats sont
très puissants et préfèrent
publier les salaires des
joueurs que de les garder
secret. Avant, les proprié­
taires cherchaient à cacher
les salaires aux coéqui­
piers des joueurs afin de
ne pas tomber dans la su­
renchère. Cette transpa­
rence, ce sont les joueurs
qui l’ont souhaitée.
Par contre, il n’existe pas
de DNCG et il est beau­
coup plus difficile de con­
naître les finances des
clubs.
■ La NBA a installé le “salary cap (2)”. Quelles ont été
ses conséquences ? C’est
compliqué. C’est difficile
de calculer son impact car
elle fait partie d’un en­
semble un peu plus large
de mesures. Et aujourd’hui
en NBA, les salaires indivi­
d u e l s e n t re n t p l u s o u
moins dans des grilles de
salaires bien définies en
particularité en fonction
de l’ancienneté. Des étu­
des ont été menées sur les
effets du “salary cap” dans
le baseball et cela limite­
rait le mouvement des
joueurs vers les gros clubs.
■ Un tournant s’est-il pro-
duit dans le sport professionnel américain comme
par exemple l’arrêt Bosman
(1) en Europe ? Dans les an­
nées 1970, il y a eu un
changement radical sur le
marché du travail dans le
sport. Il y a eu une certai­
ne libération. Avec le “free
■ Plusieurs types de mesures
comme la draft (3), le salary
cap… montrent que l’équité
sportive apparaît comme
une priorité aux ÉtatsUnis… Tout le problème
est là. Pour beaucoup les
États­Unis est le pays du
libéralisme. Mais au ni­
veau du marché du sport
c’est un parfait contre­
exemple. Il y a de nom­
breux signes d’interven­
tionnisme sur le marché
des joueurs pour assurer
cette équité sportive. Ce
sont les Ligues qui se ré­
gulent d’elles­mêmes. Il
n’y a pas de concurrence,
ce sont des Ligues fer­
mées, monopolistiques.
C’est pour cela que ça
fonctionne.
« L’intervention­
nisme pour
assurer l’équité
sportive »
■ Quel est l’impact de la
draft en NBA ? C’est un peu
flou. Comme la draft a été
créée en même temps que
la NBA et la NFL, ce n’est
pas facile à mesurer. En
baseball, elle a été créée
après. Elle semble avoir
un impact positif, mais on
ne peut pas être certain
car là encore elle fait par­
tie d’un ensemble. Mais
même avec la draft, certai­
nes choses ne changent
pas. Le concept créateur
d’invariance de Rotten­
berg (4) daté de 1956 veut
que : “Quels que soient les
moyens de régulation mis
en place, les talents s’en­
voleront toujours au plus
offrant.”
■ Quels exemples concrets
pouvez-vous donner ? La
NBA est un bon exemple.
Un joueur comme Lebron
James peut rester un mo­
ment à Cleveland, mais à
terme il finira ailleurs,
dans une équipe qui lui
permettra d’accroître ses
revenus. Duncan est un
contre­exemple et montre
tout l’impact de la draft.
Lorsqu’il est arrivé à San
Antonio, les Spurs ne ga­
gnaient rien et n’étaient
pas les plus riches. Pour­
tant, il a fait toute sa car­
rière dans cette équipe.
■ Les Franchises s’accommodent-elles facilement de toutes ces mesures interventionnistes ? Elles ont pour
objectif l’équité sportive,
mais elles permettent éga­
lement une certaine limi­
tation des salaires. Lors­
que Jordan est parti à la
crise sur le marché du sport
aux États-Unis ? Il n’a pas
été immense, voire faible.
Au niveau du sport profes­
sionnel, il n’y a pas eu
d’augmentation du prix
des billets. Il y a un peu
moins de public, d’argent
des sponsors, mais les
contrats télévisuels ont
déjà été négociés jusqu’en
2012/2013 et les niveaux
d’audience sont bons.
C’est moins pire que n’im­
porte quel autre secteur.
■ Les prix des billets sont assez coûteux. Retrouve-t-on
un public élitiste dans les
stades ? C’est cher, mais
on peut voir des gens de la
classe moyenne. Aujour­
d’hui par rapport à l’infla­
tion, les billets ne sont pas
très excessifs. ■
(1) L’arrêt Bosman est une déci­
sion de la Cour de justice des
c o m m u n a u t é s e u ro p é e n n e s
(CJCE), rendue le 15 décembre
1995. Il a bouleversé le marché
des transferts en se basant sur le
droit communautaire.
(2) Le “salary cap” est un pla­
fond salar ial maximal d’une
équipe ayant pour but de limiter
l’accumulation de gros salaires.
S’il est dépassé et en fonction des
Ligues, le club doit payer une
taxe, la “luxury tax” dans le cas
de la NBA.
(3) Système de sélection qui
permet aux équipes des Ligues
professionnelles de recruter à
tour de rôle de nouveaux joueurs
sortis des universités par ordre
décroissant par rapport à leur
classement final lors de la saison
précédente et en fonction aussi
d’un préalable tirage au sort. Cela
afin de permettre aux moins
bonnes équipes de recruter en
priorité les meilleurs espoirs de
leur discipline.
(4) Simon Rottenberg a été
l’auteur du premier article publié
en économie du sport en 1956.
Limoges