L`Espace Santé Jeune de Saint-Germain sur Moine
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L`Espace Santé Jeune de Saint-Germain sur Moine
UNIVERSITÉ DE NANTES FACULTÉ DE MÉDECINE Année : 2016 N° THÈSE pour le DIPLÔME D'ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE (DES de MÉDECINE GÉNÉRALE) Par Clément Le Glatin Né le 26 mai 1987 à Évry Présentée et soutenue publiquement le 09 février 2016 L’Espace Santé Jeune de Saint-Germain sur Moine Étude de la participation de médecins généralistes à un projet d’éducation pour la santé mené en milieu scolaire Président du jury : Directeur de Thèse : Madame le Professeur Leïla Moret Monsieur le Docteur Patrick Lamour Remerciements Madame le Professeur Leïla Moret, Professeur des Universités et Praticienne Hospitalière en santé publique, je vous remercie d’avoir bien voulu présider ce jury. Monsieur le Docteur Patrick Lamour, médecin généraliste, ancien directeur de l'IREPS de pays de la Loire, merci pour tout ce que vous m'avez apporté humainement et intellectuellement durant nos échanges et mon stage. Merci d'avoir inspiré et dirigé ce travail. Madame le Docteur Céline Bouton, médecin généraliste et Maître de Conférence de Médecine générale, merci pour vos encouragements et vos conseils avisés. Merci d'avoir accepté de participer à ce jury. Monsieur le Professeur Jean-Noël Trochu, Professeur des Universités et Praticien Hospitalier en cardiologie, je vous remercie d’avoir accepté de juger ce travail. Soyez assuré de mes sincères remerciements. À Gaëlle, pour tout ce qui ne peut pas se dire en quelques mots, À mes parents pour m'avoir toujours apporté un « certain regard » et m'avoir permis de développer mon esprit critique. Pour m'avoir accompagné et encouragé dans tout ce que j'ai entrepris, À Thibault pour sa présence, sa patience et le plaisir de pousser la chansonnette avec toi, À Pierre-Charles, Antoine, François et Jeoffrey pour les longues heures à défaire et refaire le monde (pourvu que ça dure!), pour les belles aventures et pour le bout de chemin fait à vos côtés, Aux Trompettes de Fallope pour m'aider à me vider la tête quand il y en a besoin, À Ilhem et Thomas pour m'avoir supporté pendant une longue année de D4, À Matthieu, Nathalie, Tao, Thomas, Alexis, Thibault et les kabésiens avec qui j'ai découvert la médecine… et quelques autres petites choses aussi, pour les belles tranches de rigoulades ! À mes maîtres d'internat, Anne, Hélène, Sylvie, Catherine, Patrick, Marcellin et Laurent. Merci d'avoir su partager votre expérience et votre goût pour la médecine, A tout l'IREPS du 44 pour m'avoir aidé à bousculer mes représentations sur la santé et le rapport aux autres, cette thèse est le fruit de notre rencontre, À Patrick B pour nos beaux échanges, pour ton aide précieuse dans ce travail, À Isabelle et Patrick pour leur transmission de savoir, Aux patients rencontrés, pour ce qu'ils m'ont appris et pour ce qu'ils continuent à m'apprendre, Aux élèves et enseignants du Collège Jean Blouin, aux médecins de la maison Médicale de Saint Germain et à l'animateur jeunesse du CSI qui m'ont permis de réaliser ce travail, À mes courageux relecteurs : Séléna et Pierre-Charles, Et à tous ceux qui m'ont un jour, par leur expérience, leur écoute, leur présence, permis de faire quelques pas de plus sur la route. Liste des abréviations AJ Animateur Jeunesse ARS Agence Régionale de Santé CESC Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté CPS Compétences Psycho-Sociales CSI Centre Social Intercommunal Dir Le directeur du collège EPS Éducation Pour la Santé ETP Éducation Thérapeutique du Patient ESJ Espace Santé Jeune EVAS Éducation à la Vie Affective et Sexuelle INPES Institut National de Prévention et d'Éducation pour la santé IREPS Instance Régionale d'Éducation et de Promotion de la Santé (ex CREDEPS) MG Médecin Généraliste PDS Promotion de la Santé Mod Modérateur des entretiens (le chercheur) MSP Maison de Santé Pluridisciplinaire OMS Organisation Mondiale de la Santé WONCA World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners / Family Physicians Table des matières INTRODUCTION..................................................................................................................8 CONTEXTE.......................................................................................................................9 I.Prévention, éducation pour la santé... De quoi parle-t-on ?...................................9 A.La prévention, des définitions floues….............................................................9 B.Classifications des pratiques de prévention....................................................10 C.Notions nécessaires à la compréhension du concept d'éducation pour la santé...................................................................................................................12 D.L'éducation pour la santé................................................................................23 II.Prévention et éducation pour la santé en médecine générale............................26 III.L'éducation pour la santé en milieu scolaire.......................................................29 A.Mise au point sur les compétences psycho-sociales......................................30 IV.Contexte du projet Espace Santé Jeune............................................................31 A.La commune de Saint-Germain sur Moine.....................................................31 B.Le cabinet médical Averroès...........................................................................32 C.Le collège Jean Blouin....................................................................................34 D.Le projet Espace Santé Jeune........................................................................35 MATÉRIEL ET MÉTHODE.....................................................................................................39 I.Description et objectif de l'étude...........................................................................39 II.Lieu de l'étude......................................................................................................39 III.Population de l'étude...........................................................................................39 A.Définition de la population...............................................................................39 B.Critères d'inclusion..........................................................................................40 C.Critères d'exclusion.........................................................................................40 D.Constitution du corpus de l'enquête qualitative..............................................40 IV.Recueil des données...........................................................................................40 A.Le choix d'une méthode mixte.........................................................................40 B.Méthodes de recueil des données..................................................................41 V.Déroulement de l'étude........................................................................................42 A.Protocole de l'étude.........................................................................................42 B.Élaboration des outils de recueil des données...............................................43 C.Recrutement des participants.........................................................................45 D.Retranscription................................................................................................46 VI.Analyse des données.........................................................................................46 A.Analyse qualitative...........................................................................................46 B.Analyse quantitative........................................................................................46 C.Intégration des résultats..................................................................................47 RÉSULTATS....................................................................................................................48 I.Déroulement et population de l'étude...................................................................48 A.Entretiens.........................................................................................................49 B.Questionnaire..................................................................................................51 II.Analyse transversale............................................................................................54 A.Le projet Espace Santé Jeune (ESJ)..............................................................54 B.Espace Santé Jeune et pratiques professionnelles........................................95 DISCUSSION.................................................................................................................109 I.A propos de ce travail de recherche, discussion de la validité interne...............109 A.Choix de la méthode mixte............................................................................109 B.Critères d'inclusion, échantillonnage.............................................................110 C.Richesse des données..................................................................................111 D.Analyse..........................................................................................................112 II.A propos des résultats de cette étude, discussion de la validité externe..........112 A.Réflexion sur la forme des interventions d'éducation pour la santé..............112 B.Rapport des jeunes au médecin généraliste et à la consultation médicale. .118 C.Une expérience d'interprofessionnalité.........................................................121 D.Réflexion sur la rémunération d'un tel projet................................................125 E.Perspectives..................................................................................................127 CONCLUSION................................................................................................................132 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES.......................................................................................133 ANNEXES.....................................................................................................................137 Verbatims des entretiens.......................................................................................137 Annexe 1 : Mise au point sur les représentations sociales...................................137 Annexe 2 : Mise au point sur la notion d'autonomie.............................................139 Annexe 3 : Grilles d'entretien................................................................................140 Annexe 4 : Flyer invitant les élèves à participer au questionnaire........................144 Annexe 5 : Questionnaire élèves..........................................................................145 Annexe 6 : Résultats du questionnaire.................................................................151 Annexe 6 : Documents concernant l'ESJ fournis par la maison médicale et le collège...................................................................................................................159 Annexe 7 : Exemples de thèmes choisis par les adolescents grâce aux post-it..160 Introduction INTRODUCTION L'Espace Santé Jeune (ESJ) est un projet d'éducation pour la santé mené dans un collège du Maine et Loire à l'initiative de médecins généralistes du secteur. Depuis sa création en 2007-2008, ce projet réunit différentes structures locales : la maison médicale de la commune, le collège privé Jean Blouin et le Centre Social Intercommunal (CSI, dépendant de la communauté de communes). Ces différents professionnels proposent aux jeunes collégiens de la 6ième à la 3ième de participer à des espaces de parole sur la santé. La participation des élèves aux séances mensuelles et le choix des thèmes de discussion est libre. Chaque séance a lieu en présence de deux adultes : l'un des cinq médecins généralistes, accompagné d'un enseignant ou de l'animateur jeunesse du CSI. Ce projet ne dépend d'aucun programme de financement, la participation volontaire des animateurs n'entraine pas de rémunération supplémentaire. Quatrième axe de la Promotion de la Santé, l'éducation pour la santé vise à développer les connaissances et les aptitudes qui favorisent la santé de l'individu et de la communauté (1). L'éducation pour la santé en milieu scolaire se base en pratique sur l'échange autour des représentations en santé de chacun, le développement des compétences psycho-sociales et l'apport de connaissances (2). Définie au sein des caractéristiques de la médecine générale par la WONCA en 2002, l'éducation pour la santé pose cependant certaines difficultés pratiques en médecine générale (3). Original, le projet de l'ESJ pose les questions de la perception, du sens et des bénéfices que lui confèrent ses participants. Cette étude mixte, majoritairement qualitative, tentera d'explorer les représentations et les effets perçus de l'Espace Santé Jeune par ses différents acteurs, afin de mieux comprendre ce projet d'éducation pour la santé mené par des généralistes en milieu scolaire. 8 Contexte CONTEXTE I. Prévention, éducation pour la santé... De quoi parle-t-on ? A. La prévention, des définitions floues… Le terme prévention dérive étymologiquement du latin praeventio «action de devancer, action de prévenir en avertissant». Depuis la définition proposée par l'OMS en 1948 à la définition de la loi du 4 mars 2002, les champs de la prévention se sont considérablement élargis : de l'évitement des maladies à la promotion de la santé, le terme prévention regroupe aujourd'hui des pratiques multiples se défendant de concepts théoriques radicalement différents. C'est pourquoi, comme l'indiquent les deux derniers rapports publiques sur le sujet, la prévention est difficile à définir… En introduction du rapport d'enquête de la Cour des Comptes d'octobre 2011, les auteurs signalent que « l'imprécision du champ [de la prévention ] a conduit de fait à adopter différentes classifications qui traduisent de considérables disparités d’approches » (4). Même constatation pour les auteurs du rapport Flajolet en 2008 qui précisent que « La prévention fait partie de ces concepts dont nous avons tous une connaissance intuitive mais qui finalement posent des difficultés dès lors qu’il s’agit d’en livrer une définition précise » (5). Voici cependant quelques repères : • OMS 1948 : "La prévention est l'ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps" (5). C'est la définition historique de la prévention, centrée sur l'évitement des maladies et des risques. • Loi de 4 mars 2002 (4) : « La politique de prévention a pour but d’améliorer l’état de santé de la population en évitant l’apparition, le développement ou l’aggravation des maladies ou accidents 9 Contexte et en favorisant les comportements individuels et collectifs pouvant contribuer à réduire le risque de maladie et d’accident. À travers la promotion de la santé, cette politique donne à chacun les moyens de protéger et d’améliorer sa propre santé. La politique de prévention tend notamment à réduire les risques éventuels pour la santé liés aux multiples facteurs susceptibles de l’altérer, tels l’environnement, le travail, les transports, l’alimentation ou la consommation de produits et de services, y compris de santé ; à améliorer les conditions de vie et à réduire les inégalités sociales et territoriales de santé ; à entreprendre des actions de prophylaxie et d’identification des facteurs de risque ainsi que des programmes de vaccination et de dépistage des maladies ; à promouvoir le recours à des examens biomédicaux et des traitements à visée préventive ; à développer des actions d’information et d’éducation pour la santé et à développer également des actions d’éducation thérapeutique » Bien que la loi du 4 mars ait été complétée depuis par la loi de santé publique du 9 août 2004, la cour des comptes l'a choisie pour définir la prévention car elle illustre une conception « extensive » et exhaustive des pratiques de prévention. • Rapport Flajolet, 2008 (5) : « Une définition de la « prévention globale » entendue comme la gestion de son capital santé : gestion active et responsabilisée par la personne de son capital santé dans tous les aspects de la vie. L’action de promotion de la santé, de prévention des maladies ou d’éducation thérapeutique est déclenchée par un ou des professionnels. Une participation active de la personne, ou du groupe ciblé, est systématiquement recherchée. » B. Classifications des pratiques de prévention Selon les auteurs du Traité de Santé Publique publié en 2007 (6), les actions de prévention peuvent être divisées en deux cadres théoriques en fonction des concepts idéologiques auxquels elles se rattachent. Cette classification est complétée par une approche plus pratique : classification en fonction du niveau d'évolution de la maladie, ou en fonction du public bénéficiaire des actions de prévention. 1. Classification conceptuelle Les deux cadres théoriques sont définis en fonction du concept auquel s'attachent les interventions de prévention (6) : 10 Contexte • La prévention dite de "protection" qui est avant tout une prévention "de", ou "contre", laquelle se rapporte à la défense contre des agents ou des risques identifiés. • La prévention dite "positive" voire universelle, du sujet ou de la population, sans référence à un risque précis, qui renvoie à l'idée de "promotion de la santé". 2. Classification en fonction de l'évolution de la maladie Il s'agit de la classification en prévention primaire, secondaire ou tertiaire (5) : • Avant l'apparition de la maladie : prévention primaire. Le but est de diminuer l'incidence d'une maladie dans une population en réduisant autant que faire se peut les risques d'apparition de nouveaux cas (prise en compte des conduites individuelles à risque, et des risques environnementaux ou sociétaux). • Au tout début de la maladie : prévention secondaire. Le but est de diminuer la prévalence d’une maladie dans une population en agissant au tout début de l’apparition de la pathologie afin de s’opposer à son évolution (dépistage), ou encore en diminuant les facteurs de risque. • Une fois la maladie installée : prévention tertiaire. Le but est de diminuer la prévalence des complications, invalidités ou rechutes consécutives à la maladie chronique. En d’autres termes, il s’agit d’amoindrir les effets et séquelles d’une pathologie ou de son traitement. Par ailleurs, la prévention tertiaire vise la réadaptation du malade, sous la triple dimension du médical, du social et du psychologique (rôle de l'éducation thérapeutique du patient). 3. Classification en fonction de la population à laquelle s'adresse la prévention En parallèle, en 1982, RS Gordon (5) propose une approche de la prévention, non basée sur le stade d'évolution de la maladie mais sur le type de public bénéficiaire. C'est l'approche populationnelle. Elle distingue elle aussi trois types de prévention : • La prévention universelle est destinée à l’ensemble de la population, quel que soit son état de santé. Le champ de « l’éducation pour la santé » se réfère à cette notion. • La prévention sélective s’exerce en direction d'un sous-groupe de population spécifique : automobilistes, travailleurs du bâtiment, hommes de plus de 50 11 Contexte ans, etc. Ainsi, des campagnes telles que la promotion du port de la ceinture de sécurité, ou encore de la contraception constituent des exemples d’action de prévention sélective. • La prévention ciblée est non seulement fonction de sous-groupes de la population mais aussi et surtout fonction de l’existence de facteurs de risque spécifiques à cette partie bien identifiée de la population (glycosurie chez les femmes enceintes, cinquantenaires présentant une hypercholestérolémie…). 4. Classification en fonction du type d'action Selon le rapport Flajolet, la « prévention globale » peut être déclinée en 4 grands modèles : • Prévention par les risques, qui est la plus classique actuellement et qui concerne le champ sanitaire ; • Prévention par les populations, dans une logique d’éducation pour la santé entendue globalement ; • Prévention par les milieux de vie, qu’il s’agit de rendre sains et favorables ; • Prévention par les territoires, pour bénéficier de la connaissance et de la proximité du terrain et des populations. C. Notions nécessaires à la compréhension du concept d'éducation pour la santé 1. La santé En 1946, l'OMS propose une définition de la santé, considérée comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Cependant cette définition est actuellement remise en question. Cet état de bien-être complet, stable et rigide semble difficile à atteindre (7), et ne repose que sur trois dimensions de l'Homme. Depuis 1986 et la conférence d'Ottawa, l'OMS propose une nouvelle définition : « la santé, c’est la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, et d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie… » (8). Cette définition semble compléter la précédente. La santé n'y est plus considérée comme un idéal à atteindre mais comme une ressource, c'est à dire un moyen de réaliser ambitions et besoins. Ces 12 Contexte deux notions sont d'ailleurs importantes puisqu'elles font passer un système tridimensionnel (bio-psycho-social) à un système multi-dimensionnel, où les dimensions sont celles définies par le sujet lui-même, prenant ainsi en compte le sens qu'il désire donner à sa vie. Le troisième point à noter est la notion d'évolution et d'adaptation : la santé n'est plus un état stable et rigide mais un processus dynamique, évoluant en fonction des évènements de vie du sujet. Sans pour autant abandonner la définition historique d'état complet, la conception actuelle de la santé n'exclut pas le processus qui permet d'y tendre. Autant le concept d'état complet considéré seul exclut une majorité de personne de l' « état de bonne santé », autant le concept de ressource inclut les personnes n'ayant pas une santé objectivement parfaite mais la percevant comme satisfaisante. Cela rend donc la notion de santé plus accessible et plus subjective. 2. Les déterminants de santé A chaque étape de la vie, l'état de santé est influencé par une multitude de facteurs, interagissant de manière complexe les uns avec les autres. Ces facteurs sont appelés déterminants de santé. Plusieurs modèles ont été proposés pour en rendre compte, et ce champ complexe est l'objet de nombreuses recherches scientifiques. Le point commun de ces travaux est de bousculer le poids que représentent actuellement les comportements à risque dans la genèse des problèmes de santé. Ces recherches les mettent en perspective en identifiant les facteurs qui influencent en amont ces comportements même, notamment les facteurs de position sociale. Elles justifient que le champ de la prévention se déplace de la lutte contre les comportements à risque vers la promotion de conditions de vie plus favorables. Par souci de simplification nous nous contenterons d'illustrer le concept de déterminants de santé grâce au modèle de Dahlgren et Whitehead, 1991 (9). Selon ces auteurs, les déterminants de santé s'échelonnent sur quatre niveaux : • Le niveau « zéro » concerne les déterminants de santé non modifiables tels les facteurs biologiques, l'âge, le sexe. • Le premier niveau « Facteurs liés au style de vie personnel » concerne les comportements et styles de vie personnels, influencés par les modèles qui régissent les relations entre amis et dans l’ensemble de la collectivité. Ces rapports peuvent être favorables ou défavorables à la santé. Les personnes désavantagées ont tendance à montrer une prévalence plus élevée des 13 Contexte facteurs comportementaux comme le tabagisme ou l'alimentation déséquilibrée. Ils feront également face à des contraintes financières plus importantes pour choisir un style de vie plus sain. • Le second niveau « Réseaux sociaux et communautaires » comprend les influences sociales et collectives : la présence ou l’absence d’un soutien mutuel dans le cas de situation défavorable a des effets positifs ou négatifs. Ces interactions sociales et la pression des pairs influencent les comportements individuels. • Le troisième niveau « Facteurs liés aux conditions de vie et de travail » désigne l’accès au travail, l’accès aux services et aux équipements essentiels : eau, habitat, services de santé, nourriture, éducation mais aussi les conditions de travail. La santé des personnes socialement désavantagées (soumises à des conditions d’habitat plus précaires, à des conditions de travail plus dangereuses et stressantes et à un accès médiocre aux services) est défavorablement influencée par ces facteurs. • Le quatrième niveau « Conditions socio-économiques, culturelles et environnementales » englobe les facteurs qui influencent la société dans son ensemble. Ces conditions, comme la situation économique du pays et les conditions du marché du travail ont une incidence sur toutes les autres strates. Le niveau de vie atteint dans une société, peut par exemple influer sur les possibilités de trouver un logement, un emploi, ainsi que sur les habitudes en matière d’alimentation. De même, les croyances culturelles sur la place des femmes dans la société ou les attitudes profondes par rapport aux communautés ethniques minoritaires peuvent influer sur leur niveau de vie et leur position socioéconomique. Nous voyons donc que les déterminants de santé sont multiples, allant de critères strictement individuels comme les fonctions biologiques, à des critères collectifs larges comme la culture dans laquelle évolue un individu. On constate que les comportements de santé, bien qu'étant un déterminant de santé évident, doivent être compris au sein des autres facteurs d'influence et ne constituent donc pas l'unique porte d'entrée pour intervenir en prévention. Au contraire, comme le rapporte l'INPES, « les comportements préjudiciables à la santé apparaissent associés aux positions inégales que les personnes occupent dans la hiérarchie sociale et l’état de 14 Contexte santé résulte de l’action de déterminants socio-environnementaux », ce qui élargi les possibilités d'action. Cette approche a été complétée depuis 1991, et à titre d’illustration on se réfèrera au modèle proposé par l’Institut National de Santé Publique du Québec dans un ouvrage récent (10), qui propose une approche en 5 domaines. Chaque domaine faisant l’objet d'une déclinaison plus précise permettant d’envisager différents types d’interventions correctrices, résumé dans l'illustration 1. 3. La promotion de la santé Les principes de la promotion de la santé (PDS) ont été posés en 1986 lors de la Conférence internationale pour la promotion de la santé à Ottawa et sont rapportés dans la Charte d'Ottawa (8). Cette charte est un texte de référence pour les acteurs de la prévention et de l'éducation pour la santé. 15 Contexte Selon cette charte, « la promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l'améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l'individu, ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s'y adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie; c'est un concept positif mettant l'accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. La PDS ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l'adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ». On peut lire dans cette définition que la PDS ne relève pas uniquement du secteur de la santé. Cette affirmation peut aisément se comprendre à la lumière des recherches sur les déterminants de santé : les premiers niveaux de déterminants relèvent du secteur sanitaire, mais les autres niveaux dépendent des milieux de vie, des conditions sociales, des politiques de santé, donc des secteurs politiques, économiques, environnementaux… En conséquence, la charte d'Ottawa propose un pré-requis et 5 axes pour développer la PDS: • Pré-requis indispensable à toute amélioration de la santé. « La santé exigeant un certain nombre de conditions et de ressources préalables. L'individu doit pouvoir notamment : se loger, accéder à l'éducation, se nourrir convenablement, disposer d'un certain revenu, bénéficier d'un éco-système stable, compter sur un apport durable de ressources, avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable. » • Axe 1 : Élaboration de politiques de santé « La politique de promotion de la santé associe des approches différentes, mais complémentaires ; mesures législatives, financières et fiscales et changements organisationnels, notamment. Il s'agit d'une action coordonnée conduisant à des politiques de santé, financières et sociales qui favorisent davantage d’équité. » • Axe 2 : Création d'environnements favorables 16 Contexte « L'évaluation systématique des effets sur la santé d'un environnement en évolution rapide notamment dans les domaines de la technologie, du travail, de l'énergie et de l'urbanisation est indispensable et doit être suivie d'une action garantissant le caractère positif de ces effets sur la santé du public. » • Axe 3 : Renforcement de l'action communautaire « La promotion de la santé passe par la participation effective et concrète de la communauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l'élaboration et à la mise en œuvre des stratégies de planification en vue d'atteindre une meilleure santé. » • Axe 4 : Acquisition d'aptitudes individuelles « La promotion de la santé appuie le développement individuel et social grâce à l'information, à l'éducation pour la santé et au perfectionnement des aptitudes indispensables à la vie. Ce faisant, elle donne aux gens davantage de possibilités de contrôle de leur propre santé et de leur environnement et les rend mieux aptes à faire des choix judicieux. » • Axes 5 : Réorientation des services de santé « Par delà son mandat qui consiste à offrir des services cliniques et curatifs, le secteur de la santé doit s'orienter de plus en plus dans le sens de la promotion de la santé. Les services de santé doivent se doter d'un mandat plus vaste, moins rigide et plus respectueux des besoins culturels, qui les amènent à soutenir les individus et les groupes dans leur recherche d'une vie plus saine et qui ouvre la voie à une conception élargie de la santé, en faisant intervenir, à côté du secteur de la santé proprement dit, d'autres composantes de caractère social, politique, économique et environnemental. » 17 Contexte 4. Les comportements Les comportements néfastes à la santé sont un enjeu de la prévention. En effet, selon l'OMS, sur les 10 causes de décès les plus fréquentes dans le monde entre 2002 et 2012, sept d'entre elles sont liées à des comportements individuels (cardiopathie ischémique, accident vasculaire cérébral, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), cancer du poumon, de la trachée, infection par le VIH, diabète sucré et accidents de la route) (11). Cela explique qu'une part majeure de la prévention, notamment en France, soit tournée vers la réduction des comportements à risque. Selon l'OMS dans le Glossaire de la Promotion de la Santé, un comportement de santé est défini comme « Toute activité entreprise par une personne, quel que soit son état de santé objectif ou subjectif, en vue de promouvoir, de protéger ou de maintenir la santé, que ce comportement soit ou non objectivement efficace dans la perspective de ce but. » Cependant cette définition doit être complétée. En effet elle semble réduire le comportement à sa dimension individuelle. Or, comme l'expliquent de nombreux auteurs, les comportements ne doivent pas être isolés des autres facteurs influençant la santé. Selon P. Lamour et O. Brixi, un comportement peut se comprendre dans une trajectoire individuelle comme une « stratégie développée par 18 Contexte l’individu, en réponse à la multiplicité et la complexité des facteurs qui influencent sa vie, dont la rationalité peut nous échapper [et dont] le sens est à chercher dans la construction de sa propre histoire et celle de ses semblables » (1). En effet, les comportements sont un phénomène complexe. Ils s'appuient sur les représentations sociales (cf. annexe 1), le niveau économique et le milieu social dans lequel évolue les individus (12). Expliquer un comportement de manière isolée, par la seule volonté individuelle, ou par la seule méconnaissance de risque, revient à ignorer la complexité des personnes. Cette complexité est illustrée par P. Lecorps (1), pour qui un individu évolue dans trois grandes dimensions : • celle de sujet individuel, désirant et contradictoire • celle de sujet inséré dans une culture, qui le modèle et le contraint • celle de sujet politique, collectivement responsable et à la fois dépossédé des choix de société qui conditionnent la qualité de la vie Ainsi, certaines comportement, ou interventions une de prévention « responsabilisation » visant des un individus changement quand à de leur comportement posent un problème éthique. Est-il bienveillant ou non-malfaisant de demander un changement de comportement à un individu sans d'abord en questionner le sens ? Est-il équitable de demander un changement de comportement néfaste à la santé lorsqu'on sait que celui-ci est lié à des conditions sociales défavorables, sans lutter contre celles-ci ? Renforce-t-on l'autonomie des personnes lorsqu'une demande de changement de comportement ne prend pas en compte la nécessité de développer des compétences individuelles avant de le mettre en place ? S. Tessier, illustre ces interrogations en parlant du comportement comme un état d'équilibre (13). Un état d'équilibre qui permet éventuellement de compenser une situation défavorable. Ainsi, toute proposition de changement de comportement doit être accompagnée par la proposition d'un nouvel état d'équilibre, sinon ce changement est voué à l'échec. L'auteur prend l'exemple d'une personne sans domicile fixe, alcoolo-dépendante : proposer un arrêt de la consommation d'alcool à cette personne sans l'accompagner vers des conditions de vie acceptables ne semble ni cohérent, ni éthique. Malgré tout, il existe une part d'individualité dans les comportements, que ces auteurs nous permettent de mieux comprendre. Pour leur part individuelle, les 19 Contexte comportements s'appuient sur les représentations sociales (14), cette notion (développée en annexe 1) met en question la rationalité des comportements. En effet, la raison pure ne semble constituer qu'une infime partie de la multitude de données sur lesquelles s'appuient nos représentations et donc nos comportements. De plus, le « sujet » ne peut pas être résumé à un individu purement rationnel, mais désirant et contradictoire. Un exemple illustrant cette notion est l'existence de consommation de tabac chez les médecins. Comment expliquer cette pratique chez des professionnels parfaitement « au courant » des risques et des conséquences de leur comportement ? Ce comportement est parfaitement irrationnel. Cette part prédominante d'irrationalité dans les représentations sociales, et donc dans les comportements néfastes à la santé explique l'inefficacité des stratégies de persuasion uniquement basées sur la rationalité cognitive. En conclusion, on peut appréhender la notion de comportement comme une expression de l'individu en fonction de son milieu. Un comportement a une signification. Ainsi, au niveau individuel, toute proposition de changement doit être précédée d'une compréhension de sa signification de la part de l'acteur de prévention. 5. Information, persuasion, éducation Il existe trois modes de communication lorsqu'un intervenant souhaite réaliser une action de prévention auprès d'un public : l'information, la persuasion, l'éducation. Chacun de ces modes présente un objectif, des moyens et des conséquences propres. a) Information L'information se définit par la transmission de connaissances, de faits, entre l'intervenant et son public. Son objectif est uniquement d'accroitre le volume de connaissance du public, sans préjuger de l'utilisation qu'il fera de ces connaissances. Lorsque cette stratégie est adoptée en prévention il importe d'adapter l'information au public en se renseignant sur son niveau d'information préalable, ses représentations de la situation, ses attentes, son état émotionnel, ainsi que de laisser le public gérer le rythme et la quantité d'information délivrée. Enfin il importe d'évaluer la compréhension des connaissances délivrées. Il est également conseillé de s'appuyer sur des supports d'informations (brochures, site web…) afin d'améliorer la 20 Contexte compréhension des connaissances. En dernier lieu, il importe de prêter attention à la validité et à la source des connaissances diffusées. b) Persuasion La persuasion se définit comme la manière d'amener quelqu'un à croire ou à accomplir quelque chose. Son objectif est de modifier un comportement du public auquel on s'adresse. Pour y parvenir, l'intervenant peut utiliser des ressorts différents afin de convaincre son public : la peur, la raison, l'humour, l'émotion, le rêve, l'érotisme, la valorisation, la provocation. L'utilisation de certains de ces ressorts en prévention est fortement critiquée, c'est notamment le cas de la stratégie basée sur la peur. En effet, la peur ne semble ni un ressort efficace, ni un ressort acceptable à utiliser en éducation pour la santé en raison de l'angoisse qu'il provoque sur le public. Il est nécessaire de comprendre que le changement de comportement ne peut opérer que si les ressources du sujet sont supérieures à l'angoisse provoquée (15). Par exemple un fumeur possède rarement la ressource nécessaire pour son sevrage tabagique, le persuader par la peur ne l'empêche donc pas d'arrêter de fumer, mais augmente son angoisse. Vivre avec cette angoisse n'est pas « un nouvel état d'équilibre (13) » avec lequel il est possible de vivre. Le sujet va donc tenter de fuir l'angoisse provoquée par diverses stratégies cognitives (minimisation du risque, sentiment de ne pas être concerné par ce risque ou discrédit de la source). De plus, l'utilisation massive de ces messages à un public extrêmement large, sans obtenir son accord préalable, pose des problèmes éthiques : est-il bienveillant, non malfaisant, juste et respecte-t-on l'autonomie des personnes en difficulté avec leur tabagisme en leurs rappelant constamment et crument que « fumer tue » ? La persuasion peut cependant être utilisée en prévention, notamment pour renforcer la motivation des personnes qui ont choisi de changer de comportement. c) Éducation L'éducation est définie selon le dictionnaire Larousse comme la formation d'une personne ou d'un groupe dans un domaine, ou encore les moyens mis en œuvre pour développer une faculté. L'objectif est de développer l'autonomie du public auquel on s'adresse, en développant ses compétences. Selon Albert Jacquard, « l’éducation, c’est faire prendre conscience à chacun qu’il peut se choisir un destin et s’efforcer de le réaliser. Il ne s’agit pas de fabriquer des hommes tous conformes à 21 Contexte un modèle, ayant tous appris les mêmes réponses, mais des personnes capables de formuler de nouvelles questions » (1). L'éducation s'appuie sur la pédagogie, dont le processus permet le développement des compétences, et n'engage donc pas nécessairement le public au changement comportemental. Elle développe cependant la capacité à mettre en œuvre ce changement, en fonction de la motivation des personnes. Au final, il est fondamental de ne pas confondre les objectifs et les moyens mis en jeu : l'information n'a pas pour but le changement de comportement d'un sujet, et la stratégie d'éducation n'est pas synonyme de la stratégie d'information. En pratique, il faut cependant signaler que ces moyens peuvent être mêlés au sein d'une même intervention et en fonction des objectifs recherchés. 6. Les compétences Le concept de compétence fait l’objet de très nombreuses recherches en sciences humaines. On pourrait les synthétiser en définissant la compétence comme « un processus de mobilisation dans une situation authentique et complexe de la vie professionnelle ou personnelle, d’un certain nombre de ressources internes (savoir, savoir-faire, savoir-être) et de ressources externes (ressources de l’environnement), pour répondre à une tâche ou à une situation-problème. La compétence n’est réductible ni à la performance visée (le résultat visible), ni aux ressources nécessaires pour la produire » (16). Les savoirs correspondent aux connaissances, que l'ont peut délivrer lors d'une action de prévention par le biais d'une information. On peut constater à la lecture de cette définition que les savoirs ne sont pas suffisants pour engendrer la compétence : il est nécessaire d'intégrer ce savoir et de pouvoir le mobiliser dans une situation réelle. Ce processus est le processus d'apprentissage proposé lors d'une action d'éducation pour la santé, il propose le développement de compétences et non la seule transmission de savoir. Il faut bien sûr préciser que dans certaines situations le savoir est nécessaire, pour développer cette compétence, et que sa transmission est alors utile. On constate également que la notion de compétence ne renvoie pas uniquement à un processus individuel. Être compétent ne signifie pas forcément être indépendant du soutien d'autrui. Au contraire, la compétence correspond dans certains cas à la prise de conscience de ses limites et au développement de stratégies permettant l'obtention d'une aide extérieure. 22 Contexte Les compétences correspondent aux aptitudes nouvelles que la promotion de la santé propose de faire acquérir. Elles permettent donc aux individus d'avoir davantage de contrôle sur leur santé et de gagner en autonomie. D. L'éducation pour la santé Nous constatons donc que le terme de prévention est difficile à définir et renvoie à une multitude de pratiques, se référant à des concepts théoriques divergents. Le terme de promotion de la santé, qui renvoie à une vision humaniste de la prévention, semble donc une alternative sémantique plus précise. L'éducation pour la santé peut s'intégrer dans le cadre de la promotion de la santé : parmi les 5 axes d'action proposés par la charte d'Ottawa, l'un propose le développement des aptitudes individuelles renforçant la maîtrise de sa propre santé. Ce développement d'aptitudes nouvelles est, comme nous allons le développer, le but de l'éducation pour la santé. 1. Définition Le glossaire de la base de donnée en santé publique (BDSP) propose cette définition de l'éducation pour la santé : « L'éducation pour la santé comprend des situations consciemment construites pour apprendre, [...] y compris les connaissances, et pour développer les aptitudes à la vie, qui favorisent la santé de l'individu et de la communauté. L'éducation pour la santé cherche également à stimuler la motivation, les qualifications et la confiance (auto-efficacité) nécessaires pour agir afin d'améliorer la santé » (17). Selon l'IREPS des Pays de la Loire, « L'éducation pour la santé aide chaque personne, en fonction de ses besoins, de ses attentes et de ses compétences, à comprendre l'information et à se l'approprier pour être en mesure de l'utiliser dans sa vie. En ce sens, la vulgarisation et la diffusion des connaissances scientifiques ne suffisent pas. En matière d'action de proximité, l'éducation à la santé utilise des méthodes et des outils validés favorisant l'expression des personnes et leur permettant d'être associées à toutes les étapes des programmes, du choix des priorités à l'évaluation. Elle est accessible à tous les citoyens et a le souci permanent de contribuer à réduire les inégalités sociales de santé » (16). A l'instar du concept de prévention, l'éducation pour la santé est omniprésente dans le contexte de la santé publique, sous une multitude de discours et de pratiques différentes (1). Ces pratiques sont encadrées en France par L'INPES créé par la loi 23 Contexte du 4 mars 2002, responsable de trois missions : communication sur le thème de la santé, prévention sanitaire et éducation pour la santé. 2. Une éducation pour la santé centrée sur les personnes Dans le Traité de Santé Publique paru en 2007, O. Brixi et P. Lamour prennent position pour une éducation pour la santé ancrée dans la promotion de la santé (1). Les auteurs insistent sur la nécessité du passage de la logique « comportementaliste » vers le concept du développement de compétences des individus. Ils s'appuient sur la définition proposée en 2001 par le plan national d'éducation pour la santé : « l'éducation pour la santé à pour but que chaque citoyen acquière tout au long de sa vie les compétences et les moyens qui lui permettront de promouvoir sa santé et sa qualité de vie ainsi que celle de la collectivité». Nous décrivons ici les principales caractéristiques de ce type d'intervention. Elles doivent : • Prendre en compte la complexité des personnes, c'est à dire reconnaître l'influence des contextes et des contraintes auxquelles celles-ci sont soumises. • Intégrer une réflexion éthique des interventions, c'est à dire respecter les principes de bienveillance, de non-malveillance, d'autonomie et de justice sociale. • Favoriser l'émergence du sujet en valorisant son autonomie, sa liberté et sa responsabilité. • Prendre en compte les représentations des personnes sur leur santé et favoriser un dialogue respectueux permettant d'échanger sur ces différents points de vue. • Prendre en compte la demande des publics, c'est à dire respecter leurs attentes et leurs besoins. Proposer une éducation pour la santé qui réponde aux problématiques quotidiennes des personnes. • Proposer une action adaptée aux personnes, et non normée et répétitive. Pour cela, disposer d'un temps suffisant et de professionnels disponibles et à l'écoute. • S'appuyer sur une pédagogie active qui place « l'apprenant au centre des apprentissages » laissant une place à l'individu dans la construction et l’appropriation de différents savoirs utiles pour sa santé. 24 Contexte • Viser à développer les compétences des personnes en reconnaissant et en valorisant celles qu'elles possèdent déjà. • Favoriser des actions de proximité et développer une approche communautaire. 3. Les professionnels de l'éducation pour la santé L’éducation pour la santé est pratiquée par des professionnels de disciplines variées : professionnels du soin, de la psychologie, de la santé publique, de la sociologie, de l’anthropologie, des sciences de l’éducation, etc. Ils travaillent au sein d’associations de santé, d’institutions de protection sociale, de collectivités territoriales, des services de l’état et de l’éducation nationale et, parfois, de quelques prestataires privés. Ils interviennent dans des milieux de vie aussi divers que les établissements scolaires, les universités, les entreprises, les quartiers, les établissements pénitentiaires ou les foyers d’hébergement. Voici les principales institutions dont sont issus les professionnels de l'éducation pour la santé : • L'INPES et les IREPS • Les associations de santé thématiques : les ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie), association AIDES, ou encore la Ligue contre le cancer, • Les organismes de protection sociale (CPAM, etc.), • Les services de promotion de la santé en milieu scolaire, • Les collectivités territoriales, • Les établissements de soin (en développant notamment l'éducation thérapeutique du patient). 4. Mise au point sur la pédagogie active Selon Wikipédia, « la pédagogie désigne l'art de l'éducation ». Le terme pédagogie renvoie aux méthodes permettant la transmission de connaissance, d'un savoir ou d'un savoir faire (18). En éducation pour la santé, les méthodes pédagogiques employées sont celles de l'éducation nouvelle, paradigme éducatif qui considère l'éducation comme un acte global de construction de la personne et non comme une simple transmission de connaissances. Les humanistes de la renaissance l'ayant inspirée estimaient déjà que « l'enfant n'est pas un vase qu'on remplit mais un feu qu'on allume » (19). 25 Contexte La pédagogie de l'éducation nouvelle, aussi appelée pédagogie active (ou participative), défend donc le principe d'une participation active des individus à leur propre formation. Elle est inspirée du constructivisme défini par Jean Piaget (18). En éducation pour la santé le processus pédagogique est conçu en 4 étapes (20). 1. Une étape « diagnostique » : avant l'intervention, l'intervenant cherche à découvrir les représentations, la problématique, les motivations de l'apprenant. 2. Une phase de définition des objectifs : à l'issu du diagnostic, l'intervenant et l'apprenant négocient les objectifs de l'apprentissage. 3. Une phase d'apprentissage : en utilisant des outils pédagogiques permettant la participation active de l'apprenant. 4. Une phase d'évaluation formative : l'apprenant fait le bilan de ses apprentissages. Ce processus est conçu comme un cycle dynamique. En faisant évoluer l'apprenant vers de nouvelles compétences, il peut mettre à jour de nouvelles problématiques auxquelles pourront peut-être répondre un nouveau cycle éducatif. II. Prévention et éducation pour la santé en médecine générale Les démarches de prévention et d'éducation pour la santé sont définies dans les compétences du médecin généraliste (référentiel compétence de la WONCA (21), convention nationale des médecins généralistes). Dans le traité de santé publique, le rôle du médecin généraliste, en position clé entre le patient et les stratégies nationales de prévention est évoqué, soulignant son intérêt dans la personnalisation des messages de prévention (6). Cependant, il faut noter que P-L. Druais dans son rapport ministériel soulignait la nécessité d'inclure le collège disciplinaire de médecine générale dès la conception de ces stratégies nationales afin d’accroître la faisabilité de cette mission (22). Publié en 2009, le Baromètre Santé Médecins Généralistes est un outil précieux pour comprendre comment les MG investissent cette mission définie au niveau disciplinaire et quelles sont leurs pratiques concrètes en prévention (3). Ce travail d'enquête révèle que 90 % des médecins estiment que la prévention fait partie de leur rôle, et que 95 % pensent que la prévention de la population doit être réalisée par eux-mêmes. Cette unanimité masque cependant une grande diversité 26 Contexte d'opinions et de pratiques. Ces pratiques sont mises en place autour des 3 grands axes de la prévention en médecine générale : la prévention médicalisée, l'éducation pour la santé (EPS) et l'éducation thérapeutique du patient (ETP). a) La prévention médicalisée La prévention médicalisée correspond à la prévention basée sur des actes techniques ou prescriptifs comme la vaccination, les dépistages opportunistes, l'incitation aux dépistages organisés ou encore la prescription de médicaments évitant rechutes et complications des maladies chroniques. Selon le Baromètre Santé Médecins Généralistes, les praticiens ont une opinion très favorables de ces pratiques, une grande facilité à les mettre en œuvre et y sont donc très investis. b) L'éducation pour la santé L'éducation pour la santé en médecine générale est définie de la même manière que dans d'autres contextes. Elle présente néanmoins la spécificité d'être très dépendante de la facilité avec laquelle le médecin aborde les thématiques d'EPS en consultation. Il faut également remarquer que le Baromètre Santé MG, notre principale source, ne s'intéresse à la pratique d'EPS que dans le cadre du colloque singulier de la consultation, n'évoquant la participation à une association de prévention ou à un réseau de santé que comme des pratiques parallèles. Le Baromètre Santé montre que les thèmes biomédicaux (prévention cardiovasculaire ou cancers) sont beaucoup plus faciles à aborder pour les médecins que les thèmes psycho-sociaux comme les addictions (à l'exception du tabac) ou la vie affective et sexuelle. Plus le médecin est persuadé que son rôle est de faire de la prévention sur un thème donné, plus il lui sera facile de l'aborder sans se sentir « intrusif » dans la vie du patient. Les actions préventives sont notamment ciblées en fonction des facteurs de risque connus du patient. Les médecins les plus à l'aise sont également ceux qui ont reçu une formation en ETP/EPS et qui collaborent le plus avec d'autres professionnels dans la prise en charge psychologique des patients. L'acceptation sociale des effets négatifs du tabagisme semble expliquer l'exception que ce thème représente dans les difficultés à aborder les problèmes psychosociaux. Une des limites du Baromètre Santé est d'ignorer si l'abord de ces thématiques biomédicales s'inscrit dans une véritable démarche éducative. Concrètement, il 27 Contexte semble que cette pratique préventive repose principalement sur l'abord de la thématique et la délivrance de conseils ou d'informations au patient. c) Éducation thérapeutique du patient L'éducation thérapeutique est définie comme une action qui « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique » (23). Présentant de nombreux points communs au niveau conceptuel et méthodologique avec l'éducation pour la santé, elle s'en différencie par le public qui en bénéficie. L'ETP se préoccupe en effet des patients atteints de maladies chroniques désireux de gagner en autonomie. Il s'agit donc de prévention tertiaire. Dans le cas de l'ETP, les représentations et pratiques d'une partie des médecins généralistes semblent assez éloignées des recommandations. Selon le Baromètre Santé, 95 % des MG déclarent informer et conseiller leurs patients, mais seulement 45 % les orientent vers des activités éducatives, et 33 % réalisent eux-mêmes des séances éducatives. Les auteurs concluent que l'ETP en médecine générale reste donc une pratique minoritaire, plaçant l'observance au centre de la démarche et principalement axée sur le conseil et l'information. De nombreux freins sont identifiés pour expliquer ces résultats, du côté des médecins mais également du côté des patients. En effet de nombreux médecins déclarent être confrontés à un manque de motivation des patients à entrer dans une démarche éducative. Il faut également remarquer que de plus en plus de médecins, notamment les plus jeunes, ont le sentiment d'une baisse d'efficacité de leur action d'ETP. Les auteurs du baromètre évoquent une augmentation des connaissances concernant l'ETP de la part du corps médical, allant de pair avec une prise de conscience de la difficulté du changement comportemental pour les patients. Selon le Baromètre Santé, plusieurs facteurs pourraient aider les médecins dans leurs pratiques préventives en général : plus de temps dédié à la prévention, plus de soutien par les campagnes d'information, et une meilleure reconnaissance du rôle du médecin généraliste en prévention. Il est intéressant de remarquer que le problème de la rémunération n'est que très peu évoqué par les médecins comme facteur facilitant des pratiques préventives. 28 Contexte La délégation des tâches semble également une piste évoquée. Bien que les médecins se considèrent comme les principaux acteurs de prévention, 80 % estiment que les professionnels paramédicaux ont également un rôle à jouer en prévention, 66 % pour ce qui concerne le secteur hospitalier et 60 % pour les professionnels éducatifs et sociaux. Les auteurs remarquent que la littérature scientifique va dans le sens de la collaboration interprofessionnelle : pour répondre à l’accroissement majeur des recommandations de prévention et de prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques, une transformation profonde des modalités de travail des médecins semble nécessaire, avec un partage des tâches entre médecins et non-médecins dans un travail d’équipe. En conclusion, les pratiques préventives des médecins généralistes semblent largement tournées vers la prévention médicalisée et l'abord des thèmes biomédicaux. Les pratiques éducatives en santé semblent encore généralement restreintes au conseil et à l'information. Afin de faire évoluer ces pratiques, le décloisonnement des actions préventives par la collaboration en interprofessionnalité et la transition d'un modèle médical centré sur le curatif vers un modèle intégrant les aspects préventifs sont des enjeux majeurs de l'évolution du système de santé. III. L'éducation pour la santé en milieu scolaire La définition de l'éducation pour la santé en milieu scolaire rejoint celle de l'éducation pour la santé. La circulaire du 24 novembre 1998 « orientations pour l'éducation à la santé à l'école et au collège » la définit de la manière suivante : « À l'opposé d'un conditionnement, l'éducation à la santé vise à aider chaque jeune à s'approprier progressivement les moyens d'opérer des choix, d'adopter des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d'autrui et de l'environnement. Elle permet ainsi de préparer les jeunes à exercer leur citoyenneté avec responsabilité, dans une société où les questions de santé constituent une préoccupation majeure. Ni simple discours sur la santé, ni seulement apport d'informations, elle a pour objectif le développement de compétences [reposant] sur : l'appropriation de connaissances utiles pour comprendre et agir ; la maîtrise de méthodes de pensée et d'action ; le développement d'attitudes, telles que l'estime de soi, le respect des autres, la solidarité, l'autonomie, la responsabilité » (2). L'école (le terme école renvoie aux établissements scolaires en général) et la santé sont unies par un lien privilégié. Il est en effet reconnu que les apprentissages 29 Contexte et la santé sont interdépendants : l'éducation contribue à la santé, et la santé procure les conditions nécessaires aux apprentissages. L'école étant un lieu privilégié de développement des apprentissages, fréquenté quotidiennement par tous les enfants pendant une décennie, il lui appartient donc de veiller à la santé des élèves et de contribuer au développement des compétences permettant de la préserver (24). Il est intéressant de rencontrer la notion de citoyenneté dans la définition de l'éducation pour la santé en milieu scolaire. La mission première du système éducatif est la formation des citoyens de demain pour permettre la réussite de tous (25). Les points communs entre l'apprentissage du « vivre ensemble » citoyen et celui des compétences en santé sont nombreux. Prenant en compte cette proximité, le ministère de l'Éducation Nationale a créé en 2005 les Comité d’Éducation à la Santé et à la Citoyenneté (CESC). Sous la responsabilité du chef d'établissement, et réunissant tous les acteurs de l'établissement, les CESC ont pour mission de définir et d'organiser les programmes d'éducation à la santé, les plans de prévention de la violence, les actions d'éducation citoyennes et d'apporter un soutien aux parents en difficulté. Ils sont les pivots des projets d'éducation pour la santé mis en place dans les établissements scolaires. Dans la pratique, il ne s'agit pas de simplement transférer les problématiques de santé vers l'école, mais plutôt de « mobiliser dans la mission propre de l'école ce qui est de nature à promouvoir la santé » (26). Il est également nécessaire de respecter l'autonomie des enfants, et celle des parents dans leur droit de les éduquer tel qu'ils l'entendent, sous réserve du respect de la Loi. De part sa position particulière entre sphère privée et sphère publique l'école doit exiger une réflexion éthique rigoureuse avant d'initier un projet d'éducation pour la santé. Ainsi un projet ne peut se contenter de promouvoir l'application d'un mode de vie sain qui serait valable pour tous mais doit favoriser l'échange autour des représentations sur la santé et placer en position centrale le développement des compétences psycho-sociales (2,24,26). A. Mise au point sur les compétences psycho-sociales Les compétences psycho-sociales (CPS) ont été définies par la section Santé mentale et prévention des conduites addictives de l'OMS en 1993 : « Les compétences psycho-sociales sont la capacité d'une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C'est l'aptitude d'une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement 30 Contexte approprié et positif à l'occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement» (27). Les CPS (life skills en anglais) sont à rapprocher d'autres concepts proches sur le plan théorique comme les habiletés sociales ou les compétences d'adaptation définies en ETP. Les CPS sont au nombre de 10, regroupées en paires : • Savoir résoudre des problèmes / Savoir prendre une décision • Avoir une pensée créative / Avoir une pensée critique • Savoir communiquer efficacement / Être habile dans les relations interpersonnelles • Avoir conscience de soi / Avoir de l'empathie pour les autres • Savoir gérer son stress / Savoir gérer ses émotions Les CPS permettent de développer des ressources individuelles pour faire face aux événements de la vie (développement de stratégies de coping), mais également d'apprendre à connaître ses propres limites et de savoir utiliser les ressources de son entourage et de son environnement. Par ces stratégies d'adaptation « sociale » les CPS s’inscrivent dans le développement du lien social au sein de la communauté. Elles ne doivent donc pas être interprétées dans une optique individualiste, qui inciterait à une indépendance totale de l'individu. Le développement des CPS est mis en œuvre dans de multiples programmes d'éducation pour la santé. Il est l'axe central des programmes de prévention des addictions (28), ou encore des projets portant sur la paix ou le renforcement de la confiance en soi (27). De part leur transversalité, les CPS représentent le dénominateur commun des projets d'éducation pour la santé, d'éducation à la citoyenneté et d'apprentissage du vivre ensemble en milieu scolaire. IV. Contexte du projet Espace Santé Jeune A. La commune de Saint-Germain sur Moine Selon Wikipédia (29), Saint-Germain-sur-Moine est une commune française rurale et isolée située dans le département de Maine-et-Loire et la région Pays de la Loire, membre de la communauté de communes de Moine-et-Sèvre, au cœur de la région naturelle et historique des Mauges. D’après le recensement de l’Insee en 31 Contexte 2009, la commune de Saint-Germain-sur-Moine comptait 2771 habitants, soit une augmentation d’environ 10,5 % par rapport à la population de 1999. La population de la commune est relativement jeune. Le taux de personnes d'un âge supérieur à 60 ans (17,6 %) est en effet inférieur au taux national (21,8 %). Concernant l'enseignement scolaire, la commune totalise deux écoles primaires (privée et publique), et un collège privé : le collège Jean Blouin. Au cours de l'année scolaire 2011-2012, 145 élèves étaient scolarisés dans le secteur public, et 370 dans le secteur privé. En 2009, le revenu fiscal médian par ménage était de 16 581 €, ce qui plaçait Saint-Germain-sur-Moine au 20 578e rang parmi les 31 604 communes de plus de 50 ménages en métropole, la part des agriculteurs et des ouvriers au sein de la population active y est plus importante qu'au niveau national. Le taux de chômage y était de 7,9 % en 1999. Parmi les principaux établissements médicaux ou sociaux, peuvent être cités la maison médicale, une pharmacie, le centre de santé du Val de Moine (où officient plusieurs spécialistes), un cabinet d'orthophonie, ainsi qu'une maison de retraite. B. Le cabinet médical Averroès Cette maison médicale a été fondée en 2004 par 4 médecins généralistes au cœur de Saint-Germain sur Moine. Actuellement, un de ces médecins a pris sa retraite, et deux nouveaux praticiens ont rejoint l'équipe. L'origine de cette maison médicale se trouve dans la volonté de quatre médecins de construire un espace de travail permettant d'exercer en accord avec leurs valeurs communes. Ces valeurs sont illustrées par le discours d'inauguration de la maison médicale, prononcé en 2004 : « Nous partageons tous les quatre une approche globale de la santé dans la tradition humaniste d'Averroès et d'Hippocrate. L'approche scientifique organique classique est nécessaire mais insuffisante. Il est nécessaire de s’intéresser à l'Homme dans sa globalité en tenant compte de son histoire personnelle et des interactions avec l'environnement. Cette approche globale privilégie l'accueil, l'écoute, les conseils de prévention et d'orientation. L'acte du soin devient un accompagnement de la personne dans son parcours de soin. Nous recherchons une médecine de la personne qui soit à la fois curative et préventive, enrichissante pour le malade et le médecin et qui s'engage dans une promotion du « mieux être ». » 32 Contexte Lors de la création de leur lieu de travail, les quatre médecins ont donc façonné un projet conforme à leur engagement. Cet engagement se décline sous diverses formes : dans la définition du projet professionnel, dans le nom choisi pour la maison médicale, mais aussi dans les murs ou dans l'organisation du travail. a) Le projet d'installation L'association de ces médecins a pour but de faciliter l'exercice de leur profession commune : la médecine générale, c'est à dire de mieux assurer les soins curatifs et palliatifs aux malades. Leur association y contribue en plusieurs points : amélioration de la permanence des soins, aménagement des horaires, perfectionnement des connaissances, partenariat avec les autres acteurs de santé, mais aussi intérêt commun de prendre en compte « les causes véritables des maladies » en développant l'éducation sanitaire, la prévention et l'accompagnement. Ainsi, la maison médicale Averroès se donne pour mission d'être au service de la commune, de la communauté de communes et des usagers. Lors de son inauguration, les médecins ont donc rappelé les objectifs de leur installation : • Répondre aux besoins de santé des habitants et à la permanence des soins. • Réfléchir aux besoins de santé de la commune et participer éventuellement à une politique de santé communale. • Conseiller et orienter les gens dans le système de soin, notamment grâce à un secrétariat expérimenté et chaleureux. • Développer avec les habitants des actions en matière de prévention, d'éducation et de travail en réseau. b) Le choix d'Averroès Averroès est un médecin, philosophe, théologien, juriste et mathématicien arabe né en 1126 à Cordoue, en Andalousie. Grand penseur de l'Espagne musulmane, il étudie et commente l'œuvre d'Aristote. De part sa contribution à la séparation conceptuelle entre la foi et la science, certains le décrivent comme l'un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l'ouest (30). Dans son traité de médecine « Colliget », à propos des moyens de guérir, il explique que le médecin doit « aider le corps humain à trouver la guérison en respectant l'histoire naturelle de la maladie », sinon l'« administration du remède serait pire que le mal ». Il met également en avant l'importance de la prévention et de la nutrition. Déclaré hérétique, Averroès sera exilé et son œuvre dénoncée. Il sera finalement réhabilité 33 Contexte avant sa mort en 1198. La philosophie d'Averroès a inspiré les médecins fondateurs du cabinet médical de Saint Germain sur Moine, qui décidèrent de baptiser de son nom leur lieu d'exercice. c) Les murs La maison en elle-même a été conçue et bâtie spécialement pour le projet d'installation. Les médecins avaient demandé à l'architecte de concevoir un lieu propice à « une rencontre entre un patient et un soignant », ce qui se traduit aujourd'hui par l'accueil du patient dans un hall vaste et lumineux. Bâtis pour la « rencontre », les murs ont été décorés dans ce même esprit. À la demande de l'équipe médicale une artiste a été chargée de réaliser plusieurs œuvres (des mosaïques) évoquant la rencontre, qui ont été installées à l'entrée du cabinet et dans les salles de soin. Ces œuvres traduisent la conception du soin défendue par les praticiens. d) L'organisation du travail Sur le plan juridique il s'agit d'une société civile de moyens (SCM) dont le but est de faciliter l'exercice d'une profession commune : la médecine générale. Étant conscients de la difficulté d'exercer à la fois la médecine générale classique et de s'investir dans d'autres projets plus globaux, les médecins ont choisi de reporter dans leur contrat d'association un paragraphe de protection. « L'organisation [du travail] tient compte de la volonté de chacun des médecins de pouvoir s'investir dans des activités professionnelles en dehors du cabinet (éducation sanitaire, prévention, recherche, formation continue, enseignement, coordination...). […] Les médecins se réunissent au moins une fois par semaine. » Aujourd'hui, les médecins expliquent que leur organisation, l'accueil des internes, la décision contractuelle de se réunir de manière hebdomadaire sont des facteurs facilitant considérablement l'existence d'un projet comme l'Espace Santé Jeune. C. Le collège Jean Blouin Collège rural au cœur de la commune de Saint-Germain, le collège Jean Blouin est un établissement privé catholique sous contrat accueillant 218 élèves de la sixième à la troisième. Le projet d'établissement met l'élève au cœur des temps éducatifs. Il est basé sur 5 axes : • Un collège à taille humaine qui accueille le jeune tel qu'il est et comme un être en devenir ; 34 Contexte • Un collège où le jeune peut développer ses capacités dans un climat de travail et prendre conscience qu'il est capable de réussir ; • Un collège qui recherche l'épanouissement de chacun ; • Un collège où chacun peut se construire humainement dans un climat de respect ; • Un collège qui propose aux jeunes de s'ouvrir au monde et aux valeurs chrétiennes. Le projet ESJ est inscrit au sein de ce projet éducatif d'établissement. D. Le projet Espace Santé Jeune 1. Généralités Le projet « Espace Santé Jeune » est un projet d'éducation pour la santé se déroulant dans le collège Jean Blouin de Saint-Germain sur Moine depuis janvier 2008. Il est animé par différents acteurs locaux : les membres de l'équipe éducative du collège, les médecins généralistes de la maison médicale Averroès et un animateur jeunesse du Centre Social Intercommunal (CSI). Le projet consiste à proposer aux élèves de participer mensuellement à un espace de discussion sur la santé animé par un binôme d'adultes (dont un médecin systématiquement). La participation des élèves et les thèmes de discussion sont libres. Les objectifs du projet sont au nombre de quatre : 1. Créer un espace libre d'écoute et de parole 2. Valoriser les démarches de bien-être 3. Informer sur la santé 4. Prévenir les comportements à risque. 2. Historique a) Une initiative des médecins généralistes Désireux de mettre en place une action de prévention, les médecins généralistes mènent une réflexion dès avril 2007, inspirés par les expériences des maisons médicales espagnoles et belges menées dans des collèges de proximité. Le constat initial est le suivant : • Les adolescents sont dans une étape charnière de développement et sont particulièrement exposés aux conduites à risque : consommation d'alcool ou de stupéfiants, sexualité à risque ou encore souffrance morale. Il est donc 35 Contexte justifié d'agir tôt auprès des jeunes, avant que ces comportements ne soient installés, en mettant en œuvre une action de prévention primaire. • Les adolescents n'identifient pas toujours le médecin généraliste comme une personne « ressource » en cas de situation de mal-être. De plus, tous les jeunes ne consultent pas au cabinet et il est parfois difficile pour certains de demander de l'aide. Il est donc nécessaire d'aller à leur rencontre en proposant une action sur leur lieu de vie : le collège. • Il existe sur le secteur un potentiel médical et para-médical : professionnels en nombre suffisant et motivés, permettant la création d'un projet. Les médecins prennent par la suite contact avec les différents acteurs locaux : les responsables des deux collèges du secteur (le collège privé de Saint Germain et le collège public de la commune voisine) et les médecins généralistes exerçant sur ce même secteur. Finalement parmi ces structures, seul le collège Jean Blouin participera au projet. Il semble qu'à ce moment, l'initiative des médecins répondait à un besoin de ce collège, ce qui n'était pas le cas du collège public, freinant probablement l'implantation du projet. Dans le même temps, l'équipe médicale a effectué une demande d'accompagnement au CREDEPS (actuellement IREPS) des Pays de la Loire, afin d'être aidé dans ce projet par une équipe spécialisée. b) Création d'une dynamique territoriale Par souci d'intégrer le plus grand nombre d'acteurs, une réunion de concertation est organisée en novembre 2007. Dix-huit personnes y assistent : parents d’élèves, chefs d'établissement, enseignants, médecins généralistes, membres de l'IREPS, et un éducateur du CSI. À l'issue de cette réunion, les objectifs du projet sont définis et quatre parents d'élèves se proposent pour participer à l'animation des séances, ce qu'ils feront pendant un an. D'autres réunions rassembleront ce groupe pilote pour organiser le démarrage du projet. c) Les débuts au collège Jean Blouin Afin d'implanter l'ESJ et de sensibiliser les élèves, un questionnaire a été diffusé au collège fin 2007. Les élèves ont été invités à participer, et ont également été sollicités pour donner leur avis sur la fréquence des séances, la méthode de choix des thèmes et les thématiques qu'ils souhaitaient aborder. 36 Contexte Soixante-dix jeunes ont répondu à ce questionnaire : 45 connaissaient l'existence du futur projet et 47 étaient satisfaits de la fréquence des séances. Les thèmes intéressant les jeunes étaient nombreux et variés (nutrition, alcool, tabac, drogues, sexualité/puberté, relation parents/ados, anatomie, stress...) La première séance a eu lieu au collège Jean Blouin le 17 Janvier 2008 en présence de 27 jeunes et de 2 adultes animateurs. 3. Modalités d'intervention a) Les séances Les séances de l'ESJ ont lieu tous les 15 jours, en alternant les groupes de niveau. Ainsi, les 6-5ièmes et les 4-3ièmes se voient proposer une séance tous les mois. Les méthodes d'intervention sont identiques mais les élèves sont séparés selon leur classe afin de faciliter la communication au sein des groupes. Les séances durent 45 minutes et se déroulent sur le temps de pause du déjeuner. Les élèves choisissent le jour même de se rendre ou non à la séance en se présentant directement au lieu de RDV (le plus souvent à la cantine). Il n'existe pas de système d'inscription préalable, ni d'engagement de l'élève à participer à une future séance. Au début de chaque année scolaire lors des premières séances, le cadre de l'atelier est rappelé aux participants. De manière générale, les élèves sont sollicités pour rappeler eux-mêmes les règles à l'ensemble du groupe. Ces règles sont : respect des autres (pas de moqueries, pas de jugement), écoute de la parole des autres, confidentialité des échanges. Le choix des thèmes abordés est librement laissé aux élèves, qui les choisissent en début de séance. Les adultes ont plusieurs fois tenté de dresser une liste de thèmes pour l'année en proposant un recueil via une boite aux lettres anonyme ou via une adresse mail « espace santé jeune ». En pratique ces deux moyens d'échange ne sont pas réellement utilisés par les élèves. Les séances ESJ ont pour but de proposer une discussion libre entre les collégiens. Le respect des règles est garanti par la présence des adultes animateurs. Afin de favoriser les échanges, les animateurs utilisent des techniques d'écoute active et d'animation collective se référant à la pédagogie constructiviste, et utilisent parfois des outils d'intervention (outils pédagogiques) : outil « potes et despotes », « Ados Sexo », diffusion de vidéo… 37 Contexte Les animateurs sont présents en binôme à chacune des séances. L'un des animateurs est toujours un médecin, accompagné d'un enseignant ou de l'animateur jeunesse (AJ). Les cinq médecins de la maison médicale se relaient pour assurer leur présence. Des parents d'élèves ont participé aux binômes durant la première année du projet. À la fin de chaque intervention, les animateurs effectuent un rapide compte-rendu de la séance dans un cahier dédié : le cahier de « suivi ». Les réunions annuelles de bilan y sont également consignées. Ce cahier contient donc toutes les informations utiles sur l'ESJ, et permet une transmission des informations entre les animateurs. b) Évaluation annuelle Chaque année, la dernière séance de chaque groupe de niveau est consacrée à l'évaluation annuelle de l'ESJ par les élèves. Encore une fois, cette séance est proposée aux élèves sur la base du volontariat. Les élèves sont amenés à exprimer leurs remarques sur la qualité et le fonctionnement de l'ESJ, ainsi que sur les thèmes abordés. Il n'existe pas de protocole de cette évaluation. Les élèves sont souvent invités à exprimer leur approbation sur les critères en votant avec des cartons de couleur (vert, orange et rouge). En 2014 une enquête sous forme de questionnaire a été réalisée dans l'établissement pour évaluer la satisfaction des élèves concernant l'ESJ. En parallèle, les animateurs (médecins, professeurs, animateur jeunesse et directeur) organisent des temps de concertation réguliers. Ils se réunissent notamment en début et en fin d'année scolaire pour faire le bilan des séances, évoquer des difficultés ou mettre en œuvre une amélioration pour l'année suivante. 38 Matériel et méthode MATÉRIEL ET MÉTHODE I. Description et objectif de l'étude L'objectif principal de cette étude est de comprendre comment les différents acteurs de l'Espace Santé Jeune perçoivent une intervention d'éducation pour la santé proposée depuis 7 ans au collège Jean Blouin de Saint-Germain sur Moine. Les différents acteurs sont les élèves, les médecins généralistes animateurs, l'équipe éducative du collège (chef d'établissement et enseignants) et l'animateur jeunesse du Centre Social Intercommunal. L'objectif secondaire de l'étude est de déterminer des pistes d'amélioration dans le fonctionnement du projet Espace Santé Jeune. Il s'agit d'une étude mixte (qualitative et quantitative) réalisée par focus groups et entretiens individuels semi-directifs auprès des différents acteurs. Le volet de l'étude centré sur les perceptions des élèves s'appuie sur une méthode séquentielle exploratoire : un questionnaire construit à partir des données récoltées en entretien a permis d'affiner les résultats concernant les élèves participant à l'étude. II. Lieu de l'étude Cette étude est mono-centrique, elle s'est déroulée au sein de la maison médicale Averroès et du collège privé Jean Blouin appartenant tous deux à la commune de Saint Germain sur Moine, dans le département du Maine et Loire (49). III. Population de l'étude A. Définition de la population La population étudiée est composée des acteurs du projet Espace Santé Jeune. Il s'agit des 218 élèves de 6ième, 5ième, 4ième, 3ième du collège Jean Blouin, des 21 enseignants et du directeur du collège, de l'animateur jeunesse du CSI de la communauté de communes de la Moine, des 5 médecins généralistes de la maison médicale Averroès. 39 Matériel et méthode B. Critères d'inclusion Être élève ou enseignant au collège Jean Blouin. Être médecin généraliste à la maison médicale Averroès. Être volontaire pour participer à l'étude. Critère de participation à l'Espace Santé Jeune requis pour les focus groups : avoir participé au moins une fois à une séance de l'Espace Santé Jeune (en tant que jeune ou adulte). Pas de critère de participation à l'Espace Santé Jeune pour le questionnaire destiné aux élèves. C. Critères d'exclusion Les élèves de 6ième ont été exclus de l'étude. Lorsque le recueil de données a débuté, les élèves de 6ième n'avaient eu qu'une seule occasion de participer à une séance de l'Espace Santé Jeune. Il a été estimé que leur expérience de l'ESJ était trop faible pour contribuer à l'étude. D. Constitution du corpus de l'enquête qualitative Dans une recherche qualitative, la diversité de l'échantillon est plus importante que sa représentativité, il s'agit de panacher les opinions recueillies (31). La taille de l'échantillon - souvent modeste - n'obéit donc pas à une règle de calcul. Nous avons choisi d'interroger tous les types d'acteurs participant au projet (élèves, enseignants, chef d'établissement, médecins, animateur jeunesse). L'enquête a pris fin après recueil des opinions de chaque type d'acteurs. IV. Recueil des données A. Le choix d'une méthode mixte Nous avons choisi d'introduire une méthode mixte au sein de cette étude qualitative. La méthode mixte est définie par l'association au sein d'un même protocole de recherche de méthode qualitative et quantitative. L'avantage d'une méthode mixte est de combiner les atouts des méthodes qualitatives et quantitatives pour renforcer les résultats d'une étude et ainsi limiter les biais inhérents à l'utilisation isolée de ces méthodes. Une méthode mixte permet d'aborder la problématique à partir de différents points de vue : on parle de triangulation. La triangulation vise à la convergence ou la corroboration des résultats 40 Matériel et méthode issus de différentes méthodes dans une optique de validation des interprétations (32). Concernant les données récoltées auprès des élèves, nous avons fait le choix d'utiliser une méthode mixte de type séquentielle exploratoire. Dans cette méthode, l'étude qualitative précède l'étude quantitative, qui est construite à partir des résultats obtenus. Elle permet d'explorer des phénomènes dont les caractéristiques ne sont pas connues a priori ou d'extrapoler les résultats de l'enquête qualitative. Dans notre étude, un questionnaire a été mis au point à partir des résultats des focus groups des élèves. B. Méthodes de recueil des données 1. L'entretien L'entretien est une méthode fréquente de recueil de données en recherche qualitative. Il existe plusieurs types d'entretien, définis selon le nombre de participants (individuel ou collectif) et le degré de structuration (directif, semi-directif ou lâche). Le déroulement de l'entretien est organisé à l'avance et consigné dans un guide d'entretien (33). Dans ce travail, les entretiens effectués étaient tous semidirectifs, individuels ou collectifs (focus groups). 2. Le focus group Le focus group est un entretien collectif semi-structuré permettant de recueillir les opinions des participants sur la problématique étudiée (31). Le focus group est particulièrement adapté pour identifier et approfondir la compréhension d’un problème spécifique et complexe (facteurs difficiles à mesurer objectivement) ou encore identifier des axes de recherche à approfondir par une recherche quantitative (triangulation). Cette technique repose sur la dynamique de groupe entre les différents participants, et permet l'approfondissement des propos, l'expression d'expériences ou d'opinions, l'émergence de désaccords entre les membres, l'expression de propos critiques. Cependant le groupe peut aussi apporter certaines limites : une opinion minoritaire peut être difficile à exprimer par un participant, notamment en cas de timidité, l'émergence d'un leader au sein du groupe peut gommer la diversité des opinions, l'expression du groupe peut être entravée par des participants difficiles. 41 Matériel et méthode Le déroulement du focus group nécessite la présence de deux chercheurs : un modérateur et un observateur. Le modérateur est concentré sur la gestion des échanges du groupe et doit donc posséder une certaine maîtrise des techniques de relance et d'animation de groupe. L'observateur est concentré sur la nature des échanges, et sur l'expression non verbale des participants. 3. Le questionnaire Le questionnaire est une méthode d'enquête quantitative : il cherche à vérifier la validité d'une hypothèse définie par le chercheur. À partir de l'hypothèse, différents indicateurs permettant de la tester doivent être définis. Ces indicateurs servent de guide aux items du questionnaire. Une attention particulière doit être portée au type, à la formulation, et à l'ordre des réponses afin de garantir l'intelligibilité, de favoriser la participation et d'éviter d'influencer les participants. Une partie du questionnaire doit être consacrée aux caractéristiques sociales des participants, afin d'identifier des liens de causalité entre les variables. La sélection de l'échantillon doit être particulièrement rigoureuse afin de garantir sa représentativité. Enfin les conditions de passation du questionnaire doivent être soigneusement anticipées afin de favoriser la participation (34). V. Déroulement de l'étude A. Protocole de l'étude Le protocole de l'étude a été défini en plusieurs séquences : • Première séquence : exploration informelle du projet Espace Santé Jeune par observation de séances, prise de contact avec les médecins, et le directeur du collège, exploration de documents concernant l'historique du projet, fournis par le collège et le cabinet médical. • Seconde séquence : réalisation des focus groups. • Troisième séquence : passation du questionnaire destiné aux élèves, construit à partir des données recueillies lors des focus groups. • Quatrième séquence : confrontation des résultats aux opinions des trois acteurs clés du projet Espace Santé Jeune grâce à la réalisation d'entretiens individuels. 42 Matériel et méthode B. Élaboration des outils de recueil des données 1. Définition des dimensions et indicateurs A l'issue de la phase d'observation informelle et d'une recherche bibliographique, les différentes dimensions à explorer pour répondre à la question de recherche ont été définies. Un tableau récapitulatif des dimensions et des indicateurs correspondants a été établi (Tableau 1). 2. Élaboration des guides d'entretien Pour les focus groups, les guides d'entretien ont été établis pour chaque groupe d'acteurs (élèves, professeurs, médecins) à partir du tableau des dimensions (cf. annexe 3). Les guides d'entretien pour les groupes « élèves » ont été améliorés après chaque focus group afin de les adapter au public. Concernant les entretiens individuels, les guides ont été établis à partir du tableau des dimensions et des résultats intermédiaires de l'étude (cf. annexe 3) 3. Élaboration du questionnaire Le questionnaire a été créé à partir du tableau des dimensions et des propos recueillis lors des focus groups élèves. Différents types de propos ont été choisis : propos divergents sur une même thématique, afin de décrire la position dominante ; propos consensuels afin de permettre une extrapolation ; propos concernant les élèves n'ayant jamais participé à l'ESJ. Le questionnaire était divisé en deux parties : une partie commune concernant les caractéristiques individuelles des élèves et une partie spécifique en fonction de la participation des élèves à l'ESJ. Chaque partie spécifique comprenait une série de questions fermées et une question ouverte. Les questions fermées proposaient différents types de réponses : échelles de Likert, réponses binaires, choix de propositions. Une attention particulière a été portée au design du questionnaire afin de le rendre attrayant pour les jeunes. Le choix a été fait de proposer une passation en ligne exclusive afin de faciliter la participation en limitant toute assimilation du questionnaire à un « contrôle scolaire » (cf. annexe 5). Les dimensions explorées dans le questionnaire sont présentées dans le tableau 2. 43 Matériel et méthode Dimensions Indicateurs Qui est concerné par cet indicateur ? Représentations sociales concernant l'ESJ Description de l'expérience vécue dans l'ESJ Tous* Sentiment d'utilité/d'importance accordé à l'ESJ Tous* Motivations à participer à l'ESJ Tous* Attitudes sociales des élèves en rapport avec l'ESJ Tous* Degré d'adhésion / attitude sociale des Enseignants membres de l'équipe éducative en rapport avec l'ESJ Perception du fonctionnement de l'ESJ Description du rôle tenu par les adultes pendant l'ESJ Tous* Extension des séances hors de l'ESJ Tous* Perception du contenu des séance Tous* Perception du cadre de l'ESJ (respect de la parole, des personnes, confidentialité...) Enseignants, élèves Perception de l'animation des séances Tous* Perception du choix des thèmes Tous* Perception de l'utilisation d'outils pédagogiques Tous* Bénéfices perçus du projet ESJ Difficultés concrètes liées à l'ESJ Enseignants, animateur, médecins Facteurs favorisant la pérennité du projet ESJ Enseignants, animateur, médecins En terme de relations Tous* Entre élèves Entre élèves et enseignants Entre adultes Effets de la participation de médecins au projet En terme de santé perçue Elèves En terme de facilitation des soins pour les jeunes Tous* En terme de pratiques professionnelles Enseignants, animateur, médecins Influence sur la représentation sociale du médecin par les autres acteurs Enseignants, animateur, élèves Influence sur les relations avec les médecins Tous* Tableau 1: Tableau des dimensions et critères explorés. *Elèves, enseignants, animateur, médecins 44 Matériel et méthode Partie commune : caractéristiques des participants Âge, genre, classe, date de naissance, participation à au moins une séance de l'ESJ Partie spécifique concernant les élèves ayant déjà participé à une séance au moins de l'ESJ Appréciation globale de l'ESJ Influence de l'ESJ sur les relations entre les élèves Expérimentation d'une empathie entre les élèves lors des séances ESJ Influence sur la participation du non respect de la confidentialité entre les élèves Exploration des relations entre les 4ièmes et les 3ièmes Influence de l'ESJ sur la relation médecin-jeune au cours de la consultation médicale Influence de l'ESJ sur les relations entre élèves et enseignants Question ouverte : commentaires libres sur l'ESJ Partie spécifique concernant les élèves n'ayant jamais participé à l'ESJ Question ouverte : explication des raisons de non-participation Influence de la confidentialité des élèves et des enseignants sur la non-participation Influence du choix des thèmes de séance sur la non-participation Influence du mode d'animation sur la non-participation Influence de la présence des médecins sur la non-participation Influence du dialogue sur la santé dans le milieu familial sur la non-participation Influence des relations entre 4ièmes et 3ièmes sur la non-participation Tableau 2: Dimensions explorées dans l'enquête quantitative C. Recrutement des participants Le recrutement des médecins et des enseignants pour les focus groups a été réalisé sur la base du volontariat. Une prise de contact avec les médecins généralistes lors d'une première visite de la maison médicale a permis de confirmer leur souhait de participer à cette étude. Pour les enseignants, une information orale informelle et une information écrite disposée en salle des professeurs invitant à participer à l'étude ont été réalisées en accord avec le directeur de l'établissement. Le recrutement des élèves a été réalisé sur la base du volontariat. Une lettre d'information concernant le déroulement de l'étude au sein de l'établissement a été transmise aux parents d'élèves, aucun parent ne s'est opposé à la sollicitation de ses enfants pour participer à l'étude. Pour les focus groups, les élèves ont été sélectionnés par l'équipe éducative parmi les volontaires. Les critères de sélection étaient la participation effective à l'ESJ, le genre, la classe afin d'obtenir des groupes équilibrés. 45 Matériel et méthode Pour les questionnaires, tous les élèves ont été invités oralement et par mail à remplir le questionnaire en ligne à leur domicile ou dans la salle informatique du collège, sans sélection particulière hormis exclusion des 6ièmes. Le directeur, le médecin initiateur du projet et l'animateur jeunesse ont été sollicités oralement ainsi que par mail pour participer aux entretiens individuels. D. Retranscription Chaque entretien a été enregistré après accord des participants puis intégralement retranscrit. La retranscription des entretiens a été réalisée au plus tôt et au mot près (hormis noms, prénoms et références géographiques). Les silences, les hésitations ont été traduits par des points de suspension. Les rires et certains éléments non verbaux ont également été notés. Enfin, le contexte environnemental et les interventions de tiers ont été précisés. VI. Analyse des données A. Analyse qualitative L'analyse des entretiens a été réalisée par le chercheur au fur et à mesure de l'enquête, selon la méthode de la théorisation ancrée. Après transcription, une lecture attentive de chaque entretien a été réalisée, suivie d'un codage primaire à l'aide du logiciel Nvivo 6, découpant les données par unités de sens. Les réponses aux questions ouvertes du questionnaire et les notes de terrain ont également été codées. Dans un second temps une analyse transversale par catégorisation des codes en ensembles et sous-ensembles a été effectuée, afin de dégager les résultats de l'enquête qualitative (31). B. Analyse quantitative Une analyse simple type « tri-à-plat » des effectifs a été effectuée pour les réponses au questionnaire (34) à l'aide du logiciel Excel. Pour chaque item, les réponses ont été présentées dans un tableau à double entrée, les variables qualitatives ont été exprimées en pourcentage. 46 Matériel et méthode C. Intégration des résultats Une approche complémentaire a été choisie pour l'intégration des résultats qualitatifs et quantitatifs. Les résultats sont analysés séparément puis interprétés chacun à la lumière de l'autre : soit comme élément qui propose une autre piste d’exploration, soit comme élément explicatif et/ou de compréhension (32). 47 Résultats RÉSULTATS I. Déroulement et population de l'étude Cette étude s'est déroulée de janvier à juin 2015, pendant 23 semaines. Les différentes phases de l'étude sont détaillées dans la figure 1. Population de l’étude n= 246 218 élèves (68 sixièmes, 47 cinquièmes, 51 quatrièmes, 52 troisièmes) 5 médecins 21 enseignants 1 chef d'établissement 1 animateur jeunesse Exclusion : 68 élèves de 6ièmes Inclusion Echantillon Entretiens N=30 Questionnaire N=107 Phases Type d'entretien Effectif Phase 1 23 janvier-13 mars 2015 Focus Group 5ièmes N=7 Focus Group 4-3ièmes N=8 Focus Group Enseignants N=4 Focus Group 4ièmes N=5 Phase 2 27 avril – 7 mai 2015 Phase 3 01 juin - 30 juin 2015 Effectif Questionnaire élèves Focus Group médecins N=4 Entretien Directeur N=1 Entretien Animateur Jeunesse N=1 Entretien Médecin 2 N=1* Figure 1: Diagramme de flux * Médecin ayant déjà été comptabilisé dans le focus group médecin 48 N=107 Résultats A. Entretiens 1. Temporalité Le déroulement des entretiens a duré 23 semaines. Les entretiens ont été réalisés en deux séquences distinctes. Durant la période du 23 janvier au 13 mars 2015, 4 focus groups ont été réalisés avec les élèves de 5ième, les 4ièmes et 3ièmes ensemble, les 4ièmes seuls, et enfin les enseignants. Durant la période du premier juin au 30 juin 2015, le focus group médecin a été réalisé, suivi par les trois entretiens individuels avec l'animateur jeunesse, le chef d'établissement et le médecin responsable de l'ESJ. 2. Lieu Les focus groups des élèves et des professeurs se sont déroulés au collège Jean Blouin de Saint-Germain sur Moine, dans des salles de classe inoccupées. Le focus group des médecins s'est déroulé au cabinet médical, durant le déjeuner. Les entretiens individuels se sont déroulés dans les lieux souhaités par les participants : bureaux respectifs du médecin et du chef d'établissement, salle de pause du cabinet médical pour l'animateur jeunesse. 3. Déroulement Chaque entretien s'est déroulé en présence du (des) participant(s) et du modérateur (le chercheur) : pour des raisons d'organisation, la présence d'un observateur accompagnant n'a pas été possible. Une explication concernant le projet d'étude, les principes du focus group (notamment la nécessité d'écoute et de respect de la diversité des opinions) et de l'entretien individuel, le respect de l'anonymat des participants a été donnée au début de chaque entretien. Une série de données contextuelles étaient également recueillie à ce moment auprès des participants : âge, genre, classe des élèves, profession des adultes. En ce qui concerne les élèves, un groupe de 5ièmes et un groupe de 4ièmes3ièmes mêlés étaient initialement prévu. En raison d'un biais d'expression important des 4ièmes, un focus group supplémentaire a été organisé avec des 4ièmes seuls. Les opinions des élèves n'ayant pas participé au projet ESJ, ne correspondant pas au principal objectif de l'étude, n'ont été recueillies que de manière superficielle dans le questionnaire. 49 Résultats Les focus groups (médecins, élèves, enseignants) ont duré entre 42 et 61 minutes. Les entretiens individuels ont duré 30, 39 et 44 minutes. 4. Caractéristiques des participants Trente participants ont été inclus dans les entretiens : 20 élèves, 4 enseignants et 4 médecins pour les focus groups ; le chef d'établissement, l'animateur jeunesse et un des quatre médecins (ayant participé au focus group) ont participé aux entretiens individuels (Tableau 3). 50 Résultats N Participants Statut Genre Âge M M M M M F F M F F F F F F M F M M M M 12 12 12 13 12 12 12 13 13 13 14 13 14 14 14 13 13 14 13 13 F F F F M M M F F M 31 52 35 43 54 64 47 54 35 36 Élèves 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8 E9 E10 E11 E12 E13 E14 E15 E16 E17 E18 E19 E20 Elève 5ième Elève 5ième Elève 5ième Elève 5ième Elève 5ième Elève 5ième Elève 5ième Élève 4ième Élève 4ième Élève 4ième Élève 3ième Élève 4ième Élève 3ième Élève 3ième Élève 3ième Élève 4ième Élève 4ième Élève 4ième Élève 4ième Élève 4ième Adultes 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 P1 P2 P3 P4 Dir M1 M2 M3 M4 AJ Enseignant Enseignant Enseignant Enseignant Chef d'établissement / enseignant Médecin généraliste Médecin généraliste Médecin généraliste Médecin généraliste Animateur Jeunesse Tableau 3: Caractéristiques des participants à l'enquête qualitative B. Questionnaire 1. Temporalité Le recueil des questionnaires a été effectué du 27 avril au 7 mai au collège Jean Blouin de Saint-Germain sur Moine. 51 Résultats 2. Déroulement du questionnaire Au début de la phase de recueil du questionnaire, une information orale dans les classes a été effectuée par le chercheur, accompagnée d'une distribution de flyers (cf. annexe 4) invitant les élèves de l'établissement à répondre en ligne au questionnaire. Un mail de sollicitation, contenant le lien vers le questionnaire en ligne a également été envoyé aux élèves par le professeur de technologie. Durant la première semaine de recueil des questionnaires, les élèves étaient libres de répondre à domicile. Des ordinateurs étaient également mis à disposition au collège. Lors de la seconde semaine, les professeurs principaux ont sollicité les élèves pour répondre au questionnaire sur le temps de vie de classe. Les élèves étaient alors conduits vers la salle informatique du collège pour participer. 3. Caractéristiques des participants 107 questionnaires ont été complétés par les élèves. 150 élèves ont été sollicités pour participer, le taux de réponse a donc été de 71,3 %. Le taux d'élèves ayant participé à l'ESJ a été de 58,9 %. Les caractéristiques des répondeurs sont rapportées dans le tableau 4. Nombre et taux de participants Genre des participants Filles Garçons 40 (37,4%) 67 (62,6%) Classe des participants Cinquième Quatrième Troisième 37 (34,6%) 31 (29%) 39 (36,4%) Année de naissance 1999 2000 2001 2002 2003 Autres 3 (2,80%) 40 (37,4%) 29 (27,1%) 28 (26,1%) 3 (2,80%) 4 (3,7%) Participation à l'ESJ Au moins une fois Jamais 63 (58,9%) 44 (41,1%) Tableau 4: Caractéristiques des participants à l'enquête quantitative 52 Résultats 4. Résultats chez les 63 élèves ayant déjà participé à l'ESJ Assertions Réponse (%) « Globalement j'aime bien l'ESJ » Tout à fait d'accord D'accord En partie d'accord Pas du tout d'accord Assertions 12 (19%) 32 (50,8%) 19 (30,2%) 0 (0%) Élèves « D'accord » Élèves «Pas d'accord » (%) (%) Effets de l'ESJ sur le relationnel entre les élèves Diminution des préjugés entre élèves Amélioration des relations avec les plus âgés Vécu d'une empathie au sein des séances ESJ Effets de l'ESJ sur les relations jeunes médecins « Je me sens plus à l'aise en consultation » « J'ose poser des questions à mon médecin » « J'ai plus confiance en mon médecin » « Ça n'a rien changé » Envie de parler de « santé » avec le médecin au cabinet Effets de l'ESJ sur la relation élèves enseignants « Je vois les enseignants de manière plus positive » Perception de la confidentialité des séances Arrêt de participation en raison d'un non respect de la confidentialité entre élèves Préférence de l'anonymat sur la confidentialité « Je ne suis pas gêné si on répète ce que je dis à l'ESJ » Assertions 23 (36,5%) 22 (35%) 52 (82,5%) 40 (63,5%) 41 (65%) 11 (17,5%) 15 (23,8%) 22 (35%) 20 (31,8%) 38 (60,3%) 48 (76,2%) 41 (65%) 43 (68,2%) 25 (39,7%) 22 (34,9%) 41 (65,1%) 26 (41,9%) 36 (58,1%) 8 (12,7%) 36 (57,1%) 55 (87,3%) 27 (42,9%) 29 (46%) 34 (54%) Réponse (%) A propos des séances 4-3ièmes mélangés (exclusion des réponses des 5ièmes) Toujours mélanger les 4-3ièmes Toujours séparer les 4-3ièmes Alterner Pas d'avis 9 (24,3%) 11 (29,7%) 14 (37,8%) 3 (8,11%) A propos de la confidentialité des enseignants Ils respectent la confidentialité Ils ne la respectent pas mais « je m'en fiche » Ils ne la respectent pas et « ça me gène » Pas d'avis 28 (44,4 %) 13 (20,6%) 9 (14,3%) 13 (20,6%) Tableau 5: résultats des élèves ayant déjà participé à l'ESJ 53 Résultats 5. Résultats chez les 44 élèves n'ayant jamais participé à l'ESJ Assertions « D'accord » «Pas « Pas (%) d'accord » d'avis » (%) (%) Si je ne participe pas à l'ESJ c'est parce que... Les élèves pourraient répéter ce que je dis Je n'ose pas proposer des thèmes Il y a de grands silences et je n'aime pas ça Les profs pourraient répéter à mes parents ou aux autres profs On ne connaît pas les médecins Je parle déjà de santé avec mes proches Je ne veux pas parler devant les 3ièmes (réponses des 4ièmes uniquement) Je préférerais en parler seul avec mon médecin 14 (31,8%) 18 (40,9%) 8 (18,2%) 21 (47,7%) 18 (40,9%) 18 (40,9%) 9 (20,5%) 8 (18,2%) 18 (40,9%) 9 (20,5%) 9 (20,5%) 15 (34,1%) 31 (70,5%) 29 (65,9%) 18 (40,9%) 4 (9%) 6 (13,6%) 11 (25%) 5 (31,2%) 8 (50%) 3 (18,8%) 13 (29,6%) 16 (36,4%) 15 (34,1%) Tableau 6: Résultats des élèves n'ayant jamais participé à l'ESJ II. Analyse transversale A. Le projet Espace Santé Jeune (ESJ) 1. Perception des séances de l'ESJ a) Des séances centrées sur la parole La parole semble être l'élément central de l'ESJ, permettant un dialogue riche entre adultes et élèves, mais surtout entre les élèves eux-mêmes. En majorité, les séances de l'ESJ reposent sur la tenue d'un échange entre les participants adultes ou adolescents. Les autres séances, « plus dynamiques » (AJ) reposent sur l'utilisation d'outils pédagogiques thématiques. a.1 Échanges entre adultes et jeunes Pour les adultes, l'ESJ est perçu comme un espace d'écoute des jeunes (Dir, P3). L'espace de parole ainsi développé permet aux élèves d'avoir une réelle conversation avec des adultes (P2) qui ne sont « ni les parents, ni les profs » (Dir) et de poser des questions qui les concernent (P2). Les jeunes perçoivent également les séances de l'ESJ comme un espace d'échange. Ils affirment avoir un sentiment de liberté d'expression au cours des séances : « on dit ce qu'on veut » (E13). Ils se perçoivent également libres de choisir les thèmes de séance (E17, E3, E4, E6). Il semble exister un réel effort des adultes pour libérer la parole chez les jeunes (E15, E14, E13) et leur permettre d'exprimer leurs questionnements (P3, P2, E15), 54 Résultats leurs émotions (E13) ou leurs inquiétudes (questionnaire), ce qui demande parfois aux médecins de « se taire » pour laisser le dialogue se créer entre les adolescents (M2). E15 : et puis c'est nous qui parlons pas les profs […]. E13 : ils [les médecins] essaient de comprendre en fait, comment... ce qu'on ressent, tout ça. Les échanges entre les jeunes et les adultes semblent spontanés et libres, sans « langue de bois » (P1), les enseignants signalent même être surpris en voyant la facilité des élèves à aborder certains sujets devant eux (P1, P4). a.2 Échanges entre les jeunes. En plus d'être un espace d'échanges entre adultes et élèves, il existe dans les séances de l'ESJ un échange entre les élèves eux-mêmes : l'ESJ est perçu comme un espace de parole collectif (Dir). Pour les jeunes comme les adultes, cet échange entre jeunes est fondamental (M2) : L'ESJ doit permettre de « libérer la parole » des adolescents (M1, M2, M3, M4). Les jeunes apprécient obtenir des réponses des adultes mais également se poser d'autres questions, se construire une opinion au cours d'un débat entre jeunes de leur âge (E12, E10, E13), « ouvrir des portes » (Dir). De tels débats sont parfois facilités par l'utilisation d'outils pédagogiques (E20, E12). E12 : [Alors] que quand on est à l'espace santé jeune, il y en a qui vont dire « non », il y en a qui vont dire « oui » et puis on va changer plusieurs fois d'avis […]. Quest : Je [...] trouve le concept [de l'ESJ] plutôt bien car de temps en temps ça permet de s'exprimer sur nos inquiétudes mais aussi d'écouter d'autres situations et d'avoir sa propre opinion, peut-être que ça pourra aider l'élève. Les jeunes sont notamment incités par les adultes à répondre entre eux à leurs propres questionnements, et à exprimer leurs savoirs et expériences sur la santé (voir partie « ESJ et apprentissage »). a.3 Expression rare de problématique intime Parfois, mais rarement, un des participants va livrer une expérience personnelle relevant de l'intime. Cette expression est perçue par les adultes comme la libération d'un fardeau (P2, Dir, M1) avec une valeur presque thérapeutique (Dir, M1). 55 Résultats Dir : Ils vont parler d'un problème qui les touche, qui les concerne véritablement et le fait d'en parler déjà, ça les aide à mieux l'accepter. Ça ne résout pas le problème, mais ça les aide à mieux l'accepter. L'ESJ n'est cependant pas du tout perçu par les élèves comme une thérapie de groupe. En effet, les élèves expriment une méfiance à l'idée de dévoiler des choses trop personnelles (E2, E4, E6, E7, E16, E17, E19, E20), ce qui diffère de la perception des adultes qui estiment l'ESJ propice à l'expression des mal-êtres des jeunes (Dir, M2, P2). P2 : Parce qu'ils disent des trucs assez forts quand même, hein, dans ces ESJ ! Moi c'est ça qui m'a soufflée ! Et on a vu qu'il y a une vraie souffrance quand même, chez certains, et qu'ils osent le dire […]. Mod : L'ESJ ce n'est pas forcément le lieu pour étaler toute votre vie, c'est ça ? Plusieurs : oui voilà ! E4 : il y a des limites à ne pas franchir... E6 : ça ne regarde pas tout le monde. a.4 Limite de la parole Baser les séances sur la parole comporte certaines limites. Une des limites est la création des conditions nécessaires à la libération de la parole au sein d'un groupe d'adolescents : à cet âge, la parole est souvent freinée par le regard des autres, créer un cadre sécurisant et dynamisant pour les adolescents est donc indispensable (voire partie « rôle des animateurs » et « non jugement entre les participants »). La parole peut également être freinée par le vote d'un thème qui n'intéresse (par définition) pas la partie minoritaire des jeunes (E17, E20). Ces freins à la parole provoquent parfois de « grands blancs » au sein des séances (E19, E17). Une autre limite est la difficulté de compréhension orale par certains jeunes, qui signalent l'intérêt de l'utilisation d'outils de transmission d'information (vidéos ou autres) (E16, E20, E17). E16 : Parce que souvent avec la parole, enfin, on peut comprendre mais pas toujours. E17 : On comprend pas tout. b) Quelles sont les motivations des élèves à se rendre aux séances ? Les séances de l'ESJ sont basées sur la participation libre des élèves. Plusieurs motivations à participer ont été évoquées. 56 Résultats Les élèves citent en premier lieu l'intérêt pour les sujets abordés pendant les séances (E12, E7, E17, E18). Les élèves se rendent également plus facilement aux séances lorsqu'ils ont un sujet précis qui les questionne et qu'ils aimeraient aborder en séance (E13, E17). L'envie d'apprendre est également signalée (E20, E2). La convivialité de l'ESJ est citée comme une motivation. Les jeunes s'y rendent pour passer un moment de « détente » (E16), de décontraction (E17), un temps « cool » (questionnaire), où ils peuvent « souffler » (E20), s'amuser (E7, E5), prendre du plaisir (E16) et faire « ce qu'il veulent » (voir partie « liberté »). E7 : Ben on s'amuse bien parce qu'on fait des choses mais en jouant un peu... On donne notre avis mais des fois on fait des jeux. E5 : C'est ludique. Se rendre à l'ESJ avec un groupe d'amis est une condition importante des jeunes (E14, E20) qui apprécient débattre avec eux (E10, E4). E14 : du coup on y va avec nos amis aussi d'un côté, parce que... moi toute seule j'irai pas... Les jeunes apprécient faire quelque chose de différent, quelque chose « qui change » (E16, E18). D'autres viennent pour « être au chaud » (E14). Parfois les jeunes n'ont pas forcément de motivation précise en tête quand ils se rendent à l'ESJ, ils y vont juste par « curiosité » (Voir partie « Une occasion »). Certaines motivations des autres participants sont critiquées par les élèves : certains ne viendraient aux séances que pour « rigoler » ou « faire les intéressants » (E13, E20). c) ESJ et apprentissages L'ESJ est fréquemment décrit par les jeunes comme un espace d'« apprentissage » (E2, E13, E14, E16, E17, E18, E20, E13). E16 : Oui et puis on apprend, pas toujours mais souvent, des choses importantes… Les moyens d'apprentissage de l'ESJ semblent se décliner en : transmission de connaissances entre les élèves ou transmission de connaissances des adultes vers les élèves, création d'une opinion ou d'un esprit critique lors des débats entre les jeunes, favorisée ou non par un outil pédagogique (voir partie « Échanges entre les jeunes »). C'est au final la coexistence d'un débat entre les jeunes et de réponses à leurs questionnements qui importe aux participants (E12, E13, E14). 57 Résultats Ces connaissances transmises semblent cependant peu réinvesties par les jeunes dans leur vie quotidienne (E2, E3, E5, E6, E7, E18, E19, E20, E13, E14), exception faite de certains jeunes qui se sentent mieux « informés » sur certaines problématiques de santé (voir partie « influence sur la santé des jeunes »). c.1 Transmission de connaissances entre les élèves Les adultes s'accordent sur l'importance de faire émerger les réponses aux questions par le groupe de jeunes lui-même (Dir, M1, M2, M3, E10, E12, E13, E1, AJ), afin que chacun s'enrichisse de l'expérience des uns et des autres (M2). Dir : Et là, ça se fait vraiment sous forme d'un dialogue. Et ce que j'apprécie aussi […] c'est que, très souvent, finalement, ce sont les élèves qui s'apportent des éléments de réponse mutuels. C'est pas « le médecin qui apporte tout de suite une réponse » à la question posée. Il y a un échange, toujours […]. E13 : On apprend des choses mais ce n'est pas forcément que par les médecins non plus ! Des fois on apprend les expériences des autres [...] du coup c'est... aussi plus proche parce qu'on connaît, par exemple, l'élève... tout ça. AJ : Voilà, on essaie de faire en sorte que les élèves trouvent les réponses par eux-mêmes. c.2 Informations transmises par les adultes Les jeunes apprécient également obtenir des réponses à leurs questionnements, notamment médicaux, de la part des adultes. Lorsque des informations sont fournies par les adultes, il existe un réel effort de ces derniers pour en adapter le contenu à ce jeune public, notamment de la part des médecins qui semblent délivrer une information claire et adaptée à l'âge des jeunes et à leur vocabulaire (Dir, E14, E17, E7, E2, questionnaire). Les informations transmises par les médecins sont perçues comme plus compréhensibles et adaptées que celles trouvées sur internet (E2, E7, E17, E13, E14). E13 : [...] moi je sais que j'avais posé une question sur une maladie qui m’intéressait parce que je connaissais quelqu'un qui avait cette maladie et je ne comprenais pas ce qui se passait. Et du coup quand j'y suis allé, le médecin m'a vachement répondu, il était précis et il m'a mis en confiance, c'est pas comme si [...] il plaquait tout ça comme si c'était un cours, il essayait de comprendre pourquoi je posais cette question tout ça sans me mettre mal à l'aise… 58 Résultats d) Le choix des thèmes de discussion d.1 Méthode de choix des thèmes Les élèves ressentent une réelle liberté dans le choix des thèmes de discussion (Voir partie : « le choix de la liberté, forces et limites »). Le choix des jeunes est toujours effectué au début de la séance ESJ (E10, E14, E15, E20), ce qui semble important pour eux et favorise la participation (E1, E7, E10, E13, E14) mais peut poser quelques difficultés : pour les adultes cela entraine une difficulté à anticiper les outils pédagogiques adaptés aux thèmes ; pour les jeunes, le choix des thèmes les exposent au regard des autres. La méthode de choix des thèmes la plus souvent citée est la méthode des post-it (E1, E7, E15, E10, E17, E20). Chaque jeune écrit le thème qui l'intéresse sur un post-it, les thèmes les plus fréquemment cités sont ensuite abordés pendant la séance (cf. annexe 7). L'anonymat procuré par cette méthode est apprécié par les jeunes (E14, E17, E20, E16, E20) : Mod : Mais heu, c'est facile comme ça de dire... « j'ai envie de parler de ça » devant tout le monde ? E20 : Non, c'est pour ça qu'on nous donne des post-it […] parce qu'au moins personne ne sait que c'est nous qui l'avons mis... Les élèves décrivent également certains choix de thèmes en début de séance sans post-it : chaque élève doit prendre la parole et exprimer le thème qu'il souhaite aborder (E10, E12, E13, E14). Cette méthode ne semble pas adaptée pour les jeunes (E10, E12, E13) qui craignent d'exprimer des thèmes devant les autres, ce qui provoque parfois de « grands blancs » (E13, E14). La méthode de choix des thèmes est un enjeu important de la participation, puisque 40,9 % des élèves non-participants à l'ESJ estiment que c'est en partie parce qu'ils n'oseraient pas proposer de thèmes. E13 : Quand ils disent « bon, alors vous voulez parler de quoi ? » […] E10 : [...] mais en fait quand ils nous demandent comme ça à l'oral on ne répond jamais ! E13 : oui sur les post-it c'est plus facile. E12 : on n'a pas envie de dire devant tout le monde [de] ce qu'on veut parler E13 : c'est plus facile de l'écrire… E14 : Anonymement. 59 Résultats Il arrive parfois que les jeunes n'aient « pas d'idée » (E14, E13). Dans les entretiens, les élèves proposent à ce moment-là de voter un thème parmi une liste qui serait apportée par les adultes. E14 : Parce que ça nous est arrivé qu'on soit restés un quart d'heure à se regarder dans le blanc des yeux […] alors que s'ils voient qu'au bout de 5 minutes on a aucune idée qui nous vient… ben là ils proposent les thèmes et puis du coup on peut plus facilement oser parce qu'on s'est dit ce n'est pas venu de notre pensée alors on ne sera pas du tout jugés, ceux qui ont peur... D'un autre côté, certains élèves ont une perception plutôt négative d'une séance où les adultes avaient anticipé un outil pédagogique sur un thème donné et que les élèves n'avaient donc pas choisi (E2). Au final, les jeunes attendent des adultes qu'ils n'imposent pas les thèmes, mais qu'ils n'arrivent pas non plus les mains vides : les jeunes souhaitent que les adultes aient un « plan B » en cas de manque d'inspiration des jeunes (E12, E13, E14). L'anonymat des élèves par rapport au choix des thèmes semble fondamental. d.2 Nature des thèmes abordés Les thèmes abordés à l'ESJ sont très variés, mais on peut distinguer plusieurs grands axes abordés par les jeunes. Les thèmes médicaux (en rapport avec le soin, les maladies) sont souvent abordés. Souvent les jeunes s'interrogent à propos de membres de leur famille atteints de maladies particulières qu'ils ne comprennent pas, ils questionnent donc les médecins (E17, E13, E4, E5, Dir, M1, M2). Dans les entretiens, il a été cité des questionnements sur : l'ablation de la vésicule biliaire, la maladie d'Alzheimer, la dépendance à l'alcool, le cancer. E17 : Il y a eu mon papi qui a eu une vésicule biliaire et puis du coup je savais pas ce que c'était et du coup ben je leur avais demandé et ils m'avaient expliqué… Les thèmes médicaux sont également amenés par les jeunes sans lien avec leur famille, par simple questionnement, à propos de maladies (Infections sexuellement transmissibles ou autres) ou de questions anatomiques (E12). La présence même du médecin semble orienter implicitement les échanges vers ces thèmes médicaux (E10, E13, M2). Lorsque les discussions sont trop « techniques » AJ précise que son rôle est de recentrer les échanges sur l'expérience concrète des jeunes dans cette même thématique (Voir partie « Rôle de l'AJ »). 60 Résultats Après les thèmes médicaux, viennent les thèmes « autour de la santé ». Ces thèmes tournent autour de problématiques de santé mais sont plutôt orientés sur les questionnements généraux. Par exemple la problématique de santé « tabagisme » va conduire les échanges sur la relation des ados face au groupe (M2). On peut citer également des thématiques comme la sexualité vue sous l'angle des pratiques (E13, E4), toutes les problématiques relationnelles (garçon-fille (M2), relation amoureuse, parents-enfants (E14)), le stress (E4), les drogues (E10) ou d'autres thèmes comme « l'ordinateur et le cerveau » (M2), « santé et jeux-vidéos ». Il arrive également que les échanges s'éloignent franchement des thématiques de santé pour aborder des questions plus philosophiques comme « qu'est ce que la mort ? » (Dir). Ces discussions sont donc souvent éloignées des compétences spécifiques du médecin, voire se rapprochent plus des compétences des enseignants ou de l'AJ (M2 et M3 à propos des thématiques relationnelles). E10 : On parle plus des trucs de la santé ou ce qui peut toucher le moral ou le cerveau... des trucs comme ça. Enfin, sont abordés les thèmes que les adolescents décrivent « de la vie de tous les jours » (E17, E20). E17 : Ou par exemple quelque chose qu'on a entendu aux infos ou des trucs comme ça… E20 : après c'est plutôt des questions qu'on se pose « comme ça », de la vie de tous les jours… Des thèmes semblent assez récurrents, notamment la sexualité (E1, E5, E7, E14, E20). E5 : Non mais en fait, 19 fois sur 20, tu as le thème de la sexualité et puis 1 fois sur 20 tu as les maladies, le stress, tout ce qui est en dehors de la sexualité et de la puberté. Au-delà des thèmes proposés, les discussions qui ont lieu concrètement semblent concerner les élèves (P1, E17, E18, E20) même si parfois le choix par post-it ne prend en compte que les thèmes majoritaires et laisse donc de côté certains thèmes qui intéressent les élèves (E20, E4, E2). 61 Résultats e) Relations entre les élèves au sein des séances et dynamique de groupe e.1 Perception du groupe d'élèves Les jeunes soulignent majoritairement l'importance d'être entourés d'amis pendant les séances de l'ESJ, ou de « pouvoir y aller avec des amis » (E1, E2, E5, E14, E10, E17, E13, E16, E20). E14 : Du coup on y va avec nos amis aussi d'un côté, parce que... moi toute seule j'irais pas… Certains élèves signalent même que la présence des amis est la principale motivation à se rendre à l'ESJ (E17, E20), sans véritable envie de prendre part à la discussion. E17 : ben il y en a qui viennent c'est juste pour être avec leurs copains, ils ne parlent pas du tout... Les élèves perçoivent une différence entre le groupe de l'ESJ et le groupe classe. Ils se sentent plus à l'aise pour s'exprimer devant le groupe de l'ESJ, notamment car il est plus réduit (E13, E12). Cependant, même dans ces conditions, il reste difficile et malaisé pour certains adolescents de prendre la parole au sein du groupe (E16, E20, E17, E20). Notamment car le groupe de l'ESJ ne compte pas que les amis des jeunes, il y en a aussi d'autres avec lesquels les relations sont moins amicales (E6, E16). E16 : Ben après c'est peut-être qu'ils [les autres jeunes] sont gênés aussi… [...][parce] qu'on n'est pas toujours avec des personnes qu'on aime… La création d'une dynamique de groupe est donc importante pour leur permettre d'échanger entre eux (M4). e.2 Bénéfice de la dynamique de groupe L'importance de la dynamique de groupe est signalée par tous les acteurs de l'ESJ. Selon les élèves, être au milieu d'un groupe, entouré d'amis, de pairs change leur rapport à l'adulte : en groupe, il devient possible d'échanger avec les adultes, notamment avec les médecins (E14, E10, E13, E20, P1, P2). P2 : et que dans un groupe, ils ont plus de poids, plus de culot, plus de pouvoir... ils osent parce qu'ils sont ensemble ! 62 Résultats De plus les élèves plus timides ont la possibilité de se fondre dans le groupe et de profiter des échanges en les écoutant simplement (M3, E17, E18), sans s'exposer eux-mêmes à prendre la parole. Cela permet donc de les inclure dans une dynamique de prévention tout en respectant leur personnalité (M3). M3 : […] quelques fois certains viennent et ne prennent jamais la parole ou autre mais ils sont quand même là… Et ça veut dire qu'ils sont amenés à entendre des choses, à identifier des repères ou à s'auto-questionner, même s'ils n'ont rien dit. Et je pense que ça, ça sert à quelque chose de toute façon. La dynamique de groupe permet aux jeunes de répondre par eux-mêmes à leurs questionnements, ce qui est grandement encouragé par les adultes (voir partie « ESJ et apprentissage »). Entendre l'expérience d'autres élèves est plus marquant pour les jeunes qu'entendre l'expérience de l'adulte (M3) : il y a une réappropriation des expériences des autres par les élèves, ce qui les amène à se questionner sur leurs propres représentations et comportements (M4). M4 : Aussi, qu'ils s'ouvrent à des questions [auxquelles] ils n'avaient pas pensé […]. Et je pense que ça peut [...] les questionner même, eux, sur ce qu'ils feraient et sur comment ils réagiraient. Enfin, pouvoir s'exprimer dans un groupe peut renforcer la confiance en eux de certains élèves, ce qui est parfois constaté au cours de l'année (M2, E20). E20 : ben, il y en a qui vont peut-être devenir un peu moins timides. e.3 Une facilité à se mettre à la place de l'autre Certains participants ont exprimé que les élèves au sein de l'ESJ étaient globalement compréhensifs et peu enclins à juger les problématiques personnelles exprimées par les autres élèves (E13, E14). Les résultats du questionnaire vont même plus loin : 82,5 % des élèves déclarent « comprendre et se mettre à la place » des élèves exprimant des problèmes personnels au sein de l'ESJ. E13 : [...] c'est des gens bien [les autres élèves] donc comme on se dit des trucs un peu personnels des fois, ils nous voient différemment, ou [...] ils ne se moquent pas. Ils se montrent compréhensifs parce qu'ils doivent se dire « bah mais en même temps, ça pourrait m'arriver à moi aussi » Concrètement, il semble que les élèves distinguent les situations « graves » et les situations « communes ». Autant, les élèves craignent d'être jugés lorsqu'ils expriment à haute voix des questions communes, comme celles concernant la sexualité (voir partie « Non-jugement entre participants »), autant les élèves se 63 Résultats montrent compréhensifs, respectueux et discrets lorsque l'un d'entre eux exprime une problématique personnelle douloureuse (E4, E6, E7, E13, E14, Dir). L'expression de ces problématiques reste cependant rare (voir partie « Expression rare de problématiques intimes »). E4 : On a un cœur hein, on sait très bien que si la personne a eu du mal à le dire, on va pas dire ... « hé ! Tu sais que machin m'a dit ça ! » Ces résultats vont dans le sens de l'existence d'une certaine empathie entre les jeunes à propos de situations douloureuses vécues par leurs camarades. f) Perception du cadre des séances f.1 Respect de la confidentialité entre jeunes Les avis des élèves sur la confidentialité des propos au sein des séances sont divergents. Certains jeunes ont globalement confiance dans la confidentialité entre les participants de l'ESJ (E12, E14, E4) et d'autres pas du tout (E16). E12 : Dans l'espace santé jeune, je sais que ceux, enfin la plupart, ceux qui viennent c'est parce que... enfin ils veulent s'informer et puis ils ne vont pas aller le répéter... En pratique, cette confidentialité entre les jeunes semble souvent enfreinte (E10, E14, E7, E16, E17, E20), parfois jusqu'aux moqueries entre les élèves (E14, E20). Il arrive même que certains jeunes soient gênés et ne reviennent plus à l'ESJ (E20), mais ce fait est cependant minoritaire comme le laisse penser le questionnaire : seuls 12,7 % des élèves décrivent un abandon de l'ESJ suite au non-respect de la confidentialité. E17 : Il y a une fois où je n'y vais pas et quand on ressort, dans la cour là, il y a tout le monde qui dit « ah il y a lui qui a dit ce thème, il y a lui qui a dit ce thème là » donc heu... après si on a pas envie que notre thème il se sache... et ben il y en a plein qui le disent quand même… La confidentialité des séances est une préoccupation des élèves : 54 % déclarent « ne pas se ficher et être gêné » à l'idée que d'autres élèves répètent ce qu'ils ont pu entendre à l'ESJ. Préférer l'« anonymat » à la confidentialité (les jeunes auraient le droit de répéter ce qu'ils entendent mais sans nommer ceux qui l'ont dit) rencontre l'approbation de 57,1 % des élèves participants. 64 Résultats L'équipe enseignante ne s'aperçoit pas des doutes des élèves concernant la confidentialité : elle pense que celle-ci est globalement bien respectée (Dir). f.2 Respect de la confidentialité des adultes Les élèves ont une confiance variable dans le fait que les adultes ne dévoilent pas hors de l'ESJ les discussions qui y sont tenues. Concernant les personnes extérieures à l'établissement (l'AJ et les médecins), les élèves expriment unanimement une confiance totale dans la confidentialité de ces intervenants (E17, E2, E7, E8, E13, E14, E12). La confiance est particulièrement importante chez les médecins car les élèves les savent soumis au « secret professionnel » (E2, E7, E14). E2 : En fait avec les profs on est pas sûrs qu'ils ne le disent à personne alors qu'un médecin... à qui on veut qu'il le dise, parce qu'il ne nous connaît pas justement ! E7 : Même, c'est un secret professionnel ! Concernant les enseignants, les élèves expriment des doutes (E17, E12, E13, E14, E2, E20, E4, E6). Certains élèves ont cependant une confiance importante dans les enseignants : soit ils pensent qu'ils respectent cette confidentialité (E17, E18, E19), soit ils pensent qu'ils l'enfreignent mais sans volonté de nuire à l'élève, plutôt pour informer les autres membres de l'équipe éducative, dans tous les cas sans le rapporter aux autres élèves (E20, E7, E4). En parallèle, certains pensent que les enseignants pourraient répéter ce qu'ils entendent à leurs parents (E16, E1). E18 : Moi j'ai... quand ils [les professeurs] disent ça, enfin j'ai confiance en eux... je n'ai pas peur qu'ils le disent parce que je sais qu'ils ne le feront pas... E16 : Vu qu'ils connaissent plus nos parents que les médecins ! On a toujours un peu peur ! E4 : Et puis ils nous le disent tout le temps : « oui entre profs on se dit tout » ! La confidentialité des adultes est perçue comme très importante pour certains élèves (E3). Dans le questionnaire, à l'assertion « certains élèves pensent que les profs peuvent répéter ce qu'ils entendent aux autres profs et aux parents », 44,4 % des élèves n'étaient pas d'accord, 20,6 % étaient d'accord mais ne s'en souciaient pas, 14,3 % étaient d'accord et en étaient gênés, 20,63 % étaient sans avis. Ce doute sur la confidentialité des enseignants ne semble pas influencer de manière importante la participation : 70,5 % des élèves non-participants n'ont pas l'impression que les enseignants pourraient répéter ce qu'ils entendent à l'ESJ. 65 Résultats Les enseignants n'ont pas conscience des doutes des élèves (P1, P2) sur leur confidentialité, pour eux il s'agit d'une évidence, même si cette règle n'est pas rappelée à chaque séance (P1). Certains élèves sont au courant que les adultes doivent respecter cette règle (E20, E16, E17, E2, E1), d'autres non (E12). f.3 Non-jugement entre les participants Les jeunes ont une perception contradictoire de la sensation d'être jugés par leurs pairs durant les séances de l'ESJ. Les élèves décrivent globalement la crainte d'être jugés par les autres participants (E16) ou une certaine crainte de s'exprimer devant le groupe (E20, E19, E10, E13, E14), particulièrement quand ils étaient en 6ième-5ième (E10, E13, E14). Malgré tout, aucun élève n'exprime clairement la sensation d'être personnellement jugé au cours des séances. Le moment critique semble le choix des thèmes. Proposer un thème (notamment autour de la sexualité) peut être source de moqueries (E13, E17, E20, E14), tout comme le manque de connaissance sur certains sujets (E13), ou au contraire la trop grande connaissance d'un sujet (E19). E19 : ben sinon ils [des élèves] auraient peur qu'on les juge parce que... ils s'y « connaissent » ou des choses comme ça... Certains élèves déclarent facilement « ne pas juger » les autres durant les séances de l'ESJ, et après les séances (E14, E10) (voire partie « facilité à se mettre à la place de l'autre »). g) Le choix de la liberté : forces et limites g.1 Un réel sentiment de liberté des élèves Les jeunes perçoivent l'ESJ comme un espace de liberté. Cette liberté s'exprime sous plusieurs formes. Il semble exister une réelle liberté de participation : les élèves se permettent souvent de ne pas venir pendant plusieurs mois s'ils ne le souhaitent pas (Questionnaire, E13, E12, E7), d'autres y participent quasiment systématiquement (E4, E5, E6, E7). Il est même rapporté qu'il est possible de quitter la séance si les thèmes n'intéressent pas certains jeunes (E4) Les jeunes décrivent une réelle liberté d'expression. Elle semble se décliner sur deux axes : liberté de choisir les thèmes de la séance (E10, E12, E13, E14, E15, 66 Résultats E16, E17, E20, E1, E2, E3, E4, E7), ainsi que liberté d'exprimer une diversité d'opinions à propos de ces thèmes (E10, E20, E17, E2, E3, E14). E20 : Ouais, tout le monde peut parler, tout le monde a ses idées… E2 : On fait ce qu'on veut ! Enfin on choisit le thème et après ils choisissent un jeu. Et puis on a tous un avis. Inversement, les élèves décrivent la liberté de ne pas parler s'ils n'ont pas l'envie (E16). E16 : On peut parler... ou pas ! Quand on ne parle pas, en fait ça ne fait rien, alors qu'en cours enfin... faut participer ! Il semble également exister une liberté « spatiale » : les jeunes apprécient pouvoir se placer à côté de leurs camarades (E2, E16). Le cadre est également décrit plus « décontracté » que dans le reste du temps scolaire (E18, E17). E18 : Enfin, tu peux être plus décontracté, c'est moins cadré... Cette liberté n'est cependant pas « totale », le cadre reste assez précis, mais elle est tout de même beaucoup plus importante que dans le temps purement scolaire (E17, E18, E20, E2). g.2 Un choix défendu par les animateurs du projet et les élèves... Les adultes défendent l'idée de la libre participation des élèves (AJ, Dir). Le chef d'établissement explique que les temps de liberté sont rares dans la vie scolaire, et que leur existence améliore le vécu du collège pour les élèves (Dir). Il précise également que les élèves qui vivent des problématiques personnelles et dont les adultes estiment qu'il leur serait bénéfique de se rendre à l'ESJ n'y sont pas forcés (Dir, exemple des élèves qui se scarifient). Ces élèves sont incités à participer aux séances mais s'ils refusent ce choix est respecté (Dir). AJ : C'est vraiment, vraiment très important d'être dans une démarche volontaire et pas d'être dans quelque chose d'imposé […]. Heureusement qu'on a cette démarche là ! Dir : L'important c'est que ceux [les élèves] qui s'y retrouvent et qui y trouvent de l'intérêt puissent en profiter quoi ! Je crois qu'il faut qu'on reste libres aussi par rapport à ça… Moi je tiens beaucoup à cette liberté de pouvoir venir, ou ne pas venir… 67 Résultats A propos de la liberté de choix des thématiques, les élèves insistent sur le fait qu'ils seraient beaucoup moins attirés par l'ESJ s'ils ne choisissaient pas eux-mêmes leurs sujets de discussion (E1, E7, E10, E13, E14). E13 : ça ne sert à rien de faire... enfin si quelqu'un nous disait « ben on va parler de ça »... enfin ça sert à rien de venir si on ne peut pas dire ce qu'on veut. g.3 … Mais entraînant des difficultés d'organisation Ce choix de la liberté et la recherche de la spontanéité à chaque séance entrainent certaines difficultés. Le choix des thèmes au jour le jour par les jeunes rend très difficile l'anticipation d'outils pédagogiques thématiques adaptés (M2, E17, AJ, P4). AJ : Parce qu'on est plutôt sur quelque chose d'assez immédiat, [...] et c'est ce qui fait un petit peu la limite des outils : c'est qu'on ne peut pas trop anticiper… ou alors, il faudrait qu'on se dise de temps en temps […] « ben tiens, telle séance on va aborder telle thématique ». Mais alors ça enlève un petit peu le côté spontané et le côté « c'est les élèves qui lancent la thématique ». Cette impossibilité d'anticiper les outils adaptés à la thématique choisie par les jeunes diminue parfois la qualité de la séance, en rendant notamment plus difficile d'entamer les échanges (AJ, M2). Cette perte de qualité cause parfois une certaine frustration aux adultes (M2). La gestion des participants semble aussi être une difficulté, plutôt signalée par les élèves. La liberté de participation rend impossible à prévoir le nombre de participants à chaque séance. Parfois la séance est surchargée (Questionnaire, E2, E4, E17, E20), certains élèves sont donc invités à revenir la fois suivante. Ce « tri » fait que des groupes d'amis qui voulaient participer ensemble sont parfois séparés (Questionnaire). Parfois au contraire, il n'y a pas assez de volontaires pour tenir la séance. Le manque de participants est apparemment plus important en mai-juin, lorsque le temps est plus agréable (notes de terrain). Ce manque de participants a amené à espacer les séances de l'ESJ de toutes les semaines à tous les 15 jours. E4 : En général c'est 15 personnes par séance, maximum. Du coup des fois [il y avait] une troupe énorme qui y allait et heu on [les animateurs] faisait : « vous, vous y allez et vous, vous viendrez la prochaine fois » et le problème c'est que des fois ben il y en a qui ne viennent pas du coup les autres ils reviennent et on ne sait pas quoi faire… 68 Résultats h) L'utilisation d'outils pédagogiques L'utilisation d'outils pédagogiques, bien que défendue par la plupart des acteurs, rencontre certaines difficultés. Les adultes se positionnent globalement « pour » l'utilisation d'outils pédagogiques (M2, Dir, P1, P4, AJ). AJ précise qu'il existe deux types d'outils : les outils « d'animation » qui sont simplement utiles pour favoriser la parole, comme la méthode des post-it, utile pour faire émerger les thèmes (par commodité on les appellera ici « techniques d'animation ») et les outils pédagogiques « thématiques » qui sont utilisés pour favoriser une réflexion collective sur un thème précis (sexualité, violence au collège, etc.) (AJ). Les enseignants et les médecins ne distinguent pas dans leur vocabulaire la différence entre ses deux types d'outils, mais font bien allusion à leurs objectifs différents (P1, P4). Les techniques d'animation sont décrites comme « essentielles » (P1), il semble qu'elles aient été introduites pour répondre au besoin des adultes qui étaient en difficulté avec le « lancement » des séances (P1). P1 : Ils [les outils] sont essentiels, parce qu'au départ on n'en avait pas et on a vraiment demandé la nécessité... d'en avoir. [...] pour dire « voilà, moi je ne me sens pas à l'aise, je ne sais pas comment démarrer, qu'est ce qu'on pourrait mettre en place ? » Effectivement, les techniques d'animation semblent « rassurer » les adultes qui les utilisent lors des séances (P4, P1). P4 : Ce qu'il faudrait c'est qu'on prenne vraiment le temps de bosser les outils […] parce que c'est une façon d'y aller « plus léger » moi je trouve... Les outils pédagogiques thématiques, sont décrits comme utiles et rendent les séances plus dynamiques (AJ). De plus, ils semblent bien adaptés à l'ESJ (AJ), et facilitent la parole des jeunes en leur permettant de s'exprimer de façon détournée sur un sujet, sans les « mettre en danger » face au groupe (AJ, P1). AJ : Le fait d'utiliser, de proposer des outils, aussi c'est parce que je pense que les outils c'est hyper pertinent pour favoriser la participation et ce n'est pas que « jouer », c'est loin de là. Les outils pédagogiques sont aussi plébiscités par les jeunes (E10, E13, E14, E15, E16, E17, E19, E5, E7) qui apprécient ces « sortes de jeux » et leur côté ludique. Les élèves évoquent souvent les outils numériques comme les vidéos. 69 Résultats E14 : On ne parle pas de ça [les sujets de l'ESJ] forcément sérieusement, on fait, comme disait E13, des jeux, des choses comme ça, plus ludiquement qu'en classe... La principale difficulté des outils pédagogiques semble être la difficulté de les anticiper par rapport aux thématiques choisies au jour le jour (voire partie « Le choix de la liberté : forces et limites »). Les autres difficultés sont exprimées par les enseignants qui décrivent un manque de connaissance des outils disponibles (P4), ou bien décrivent ne pas savoir utiliser de manière optimale ceux qu'ils connaissent (P1 et P4) et expriment donc un besoin de les « travailler » (P4). Il est signalé un projet de création d'un portail informatique mettant à disposition des outils pédagogiques numériques qu'il serait facile d'utiliser dès le choix de la thématique par les élèves. Bien que rapporté, ce projet n'a pour l'instant pas vu le jour (P4, M2). Au final, bien que plébiscités, les outils pédagogiques / techniques d'animation ne sont pas utilisés systématiquement pendant les séances (E10). Leur utilisation semble dépendre des animateurs présents. Cette sous-utilisation des outils ou techniques semble expliquer une difficulté soulevée par les enseignants : il arrive que les échanges ne démarrent qu'à la toute fin de la séance, réduisant le temps d'échange constructif à quelques minutes (P1, P4). P1 : [insiste] oui mais des fois ce n'est qu'à la fin qu'on arrive à se lancer sur un truc et ils ont envie d'en savoir plus ! P4 : Oui, mais oui, t'as raison... Mais je crois que notre difficulté elle est là ! 2. Le rôle des animateurs pendant les séances a) Le rôle théorique de l'adulte pendant les séances de l'ESJ Les adultes estiment que le rôle de l'animateur au sein de l'ESJ est de favoriser la parole des jeunes : faciliter le questionnement des élèves (Dir), impulser les échanges (M3), tenir une posture d'animation et de médiation au sein du groupe (M2), même si cette posture est parfois difficile à adopter (P3, M1, M4). L'animateur ne se positionne pas en « sachant » et facilite l'expression de l'expérience des jeunes (M2) pour que le groupe puisse répondre à ses propres questionnements (voir « ESJ et apprentissage »). AJ : On est d'abord sur l'interrogation de l'élève, essayer que par lui-même il trouve des réponses. Et puis dans l'accompagnement quoi, on n'est pas sur un cours magistral [...] 70 Résultats Pour les adultes, l'adolescent a un rapport à la connaissance propre à sa génération (Dir). Les médias et notamment internet permettent l'accès des adolescents à une quantité considérable d'informations. Cependant les adolescents auraient du mal à comprendre et à faire « le tri » de cette masse d'informations, générant parfois une angoisse (P2). L'adulte éducateur doit donc être un guide permettant aux jeunes de prendre un recul critique face à ces informations (Dir). Les adultes se décrivent donc dans une posture « bienveillante » où ils sont à l'écoute des jeunes (M2), et portent sur eux un regard neutre et sans jugement (P3). Cependant, l'adulte de l'ESJ doit aussi être garant de la fiabilité des connaissances et des informations exprimées dans les séances (M3). Les adultes avaient donc défini a priori des « rôles » dans le binôme d'animation : un des deux adultes devait être garant du cadre et de l'animation des échanges, l'autre adulte (plutôt le médecin) garant des connaissances et informations médicales (M3). En réalité, ces rôles théoriques ne semblent pas aussi rigides, comme l'expliquent les animateurs. b) Le rôle du médecin généraliste pendant les séances En pratique, au sein des séances de l'ESJ, le médecin a un rôle hybride entre « animateur » d'échanges collectifs et « expert » en santé-médecine. M3 : Moi c'est plus comme ça que je le vois notre rôle, en fait. Dans quelque chose où on va favoriser l'échange, de temps en temps lancer quand ça ne vient pas tout seul et puis positionner notre expertise. Dans le rôle d'« animateur », le médecin donne l'« impulsion » des échanges si « ça ne vient pas », il tente de favoriser les discussions entre les adolescents (M2, M3). Les élèves décrivent les médecins comme attentifs, à l'écoute (E17, questionnaire), les mettant à l'aise et en confiance (Questionnaire, E14, E16). Cependant cette posture d'animateur est une posture difficile : il n'est pas inné pour un médecin d'être animateur de dynamiques collectives (M1, M2, M3, M4, voir partie « difficulté des médecins »). M2 : On est là pour favoriser un dialogue autour de la santé, pour catalyser ça. M4 : [...] parce que moi, j'avais eu des difficultés pendant une période justement avec ce côté animation et avec ce côté heu… ben voilà : il n'y a pas de questions qui viennent... Dans le rôle d'« expert », le médecin est le référent de l'information médicale. Soit il amène des informations aux jeunes, pour répondre à leurs questions en fonction 71 Résultats des besoins (M2), soit il est un « garde-fou » lors des échanges sur des sujets médicaux afin de corriger d'éventuelles connaissances erronées (M3). Les élèves expliquent que le médecin « répond aux questions » (E12), et amène des informations fiables, dans lesquelles les jeunes ont une confiance très importante (voir « apport du médecin à l'ESJ »). Dans ce rôle d'expert, les médecins se sentent plus à l'aise, tout en signalant la difficulté d'amener les informations et de corriger les erreurs en y amenant progressivement les jeunes et en essayant de les faire avancer dans leur réflexion (M3). M3 : Comment on peut essayer de reprendre ça pour les amener à réfléchir, à avancer, ou à vraiment dire « ben non, ça c'est faux », ça peut arriver quoi ! […] Le problème c'est de savoir le dire quoi… Les autres animateurs apprécient ce rôle d'expert, expliquant que les médecins amènent une objectivité dans l'information, quelque chose de « technique » (AJ, P1, P2, P3, P4). P2 : Enfin en tout cas, je trouve très important qu'il y ait des médecins, […] et je trouve que leurs réponses claires, sans sentiments, précises… P1 : Aseptisées quasiment... [sourit] la technicité… P2 : Voilà ! Et je trouve toujours ça très intéressant. Voilà, il n'y a qu'un médecin qui peut faire cette réponse et je trouve que c'est vraiment très bien. Le rôle d'« expert » présente cependant une limite. Dans l'ESJ, certains sujets de santé abordés ne relèvent pas strictement de la compétence médicale, mais de la compétence éducative (exemple des problématiques relationnelles) ou encore de la simple expérience d'« adulte » (M2, M3) (exemple du questionnement sur la mort). À ce moment là, les médecins décrivent leur présence comme non-indispensable, les autres adultes étant également compétents, voire plus compétents qu'eux-mêmes (M2, M3) pour animer les échanges et être garants des connaissances (M2, M3). C'est pourquoi le rôle d'expert ne doit pas être envahi par le médecin (M2) : M2 précise la volonté d'équité avec les autres intervenants et privilégie la posture mixte : tous les intervenants sont à la fois animateurs et aussi plus ou moins experts. C'est ce que M2 appelle la « transversalité » des animateurs. Pour favoriser le dialogue le médecin doit savoir se taire (M2) et valoriser les savoirs des élèves et des autres adultes (M2). Malgré son expertise médicale, le médecin doit accepter de quitter le terrain sur lequel il est à l'aise (la pathologie) pour aller vers les préoccupations des adolescents, même si les sujets abordés sont en 72 Résultats dehors de ses compétences et mettent le médecin face aux limites de ses connaissances (M2). Au final, dans le gradient entre « animateur » et « expert », c'est la personnalité du médecin, son aisance face au groupe qui détermine la position occupée (P1, P4, M4, M2) P4 : En fait il y a des médecins qui sont à la fois animateurs et … médecins ! Donc ils gèrent tout quoi. Alors là, c'est assez confortable parce qu'on participe quand on veut tout ça... Parfois il y a des médecins qui sont là en fait plus [...] en tant que médecin, et du coup là on a plus à se positionner en tant qu'animateur. c) Le rôle des enseignants pendant les séances Le rôle des enseignants au sein de l'ESJ comprend trois facettes : garant du cadre, animateur et adulte référent pouvant exprimer une opinion. Ces deux dernières sont parfois à l'origine de difficultés. Un des rôles investi par les enseignants est de garantir un cadre de respect de la parole entre les jeunes. Les enseignants décrivent être « à l'aise » dans la gestion du temps de parole des élèves et la distribution de cette parole, ce qui correspond plus à leur rôle professionnel habituel (M2, P3, P4). Les élèves perçoivent également que les professeurs occupent facilement le terrain de la « discipline » (E13, E14, E17, E20), ce qui est d'ailleurs perçu comme bénéfique pour permettre un climat de discussion serein (E13). E14 : Ils [les enseignants] viennent juste pour nous gérer en gros si on fait des bêtises, des choses comme ça… P4 : [...] il y a des choses sur lesquelles j'y vois clair. C'est à dire que, par exemple bien les chercher à l'heure, préparer des conditions pour que ça puisse démarrer de bonne heure enfin tout ça. Tout ce démarrage, ça je... en fait, mon rôle il est clair dans ma tête […] Les enseignants doivent souvent endosser le rôle d'« animateur » lors de la séance, particulièrement lorsqu'ils sont accompagnés d'un médecin peu à l'aise luimême dans l'animation collective (M3, P2, P4). Ce rôle d'animateur est à l'origine de difficultés pour certains enseignants, notamment car il n'est pas assez clairement défini (P1, P4), mais pas pour tous (P2). Mod : C'est quoi pour vous le rôle d'animateur ? P1 : C'est là où ce n'est pas très bien défini et on ne sait pas trop quoi faire... 73 Résultats Sur certaines thématiques, les enseignants peuvent être amenés à donner leur opinion en tant qu'adulte, ou amener leur expertise lorsque le sujet fait partie de leurs compétences (M2). Les professeurs sont cependant mal à l'aise à l'idée de donner leur avis ou d'exprimer leur opinion. Pour certains cela revient à exposer une partie de leur vie privée, ce qu'ils ne font pas en temps de classe ordinaire (P1, P2, P3), et qui est perçu comme une « mise en danger » de soi-même (P1). P1 : Et là en tant que prof, d'habitude, on n'est jamais amené à dire ce qu'on pense en fait... Enfin, moins. On est dans [...] l'écoute de l'élève et pas dans cette mise en danger de soi-même. […] P2 : oui oui oui complètement ! On n'a pas de « vie » ! P2 : […] voilà, je trouve ça pas si facile quand le médecin me demande mon avis, de me positionner juste en tant que personne, enfin voilà, j'ai du mal. L'expression de l'opinion des enseignants survient souvent après une sollicitation du médecin (M2, P1, E14). Les élèves remarquent également que les enseignants donnent leur avis et ils en ont une perception positive (E10, E13, E14). Les enseignants apprécient la co-animation avec les médecins, ce qui leur donne l'occasion de prendre du recul par rapport au groupe. Le fait de ne plus être « responsable » du groupe permet de « se taire » (P1), d'écouter et d'observer les élèves (P4). Ceci est d'ailleurs décrit par les élèves : les enseignants viennent pour « écouter » ou pour « regarder » (E4, E12, E14, E10, E16, E17, E20), et prennent peu la parole (E17, E19). Certains élèves ont l'impression que les enseignants aussi sont là pour apprendre lors des séances (E12, E13, E16). E20 : Les profs qui viennent c'est juste pour... heu je sais pas trop... juste pour écouter… À cause de cette prise de recul durant les séances, les élèves n'ont globalement pas l'impression que la présence du professeur leur apporte un bénéfice (E10, E13, E20, E19), car ce ne sont pas eux qui répondent aux questions (E20). Leur rôle semble secondaire par rapport à celui du médecin (E10, E13, E14, E12, E20). E7 remarque cependant qu'un enseignant peut mieux comprendre les difficultés d'un élève après l'avoir écouté dans une séance de l'ESJ. Globalement, les élèves expriment un changement de posture de l'enseignant pendant les séances de l'ESJ, qui s'écarte du rôle traditionnel (P4, Dir, E13, E14, E10). Ils décrivent que les enseignants sont un peu comme dans les voyages scolaires, plus proches, plus neutres (E13), plus réceptifs aux questions des élèves (E12, E13, E14), qu'ils les jugent moins et les prennent plus au sérieux (E13). Au 74 Résultats final, les enseignants semblent moins dans une relation de supériorité avec les élèves (E12, E13, E17) même si certains pensent qu'au contraire les profs ne changent pas (E20). E17 : Parce que quand ils [les enseignants] sont à l'ESJ c'est pas forcément eux qui ont le pouvoir, qui dirigent le cours. C'est plutôt avec les médecins et les élèves. Dir : Parce que dans l'ESJ, le prof accompagnateur n'a pas le statut de prof quoi. C'est ce changement de posture qui semble difficile pour les professeurs, même si cette difficulté est à nuancer par le fait que ces derniers se sentent de plus en plus à l'aise avec le temps (P1, P4). d) Le rôle de l'animateur jeunesse pendant les séances AJ définit son rôle comme un rôle d'animateur des séances ESJ, qu'il souhaite « dynamiser ». Pour cela, il apporte des techniques d'animation et des outils pédagogiques, auxquels il réfléchit à l'avance, ce qui est unanimement apprécié par les médecins (M1, M2, M3, M4). Lors de l'abord de questions « techniques » concernant la santé, AJ ne se sent pas compétent pour délivrer des informations mais reste attentif à ramener les échanges vers le vécu concret des jeunes et de leur environnement. Cependant, lorsque les thèmes de discussion ne sont pas directement reliés à la médecine et au soin, une compétence équivalente à celle du médecin lui est reconnue pour intervenir (M3) ou faire passer des messages (Dir). AJ : […] je ne suis pas du tout un professionnel de la santé, je ne me permettrais pas de répondre sur ces questions-là. Mais par contre ça m'intéresse de savoir comment le jeune a eu l'information, est-ce que le jeune en discute avec ses parents, est-ce qu'il en discute avec ses copains, est-ce qu'il se pose telle ou telle question. Ça, ça m'intéresse. Et là, je pense que j'ai ma place, dans ce cadre là. Par sa profession, AJ côtoie les jeunes dans un autre contexte et amène un regard différent au sein de l'ESJ (AJ, Dir). La présence d'AJ lors des séances semble motiver et attirer les élèves (notes de terrain). Les élèves le reconnaissent comme « plus de leur génération » et donc plus à même de les comprendre et de les mettre à l'aise (E13, E14, E11). 75 Résultats e) Complémentarité des compétences entre les différents animateurs Aucun des animateurs de l'ESJ n'est un professionnel de l'éducation pour la santé, mais chacun possède des compétences spécifiques. En s'associant, ces champs de compétences se complètent et améliorent la qualité de l'ESJ (Dir, AJ, M2). AJ : […] pour moi ce qui est important effectivement, c'est qu'à un moment donné le professeur, le médecin et l'animateur des temps de loisirs se retrouvent ensemble sur un même temps, pour aborder la même thématique, pour discuter dans le… Et puis on voit bien, [...] à la fois on se complète et puis à la fois… moi je trouve qu'il y a de la cohérence. L'animation collective peut représenter une difficulté pour les médecins. C'est pourquoi, l'association avec un professionnel de l'animation comme AJ, qui apporte des compétences spécifiques d'animation collective et des outils pédagogiques semble précieuse pour créer un dialogue autour de la santé (M1, M3, M2, M4), ce qui est très apprécié des médecins (M1, M3, M2, M4), notamment ceux en difficulté avec l'animation collective. M1 : Et c'est vrai que AJ il a amené des choses plus techniques mais autrement, des fois, avec les profs au départ… on a galéré hein ! La complémentarité des compétences et l'interaction entre les animateurs est source de plaisir et participe à l'investissement des professionnels dans l'ESJ (M2). M2 : C'est cette différence-là, ou cette complémentarité qui fait qu'après il y d'une part un plaisir pour les adultes qui sont là […], parce qu'au départ les enseignants, qui ne prenaient pas cette place, qui ne trouvaient pas de plaisir… Quand ils ont une place plus riche, qu'ils sont intégrés dans le dialogue, ben ils reviennent, ils sont impliqués dedans [...] S'ils sont juste là, spectateurs, heu il y a un turn-over [...] et donc ils se désinvestissent un petit peu. De part leur profession, les adultes ont un regard différent sur certaines questions de santé des adolescents. L'expression de ces différentes opinions face aux jeunes amène de la richesse à l'ESJ (M2). De plus, la complémentarité des compétences permet, au fil du temps, une « formation professionnelle » informelle aux compétences des autres adultes (AJ, M3, M2, P4 : voir partie « Apport de l'ESJ dans les pratiques professionnelles »). 76 Résultats f) Importance des intervenants extérieurs à l'établissement Les élèves sont nombreux à souligner l'importance de la participation d'intervenants extérieurs à l'établissement au sein de l'ESJ (E14, E10, E8, E12, E13, E14, E6, E2). Le terme d'intervenants extérieurs désigne les médecins et AJ. Les personnes extérieures sont perçues comme plus faciles à aborder et facilitent donc la parole des jeunes (E14, E6, Dir), notamment car la sensation d'être jugé est moindre avec une personne « qu'ils ne connaissent pas » (E10, E13, E8). Les jeunes ont également une plus grande confiance dans la confidentialité des intervenants extérieurs car ils n'ont « personne à qui répéter » les propos tenus lors des séances (E13) (voir partie « Respect de la confidentialité des adultes »). E10 : C'est qu'ils [les médecins] ne nous connaissent pas forcément, ils n'ont pas d'a priori d'avant, de comment on est d'habitude. E13 : Ils n'en auront pas après non plus […] E8 : Ils s'en foutent normalement, on dit ce qu'on veut. Les résultats du questionnaire vont dans le même sens puisque la présence de médecins « inconnus » ne semble pas un facteur déterminant de la non-participation des élèves : seuls 20,5 % s'en soucient. Les enseignants, au contraire, sont perçus comme connaissant très bien les élèves (E14, E10, E13, E7) et pouvant avoir des a priori sur eux (E10). Les élèves expriment que, sans forcément gêner leur expression, la présence des enseignants ne la facilite pas (E5, E10, E14, E15, E13, E16, E19, E4), voire que certains enseignants particuliers l'entravent (E6). Inversement, la présence d'intervenants extérieurs semble plutôt la faciliter (E2, E3, E5, E6, E1, E7). Les enseignants signalent également l'importance des intervenants extérieurs (P1, P2, P3, P4). Ils expliquent que le professeur n'est pas omniscient (P1, P2, P4) et ne peut pas répondre seul aux multiples missions que la société fournit à l'école (P2, P3, P4). P2 : Donc moi je trouve très important, que des intervenants extérieurs viennent pour expliquer aux élèves, parce que ça a encore plus de poids. [...] Ils [les élèves] ne peuvent pas imaginer qu'on est omniscients. Dans une logique éducative, la multiplication des intervenants enrichit les apprentissages des élèves (AJ). AJ : Ça veut dire […] qu'on a assimilé le fait que l'éducation, ce n'est pas « que » soit à l'école, soit à la maison, soit sur les temps de loisirs, mais que 77 Résultats c'est un tout. Et que, avoir une cohérence dans ces différents temps d'éducation, c'est hyper important. 3. Perception globale du projet a) Une perception globalement positive Les jeunes participants de l'ESJ expriment une satisfaction importante par rapport au projet. Dans le questionnaire, 69,8 % des élèves ont exprimé être « tout à fait d'accord » ou « d'accord » avec l'assertion « Globalement j'aime bien l'ESJ ». b) Une « occasion »… La notion d'« occasion » a été rapportée par tous les acteurs de l'ESJ. Selon les animateurs, l'ESJ représente une occasion pour les adolescents d'avoir une conversation avec des adultes, évènement considéré comme rare, et d'exprimer les interrogations qui les concernent (AJ, Dir, M1, M4, M3, M2, P2, P1), ce qui répondrait à un de leur besoin (P2, Dir). L'adolescence est en effet perçue par les adultes comme une phase de questionnement (P3). Ces questionnements, difficiles à exprimer, peuvent être à l'origine d'une souffrance (M2) et faire percevoir cette période de la vie comme un âge difficile (M4). Ils ont donc besoin d'être extériorisés et entendus par un adulte afin de favoriser leur résolution (P2, P3). Dir : Je pense que ça répond, oui, aux attentes des jeunes, dans le sens où… ce sont des questions qu'ils ont, et qu'ils ne poseraient sans doute pas autrement. P1 : J'ai trouvé ça super, parce que je me suis dit « ah, il y a un endroit où ils peuvent dire ça » qui n'est pas un endroit où il y a des parents, pas un endroit où il y a un prof justement (c'est un « adulte ») et avec un médecin qui est bienveillant en face. Les adultes estiment que la plupart des questions des jeunes ne pourraient pas être posées ailleurs, notamment dans le cercle familial (AJ, M2, Dir, P2). Premièrement car les adolescents sont décrits comme ayant « peu d'espace de parole » dans leur vie quotidienne (Dir, P2) et deuxièmement car la relation parentenfant, affective et émotionnelle, rend plus difficile l'abord des problématiques sensibles (maladie dans la famille, sexualité) (Dir). Les jeunes se décrivent d'ailleurs « peu à l'aise » pour parler » de ces sujets avec leurs parents (E19, E16, E14, E13, E10, E19, E20, M3). E14 : Moi je trouve que c'est plus facile de parler de choses comme ça avec des gens qu'on connaît pas qu'avec nos proches. 78 Résultats Dir : Le lien affectif avec la famille peut poser souci pour poser des questions particulières […]. Tandis que poser des questions à des personnes extérieures qui ne sont pas concernées ça paraît plus facile. L'ESJ n'est pas décrit comme le seul espace de parole possible entre les adultes et les jeunes (P3, P2) mais il a l'avantage d'être « formalisé », c'est un « rendezvous » que le jeune peut identifier et utiliser (P1) et qui est accessible à tous (P3). Les jeunes ont un regard un peu différent sur cette « occasion ». Dans ce qu'ils expriment, l'ESJ ne répond pas forcément à un « besoin ». Plusieurs jeunes décrivent s'y rendre sans avoir forcément de questionnement précis (E12, E13, E14), ou simplement parce qu'ils ont entendu quelque chose à la télévision le midi même (E17) ou par curiosité (E13). E14 : Ben ce qui est bien aussi quand on va là-bas c'est qu'on est pas obligés d'y aller vraiment pour quelque chose de « visé », enfin on peut y aller aussi parce que... E13 : par curiosité… E14 : oui voilà, parce qu'on sait qu'on va apprendre des choses qu'on... ne pense pas encore... à trouver la réponse… E12 : ou pour les questions aussi, parce qu'au début on arrive, on ne sait pas vraiment quelles questions poser. Et puis par rapport au débat qu'on va avoir, ben on va en poser d'autres… E13 : ça vient naturellement en fait. D'autres jeunes décrivent qu'ils ont des questions mais, qu'effectivement, ils n'osent pas aller chercher les réponses, notamment sur internet (E6, E7) même si cela « les intéresse ». Finalement l'ESJ est un espace qui « provoque » les questions, il pose un cadre sécurisant pour les élèves (M3) et les pousse à s'interroger. L'ESJ est notamment perçu comme beaucoup plus pratique et accessible que la recherche d'informations sur internet. E4 : […] [Devant] l'ordinateur, on pense pas vraiment à parler de ça, alors qu'à l'espace santé jeune d'un côté on est un petit peu obligé, et puis finalement ça ne nous gêne pas. c) Importance de l'inscription dans une démarche de projet c.1 Importance de l'inscription dans la durée La durée du projet sur plusieurs années est décrite par AJ comme une force importante de l'ESJ pour plusieurs raisons. 79 Résultats La durée du projet amène du recul aux animateurs : avec le temps ils identifient mieux ce qui fonctionne dans l'animation de séances (AJ) et deviennent plus à l'aise avec cette animation (M1, M2, P4). P4 : Bon plus ça va, plus je suis à l'aise... parce qu'au début c'était une catastrophe... M1 : […] des fois, avec les profs, au départ… on a galéré hein ! La durée du projet semble également diminuer les freins des différents participants (AJ). Avec le temps l'ESJ s'est « institué », y participer est devenu quelque chose de « normal » (P3). Cette « habitude » (AJ) facilite la participation des jeunes : à la création du projet les 4-3ièmes participaient plus difficilement aux séances que les 6-5ièmes. Avec le temps les 6ièmes qui participaient sont devenus les 3ièmes et ont continué à venir à l'ESJ, remplissant les séances 4-3ièmes (AJ). AJ : [...] ce temps-là, il a été vraiment nécessaire pour construire l'ESJ et faire que les 6ièmes d'hier, ils deviennent les 3ièmes d'aujourd'hui et que, finalement on arrive à instaurer une sorte d'habitude… enfin finalement, on est dans quelque chose, aujourd'hui, d'« instauré », de « naturel ». c.2 Existence d'un partenariat entre les professionnels Les professionnels engagés dans l'ESJ décrivent entre eux une véritable relation de partenariat (Dir, AJ, M1, M2, M3). Pour AJ, un partenariat est défini par l'association d'acteurs qui partagent des objectifs communs, à la différence d'un projet où certains acteurs sont simplement appelés ponctuellement en renfort pour leurs compétences particulières (AJ). AJ : Enfin moi, je me revois à cette première réunion, de lancement de l'ESJ [...] on définissait les objectifs en commun. On était vraiment sur du partenariat : « on va essayer de créer quelque chose en commun », « qu'estce qu'on veut pour cet espace ? » [...] Donc c'est pour ça que je parle de partenariat. Plusieurs facteurs renforcent le partenariat : Premièrement, il existe une volonté commune aux animateurs de travailler ensemble pour développer l'ESJ (Dir, M2, AJ, P4), concrétisée par des temps de concertation bi-annuels fixés et respectés (M2, AJ). AJ : Enfin ça [le projet ESJ et un projet de journée de santé à thème] pour moi ça vient d'un partenariat fort, c'est parce qu'on fonctionne bien ensemble qu'on a envie d'aller un peu plus loin et des fois de se remettre en question, de proposer des choses. 80 Résultats Deuxièmement, il existe un partage des compétences et une complémentarité entre les différentes compétences des animateurs qui créent une richesse à cette collaboration (M2, AJ, voir partie « Complémentarité des compétences »). Troisièmement, le partenariat semble favoriser l'existence de véritables « relations humaines » entre les différents acteurs, et facilite leur communication. Des échanges entre collège et cabinet médical, entre le CSI et le collège, et entre le CSI et la maison médicale sont fréquemment évoqués (M2, M3, AJ, Dir, voir partie « Maillage autour des jeunes, mise en réseau des professionnels »). Enfin, les médecins signalent également une reconnaissance, non financière mais humaine, du travail effectué, ce qui valorise leur engagement dans le projet (M1). M1 : M.Dir, je trouve qu'il a la délicatesse de nous envoyer ses vœux tous les ans au moment de Noël. […] Je trouve que c'est un petit geste, mais au moins c'est quelque chose qui signifie que le travail est reconnu, voilà. d) Apport des médecins au projet ESJ d.1 Importance du médecin généraliste Les médecins semblent amener une plus-value importante à l'ESJ. Leur rôle est décrit par les autres adultes comme « essentiel » (AJ), pour certains, l'ESJ ne serait pas « viable » sans médecin (P1, P3, P4). Pour les enseignants, sans les médecins l'ESJ serait « autre chose », un projet non centré sur la notion de « santé » (P2, P3, P4). Pour les jeunes, le médecin est perçu comme le principal animateur de l'ESJ, les autres adultes sont perçus comme « accompagnateurs » du médecin (E19, E20). Certains élèvent déclarent qu'ils ne « viendraient plus » si les médecins arrêtaient l'ESJ (E19, E20), pour eux l'ESJ ne serait pas l'ESJ sans médecin (E10, E13, E14). E19 : Ouais il n'y aurait plus d'espace santé jeune [si les médecins arrêtaient] parce que c'est quand même grâce à eux... c'est eux qui le font ! Les médecins n'ont cependant pas la même perception de l'importance de leur présence. Pour eux, l'ESJ pourrait parfois se passer de médecin (M2, M3). M3 : […] c'est que je me dis, à la limite, au jour d'aujourd'hui, on a lancé quelque chose qui peut-être pour certaines fois, pourrait très bien continuer sans nous, je pense. En effet, la présence du médecin n'est pas forcément nécessaire pour permettre un échange entre les jeunes, ou permettre l'abord de problématiques de santé non médicales pour lesquelles les autres adultes ont une compétence (M2, M3). 81 Résultats Tout en se reconnaissant un rôle dans l'initiation de projets de santé (voir partie suivante), les médecins estiment que, dans l'idéal, leur présence concrète en séance pourrait donc être moins fréquente. En effet, pour l'instant, une des limites de l'ESJ signalée par les médecins est la dépendance du projet à la présence médicale (M3). M3 : Mais on pourrait imaginer à la limite que le groupe fonctionne avec un autre adulte référent que nous, parce que là pour l'instant ça tourne quand même un petit peu autour du cabinet et de nos possibilités, et tout. En conclusion, la propre perception des médecins de l'importance de leur présence diffère de celle des autres acteurs. d.2 Une crédibilité et une légitimité perçues Le médecin généraliste est décrit comme pouvant faciliter l'émergence de projet de santé sur un territoire. Ce rôle facilitant est en partie expliqué par la perception du statut de médecin dans la population : l'image culturelle du médecin (M2). Cette image positive du médecin, sa crédibilité, son expertise reconnue à propos de la santé favoriseraient l'adhésion d'autres professionnels et du public (M2). M2 : Et à ce moment là il [le médecin généraliste] a une légitimité pour, on va dire, tout projet de santé dans un territoire. Il peut être moteur et il peut être, on va dire, quelque chose qui donne un crédit, une caution, qui permet de financer ça. De part cette image positive, les médecins amènent une crédibilité à l'ESJ. Pour les enseignants, le fait de collaborer avec des médecins donne une image de « sérieux » et de « qualité » à l'ESJ, notamment devant le regard des parents (P3). P3 : Je pense que cet espace, pour les parents, comme il y a un médecin qui vient, ça lui donne aussi de la crédibilité, ça donne aussi une image de l'établissement... En effet, les adultes animateurs non-médecins ne semblent pas se sentir assez légitimes pour animer seuls un espace de parole sur la santé comme l'ESJ (AJ, P2, P3). Le médecin lui, de part ses compétences possède cette légitimité pour parler de santé et il amène des données « validées » (Dir), qui ne sont pas de simples « opinions personnelles » sur la santé (AJ). Il est donc le garant de la fiabilité des informations (AJ) et est le seul légitime à donner certaines informations médicales (AJ). AJ : Pour moi la santé c'est [insiste]… de la compétence d'un médecin, voilà. Même si on peut débloquer la parole etc. […] Ça peut exister sous d'autres 82 Résultats formes, mais dans la manière dont on le met en place à Saint-Germain, là… pour l'instant je le vois mal sans médecin. d.3 Les jeunes ont une confiance très forte dans les médecins. Les élèves ont une grande confiance dans les informations délivrées par les médecins (E4, E7, E15, E19, E16, E17, E20, E5, E2, AJ). E19 : et puis c'est des médecins donc on est sur que c'est vrai. Cette confiance est véhiculée par les représentations des jeunes concernant les médecins : ils ont fait beaucoup d'étude (E7), ils ont un « diplôme » (E17), c'est leur « métier » donc ils sont « connaisseurs » de maladies (E2, E5, E6, E7). Cette image culturelle « forte » du médecin est probablement transmise par les parents dans ce milieu rural (M2). E7 : Parce que c'est leur métier […]. Ils connaissent mieux, ils ont fait beaucoup d'études. Et du coup ben, on est sûr que c'est vrai ce qu'ils disent. E2 : c'est des connaisseurs... Le fait d'obtenir des informations lors d'une relation « humaine » (définie par les jeunes en opposition à la recherche d'information sur internet) participe à cette confiance (E20, E16, E17). E16 : Enfin là, c'est vraiment des médecins en réel... alors que derrière un ordinateur... enfin... tu sais pas… E20 : ben oui parce qu'on l'a en face de nous [le médecin]. E17 : Parce que les médecins ils ont passé un diplôme et tout, alors que ceux qui sont derrières des ordinateurs ça se trouve ils n'ont pas passé le diplôme pour ça, donc heu... on ne sait pas ce qu'il y a derrière l'ordinateur ! e) Un espace « à part » dans le collège e.1 Un espace « clos » au sein du collège… Plusieurs facteurs participent à cette perception singulière de l'ESJ. La présence d'animateurs extérieurs à l'établissement, le fait que les jeunes reparlent rarement au sein du collège ou au sein du cadre familial - de « ce qu'il s'est passé » dans les séances et la règle de confidentialité façonne la perception d'un espace parfois décrit comme « clos » (P1). Premièrement, la présence d'intervenants extérieurs fait percevoir l'ESJ comme un espace « à part », comme s'il ne faisait pas vraiment partie du collège (Dir). Dir : Il y a un médecin qui est extérieur, il y a un animateur qui est souvent là, qui est extérieur. Il y a un adulte qui est là, qui rappelle effectivement que c'est 83 Résultats un peu le collège, il y a les lieux qui rappellent que c'est le collège, mais finalement, je ne suis pas persuadé que les élèves dans leur tête, ils aient l'impression d'être toujours au collège lorsqu'ils sont à l'ESJ. Deuxièmement, il existe un consensus parmi les participants sur la discussion a posteriori des sujets abordés dans l'ESJ avec les parents. Aucun jeune ne signale parler habituellement avec ses parents des sujets abordés pendant les séances (E14, E13, E9, E10, E12, E8, E15, E19, E17, E18, E16, E1, E6, E7), exceptée E4, qui signale l'avoir fait une fois. Les jeunes expliquent que signaler leur participation à l'ESJ amènerait des questions de leurs parents sur les thèmes abordés, ce qu'ils ne souhaitent pas, estimant qu'il s'agit de leur « vie privée » (E13, E14, E6). D'autres pensent que leurs parents se « fichent » de savoir qu'ils participent à l'ESJ (E13, E16) ou que leur raconter n'avancerait à rien (E18). E13 : En plus, dire à ses parents qu'on y va, après le soir ils peuvent dire : « tiens vous avez parlez de quoi ? », et puis heu... des fois ça peut nous gêner. D'ailleurs on peut même parler de la famille, on a pas forcément envie de dire : « ben j'ai dit que des fois t'étais pas hyper cool ! » [rires] [...] Moi j'ai jamais dit à ma mère : « ben tiens je vais aller à l'espace santé jeune ». J'y pense pas en fait. E19 : Et puis c'est aussi notre vie privée un peu ce qu'il se passe là bas... on fait ce qu'on veut. Certains parfois signalent à leurs parents qu'ils s'y sont rendus mais sans expliquer les sujets abordés (E9, E15, E12, E1). Certains jeunes pensent que leurs parents ne savent pas qu'ils participent à l'ESJ (E14, E8, E19, E17, E7 ), ou même qu'ils ignorent l'existence de l'ESJ (E20, E18). Parmi les non-participants à l'ESJ, seuls 34,1 % déclarent aborder des sujets de santé avec leur famille au lieu de le faire à l'ESJ. Troisièmement, les échanges de l'ESJ ne donnent pas spécialement lieu à des retours dans les classes (E14) même si parfois il existe des échanges en classe à propos de thèmes déjà abordés à l'ESJ (E12, E13), mais cela semble rester assez marginal (E13). Les discussions de l'ESJ ne semblent pas non plus faciliter les échanges spontanés sur la santé entre les jeunes (E10, E13, E14, E15). La règle de confidentialité semble jouer un rôle dans ce cantonnement (P1), même si E7 signale parfois « parler» aux absents de ce qu'il s'est dit au sein de la séance. 84 Résultats E10 : En dehors, enfin, quand on en sort, entre nous même, on n'en parle pas forcément. […] E14 : Quand on sort, c'est fini, c'est fini. e.2 … mais un espace d'ouverture du collège sur l'extérieur L'ESJ est donc perçu comme un espace clos au sein du collège, mais il est paradoxalement décrit comme un espace d'ouverture avec l'extérieur de l'établissement (Dir, P1, P2, P4). Cette ouverture vers l'extérieur est défendue par le chef d'établissement (voire partie « Un collège tourné vers l'extérieur »). Le partenariat avec des intervenants extérieurs à l'établissement au sein de l'ESJ participe aux liens entre le collège et le cabinet médical ou la communauté de communes (voire partie « Partenariat entre les professionnels de l'ESJ »). Dir : L'ESJ en est une aussi, c'est une bouffée de liberté, c'est une bouffée d'échange, c'est un espace de parole, c'est heu… voilà, c'est une ouverture sur l'extérieur par rapport au collège. Et je trouve que ce partenariat est important parce que, justement, il ouvre sur l'extérieur. 4. Perception des effets de l'Espace Santé Jeune a) Maillage autour des jeunes, mise en réseau des professionnels En créant un partenariat pour développer l'ESJ, les adultes ont développé des liens entre leurs différentes structures. De manière informelle, ces liens mettent en réseau les professionnels, qui sont amenés à communiquer sur des situations ne concernant pas l'ESJ. Ce réseau semble permettre l'existence d'un maillage de soutien autour de certains jeunes. Ce réseau est signalé par différents professionnels (Dir, M2, M1, M3, AJ). Il s'inscrit sur le territoire de la commune de Saint Germain (P2). Ce réseau semble correspondre à : une meilleure connaissance des personnes dans les différentes structures (M1, M2, M3) et à une communication entre ces différents professionnels (M1). Globalement, l'utilisation de ce réseau n'est rapportée spontanément que par les médecins (M1, M2, M3), même si d'autres acteurs valident cette idée (AJ, Dir). M1 : C'est un peu quelque chose qui peut s'apparenter à un réseau. C'est à dire qu'on va plus facilement prendre contact en fait […].Comme je le fais avec un travailleur social quand je suis dans une situation de problème social qui se présente dans ma consultation, bon ben […] je vais essayer de chercher de l'aide et je vais échanger avec l'autre et puis savoir ce qu'on peut proposer. Ça nous permet au moins de nous repérer et de pouvoir, oui quelque part, travailler en réseau si besoin s'en fait sentir. 85 Résultats Ce réseau de professionnels semble établir un « maillage » autour des jeunes du territoire. Les médecins ont cité des exemples d'utilisation de ce réseau pour des jeunes en difficulté : consultations médicales de jeunes filles envoyées par un professeur qui avait identifié une problématique de contraception suite à une séance de l'ESJ (M3), concertation entre parents, élève, médecin et chef d'établissement sur le collège pour un élève en difficulté (M2). M2 : [...] de ce lien-là avec le collège […] les enfants vont être facilités, vont être encouragés à venir nous rencontrer si l'équipe pédagogique sent qu'il y a un besoin. M2 : Et puis être dans un maillage de dialogue, de discussion autour de l'adolescent pour que, en cas de difficultés, de problèmes, il puisse y avoir intervention. Les médecins pensent que l'ESJ est à l'origine de ces contacts car avant l'ESJ, ils n'étaient sollicités que rarement par le collège, et plutôt pour des situations d'urgence ou de traumatologie (M1, M2, M3). À titre de comparaison, les liens avec le collège public pour les jeunes en difficulté sont décrits comme plus compliqués (M3). La volonté des médecins de se positionner comme interlocuteur disponible pour les jeunes en difficulté renforce ce maillage autour des jeunes du territoire (voire partie « Des adultes partageant des représentations communes »). M3 : Donc c'était cette idée-là : créer d'autres repères adultes [que les parents] […]. Les élèves interviewés dans les focus groups ne font pas mention de ce maillage de soutien, les enseignants n'ont pas signalé non plus avoir utilisé ce réseau pour des situations « hors-ESJ ». b) Les jeunes ont-ils l'impression que l'ESJ influence leur santé ? Les jeunes considèrent que l'ESJ a très peu d'influence sur leur santé. Lorsque la question leur est posée ils répondent spontanément par la négative (E10, E13, E14, E17, E18, E19, E2, E4, E7). Dans un second temps, certains élèves signalent qu'ils se sentiront mieux informés sur certaines thématiques (E10, E14, E16, E18, E20) : sexualité, drogues (E10, E14), surpoids (E19) et alcool ; même si l'influence de ces informations sur leur santé reste assez floue pour eux. E14 : On sera prévenus des dangers ! 86 Résultats E18 : Ben non mais ça évite de faire des choses que heu... enfin parce que du coup on sait les conséquences... du coup on va peut-être moins le faire, on va y réfléchir avant… E4 : Oui voilà, on apprend des choses sur notre santé mais ce n'est pas pour ça que... […] mais [ce n'est pas parce] je suis abonné chez le médecin […] pour que j'apprenne des choses sur ma santé tout ça, que je vais me sentir moins malade ! Les adultes signalent que l'ESJ semble diminuer les angoisses des jeunes. Les adultes observent qu'un jeune qui livre ses doutes dans un espace sécurisant, qui confronte ses propres angoisses à celles de ses camarades semble apaiser son anxiété (Dir, P2), ce qui est d'ailleurs exprimé par un élève (E17). E17 : Ben oui parce que [les thèmes de discussion] c'est dans notre quotidien, on angoisse moins. Dans les entretiens, deux types de situations angoissantes semblent être exprimées par les jeunes. Première situation, les maladies de membres de la famille causant une souffrance aux jeunes, par exemple un jeune dont le père est alcoolodépendant avait pu se livrer lors d'une séance (M1 et Dir). Les situations d'incompréhension de maladies familiales exprimées à l'ESJ ont été rapportées par de nombreux jeunes (E4, E5, E17, E13). Deuxième situation, les angoisses quotidiennes, bénignes mais qui peuvent altérer le quotidien des adolescents. Dans le premier cas, la libération du fardeau durant la séance peut exceptionnellement s'apparenter à un acte thérapeutique (voir partie « Expression de problématiques intimes »). Dans le second cas, il s'agit d'échanges plus banals (Dir, P2). P2 : Mais par exemple certains qui sont angoissés, je dis n'importe quoi, par le fait que leur père partent pour son boulot trois fois par semaine, et bien voir quelqu'un qui parle d'une autre angoisse, ça le rassure. Parce qu'il se dit « mon angoisse, même si elle est différente, voilà je ne suis pas tout seul à être angoissé ». c) Modification de l'image des médecins généralistes, effets sur les relations entre jeunes et médecins c.1 Changement de regard sur les médecins L'ESJ semble amener chez certains acteurs une modification de la perception du médecin généraliste. 87 Résultats Certains élèves trouvent que les médecins « changent » dans le cadre de l'ESJ, qu'ils sont plus détendus, moins professionnels (E17, E18, E20). Un autre trouve qu'au contraire, les médecins ne changent pas et restent abordables quel que soit le contexte (E12). E12 : C'est qu'ils ne changent pas, c'est exactement la même personne […]. Certains élèves ont changé de regard sur leur médecin : quelques uns ont plus confiance dans leur médecin après les séances de l'ESJ (E17, E2). Cependant, dans le questionnaire, 68,3 % des élèves déclarent ne pas avoir plus confiance en leur médecin qu'avant. E7 : Ouais parce que des fois […] on n'a pas vraiment confiance [avec les médecins], je ne sais pas pourquoi mais voilà. Et d'aller à l'espace santé jeune tu vois que les médecins ben... on peut parler de tout et de rien avec eux et que… on peut leur faire confiance ! D'autres ont réalisé que le médecin était une personne à part entière, avec des goûts, des centres d'intérêt (E5), ou que le médecin connaissait « autres choses que les maladies » (E1). E5 : Moi je suis avec M4 qui est au cabinet et des fois on la voit ici. Et tu te rends compte que ta médecin elle est... tu découvres [chez elle] des passions, autres que la médecine... des choses comme ça, ce qu'elle aime… Une enseignante rapporte également avoir changé de regard sur les médecins au cours de l'ESJ. Elle décrit s'être rendu compte des incertitudes que pouvait exprimer un médecin. Cette perception n'est pas négative, elle semble avoir pour conséquence d'humaniser le rapport entre cette enseignante et les médecins. P1 : Il y a une humanité qui se crée en fait, qui est différente... C'est à dire, nous même quand on va chez le médecin, c'est le médecin ! C'est celui qui a le pouvoir ! Il sait ce qu'on doit faire ! Alors que là, du coup, quand on voit parfois les incertitudes qu'ils peuvent [avoir] et bien, on se dit... « ah oui », mais même nous en fait, on crée une confiance avec le médecin aussi je trouve... Il est pas tout puissant ! Selon M2, cette modification de la perception du « pouvoir médical » est positive. Premièrement, elle favorise la participation des jeunes aux échanges : il est selon lui plus facile de s'exprimer devant quelqu'un qui exprime ses doutes que devant une autorité « sachante ». Deuxièmement, M2 explique qu'un médecin qui reconnaît les connaissances profanes des jeunes sur leur santé et qui montre que lui-même n'est pas omniscient, renforce la motivation des individus à s'investir dans leur santé. 88 Résultats M2 : L'idée aussi […] c'est rendre acteur les enfants de leur santé. Parce que s'ils considèrent que c'est le médecin qui « sait », eux ils n'ont rien à changer, ils attendent tout de la personne qui sait, qui va leur dire. c.2 Effets sur les relations médecin-jeune en consultation Les avis des jeunes sont assez partagés sur la question des effets de l'ESJ sur les relations en consultation. La majorité trouve que l'ESJ ne change pas leur relation individuelle avec le médecin (E10, E14, E12, E17, E19, E20), ce qui semble en partie lié au contexte de la consultation qui ne change pas non plus (présence des parents, plaintes somatiques, voir partie « Éducation pour la santé en consultation »). Une minorité explique cependant être plus à l'aise en consultation suite à l'ESJ (Quest, E2, E7). E2 : Ben on est plus à l'aise... […] Parce qu'on sait qu'il [le médecin] ne va pas se moquer […]. Le questionnaire confirme la rareté des changements relationnels en consultation : après avoir participé à l'ESJ, 76,2 % des jeunes ne se sentent pas plus à l'aise en consultation, 65,1 % n'osent pas poser plus de questions à leur médecin, et 60,3 % sont d'accord avec l'assertion « En fait l'ESJ n'a rien changé avec mon médecin ». Les médecins expliquent qu'en étant « témoins » des problématiques spécifiques de certains jeunes au cours des séances, l'abord de ces problématiques avec ces mêmes jeunes en consultation est plus facile. L'enfant qui a confié les problèmes d'alcool de son père à l'ESJ est un enfant suivi par M1, qui était présent ce jour là. M1 explique qu'après avoir assisté à cette séance, il a été beaucoup plus facile pour lui d'aborder à nouveau le sujet avec l'adolescent en consultation. M1 : […] parce que j'ai pu être témoin de ça, et puis […] de pouvoir […] reparler aussi de ça, en consultation, à l'occasion d'une visite de sport ou autre. Parce que ça avait été abordé au collège quoi. […] d) Effets sur la relation aux « adultes qui aident » : exemple de la psychologue de l'établissement Les enseignants expliquent que l'ESJ a facilité le rapport des jeunes avec la fréquentation de professionnels de santé. Ils citent notamment l'exemple des consultations de la psychologue de l'établissement (présente tous les 15 jours) : les jeunes doivent spontanément prendre RDV avec la psychologue au secrétariat du collège, puis quitter le cours à l'heure du RDV pour s'y rendre. Les enseignants décrivent que tout cela se fait de manière assez naturelle, que les élèves 89 Résultats « assument » devant leurs camarades d'aller « chez la psychologue » sans crainte de jugement (P1, P3, P4). Pour P1, l'ESJ a facilité de manière générale la relation entre les adolescents et « l'adulte qui aide ». P1 : Les élèves, les uns vis-à-vis des autres en fait, savent qu'il y a des adultes qui les aident. Que ce soit le médecin ou le psychologue. Et du coup il n'y a plus de jugement... Il n'y a plus « ah oui tu vas voir le médecin » ou « ah oui, tu vas voir le psychologue ». C'est normal. e) Effets sur la vie quotidienne du collège e.1 L'ESJ améliore-t-il les relations entre les élèves ? L'effet de l'ESJ sur les relations entre élèves est source d'opinions contradictoires. L'expérience d'empathie vécue au cours des séances de l'ESJ (voir partie «Une facilité à se mettre à la place de l'autre») pourrait être à l'origine de relations plus compréhensives entre les élèves sur le reste du temps scolaire (E13, E14, Dir). Dir : Je crois que […] mais alors après je n'ai pas les certitudes, mais le fait qu'ils partagent, [...] des moments forts […à l'ESJ...] je crois que ça permet une connaissance mutuelle des élèves qui va éviter des tensions aussi. [...] mieux on se connaît, mieux on accepte de vivre ensemble, [...] cette connaissance des uns et des autres facilite la vie collective finalement. Certains participants estiment également que l'ESJ peut faciliter les relations entre les élèves plus jeunes et les plus âgés (E12, E13, P4), le questionnaire va dans le sens d'un faible effet : 34,9% des élèves pensant que l'ESJ les a rendu plus à l'aise avec les élèves plus âgés. Dans ce collège de petite taille, les élèves déclarent se connaître tous, donc l'ESJ ne permet pas à des élèves inconnus de se rencontrer (E16, E17, E20). L'ESJ peut cependant permettre à des élèves qui ne se parlent pas habituellement d'avoir des échanges (E13, E14, E15, E17, E20, P1) mais pas au point de se faire de nouveaux amis (E10, E13, E14). L'ESJ ne semble pas non plus avoir d'effet important sur les préjugés entre les élèves, ce qui est confirmé par le questionnaire : pas de diminution des préjugés entre élèves après l'ESJ chez 63,5 % des participants. Les enseignants remarquent qu'il existe une différence dans le relationnel des élèves pendant les séances ESJ par rapport au reste du temps scolaire : les élèves y seraient plus respectueux entre eux, mais sans que cela ne modifie leurs rapports en dehors (P1, P2, P4). 90 Résultats P2 : Moi je les trouve assez respectueux pendant les séances, je les trouve assez respectueux les uns avec les autres, mais par contre c'est après, je trouve, que ça ne change pas grand chose... e.2 L'ESJ améliore-t-il les relations entre les élèves et les enseignants ? Les élèves et les enseignants ont des opinions contradictoires sur cette question. Les élèves décrivent une attitude plus humaine des enseignants durant les séances (voir partie « Rôle des enseignants pendant les séances »), ce qui peut modifier le regard qu'ils portent sur eux mais sans pour autant que cela n'entraine une amélioration sur les relations élèves-enseignants hors de l'ESJ (E10, E12, E14). Le questionnaire va également dans ce sens : seuls 41,9 % des élèves déclarent voir de manière plus positive les enseignants après l'ESJ. Les enseignants, au contraire, considèrent que cette posture plus neutre et « à l'écoute » favorise une relation positive avec les élèves au décours des séances ESJ (P1, P2, P3, P4, Dir). Le développement d'une relation de confiance semble permettre une plus grande connivence avec les élèves, une relation plus « humaine » (P1, P2, P3, P4). P1 : Ben ils disent des choses, qu'on écoute et qu'on ne juge pas […]. Et donc du coup, il y a cette relation de confiance.[…] P2 : Moi j'irais même plus loin que toi. « j'ai été respecté » […] enfin, «j'ai été accepté ! », dans ma différence [...] on est passé de « le prof contre les élèves » à [...] « on est ensemble, on avance dans la même direction ». P1 : Un adulte qui me respecte, et sur qui je peux avoir confiance. Les enseignants expriment changer de regard sur les élèves (P1, P3, P4) : les séances de l'ESJ permettent aux enseignants de découvrir l'élève sans le « prisme » de leur matière d'enseignement (P4), et donc d'avoir un regard neuf sur les élèves. Au final, les enseignants décrivent que la relation « d'adulte à adolescent » au sein de l'ESJ nourrit positivement la relation « d'enseignant à élève ». P4 : Je trouve que ça permet de mieux les connaître et qu'il y ait une autre relation qui s'installe en fait […] P1 : C'est plus humain en fait, c'est souvent plus humain. Plus de personne à personne, d'adulte à enfant et pas de prof à élève. P1 : C'est à dire que quand on a vécu l'espace santé jeune, on s'est dit à un moment donné « ah mais c'est pas du tout l'élève que je pensais [...] » 91 Résultats L'ESJ n'a cependant pas l'exclusivité de ces relations privilégiées entre élèves et enseignants. Les temps informels comme les sorties scolaires, les voyages, le sport ou la vie de classe participent également à cette relation (P1, P2, P3, P4). P4 : [l'ESJ] est un élément parmi tout ça, en fait. Les enseignants signalent également enrichir leurs représentations de l'adolescence en général, grâce à l'écoute des jeunes à l'ESJ, notamment sur leur contexte de vie (P1) ou sur leurs préoccupations, leurs questionnements (P4). P4 : Je trouve que c'est riche. De prendre conscience... et moi je trouve que l'ESJ a contribué à [...] je ne pensais pas qu'il y avait un certain nombre de sixièmes qui se posaient ce genre de questions. [...] les questions de « première fois » des choses comme ça. Et une méconnaissance aussi, de certaines choses ! J'ai été sciée quoi ! e.3 Amélioration des conditions d'apprentissage Pour l'équipe éducative du collège, l'ESJ participe à l'amélioration des conditions d'apprentissage globales des élèves. P3 remarque que le bien-être d'un élève est relié à sa capacité d'apprentissage (P3). Le collège tente donc de favoriser ce bien-être (Dir) en utilisant de multiples moyens. L'ESJ est un de ces moyens, et participe, au milieu d'un tout, à la qualité de vie des élèves au collège. Les enseignants soulignent également l'importance de la relation humaine entre un élève et un professeur dans le cadre des apprentissages. De part la modification positive des relations élèves-professeurs, l'ESJ est considéré comme un facteur important d'amélioration des conditions d'apprentissage (P1, P2, P3, P4) même si encore une fois, l'ESJ n'est pas le seul à y participer mais fait partie d'un tout (P3). P4 : Il y a beaucoup d'étude qui sont montrées en maths sur l'impact du relationnel sur l'apprentissage. Et heu, donc du coup je trouve, [l'ESJ] c'est l'occasion d'un autre relationnel, qui est intéressant après je trouve. P1 : Quand on revient en classe […] quand il y a eu un espace santé jeune juste avant, et que je retrouve les mêmes élèves […], on n'est pas du tout dans le même rapport. C'est souvent des élèves qui participent plus, parce qu'ils ont eu confiance. [...] Et que du coup au niveau de l'apprentissage ça passe aussi mieux, je trouve. 92 Résultats e.4 Diminution des tensions sur le collège Un des effets éventuel de l'ESJ serait de diminuer les « tensions » au sein de l'établissement (Dir). Effectivement, l'ESJ est perçu par les jeunes comme un espace de détente, d'amusement qui permet de « souffler » (voir partie « Motivations »). Dir : Et je crois que l'ESJ [...] rend aussi service à l'établissement. […] le fait qu'il y ait cet espace de parole […] ça va permettre d'abaisser certaines tensions, existant chez les jeunes. E19 : Des fois on s'amuse bien quand on est à l'intérieur [de l'ESJ], et puis du coup, après, l'après midi on est content... on est pas [en train de se dire] « oh non, il va y avoir ça comme cours, ça va être chiant » 5. Pistes d'amélioration de l'Espace Santé Jeune Beaucoup de propositions d'amélioration se heurtent à la spontanéité de participation et de choix des thèmes au début de la séance. Certains jeunes, mais aussi des enseignants, aimeraient parfois plus de « suivi » d'une séance à l'autre : revenir sur un thème non approfondi à la séance précédente (E4, P1) ou encore bénéficier de la présence des mêmes adultes animateurs d'une fois sur l'autre pour assurer une continuité. P1 : Oui il y a ça et puis un peu plus de suivi d'une fois sur l'autre. P3 : La limite du suivi du groupe c'est que ça ferme les portes aux autres la fois d'après… D'autres jeunes souhaitent une meilleure gestion du nombre de participants, décrivant parfois un afflux massif qui rend difficile l'organisation de la séance (E2, E4, E7, E17, E20, Questionnaire). D'autres souhaiteraient des séances spécifiques destinées à un seul niveau de classe (5ièmes uniquement par exemple) (questionnaire). Les élèves expriment l'envie d'inclure la psychologue de l'établissement dans l'équipe des animateurs (E12, E13, E14), qui pourrait apporter encore plus d'écoute et de dialogue (E14). Une autre piste d'amélioration de l'ESJ exprimée par certains participants serait de favoriser les échanges dès le début de la séance, pour éviter les « grands blancs » (E17, E20) et le « démarrage » des échanges alors que la séance est sur le point de se terminer (P1, P4). 93 Résultats a) Principales hypothèses expliquant la non-participation de certains jeunes Toutes ces hypothèses proviennent des questions ouvertes du questionnaire, sauf mention d'un élève ayant participé au focus group. a.1 Manque d'intérêt Certains élèves ne sont pas intéressés par l'ESJ. Ils pensent que l'ESJ « est nul » ou « inutile » (E14), en tout cas ils n'en voient pas l'intérêt. Quest : Les sujets exprimés à l'espace santé jeune ne m'intéressaient pas, et je n'aime pas la médecine. a.2 Pas de besoin ressenti à participer Certains élèves pensent que l'ESJ est quelque chose de positif mais ne ressentent pas le besoin d'y aller, ils ne se sentent pas concernés par les sujets de conversation ou n'ont pas de questions particulières. Notamment, certains parlent déjà de santé avec leurs parents, et expliquent donc ne pas avoir besoin de l'ESJ. Quest : C'est intéressant mais pour moi inutile. Quest : Je trouve que cela ne me concerne pas car je n'ai pas de maladie grave et ma famille aussi, il n'y a pas de maladie qui me pose question. a.3 Difficultés organisationnelles Les élèves externes (ceux qui ne mangent pas à la cantine) participent plus difficilement à l'ESJ (Dir), ce qui est effectivement signalé dans beaucoup de questionnaires. Certains jeunes préfèrent, quant à eux, consacrer leur temps de pause-déjeuner à d'autres activités : sport, options, autres associations, temps libre personnel. D'autres disent tout simplement « ne pas avoir le temps » ou « ne pas y penser ». D'autres encore déclarent ne pas connaître l'ESJ, ou ne pas être informés des dates de séances. a.4 Difficultés avec le collectif Certains élèves craignent peut-être de devoir prendre la parole devant les autres (E11), ou ont peur que leurs propos soient répétés après la séance. Les résultats du questionnaire vont modérément dans ce sens : parmi les non-participants 31,8 % pensent que leurs propos pourraient être répétés (47,7 % pas d'accord et 20,5 % sans avis) et 40,9 % n'oseraient de toute façon pas proposer de thèmes (40,9 % pas d'accord et 18,2 % sans avis). 94 Résultats Une autre hypothèse a été soulevée, concernant plus spécifiquement les 4ièmes et 3ièmes. Les adultes s'accordent sur le fait qu'il est plus dur de recruter ces élèves et que les séances sont plus difficiles à impulser avec ce public. L'hypothèse serait que les 4ièmes soient freinés dans leur participation et leur expression à l'ESJ par la peur du jugement des 3ièmes. Dans le focus 4ième-3ième, les 4ièmes ne se sont quasiment pas exprimés (hormis E10). Dans le focus des 4ièmes seuls, les élèves signalent (à demi-mots) que la présence des 3ièmes les rend mal à l'aise (E16, E17, E18, E19, E20). Mod : Et vous qui êtes en 4ième, quand vous êtes dans une séance avec un groupe de 3ième assez important, comment vous vous sentez par rapport à ça ? E20 : On... on parle un peu moins déjà […]. E17 : [...] On a peur de parler de certains sujets parce qu'ils pourraient... je sais pas heu […]. E18 : Moi perso, j'ai... c'est pas que j'ai peur mais... c'est juste que...[…] je laisse parler les autres en fait . Dans le questionnaire, seuls 20 % des élèves déclarent vouloir poursuivre les séances 4ième-3ième mélangés. 67,6 % des élèves souhaiteraient une modification des séances 4ième-3ièmes : 29,7 % une séparation définitive, 37,8 % une alternance. 8,1 % des élèves n'ont pas d'avis. Ces résultats vont dans le sens d'une difficulté de relation entre les 3ièmes et les 4ièmes en séance. Parmi les non-participants de l'ESJ, seuls 31,3 % des quatrièmes déclarent ne pas « aimer parler devant les 3ièmes ». B. Espace Santé Jeune et pratiques professionnelles 1. Les médecins a) Une perception de la profession de médecin généraliste Les médecins généralistes de la maison médicale Averroès partagent une représentation commune de leur profession. Ils considèrent que leur métier est basé sur une approche globale du patient, pris en compte dans ses différentes dimensions. Le partage de valeurs « humanistes » entre les médecins a été à l'origine de leur association et de la création du cabinet (M2). M2 : C'est une culture humaniste, médicale […] Donc il y a un biais dans ce qu'on fait, parce que les médecins a priori, [on a] des valeurs qui nous sont communes et qu'on a définies dans notre cabinet. 95 Résultats Une organisation administrative de la maison médicale, basée sur la répartition des tâches administratives entre les médecins et l'instauration d'un temps d'échange hebdomadaire entre les associés semble faciliter l'engagement dans des projets de santé (M2). Dans cette vision globale, les médecins placent la prévention comme faisant partie intégrante de leur pratique médicale (M2, M3). b) Apports de l'ESJ L'ESJ fait profiter les médecins de quelques apports positifs dans leur pratique professionnelle. Premièrement, participer à l'ESJ amène les médecins à une meilleure compréhension de la réalité de la vie et du contexte des adolescents. L'ESJ procure aux médecins des « clés » en terme de représentations (M1, M3, M4) M4 : Moi ça m'aide à comprendre [...] des ados que je vois en consultation, [...] à m'imaginer […] comment ils voient le problème, eux, de l'intérieur. […] Parce qu'ils sont plus libres de parler dans cet ESJ qu'en consultation. M1 : Je pense que ça donne des clés en terme de représentations […] on va le mettre quelque part dans notre tête ce qu'on a entendu là, et c'est des clés après […] dans le dialogue de la consultation. Ces clés de représentation ne rendent pas forcément les médecins plus compétents dans la prise en charge médicale des adolescents. En fait les médecins sont partagés sur cette question. Certains pensent que l'ESJ améliore leur compétence de communication avec les adolescents et facilite donc leurs consultations (M2, M3), tandis que les autres expliquent que ces « clés » ne rendent pas forcément plus aisée la rencontre singulière et imprévisible entre le médecin et une personne, notamment un adolescent (M1, M4). M4 : Ça donne des clés, effectivement, en terme de représentations qu'ils peuvent avoir, mais après je ne me sens pas forcément plus compétente. M3 : Moi j'ai l'impression que je rejoins un petit peu M2, je pense que ça me rend plus capable d'entrer en relation, de choisir peut-être des mots simplement […]. Deuxièmement, l'ESJ amène également un surplus de satisfaction professionnelle à certains médecins (M2, M3) : l'idée de participer à l'amélioration de la santé des jeunes en amont est valorisante (M3), d'autant plus que dans le domaine de la prévention l'ESJ est perçu comme plus « utile » que la consultation (M3). 96 Résultats M3 : Je trouve que c'est assez satisfaisant aussi quelque part de se dire que, à côté d'un travail, ou quelque fois on va être dans de la prescription pour compenser, [...] là on est vraiment dans du long terme. [...] Et là je me dis, on est un petit peu dans la position de celui qui met un ferment, qui sème une graine : [...] Bon peut-être qu'on en verra certaines pousser, s'épanouir, d'autres pas du tout… mais [...] c'est pas désagréable de se dire ça aussi… Troisièmement, le projet de l'ESJ rassemble les médecins autour d'un travail commun. Ce projet partagé semble favoriser les échanges et les rapports entre les médecins et participe donc à l'esprit d'équipe de la maison médicale (M2). M2 : Dans notre pratique on est tellement individualisés, qu'avoir des choses qui renforcent notre lien, qui fait [...] qu'on discute, je pense que ça favorise une qualité de travail d'équipe. Parce que sinon on n'a pas tant de travail d'équipe que ça. En dernier lieu, les médecins décrivent « apprendre » au contact des professionnels de l'éducation (M1, M2, M3), notamment en ce qui concerne la communication et l'animation collective. c) Difficultés pratiques liées à l'ESJ c.1 Rémunération La question de la rémunération a été très peu abordée spontanément par les médecins. Seul M1 y fait allusion en précisant qu'une rémunération serait souhaitable pour ce travail accompli. Il n'en précise pas les éventuelles modalités. M1 : Il y a l'aspect, je dirais, de notre implication non rémunérée que je trouve, bon, intéressante. Mais ce qui serait à terme logique, c'est qu'il y ait une rémunération pour le travail, ce travail, qui soit fait. M2 précise que l'investissement d'un soignant dans ce type de projet dépend de ses priorités, notamment en ce qui concerne son niveau de rémunération. M2 : Et après c'est le rapport qu'on a aussi avec nos priorités : est-ce qu'on veut gagner de l'argent ou pas… [...] et dans le cabinet on a par rapport à ça des valeurs qui ne sont pas des valeurs financières. c.2 Gestion du temps de travail Participer à l'ESJ rajoute un temps de travail non négligeable pour un soignant. M2 précise que le temps de l'ESJ est une heure de temps de travail à part entière, non superposable avec l'accueil des urgences ou les tâches administratives, ce qui décale donc d'une heure la fin de la journée de travail. Aux temps d'animation 97 Résultats s'ajoutent deux fois par an les temps de concertation avec l'équipe de l'ESJ. M2 explique donc qu'une organisation rigoureuse est indispensable pour permettre la participation à ce projet. L'installation en cabinet de groupe, en permettant un roulement des différents confrères à l'ESJ et en favorisant la répartition des tâches administratives communes est un facteur facilitant la participation à ce type de projet. M2 : Alors, clairement, c'est dans le temps professionnel, donc c'est quelque chose qui rajoute « un temps » de travail. [...] donc ça reporte l'heure à laquelle je rentre chez moi. c.3 Posture éducative Une des principales difficultés exprimée par les médecins est (ou a été) la difficulté à maîtriser les techniques d'animation collective, compétence qui n'est « pas innée » chez des médecins (M1, M2, M3, M4). Les connaissances médicales ne semblent pas être un appui permettant d'être plus à l'aise devant le groupe, dans cette situation les médecins sont « comme tout le monde ! » (M1). M2 : On est là pour favoriser un dialogue autour de la santé […] on réalise qu'il nous manque des outils pour animer un groupe, pour le rendre vivant pour favoriser l'échange. M2 précise également que la posture « transversale » du médecin au sein de l'ESJ (c'est à dire facilitant les échanges, et valorisant les savoirs profanes) doit être respectée : le médecin ne doit pas tomber dans le travers du « monologue » sur la santé et doit parfois savoir « se taire » afin de favoriser l'expression des jeunes et des autres adultes présents (M1, M2, M3). M2 : C'est un biais aussi dans les jeunes médecins qui vont prendre [...] le relais, parce que ce n'est pas si spontané que ça et quand il y a des nouveaux enseignants, il faut vraiment à chaque fois les inciter à prendre la parole… L'exemple récent c'est heu, une des enseignante qui était là [...] sur la communication difficile entre filles-garçons, elle connaissait mieux que moi ce sujet là. Mais spontanément, elle ne s'autorisait pas à l'exprimer. […] Donc il y a un effort à la fois, à nous de temps en temps se taire et de temps en temps d'encourager, ou valoriser les autres adultes [… qui vont] enrichir plus le dialogue que si on est dans un monologue […]. C'est pourquoi M2 explique qu'avant de se lancer dans l'animation d'une séance, il est important de se « former » au moins en observant des séances pour s'imprégner du fonctionnement, ou en faisant appel à des ressources comme un animateur jeunesse, ou des associations comme les IREPS. 98 Résultats M2 : Il y a un peu besoin de formation, c'est pas si inné que ça. [...] et que c'est quelque chose qui nécessite un support, ou se faire aider par l'IREPS, [...] et là-dessus, l'apport de l'animateur [AJ] était drôlement important. c.4 Mise en évidence des propres limites du médecin généraliste Les médecins expliquent que les sujets de conversation amenés par les élèves sont souvent à la limite de leurs champs de compétences (M2, M3), ce qui les met parfois dans une position inconfortable (M2). M2 : De temps en temps on se sent dans une position où… ça nous sort de notre savoir, on a moins de certitudes. […] sur des questions des jeunes sur, par exemple : « le cerveau et l'ordinateur ». [...] je n'ai pas une connaissance particulière par rapport à ça, ça ne fait pas partie de ma formation. [...] on va être [...] à la limite de nos connaissances, donc on va être […] plus en difficulté. c.5 Environnement M2 explique qu'il est souvent difficile d'évoluer avec l'environnement matériel et informatique du collège, qu'il ne maîtrise pas spécialement. Cette difficulté empêche l'accès à certains supports, notamment numériques, qui pourraient apporter une plus-value aux séances (outils pédagogiques ou supports d'information). c.6 Qualité inégale des séances Selon M2, la qualité des séances n'est pas toujours optimale, certaines séances sont très riches entre les jeunes et les adultes, d'autres sont plus pauvres. M2 : D'un point de vue qualitatif moi je suis un peu frustré… Je pense que ça pourrait évoluer mieux qualitativement. Différents facteurs semblent être à l'origine de cette inégalité. La qualité du lien entre les animateurs semble être un de ces facteurs. M2 a par exemple une grande habitude de travail avec AJ, animer une séance avec ce dernier représente un « plaisir ». Au contraire, animer la séance avec un adulte moins motivé et moins expérimenté rend parfois l'animation plus difficile et lui procure moins de plaisir. M2 : Quand il n'y a pas l'éducateur, que ce n'est pas anticipé [cela a parfois pour conséquence] que l'adulte qui est là-bas ne s'investit pas forcément… Heu, à ce moment là, de temps en temps, le ressenti il est plus négatif… Un autre facteur semble être la qualité du lien entre les jeunes eux-mêmes : une bande d'amis qui participe aura moins de difficulté à prendre la parole, ce qui améliorera la qualité des échanges. Au contraire, les difficultés de communication 99 Résultats entre les 4ièmes et les 3ièmes, un mauvais « feeling » de l'animateur avec certains groupes ne favorisent pas la participation et provoquent des séances d'où « il ne sort pas grand chose ». M2 : Donc ça, d'une année à l'autre, d'un groupe à l'autre, on n'a pas les mêmes qualités d'échange et quand on n'a pas de qualité d'échange [...]… c'est moins motivant ! d) Éducation pour la santé en consultation d.1 Perception de la consultation médicale par les élèves La perception de la consultation médicale par les jeunes est globalement partagée par la perception des enseignants. Les jeunes ont une représentation de la consultation médicale centrée sur la pathologie et le corps. La plupart d'entre eux pensent qu'il est nécessaire d'avoir un problème « physique » ou d'être « malade » pour se rendre chez un médecin (E10, E13, E16, E2, E3, E4, P3, P1). E10 : Mais quand on va voir le médecin c'est quand on est malade, du coup on n'y pense pas trop [à poser des questions sur la santé]… E4 : Enfin les médecins quand on va chez eux, dans leur cabinet, [...] on parle de maladie donc heu... Sinon on leur fait perdre leur temps ! Les jeunes pensent majoritairement que la consultation médicale n'est pas « un endroit pour parler » ou échanger avec les médecins comme ils le font à l'ESJ (E1, E10, E13, E14, E20, E16, E17, E19, E20, P1, P2, P4). Le questionnaire va également dans ce sens : 65,1 % des élèves ne souhaiteraient pas parler « comme à l'ESJ » avec leur médecin en consultation. Parmi les non-participants à l'ESJ, 29,6 % des élèves préféreraient parler avec leur médecin en consultation plutôt que se rendre à l'ESJ. Parler de prévention n'est pas un motif de consultation valable pour la plupart des jeunes (E2, E5, E16, E18, E20). Un seul adolescent identifie, au contraire, le cabinet médical comme un lieu d'échange libre (E17). E18 : Mais bon je ne me vois pas en train de dire à mes parents de m'emmener pour « parler de ça » [de sexualité] au médecin… E2 : Ben je sais pas, quand on va au médecin c'est toujours pour parler des maladies [...] on n'a pas l'intention de parler des problèmes qu'on a dans la tête du coup bah... là [à l'ESJ] on en parle. 100 Résultats Les temps de parole sont perçus comme inversés entre la consultation et l'ESJ : lors de la consultation c'est le médecin qui parle, il dit « ce qu'il faut faire », alors que dans l'ESJ la parole est aux jeunes (E3, E4, E7). E1 : Ben quand on est chez le médecin, ben on parle pas de choses enfin, on dit ce qu'on a et puis c'est tout, on parle pas plus. La présence des parents, fréquente en consultation, est également un frein au dialogue entre médecins et adolescents (E17, E3, E2, E5, E7, P1, P4), même si les parents peuvent laisser le jeune seul avec le médecin (E20). D'autre part, les adolescents évoquent plusieurs facteurs limitant leur accès à la consultation médicale : « prendre un RDV » (E17), y « être emmenés par ses parents » (E17, E18, E20), et régler la consultation (E4, E7, E16). E17 : Il faut prendre un RDV chez le médecin et tout, c'est plutôt compliqué. E4 : Enfin les médecins quand on va chez eux, dans leur cabinet, ben déjà on doit les payer […]. d.2 Avantages de l'ESJ sur la consultation médicale dans le cadre de la prévention Les médecins expriment que la consultation médicale présente plusieurs freins à l'éducation pour la santé des adolescents. La présence des parents, la faible fréquence de consultation des adolescents (M3, E7), la place occupée par les problèmes somatiques, le manque d'identification du médecin comme interlocuteur possible sur certaines problématiques (mal-être...) (M2, M3), la difficulté de communication en colloque singulier avec l'adolescent sont identifiés comme facteurs limitants par les médecins (M1, M2, M3, M4). M3: La consultation on est en relation singulière, ou quelque fois parasité parce qu'il y a un des parents qui est là et ce n'est pas toujours facile de les faire sortir... M1 : On a beaucoup de parasites par rapport à des demandes somatiques hein, il faut être clair... C'est à dire que faire de la prévention en consultation ça reste compliqué […]. Le « rôle » de soignant est également identifié comme un frein à la prévention en consultation : il amène implicitement les demandes des patients vers le soin (M1) et rend douteuse l'interprétation des conseils de prévention (cf. M3 ci-dessous). De plus, il semble difficile de ne « pas répondre » à une demande somatique (M1). L'ESJ semble s'affranchir de ce facteur limitant (M3). 101 Résultats M3 : Ou même notre message [de prévention en consultation] ne passe pas parce qu'on est vécu comme un soignant pour un problème médical et du coup [...] il va être interprété comme « on pense que je suis malade alors que non ». En outre, la relation singulière médecin-adolescent lors de la consultation ne semble pas propice à l'expression des problématiques sensibles, les jeunes semblent être plus à l'aise au milieu du groupe pour aborder ces thématiques (M1, M2). E10 : T'es moins à l'aise quand tu es chez le médecin tout seul quand même hein ! Je [sais] pas mais après tu es avec tes amis et tout, donc après c'est plus facile de parler… En dernier lieu, la gratuité est citée par plusieurs jeunes comme un avantage indéniable de l'ESJ par rapport à la consultation médicale (E4, E5, E7, E16). Néanmoins, on peut noter que malgré tous ces avantages, des nuances existent. M1 précise en effet que la prévention peut prendre différentes formes, et peut donc être plus ou moins adaptée à la consultation médicale. En conclusion, une prévention individuelle, ciblée, basée sur la connaissance du patient semble plus adaptée à la consultation qu'une prévention éducative, précoce (M3, M1), s'adressant à des adolescents dont les problématiques de santé sont collectives (M1, M2). M3 : Mais si on veut aller plus loin et aller dans la prévention, il faut aller « là où ils sont » et peut-être pas seulement se dire « nous on se pose ces questions là », mais « qu'est-ce que eux, éventuellement, se posent comme questions [...]». Et puis se mettre dans une démarche différente de la consultation. d.3 Collectif et éducation pour la santé L'abord collectif semble plus adapté pour réaliser l'éducation pour la santé des adolescents. Notamment car leurs problématiques de santé spécifiques doivent souvent être comprises dans un cadre collectif (M1, M2, M4) et nécessitent une confrontation au sein du groupe d'adolescents (M1). M1: […] enfin quand même, l'adolescent est souvent enfermé dans des problèmes de normalité enfin de « c'est normal, pas normal, etc. » M2 : Et, avec aussi un élément : c'est que les problématiques de santé à l'adolescence, elles sont souvent dans un cadre collectif. C'est à dire que les 102 Résultats problématiques d'alcool, les problèmes de tabac, elles ne se comprennent pas individuellement, elles se comprennent dans un fonctionnement collectif. Pour les médecins, faire échanger les jeunes autour d'un sujet de santé fait donc partie intégrante de la prévention à cet âge (M1, M2, M3, M4). M1 : Et puis quelque soit le domaine de la prévention, parce qu'elle est vaste en fait cette prévention, elle est surtout : « libérer la parole » quelque part. Le principe d'un espace de parole pour les adolescents, instauré et régulier est donc décrit comme particulièrement « pertinent » (M1). De manière générale, l'expérience du collectif en prévention est positive pour M2, qui l'avait déjà expérimentée lors de séances d'éducation thérapeutique du patient. De la même manière, pour les élèves, confronter leurs propres représentations au sein d'un groupe est décrit comme enrichissant (Dir, M3). M3 : Donc je pense que là aussi on est dans la prévention : par rapport à l'autonomie, à la perception qu'on a de sa capacité à dire des choses, ou à entendre d'autres « tiens j'aurais pas pensé ça ». Et ça les fait réfléchir et avancer quoi. L'intérêt d'un groupe mixte pour aborder les questions de sexualité est également signalé comme un avantage (M1, M3). Au final, la dynamique de groupe permet une prévention vers les adolescents très différente de celle réalisée dans une consultation médicale individuelle. Cette démarche vise à développer l'autonomie des participants et à confronter leurs représentations sur la santé. 2. L'équipe éducative du collège a) Singularité du collège Le collège Jean Blouin présente plusieurs particularités. Premièrement, son équipe éducative est présentée comme jeune, dynamique et avide de se former (P1, P2, P4). P2 : Je pense que c'est parce qu'on est dans une école exceptionnelle, où les professeurs sont exceptionnels [rire] Les enseignants perçoivent leur profession comme une mission éducative au sens général visant à accompagner les jeunes vers l'âge adulte (P1, P2, P3, P4) en prenant en compte leurs éventuelles souffrances et en gardant sur eux un regard positif inconditionnel (Dir). Cette perception, partagée par la grande majorité des enseignants (P2, P3, P4), est décrite en adéquation avec la problématique actuelle 103 Résultats de l'enseignement : accompagner le jeune à développer un esprit critique sur les connaissances auxquelles il a accès, plutôt que simplement lui transmettre des connaissances. Dir : Je crois qu'ils ont vraiment compris qu'un enseignant aujourd'hui c'est avant tout un éducateur, avant d'être un transmetteur de connaissances. Deuxièmement, tous les membres du collège perçoivent leur établissement comme de « petite taille » (E2, E6, E16, E17, E20, Dir, P4). Cette situation présente plusieurs avantages : meilleure prise en compte des élèves (Dir), facilité d'échange dans l'équipe éducative (P4). Dernièrement, la présence de la médecine scolaire y semble rare. Le médecin scolaire intervient uniquement sur sollicitation, notamment pour des problèmes spécifiques comme l'aménagement pour un élève handicapé (Dir). Le collège ne compte pas non plus d'infirmière scolaire sur place. La présence d'une infirmière scolaire au collège public a été perçue comme un frein possible pour implanter un projet comme l'ESJ dans cet établissement (M2). M2 : Il y en a une [infirmière scolaire] au collège public et elle est identifiée comme le référent santé. Donc quelque part ils considèrent qu'ils vont gérer avec elle et qu'on fait un peu doublon par rapport à ça. Et avec sans doute une méconnaissance de la complémentarité, de ce qu'on peut apporter. Le collège de Saint-Germain est perçu comme ouvert sur l'extérieur par l'équipe enseignante (Dir, P1, P2, P4). Cette ouverture se traduit en pratique par la recherche de partenariats avec des intervenants extérieurs et par l'organisation de sorties scolaires (Dir). Dir : […] mais le collège ne doit pas vivre fermé sur lui-même quoi. Ce n'est pas une micro-société au sein d'une société plus large. P2 : On fait partie, on est une entité intégrante de Saint Germain et donc on est ouvert sur Saint Germain, les médecins de Saint Germain viennent, c'est... oui, une ouverture je trouve, qui est importante. b) Apport de l'ESJ Les enseignants signalent une influence de l'ESJ sur leur exercice professionnel (P1, P2, P3, P4), parfois décrite comme importante (P1, P2, P4). Cependant cette influence, encore un fois, s'inscrit dans un « tout » et un état d'esprit particulier à l'établissement. 104 Résultats Les enseignants expliquent que l'ESJ les amène à se questionner et à changer de regard sur leur pratique (P1, P4), ce qu'on pourrait définir comme de la « réflexivité ». Le regard sur l'autre animateur de la séance (P4) et la position de recul adoptée par les enseignants (P4) déclenchent cette remise en question. P1 : Je trouve que moi ça change un peu ma manière d'être prof. P4 : [...] alors que là quand il y a un autre adulte, on est aussi observateur de cette relation entre les deux [élève et adulte], qui peut exister, et du coup ça nous aide à une prise de recul par rapport à cette relation […]. P2 : Et puis ça nous apprend aussi qu'on peut réagir différemment de ce qu'on croit, de ce qu'on fait d'habitude, face à une situation. L'ESJ permet également aux enseignants d'avoir un regard neuf sur les élèves, non influencé par l'impératif de la matière (voir partie « Effets de l'ESJ sur les relations élèves-enseignants »). P3 : [ça amène] le regard, c'est ce que tu disais, un regard différent sur un élève […]. Cette réflexivité s'inscrit au sein d'une équipe éducative volontaire pour se former et améliorer ses pratiques. En favorisant la réflexivité, l'ESJ peut représenter une sorte de formation (P1). P1 : Et on a envie de se former tout le temps, donc c'est une nouvelle manière de se former en fait. 3. L'animateur jeunesse AJ se définit comme un acteur de l'éducation populaire, intervenant sur les temps de loisirs des jeunes mais prenant part également à leur développement éducatif. AJ : Mais on a cette position particulière qui fait qu'on est là aussi pour accompagner les jeunes dans leur construction, et dans l'élaboration d'un loisir aussi […]. Participer à l'ESJ a renforcé la légitimité d'AJ à s'investir dans des actions de prévention auprès des jeunes. AJ : Ça m'a conforté dans le fait que l'animateur jeunesse, il peut être pertinent sur ces questions là, d'information, de santé etc. […] Voilà je cherchais le mot : plus en confiance quand j'interviens sur ce type de thématiques […]. AJ explique que l'ESJ lui a permis d'apprendre à aborder et se sentir à l'aise avec les problématiques de santé des jeunes. Le fait d'animer l'ESJ en collaboration avec les médecins a fini par lui donner confiance et légitimité pour « exporter » ce type 105 Résultats d'intervention sur d'autres collèges, notamment le collège de la ville voisine où il anime également une action de prévention sur la sexualité. AJ : Moi je trouve que la collaboration avec des médecins elle est vraiment très très intéressante […] le fait que ce soit des médecins, ça m'a beaucoup, beaucoup aidé […]. Mod : En quoi alors ? AJ : Ben déjà j'apprends ! De séance en séance j'apprends moi aussi ! […] c'est un type de formation en fait ! [...] et on se sent peut-être plus légitime, à aller [les] ré-exploiter dans d'autres contextes quoi. Ouais, ouais, je suis assez convaincu. AJ décrit également que l'ESJ a renforcé les liens qu'il avait avec certains jeunes. Le fait de rencontrer ces adolescents dans un autre contexte a alimenté leurs relations et lui a permis de revenir sur certains sujets de santé abordés dans l'ESJ afin de les approfondir. AJ décrit éprouver un grand plaisir à participer à ce projet. AJ : […] enfin moi je prend plaisir à venir à l'ESJ parce qu'aussi il y a ce lien qui est très sympa [avec les jeunes], très privilégié, et puis ça m'apporte aussi le fait de pouvoir en rediscuter après, sur les temps de loisirs [...] et des fois d'aller un peu plus loin, de creuser. 4. Singularité des contextes professionnels a) Des adultes partageant des représentations communes Les adultes de l'ESJ partagent des représentations communes sur les adolescents, leurs besoins, et leurs rapports à la connaissance (Dir, P1, P2, P4, M2, M3, AJ). Dir : Mais je crois qu'effectivement au niveau de l'ESJ, on partage des valeurs autour de ce qu'est l'adolescent d'aujourd'hui. Et la façon dont on veut le voir grandir, le voir évoluer. Les adultes de l'ESJ partagent le désir d'être identifiés par les jeunes comme adulte repère ou ressource que ce soit dans une logique d'aide pour les adolescents en souffrance (M1, M2, M3), ou dans une logique éducative globale pour faire « grandir » les jeunes (Dir, AJ, P1, P2, P3, P4). M3 : Ça c'était une idée aussi qu'on avait eu au départ [...] que les adultes présents à un moment donné, là, puissent éventuellement aussi être identifiés comme adulte relais, par des jeunes qui en auraient besoin. 106 Résultats M2 : Pour que, face à des difficultés ils [les adolescents] ne soient pas tout seuls, mais que les adultes autour soient perçus comme des aidants, et pas comme des gens qui ajoutent des difficultés en plus. Ce contexte singulier, réunissant des professionnels partageant des représentations communes de la problématique de la santé des adolescents est, sans conteste, un des facteurs ayant favorisé l'implantation du projet ESJ (M2, Dir, AJ). Dir : Et c'est pour ça que je ne suis pas persuadé que l'ESJ pourrait exister partout non plus ! b) Désir de s'inscrire dans une dynamique territoriale Les médecins ont le désir de s'inscrire dans la communauté et d'exercer une action positive au sein de leur territoire (M1, M2, M3). L'ESJ a été initié dans cette optique : en constatant la fréquence de problème de santé des jeunes du territoire (suicides, accidents), les médecins ont souhaité mettre en place une action de prévention pour les jeunes du territoire, dont la plupart des familles consultent régulièrement au cabinet (M3). M3 : C'est à dire qu'il y a eu une période, donc il y a maintenant 5-6 ans [...] on a eu pas mal de situation où il y a eu des accidents : des accidents corporels, des suicides, des choses graves au niveau de pas mal d'ados... [...] certains on les connaissait, d'autres c'étaient des enfants de famille ou des choses comme ça, [...] Et on s'est dit un moment donné est-ce qu'on aurait eu un moyen d'être dans la prévention, de toucher ces jeunes-là ? [...] De manière plus globale, les médecins considèrent que les généralistes peuvent être identifiés comme « référents santé » (M2) sur un territoire et participer à l'impulsion de projet de santé (M1, M2, M3). Au final, les médecins généralistes se reconnaissent une mission locale de santé publique (M2). M2 : Quelque part il [le médecin généraliste] est acteur de santé publique. Il ne le sait pas forcément, on sous-estime ce rôle là, on ne s'appuie pas forcément sur [lui], mais pour moi sur un territoire donné, il peut vraiment avoir un rôle de santé publique c) Facteurs explicatifs de l'échec de la collaboration avec le collège public Les hypothèses expliquant l'échec de l'implantation de l'ESJ au collège public du secteur permettent de mieux comprendre comment l'ESJ s'est implanté avec succès au collège privé. 107 Résultats Les médecins évoquent plusieurs hypothèses. La présence d'une infirmière scolaire déjà impliquée dans la prévention (M2), la réticence à l'intervention de médecins extérieurs, la crainte que les médecins libéraux fassent « de la publicité » pour leurs consultations (M2), et l'absence d'atomes crochus avec le chef d'établissement (M3) n'ont pas permis d'y mener le projet. La structure publique a été également perçue comme plus « rigide » que le collège privé, ne favorisant pas la co-construction du projet (M3). Cependant les médecins n'ont pas abandonné l'idée de développer l'ESJ au collège public, attendant de meilleures conditions (M2, M3). 108 Discussion DISCUSSION I. A propos de ce travail de recherche, discussion de la validité interne A. Choix de la méthode mixte Cette étude avait pour but de comprendre comment un projet d'éducation pour la santé original et peu décrit dans la littérature, était perçu par ses acteurs. Le choix d'une méthode mixte, principalement qualitative, était donc adaptée pour mettre en évidence ces données non mesurables et inconnues au début de l'étude. L'ajout d'un volet quantitatif de type séquentiel-exploratoire a permis d'affiner les résultats obtenus chez les élèves et d'extrapoler certaines hypothèses issues des entretiens. Cette complémentarité des résultats qualitatifs et quantitatifs est une des forces de l'étude. Plusieurs biais limitent cependant ce travail. Dans l'enquête qualitative le biais principal réside dans l'influence du chercheur lui-même sur la fiabilité des données (35). Dans cette étude la place du chercheur a été conçue comme externe et non participante, mais l'inexpérience du chercheur et les liens cordiaux développés tout au long de l'étude avec les médecins, l'AJ et l'équipe du collège ont pu nuire à sa neutralité dans le recueil et l'analyse des données. Il existe un probable biais d'influence dans le recueil des données qualitatives. Malgré l'adoption d'une posture la plus neutre possible durant les entretiens, le chercheur a été identifié comme « médecin » par les participants non-médicaux, ce qui a pu orienter les réponses des participants ou inhiber les avis négatifs sur le cabinet médical ou l'ESJ. De plus, les grilles d'entretien étaient conçues pour explorer davantage les points positifs de l'ESJ que ses points négatifs, ce qui peut expliquer la faible proportion de perceptions négatives sur l'ESJ dans les résultats. Certains groupes d'élèves ont été très dynamiques et prolixes dans les focus groups, ce qui a entrainé de nombreuses interventions du modérateur afin de cadrer les échanges et a donc pu influencer les propos des participants. 109 Discussion L'absence d'observateur durant les focus groups n'a pas permis de minimiser ces biais. Un important biais d'expression et biais de lissage a été observé dans le focus group des 4ièmes-3ièmes. Ce biais était prévisible : l'expression de collégiens devant le groupe est soumise au « regard et au jugement des autres », auquel ce public est particulièrement sensible. Ce biais d'expression a entrainé le silence quasi total de 3 quatrièmes sur 4 dans ce focus. Afin de limiter ce biais, il a été convenu de réaliser un entretien supplémentaire avec des quatrièmes seuls. Le biais d'expression a été globalement limité par le choix de la méthode mixte. En prévision d'une difficulté des adolescents à exprimer des opinions divergentes au sein d'un groupe de pairs, il a été choisi de compléter l'enquête par un questionnaire auprès des élèves. Ce questionnaire a permis de confronter les données relevées pendant le focus group, à l'ensemble des élèves de manière individuelle et anonyme afin d'en vérifier la validité et la représentativité. B. Critères d'inclusion, échantillonnage Les critères d'inclusion ont privilégié les participants actifs de l'ESJ, hormis dans le volet quantitatif de l'étude où les élèves n'ayant jamais participé ont été sollicités. Ce choix est cohérent avec l'objectif de l'étude, qui s'intéresse aux perceptions des participants, mais a probablement induit un biais de sélection. Il est logique que les participants réguliers de l'ESJ aient des opinions plus positives que les nonparticipants, ce qui a pu induire une sur-représentation d'opinions favorables à l'ESJ. La sélection des participants aux entretiens a privilégié la diversité des acteurs plutôt que leur représentativité, comme il est recommandé dans une enquête qualitative (33). Cependant, il a pu une fois encore exister un biais de sélection au sein des familles d'acteurs. Dans le focus group des enseignants, on retrouve par exemple des propos assez homogènes. Pour ce groupe d'acteurs, la participation a été proposée aux volontaires parmi l'équipe pédagogique et il est possible que les volontaires aient été des enseignants plus « convaincus » que d'autres par l'ESJ. Au sein des « niveaux de classe », les élèves ont été choisis par les enseignants après accord de ces derniers pour participer. Cette sélection a peut-être favorisé la présence d'élèves favorables à l'ESJ au cours des entretiens. 110 Discussion Les biais de sélection des élèves ont été probablement limités par la proposition d'une question ouverte dans les questionnaires destinés aux « participants » et aux « non-participants » de l'ESJ. Le questionnaire en ligne a permis une forte participation des élèves (taux de réponse de 71 %) avec répartition homogène des classes des participants. Une différence de participation entre filles et garçons a été observée. Ne connaissant pas le ratio fille/garçon de la population du collège, cette différence n'est pas expliquée. L'échantillon étudié semble donc relativement représentatif. L'importance du taux de participation s'explique par l'engagement fort des enseignants dans cette enquête. En effet, lors de la deuxième et dernière semaine de passation, les enseignants ont invité tous les élèves à remplir le questionnaire en salle informatique sur les temps de vie de classe. Malgré un fort bénéfice sur le taux de participation, la réalisation du questionnaire au collège et en présence des camarades et des enseignants a probablement limité la franchise des réponses des élèves entraînant un possible biais de déclaration. La formulation des questions n'a pas été testée chez les élèves, entraînant un biais de compréhension des questions, rapporté notamment dans les cas de double négation. Le cabinet médical compte 5 médecins. Un des praticiens était absent lors du focus group, ce qui amoindrit la représentativité de cet entretien. L'exclusion des 6ièmes a été choisie en raison d'une faible expérience de l'ESJ au début de l'étude. Une inclusion des parents d'élèves aurait pu apporter des opinions intéressantes concernant le projet ESJ. C. Richesse des données Le recueil des opinions des différentes familles d'acteurs (élèves, médecins, enseignants, chef d'établissement et animateur jeunesse) a permis de croiser les points de vue sur l'ESJ et de produire une grande richesse de données, ce qui est une des forces de l'étude. La saturation des données n'a cependant pas été atteinte, ce qui représente une limite de ce travail. Les grilles d'entretien ont été complétées au fur et à mesure de l'avancée de l'étude en fonction des résultats obtenus. 111 Discussion D. Analyse L'analyse de résultats qualitatifs est largement soumise à l'influence du chercheur, limite importante de la validité des résultats, à laquelle n'échappe pas cette étude. Afin de limiter ce biais, il aurait fallu trianguler l'analyse (33), c'est à dire mener deux codages parallèles des entretiens par deux chercheurs indépendants, ce qui n'a pas pu être réalisé dans ce travail. Encore une fois, la réalisation du questionnaire amène une autre source de données permettant de relativiser et de mettre en perspective les résultats qualitatifs, ce qui limite (modérément) ce biais. Il a été choisi de ne pas effectuer de tests statistiques à partir des résultats du questionnaire. L'objectif de l'étude est formellement qualitatif. Il a donc été estimé qu'une analyse statistique n'aurait amené qu'un faible bénéfice supplémentaire à l'analyse des résultats. II. A propos des résultats de cette étude, discussion de la validité externe L'intervention de médecins généralistes dans un projet d'éducation à la santé de longue durée en milieu scolaire constitue une expérience originale et donc peu étudiée dans la littérature. La plupart des études déjà réalisées concernent la thématique plus spécifique des interventions ponctuelles pour l'éducation à la vie affective et sexuelle (EVAS) en milieu scolaire. Cependant, certaines de ces études s'intéressent aux besoins exprimés des adolescents concernant les interventions d'éducation et à la forme que peuvent prendre celles-ci. Nous pourrons donc en partie comparer leurs résultats à ceux de notre travail. A. Réflexion sur la forme des interventions d'éducation pour la santé 1. Les séances Notre étude montre que la forme des séances de l'ESJ est appréciée des élèves et des adultes intervenants, aussi bien dans l'organisation générale des séances : fréquence, régularité, volontariat, fragmentation des élèves par niveaux, groupe d'effectif modéré ; que dans la forme des séances : cadre respectueux, prédominance de l'expression des jeunes, liberté d'expression, liberté des thématiques, présence des pairs, utilisation d'outils pédagogiques et position de recul 112 Discussion des intervenants. Ces critères qui contribuent à l'appréciation globalement positive de l'ESJ se retrouvent pour certains dans la littérature. Selon les auteurs du guide INPES éducation à la santé en milieu scolaire, l'éducation à la santé - « ni discours sur la santé, ni seulement apport d'information » - « vise à aider chaque jeune à s'approprier progressivement les moyens d'opérer des choix ». En ce sens, il est nécessaire selon ces auteurs de faire appel à la participation active et interactive des élèves dans les séances, en inscrivant les interventions dans le cadre des pédagogies constructivistes et en utilisant des techniques d'animation et des outils pédagogiques validés (2,24). C'est également ce que souligne le guide INSERM sur l'éducation pour la santé des jeunes. Pour les auteurs, l'acquisition de connaissance n’est en réalité qu’un des nombreux facteurs du changement comportemental d'autant plus que les adolescents sont très critiques sur l’approche professorale de l’éducation. Par conséquent, dans une optique de promotion de la santé, il est nécessaire de se baser sur une approche biopsychosociale, c'est à dire plus globale et participative du public (25). Dans son étude sur les besoins exprimés des adolescents pour l'EVAS, M. Riquet brosse un tableau des attentes des adolescents de 11 à 19 ans par rapport à ces séances (36). Les séances devraient permettre un climat de confiance et de liberté d’expression des adolescents : les propos de l'animateur doivent être ludiques, adaptés à l’âge, aux préoccupations et aux questions des adolescents, et celui-ci doit adopter une posture d'ouverture d'esprit. Dans le cadre de l'EVAS, les adolescents semblent également attendre un discours positif sur la sexualité. Selon cette étude, les critères de ressenti « positif » d'une intervention étaient : approche globale et développement des compétences des jeunes, aspect ludique, présence d’intervenants formés, nombre de séances (plus que la durée de chacune des séances), contenu multiple permettant d’augmenter les compétences relationnelles, les capacités de négociation et de décision. Les jeunes exprimaient également que tout outil pouvant rendre la séance interactive et facilitant l’aisance de la prise de parole était apprécié (discussions autour d’une vidéo, d’un jeu de rôle, de jeux de société, de témoignages). Les jeunes signalaient également préférer des séances en petit groupe ou sous forme d’ateliers pour favoriser l’expression. Les séances de l'ESJ semblent donc rassembler plusieurs de ces critères, en ajoutant plusieurs originalités comme le grand nombre de séances sur l'année et la liberté de participation. 113 Discussion La liberté de participation, ne semble d'ailleurs pas nuire à la participation des élèves : le taux de participation de 59 % des élèves interrogés illustre la bonne implantation de l'ESJ au sein de l'établissement. Cette liberté présente cependant des « effets indésirables » : difficulté organisationnelle ne permettant pas d'anticiper les thématiques, ni de savoir quels élèves seront présents lors d'une prochaine séance, et donc faible « suivi » au fil des séances : élèves et animateurs se plaignent souvent au cours des entretiens de ne pas pouvoir poursuivre les échanges lors d'une séance ultérieure. Le cadre des séances ESJ semble également cohérent avec les recommandations de l'INPES (règles basées sur la confidentialité, le respect de la parole de l'autre, le droit de s'exprimer ou de ne pas s'exprimer) (2). Cependant, par rapport à ces recommandations et les besoins exprimés par les jeunes, l'ESJ présente une limite au niveau du développement de compétences des élèves. Or, selon l'INPES, l'éducation pour la santé en milieu scolaire vise le développement de compétences chez les jeunes (2). Bien que cité de nombreuses fois par les médecins pendant les entretiens, le terme « compétence » ne semble pas approprié pour définir les apprentissages des jeunes durant l'ESJ. Les enseignants et les élèves décrivent plutôt un développement de « connaissances » chez ces derniers, même si celles-ci sont transmises par la pédagogie active. On peut cependant remarquer que quelques jeunes évoquent le développement de certaines compétences psycho-sociales : E20 et M2 évoquent une diminution de la timidité de certains élèves (compétences de relations interpersonnelle, gestion des émotions), E12 évoque le développement d'un esprit critique au cours des débats (compétence de développement d'une pensée critique). Malgré ces hypothèses, le développement de compétences ne reste qu'en arrière plan de l'ESJ, le premier plan étant principalement occupé par la libération de la parole chez les jeunes et le développement des savoirs. 2. Les intervenants Dans l'étude de M. Riquet, les adolescents déclaraient préférer les intervenants extérieurs à l’établissement pour animer les séances d'EVAS, plus particulièrement les professionnels de santé (médecin, IDE, planning familial, sage-femme). Les professeurs n’étaient pas envisagés comme des confidents, certains voyaient en eux la figure parentale. Cette préférence des intervenants extérieurs qui ne « connaissent pas » les jeunes, aux professeurs qui les « connaissent trop bien » se retrouve dans 114 Discussion notre étude. Cependant, la plupart des spécialistes (2,24,26) recommandent formellement l'investissement des enseignants au sein des équipes d'éducation à la santé en milieu scolaire. Ce décalage s'explique probablement dans la différence qu'il peut exister entre une séance d'EVAS et une séance d'éducation sur un autre thème, comme par exemple une séance sur le renforcement des compétences psychosociales, dans laquelle la présence de l'enseignant pourrait être mieux perçue. Dans notre étude, nous ne savons pas si la perception de l'enseignant par les jeunes varie en fonction du thème de la séance (abord de la sexualité ou autre thème). 3. La démarche de projet Selon les auteurs précédemment cités (2), il est indispensable de penser un projet d’éducation pour la santé dans son ensemble. Une approche par « empilement » d'interventions thématiques non coordonnées ne répond pas à la problématique du développement de compétences pour la santé et la citoyenneté. La démarche de projet est un outil permettant d'éviter cet écueil. Elle repose sur 4 étapes : Constitution de l'équipe et implication des partenaires ; Analyse de la situation, diagnostic et définition des objectifs de l'action ; Mise en œuvre du projet ; Évaluation de l'action et communication autour du projet. Les deux premières étapes de la démarche de projet sont fondamentales pour intégrer l'équipe éducative. Prendre le temps d'impliquer les professionnels et de définir un projet partagé par tous est le garant d'une action pérenne. Les auteurs signalent cependant qu'un accompagnement au changement professionnel doit être proposé et des formations envisagées. Les auteurs recommandent également d'impliquer les parents d'élèves à chaque étape du projet afin de promouvoir une dynamique de santé communautaire. L'intervention de personnes extérieures à l'établissement peut être envisagée selon les besoins, dans une logique de partenariat. Le partenariat est défini comme un cadre rassemblant des professionnels de structures différentes dans un but commun. Le partenariat nécessite un temps d'échange et de réflexion, puis une mutualisation des compétences. Dans l'idéal, un projet d'éducation à la santé doit être porté par le Comité d'Éducation à la Santé et à la Citoyenneté (CESC) du collège, inscrit dans le projet d'établissement et intégrer certaines des interventions au cœur des enseignements classiques. 115 Discussion L'apprentissage de compétence ne peut avoir lieu dans le cadre d'interventions ponctuelles. Il est indispensable d'envisager une action dans le cycle scolaire, avec des actions spécifiques pour chaque niveau scolaire, en insistant sur le lien entre ces actions. Dans le cas de notre étude, les acteurs du projet rapportent plusieurs de ces critères. L'ESJ semble s'inscrire dans une véritable démarche de projet, avec un partenariat réel entre les 3 structures concernées (collège, cabinet médical, centre social intercommunal). La définition d'objectifs communs entre les partenaires, les temps de concertation, l'inscription au projet d'établissement, les temps d'évaluation annuels sont décrits par les acteurs comme ayant permis la pérennité et l'amélioration du projet. 4. Les besoins des adolescents Dans l'ESJ, les thèmes abordés sont globalement choisis par les jeunes et semblent cohérents avec leurs besoins. En effet, plusieurs propos semblent illustrer une faible influence des adultes sur le choix des thèmes par les jeunes, excepté l'influence de la présence d'un médecin qui orienterait involontairement les thèmes vers les problématiques médicales. Dans l'ESJ, les thématiques sont de quatre grands types : les questions médicales (maladies dans la famille, anatomie), les questionnements généraux (qu'est-ce que la mort ?), les problématiques de prévention « classiques » (sexualité, addiction, nutrition) et enfin les questionnements « de la vie de tous les jours » (thèmes d'actualité, stress, vie quotidienne…). Parmi les thématiques de prévention classiques, on constate une prédominance de la vie affective et sexuelle, sous l'angle des IST et de la contraception, mais aussi sous l'angle relationnel, et affectif. Selon le site de l'INPES, en 2014, les grandes thématiques de l'éducation pour la santé en milieu scolaire sont l'hygiène de vie, l'éducation nutritionnelle et la promotion des activités physiques ; l'éducation à la sexualité, l'accès à la contraception, la prévention des IST et du sida ; la prévention des conduites addictives ; la prévention des « jeux dangereux » et la contribution à la prévention et à la lutte contre le harcèlement entre élèves ; la prévention du mal-être ; l'éducation à la responsabilité face aux risques (formation aux premiers secours) (37). Il existe donc une superposition assez incomplète entre les thèmes de prévention promus au niveau national et les thèmes abordés spontanément par les adolescents dans des séances consacrées à la santé. 116 Discussion Différents points sont donc à discuter. Premièrement, l'ESJ n'a pas vocation à remplir toutes ces missions. A titre d'exemple, l'éducation au secourisme n'y trouve pas une place très cohérente. Deuxièmement, l'ESJ semble adapté à l'éducation à la vie affective et sexuelle, recommandée au niveau national. La fréquence importante du choix de ce thème fait penser que les conditions sont adéquates pour tenir une discussion sur ce sujet avec des adolescents. Troisièmement, certaines des grandes orientations de prévention sont donc en décalage avec les attentes des adolescents de notre étude. Dans le cadre du collège de Saint-Germain, les élèves de 5ièmes interrogés, par exemple, ne se sentent pas du tout concernés par la problématiques des addictions (E7, E5 : « on ne se drogue pas nous... », « Allo ! Je suis normal ! ») et décrivent donc ne pas avoir spécialement envie d'en parler pendant les séances. Or, l'étude de M. Riquet nous signale que dans le cadre de l'EVAS, les jeunes ont d'autant plus une perception positive des séances que celles-ci correspondent à leurs besoins. Les jeunes n'apprécient pas les séances éloignées de leurs attentes, les séances délivrant des connaissances redondantes (qu'ils connaissent déjà), ou encore les discours de prévention uniquement centrés sur le risque (36). L'expérience de l'ESJ peut donc servir de base à une réflexion sur les méthodes de prévention en milieu scolaire : vouloir à tout prix aborder des thèmes de prévention nationaux, ne nuit-il pas à l'adhésion des jeunes et donc à la qualité de l'action de prévention ? A fortiori, dans un espace basé sur la participation volontaire, le choix des thèmes par les jeunes est donc d'autant plus pertinent. Bien entendu, cela ne justifie pas de laisser complètement de côté certaines thématiques nationales, mais l'existence d'un décalage entre les attentes des jeunes et les recommandations nationales est à prendre en compte. Un des objectifs nationaux de prévention en milieu scolaire est la lutte contre le harcèlement (37). Actuellement, la stratégie de lutte contre les violences à l'école repose sur l'amélioration du climat scolaire. Le climat scolaire est défini par la construction du bien-vivre et du bien-être pour les élèves et le personnel de l’école (élèves, personnels, parents), c’est une responsabilité collective (38). L'amélioration du climat scolaire passe par l'amélioration de plusieurs critères (notamment justice scolaire, stratégie d'équipe, co-éducation, qualité de vie à l'école, prévention des violences et du harcèlement…) 117 Discussion Les auteurs du réseau Canopé expliquent que l'empathie, définie comme « la disposition à se mettre à la place d'autrui tout en restant à distance, sans se confondre avec lui » (38) est un facteur fondamental de la prévention de la violence. Le chercheur O. Zanna, explique que le passage à l'acte violent peut correspondre à une anesthésie momentanée de la capacité d'un jeune à se mettre à la place de l'autre (39). Le travail de recherche de O. Zanna encourage donc le renforcement de l'empathie chez les enfants, pour prévenir la violence scolaire. Dans le cadre de l'ESJ, il semble qu'un espace de dialogue proposé dans un cadre « sécurisant » de respect de l'autre, soit à l'origine d'une expérience empathique. Cette expérience reste modeste en comparaison d'un programme voué au renforcement de l'empathie (38), cependant 82,5 % des élèves déclarent « se mettre à la place des autres » pendant les séances, ce qui est un des résultats les plus francs du questionnaire. De plus, l'ESJ amène une vision plus positive des enseignants chez 41 % des élèves, résultat modestement positif mais non négligeable ; et modifie positivement la perception des élèves chez tous les enseignants interrogés. L'amélioration des relations entre élèves et enseignants est un des critères de la qualité de vie à l'école. Au final, tout en gardant à l'esprit que l'ESJ fait partie d'un « tout » au sein d'un établissement particulièrement attentif au bien-être de l'élève, ce projet semble donc contribuer au climat scolaire positif de l'établissement par l'expérience de l'empathie et l'amélioration de la qualité de vie entre les membres du collège. De manière indirecte l'ESJ s'inscrit donc modestement dans un autre axe de prévention nationale, en l'occurrence la lutte contre le harcèlement. B. Rapport des jeunes au médecin généraliste et à la consultation médicale Dans notre étude, les jeunes ont un regard totalement positif sur les médecins dans leur position d'animateur de l'ESJ. Les jeunes les décrivent comme attentifs et à l'écoute, neutres et inspirant une grande confiance : à la fois sur la fiabilité des informations et des connaissances transmises, mais aussi sur leur respect de la confidentialité des échanges. Ce dernier point est notamment expliqué par le caractère « professionnel » de la confidentialité (le secret professionnel), ainsi que par le caractère « extérieur au collège » des médecins. La conséquence directe de ces représentations est de faciliter considérablement la parole des jeunes, qui se 118 Discussion sentent « à l'aise » devant les médecins. Au final, les médecins sont un facteur d'attraction fort pour la participation des jeunes à l'ESJ. Dans l'étude de M. Riquet, la présence d'un intervenant médical pour l'animation des séances EVAS a été perçue positivement mais la présence d'un médecin n'a pas été spécifiquement évaluée, sauf dans le cas des milieux ruraux où la présence d'un médecin (spécialité non spécifiée) est jugée « pertinente » (36). Ces représentations exprimées par les jeunes de notre étude concernent le médecin dans son rôle d'animateur. En effet, ces qualités ne sont pas forcément retrouvées à propos du médecin dans le cadre de la consultation médicale. Les avis des élèves sont partagés mais la majorité des jeunes ne perçoivent pas la consultation comme un espace de parole et seulement un tiers des jeunes se positionnent « en accord » avec le désir de parler de santé avec le médecin pendant la consultation. A l'inverse, dans le travail de M. Riquet, les jeunes considéraient globalement le médecin généraliste comme ressource pour parler de sexualité, avec cependant beaucoup de freins identifiés. Certains sont communs avec nos résultats : timidité de l'adolescent, peur du jugement, perception d'indisponibilité ou de gêne du médecin, proximité relationnelle insuffisante ou excessive, ou encore les freins appelés « extrinsèques » (présence des parents, coût de la consultation, gestion du RDV). Les freins non identifiés dans notre étude et rapportés dans le travail de M. Riquet sont : l'âge de l'adolescent, le sentiment d'être suffisamment informés, le caractère tabou du sujet (dans ce cas : la sexualité), peur du non respect de la confidentialité, le discours du médecin peu compréhensible, l'âge et le sexe du médecin, un doute sur ses compétences ou encore la durée passée en salle d'attente (36). Un des freins identifié dans notre étude, non rapporté dans le travail de M. Riquet, est le faible temps de parole des jeunes lors de la consultation médicale : « ce n'est pas nous qui parlons ». Cette remarque est probablement spécifique à notre étude, car dans le contexte de l'ESJ les jeunes ont l'habitude d'avoir la parole en priorité lors des séances. Comparativement, le temps de parole en consultation doit être perçu comme plus réduit. Dans l'étude de M. Riquet, malgré ces multiples freins, les adolescents identifiaient le généraliste en consultation comme une ressource possible sur les questionnements de sexualité. Dans notre étude, ces freins ne sont surmontables que pour un tiers des jeunes. 119 Discussion De plus, les adolescents signalent la nécessité d'un motif de consultation valide pour accéder au médecin généraliste. Dans notre étude, les motifs de consultation valides exprimés par les adolescents sont principalement les « maladies » ou le suivi de croissance. Ces résultats sont concordants avec une étude belge s'intéressant aux motifs de consultation des adolescents en médecine générale en 2001 (40) et avec l'étude SOCRATE publiée en 2008 (41) : les principaux motifs de consultation sont les motifs physiques (plaintes respiratoires, ostéoarticulaires et digestives, 70,3 % des consultations pour l'étude SOCRATE). Les plaintes générales (malaise, fatigue) et les demandes de certificats constituaient également une fraction importante des motifs de consultation. Les résultats confirmaient que les adolescents considèrent leur médecin généraliste comme un interlocuteur privilégié pour confier leurs problèmes de santé et, dans une moindre mesure, les aider à résoudre d'autres difficultés auxquelles ils sont confrontés (relationnelles, mal-être…) : seulement 6,3 % de motifs de consultation pour problème psychologique dans l'étude SOCRATE. On pourrait instinctivement penser que l'ESJ, en proposant un nouveau type de relation entre le médecin généraliste et les jeunes, renforce la confiance et facilite les consultations spontanées des jeunes chez leur médecin. Cependant ces résultats ne sont pas retrouvés dans l'enquête par questionnaire. En effet, seule une faible part des jeunes se sent plus à l'aise avec leur médecin après les séances et cela « ne change rien » pour 60% des élèves. Les médecins confirment cette impression, en déclarant que malgré une meilleure compréhension des adolescents en général grâce à l'ESJ, la relation singulière avec l'adolescent en consultation reste un défi à chaque nouvelle rencontre. Ces résultats sont cohérents avec l'étude SOCRATE où la formation des médecins à une approche spécifique de l'adolescent ne modifiait pas le ressenti des jeunes sur la consultation. En conclusion, l'ESJ ne semble pas un outil très performant pour améliorer les relations entre adolescents et médecins en consultation. En dernier lieu, l'expérience de l'ESJ amènent les médecins à penser que la consultation médicale n'est pas le lieu idéal pour réaliser une éducation à la santé globale des jeunes ; même si des interventions plus modestes et ciblées restent pertinentes. Les freins d'accès à la consultation, une représentation « somatique » du médecin amenant vers des demandes de l'ordre de la pathologie sont les désavantages identifiés de la consultation ; tandis que la facilité d'accès à l'ESJ, sa 120 Discussion gratuité, et l'aspect collectif plus adapté aux problématiques de santé des jeunes et facilitant la libération de la parole sont les avantages identifiés de l'ESJ. En conclusion, l'existence du projet ESJ a permis de mettre en évidence les avantages et les inconvénients de l'éducation pour la santé en consultation médicale par comparaison avec l'expérience collective menée au collège. La mise en évidence d'éléments avantageux importants en faveur de l'ESJ incite à mener d'autres recherches afin de les confirmer. L'ESJ ne semble cependant pas être un facteur primordial de l'accès aux soins des adolescents. C. Une expérience d'interprofessionnalité 1. Notion d'interprofessionnalité Dans notre étude, les professionnels décrivent un fonctionnement d'équipe efficace, au sein de laquelle chacun amène des compétences spécifiques. La complémentarité de ces compétences semble un atout pour le projet, ainsi que pour chacun des professionnels, qui enrichissent leurs pratiques de l'expérience des autres membres de l'équipe. Ce fonctionnement semble correspondre au principe d''interprofessionnalité étudié par X. de la Tribonnière et R. Gagnayre (42) dans le cadre de l'ETP. Les auteurs la définissent comme l'échange intensif entre disciplines impliquant des interrelations. L'intrication plus forte des disciplines, permise par des espaces de dialogues, d'échanges de connaissances, d'analyses et de croisements des méthodes, permet un décloisonnement des professions et rend leurs frontières plus floues. Malgré tout chaque profession conserve ses fondements et ses spécificités. Une revue de littérature a permis aux auteurs de relever un grand nombre de critères permettant d'évoquer le concept d'interprofessionnalité. Parmi ces critères, de nombreux sont ainsi retrouvés dans l'organisation de l'ESJ. 2. Culture commune La culture commune est un des critères de l'interprofessionnalité. Cette culture commune repose sur une philosophie et des valeurs partagées, le respect des règles de déontologie et d’éthique et l’expression de la diversité des représentations vis-àvis de l’objectif commun. Dans le cadre de l'ESJ, les professionnels partagent une culture commune : à partir de représentations partagées sur les besoins des adolescents, les adultes partagent le désir de s'engager au côté des jeunes pour les amener vers le meilleur futur possible. Chacun s'engage selon sa profession : les 121 Discussion enseignants et l'AJ en apportant aux jeunes le meilleur bagage éducatif possible, les médecins en favorisant les prises de décisions positives en santé et en se positionnant, pour les jeunes, en adultes « repères » en cas de besoin. Selon les auteurs, cette culture est favorisée par une certaine proximité des disciplines entre elles. Dans le cadre de l'ESJ les disciplines semblent pourtant assez éloignées, mais on y retrouve des dénominateurs communs : engagement commun dans une mission de service public (éducation et soin) sur un territoire partagé (la communauté de communes de Saint-Germain) et partage d'un public commun (les collégiens, même si ce n'est pas le principal public des médecins). Il est difficile de savoir si cette culture commune est née de la collaboration entre les professionnels, ou si ces valeurs étaient déjà préexistantes. Il s'agit le plus probablement d'une construction complexe, basée sur une vision commune initiale, enrichie au fil du partenariat. Cette culture commune a été soulignée comme un des facteurs de succès et de pérennité de l'ESJ : l'éventuelle reproduction du modèle de l'ESJ dans d'autres collèges, avec d'autres cabinets médicaux doit en tenir compte. 3. Rôle des intervenants Un autre critère de l'interprofessionnalité est la définition précise de la place de chacun des intervenants dans le projet et la reconnaissance de compétences solides chez chacun des intervenants. Sur ce point le projet ESJ est à questionner. D'un côté, la place spécifique des médecins et de l'animateur jeunesse, par leur compétence « d'expert » en santé-médecine pour les premiers et par ses compétences d'animation collective pour le second, est clairement définie, reconnue et permet l'expression optimale de leurs compétences. D'un autre côté, la place des enseignants est plus floue. Certains enseignants expriment d'ailleurs clairement ne « pas savoir où ils vont » ou « ne pas y voir clair » dans l'animation des séances. De manière paradoxale, les enseignants se disent à l'aise pour « distribuer la parole » ou « s'assurer que chaque élève a pu s'exprimer », ce qui ressemble à une compétence d'animation collective, mais non reconnue comme telle dans leur discours. Il semble donc y avoir une difficulté dans la définition du rôle des enseignants au sein des séances et un manque de reconnaissance involontaire par les autres professionnels de leurs compétences spécifiques. Ce risque est clairement évoqué par les auteurs. L'interprofessionnalité peut provoquer une certaine vulnérabilité chez les intervenants : les enseignants le décrivent bien, ils apprécient peu donner leur opinion devant les jeunes, ce qui correspond pour eux à une « mise 122 Discussion en danger d'eux-même ». Si cette vulnérabilité n'est pas dépassée, l'intervenant peut progressivement perdre son identité professionnelle et s'effacer, jusqu'à se « fondre dans le groupe ». L'intervenant se désinvestit alors au fur et à mesure, laissant reposer son rôle sur les autres intervenants. Dans l'ESJ, ce stade ne semble pas atteint mais la sensation de vulnérabilité décrite par les enseignants (parmi les professionnels de l'ESJ, ce sont ceux qui côtoient le plus les élèves en dehors de l'ESJ !) associée à la définition floue de leur rôle entraîne une relative mise au « second plan » des enseignants pendant les séances, qui est d'ailleurs remarquée par les élèves. Au final, certains enseignants (probablement les moins à l'aise) donnent l'impression d'un faible investissement, notamment rapporté par M2, alors même que la motivation de l'équipe enseignante et sa croyance dans l'utilité du projet est forte ! Une meilleure définition du rôle des enseignants, en rapport avec leurs compétences spécifiques, pourrait diminuer leur sentiment de vulnérabilité, augmenter leur investissement dans les séances et permettre une meilleure reconnaissance de leur rôle. 4. Mise en réseau et apport dans les pratiques professionnelles Selon MM. de la Tribonnière et Gagnayre, le travail en interprofessionnalité semble permettre une meilleure communication entre les professions, à l'origine d'une réduction des tensions. Dans le cadre de l'ESJ, cette communication est évoquée entre le cabinet médical et le collège et semble permettre un travail en réseau. L'ensemble des professionnels décrit « mieux comprendre » les contraintes quotidiennes des autres acteurs. Cette interprofessionnalité semble originale en comparaison avec la promotion par les ARS d'une interdisciplinarité entre les différentes disciplines du soin, rassemblées autour du patient atteint de maladie chronique (coopération entre les différents professionnels de santé) (43). Cependant, la spécificité du public « adolescent » en général en bonne santé (44), consultant peu fréquemment le médecin généraliste et ne l'identifiant pas pour les problématiques de mal-être (40) rend pertinente la constitution de ce réseau. En contact rapproché avec les jeunes, l'enseignant ou l'animateur jeunesse peut facilement identifier un jeune en difficulté, et, en accord avec ses parents selon les cas, orienter le jeune vers la consultation des généralistes. Les autres bénéfices du travail en interprofessionnalité sont la meilleure prise en compte de la complexité du public et l'augmentation de la qualité des interventions. Parmi les difficultés causées par l'interprofessionnalité, nous avons déjà évoqué la 123 Discussion vulnérabilité et la perte d'identité professionnelle. Les auteurs évoquent également les informations contradictoires pouvant survenir par un manque de coordination des différents intervenants. Une des spécificités de l'interprofessionnalité dans le cadre de l'ESJ semble être l'enrichissement de la pratique professionnelle « habituelle » de chaque intervenant suite à la participation à l'ESJ. Cet enrichissement, assez faible pour les médecins, semble beaucoup plus important pour les enseignants et l'AJ. Les premiers décrivent changer de regard sur les élèves, ainsi que sur leur pratique et leur posture professionnelle, tandis que le second a gagné une confiance et une expérience dans l'animation d'action en santé, qu'il a exporté dans d'autres contextes, expliquant que la collaboration avec les médecins a agit comme « formation informelle » à ce type d'action. Selon les enseignants, la position de retrait qu'ils occupent dans l'ESJ leur permet d'observer les interactions entre les élèves et un autre adulte, de prendre conscience des ressorts de cette relation et ainsi de remettre leur pratique en question, ce qui est également décrit mais dans une moindre mesure, par certains médecins. Ce phénomène de prise de distance, d'analyse et de remise en question pourrait s'apparenter au concept de « pratique réflexive » développée par Schön en 1983, défini comme un processus cognitif continu de réflexion sur l'action, encourageant un retour de la pensée sur elle-même, et permettant d'analyser et d'évaluer ses propres actes en se référant à ses propres savoirs scientifiques et professionnels (45). La prise de distance nécessaire à la pratique réflexive est favorisée par l'interaction avec d'autres professionnels. Il est à noter que l'attitude réflexive semble assez développée chez les enseignants du collège de Saint-Germain, qui expliquent qu'un programme d'observation entre collègues a été développé dans le cadre de l'établissement. L'ESJ permettrait donc une certaine réflexivité, mais cette conclusion s'inscrit au sein d'une équipe enseignante déjà versée dans cette pratique et dans une volonté de formation permanente. Au final, l'expérience de l'interprofessionnalité a permis a chacun des professionnels de questionner sa pratique. L'expérience de la collaboration entre un animateur jeunesse et un médecin généraliste a été perçue de manière extrêmement positive par ces deux types d'acteurs. La recherche bibliographique n'a cependant pas permis de rapporter une expérience similaire. La complémentarité des compétences d'animation et des compétences médicales semble particulièrement efficace pour déclencher et enrichir 124 Discussion un dialogue autour de la santé, l'efficacité de ce binôme serait donc à promouvoir et à mieux étudier. D. Réflexion sur la rémunération d'un tel projet La nécessité du temps consacré à la co-construction et donc au développement de l'interprofessionnalité est soulignée par MM. de la Tribonnière et Gagnayre. Ce « temps » nécessite une organisation de chacun mais également une ressource financière acceptable, évitant ainsi les situations de tensions dommageables à l'équipe. Ce critère nous amène à discuter de la rémunération des professionnels de l'ESJ. La notion de rémunération n'a été abordée que par les médecins au cours de l'étude et de manière très succincte. Cette faible place d'un sujet pourtant au cœur de nombreuses revendications du corps médical peut paraître étonnante. Deux hypothèses peuvent l'expliquer. Premièrement, la grille d'entretien n'étaient pas conçue pour aborder spécifiquement cette question, hormis dans l'indicateur « Difficultés concrètes liées à l'ESJ ». Deuxièmement, les médecins de la maison médicale Averroès sont globalement des médecins qui placent en priorité le sens et la qualité de leur travail avant le bénéfice purement financier, même si des nuances de ce point de vue semblent exister. Une étude menée en région PACA montre que cet état d'esprit est fréquemment présent chez les MG, notamment les plus jeunes : les motivations intrinsèques de l'exercice de la prévention en médecine générale (de l'ordre des valeurs) sont souvent plus importantes que les motivations extrinsèques (incitées par le bénéfice financier) (46). Cependant M1 exprime le souhait qu'à terme l'ESJ soit rémunéré. Le projet ESJ est une illustration des limites du paiement à l'acte comme mode de rémunération principal des médecins. Des médecins généralistes motivés pour s'engager dans une action d'éducation pour la santé bénéfique pour le territoire et pour leur satisfaction professionnelle restent bénévoles huit ans après la création du projet, alors même que l'éducation pour la santé fait partie de leur champ de compétences (21). Il est à noter que les enseignants, salariés, ne perçoivent pas non plus de rémunération spécifique pour ce temps supplémentaire en présence des élèves. Le thème de la rémunération n'a jamais été abordé dans les entretiens avec les professionnels du corps enseignant, ni avec l'animateur jeunesse. Selon P-L. Bras, la modification de la rémunération des médecins français est une condition sine qua non d'une modification du mode d'exercice (47). Le paiement à 125 Discussion l'acte valorisant exclusivement le colloque singulier entre le patient et le médecin, l'interprofessionnalité ne peut être promue que par une modification du mode de rémunération. La revue Exercer a récemment réalisé une monographie sur les différents modes de rémunération des médecins généralistes en Europe (48). Il existe 4 modes de rémunération principaux : le paiement à l'acte, la capitation, le salariat, le paiement à la performance (P4P). Selon la revue de littérature effectuée par les auteurs, et l'étude menée en région PACA, la capitation et le salariat semblent favoriser les activités de prévention et d'éducation thérapeutique. De plus, les modes de rémunération mixtes sont actuellement promues par l'OMS et l'OCDE : une partie de la rémunération est apportée de manière prospective (avant les soins : salariat ou capitation), l'autre partie est rétrospective (après les soins : paiement à l'acte ou P4P). Selon P-L. Bras, ce sont justement ces modes de rémunération mixtes qui favorisent le travail d'équipe, comme dans le cas des maisons et pôles de santé pluridisciplinaires (MSP). Cependant, même si la maison médicale Averroès constituait une MSP, le projet de l'ESJ n'aurait sans doute pas pu bénéficier de l'expérimentation sur les nouveaux modes de rémunération (eNMR). En effet, selon le portail web des Agences Régionales de Santé (ARS), aucun module de rémunération ne semble convenir au contexte de l'ESJ, qui réunit des professionnels de structures différentes, et a fortiori des professionnels soignants et non soignants (43). Cette forme de travail originale en médecine générale pose donc la question de sa rémunération. Il ne faut cependant pas généraliser ce questionnement à tous les praticiens. L'interdisciplinarité et l'interprofessionnalité ne correspondent pas à l'idéal de tous et rencontrent une certaine résistance du corps professionnel (47). A cet état de fait, P-L. Bras répond philosophiquement : « Aussi l’enjeu n’est-il pas d’engager l’ensemble des généralistes dans une autre conception de leur activité mais de permettre à ceux qui le souhaitent d’exercer autrement. Pour autant, une telle évolution ne peut être envisagée, même pour des généralistes motivés, que si elle s’inscrit dans une perspective économique positive [...] ». On pourrait donc imaginer que la possibilité de laisser le choix d'opter pour une rémunération mixte serait une piste pour encourager des projets tels que l'ESJ, tout du moins en ce qui concerne le versant médical. 126 Discussion Une autre piste permettant la rémunération de tous les professionnels impliqués pourrait être la mise en jeu de financements administratifs au niveau des collectivités locales, notamment via les Contrats Locaux de Santé (CLS, promue par les ARS) souvent mis en place au niveau communal (49). En contrepartie d'une rémunération, ces financements seraient probablement à l'origine d'une gestion administrative plus lourde (dossier de financement, évaluation) et contraignante. E. Perspectives 1. Proposition de pistes d'amélioration de l'ESJ L'ESJ est l'occasion pour les jeunes d'échanger sur des sujets de santé de leur choix avec des adultes. Cette occasion est un « rendez-vous » institué, afin d'être accessible au moment où les jeunes en ont besoin et de faciliter leur participation. La participation étant volontaire, cet espace se doit d'être particulièrement attractif pour les jeunes. Notre enquête a permis de mettre en évidence que le début des séances, moment du choix des thèmes de discussion manque de fluidité. Cet enjeu est majeur car il détermine l'ambiance dans le groupe pour le reste de la séance. Les besoins exprimés par les jeunes pour cette séquence précise sont : l'anonymat du choix des thèmes, un moment ludique, qui met à l'aise. Les besoins des enseignants pour cette séquence sont : y voir clair, avoir un rôle défini et précis. Les besoins des médecins pour cette séquence sont : parvenir à faire émerger les questions des jeunes, créer une dynamique de groupe. Notre proposition pour répondre à ces besoins est simple. Dans l'idée du rendezvous « immuable », la proposition serait de fixer une séquence d'introduction redondante à chaque séance, qui agirait comme un « rituel » et ferait partie du cadre de la séance. Ce rituel serait composé de trois temps, et serait conforme aux techniques classiques d'animation en EPS dont les bénéfices sont établis (50). • Premier temps : Accueil des élèves par un « rituel de démarrage », qui peut être choisi parmi de nombreuses techniques (thermomètre de l'humeur, météo de l'humeur, « se lève qui »…). Ce rituel de démarrage permet d'affirmer la différence entre la séance et un cours magistral, il permet à chaque participant de prendre la parole avant même le début des discussions et favorise ainsi la dynamique de groupe. 127 Discussion • Deuxième temps : rappel des règles de la séance. Il semble nécessaire de rappeler les règles de l'ESJ à chaque séance et non pas seulement en début d'année. Cette nécessité est induite par la faible fréquence de participation de certains élèves et par le doute sur la confidentialité des adultes rapportés par les élèves. Le rappel des règles n'est pas forcément fait par les adultes et peut être réalisé sous forme participative à l'aide d'une technique d'animation. • Troisième temps : choix des thèmes systématiquement à l'aide d'une technique d'animation. La technique doit permettre l'anonymat et la protection des élèves face aux jugements des autres. La technique des post-it est appréciée par les élèves. Cette technique peut-être fixée (pour servir de repère aux élèves) ou variable selon les séances (par exemple : « puzzle santé » adapté, ou placement d'un jeton sur un plateau de jeu illustrant tous les thèmes que les élèves ont souhaité aborder dans l'année). Si elles sont utilisées, ces trois séquences devraient être consignées par écrit sous forme d'un « conducteur de séance » afin d'être fixées et utilisables par n'importe quel adulte. Cette séquence rituelle pourrait être dévolue aux enseignants, ce qui clarifierait leur rôle, diminuerait l'anxiété anticipatoire de certains, et favoriserait leur implication dans la séance. Il est probable que si une séquence de ce type devient habituelle, elle favorisera la participation des jeunes, qui eux aussi, y « verront plus clair ». En dehors de cette recommandation, notre étude fait amorcer quelques réflexions sur le fonctionnement de l'ESJ. Ces réflexions ne se prêtent pas à la proposition de recommandations mais doivent être débattues au sein de l'équipe de pilotage : • La participation des 4ièmes et des 3ièmes devrait être discutée car l'étude a mis en évidence une certaine réticence des 4ièmes à prendre la parole devant les 3ièmes. • Faut-il conserver la notion de confidentialité, et si oui, comment renforcer la croyance dans la confidentialité des enseignants envers les élèves ? • Une réflexion pourrait être amorcée à propos de la notion de compétence. L'ESJ doit-il continuer à privilégier la libération de la parole entre les jeunes ou bien évoluer vers le développement des compétences ? En réalité la distinction n'est pas si manichéenne mais dans le cas d'une réorientation vers le développement de compétences, l'ESJ devrait remettre au premier plan l'utilisation d'outils pédagogiques validés (à distinguer des techniques 128 Discussion d'animation), méthode indispensable au renforcement des savoir-faire et savoir-être (2). Si la volonté du développement de compétence est poussée, l'ESJ devrait être appuyé par un autre projet. En effet le développement de compétence passe par une sollicitation très régulière des jeunes, ce que ne permet pas un projet basé sur le volontariat comme l'ESJ. 2. Une expérience à diffuser ? Étant donné la perception positive du projet ESJ, aussi bien pour les professionnels que pour les élèves, constatée à l'issue de ce travail, il est légitime de poser la question de l'extrapolation de l'ESJ à d'autres maisons médicales et d'autres collèges. Cependant, cette idée d'extrapolation invite à la prudence et à l'analyse des facteurs ayant permis une implantation pérenne de l'ESJ. Nous l'avons signalé, l'ESJ est une spécifié territoriale, reposant sur un contexte singulier. La présence d'un groupe de médecins aux motivations non-exclusivement financières, motivés pour travailler en équipe interprofessionnelle avec des nonsoignants, possédant une représentation émancipatrice de l'éducation pour la santé est le premier facteur. Une « véritable rencontre humaine » avec l'équipe éducative d'un collège et un animateur jeunesse partageant une même culture éducative en est un second. Lors des entretiens M2, M3 et Dir le disent d'ailleurs clairement : dès leur première rencontre, M2 et Dir ont compris qu'ils partageaient une vision commune sur le projet. A contrario, M3 explique que sa rencontre avec le directeur du collège public était très différente : ne partageant pas la même vision des choses, les deux structures n'ont pas abouti à une collaboration. Tout projet reposant avant tout sur la qualité des rapports humains entre ses acteurs, ce facteur semble primordial à prendre en compte avant création d'un projet similaire dans un autre contexte. Un troisième facteur peut être évoqué. Dans ce contexte singulier, l'absence de médecin ou d'infirmière de l'éducation nationale sur le terrain a probablement créé une opportunité pour l'intervention des généralistes. Nous précisons bien que la présence de professionnels de santé scolaire n'est pas un frein en soit, au contraire. Cependant dans notre cas, ce champ était libre, et les médecins généralistes ont donc pu occuper cet espace. En 1998, les auteurs d'un dossier de la revue santé publique sur la médecine scolaire mettaient pourtant en garde contre une « fausse bonne idée » : « puisque les médecins de l’Éducation nationale ne sont pas assez nombreux pour accomplir les tâches qui leur sont dévolues, dépêchons dans les écoles des médecins 129 Discussion généralistes payés à la vacation » (51). Pour les auteurs, l'irruption de médecins généralistes réalisant des actions de prévention dans les établissements scolaires présentait plusieurs risques. Parmi ces risques, le plus important exprimé par les auteurs est que des médecins non formés à la promotion de la santé, ni à l'approche des adolescents « amènent dans l’école leur stéthoscope, une logique biomédicale et des interventions ponctuelles » (51), ce qui n'a rien à voir avec la définition de l'éducation pour la santé, processus de construction individuel et collectif de représentations et de compétences utiles à la santé. Bien que cet avertissement date de 1998, ce risque semble encore légitime. Selon le Baromètre Santé Médecins Généralistes de 2009, la pratique des généralistes en prévention reste principalement centrée sur la prévention médicalisée (vaccination, dépistage, conseils…) et l'éducation pour la santé sur la délivrance de conseils dans les thématiques biomédicales (3). Il en découle que les représentations de certains médecins sur l'EPS en reste encore au stade d'une logique normative de pur changement comportemental, comme l'illustre l'étude de S. Sauvage-Rigal. Ce travail a cherché à montrer un changement des comportements d'hygiène d'élèves de 6ièmes, quelques semaines après une intervention unique consistant en 20 minutes de délivrance d'information par un médecin à l'aide d'un diaporama (52). Malgré une méthodologie ambitieuse ce travail illustre une certaine représentation de l'éducation pour la santé, éloignée de l'idée de promotion de la santé. Il est également à noter que parmi les médecins « ne souhaitant pas se former à l'éducation pour la santé et l'ETP » interrogés dans le cadre du Baromètre Santé, 45,6 % pensent que les compétences en EPS et en ETP sont «déjà acquises par la pratique clinique » et 17,5 % pensent qu’elles « ne s’acquièrent pas par la formation mais relèvent de dispositions naturelles ». Le risque évoqué par les auteurs de l'article traitant de la médecine scolaire est donc justifié et pose la question de la formation des médecins en cas d'extrapolation d'un projet comme l'ESJ. Une posture conforme à l'état d'esprit de l'EPS est essentielle, aussi bien au niveau éthique que pour permettre l'adhésion des adolescents au projet. L'association au service de médecine scolaire, l'aide de structures spécialisées comme les IREPS, la formation individuelle initiale et continue, l'interprofessionnalité avec des enseignants ou des animateurs jeunesses sont des pistes à ne pas négliger en cas de création d'un projet tel que l'Espace Santé Jeune. 130 Discussion 3. Vers une modification des représentations a propos des médecins généralistes ? L'expérience de l'ESJ montre que l'engagement de médecins généralistes dans un projet novateur, en interprofessionnalité modifie, au moins partiellement, la perception de l'image du médecin chez les autres acteurs. Des rapports déconnectés de la notion d'autorité médicale (M2, P1) et donc plus symétriques semblent participer à des relations plus humaines entre les professionnels et les jeunes d'un secteur. Dans le cadre de la promotion des soins primaires et de la redéfinition de la place de la médecine générale au sein des territoires (22), l'engagement de médecins dans un projet d'éducation pour la santé au niveau local est une expérience à prendre en compte. 131 Conclusion CONCLUSION Développé à l'initiative de médecins généralistes, l'Espace Santé Jeune est une expérience originale d'éducation pour la santé menée en milieu scolaire. Il associe dans un projet territorial des professionnels de l'enseignement, un animateur jeunesse et des médecins généralistes dans un esprit de promotion de la santé. Les séances sont perçues par les acteurs comme un espace de liberté centré sur la parole des jeunes, fréquenté et apprécié par la majorité des élèves du collège. L'ESJ est également une expérience d'interprofessionnalité, dans l'esprit des réseaux de soins, dont la particularité est de réunir des acteurs du soin et de l'éducation. Ce partenariat apporte un enrichissement des pratiques professionnelles tout en permettant à certains jeunes de bénéficier du réseau informel ainsi créé. Cette expérience montre que les médecins généralistes peuvent trouver leur place dans un projet local de santé publique, en veillant à rester cohérent avec les principes de la promotion de la santé. Le rôle facilitant du médecin dans l'initiation de ce type de projet a notamment été évoqué. Les résultats de cette étude alimentent une réflexion sur les modalités des interventions en éducation pour la santé en soulignant la nécessité de centrer les séances sur les besoins des jeunes participants. La complémentarité des compétences entre les professionnels animateurs participe fortement à la qualité et à la pérennité de l'ESJ, ce qui semble prometteur et encourage d'autres recherches sur les partenariats entre médecins généralistes et animateurs jeunesse en éducation pour la santé. En participant à modifier positivement l'image du médecin généraliste au sein du territoire, l'ESJ semble accompagner la transition d'un modèle d'exercice médical centré sur la maladie vers un modèle centré sur les personnes. 132 Références bibliographiques RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Brixi O, Lamour P. Éducation pour la santé : entre conceptions dominantes et conceptions alternatives. In: Traité de santé publique. 2007. p. 203-8. 2. Broussouloux S, Houzelle-Marchal N. Éducation à la santé en milieu scolaire: choisir, élaborer et développer un projet. Saint-Denis: Éd. INPES; 2006. 139 p. 3. Gautier A, et al. Baromètre santé médecins généralistes 2009 - Prévention, éducation pour la santé et éducation thérapeutique en médecine générale. Saint-Denis: Éd. INPES; 2009. 83 p. 4. Durrleman A. La prévention sanitaire. Cour des Comptes; 2011 oct. 138 p. 5. Flajolet A. Les disparités territoriales des politiques de prévention sanitaire. 2008. 99 p. 6. Bourdillon F, Brücker G, Tabuteau D. 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La représentation est une « construction psychologique complexe, qui intègre les expériences de l'individu, les valeurs et les connaissances d'une société. La représentation sociale regarde comment les croyances partagées se développent et sont transmises dans les groupes sociaux. De telles croyances partagées ont un rôle important en expliquant la réalité et en justifiant l'action sociale. La représentation sociale est la relation de l'individu à la santé, à la maladie et à la société. En d'autres termes, les représentations sont un ensemble mental, construit à partir de données multiples, concernant un sujet défini. Elles nous permettent de structurer notre espace mental et sont utiles à son fonctionnement. Les représentations sont construites à travers de multiples sources de données : • Les croyances, tirées de l'expérience personnelle, du vécu, de ce que nous avons « entendu, vu, lu. » 137 Annexes • Les connaissances théoriques validées que nous pouvons avoir d'une situation. • Les compétences, notre savoir faire. • Les émotions, celles qui ont existé par le passé ou celles qui influence l'état présent. • L'état viscéral, ce que nous ressentons. • Les désirs et les projets, ce qui correspond à l'intentionnalité. • Et également : les rapports sociaux, les institutions (gouvernementales, religieuses…) et la culture. Les représentations sociales ont plusieurs fonctions : • Elles ont une fonction purement cognitive, nous permettant d'identifier, de décrire, d'apprécier, de raisonner. • Elles nous permettent de décrypter le monde qui nous entoure en donnant du sens aux stimuli de notre environnement. Chaque nouveauté est ainsi rassemblée autour d'un schéma simple et familier, nous permettant de comprendre rapidement une situation sans ployer sous la multitudes d'informations nouvelles qui arrivent à notre cerveau à tout moment. • Elles nous permettent d'adapter nos actions et nos comportements, les rendant cohérents à la situation que nous rencontrons. Elles nous permettent également a posteriori de justifier ces comportement. • Elles possèdent également une fonction identitaire, rassemblant des groupes sociaux autour de représentations communes. Les représentations sociales ont également la particularité d'être très stables. En effet, nous ne changeons pas d'avis au gré des informations diverses et contradictoires auxquelles nous sommes confrontés. Cette stabilité s'explique par l'ancrage psychologique profond de nos représentations (souvent dès l'enfance), ainsi que par l'ancrage social et 138 Annexes institutionnel de certaines d'entre elles. La modification d'une représentation est un processus, complexe et de longue haleine, plus souvent le fruit d'une expérience personnelle ou collective que la conséquence d'une intervention extérieure isolée. Les représentations sont donc une image que l'ont se fait de la réalité. A ce titre, elles ne peuvent être qualifiées de « fausses » ou « d'erronées » puisque chacun, de par son expérience personnelle, possède une perception différente de la réalité qui l'entoure. La notion représentation est très importantes pour penser une action de prévention. En effet, on comprend que tout « message », toute tentative de persuasion à modifier un comportement, proposer par émetteur à une personne, vient « atterrir » sur un terrain non neutre, puisque déjà occupé par les représentations. Les représentations servant à décrypter les informations nouvelles, celles-ci ont deux options : ou elles s'adaptent au modèle de référence de la personne et elles peuvent être comprises et perçues, ou elles ne peuvent trouver leur place dans ce modèle et seront immédiatement rejetées. Cet état de fait explique l'inefficacité de certaines campagnes de prévention, comme l'explique O. Brixi et P. Lamour : « Sans mise à plat préalable, les malentendus seront lourds de brouillages et d’inefficacités pour l’intervention. L’échange autour de ses propres représentations est une expérience riche pour quelqu’un qui se trouve ainsi confronté à d’autres représentations que la sienne. L’intervention peut alors lui permettre de les faire évoluer vers une meilleure prise en compte de quelques connaissances expertes. » Annexe 2 : Mise au point sur la notion d'autonomie Le terme autonomie (du latin : auto nomos) désigne historiquement sous l'Empire Romain le statut des cités grecques qui avaient gagné le 139 Annexes droit d'établir leurs propres règles. En santé publique le terme d'autonomie est à comprendre de manière beaucoup complexe que dans son sens classique, défini par la philosophie européenne. Dans ce sens commun, l'autonomie est associée à la représentation d'un sujet « individuel, pensé comme un absolu, coupé de toute insertion sociale et marqué par le refus de reconnaître sa dépendance envers autrui». En santé publique, ce terme peut plutôt se comprendre comme « le droit de prendre une décision », en respectant sa personnalité et sa dignité, en mettant en pratique les compétences nécessaires à l'adaptation et l'intégration au niveau social, familial et professionnel. Ainsi l'autonomie en prévention se rapproche plus de la notion d'empowerment, ou capacité à agir sur sa vie et son environnement, que de la notion d'indépendance. R. Brizais illustre cette notion par sa vision de l'autonomie : «c’est la capacité d’une personne à gérer ses propres dépendances ». Annexe 3 : Grilles d'entretien Grille Focus Group élève 20' Qu'est ce que vous en pensez de l'ESJ ? Puis relance en fonction des dimensions : Qu'est ce que vous faites dans une séance ESJ ? Qu'est ce qui différencie une séance d'un cours normal ? Quelles sont vos motivations/vos envies à vous rendre aux séances ? C'est important pour vous de choisir les thèmes ? Mais c'est facile de proposer les thèmes devant tout le monde ? Qu'est ce que vous vous dites avant d'aller à la séance ? Et si on séparait les 4ième et les 3ièmes vous diriez quoi ? C'est pas trop gênant de parler de chose comme la sexualité devant tout le monde ? Moqueries après les séances ? Qu'est ce que vous pensez du fait que ce soit animé par un médecin ? Et la présence du prof vous en pensez quoi ? Outils pédagogiques : C'est quoi votre avis sur les jeux que vous utilisez ? 15' D'après vous, qu'est ce que vous apporte le fait d'avoir l'ESJ au collège ? Puis relance en fonction des dimensions : 140 Annexes ESJ et ambiance au collège ? Amélioration des relations entre les élèves ? Comment l'ESJ influence votre santé ? Modification de l'image de l'enseignant ? Modification de l'image du médecin ? Mais vous vous imaginiez avant qu'un médecin pouvait faire ça ? Mais alors vous aimeriez bien parler de sujets comme ça avec votre médecin en consultation ? Quand vous retournez voir votre médecin ça a changé quelque chose ? Avec qui reparlez-vous des séances ? Famille/Amis/Profs/Médecins ? Est ce qu'une fois, avoir participé à une séance ESJ vous a servi ? Mais sur internet vous pouvez en apprendre des choses aussi non ? 5' Qu'est ce que vous aimeriez améliorer dans l'ESJ ? Grille Focus Group Enseignant 20' Quelle importance accordez-vous à l'ESJ au sein de l'établissement ? Puis, si non abordé spontanément : L'ESJ influence-t-il la relation entre élèves et enseignants ? Si oui, en quoi ? L'ESJ influence-t-il les relations entre élèves ? Si oui, en quoi ? Qu'apporte pour vous la présence des médecins dans ce projet ? Comment percevez l'attitude des jeunes par rapport au projet ? Êtes-vous confrontés à des difficultés particulières au quotidien ? Comment est perçu l'ESJ par les autres membres de l'équipe éducative ? 15' Comment percevez-vous votre rôle au sein du projet ESJ ? Puis, si non abordé spontanément : Quand vous animez une séance, quel est votre rôle ? Comment vous sentez-vous lors des séances ? Pensez-vous que vous pourriez tenir un rôle différent ? Lequel ? Que vous amène cette participation à l'animation des séances dans votre métier d'enseignant ? Cela a-t-il modifié votre point de vue sur les questions de santé des adolescents ? Que retirez-vous de cette collaboration avec les médecins ? 5' Quelles seraient vos propositions pour améliorer l'ESJ ? Puis, si non abordé spontanément : Que pensez-vous de l'utilisation des outils pédagogiques au cours des séances ? Final L'ESJ au quotidien pour vous, en une phrase ? Grille entretien individuel avec l'animateur jeunesse (AJ) 10' Que représente pour toi l'ESJ ? 10' Quel est ton rôle en pratique au sein de l'ESJ ? Puis, si non abordé spontanément : 141 Annexes Quel est ton niveau de satisfaction concernant la pédagogie utilisée ? Comment perçois-tu l'utilisation des outils pédagogiques au sein de l'ESJ ? 5' Imagines-tu l'ESJ sans médecins ? Pour quelles raisons ? 5' Que t'apporte au niveau professionnel ta participation à l'ESJ ? Puis, si non abordé spontanément : Que penses-tu de ta collaboration avec des médecins ? Qu'est ce cela t'apporte au niveau de ta relation avec les jeunes ? Grille entretien individuel avec le Directeur du collège (Dir) 10' Que représente pour vous l'ESJ ? 5' L'ESJ est perçu par tous comme un espace de parole et une occasion pour les jeunes d'avoir une véritable discussion avec un adulte… Vous qui êtes professionnel de l'adolescence, pensez-vous que les jeunes aient si peu d'occasion de discuter avec les adultes ? 5' L'ESJ est perçu comme un espace de liberté par les élèves. En quoi est-il pertinent quand on est chef d'établissement de proposer un espace de liberté à ses élèves ? En quoi la pédagogie de l'ESJ est-elle pertinente au regard des problèmes de santé des jeunes ? 5' Il semble que l'ESJ prenne place dans un état d'esprit particulier de l'établissement. Quel est selon vous cet état d'esprit ? 5' Il apparaît que l'ESJ forme un « réseau » entre les différentes structures qui y participent… qu'en pensez-vous ? Comment fonctionne ce réseau ? 5' Quels sont vos rapports avec la médecine scolaire ? Quelles sont les raisons pour lesquelles ces professionnels ne participent pas au projet ? Grille d'entretien avec M2 10' À la suite des entretiens il apparaît que le rôle d'« adulte repère » ou « référent » dans lequel souhaitent se positionner les médecins de la maison médicale s'apparente à un rôle éducatif : le médecin se positionne en repère adulte différent d'un parent, autour duquel des adolescents peuvent se développer positivement… Que pensez-vous de cet entrée de la médecine dans une mission éducative ? 10' Certains adultes de l'ESJ décrivent qu'en fréquentant différemment des médecins généralistes, il apparait une « perte de pouvoir » du médecin, une relation dépossédée du « pouvoir médical »… qu'en pensez-vous ? 10' A contrario les élèves semblent avoir une confiance extraordinaire dans la présence du « médecin » durant l'ESJ… Comment vous positionnez-vous 142 Annexes face à cette confiance presqu'aveugle que vous confèrent les jeunes ? 10' Quelles difficultés généraliste ? provoquent l'ESJ au quotidien du médecin 10' Il semble que les animateurs de l'ESJ partagent des valeurs communes autour de l'adolescent… Qu'en pensez vous ? Quelles sont ces valeurs ? 143 Annexes Annexe 4 : Flyer invitant les élèves à participer au questionnaire 144 Annexes Annexe 5 : Questionnaire élèves Annexes Annexes 147 Annexes 148 Annexes 37 34,58% Classes des Participants Cinquième Nombre d'élève Pourcentage Nombre d'élève Pourcentage Cinquième Pourcentage Quatrième Pourcentage Troisième Pourcentage Total par classe Participation à l'ESJ Nombre d'élève Pourcentage 63 58,88% 25 67,57% 15 48,39% 23 58,97% 63 Au moins une fois 1999 3 2,80% Année de naissance des participants 40 37,38% Sexe des participants Fille Nombre d'élève Pourcentage Jamais Quatrième Garçons 44 41,12% 12 32,43% 16 51,61% 16 41,03% 44 2000 40 37,38% 31 28,97% 67 62,62% 107 100,00% Total 107 100,00% 37 100,00% 31 100,00% 39 100,00% 107 2001 29 27,10% 39 36,45% Troisième Total Nombre total de répondant Ont répondu N'ont pas répondu Total Nombre d'élève 107 43 150 Pourcentage 71,33% 28,67% 100,00% 1ière Partie : Généralités Résultats Questionnaires Annexe 6 : Résultats du questionnaire Total 2002 28 26,17% 107 100,00% 150 2003 Autres Total 3 4 107 2,80% 3,74% 100,00% Remarques Annexes Annexes 2ième Partie : oui j'ai déjà Participé Q1 : Globalement j'aime bien l'espace santé jeune ! Pas du tout d'accord En partie d'accord D'accord Tout à fait d'accord Total Nombre d'élève 0 19 32 12 63 Pourcentage 0,00% 30,16% 50,79% 19,05% 100,00% Cinquième 0 10 11 4 25 Pourcentage 0,00% 40,00% 44,00% 16,00% 100,00% Quatrième 0 3 7 5 15 Pourcentage 0,00% 20,00% 46,67% 33,33% 100,00% Troisième 0 6 14 3 23 Pourcentage 0,00% 26,09% 60,87% 13,04% 100,00% Total par classe 0 19 32 12 63 Q 2 : A propos de l'ESJ et de l'ambiance entre les élèves… Aller à l'ESJ m'a permis d'avoir moins de préjugés sur les autres élèves… Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 40 23 63 Pourcentage 63,49% 36,51% 100,00% Cinquième 14 11 25 Pourcentage 56,00% 44,00% 100,00% Quatrième 10 5 15 Pourcentage 66,67% 33,33% 100,00% Troisième 16 7 23 Pourcentage 69,57% 30,43% 100,00% Total par classe 40 23 63 Participer à l'ESJ m'a permis d'être plus à l'aise avec les élèves plus âgés… Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 41 22 63 Pourcentage 65,08% 34,92% 100,00% Cinquième 16 9 25 Pourcentage 64,00% 36,00% 100,00% Quatrième 12 3 15 Pourcentage 80,00% 20,00% 100,00% Troisième 13 10 23 Pourcentage 56,52% 43,48% 100,00% Total par classe 41 22 63 151 Annexes Quand des élèves parlent à l'ESJ je comprend ce qu'ils vivent et je m'imagine à leur place… Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 11 52 63 Pourcentage 17,46% 82,54% 100,00% Cinquième 5 20 25 Pourcentage 8,00% 84,00% 92,00% Quatrième 4 11 15 Pourcentage 26,67% 73,33% 100,00% Troisième 2 21 23 Pourcentage 8,70% 91,30% 100,00% Total par classe 11 52 63 Q3 : Certains élèves ne respectent pas la règle de confidentialité de l'Espace Santé Jeune. Ils racontent ce que les participants ont dit pendant la séance aux autres élèves dans la cour ou en classe… Cela m'est déjà arrivé, depuis j'y vais moins ou plus du tout… Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 55 8 63 Pourcentage 87,30% 12,70% 100,00% On peut raconter ce que j'ai dit, à condition que les gens ne donnent pas mon nom ! Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 27 36 63 Pourcentage 42,86% 57,14% 100,00% Je m'en fiche que l'on répète ce que je dis cela ne me gène pas Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 34 29 63 Pourcentage 53,97% 46,03% 100,00% 152 Toujours séparer les 4ièmes et les 3ièmes Alterner Pas d'avis Total 9 11 14 3 37 24,32% 29,73% 37,84% 8,11% 100,00% 3 3 7 2 15 20,00% 20,00% 46,67% 13,33% 100,00% 6 8 7 1 22 27,27% 36,36% 31,82% 4,55% 100,00% 9 11 14 3 37 Toujours mélanger 4ièmes et 3ièmes ensemble Maintenant je me sens plus à l'aise quand je vais consulter mon médecin ! Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 48 15 63 Pourcentage 76,19% 23,81% 100,00% Cinquième 17 8 25 Pourcentage 68,00% 32,00% 100,00% Quatrième 13 2 15 Pourcentage 86,67% 13,33% 100,00% Troisième 18 5 23 Pourcentage 78,26% 21,74% 100,00% Total par classe 48 15 63 153 Q5 : Depuis que tu as particpé à l'ESJ, comment ça se passe avec ton (ta) médecin ? NB : Le nombre de réponse devrait être de 38, il y a8 élèves de cinquième qui ont répondu et 1 élève de 3ième qui n'a pas répondu. Les élèves de 5ièmes on t répondu : alterner 2 fois, Mélanger 0 fois, Distinguer 3 fois, Sans avis 3 fois. Je les retire du tableau de résultat. Correction Nombre d'élève Pourcentage Quatrième Pourcentage Troisième Pourcentage Total par classe Nombre d'élève Pourcentage Toujours séparer les 4ièmes et les 3ièmes Alterner Pas d'avis Total 9 14 16 6 45 20,00% 31,11% 35,56% 13,33% 100,00% Toujours mélanger 4ièmes et 3ièmes ensemble Q4 : Que penses tu du mélange des 4ièmes et des 3ièmes ? En ce qui concerne le fait d'être « à l'aise », cela semble plis concerné les élèves plus jeunes... Le nombre de réponse devrait être de 38, il y a8 élèves de cinquième qui ont répondu et 1 élève de 3ième qui n'a pas répondu. Les élèves de 5ièmes on t répondu : alterner 2 fois, Mélanger 0 fois, Distinguer 3 fois, Sans avis 3 fois. Je les retire du tableau de résultat. Au final : 67 % des élèves estiment qu'il faut modifier les séances 4-3 ou en distinguant les niveaux ou en alternant. 25 % des élèves estiment qu'il faut poursuivre comme avant. 8 % n'ont pas d'avis. Globalement les 3ièmes sont plutôt favorable à la distinction mais à faible majorité alors que les 4ièmes sont plutôt en faveur de l'alternance Annexes Annexes Maintenant j'ose poser des questions sur la santé à mon médecin ! Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 41 22 63 Pourcentage 65,08% 34,92% 100,00% Cinquième 16 9 25 Pourcentage 64,00% 36,00% 100,00% Quatrième 11 4 15 Pourcentage 73,33% 26,67% 100,00% Troisième 14 9 23 Pourcentage 60,87% 39,13% 100,00% Total par classe 41 22 63 Maintenant j'ai plus confiance en mon médecin ! Pas d'accord D'accord Nombre d'élève 43 Pourcentage 68,25% Cinquième 13 Pourcentage 52,00% Quatrième 13 Pourcentage 86,67% Troisième 17 Pourcentage 73,91% Total par classe 43 En fait ça n'a rien changé… Pas d'accord D'accord Nombre d'élève 25 Pourcentage 39,68% Cinquième 9 Pourcentage 36,00% Quatrième 6 Pourcentage 40,00% Troisième 10 Pourcentage 43,48% Total par classe 25 Total 20 31,75% 12 48,00% 2 13,33% 6 26,09% 20 63 100,00% 25 100,00% 15 100,00% 23 100,00% 63 Total 38 60,32% 16 64,00% 9 60,00% 13 56,52% 38 63 100,00% 25 100,00% 15 100,00% 23 100,00% 63 Quand tu vas voir ton (ta) médecin, aimerais-tu parler de la santé avec lui (elle), un peu comme à l'Espace Santé jeune mais dans son cabinet ? Non Oui Total Nombre d'élève 41 22 63 Pourcentage 65,08% 34,92% 100,00% Cinquième 20 5 25 Pourcentage 80,00% 20,00% 100,00% Quatrième 9 6 15 Pourcentage 60,00% 40,00% 100,00% Troisième 12 11 23 Pourcentage 52,17% 47,83% 100,00% Total par classe 41 22 63 154 Annexes Q6 : à propos des professeurs qui participent aux séances de l'ESJ Je vois ces professeurs de manière plus positive depuis que je les ai eus comme animateur à l'Espace Santé Jeune... Pas d'accord D'accord Total Nombre d'élève 36 26 62 Pourcentage 58,06% 41,94% 100,00% Cinquième 15 10 25 Pourcentage 60,00% 40,00% 100,00% Quatrième 10 5 15 Pourcentage 66,67% 33,33% 100,00% Troisième 11 11 22 Pourcentage 50,00% 50,00% 100,00% Total par classe 36 26 62 Certains élèves pensent que les profs présents à l'Espace Santé Jeune peuvent répéter ce qu'ils entendent aux autres profs, ou aux parents... Pas d'accord Nombre d'élève Pourcentage Cinquième Pourcentage Quatrième Pourcentage Troisième Pourcentage Total par classe D'accord mais je D'accord et m'en fiche ça me gêne Pas d'avis Total 28 13 9 13 63 44,44% 20,63% 14,29% 20,63% 100,00% 10 6 4 5 25 40,00% 24,00% 16,00% 20,00% 100,00% 7 2 3 3 15 46,67% 13,33% 20,00% 20,00% 100,00% 11 5 2 5 23 47,83% 21,74% 8,70% 21,74% 100,00% 28 13 9 13 63 Q8 : Les médecins et les professeurs se demandent si certains élèves de 4ième ou 3ième pourraient animer des séances, avec un adulte, pour les élèves de 6-5ième, que penses-tu de cette idée ? C'est nul Faut voir Plutôt bien Pour ! Total Nombre d'élève 8 28 19 8 63 Pourcentage 12,70% 44,44% 30,16% 12,70% 100,00% Cinquième 7 9 7 2 25 Pourcentage 28,00% 36,00% 28,00% 8,00% 100,00% Quatrième 1 10 4 0 15 Pourcentage 6,67% 66,67% 26,67% 0,00% 100,00% Troisième 0 9 8 6 23 Pourcentage 0,00% 39,13% 34,78% 26,09% 100,00% Total par classe 8 28 19 8 63 155 Annexes 3ième Partie : Non je n'ai jamais participé à l'ESJ Q1 : J'ai l'impression que les autres élèves vont répéter à tout le monde ce que je dirais à l'Espace Santé Jeune Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 21 14 9 44 Pourcentage 47,73% 31,82% 20,45% 100,00% Cinquième 5 2 5 12 Pourcentage 41,67% 16,67% 41,67% 100,00% Quatrième 8 7 1 16 Pourcentage 50,00% 43,75% 6,25% 100,00% Troisième 8 5 3 16 Pourcentage 50,00% 31,25% 18,75% 100,00% Total par classe 21 14 9 44 Q2 : Je n'ose pas proposer les thèmes qui m'intéressent donc ça ne sert à rien d'y aller Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 18 18 8 44 Pourcentage 40,91% 40,91% 18,18% 100,00% Cinquième 4 8 0 12 Pourcentage 33,33% 66,67% 0,00% 100,00% Quatrième 8 4 4 16 Pourcentage 50,00% 25,00% 25,00% 100,00% Troisième 6 6 4 16 Pourcentage 37,50% 37,50% 25,00% 100,00% Total par classe 18 18 8 44 Q3 : Parfois il y a de grands « silence » et je n'aime pas ça Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 18 8 18 Pourcentage 40,91% 18,18% 40,91% Cinquième 6 1 5 Pourcentage 50,00% 8,33% 41,67% Quatrième 6 3 7 Pourcentage 37,50% 18,75% 43,75% Troisième 6 4 6 Pourcentage 37,50% 25,00% 37,50% Total par classe 18 8 18 44 100,00% 12 100,00% 16 100,00% 16 100,00% 44 Q4 : J'ai l'impression que les profs pourraient répéter ce qu'ils entendent à mes parents ou aux autres profs Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 31 9 4 44 Pourcentage 70,45% 20,45% 9,09% 100,00% Cinquième 8 4 0 12 Pourcentage 66,67% 33,33% 0,00% 100,00% Quatrième 12 1 3 16 Pourcentage 75,00% 6,25% 18,75% 100,00% Troisième 11 4 1 16 Pourcentage 68,75% 25,00% 6,25% 100,00% Total par classe 31 9 4 44 156 Annexes Q5 : Cela me gêne qu'il y ai des médecins, on ne les connaît pas c'est difficile de parler avec eux… Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 29 9 6 44 Pourcentage 65,91% 20,45% 13,64% 100,00% Cinquième 3 7 2 12 Pourcentage 25,00% 58,33% 16,67% 100,00% Quatrième 12 1 3 16 Pourcentage 75,00% 6,25% 18,75% 100,00% Troisième 14 1 1 16 Pourcentage 87,50% 6,25% 6,25% 100,00% Total par classe 29 9 6 44 Q6 : je parle déjà de santé avec mes proches, ma famille ou mes amis donc ça ne sert à rien de recommencer au collège Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 18 15 11 44 Pourcentage 40,91% 34,09% 25,00% 100,00% Cinquième 6 3 3 12 Pourcentage 50,00% 25,00% 25,00% 100,00% Quatrième 7 7 2 16 Pourcentage 43,75% 43,75% 12,50% 100,00% Troisième 5 5 6 16 Pourcentage 31,25% 31,25% 37,50% 100,00% Total par classe 18 15 11 44 Q7 : Je suis en 4ième et je n'aime pas devoir parler devant les 3ièmes Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 9 5 30 Pourcentage 20,45% 11,36% 68,18% Cinquième 1 0 11 Pourcentage 8,33% 0,00% 91,67% Quatrième 8 5 3 Pourcentage 50,00% 31,25% 18,75% Troisième 0 0 16 Pourcentage 0,00% 0,00% 100,00% Total par classe 9 5 30 44 100,00% 12 100,00% 16 100,00% 16 100,00% 44 Q8 : Plutôt que de parler de santé au collège, je trouverai ça mieux d'en parler en tête avec mon médecin quand je vais le voir au cabinet Pas d'accord D'accord Pas d'avis Total Nombre d'élève 16 13 15 44 Pourcentage 36,36% 29,55% 34,09% 100,00% Cinquième 7 2 3 12 Pourcentage 58,33% 16,67% 25,00% 100,00% Quatrième 6 4 6 16 Pourcentage 37,50% 25,00% 37,50% 100,00% Troisième 3 7 6 16 Pourcentage 18,75% 43,75% 37,50% 100,00% Total par classe 16 13 15 44 157 Annexes Annexe 6 : Documents concernant l'ESJ fournis par la maison médicale et le collège 158 Annexes Annexe 7 : Exemples de thèmes choisis par les adolescents grâce aux post-it 159 Annexes Vu, le président du jury Vu, le directeur de thèse Vu, le doyen de la faculté 160 Annexes Serment Médical Au moment d’être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité. J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences. Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité. Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque. 161 LE GLATIN Clément L’Espace Santé Jeune de Saint-Germain sur Moine Étude de la participation de médecins généralistes à un projet d’éducation pour la santé mené en milieu scolaire. Résumé OBJECTIF : L'Espace Santé Jeune (ESJ) est un projet d'éducation pour la santé mené depuis 2008 dans un collège français. Les collégiens sont invités mensuellement à participer à un espace de parole sur la santé, animé par un médecin généraliste, accompagné d'un animateur jeunesse de la commune ou d'un enseignant. Cette étude cherche à comprendre comment les différents acteurs perçoivent ce projet et ses effets. MÉTHODE : Une étude mixte a été menée au sein du collège par entretiens individuels et focus groups auprès de l'animateur jeunesse, de 20 élèves participants à l'ESJ, 5 enseignants et 4 médecins ; puis par un questionnaire informatique destiné aux 150 élèves. Une retranscription intégrale des entretiens a permis une analyse par théorisation ancrée, puis une approche intégrative a confronté les résultats quantitatifs et qualitatifs. RÉSULTATS : L'ESJ est perçu comme une « occasion » originale pour les jeunes d'exprimer librement leurs préoccupations autour de la santé dans un espace centré sur le dialogue, l'empathie, la dynamique de groupe et la liberté de participation. 107 élèves (71%) ont répondu au questionnaire, 59 % avaient participé à l'ESJ avec 70 % de satisfaction. L'ESJ présente des avantages sur la consultation médicale pour réaliser la prévention chez les adolescents : la présence des pairs, l'absence des parents, la gratuité facilitent l'interaction avec les médecins, malgré une difficulté des adultes à l'animation des séances collectives. L'existence d'une démarche de projet et d'un partenariat entre les professionnels inscrivent l'ESJ dans une dynamique territoriale d'interprofessionnalité et facilite le maillage autour des jeunes en difficulté. Cependant, l'ESJ représente une charge de travail supplémentaire non rémunérée pour les médecins, sans retombées positives majeures sur les relations entre médecins et adolescents en consultation. CONCLUSION : L'ESJ est une expérience originale d'interprofessionnalité entre soignants et éducateurs inscrivant le médecin généraliste dans une dynamique territoriale de santé publique et alimentant une réflexion sur les modalités de mise en pratique de l'éducation pour la santé. Mots-clés Éducation pour la santé – Prévention - Milieu scolaire – Médecine Générale – Interprofessionnalité