Texte complet du discours de l`Ambassadeur de Pologne (cliquer ICI)

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Allocution de Son Excellence M. Tomasz Orłowski, Ambassadeur de Pologne, à l'occasion du 71ème anniversaire du
soulèvement du ghetto de Varsovie ; 24.04.2014, Mémorial de la Shoah, Paris
En octobre 1939 environ 360 mille Juifs vivaient à Varsovie. Jusqu’à la fermeture du ghetto presque
90 mille personnes supplémentaires sont arrivés des terres annexées au 3eme Reich. Dans la période
de la plus grande densité, la population de ce petit espace de 3 kilomètres carrés atteignit 460 mille
personnes, soit 146 mille par kilomètre carré. Un quart d’entre eux étaient des enfants de tous âges.
Tous vivaient dans des conditions déplorables, subissaient la famine, ne pouvaient satisfaire les
besoins les plus élémentaires. Gouvernés par les nazis, maîtres de la vie et la mort, ils vivaient dans
la peur constante. Les Juifs du ghetto de Varsovie n’ont pourtant jamais perdu leur dignité
humaine, ni leur courage, ni l’espoir. Dans les rues tristes du ghetto persistaient pendant toute cette
période la vie religieuse, l’éducation, l’activité politique mais également la culture et le
divertissement, les concerts de musique ou les spectacles théâtraux. Grâce au dernier livre,
bouleversant, de Marek Edelman, nous savons qu’ « il y avait même l'amour dans le ghetto ». Les
gens aimaient pour ne pas avoir peur – dit Edelman. Mais dans le monde où tout est interdit, la
volonté de survivre est déjà un acte de résistance et de courage.
Dès l’été 1941 les premières informations sur les exécutions massives de la population juive,
femmes et enfants compris, arrivent au ghetto, mais c’est la campagne de déportation des Juifs dans
le camp de Treblinka, débutée en juillet 1942, qui est devenue la raison ultime du soulèvement de
ghetto de Varsovie. Environ 300 mille personnes ont été assassinées dans les chambres à gaz. La
ville a changé, les rues sont devenues vides et silencieuses. Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer
cette atmosphère de peur permanente et de désespoir. Alors que le dernier transport part de
l’Umschlagplatz le 21 septembre 1942, seuls environ 60 mille Juifs sont restés sur le territoire du
ghetto, dont la moitié cachés dans les ruines.
Pour ces survivants, qui étaient pour la plupart jeunes et solitaires, qui ont perdu leurs familles et
leurs proches, il était devenu évident que l'interruption n'était que temporaire et qu’un nouveau
transport signifiait la mort. Ils se mirent alors à préparer une grande action militaire. Nous avons
aujourd’hui du mal à comprendre comment ces gens, affamés, souvent malades, au moral dévasté
par les années du terreur, ont trouvé en eux l’audace et la force de construire des bunkers et
collecter des armes. C’est effectivement la tentative des nazis d’un nouveau transport au camp de la
mort qui a déclenché la défense armée, le matin du 19 avril 1943, le jour de Pessa'h. Quelques
centaines de Juifs se sont dressés contre plusieurs milliers de soldats et policiers allemands. Les
habitants du ghetto étaient, à la surprise des nazis, des adversaires redoutables. Ils se sont défendus,
mais ils ont également attaqué, obligeant le général Stroop à envoyer dans les zones du ghetto de
troupes supplémentaires.
Ce soulèvement était pourtant condamné à la défaite et ses dirigeants le savaient.
Mais c’était une défaite militaire, et non pas humaine. C’était, avant tout, un acte ultime
d’indépendance, une preuve de force morale. Il y a avait dans cette lutte, comme l’a si bien décrit le
professeur Jacek Leociak, historien du ghetto de Varsovie, « l'héroïsme et le désespoir, le courage et
la colère, le désir de vengeance et de protestation contre l'indifférence. Le mépris des Allemands et
le mépris de la mort. Le désaccord et la rébellion. Il y avait aussi un sentiment de solitude terrible.
Et la volonté d’éveiller la conscience du monde ».
Pourtant l’immensité du crime fut elle-même un obstacle au réveil de cette conscience, comme le
montre la mission de Jan Karski, l’envoyé des autorités polonaises clandestines. Elie Weisen dans
son étude sur Karski a écrit : “Comment ne pas admirer ce grand Polonais – grand dans tous les
sens du mot – qui a osé démasquer et condamner l’antisémitisme dominant dans certains groupes
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Allocution de Son Excellence M. Tomasz Orłowski, Ambassadeur de Pologne, à l'occasion du 71ème anniversaire du
soulèvement du ghetto de Varsovie ; 24.04.2014, Mémorial de la Shoah, Paris
chauvins de la Résistance polonaise, qui a risqué sa vie pour sauver les Juifs destinés à
l’anéantissement dans les camps de la mort établis par les Allemands dans son pays? Affecté par
leur tragédie au point de ne plus pouvoir penser à autre chose, il en parlait à tous ceux qu’il
rencontrait au cours de ses voyages. (…) Après, il s’est tu. Il avait compris que ses paroles tombaient
dans le vide. Les gens s’occupaient d’autre chose, les dirigeants se donnaient d’autres objectifs.(…) »
Aujourd’hui, 100 ans après la naissance de Jan Karski et 72 ans après la présentation de son rapport
aux gouvernements des alliés, nous savons que « Son témoignage a toutefois porté ses fruits. Grâce
à lui nous savons que l’individu, lorsqu’il le veut, a la capacité d’influer sur le cours de l’histoire
(…) Grâce à lui les générations futures pourront retrouver la foi en l’humanité”.
Le 16 mai les nazis ont détruit à l’explosif la Grande Synagogue. Ce fut la fin symbolique du
soulèvement. Les Allemands voulaient ensuite détruire toute trace du ghetto de Varsovie. Selon les
ordres d’Hitler et d’Himmler il devait être rasé jusqu’à la dernière pierre et la dernière trace de vie.
Ils n’ont pu néanmoins détruire le mémoire, aussi bien celle du sort terrible des habitants du ghetto,
que celle de leur courage extrême. Grâce aux archives collectées clandestinement par Emanuel
Ringelblum, mais aussi aux souvenirs des survivants, nous pouvons nous rendre compte de
l’ampleur du combat des Juifs de Varsovie, combat pour la vie qui a été mené non seulement lors
du soulèvement de 1943 mais aussi dans tous les petits gestes du quotidien.
„Les Polonais étaient témoins de l’Holocauste: ce que nous avons fait dans cette épreuve et ce que
nous en faisons jusqu’aujourd’hui est une autre question. A l’une des extrémités, il y a la
collaboration active avec les Allemands, la délation et l’assassinat des Juifs – à l’autre, leur
sauvetage. Au milieu se place la posture d’indifférence, de désintérêt, et un océan de „spectateurs
passifs” qui observaient l’anéantissement avec compassion ou, au contraire, avec satisfaction. (…)
L’extermination des Juifs fait ainsi partie de l’expérience polonaise. C’est un défi, un engagement
particulier, mais aussi un appel à approfondir la connaissance des faits, à mesurer la dimension du
bien et du mal dans l’homme. Ce sont les questions les plus graves auxquelles il faut se confronter
dans la réflexion. Si nous voulons être considérés comme une nation mûre et citoyenne, nous
devons aussi affronter ouvertement l’expérience liée à la Shoah. » - dit Professeur Leociak.
Aujourd’hui nous célébrons les 71 ans du soulèvement du ghetto de Varsovie. C’est un moment
propice au rappel que nous sommes désormais les témoins de l’histoire, que nous sommes
responsables de la transmission de ce terrible savoir, de la compassion et de l’admiration pour les
héros, en partie anonymes, qui sont morts dans ce combat. Et c’est dans cette perspective qu’un
nouveau Musée d’Histoire des Juifs de Pologne vient d’être créé à Varsovie, sur l’emplacement
même du ghetto et dont la mission est de perpétuer son histoire.
En tant qu’Ambassadeur de Pologne, le pays qui porte cette blessure que rien ne pourra jamais
cicatriser, je suis honoré et heureux de pouvoir partager ici, au Mémorial de Shoah a Paris, cette
mission des témoins de notre passé commun. Mission de ne jamais laisser oublier l’histoire d’une
des plus grandes preuves du courage et de dignité humaine que fut le soulèvement du ghetto de
Varsovie.