Vivre la relation au seuil de la Vie.

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Vivre la relation au seuil de la Vie.
Intervention au colloque « Relations humaines en fin de vie. »
P. Franck DERVILLE
Aumônier catholique à lʼhôpital
Cochin – Port-Royal (75014)
Vivre la relation au seuil de la Vie.
En commençant cette intervention, je voudrais faire deux remarques préalables.
1/ pour un aumônier dʼhôpital, la question traitée dans ce colloque des ʻrelations
humaines en fin de vieʼ comporte un spectre très large, vu la multiplicité et la variété
des situations rencontrées. Lʼaumônier intervient tant auprès des patients que de
leurs familles. De manière ponctuelle (parfois même juste après un décès) ou dans la
durée. Auprès de patients conscients ou non. Jeunes ou moins jeunes (voire même
des nouveau-nés). Isolés ou entourés… Ce qui me conduit à aborder ce thème sous
un angle assez général, qui excède le domaine des soins palliatifs.
2/ Je veux signaler aussi (ou rappeler) le caractère propre et particulier au sein des
établissements hospitaliers du service public - et donc laïque - des services
dʼaumôneries. Ce ne sont pas des associations, mais bien des services dépendant
de lʼinstitution hospitalière, mis en place pour les différents cultes reconnus, avec des
moyens propres - bien que très modestes - et selon un cadre réglementaire bien
précis. Lʻexistence des aumôneries se justifie dʼune conception de la laïcité qui nʼest
pas dans lʼexclusion du fait religieux mais qui veut garantir à toute personne la liberté
de conscience et la liberté de culte en permettant aux personnes en situation
dʼhospitalisation lʼaccès au service de leur culte.
Il mʼa été demandé dans le cadre de ce colloque dʼintervenir comme aumônier
dʼhôpital, et je salue lʼangle dʼapproche qui est de traiter la problématique de la fin de
vie sous lʼangle des relations humaines. Jʼaborderai dʼabord la place particulière de
lʼaumônier dans ce cadre des relations de fin de vie. Et dans un second temps,
évoquer plus spécifiquement la question de lʼaccompagnement spirituel.
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A/ Place et rôle de lʼaumônier dʼhôpital auprès des personnes en fin de vie.
1/ Un première remarque, qui découle des principes régulant le fonctionnement des
aumôneries, cʼest que lʼaumônier intervient suite à un appel et non sur sa propre
initiative. Appel du patient ou de ses proches, directement ou par lʼintermédiaire des
soignants. Être appelé : cela mérite en soi de sʼy arrêter. Sʼil y a appel, cʼest quʼil y a
un besoin, une attente, parfois une détresse… Cela me renvoie à moi-même : « Qui
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suis-je moi ? » Même si jʼai une certaine formation humaine, religieuse, théologique
qui me dispose à y répondre.
Être appelé auprès de quelquʼun qui ne va pas bien, qui va sʼen aller, nʼest en soi
jamais anodin. Je suis appelé comme prêtre, de par la mission que mon évêque mʼa
confiée. Notons quʼil y a aussi des laïcs en mission dʼEglise. Cela peut paraître
comme une nouveauté récente puisque cʼest à partir du milieu des années 1980 que
des charges dʼaumônerie dʼhôpital ont été attribuées à des laïcs. Mais cette présence
des laïcs nʼest pas si novatrice que cela si lʼon veut bien interroger lʼhistoire et
considérer la richesse du charisme hospitalier, avec la profusion de congrégations
religieuses hospitalières qui ont œuvré au long des siècles. Le sujet des relations
humaines en fin de vie ne touche pas seulement au noyau intime et profond de ce
qui fait notre humanité, il est aussi au cœur de notre identité et de notre vocation
chrétienne. Lʼhistoire le montre, et cela nous invite aussi à nous interroger sur la
place des chrétiens et leur action aujourdʼhui dans le domaine de la santé.
Je me souviens quʼà mes débuts en aumônerie, un confrère prêtre ayant une belle
expérience en pastorale de la santé me disait que cʼest un domaine ʻoù on se sent
vraiment prêtreʼ. On peut de la même manière souhaiter à chacun, dans la
confrontation à des questions comme celles de la fin de vie, dʼêtre ainsi conforté dans
sa foi et ses convictions de croyant.
Être appelé, cela veut dire que la relation ne sʼétablit pas à partir du ministre, mais du
patient (ou de ses proches). Cela nous situe dʼemblée dans une attitude dʼhumilité et
dʼécoute. On ne sʼapproche pas avec ses certitudes, son savoir, ses compétences.
On ne redira jamais assez – et nous le répétons inlassablement dans la formation de
nos aumôniers adjoints et membres dʼaumônerie – nous sommes là dʼabord pour
écouter. Pour accueillir. Combien plus dans les situations de fin de vie. Lʼaumônier vit
un dépouillement, il est lui même devant le mystère de la personne, de lʼêtre qui est
là, comme il est lui-même devant Dieu. Il nʼest pas un intermédiaire, il est dʼabord
aux côtés du patient, à se tourner avec lui et comme lui vers Dieu.
2/ Lʼaumônier est en relation avec différents protagonistes : famille, proches, équipes
soignantes, médecin parfois. Recevant les confidences du patient ou de ses proches.
Partageant dans une certaine mesure lʼinformation médicale.
Un petit exemple : récemment, je suivais une femme encore jeune en réanimation. Il
nʼy avait guère dʼespoir. Ses enfants souhaitaient prier auprès dʼelle. Mais le mari
était plus réticent, pas encore prêt... On avait convenu que je passe en fin de journée,
dʼautant quʼun membre de la famille était encore attendu. Je me suis alors enquis
auprès de lʼinterne si des soins étaient prévus à ce moment là. Il mʼa dit quʼelle serait
décédée avant. Jʼai pu lui demander alors dʼen parler plus explicitement à la famille.
On y a mis les formes. Cela a permis de célébrer sans attendre lʼonction des malades
et de mieux préparer cette famille à ce décès.
Lʼaumônier a une position tout à fait particulière. En relation avec les uns et les
autres selon les circonstances, et dans une position de neutralité au plan médical :
lʼaumônier nʼa aucun rôle décisionnaire, il nʼest en rien concerné par le devenir du
malade, il nʼa aucun projet sur lui. En cela, sa présence permet au malade de parler
très librement, et de pouvoir se confier en vérité.
Combien de fois des malades ont pu ainsi confier leur crainte dʼêtre un poids pour
leurs proches, ou sʼinquiéter de ce que décideraient les médecins à leur égard…
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3/ Une autre caractéristique de la relation avec lʼaumônier, cʼest quʼelle va sʼétablir
dans le temps, à la différence de la plupart des relations avec les équipes
soignantes. Il y a un fractionnement des rôles autour du patient, qui voit ainsi, selon
lʼévolution de sa santé, du choix des traitements et protocoles, une multitude de
personnes intervenir successivement et ponctuellement autour de lui.
La relation avec lʼaumônier se noue comme avec beaucoup dʼautres par les
questions sur le quotidien : le temps quʼil fait, les visites attendues, les
préoccupations du moment. Cʼest à partir de là quʼelle peut se développer, au gré du
renouvellement des visites, et atteindre un plus grand niveau de profondeur. On
entre ainsi dans la dimension de ʻlʼaccompagnementʼ. Sʼil fallait en donner une
définition, je dirais quʼil y a accompagnement dès lors quʼon partage lʼhistoire du
patient. Lʼhistoire de sa vie, dont lʼhospitalisation devient partie intégrante. La
spécificité de la fin de vie, cʼest que lʼhospitalisation nʼest plus un intermède, un
moment nécessaire détaché du reste de la vie, mais quʼelle devient peu à peu, du fait
de lʼâge ou de la maladie, ce qui fait la vie même du patient, et ʻtoute sa vieʼ quand il
sait ou pressent que la fin approche.
Pour le dire simplement : lʼaumônier ʻfait partie de la maisonʼ, de cette ʻmaisonʼ quʼest
lʼhôpital et qui est devenu petit à petit la maison du patient, son domicile. Jʼen veux
pour preuve que le fait pour un patient dʼêtre transféré dans un autre établissement –
par exemple de soins palliatifs – nʼest jamais anodin, et peut être ressenti comme
une rupture. Dʼun autre côté, sʼil y a la possibilité dʼun suivi par une ʻunité mobile de
soins palliatifs,ʼ cela permettra à certains patients de demeurer dans un
environnement quʼils connaissent et où ils sont connus.
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B/ Lʼaccompagnement spirituel au seuil de la Vie
Jʼen viens maintenant à la question plus spécifique de lʼaccompagnement spirituel.
En précisant dʼemblée quʼil ne sʼagit pas dʼun secteur ou dʼune catégorie particulière
dʼaccompagnement. Nous sommes bien dans le cadre des ʻrelations humainesʼ,
lesquelles sont - tant du côté du patient que de son entourage - colorées par la
dimension de la foi et des convictions religieuses comme aussi par lʼabsence de foi,
ou encore par les divers contentieux avec lʼinstitution religieuse...
1/ Accompagner au seuil de la Vie
Vous me permettrez tout dʼabord une remarque de terminologie : peut on parler en
contexte chrétien de ʻfin de vieʼ ? Nʼest-ce pas là une sorte de piège sémantique qui
occulte le sens profond de la question qui nous est posée aujourdʼhui de
lʼaccompagnement face à la mort ? Il ne vous a pas échappé que jʼai intitulé cette
intervention : ʻvivre la relation au seuil de la Vieʼ. Pour les chrétiens, la vie baptismale
est déjà participation à la résurrection du Christ. La vie éternelle commence avec le
baptême ; la mort corporelle signe lʼaccomplissement du temps de la vie baptismale
en ce monde, elle est un passage, une Pâque, vers le Père des cieux. Lʼexistence
ici-bas est pour ainsi dire lʼantichambre de ce qui est à venir. On peut citer Ste
Thérèse de lʼEnfant-Jésus : « je ne meure pas, jʼentre dans la vie » ou bien S. Paul
qui évoque la création passant « par les douleurs dʼun enfantement qui dure
encore » (Rm 8,22) : la mort peut être vue comme une forme de ʻnaissanceʼ…
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Je nʼai pas le temps ici dʼévoquer la manière dont les autres confessions religieuses
abordent la mort et lʼaccompagnent. Mais le fait est là que pour parler de
lʼaccompagnement spirituel, il faut bien évoquer ce qui est non seulement de lʼordre
de la conviction, mais aussi ce qui touche à la représentation de la mort, à la
question du sens quʼon lui donne ou quʼelle prend.
Lʼexpression ʻfin de vieʼ sʼentend aussi au sens de la finalité de lʼexistence. ʻQuel est
le sens de la vie humaine ? Ma vie a-t-elle encore du sens au-delà de ce que
jʼendure ?ʼ On est ici à la jointure entre lʼintime de la personne et les questions de
société largement débattues actuellement autour de la ʻdignitéʼ du mourant et de
lʼaccompagnement médical. Bien sûr, il arrive à lʼaumônier dʼêtre sollicité sur ces
questions.
2/ Besoin spirituel en fin de vie
Je nʼai pas besoin de mʼétendre sur ce thème, largement reconnu y compris dans la
littérature médicale. Le développement des soins palliatifs a donné lieu à de
nombreuses contributions sur ce sujet. On y pointe la question de la recherche du
sens. Sens de la vie, de la souffrance, de ce quʼil y a après la mort… Bien sûr, le
donné religieux peut apporter des réponses, mais la confrontation avec lʼexpérience
propre du patient reste une question entière.
« Ma vie a-t-elle encore du sens ? » Certes, la question est souvent posée ainsi.
Mais il me semble que la difficulté nʼest pas tant de savoir le sens que lʼon peut
donner ou apporter à des situations ultimes, que de savoir si celles-ci ne sont pas en
elles-mêmes sources et porteuses de sens, pour le malade, mais aussi pour ses
proches.
Cʼest là un renversement de perspective quʼil me semble falloir envisager à la
lumière du mystère de la foi chrétienne : lʼaffirmation de la valeur rédemptrice de la
mort dʼun homme, et qui plus est dʼun homme juste. Devant la croix, on ne pas faire
de discours. Ce nʼest pas à nous dʼen définir le sens, ni dʼen donner un. On ne peut
que recevoir. Cela appelle une attitude dʼhumilité et dʼaccueil. Cela passe par le
renoncement et le détachement. La personne qui sʼen va nous laisse, jusque dans la
manière dont elle part, un témoignage, et il mʼarrive souvent de le souligner et dʼen
rendre grâce avec les proches quand on prie auprès de celui qui vient dʼexpirer.
3/ Relation aux autres et dignité du malade.
Il va sans dire que chacun est seul devant sa mort. Lʼapproche de la mort signifie
donc, pour le patient comme pour son entourage, une recomposition des relations
humaines. On touche ici la question de la dignité du mourant, à travers le regard
porté sur lui, et la manière dont celui-ci se sent considéré.
Nous sommes dans un monde qui exalte la liberté de la personne, qui privilégie la
personne en sa qualité de sujet de ses choix et de son agir. Comme si la valeur de
chacun relève essentiellement (voir exclusivement) de ce quʼil fait et décide. Dans ce
contexte, la situation dʼaffaiblissement et de dépendance peut être ressentie comme
une perte de dignité. Cʼest un argument qui est souvent avancé pour justifier les
demandes dʼune évolution quant aux pratiques dʼeuthanasie.
Comme souvent, il convient de sʼinterroger sur la validité du point de départ. Pour le
chrétien - mais cʼest aussi partagé par bien dʼautres confessions religieuses - la
dignité de lʼhomme nʼest pas mesurée par ses qualités propres, ou son utilité sociale,
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elle est inhérente au fait dʼêtre créé par Dieu. Le fondement de la dignité et dans la
relation originelle au Créateur, auteur de la vie. La pression médiatique et sociétale
que lʼon constate aujourdʼhui pour faire admettre des pratiques euthanasiques (en fin
de vie, mais sur dʼautres domaines, autour de la natalité notamment) est lʼindice
dʼune société qui nʼenvisage plus lʼhomme dans sa relation à Dieu.
Sur ces questions, il y a bien sûr une argumentation à poursuivre, mais je pense quʼil
faut regarder ce qui se vit sur le terrain, et comprendre la beauté, la noblesse de tout
lʼunivers du soin. Comme aumônier, je ne cesse de mʼétonner (et de rendre grâce)
pour le monde des soignants, et pour le témoignage dʼhumanité quʼil représente.
Il mʼarrive souvent, auprès de personnes âgées hospitalisées, dʼentendre leur désir
de sʼen aller, leur inquiétude par rapport à la dépendance. Mais je vois aussi combien
lʼattention qui leur est donnée à travers les soins contribue à les rasséréner, comme
à rassurer les proches.
4/ Lʼexpérience du pardon
On a évoqué la question de la culpabilité. Un autre enjeu - et non des moindres - de
lʼaccompagnement spirituel à lʼapproche de la mort est la dimension du pardon. Cela
concerne le patient comme aussi son entourage. Réconciliation avec soi-même, avec
ses proches, avec son Seigneur. Les situations de fin de vie font grandir, cela va de
soi, le besoin de se rechercher la paix, le pardon. Lʼapproche de la mort fait bouger
les lignes par rapport à des situations anciennes, dans ce qui est le lot commun des
griefs et blessures qui jalonnent la vie, mais elle également génératrice de
culpabilité : car on ne peut se résoudre à la mort, au définitif dʼune séparation qui
sʼimpose.
Cʼest là un des grands rôles des aumôniers et des membres des équipes
dʼaumônerie que dʼaider à travers lʼécoute à ce moment de la réconciliation. Laisser
la personne se libérer, lui permettre de dire ce quʼelle a à dire sans la juger. Bien sûr
ce processus peut se réaliser avec dʼautres accompagnateurs, ou avec des
soignants selon la relation de confiance qui peut sʼétablir. Lʼaumônerie permettra
cependant de vivre ce moment dans le cadre de la prière ou dʼune démarche
sacramentelle.
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Je voudrais terminer en citant lʼEvangile, une parole que le Christ prononce en
contexte de fin de vie, la sienne : « pour aller où je mʼen vais, vous savez le
chemin. » En réponse à Thomas objecte « Seigneur, nous ne savons pas où tu
vas… » Et Jésus de répondre : « moi, je suis le chemin, la vérité et la Vie, nul ne va
vers le Père sans passer par moi » (cf. Jn 14). Il me semble significatif que Jésus ait
insisté sur le chemin, en relation avec la vérité et la vie. Chaque malade a un chemin
qui lui est propre. Lʼenjeu de lʼaccompagnement spirituel est bien et avant toute
chose de lʼaider à faire ce chemin, à son rythme, avec les ressources spirituelles qui
sont les siennes, parfois enfouies, mais présentes. De lʼaider dans un chemin de
confiance, ce chemin où le Christ nous a aussi précédés, dans lequel il a partagé
notre humanité souffrante, jusquʼà connaître lui aussi le moment ultime de la mort
P. Franck DERVILLE. Décembre 2104
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