Spiritualité et fin de vie Présenté par le Docteur Claude Rougeron

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Spiritualité et fin de vie Présenté par le Docteur Claude Rougeron
Spiritualité et fin de vie
Présenté par le Docteur Claude Rougeron
Médecin généraliste, directeur du département de médecine générale de la faculté Paris
Ouest, Docteur en éthique médicale
Introduction
Le Docteur Rougeron a débuté son intervention en notant que les notions de « spiritualité » et
de fin de vie recouvraient un domaine extrêmement vaste. Il s’agit d’une addition de deux
mondes bien complexes par leur richesse et la problématique de leur définition respective.
Chacun des sujets suivants pourraient même faire l’objet d’une soirée :
- le concept des besoins spirituels des malades en fin de vie, notamment à domicile,
- le concept du soin spirituel et de la dimension spirituel dans les soins aux malades en fin de
vie
- le concept de l’émergence des besoins spirituels de ces malades,
- les missions qui incombent alors aux soignants et accompagnants,
- la réflexion autour d’une hypothétique possibilité de se préparer spirituellement à la fin de
sa vie
Organisation de la présentation :
1. définition de la spiritualité
2. la lecture De l’entretien avec une malade en fin de vie à domicile.
3. un temps d’échange avec vous autour de ces tranches de vie.
4. une synthèse guidée par un fil spirituel : les temps de vie d’une personne face à sa
finitude.
.
1. Définition de la spiritualité
La dimension spirituelle de l’être se situe toujours au-delà de ce que l’on pourrait en dire. Elle
est cet espace intime présent en chaque homme qui signe sa singularité et son unicité.
Cela nous place d’emblée devant la difficulté de la tâche. En effet, définir la spiritualité de
l’homme paraît impossible, tant le phénomène est « complexe, difficilement palpable et
multidimensionnel » (4)
Il s’agit en fait d’une expérience strictement personnelle, intime, non codée. Cependant, il est
possible de définir 3 grands axes pour s’approcher du contenu spirituel de l’être :
-
le sens et la quête de sens
-
le développement des valeurs
-
la vie intérieure
Enfin, le dernier axe de description de la spiritualité est dynamique, il s’agit de cette
construction, de cette vie intérieure de l’esprit qui s’adapte aux épreuves, aux joies, qui les
intègrent, qui dynamise toutes les autres dimensions de l’être. Elle est ce qui est « le plus
essentiel et le plus décisif en nous, notre liberté, notre capacité d’aimer, notre fidélité au
travers des épreuves et des découragements, notre manière d’espérer. Notre identité en ce
qu’elle a de personnel, en deçà ou au delà de nos rôles sociaux, de nos soucis et de nos
habitudes. Le spirituel, c’est la respiration de l’être, c’est la pulsation profonde de notre vie. ».
(26)
Cependant, il est important de souligner ici que le spirituel n’est pas désincarné. Il est évoqué
sur le registre de la parole. Odier renvoie sur ce sujet à la description de Durckheim des 4
manières d’exprimer nos spiritualités : la nature, l’art, autrui et le culte.
De même, le « spirituel » n’est pas coupé du reste de l’être. Il intègre toutes les autres
dimensions : physique, psychique et affective, et les dépasse. Le spirituel est la respiration de
l’être. Il est inhérent à l’Homme. La dignité en est un des piliers.
Enfin, le «spirituel » garde une part de mystère. Il est cet essentiel qui ne peut être
qu’approché. Aussi, est-il nécessaire de s’armer d’humilité pour tenter cette approche
2. Lecture de l’entretien avec une malade en fin de vie à domicile
Le Docteur Rougeron lit l’intégralité d’un entretien avec une patiente de 51 ans d’origine
portugaise. Il paraît difficile de résumer la teneur de ces propos sans les dénaturer.
3. un temps d’échange autour de ces tranches de vie
Après la lecture et un moment de silence, la salle a réagit au contenu de cet entretien. Les
réactions ont tourné autour des notions d’acceptation, de culpabilité et de solitude. Puis le
Docteur Rougeron a choisi de répondre à certaines réactions du public sur les thèmes
suivants :
‘’Dire la vérité’’ : pour lui, le problème n’est pas de dire la vérité mais qu’il y ait une réalité.
La patiente s’est construite une réponse en construisant une réalité.
Ambivalence du discours : la patiente peut dire qu’elle va bien puis expliquer qu’elle
regrette de ne plus pouvoir faire les mêmes choses qu’auparavant. Le Docteur Rougeron
avance que cette ambivalence du discours peut s’expliquer par l’équilibre précaire que
constitue la situation dans laquelle se trouve la patiente et qu’il nomme : la crête de la mort.
Pudeur : elle est une expression d’un besoin spirituel. Il estime que quand le patient
manifeste de la pudeur, l’interlocuteur doit faire silence et respecter ce moment.
Maîtriser : quelqu’un s’interroge sur la volonté de certains patients de garder la maîtrise
jusqu’au bout. Pour le Docteur Claude Rougeron, il est nécessaire d’identifier cette maîtrise et
de la respecter. La maîtrise est une manifestation de l’autonomie du patient alors même que
son entourage souhaite l’aider en le déchargeant de certains aspects logistiques par exemple.
Cette tension entre autonomie et bienfaisance est l’un des thèmes récurrents des recherches en
éthique médicale.
S’expliquer la maladie : la patiente semble vouloir interpréter sa maladie comme le résultat
d’une volonté divine, quelqu’un se demande si cela arrive souvent que les patients cherchent à
expliquer leur maladie. Pour le Docteur Rougeron, tous les patients ont besoin d’expliquer
leur maladie, les explications peuvent prendre des formes très variables d’un patient à l‘autre :
Dieu, exposition à l’amiante, cigarette, hérédité…)
4. une synthèse guidée par un fil spirituel : les temps de vie d’une
personne face à sa finitude
C’est par la maladie qui s’immisce avec brutalité dans la vie des patients que se trouve
modifié leur référentiel temporel. La maladie grave, la prise de conscience d’une perte
importante éventuellement liée à l’âge et le risque de la mort, fondent une nouvelle relation au
temps.
Le temps tel qu’on le vit normalement se modifie : le futur est modifié voire occulté par la
perspective de la mort, le passé prend une nouvelle dimension, il est l’objet d’un retour, d’une
relecture … et le présent prend une importance définitive : « Je vis comme on dit « au jour le
jour » c’est tout. » dit une patiente.
Et, dans cette nouvelle perspective temporelle, il est frappant de constater que s’engage une
course pour la vie. La vie se densifie dans le présent. La mort annoncée permet de scruter la
vie sous un autre regard : vie passée, présente et future. C’est ce regard qu’il s’agit de décrire :
ces patients nous décrivent un art de mourir, qui se fond avec la vie, avec un art de vivre.
Trois grands axes se dégagent :
− Le passé, où comment le patient en fin de vie se penche sur sa vie passée pour lui
trouver un sens et la valoriser
− Le présent, où comment il densifie sa vie autour du seul temps dont il soit sûr
− Le futur, marqué par la perspective de la mort, où comment assumer et préparer sa
mort et ce qui vient après la mort.
a) La Vie passée : quel sens a eu ma vie ?
Cette recherche de sens permet à la personne de vivre son présent et d’assumer son futur, en
assumant son passé, en le valorisant … en le replaçant dans la perspective universelle de
l’humanité : ma vie n’a pas été inutile, elle a servi, je fais partie de cette humanité qui peuple
la Terre.
1) La relecture, un moyen
La porte ouverte sur le passé peut concerner des évènements précis de la vie, des souvenirs :
le mariage, un décès, des grands axes, des décisions, les références aux parents, à l’éducation
et l’enfance.
« je prie beaucoup, la Vierge de Fatima, c’est sa fête aujourd’hui, j’ai vu à la télé, parce
qu’on a la télé chez nous, la chaîne portugaise. Oui. J’ai regardé … »
On note aussi des références culturelles profondes, et la transmission d’une foi, une éducation
religieuse qui a marqué le patient, des traits d’identité qui ont été investis très tôt :
« je dirais que ça va, faut être très raisonnable, non, non et puis je suis d’un naturel simple,
parce que chez mes parents on vivait très simplement, donc voilà … »
Les grandes étapes de la vie, les choix qui marquent des tournants décisifs sont aussi
remémorés et analysés : le choix d’élever ses enfants pour certaines patientes, le choix d’un
mari pour d’autres, avec la relecture d’un mariage, le choix d’un travail, avec des
conséquences possibles, plus ou moins assumées :
« je pense souvent au métier que j’ai fait, parce que ça m’a pas arrangé la saloperie …mais
bon, j’avais pas le choix, c’était mon métier, mais les vapeurs, vous savez, le trichloréthylène
… pour moi, ça viendrait de là … mais bon c’est tout ce que je savais faire, maintenant tout le
monde travaille devant un écran d’ordinateur, mais moi c’était pas le cas, je peux vous dire
…»
* Trouver un sens à sa vie, objectif de la relecture
Le travail d’analyse sur le passé a pour but de mettre en évidence ce qui a été important : la
définition de valeurs de vie, d’un fil conducteur. Cette mise en évidence peut se faire par le
« positif » : il y a un fil rouge, ou à l’inverse par la négative : « qu’est ce que j’ai fait de ma
vie finalement, je ne lui trouve aucun sens. » Et c’est dans cette recherche de sens et de fil
conducteur de sa vie que le patient cherche aussi à intégrer l’événement présent de sa maladie,
en lui cherchant une cause.
L’oreille de l’écoutant doit être attentive aux phrases qui commencent par, « ce qui a le plus
compté pour moi … », ou « moi, dans la vie … »
− Le don de soi : « j’ai souvent passé les autres avant moi, alors que quelques fois
j’aurais mieux fait de garder un peu pour moi … physiquement et moralement, y’a des
tas de choses que … mais bon si je les ai faites, c’est que je devais les faire »
− l’unité : « On n’est pas nombreux dans la famille, mais le peu qu’on est, on est unis :
ma sœur, ma fille, ma femme, la grand mère … c’est limité, c’est sur, mais l’unité,
c’est important. »
− l’amour du prochain : « d’abord quand il est dit « aimer son prochain comme soi
même », pour moi c'est d’abord ne pas lui faire de tort … »
− le respect : « je sais pas je crois que si je m’étais écouté je l’aurais frappé, je ne
supporte pas cette … cette négation des autres »
Il est net que le sens d’une vie tient aussi dans une position sociale, un titre qui peuvent
revêtir une importance capitale lors du bilan de sa vie :
« j’étais conseillère municipale, je peux pas m’en passer […] je suis citoyenne d’honneur de
la ville de T. […] à la mairie, je donnais beaucoup, j’ai fait beaucoup de social … »
Enfin, le sens de la vie peut être trouvé au-delà de soi même, dans la relation à Dieu, maître
de la vie :
« Je prie beaucoup, pour remercier, remercier Dieu pour tout ce qu’il me donne, ce que je
souffre, c’est sa volonté … je sais pas, c’était mon destin. »
A l’inverse, le résultat de ce retour sur son histoire de vie peut être négatif : le patient ne voit
pas de fil rouge, rien qui fasse sens. La constatation peut être amère : « mais j’ai pas fait
quelque chose vraiment de bien de ma vie … »
* Recherche d’un sens à la maladie
Dans le cadre de cette relecture et de cette quête d’un sens pour sa vie, le patient est amené à
se poser la question : « pourquoi la maladie ? » et « pourquoi moi ? » La recherche d’un
coupable est obligatoire, elle est même structurante de la quête de sens.
Dans certains cas, il existe un coupable objectif ou une imputabilité probable de certaines
conduites :
« je pense souvent au métier que j’ai fait, parce que ça m’a pas arrangé la saloperie …mais
bon, j’avais pas le choix, c’était mon métier, mais les vapeurs, vous savez, le trichloréthylène
… pour moi, ça viendrait de là … »
Mais dans d’autres cas, le coupable est tout à fait subjectif. Il peut s’agir de Dieu, cible
classique et coupable idéal :
« Il a peut être une raison, s’Il existe Il a peut être une raison… et je me demande laquelle.
Mais Il mérite de passer en jugement aussi devant les hommes ! »
Ou, pour d’autres, de l’environnement, de la pollution.
Proche de l’irrationnel, dans la construction, est la culpabilité qui naît lorsqu’ aucun coupable
ne peut être désigné :
− « Est-ce que vous vous sentez coupable ? »
− « Oui, sans doute, sans que je m’en rende compte, c’est sans doute ça, est-ce que je
paye … enfin, oui, est-ce que ce qui m’arrive, c’est une façon de payer pour ce que
j’ai fait ou pas fait ? … »
b - Conséquences de la relecture
Valoriser sa vie, tout d’abord.
Une autre conséquence est la reconnaissance par la personne de son appartenance à une
chaîne universelle, celle de l’humanité. C’est aussi une façon de placer sa vie dans une
perspective plus vaste qu’elle même. Quelle que soit l’ « œuvre » d’une personne, au sens de
ce qu’elle a réalisé, ce qu’elle laisse derrière elle, il est capital pour elle de lui donner une
valeur qui dépasse le cadre personnel. Il s’agit pour le patient d’accepter de quitter sa vie, de
la laisser, pour lui permettre de la remettre entre les mains d’autres.
Ceci est très clair vis-à-vis des enfants, et de la filiation. Le fait d’avoir une descendance
perpétue le sang, le nom, l’œuvre.
Cet homme n’avait pas vu sa fille, née d’un premier mariage, depuis de très nombreuses
années : « ma plus belle émotion, c’est que j’ai retrouvé ma fille … je l’avais pas vue depuis
des années. Ça m’a fait un plaisir immense … » Il est décédé quelques semaines après ces
retrouvailles.
La maison peut être un signe de permanence, un lieu qui perpétue la vie du patient au-delà de
sa mort.
« Moi je voudrais qu’il y ait beaucoup plus de solidarité … j’envoie un peu d’argent tous les
mois en Afrique pour les africains, quoi en Afrique. Evidemment pour le tsunami tout le
monde a participé, et tous les mois j’envoie, … ce sont des virements, ça permet que l’argent
arrive régulièrement, pour apporter un peu d’aide, quoi, et je trouve que ça manque
beaucoup la solidarité »
b) Vie présente : densification de la vie dans le présent
Le présent est très « présent » dans le discours des patients. Il est le seul temps dont le patient
soit sûr, et sur lequel il puisse garder l’illusion d’un certain contrôle. En effet, entre un passé
dont il ne sait pas ce qu’il a voulu dire, et un futur bouché par la perspective de la mort, le
présent apparaît comme le « lieu à vivre ». Le patient éprouvé par la maladie réagit face à
celle-ci en densifiant son présent, en vivant au maximum dans le présent tout ce qui peut être
vécu malgré la maladie.
Dans le présent, le patient est un patient, il est malade, il est entré dans ce groupe de ceux qui
sont atteints par la maladie. Il est défini par son statut de malade. Lui et la maladie forment un
couple étrange, tout en combat, en violence. Et dans la lutte, le patient se découvre vivant :
personne à part entière, digne et en relation, appartenant à un groupe qui le dépasse.
Au travers du présent le malade crie qu’il est plus qu’un malade, il est un homme, vivant.
L’intensité du présent
Dans la plupart des entretiens, on trouve une trace de cette intensité du présent. L’expression
« au jour le jour », ou « du jour au lendemain » est fréquente dans les entretiens. Il s’agit pour
certains d’un simple constat : « Je vis comme on dit « au jour le jour » c’est tout. » ou bien :
« La vie c’est au jour le jour pour moi. »
L’alimentation est assimilé à la vie, au bien être : celui qui va bien mange, et celui qui ne
mange pas, qui n’a pas envie de manger ou qui ne peut pas manger est vraiment en mauvaise
posture. L’appétit et la nourriture sont comme des baromètres :
« J’avais pas du tout, du tout le moral, je mangeais pas, rien, rien. »
Sortir, quand on le peut, c’est faire partie du monde à nouveau, c’est un acte social, mais audelà, c’est se sentir en vie, faire des choses « normales » :
« … l’autre jour on est allé à Dieppe. Et j’étais contente… »
Les patients gardent le souci des finances, sans même parler de succession ou d’organisations
d’obsèques, le quotidien lui-même peut être marqué par des problèmes d’argent : « Même si
j’ai pas franchement les moyens, on se débrouille »,
Ensuite, ce qui fait que la vie est la vie, c’est que l’homme est en relation avec son entourage,
il n’est pas seul.
Enfin, il y a simplement l’envie de vivre, de continuer.
Dans ce temps du présent, à vivre, et à vivre bien, le patient exprime clairement le besoin
d’être reconnu comme une personne à part entière, dans son identité et sa dignité.
Etre reconnu comme une personne : la notion d’identité
On peut décrire 4 traits exprimés par les malades :
1. Etre appelé par son nom
« et puis je suis connu aussi, c’est obligé … tout le monde m’appelle par mon nom, et ça, ça
fait plaisir »
« quand on est malade, on a besoin d’être écouté, d’avoir l’impression que les gens
s’intéressent à votre problème, que vous êtes autre chose qu’un numéro. »
2. Reconnaître son corps
La maladie ou les traitements, et souvent les deux à la fois portent souvent atteinte à
l’intégrité du corps. Le problème peut simplement être de se reconnaître, pour certains
patients, tant l’image du corps a été modifiée, comme pour cette femme ayant subi une
mastectomie et sous traitement corticoïde au long cours : « Sinon, y’a le poids aussi, j’ai
beaucoup grossi, quelques fois, je me reconnais pas … entre le poids et le cancer, le sein,
vous comprenez … C’est quand même difficile … »
3.
Etre informé
Dans ce domaine de l’information, le patient peut avoir l’initiative, ou l’impression d’avoir eu
l’initiative : « la première question que j’ai posée, c’était de demander si c’était cancéreux »,
« je trouve qu’ils disent pas tout déjà, il faut vraiment poser plein de questions pour arriver à
savoir quelque chose, et puis on se rend compte qu’à certains moments, ils n’en savent pas
plus que vous en fait, … »
Par contre, certains patients regrettent d’en savoir trop, et en souffrent, car un pronostic mal
posé bloque un futur déjà fortement hypothétique :
« j’ai moins peur de poser des questions. D’un autre côté, quand je suis pas sûre de la
réponse ou que j’ai pas envie d’entendre la réponse, je la pose pas. Alors qu’avant j’aurais
posé plus de questions, genre combien j’avais … qu’il me restait à vivre, alors que
maintenant je ne la poserais plus […] Ça m’est arrivé de poser la question et on m’a donné
une réponse, que je n’aurais pas dû écouter, et maintenant je regrette parce que … »
4.
Prendre part aux décisions
Si l’identité est un premier élément de la dignité (au sens ontologique du terme) à reconnaître
par les soignants et les accompagnants, on trouve dans les entretiens d’autres axes de dignité
revendiqués par les patients. On peut en définir trois supplémentaires : le patient a besoin
d’être reconnu comme un être qui fait, un être qui s’affirme et finalement un être responsable.
a - Un être qui fait
L’altération de la dignité sociopolitique, celle qui s’acquière et se perd, liée au mérite de la
personne :
− « Ne pas pouvoir faire ce que je voulais, faire le ménage, la maison, … jouer avec les
petits enfants … je peux pas trop … c’est ça ce qui me manque ! »
− « rester comme ça tout le temps à la maison, pour les enfants c’est pas toujours bon,
hein … faut pouvoir le vivre, hein […] elles ont du mal à me voir comme ça, elles
peuvent pas comprendre que je peux plus courir, je peux plus jouer au ballon … »
b - Un être qui s’affirme
Ainsi cette femme qui rapportait une certaine incompréhension avec son médecin traitant :
« Je trouve que c’est pas gentil. Là je voulais lui dire. »
« aller au bout » : « Mais je suis entrée j’ai l’impression dans une période où j’ai envie d’aller
au bout de ce que je suis, de ce que je sens et j’ai pas envie de laisser passer les choses […]
mon mari et ma fille d’ailleurs, parce qu’ils me comprennent plus, ils me
trouvent effectivement moins tolérante, plus agressive, parfois ils comprennent pas et moi, je
… euh j’ai pas envie de lâcher le morceau. »
Aller au bout, c’est aussi assumer la maladie et ses conséquences, la faire passer au second
plan pour vivre ce qui reste à vivre : « mais je veux pas non plus … je veux pas me cacher »,
« les gens … vous regardaient, je n’ai jamais caché ce que j’avais … avec le regard des
autres ».
On retrouve là une volonté d’être vrai avec soi même : « Je suis pas allé mettre de soutien
gorge d’abord parce que j’avais pas le temps, et je me suis dis « c’est pas très grave, après
tout, je m’assume. Voilà, je suis une femme et il me manque un sein. C’est pas grave », « Ce
qui est important c’est d’être vraie. »
S’affirmer, c'est demander à être reconnu pour ce qu’on est, malade, mais personne avant
tout : « y’a des mots qui font mal, y’a des mots qui sont très très douloureux, y’a des mots qui
sont très très difficiles et qui, et qui font mal … « t’es nulle », ou «tu comprends rien », euh …
« pauvre con », euh, des mots qui vous rabaissent, des mots qui nient votre propre
personne. » D’où cette belle formule, lapidaire et qui résume tout : « mais … qu’on
s’intéresse à moi. Moi aussi j’compte » .
c - Un être responsable
Pour certains, le contrôle de sa vie peut aller jusqu’à évoquer d’y mettre un terme
volontairement : « moi je serais capable de m’empoisonner, j’ai des cachets, j’ai … j’avale
tout et allez … », « alors je me disais oh la la … il vaut mieux que le bon Dieu …mais après
j’ai regretté de dire ça, j’ai demandé pardon, parce qu’on demande pas la mort, hein ? »
Il peut aussi s’agir de l’anticipation du futur, et le problème est alors d’imaginer ses enfants
sans père ou sans mère : « Ils sont grands, maintenant, mais ils ont besoin d’une mère », « en
fin de compte, c’est mon plus gros problème, de les laisser tomber comme ça, au moment où
ils ont besoin de moi … parce que je me rends compte que même s’ils sont grands, ils ont
encore besoin de moi. De leur mère », « … m’occuper de mon petit. Il a encore besoin de moi
pour beaucoup de choses… Aujourd’hui, il se débrouille pour beaucoup de choses, mais c’est
pas pareil, il a besoin de moi. »
Etre reconnu comme une personne, mais une personne en relation
* La communication et les supports de la relation
« on a besoin de présence, on a besoin de quelqu'un qui parle, on a besoin de … de …paroles
réconfortantes, c’est très important … on peut pas, on peut pas vivre cette maladie seul, ça
c’est clair … »
« Quand on est malade, on a besoin d’être écouté, d’avoir l’impression que les gens
s’intéressent à votre problème».
« j’ai besoin qu’on me touche, j’ai besoin qu’on me caresse, j’ai besoin qu’on me prenne
dans les bras, j’ai besoin … j’aurais besoin d’être entourée … »
« j’ai mon gendre qui me fait des massages aux jambes, aux pieds, … et ça se passe très
bien. »
Certains patients mettent en avant la prière comme mode de relation et de communication :
« quand je prie, parce que je prie beaucoup de fois le chapelet dans la journée … je me sens
bien après, je sais pas », « je demande à mon ange gardien d’être là ou je prie Dieu … et ça
m’aide beaucoup … oui je crois que c’est la foi… »
* Aimer et être aimé
« parce que quand on a une maladie grave on a envie de se raccrocher aux autres, et on a
envie que les autres se raccrochent à vous et qu’ils vous aiment »
« Si on pouvait venir chez moi, me rendre visite, sans … besoin que je demande. On
m’appelle, on me dit qu’on vient … voilà ce que je souhaite. »
« Difficulté ? y’en a pas … qu’ils soient loin, quoi, j’aurais voulu qu’ils soient près. Les avoir
autour de moi, sinon non. »
« hier, j’étais en pleine forme, parce que l’infirmière est venue pour voir si je faisais bien mes
bains de bouche … », « Je me sens bien avec eux, alors, elles se sentent bien avec moi, vous
savez ! Elles viennent souvent »
Dans ce temps présent, intense, le malade ressent un grand besoin de présence. En fait, très
nombreux sont les patients qui souffrent de la solitude
− « C’est pas comme ici, y’a pas un chat … ouais ça manque de contact … »
− « Oui, je suis seul, je suis seul, un peu triste … oui c’est triste quand on est seul »
− « être toujours seul, en regardant les quatre murs. C’est la vie, c’est dur, mais je
m’habitue »
La disponibilité des soignants, une disponibilité faite de qualité de présence : « Il est très
intelligent, il est … en même temps il est présent par rapport à ses patients. Il hésite pas à
m’appeler », « je dirais que j’aimerais qu’il y ait plus de gens comme vous [Le Pallium –
réseau de soins palliatifs à domicile], parce que je dirais … l’hôpital, les gens des hôpitaux
sont pas aimables, ils ont beaucoup de travail, trop de choses à faire … ils sont submergés de
travail, c’est difficile de travailler dans un milieu où on doit être, … faire preuve
d’humanisme » ou bien encore : « parce qu’avec les gens du Pallium, je me sens très très
bien, en totale confiance, alors ça c’est déjà quelque chose, ils sont extrêmement gentils, à
portée de main, je dirais, dès que ça va pas, ils arrivent »
La présence, au travers de la méditation ou de la prière : « Mais il m’arrive d’être vraiment
habitée et de … et de me sentir … de sentir que je ne suis pas seule », « le matin je remercie
le bon Dieu d’être encore là … ben oui, hein, il est chaque nuit à côté de moi. »
Recevoir
« Qu’est-ce que vous attendez d’eux finalement, les médecins ? »
•
« J’ai besoin d’amour moi »
•
« Un peu de compassion »
•
« de la gentillesse, beaucoup de gentillesse, parce que ça, ça aide beaucoup, la
gentillesse …»
Donner
Et donner de l’amour passe pour certains par une parole vraie, dans le quotidien : « Je vous
dis moi je l’aime beaucoup, qu’est-ce que je leur dis « je t’aime » ! mais… « je t’aime » …
maintenant je les voudrais … même mon nounours, c’est mon fils, c’est un gros nounours.
Vous savez, tout gentil, tout doux, il a 45 ans, je lui dis « je t’aime »
Les conflits : les difficultés de la relation
C'est la gestion de la maladie pour les proches qui est problématique, en particulier pour les
enfants : « Le plus grand, en ce moment c’est difficile, … il est très agressif. Il a des mots très
durs pour me parler … je sais que c’est sa façon de se défendre » « les conflits, … quand
c’est difficile avec mon fils, le plus grand, … », « la petite, euh, a été très perturbée. Elle a
beaucoup … oh, elle m’en fait voir de toutes les couleurs, parce que c’est très compliqué pour
elle »
Appartenir à un groupe :
Il est intéressant de laisser les patients décrire eux-mêmes les personnes qui les entourent et de
pointer les relations d’appartenance communautaire qui se dégagent de cette description. On
peut citer le réseau de soins en général, mais aussi les réseaux professionnels, militants, le
couple, la famille, l’entourage non familial et non soignant, les soignants, le groupe des
malades et l’humanité en général.
Par exemple : « La Ligue, c’est important, ça permet aux gens d’échanger, de partager ce
qu’ils vivent, et je me rends compte que j’ai de la chance … »
« Oui …Monsieur le curé il est venu me confesser, et puis il est venu me donner la
communion, et puis après c’était une dame, sœur … je sais plus comment elle s’appelait, qui
venait me la donner, alors je restais sereine, je pensais plus au mal que j’avais »
La fraternité peut s’exprimer dans le cadre d’un partage moins formel : « J’ai appris
beaucoup… j’ai appris beaucoup de gens que j’ai rencontré à l’hôpital, de courage, de joie,
de … c’est fou … je crois que c’est des gens qui sont habités par Dieu. »
3 - Vie future : les conséquences de l’absence de futur envisageable
a. Vision du futur : une obligatoire ambivalence
Lorsque l’on évoque l’avenir, la plupart des patients dit : « je n’ai pas d’avenir », avant de
rentrer dans un peu plus de nuance. En effet, les patients cancéreux sont confrontés avec une
grande violence à la finitude de la vie humaine. Dans la réalité, la vie semble plus forte que ce
futur fermé, que ce risque permanent. Ils exposent plusieurs « sources » de vie, dont l’espoir,
incontournable dans la plupart des rencontres. Entre ces deux extrêmes, entre la vie et la mort,
la seule position tenable est celle qu’on peut nommer « ambivalence » et qu’ils décrivent avec
beaucoup de précision.
« Non la maladie, je pense que ça m’a fait prendre conscience qu’on n’était pas éternel »
« Je pensais pas que je pouvais choper cette maladie là … et … quand ça arrive … on a
l’impression que le monde nous tombe sur la tête, c’est vrai »
A l’inverse : « on dirait que je savais déjà que je devais avoir quelque chose de grave. »
« Des projets ? non, j’en n’ai pas, je peux pas. On sait jamais ce qui va arriver. »
* La notion de clairvoyance s’impose :
« bon je sais que remarcher, c’est peut être pas dans le domaine des choses possibles », « je
demande pas à Dieu de me guérir », « Ce que j’attends … je sais … pas un miracle, qu’ils me
guérissent, mais qu’ils me soulagent pendant quelques années. C’est tout. »
* La notion de non-sens de la maladie :
− « J’en n’ai pas de sens ! ça m’est tombé dessus comme … »
− « Est ce qu’il y a un sens, justement, on se demande, c’est sûr qu’on pourrait s’en
passer, on pourrait s’en passer. »
− « Non, je donne pas d’explication … non, je pense qu’il n’y en a pas. »
* Et d’injustice :
− « quand je vois des gens qui fument, qui boivent, qui font pas attention à eux et qui
n’ont rien, je me dis que c’est pas juste. »
− « Et mon mari a déjà subi avec sa mère, et son père et me r’voilà avec euh … donc je
trouve que c’est pas juste. Pour lui. »
* Là où Dieu frappait il y a quelques décennies, c’est le destin qui est aujourd’hui tenu pour
responsable
− « Euh, comme un destin qui a frappé. La vie je la supporte, un destin qui a frappé »
−
« Je voulais pas faire de peine à mes enfants, ils sont jeunes. Bon… si c’est le destin,
…»
Dans certains cas, entre Dieu et le destin, il y a incertitude, mais il y a un coupable : « La
destinée … c’est Dieu qui l’a décidé peut être ainsi … on peut pas savoir … peut être …
je ne sais pas si j’ai mérité ce que j’ai … »
* L’espoir, moteur de la vie
L’espoir est présent, il s’exprime sur tous les tons, et sur tous les sujets. Quelquefois, il est un
peu fou cet espoir, et exprimé comme tel : « … la vie, la vie … de guérir, en ce qui me
concerne … guérir ! le mot magique ! C’est à dire que mon corps retrouve toute sa structure,
redevienne parfait. Et guérir … ».
Des espoirs concrets : espoir d’amélioration de leurs symptômes, de la maladie : « donc …
dans 2-3 mois … ça va revenir, les forces elles vont revenir, elles vont revenir un peu comme
avant. Peut-être pas autant, mais un peu … »,
Encore plus de réalisme : « Ce que j’attends … je sais … pas un miracle, qu’ils me guérissent,
mais qu’ils me soulagent pendant quelques années. C’est tout. »
L’absence d’espoir : « c’est ce que je disais on a plus trop de bonnes nouvelles, alors c'est
plus décevant que rafraîchissant, quoi. C’est dur à vivre … il faut vivre avec, on n’a pas le
choix… »,
L’annonce d’un pronostic chiffré, une date butoir : « effectivement je regrette, parce que
maintenant ça me bloque, pour plein de choses, comme un couperet qui serait tombé … et
puis d’avoir perdu un peu dans le côté … espoir, parce que maintenant je me fixe … des
années qu’on m’a données, comme une date butoir, et ça je trouve que c’est pas bien »
Les sources d’espoir : Les patients trouvent l’espoir au travers de plusieurs sources : la
comparaison aux autres patients, auprès de leur entourage, grâce à la médecine et enfin au
travers de la spiritualité.
« et les chercheurs, ils cherchent … ils trouvent, et quand ils trouvent, y’en a d’autres qui
reviennent derrière et qui continuent à chercher. »
« Moi je demande à la Vierge Marie, ben Notre Dame de Fatima …si je mérite d’être guérie,
qu’elle me guérisse, mais sinon, durer quelques années encore. »
Enfin l’espérance peut être dans la suppression définitive des souffrances dans la mort, et une
vie meilleure dans l’au-delà : « J’ai lu des livres, sur la foi, des livres spirituels, … qui
m’aident, qui me donnent … de l’espérance … », « l’espérance que ça s’arrête … un jour …
Je suis persuadée que ça peut pas durer ces choses là, je suis absolument persuadée, je suis
croyante, …je sais qu’il y a un Dieu … qui permettra pas indéfiniment ces choses là, et qu’un
jour il débarrassera la Terre de ces choses. »
Envisager un futur : La plupart des patients formulent des projets dans les entretiens, petits
projets, grands projets, … l’essentiel est d’en faire :
− « J’ai des projets, j’en ai toujours eu, c’est important pour moi de pouvoir faire des
petits projets, dans un futur … proche, histoire de me donner un objectif. »
− « je n’ai [rien] devant moi à part ces projets que je fais, peut-être faire un petit
voyage, faire du bricolage, finir mes chaises que j’ai commencées … »
− « aller beaucoup mieux, de jour en jour, parce que j’ai le mariage de mon fils le 2
juillet, pouvoir être bien ce jour là, pouvoir l’accompagner à l’église »
* Un désir de vie : « ça doit pas s’arrêter là, la vie continue malgré ça …la vie elle continue,
et il faut que ça continue, quoi »
− « Ça me donne de la force, je prie beaucoup, la Vierge de Fatima »
* La réconciliation et le pardon
Plusieurs types de réconciliation dans les entretiens : réconciliation avec soi, avec son histoire,
avec les autres et avec Dieu.
« Ah, ma plus belle émotion, c’est que j’ai retrouvé ma fille … je l’avais pas vue depuis des
années ».
« alors je me disais oh la la … il vaut mieux que le bon Dieu …mais après j’ai regretté de
dire ça, j’ai demandé pardon, parce qu’on demande pas la mort, hein ? », « après la mort ?
Après la mort je ne sais pas parce que, qu’est ce qu’on va trouver de l’autre côté … je
voudrais que le bon Dieu me pardonne les péchés que j’ai fait, et je ne sais pas où il va
m’envoyer après.»
* La notion d’ambivalence
Face à ce double mouvement de confrontation violente à la mort et de lutte pour la vie à
travers l’espoir, la construction d’un futur et la réconciliation, le patient est finalement
apparemment obligé de tenir une ligne très difficile.
« Ah, c’est la baisse du moral, d’un seul coup … et puis ça repart »
« … comme ci comme ça. Le jour ça va, mais la nuit, ça va très mal », « aujourd’hui, ça va,
ça va un petit peu mieux, il y a des jours où ça va pas »
L’ambivalence c’est comme une « ligne de crête » (l’expression est du Père Vimort : 66-67),
cette situation périlleuse du patient tiraillé entre la vie et la mort, entre la lutte et la
capitulation, entre l’espoir et la désespérance.
− « mais au fond je suis dans un combat depuis des mois, à chaque fois j’encaisse de
nouvelles complications, je gère, … mais je sais bien qu’un jour, la maladie aura le
dessus … »
Face à leur avenir, et au cœur de cette ambivalence par rapport au futur, les patients se
trouvent obligés de se poser la question concrète de leur mort.
b. Vision de la mort
Notre mort est la dernière inconnue, vécue seule, par définition inenvisageable. Cependant,
les patients confrontés à cette mort probable et même prochaine se posent inévitablement la
question du comment.
1. Penser sa mort
-
« Et pour dire aussi que ça peut arriver, et le problème c’est que ça arrive souvent [la
mort]… donc il faut y penser. Oui, j’y pense souvent. »
− « je pense que la fin de la vie, la mort, est simplement un passage d’une vie à
l’autre. »
− « Finalement, c’est une naissance dans une autre vie, c’est … ouais c’est ça, c’est un
accouchement dans une autre vie. »
Pour certains, la mort est attendue : lassé de la souffrance, de la stagnation, de la maladie,
certains patients expriment une hâte du moment où tout sera enfin fini :
− « je me suis dit que le plus vite que je partirai, ce serait le mieux. Mais ça n’en finit
pas … »
Imaginer sa mort, pour certains patients, c’est aussi tenter de garder un certain contrôle sur
elle : « Je voudrais mourir dans la dignité, je voudrais mourir à ma façon. »
Parler de sa mort
« je sais que je guérirai pas, je marche au jour le jour, je prends les choses comme elles
viennent. »
« je vais pas dire que je m’y prépare … encore si c’est ça, je me prépare sans m’y préparer,
… j’y pense en me disant que je ne dois pas avoir peur. »
« Mais je vous dis j’ai pas peur de la mort, si jamais ça m’arrive … la vie est comme ça, hein
… ».
Les difficultés à parler de sa mort :
« et puis bon ils sont jeunes, ils sont remplis de vie, j’ai pas envie de les embêter avec ça. Ils
ont autre chose à penser que la mort. »
− « On n’en parle pas, parce que je veux pas non plus dramatiser les choses, et puis
bon, je les ai pas préparés, parce que bon, c’est difficile »
− « mais je sais qu’ils sont restés tristes [après l’annonce du diagnostic], bien sûr
…mais je veux pas parler, de ça pour les rendre encore plus tristes … »
2. Les peurs concrètes
La plus répandue de ces craintes, c’est celle de souffrir :
− « Non, le futur, j’en sais rien … mourir … sans souffrir, surtout, c’est surtout ça. »
− L’investigateur : « Le fait qu’on vous ai dit que c’était un cancer, pour vous ça vous
évoquait quoi ? »
− Le patient : « Eh ben, qu’on en meurt, et quelques fois dans d’atroces souffrances … »
− « j’ai peur de m’étouffer … »
3
- Préparer sa mort et la suite
Préparer sa mort, c’est à dire, dans la diversité : dire ce qui doit être dit, préparer
concrètement ses obsèques, la succession, les papiers … pour garder encore un peu l’illusion
du contrôle, et ne pas se culpabiliser de peser sur son entourage
* Le testament moral
ces paroles à dire avant de partir, ce qui reste à faire pour partir en paix, et pour tenter de se
survivre à soi même à travers quelque chose : une maison, une famille …
« Je voudrais laisser des mots, faire un testament, beaucoup de choses à faire »
− « parce que si je dois faire des papiers, des affaires, autant que je les fasse »
− « et puis y’a la question de la garde de X .… »
− « Je vais essayer d’organiser moi même mes obsèques, comme ça au moins je serais
sûre, parce que j’ai envie d’avoir à moment donné, j’ai envie que Céline Dion me
chante l’Ave Maria, je trouve qu’elle le chante tellement bien, c’est tellement prenant,
c’est tellement beau »
* Les enjeux de la préparation de sa propre mort :
« Réfléchir » est le mot utilisé par certains patients pour exprimer leur questionnement sur
« la suite », sur le mystère de ce qui se passe après la mort :
− « De temps en temps, la grand mère elle me dit : « vous dormez ? » mais je dors pas je
réfléchis … »
− « J’ai pas le temps de prier. Je réfléchis … »
c. La vision de l’au-delà
Finalement, la vision que les patients mettent en avant de ce qui peut se passer après la mort
est le reflet de ce qu’ils ont vécu. On retrouve les thèmes de l’éducation, des valeurs de vie,
très proches des idées de permanence.
Le rôle de l’éducation :
« J’y pense pas pour l’instant, on verra plus tard …Je suis catholique, mais non croyante …
non pratiquante. »
« Je crois qu’il existe, l’au-delà, l’esprit, l’âme. Oui. C’est … j’ai été imprégné un peu par la
doctrine bouddhiste sur la réincarnation. Peut-être ça existe, c’est possible. »
En ce qui concerne les patients se rattachant clairement à une tradition religieuse, on peut citer
cette étape classique du doute de la fin de la vie qui transparaît dans deux entretiens : à la fin
de sa vie, celui qui a placé toute sa confiance en Dieu peut être traversé par le doute, par la
peur de s’être trompé et d’être déçu.
Une des patientes donne un très bel exemple de ce que peut être la « théorie » du
détachement. Voici ce qu’elle explique : « Etre né pour mourir, ça n’a pas de sens. En réalité,
naître, la naissance c’est comme, la naissance et la mort c’est pareil, c’est un passage d’une
vie à l’autre. Avant ma naissance je n’existais pas, donc j’étais morte. Ensuite je suis née, je
suis passée d’une vie à une autre, je suis arrivée dans un monde que je ne connaissais pas, et
je pense que la fin de la vie, la mort, est simplement un passage d’une vie à l’autre.
Finalement, c’est une naissance dans une autre vie, c’est … ouais c’est ça, c’est un
accouchement dans une autre vie. Le truc, c’est que on laisse tout, on laisse tous les gens
qu’on aime sur terre, quoi … et c’est vrai que je suis très attachée à certains … mais j’crois
aussi que dans la vie il faut … c’est pour ça que la vie est vachement bien faite, c’est qu’il y a
une période de détachement, je pense que … la vieillesse prépare à la mort justement parce
que c’est une période de détachement. C’est une période où on se détache petit à petit,
d’ailleurs toute sa vie on se détache de sa jeunesse, finalement on a plein de petits deuils
perpétuels, on a le deuil de son enfance, on a le deuil de son adolescence … voilà on fait plein
de petits deuils, on fait … et finalement c’est progressivement que ça se fait. »
Conclusion
Le docteur Rougeron conclut son intervention en indiquant avoir survolé un certain nombres
d’axes de lecture des besoins spirituels de patients en fin de vie, dans un contexte particulier,
celui du domicile. Le cœur de cette lecture est la nouvelle définition du temps pour ces
patients confrontés à leur mort de façon proche et réelle.
Le poids du passé, de la relecture de sa vie pour ces patients : se souvenir, tenter de trouver un
sens à ce qui a été vécu, à ce qui n’a pas pu être vécu, accepter ses choix comme
irrémédiables et porteurs d’un sens pas toujours évident … et ceci dans le but inconscient de
valoriser sa vie, et de se reconnaître maillon d’une chaîne universelle, pour assumer son
présent et surtout sa mort.
Le présent revêt pour ces malades une place extrêmement importante, il y a comme urgence à
profiter, à vivre, à être … tant qu’il est encore temps. Les patients ne sont pas que des
malades : ils sont des êtres vivants, au sens le plus fort du terme : ils sont en vie, dignes et
responsables, et en relation.
Confrontés à leur finitude, souvent avec une grande violence, ils mettent en place une tactique
pour continuer à vivre, c’est l’ambivalence, cette ligne de crête entre vie et mort, entre savoir
et occultation : « je sais que je vais mourir, mais je suis vivant encore ». Les patients se
construisent alors un futur, marqué d’espoir et de petits projets, car c’est là le carburant de la
vie, de la vie jusqu’au bout. La mort n’est pas absente, elle est pensée, préparée. L’au-delà est
imaginé, dans la droite ligne de ce qui a été vécu.
Rappelant que c’est l’ultime façon de vivre que de mourir, le Docteur Rougeron ponctue son
intervention en citant François Varilon.: « l’art de mourir au cœur de l’art de vivre ».
Discussions avec la salle
La soirée se termine par une courte séance de questions-réponses avec la salle. Une personne
dit regretter que le docteur Rougeron ait choisi de présenter longuement l’interview d’une
patiente croyante laissant ainsi penser qu’un amalgame entre religion et spiritualité était
possible. Le docteur Rougeron rappelle que la religion est une des manifestations possibles de
la spiritualité. La spiritualité ne saurait se limiter à la religion, chaque être possède en lui une
expression de spiritualité qui lui est propre, certains en expriment une partie à travers la
religion. Il a choisi de lire le témoignage de cette patiente parce qu’il abordait de nombreux
points du fil conducteur de la présentation qui suivait. Le fait que cette patiente soit croyante
n’est pas entré en ligne de compte dans ce choix. D’autres personnes ayant assisté à la
formation confirment cette idée en indiquant qu’ils n’ont pas fait attention au fait que la
patiente soit croyante parce que la force du récit dépassait ce niveau de lecture.
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