Mise en page 1

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Mise en page 1
D’UN JARDIN L’AUTRE…
L’abbaye de Lagrasse
UN AVANT-GOÛT
DU PARADIS
Au cœur du pays que l’on dit cathare, à quelques kilomètres au sud de
Carcassonne, l’abbaye Sainte-Marie de Lagrasse revit après une longue
errance. Une parenthèse spirituelle, loin du temps et des circuits
touristiques. Par Marianne Niermans Photos Christophe Loviny
Au pied des hauts murs
des absidioles,
le jardin a pris place
dans l’ancien cimetière
des moines.
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D’UN JARDIN L’AUTRE… LAGRASSE
De l’autre côté de
l’Orbieu, la rivière
de l’or, l’abbaye
Sainte-Marie
regarde Lagrasse,
un des plus beaux
villages de France.
Voué à la Vierge et
à tous les saints, le
jardin planté de
sauge, de lavande
et de romarin est
une réponse à des
aspirations
spirituelles.
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D’UN JARDIN L’AUTRE… LAGRASSE
L
e lieu est serein, lumineux, ouvert sur le monde.
Face à Lagrasse, un des plus beaux villages de
France, l’abbaye Sainte-Marie déroule un tapis
de verdure au pied des hauts murs de son chevet les absidioles regardent, à l’est, le soleil se
lever. À ses pieds, coule l’Orbieu, la rivière de l’or, généreuse et sauvageonne, bordée de petits jardins potagers.
Le temps s’étire doucement. Un mur de pierre, une grille
de fer, un long canal, une lourde porte de bois gardée par
deux cyprès imposants, l’endroit est clos, à l’abri des
regards, rythmé par la cloche de la tour monumentale qui,
tout au long de la journée, invite à la prière. Apaisant, cet
enclos du Bon Dieu se vit comme une action de grâce où
les grenouilles, les oiseaux, les fleurs, les papillons et les
hommes célèbrent la gloire du Seigneur. Des carrés
Trente-quatre
chanoines ont ramené
à la vie spirituelle
l’abbaye Sainte-Marie
de Lagrasse, qui
résonne aujourd’hui
de chants grégoriens.
Au pied de l’abbatiale,
le jardin du Bon Dieu
se vit comme une
action de grâce.
Renaissance voués à la Vierge, saint Joseph et tous les
saints, un labyrinthe rendant hommage à Philippe de
Lévis, abbé commendataire et grand bâtisseur devant
l’Éternel, des paillages médiévaux que se disputent des
simples et des céréales évoquant celles que les moines cultivaient autrefois… Ce petit paradis, sur lequel veille frère
Bernard, un des quatre jardiniers de la communauté,
témoigne du renouveau de ce lieu voué à la prière et à la
charité. Créé en 2005 à l’emplacement du jardin et de
l’ancien cimetière des moines par Chantal Dauchez, historienne spécialiste des jardins, enseignante à l’université
de Tours, ce jardin monastique est une réponse à des aspirations de méditation et de paix dans un monde bousculé.
Une première abbaye du VIIIe siècle, une deuxième du
XIIIe, une troisième du XVIIIe, le temps se déchiffre en
ces murs. Monumental et omniprésent. Strates d’histoire,
légendes accumulées, la tradition veut que Charlemagne,
allant prêter main-forte à Roland, s’arrête sur la route de
l’Espagne en cette « maigre vallée » où vivent dans le plus
grand dénuement sept ermites « nimbés d’une aura de
lumière». Impressionné par leur sagesse, l’empereur décide
aussitôt de construire une abbaye et d’enrichir le vallon…
qui deviendra la « grasse vallée » (Lagrasse...). Dépêché en
personne pour consacrer l’église, le pape voit en songe, la
veille de la cérémonie, le Christ descendre dans l’abbatiale
et procéder lui-même à la dédicace. « Stupéfaction. À son
réveil, il constate que les murs ruissellent d’eau lustrale.
Onction divine ! Tel un reliquaire, des parois gothiques
viendront par la suite les enchâsser », raconte le père JeanBaptiste.
Passent les siècles. L’abbaye Sainte-Marie de Lagrasse s’enrichit au point de devenir une des plus puissantes du sud
de la France et d’occuper la première place en Languedoc.
25 prieurés, 67 églises, 91 places fortes, 6 abbayes… ses
innombrables possessions s’étendent d’Albi à Saragosse.
Florissant, ce lieu de charité connaîtra tout au long de son
histoire décadences, réformes, ferveurs et renaissances spirituelles. Reprise en 1663 par la congrégation des
Bénédictins mauristes, appliquant à la lettre les trois
grands principes de l’architecture classique, « de l’air, de
la noblesse, de la lumière », l’abbaye se voit dotée d’une
cour d’honneur et d’un cloître magnifique, en grès ocre
flammé « peau de pêche et ventre de biche », souligne le
père Jean-Baptiste. La Révolution viendra clore un chapitre de l’histoire. Tour à tour pillée, vendue comme bien
national en 1796, transformée en hospice de vieillards,
cédée à un investisseur la promettant à un avenir hôtelier,
l’abbaye échappe de peu à un destin commercial. Rachetée
en 2004, elle est aujourd’hui ramenée à la vie spirituelle
par 34 chanoines réguliers de la Mère de Dieu, qui accueillent les touristes et font résonner les chants grégoriens. Un
nouveau miracle. ●
Abbaye Sainte-Marie, 6, rive Gauche,
11220 Lagrasse. Tél. : 04 68 58 11 58.
www.chanoines-lagrasse.eu
CE JARDIN MONASTIQUE EST UNE RÉPONSE
À DES ASPIRATIONS DE MÉDITATION ET DE PAIX
DANS UN MONDE BOUSCULÉ.
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D’UN JARDIN L’AUTRE… LAGRASSE
Des carrés de
simples, de lin
et de céréales
évoquent les
culltures
pratiquées
autrefois par
les moines.
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