La France a résilié la Convention fiscale sur les successions avec la

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La France a résilié la Convention fiscale sur les successions avec la
DROIT
IMMOBILIER
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La France a résilié la Convention
fiscale sur les successions avec
la Suisse: quelles conséquences
en matière immobilière?
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n juin, la France a résilié unilatéralement la Convention
de double imposition relative aux droits de succession avec
la Suisse. Cette Convention (ciaprès: CDI), entrée en vigueur en
1955, ne sera plus applicable dès le
1er janvier 2015. Dès l’année prochaine, les décès qui auront des
conséquences dans les deux pays
seront traités par chaque pays selon leur droit interne. Lorsque des
cas de double imposition se présenteront, il n’existera plus, comme
actuellement, de règles communes
à la France et la Suisse pour les éviter. Or, les cas de double imposition
seront malheureusement nombreux
en raison des règles de droit interne
français, qui prennent en compte
des critères de rattachement beaucoup plus nombreux que les standards de l’OCDE, standards que
la Suisse respecte pleinement dans
le cadre de la défunte CDI et dans
son droit interne.
La CDI ne traite pas des donations
qui sont régies par le droit interne
de chacun des pays. La résiliation
ne changera donc rien à la situation
qui prévaut actuellement.
La CDI prévoit qu’une succession
est imposable, dans son entier, au
lieu du dernier domicile du défunt,
sauf pour: 1) les immeubles, y c. les
accessoires, qui sont imposables au
lieu où ils se trouvent, 2) les actifs
d’un indépendant, disposant d’un
établissement dans l’autre pays, imposables dans ce dernier pays. Ces
critères de rattachement sont ceux
appliqués par la Suisse dans son
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Par Nicolas Buchel,
associé Oberson Avocats.
Héritiers
Tranches (en Euros)
Taux d’imposition
conjoint survivant / partenaire
en ligne directe
(enfants, parents,…)
franchise de € 100 000
en dessous de 8072
entre 8072 et 12 109
entre 12 109 et 15 932
entre 15 932 et 552 324
entre 552 324 et 902 838
entre 902 838 et 1 805 677
au-dessus de 1 805 677
en dessous de 24 430
au-dessus de 24 430
au-dessus de 7967
au-dessus de 1594
exemption
5%
10%
15%
20%
30%
40%
45%
35%
45%
55%
60%
entre frères et sœurs
franchise de € 15 936
en faveur des neveux et nièces
franchise de € 7967
au-delà du 4e degré et des tiers
franchise de € 1594
Droits de succession - taux d’imposition en France
droit interne, ou plus précisément
ceux que les cantons appliquent, en
l’absence de droit de succession au
niveau fédéral.
Le droit français ajoute aux critères
de rattachement mentionnés ci-dessus pour imposer une succession:
3) le lieu du domicile d’un ou des
héritiers s’ils ont résidé en France
depuis au moins six ans au cours des
dix dernières années, 4) le lieu de situation de tous biens mobiliers s’ils
se situent en France (objets d’art,
créances envers des débiteurs français, titres français, etc.), comme
c’est le cas pour les immeubles.
Une double imposition existera
donc au moins chaque fois que le
défunt décédera en Suisse et qu’un
ou plusieurs héritiers seront résidants en France depuis au moins
six ans. Dans ces cas, les deux pays
se considèreront comme compétents pour imposer la succession. La
France élimine la double imposition
seulement lorsqu’un bien immobi-
lier ou mobilier se situe en Suisse,
en accordant un crédit d’impôt égal
au montant d’impôt payé effectivement en Suisse, et pour autant que
l’impôt suisse n’excède pas le montant de l’impôt français, ce qui n’est
pratiquement jamais le cas.
Kafkaïen!
Le cas le plus choquant surviendra lorsqu’un défunt domicilié à
Genève décèdera et que son seul
héritier sera son enfant domicilié en France, souvent parce que
ce dernier n’a pas pu acquérir son
logement en Suisse, bien que continuant à y travailler. Si le défunt
est propriétaire de son logement,
ou qu’il est propriétaire d’une
résidence secondaire en Suisse,
Genève ne prélèvera pas de droit
de succession du tout, mais l’héritier devra néanmoins payer des
impôts français sur l’ensemble de
la succession quand bien même le
défunt n’a aucun actif en France!
Un retour programmé pour
beaucoup de Suisses résidant
en France.
Et le taux maximum entre parent et
enfant en France est de 45% dès €
1,8 million. Comme Genève, et très
certainement également le canton
dans lequel se trouve la résidence
secondaire, ne prélève pas de droit
de succession entre parent et enfant,
il n’y aura pas de double imposition
de fait (et pas de crédit d’impôt),
mais uniquement une imposition en
France. Dès 2015, l’héritier devra
toujours payer au moins l’impôt de
succession le plus élevé des deux
pays, si ce n’est les deux!
Il y aura également double imposition chaque fois qu’un défunt et ses
héritiers sont domiciliés en Suisse et
que le défunt est propriétaire d’un
immeuble en France, détenu sous
la forme juridique d’une SCI, typiquement une résidence secondaire.
Actuellement, c’est la Suisse qui a
seule le droit d’imposer les parts de
la SCI selon le texte de la CDI en
vigueur jusqu’à la fin de l’année. Dès
2015, selon le droit interne français,
la SCI détenant principalement un
bien immobilier sera imposable en
France comme un immeuble détenu en nom. La Suisse imposera les
parts de la SCI, car elle considère
les titres comme des biens meubles,
et non comme un immeuble, donc
imposables au dernier domicile du
défunt. Si le défunt et l’héritier sont
des concubins, soit des personnes
sans lien de parenté, à Genève le
taux d’imposition est de 54,6%
dès CHF 100 000 et en France de
60% dès € 1594. Il en résultera une
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–
charge fiscale totale sur ce bien immobilier de 114,6% ! En droit français, la charge fiscale est calculée sur
la valeur vénale du bien immobilier
et des parts de la SCI. Tel est également le cas à Genève, mais d’autres
cantons comme le Valais se fondent
sur la valeur fiscale, qui est souvent
plus basse. Il ne sera pas possible de
contester cette double imposition.
Si le bien immobilier situé en France
est détenu en nom, il sera imposable
en France exclusivement et pas en
Suisse, comme c’est déjà le cas actuellement sous l’empire de la CDI.
C’est pour éviter une imposition en
France que les biens immobiliers
sont très souvent détenus par des
propriétaires suisses sous forme de
SCI. Ce qui constituait une planification fiscale efficace en raison de
taux d’imposition suisses nuls entre
conjoints et entre parent et enfant,
ou plus faibles pour les autres catégories d’héritiers qu’en France,
pourra entraîner en 2015 une charge
fiscale beaucoup plus élevée.
Un retour en Suisse
En conclusion, la résiliation de la
CDI sur les successions entre la
France et la Suisse constitue une
entrave à la mobilité entre nos deux
pays. Prochainement, on devrait
assister à des transferts de domicile de France en Suisse pour éviter que, lors du décès de parents
en Suisse, les héritiers qui résident
actuellement en France ne soient
imposables dans les deux pays. Ces
N O V E M B R E
2 0 1 4 personnes vendront leur propriété
en France dans un marché en baisse
s’il est proche de la frontière, pour
acquérir un bien immobilier sur un
marché suisse et surtout genevois
encore tendu. L’attractivité de la
zone frontalière française pour les
Suisses devrait dès maintenant diminuer. Ceci est tout particulièrement
vrai pour Genève et sa région.
Les résidences secondaires détenues sous la forme de SCI depuis
de nombreuses années par des résidants suisses, dont les héritiers sont
également résidants suisses, courent
le risque d’être imposées très lourdement par les deux pays, suivant
le lien de parenté entre le défunt et
l’héritier. Cette nouvelle situation
pourrait entraîner la vente de ces
biens immobiliers français, en particulier si la durée de détention est
suffisamment longue pour que l’impôt français sur les plus-values immobilières soit réduit au minimum
(actuellement au moins 30 ans).
On peut affirmer, sans qu’il soit possible de faire des estimations, que
la France va connaître un désinvestissement de la part de résidants
suisses.
Si l’Initiative qui vise à introduire
un impôt fédéral de succession au
taux fixe de 20% dès CHF 2 millions quel que soit le lien de parenté
(seul le conjoint sera exonéré) est
acceptée lors de la votation qui
devrait se tenir en 2015, les cas de
double imposition augmenteront
considérablement. n
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