a quoi sert le pouvoir politique en afrique

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a quoi sert le pouvoir politique en afrique
« A QUOI SERT LE POUVOIR POLITIQUE EN AFRIQUE ? »
Par Maître Jean Claude KATENDE, Président National de l’Association Africaine de défense des
Droits de l’Homme(ASADHO)
Au regard de ce qui se passe en Afrique, « A quoi sert le pouvoir politique en Afrique »
devient une question essentielle pour le peuple et pour toutes les personnes qui ont pour
préoccupation fondamentale l’avènement d’une société ouverte en Afrique.
De la société africaine traditionnelle à la société moderne, le pouvoir politique a toujours été
considéré comme un instrument que la tradition ou le peuple donne à un homme, une femme
ou un groupe d’Homme pour qu’il contribue au bien être de toute sa communauté. En
majorité, le pouvoir n’était pas considéré comme un bien devant servir à la protection des
intérêts individuels.
Dans la société africaine traditionnelle, le chef était aimé plus en fonction de ce qu’il faisait
pour son peuple, non en fonction de ce qu’il faisait pour lui-même ou pour sa famille. Il me
semble que les chefs politiques traditionnels étaient plus conscients de leur responsabilité visà-vis de leur peuple que beaucoup de chefs politiques de notre temps.
Dans la société africaine traditionnelle, le chef d’un village devait être « le plus grand
sorcier », non seulement pour se maintenir au pouvoir mais beaucoup plus pour contrôler
toutes les autres forces capables de s’attaquer à son village ou de jeter un mauvais sort sur le
peuple. Le chef devait avoir des grands champs, non pas pour être l’homme le plus riche du
village mais pour faire face aux dépenses de sa charge. Il devait accueillir beaucoup de gens
chez lui, il devait venir en aide aux malheureux... Donc l’intérêt supérieur qui motivait cette
situation favorable reconnue au chef, c’était au sens large, la protection de son village ou de
son peuple.
Un des présidents des Etats Unis disait que « C’est immoral d’utiliser un mandat public
pour servir des intérêts personnels ». Si cela est immoral aux Etats Unis, en Afrique, il me
paraît que cela est la règle. On a le pouvoir pour se servir et non pour servir. Tant que cette
manière de penser ne va pas changer, l’avenir de nos Etats est compromis.
Ce qui se passe en Afrique actuellement, surtout en Afrique francophone, nous a amené à
nous poser cette question : « A quoi sert le pouvoir politique en Afrique ? ».
En Afrique, le pouvoir sert à :
I. EMPECHER TOUTE ALTERNANCE AU POUVOIR.
Nous savons tous que la mission d’un parti politique est de conquérir le pouvoir, de l’exercer
et de le conserver. Cette mission peut être limitée par la Constitution qui peut déterminer le
nombre de mandat présidentiel auquel un homme, une femme peut avoir droit. Dans d’autres
pays, cette limitation n’existe pas.
Aux Etats Unis, le mandat est limité à deux alors qu’en France il n’y a pas de limitation.
En République Démocratique du Congo, le mandat présidentiel qui est de cinq ans ne peut
être renouvelé qu’une seule fois. L’article 70 dispose que « Le Président de la République est
élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».
Si dans certains pays, cette limitation de mandat est respectée (Etats Unis, Afrique du Sud, Ghana,
Brésil…), dans d’autres toutes les raisons sont inventées pour empêcher toute alternance à la tête
du pays. Pour atteindre leur intention malveillante, ceux qui détiennent le pouvoir modifient la
constitution, avec la complicité du parlement, ou refusent de reconnaitre la victoire de
l’opposition aux élections, pour s’accrocher à tout prix au pouvoir.
La discussion encourt au Burkina Faso pour la modification ou pas de l’article 37 de la
Constitution qui limite le nombre de mandats présidentiels est encore une tentative qui vise à
empêcher l’alternance au pouvoir.
Souvent les raisons évoquées son celles-ci :
1° Le président doit rester encore pour achever l’œuvre, le programme ou les chantiers
qu’il a commencés.
Tout pays sérieux a une administration fondée sur le principe de continuité des services publics.
Tel Président peut commencer un tel chantier, mais il sait aussi que son temps de partir viendra et
il sera appelé à passer le relais à quelqu’un d’autre de son parti ou d’un parti opposé. C’est le
niveau le plus élevé de la responsabilité politique pour un homme ou une femme d’Etat.
Le Président George W. Bush qui avait commencé la traque du terroriste Ben Laden avait toutes
les raisons de rester au pouvoir continuer son chantier contre ce grand terroriste, mais il était un
jour obligé de céder le pouvoir au Président OBAMA qui a, par principe de continuité, éliminé
Ben Laden. C’est de cette manière qu’un Etat civilisé fonctionne. L’idée de rester au pouvoir pour
continuer ce qu’on a commencé ne tient pas la route. Quand on atteint le nombre de mandat
prévu ou quand on a perdu les élections, on doit partir.
2° Le Président est encore populaire, le peuple veut encore de lui. C’est l’homme
providentiel.
Cette thèse ne tient pas aussi debout par ce que nous avons aussi de bons exemple à travers le
monde.
Le Président Lula du Brésil était encore très populaire dans son pays quand il était contraint par la
constitution de céder le pouvoir à quelqu’un d’autre. Il a accepté de partir à la place de modifier la
constitution et de se faire octroyer un autre mandat. Il est sorti par la grande porte.
Toujours dans le but de réduire les chances de l’alternance, il y a des pays comme la République
Démocratique du Congo qui modifient leur constitution en ramenant les deux tours du scrutin
présidentiel à un seul. Toutes les raisons ont été inventées pour justifier l’acte, mais nous savons
tous que les mobiles sont de réduire les chances de l’opposition de gagner l’élection présidentielle
au second tour.
Personne n’oubliera les problèmes (violations des droits de l’Homme, assassinats, destruction des
biens publics…) que les tentatives de garder le pouvoir à tout prix ont créé dans les pays comme
le Niger, le Sénégal, la Côté d’Ivoire….
Vraiment les Présidents qui modifient les constitutions, qui refusent de céder le pouvoir quand ils
sont perdu l’élection et qui ne veulent pas de l’alternance, nous n’en voulons plus en Afrique. Ce
que les Sénégalais ont fait contre le Président Wade doit interpeller toute la jeunesse africaine et
nous servir d’exemple et de bonne pratique pour provoquer l’alternance politique. La jeunesse
devra se considérer comme « la gardienne de la démocratie en Afrique ».
II. S’ENRICHIR
Oui, le pouvoir sert à s’enrichir. Un homme politique africain qui venait d’être élu président
de la République en 2000 a dit à l’un de ses proches juste après la publication des résultats de
l’élection : « nos soucis financiers sont terminés ». Telle est la réalité du pouvoir en Afrique.
Chacun attend son tour pour se servir et pour piller les richesses du pays qui sont, à mon avis,
un patrimoine appartenant à tous ses citoyens.
En Afrique, nous avons des hommes et femmes politiques qui détiennent des fortunes plus
importantes alors que leurs pays croupissent sous le poids de la dette intérieure ou extérieure.
Comment se sont- ils enrichis? Quels salaires ou émoluments reçoivent ils pour détenir
pareilles richesses ?
La majorité des présidents africains et leurs proches utilisent le pouvoir pour s’enrichir. Ils
sont impliqués dans tous les circuits nationaux qui génèrent l’argent : l’exploitation minière,
pétrolière, forestière, la construction des infrastructures, le transport aérien et les activités
d’importation et d’exportation. Nos présidents sont plus des hommes d’affaires que les
hommes d’Etat.
Dans une telle situation, les hommes qui ont gouté au pouvoir et à l’argent ne peuvent plus
accepter de le quitter. Ils entrent en fonction pauvres et dans quelques années ils deviennent
très riches. Personne ne contrôle comment ils s’enrichissent.
En République Démocratique du Congo, l’obligation constitutionnelle( Article 99 :Avant leur
entrée en fonction et à l'expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du
Gouvernement sont tenus de déposer, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de
leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales,
obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non
bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des
titres pertinents.) qui impose aux hommes et les femmes qui occupent certaines fonctions
politiques (Président, ministres…) à déclarer leurs biens immeubles et meubles à l’entrée et à
la fin des fonctions ne sert qu’à distraire le peuple. Si à l’entrée la déclaration est faite, à la
sortie personne ne s’occupe de vérifier la fortune ou les biens acquis pendant l’exercice des
fonctions.
Aujourd’hui en Afrique, il y a trop peu des personnes qui vont en politique pour servir leurs
concitoyens. Comme c’est la seule fonction qui permet aux gens de s’enrichir énormément et
en peu de temps, tous veulent aller en politique.
C’est une honte par ce que même la communauté internationale sait que certains de nos chefs
ne sont là que pour se remplir les poches. Le discours prononcé au siège de l’Union
Africaine, le 13 juin 2011, par Madame Hillary Clinton ne vient qu’appuyer notre lutte qui
vise à avoir en Afrique des véritables hommes et femmes d’Etat, animés par le bien être de
leurs concitoyens et qui sont éloignés de l’enrichissement malhonnête. Elle a dit ceci : « Trop
des gens en Afrique vivent encore sous la houlette de dirigeants au long cours, d'hommes qui
se préoccupent trop de leur longévité et pas assez de l'héritage qu'ils vont laisser à leur pays.
Certes, quelques-uns proclament leur attachement à la démocratie, une démocratie qui se
résume pour eux à une seule élection une seule fois. Pour ces chefs qui s'accrochent au
pouvoir à tout prix, qui suppriment les voix discordantes, qui s'enrichissent, eux et leurs
partisans, au détriment de leur peuple, le « printemps arabe » a une signification toute
particulière… »
Nous devons arrêter cette façon de voir les choses et considérons que le pouvoir a été conçu
principalement pour servir son pays et son peuple, pas pour se remplir les poches.
III.VIOLER LES DROITS DE L’HOMME.
1.
La détermination de garder le pouvoir en violation de la constitution et contre la
volonté populaire aboutit à court ou moyen terme à la violation des droits fondamentaux et
des libertés individuelles. Les hommes qui modifient la constitution ou torpillent le processus
électoral dans leur pays pour se maintenir au pouvoir finissent par prendre des mesures
(atteintes à la liberté d’expression, de manifestation pacifique…) ou à poser des actes qui
violent les droits fondamentaux (arrestation et détention arbitraires des opposant ou des
membres de la société civile qui les critiquent, assassinats politiques …) de leurs citoyens et
ils s’exposent à des poursuites judiciaires au plan national ou international. Les Présidents
(WADE, Laurent GBAGBO, Mamadu Tandja…) sont des exemples vivants de ce que nous
disons.
Dans beaucoup de pays africains, les forces de sécurité (Forces armées et la police) agissent
comme des instruments de répression de toute voix discordante (opposition, syndicat, société
civile...) au lieu d’agir comme des forces de promotion et de défense des droits fondamentaux
et des libertés individuelles (Rwanda, Gabon, Togo, Burundi, Ethiopie, Cameroun, Lybie,
R.D.Congo, Burkina Fasso…).
Nous, africains, devons nous lever comme les sénégalais(en juin 2011) pour nous opposer à
tous les actes de nos dirigeants politiques qui veulent nous priver de nos droits
constitutionnels ou qui instituent les atteintes aux droits de l’Homme comme mode de gestion
de Etats.
IV. PROMOUVOIR SES ENFANTS ET LES MEMBRES DE SA FAMILLE.
Nos Présidents et tous les autres dirigeants de nos pays sont sur une mauvaise voie. Pour eux,
le pouvoir est devenu instrument pour assurer la promotion de leurs enfants, membres de
famille et amis au lieu de s’en servir pour que tous les citoyens aient la possibilité de réaliser
leurs rêves sur base des compétences et mérites.
Les enfants de nos présidents, les membres de leurs familles et leurs amis contrôlent tous les
circuits économiques et financiers. Tout le monde est dans l’obligation de s’accrocher aux
membres de famille de ceux qui détiennent le pouvoir pour avoir une place au tour du
mangeoire.
Dans la plupart des cas, les membres des familles de nos dirigeants politiques se cachent
derrière les chinois, les libanais et certains occidentaux véreux pour exploiter les ressources
naturelles, faire du commerce et s’adonner à toutes les opérations de pillage possibles.
Pour entretenir pendant longtemps cette situation d’enrichissement illégal, ils ont érigé la
corruption en système de gestion et la transparence constitue la moindre de leurs
préoccupations.
Si nous ne faisons pas attention, la grande partie de nos Etats seront dirigés par les enfants des
anciens présidents. Chaque président travaille assidument à la promotion de son fils ou de sa
fille. S’ils le méritent par la compétence, l’expertise et la popularité, c’est une bonne chose.
Malheureusement dans beaucoup de cas, c’est le contraire. Ce système est dangereux et créera
des problèmes à nos Etats dans le proche avenir. Nous risquons d’être dans des royaumes qui
ne disent pas leur nom.
L’exemple du Sénégal devra nous mettre la puce à l’oreille pour que nos pays qui constituent
un patrimoine commun à nous tous ne deviennent pas un bien privé de nos présidents et des
membres de leur famille.
V. DETRUIRE L’EDUCATION ET LE SYSTÈME DE MERITE.
La vision de développement d’un pays passe par l’importance que ses dirigeants politiques
accordent à l’éducation de la jeunesse. Un pays ne peut pas être compétitif sur le plan
continental et international s’il n’a pas un enseignement de qualité, s’il ne peut pas offrir les
mêmes chances d’accéder à l’enseignement primaire, secondaire et universitaires à tous ses
citoyens, riches et pauvres.
Quand nous comparons le niveau de l’enseignement aujourd’hui par rapport à celui qu’il avait
à l’époque coloniale, il y a lieu de dire que le pouvoir politique a contribué à la destruction de
l’enseignement.
La considération que le pouvoir politique accordait, autre fois, aux universités, à sensiblement
baissé au point que dans toutes les mesures politiques impliquant des changements dans nos
pays, les universitaires ne sont pas associés. Ce qui se passe en Afrique est totalement le
contraire de ce qui se fait dans les autres continents (Europe, Amérique, Asie…). Chez nous,
les universitaires sont très marginalisés et sont dépourvus des moyens matériels et financiers
pour mener la recherche.
C’est la politique qui a détruit l’éducation en Afrique. Le peu d’argent affecté à l’éducation
dans nos Etats est une preuve que c’est le pouvoir qui ne veut pas un enseignement de qualité.
Il reste vrai que tant que les enfants de nos décideurs politiques iront étudier à l’étranger, nos
écoles et nos universités ne seront jamais leur préoccupation. Ce qui fera que notre
enseignement ne répondra jamais aux normes internationales.
Il est temps qu’une nouvelle classe des hommes et des femmes s’élève pour changer cette
situation qui ne contribue qu’à compromettre l’avenir de nos pays et de notre continent.
VI. La Nécessité de renouvelle la classe politique en Afrique.
Au vu du niveau de développement démocratique qui est très faible et de l’enrichissement
scandaleux des hommes politiques en Afrique, il est temps de penser au renouvellement de la
classe politique africaine.
Il est temps de trouver ces oiseaux rares, espèce en voie de disparition, qui puissent prendre
la commande des Etats africains. Il nous faut trouvent des hommes et des femmes qui, une
fois, élient ou nommés à des hautes fonctions soient à mesure de :
1° Mettre l’intérêt de leurs concitoyens au dessus de leurs propres intérêts ou de ceux de leurs
familles,
2° Lutter contre l’enrichissement sans cause de ceux qui exercent des mandats publics ;
3° Rendre à l’enseignement primaire, secondaire et universitaire ses lettres de noblesse.
Rendre le même enseignement accessible à tous les citoyens qu’ils soient pauvres ou riches ;
4° Faire des forces de sécurité des instruments de promotion et de protection des droits
fondamentaux et des libertés individuelles ;
5° Promouvoir une société véritablement ouverte. Une société où toutes les forces peuvent
s’exprimer librement et participer effectivement au développement économique, politique et
social du pays sans avoir la crainte d’être arrêté ou tué.
6° Promouvoir la lutte contre la corruption et la transparence dans la gestion des finances
publiques ;
7° Imposer le respect des lois à soi -même, à ses proches et aussi à tous les autres citoyens.
Est – il possible de trouver de telles personnes en Afrique ? Oui, elles sont là. Peut être pas
dans la classe politique en compétition actuellement, mais elles sont là.
Tous les citoyens africains sont appelés à travailler à l’avènement d’une telle classe des
dirigeants politiques.
Réfléchissons- y