Le Rôle des Inspecteurs du Travail

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Le Rôle des Inspecteurs du Travail
Le Rôle des Inspecteurs du Travail
Anne-Marie GAUTIER, animatrice de la Table Ronde 1
Que vont faire les inspecteurs du travail dans toutes ces pratiques et initiatives différentes 1 au
regard de la QVT et qui se mettent en place ?
Laurent PINA, inspecteur du travail
Excellente question. L’inspection du travail est confrontée à un nouveau texte, comme les
entreprises, mais un texte, comme cela a déjà été dit, qui ne crée pas d’obligation pour les acteurs
de l’entreprise, et notamment pour l’employeur. Par exemple, il n’existe pas de sanction liée à la
non application de l’ANI « QVT et égalité professionnelle ». Ce texte n'est pas créateur de normes.
Pour cette raison, en particulier, la QVT ne devrait pas modifier la pratique professionnelle des
agents de contrôle de l’inspection du travail.
Néanmoins, les agents de contrôle peuvent se charger de la "promotion" d’un texte nouveau, voire
plus généralement peuvent être appelés à le présenter et à l’expliquer à la demande des acteurs de
l’entreprise. En effet, et c’est déjà le cas, nous sommes sollicités, même si cela demeure encore peu
fréquent, par les CHSCT pour expliquer ce texte, dire ce qui est nouveau, indiquer ce qu’il pourrait
changer dans l’entreprise, etc.
Si ce nouveau texte ne devrait pas modifier les pratiques professionnelles des inspecteurs du
travail, il se présente néanmoins comme une boîte à outils à utiliser au cas par cas. Il présente une
méthode de travail, qui place le dialogue social au cœur du débat. De ce point de vue, il pourrait
être tout à fait envisageable de s’appuyer dans une lettre d’observation adressée à l’employeur sur
des points particuliers de l’ANI « QVT », pour argumenter et sensibiliser un chef d’entreprise sur les
enjeux de la QVT.
En ce sens, on pourra souligner l’intérêt de ce texte, même si sa mise en œuvre n’en est qu’à ses
débuts. Un bilan de sa mise en œuvre et de la plus-value apportée par la déclinaison de l’ANI dans
les entreprises, devra être fait. L’évaluation est d’ores et déjà prévue par les services du Ministère
du Travail.
1
Cette première table ronde a permis de présenter 3 exemples concrets de la mise en application de l’ANI QVT dans les entreprises
CMA-CGM, Arkopharma et La Poste. Dans le premier cas, seul le président du CHSCT (et DRH) représentait l’entreprise, justifiant
l’absence à ses côtés des membres désignés du CHSCT par la tenue d’élections professionnelles le jour-même.
Intervention de Laurent Pina, inspecteur du travail, DIRECCTE PACA, UT06 - 1/3
En revanche, la QVT recouvre des sujets que l’inspection du travail connaît bien et pour lesquels
elle dispose déjà de l’outil pénal pour agir. Il s’agit des thématiques contenues dans l’ANI telles que
l’égalité professionnelle femmes/hommes et notamment l’égalité salariale, la lutte contre les
discriminations, tout ce qui se réfère à la durée du travail et au droit au repos, les textes sur la
précarité, la prévention des risques liées aux facteurs psychosociaux et la mise à jour du document
unique, notamment.
Aussi, l’inspection du travail n’a-t-elle pas attendue l’ANI pour répondre à des enjeux tels que
l’articulation ou la conciliation des temps sociaux, notamment au travers du respect des 11 heures
de repos entre deux périodes de travail ou au contrôle des durées maximales de travail, par
exemple.
L’intérêt de l’ANI repose toutefois sur le fait qu’il redonne de la consistance à des thématiques
traditionnelles tout en faisant des liens, parfois oubliés mais pourtant essentiels, entre par exemple
qualité des conditions de travail et performance ou encore respect du principe de nondiscrimination femmes/hommes et performance de l’entreprise.
Comme les intervenants précédents, je partage l’avis sur le caractère peu ambitieux des accords
d’entreprise déjà signés au regard de l’ANI ; accords d’entreprise qui se contentent le plus souvent
d’aborder la question à la périphérie du sujet (crèches, salles de sport, conciergerie, etc.) et n’ont
pas encore saisi, de mon point de vue, la véritable opportunité de l’ANI sur la QVT qui consiste à
investir l’organisation du travail et la mise en débat des conditions de travail dans l’entreprise.
Par certains côtés, on pourrait être amené à penser que les accords réinventent des missions
propres aux comités d’entreprises en matière d’activités sociales et culturelles. Il apparaît
clairement que l’ambition des négociateurs de l’ANI est ailleurs.
Ainsi, on pourra lire dans certains accords QVT la référence à un droit à la déconnexion ou qui
abordent le télétravail, par exemple. Mais quel est le sens d’un droit théorique à la déconnexion s’il
n’est pas couplé à une réflexion de fond sur la charge de travail et si par ailleurs, les salariés
continuent à travailler chez eux, ou pendant leurs congés, sur des ordinateurs à domicile où à l’aide
de toutes sortes d’équipements nomades (clés USB, etc.) ?
S’agit-il pour autant de simples déclarations de bonnes intentions et de marketing social ? Il est trop
tôt pour le dire.
A propos de questions qui sont posées aux inspecteurs du travail, citons l’exemple fréquent suivant:
que va devenir la prévention des RPS avec l’avènement de la QVT ? L’accord national répond luimême qu’il n’y a pas concurrence, mais bien complémentarité : le thème de la prévention des RPS
trouve bien sa place dans le cadre de cette méthodologie de travail qu’est la QVT.
Intervention de Laurent Pina, inspecteur du travail, DIRECCTE PACA, UT06 - 2/3
Il s’agit toutefois d’être vigilant sur des dévoiements limités mais toujours possibles de la démarche
(mises en retrait des démarches RPS au profit de démarche QVT a minima, démocratie directe au
détriment du fonctionnement habituel des IRP, etc.). Chacun doit se former à cette nouvelle
méthodologie de travail pour la maîtriser et la rendre utile et efficace dans l’entreprise, à côté
d’outils qui existent toujours (document unique et prévention des RPS, notamment).
Force est de constater toutefois que la démarche d’évaluation et de prévention des RPS a parfois
montré ses limites dans les entreprises, en accouchant péniblement de plan d’actions à très faible
valeur ajoutée. Cela n’est pas une règle absolue, le cas inverse existant, mais la démarche pose
toutefois la question de l’opérationnalité ou au moins celle d’une certaine complexité dans la
démarche d’évaluation a priori des RPS, notamment dans les projets de réorganisation ou de
mutations économiques. Est-ce que la QVT va faciliter la prise en compte des conditions de travail
dans ce type de procédures ? Va-t-elle s’avérer plus simple à mettre en œuvre que la démarche
d’évaluation a priori des RPS ? Les deux démarches couplées vont-elles s’enrichir mutuellement ?
Les résultats qui seront tirés de l’expérimentation en cours nous le diront.
Anne-Marie GAUTIER, animatrice de la Table Ronde 1
Faut-il passer le même temps que celui passé pour les RPS ?
Laurent PINA, inspecteur du travail
Ce qui m’interpelle, c’est qu’après de longues années – au moins 10 - passées à tenter de
s’entendre sur les termes du débat (stress, risques psychosociaux, plan d’action RPS), c’est au
moment où l’on commence à partager, tous, les mêmes définitions et que les méthodes
commencent à être maîtrisées, que l’on change de paradigme – en passant des RPS à la QVT.
Espérons que nous n’aurons pas besoin de 10 nouvelles années pour s’entendre sur les nouveaux
termes du débat. Mais, s’agissant de qualité de vie au travail et de conditions de travail, les notions
et définitions existantes apparaissent plus naturellement accessibles.
Intervention de Laurent Pina, inspecteur du travail, DIRECCTE PACA, UT06 - 3/3

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