Les causes du chômage Analyse keynésienne

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Les causes du chômage Analyse keynésienne
Les causes du chômage (II)
Le 18 janvier 2016, le Président François Hollande présentait lui-même un « plan d’urgence
pour l’emploi », le chômage ne cessant de remonter depuis la crise de 2008 (3 590 000
personnes de catégorie A en décembre 2015, soit un taux de chômage de 10.1 % près du
maximum de 10.4 % atteint en 1995 ; et 5 475 700 personnes de catégories A,B,C). Les
mesures annoncées suffiront-elles à inverser durablement la courbe du chômage ? Pour lutter
contre le chômage de masse que connaît la France depuis 40 ans, il faut bien sûr faire un
diagnostic des causes. Or cela est difficile dans la mesure où il n’y a pas de consensus sur ce
sujet. Les analyses sont nombreuses, diversifiées et opposées le plus souvent. C’est un peu
comme si chaque courant de pensée économique avait son explication du chômage :
néoclassique, keynésienne, structurelle (progrès technique, frictionnel et nouvelles théories...).
Cet article fait suite aux articles du 26 mai 2014 sur les chiffres et courbes du chômage et des
28 mars et 22 avril 2014 sur le fonctionnement du marché du travail (offre de travail =
demande d’emploi des travailleurs ; demande de travail = offre d’emploi des employeurs).
Il reprend pour l’essentiel, en les résumant pour les rendre aussi accessibles que possible à
tous, les principales analyses théoriques sur le chômage. Dans une première partie, nous
avions présenté l’analyse des économistes libéraux ou néoclassiques (27 janvier 2016). Dans
cette seconde partie, nous allons présenter l’analyse keynésienne totalement opposée (puis les
analyses structurelles dans un troisième temps).
I) Analyse libérale ou néoclassique du chômage : le salaire brut est un coût
pour l’employeur
(article du 27 janvier 2016)
II) L’analyse keynésienne : priorité à la demande globale, le salaire est un
revenu
Cette analyse domine chez les économistes keynésiens c’est-à-dire adeptes de la pensée de
John Maynard Keynes (économiste anglais, 1883-1946) tels que John Hicks, Nicolas Kaldor,
…rappelons que les keynésiens sont des macro économistes (raisonnement en terme
d’économie nationale, de circuit) qui soutiennent l’intervention de l’Etat dans l’économie. Le
livre le plus important de Keynes est « Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la
monnaie » paru en février 1936.
A) hypothèses de départ concernant le marché du travail :
•
•
•
•
Keynes distingue le marché des biens et le marché du travail : il les lie ; le marché du
travail dépend du marché des biens donc de la demande de biens (et services),
Le salaire est perçu comme un revenu (et non plus un coût)
Concurrence sur les marchés
Loi offre-demande fonctionne partiellement sur le marché du travail (rigidité à la
baisse du salaire : syndicats ou salaire minimum)
B) Le fonctionnement du marché des biens et services et de l’économie selon Keynes ;
La demande « effective » (expression keynésienne) détermine le niveau nécessaire de
l’emploi à atteindre, donc la demande est au centre et l’emploi n’est qu’une résultante du
système.
La demande « effective » est la demande qui a des effets attendus sur l’économie (sur la
production, le revenu national). C’est le montant de la consommation et de l’investissement,
c’est-à-dire la demande interne, tels que les entrepreneurs les prévoient au moment où ils
fixent le volume de l’emploi nécessaire. Aujourd’hui, il faudrait lui ajouter les exportations
(demande externe), pour obtenir une demande globale.
Keynes : « Nous appellerons demande effective le montant du « produit » attendu D au point
de la courbe de la demande globale où elle est coupée par l’offre globale ».
(Théorie Générale p 49-50, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1971)
Ct
Inv
Offre globale
Demande globale
O
D
Y
(PIB)
Chez Keynes, la demande précède l’offre, c’est-à-dire la production. Celle-ci, à son tour,
détermine le niveau de l’emploi à atteindre, donc les embauches à réaliser.
Schéma simplifié :
Demande
de biens et
services
(consomma
tion)
Demande de
biens
d’équipement
(investissement
privé)
Demande
étrangère
(exportations)
Demande
« effective »
Niveau de
la
production
à réaliser
Niveau
nécessaire
de l’emploi
Création ou
suppression
d’emplois
Niveau du
chômage
(jseco22)
Attention, sur ce schéma n’apparaissent pas les déterminants de la consommation ni de
l’investissement chez Keynes (voir schéma final, plus bas), de même que n’apparaît pas
l’investissement public (politique de relance)
C) De quoi dépend l’offre de travail des individus ?
Sal
nominal
Offre de travail
Qté de trav
L’offre de travail est une fonction croissante du salaire, mais il y a 2 différences avec les
néoclassiques :
1) ce salaire est le salaire nominal ou courant et non le salaire réel ou déflaté de la hausse des
prix (le pouvoir d’achat). Selon Keynes, les travailleurs sont « victimes de l’illusion
monétaire » (en clair, une augmentation de quelques euros est perçue comme une bonne
augmentation alors qu’il faudrait en retirer la hausse des prix) ;
2) ce salaire est rigide à la baisse. La courbe ne descend pas continuellement. Elle s’arrête à
un palier que l’on pourrait appeler salaire minimum. Les travailleurs refusent de travailler
pour un salaire inférieur à ce niveau minimum. Les syndicats de salariés défendent cette
position.
D) De quoi dépend la demande de travail des entreprises ?
Sal
réel
Demande de travail
Qté de
travail
La demande de travail des entrepreneurs est une fonction décroissante du salaire réel, comme
dans l’analyse néoclassique. Plus le salaire est élevé et moins les entreprises embauchent et
inversement.
E) La confrontation offre –demande et le chômage « involontaire »
1) Pour Keynes, il peut y avoir un équilibre de sous-emploi sur le marché du travail tel
que :
offre = demande de travail sur ce marché avec du chômage appelé « involontaire ».
Salaire nominal
Demande de travail des
entreprises
D1
Offre de travail
des individus
E1
sal
chômage
L1 chômage
L1*
ou sous-emploi
Équilibre de sous-emploi
jseco22
Qté L
Explication : Keynes considère que le niveau de la demande « effective » de biens peut-être
tel (ci-dessous en DG1) qu’il est insuffisant pour assurer le plein-emploi sur le marché du
travail. En clair, la demande « effective » de biens et services DG1 est insuffisante, d’où la
demande de travail des entreprises est insuffisante et vient croiser l’offre de travail en E1 sur
sa portion droite, donc rigide (sur cette portion, le salaire ne baisse pas, comme chez les
néoclassiques ou libéraux). Dans cette situation, la demande de travail des entreprises est L1
alors que pour ce salaire nominal, l’offre de travail des travailleurs est L1*. Le segment L1
L1* représente du chômage.
Le chômage ou sous-emploi L1 L1* (graphique) est involontaire au sens où il est causé par
l’insuffisance de la demande sur le marché des biens. Il n’est donc pas expliqué par les
comportements sur le marché du travail, donc il n’est pas « volontaire » au sens des
néoclassiques.
Ct
Inv
Offre globale
Demande globale
DG1
O
Y
(PIB)
D1
2) Mais il peut aussi y avoir un équilibre de plein-emploi sur le marché du travail
Demande de travail des
entreprises
D2
Offre de travail
des individus
E2
Équilibre de plein-emploi
sal
Qté L
L2 (plein-emploi)
jseco22
Sur ce graphique, la demande de travail des entreprises est positionnée de telle sorte qu’elle
croise en E2 la courbe d’offre de travail des travailleurs dans une situation d’équilibre
(comme dans le cas de la théorie néoclassique). Rappelons que la position de la courbe de
demande de travail dépend de la situation sur le marché des biens et plus particulièrement de
la demande « effective » DG2 ici sur le graphique ci-dessous (plus élevée que DG1). Dans
cette situation, il n’y a pas de chômage ; en L2 c’est le plein-emploi (alors qu’avec la
demande DG1, nous avions du chômage L1 L1*).
Ct
Inv
Offre globale
DG2
Demande globale
DG1
O
D1
D2
Y
(PIB)
jseco22
F) Comment les keynésiens luttent-ils contre le chômage ?
Pour Keynes le chômage apparaît lorsque la demande est insuffisante sur le marché des biens,
ce qui détermine un niveau de production insuffisant, donc une récession (faible croissance
économique, voire diminution de la production).
Pour sortir du chômage, il faut relancer la demande globale. L’Etat doit donc intervenir dans
l’économie et conduire une politique économique de relance. Pour cela il peut agir par :
1) la politique budgétaire : l’Etat augmente la dépense publique, notamment par une
politique de grands travaux (exemple du New Deal aux USA au début des années 1930, texte
ci-dessous). Ainsi l’investissement public vient prendre momentanément le relais de
l’investissement privé insuffisant. L’Etat dépense plus qu’il ne perçoit de recettes fiscales,
ce qui fait repartir l’économie. Et ceci d’autant plus qu’en investissant, il fait jouer le principe
du multiplicateur (le revenu national s’accroît au bout de n périodes d’un montant bien
supérieur à celui de l’investissement initial (voir article du 31 octobre 2014 et du 28 juillet
2013 sur ce blog). Cette politique budgétaire crée du déficit mais ce déficit se réduira de luimême plus tard puisque l’augmentation des revenus et la reprise de la consommation
occasionneront des rentrées fiscales supplémentaires.
Consommation
des ménages
Investissement
des entreprises
et des ménages
Demande
globale
Production
(Croissance
économique)
Emploi
Exportations
Reconstitution
des stocks
Investissement
des
administrations
publiques
Graphique :
Mais risque :
Importations
Autres risques :
Inflation
Déficit budgétaire
Endettement public
(jseco22, le 28
juillet 2013)
Ct
Inv
Offre globale
DG2
Demande globale
DG1
O
D2
D1
Y
(PIB)
jseco22
Sur ce graphique, la demande globale DG1 est insuffisante pour atteindre le plein emploi.
L’Etat fait augmenter cette demande globale en la faisant passer de DG1 à DG2 par un
programme d’investissements publics. Cette nouvelle demande globale DG2 permettra
d’accroître la production nationale, de créer des emplois supplémentaires et d’atteindre le
plein emploi (ci-dessous).
Demande de travail des
entreprises
D2
Offre de travail
des individus
D1
E2
Équilibre de plein-emploi
sal
E1
chômage
L1
L1* L2 Plein-emploi
Qté L
jseco22
Note : rappel du schéma du multiplicateur (article du 31 octobre 2014)
Secteur des biens d’équipement
Décision
d’inv
(1)
(+ 100
Millions €)
Commandes aux
entreprises
de BTP et
biens d’équipt
(+ 100)
Nécessité
de
produire +
Nécessité
de créer
des emplois
(directs)
(+ 100)
Création
et
distribution
de revenus
supplémentaires
+ de
Consommation
(+ 80)
(+ 100)
+ de
commandes
(2)
(+ 80)
(6)
+ de
production
(3)
Secteur des
Biens de
consommt
(+ 80)
(5)
(4)
(Jseco22, mai 2013)
+
d’emplois
Créés (indirects)
(+ 80)
+ de
revenus
Un investissement initial finit par engendrer au bout de n périodes un accroissement du
revenu national bien supérieur à la valeur de cet investissement initial.
2) la politique fiscale : il s’agit de baisser les impôts pour arriver au même résultat que
précédemment : pour les ménages, gain de pouvoir d’achat => reprise de la consommation
puis de la production. Pour les entreprises, la baisse ciblée des impôts permettra de stimuler
l’investissement productif et de redémarrer l’économie.
3) la politique monétaire : il s’agit ici de faire baisser le taux d’intérêt afin de relancer le
crédit en direction des ménages (consommation, investissement immobilier) et des entreprises
(pour favoriser l’investissement). Mais aujourd’hui, cette politique n’est plus du ressort de
l’Etat mais de la Banque Centrale Européenne, autonome (nombreux article sur ce sujet sur ce
blog, par exemple le 25 mars 2015).
Cependant, selon le modèle keynésien de Hicks (1937) « IS/LM » (épargne = investissement ;
offre de monnaie = demande de monnaie), la politique budgétaire est considérée comme plus
efficace que la politique monétaire en période de crise et de taux d’intérêt bas (création d’une
« trappe à liquidités » c’est-à-dire que des taux d’intérêt très bas ne suffisent pas pour relancer
l’investissement, il faut aussi des commandes supplémentaires donc les investisseurs attendent
et conservent leurs liquidités).
Conclusion :
Pour Keynes, le marché des biens et services et le marché du travail sont liés. Le marché du
travail est commandé par le marché des biens et services. Si, sur ce dernier marché, la
demande « effective » y est insuffisante, la production sera insuffisante pour obtenir le pleinemploi. Ceci provoquera un équilibre de sous-emploi sur le marché du travail, et du chômage
« involontaire ». Les travailleurs sont victimes de l’illusion monétaire, il y a une rigidité à la
baisse du salaire nominal sur le marché du travail, contrairement aux néoclassiques.
Mais le chômage n’est pas expliqué seulement par les néoclassiques et les keynésiens.
D’autres causes structurelles (comme le progrès technique) peuvent être avancées, ce sera le
sujet d’un prochain article.
Note pour aller plus loin :
Schéma général du fonctionnement de l’économie chez Keynes
Propension
marginale à
consommer
Rendement
escompté de
l’inv
Taux
d’intérêt
Demande de
monnaie L =
L1 + L2 avec
L1 = motifs de
transaction,
précaution et
L2 = motif
de spéculation
Demande de
biens et services
(consommation)
Demande de
biens
d’équipement
(investissement
privé)
Demande
« effective
»
Niveau de la
production à
réaliser
Demande étrangère
(exportations)
Offre de
monnaie =
Politique
monétaire de la
Banque
centrale
Niveau
nécessaire de
l’emploi
Création ou
suppression
d’emplois
Niveau du
chômage
Préférence
pour la
liquidité
Jseco22
Légende des couleurs :
en lilas, le marché de la monnaie,
en vert et orange le marché des biens et services (demande et offre),
en jaune le marché du travail.
Prochain article en mars
les causes du chômage (fin) : progrès technique et nouvelles théories
Jseco22, le 23 février 2016
Ancien professeur agrégé de sciences économiques et sociales