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Enseigner le dix-septième siècle : Au-delà du dualisme
par
Bernadette Höfer
L’énigme de la relation entre l’esprit et le corps occupe une
place considérable dans les médias et s’avère un facteur de grande
actualité. Les revues et journaux américains Newsweek, Scientific
American ou The New York Times relatent inlassablement les
constantes recherches scientifiques visant à résoudre les questions
suivantes à la fois brisantes et irrésolues : Comment décrire la
conscience ? Qu’est-ce qu’une émotion, un sentiment ? Comment
se fait la transmission de la joie, de la tristesse ou de la souffrance
entre cerveau, corps et esprit ? Comment peut-on comprendre nos
comportements éthiques ? La nouvelle vogue du yoga et de la
méditation ou la grande résonance internationale aux entretiens
avec le Dalaï-Lama sur la relation de l’esprit avec le corps,publiés
par Daniel Goleman1, témoignent encore de l’intérêt populaire
concernant le sujet. Pourtant, paradoxalement, comme le constatent
le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, auteur de L’homme
neuronal (1993) ou le philosophe américain Daniel Dennett dans
Consciousness explained (1991), l’héritage problématique du
dualisme de Descartes persiste dans notre manière de penser ou
d’approcher la réalité bien que nous le considérions obsolète et
reconnaissions l’union entre le corps et l’esprit. La démarche
scientifique de l’avenir doit constituer une libération du « dualisme
cartésien » — soit avec lui — l’idée d’un lieu central dans le
cerveau où l’âme et le corps se rencontrent (Dennett 1070).
Lorsque le neurobiologiste portugais éminent, Antonio Damasio,
évoque le dix-septième siècle, c’est pour y percevoir l’opposition
entre Descartes et Spinoza. Dans Descartes’ Error (1994), il
reconnaît que Descartes fut un grand penseur, mais réfute la
scission de l’esprit et du corps dans laquelle il voit son « erreur »
1
Daniel Goleman, Healing Emotions. Le titre de la traduction française
révèle davantage que les questions débattues tournent autour de la
relation entre l’esprit et le corps : Quand l’esprit dialogue avec le corps :
Entretiens avec le Dalaï-Lama sur la Conscience, les émotions et la
santé. Trad. Par Philippe Cornu.
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BERNADETTE HÖFER
principale. Son livre le plus récent, Looking for Spinoza (2003),
tend à montrer que Spinoza a proposé une conception stupéfiante,
de type moniste, de la relation entre le corps et l’esprit, restée
longtemps ignorée ou incomprise, et pourtant révolutionnaire et
conforme aux théories actuelles dans son appréhension des
affects2.
Ces publications récentes traduisent la brisance de ce thème
d’actualité. The New York Times du 26 juin 2007 publiait un article
intitulé « Science of the Soul ? ‘I think, Therefore I Am’ is Losing
Force ». Cet article décrit l’entreprise bouleversante des
neuroscientifiques cognitifs et des biologistes évolutionnaires de
montrer que la conception du dualisme des substances ne domine
plus la science et la philosophie actuelles mais que, par contre, elle
continue à s’exercer dans notre façon de penser quand, par
exemple, nous continuons à éprouver du respect et de
l’émerveillement vis-à-vis de l’esprit omettant de lier ses
performances à des phénomènes physiques (Damasio, Looking for
Spinoza 189-90). Dans son livre The Emotional Brain (1998), le
neurologue Joseph LeDoux tente d’en finir une bonne fois pour
toutes avec la conception cartésienne du primat de la raison et
substitue au cerveau rationnel l’idée d’un cerveau émotionnel.
Après trois cents ans de savoir scientifique fondé sur l’hégémonie
de la raison instaurée par Descartes, nous vivons à notre époque
« la révolution des affects » (Eakin 2003).
2
En même temps, les neurosciences déplorent que le corps demeure à
nouveau prohibé, héritage de Descartes selon eux. Une étude allemande
récente a lancé un concours d’écriture pour les étudiants universitaires
sur la question « combien de corps l’homme doit-il avoir ? » [Gero von
Randow, éd., Wie viel Körper braucht der Mensch?] Le résultat fut que
dans la société actuelle, la notion d’avoir tout simplement un corps est
perdue. Lorsque nous naviguons pendant des heures dans le monde
virtuel jusqu’à-ce que nous brûlent nos yeux ou lorsque nous essayons de
nous construire un corps impeccable en nous entraînant dans les
gymnases, il nous paraît que le corps ne soit pas le siège de nos
sentiments, mais un lieu de « production ».
AU-DELÀ DU DUALISME
157
La préoccupation de nombreux penseurs actuels envers
Descartes et Spinoza est frappante. Elle indique d’un côté une
confrontation explicite avec le dix-septième siècle des
neuroscientifiques et philosophes de l’esprit. De l’autre, elle
montre que les enquêtes et les tensions qui traversent les
disciplines scientifiques à l’aube du vingt-et-unième siècle
existaient déjà au dix-septième siècle. Bien sûr, la terminologie et
la nature des investigations ont été bouleversées par le progrès
scientifique. Mais en même temps, les neurobiologistes se placent
explicitement et résolument sous l’égide du pionnier du dixseptième siècle : Spinoza. La référence au dix-septième siècle ne
se borne donc pas à un simple rejet de Descartes. Il faut noter
l’extrême attention portée à la conception spinoziste qui cautionne
l’idée du primat de l’esprit sur le corps. Si, pour les
neurobiologistes, le dix-septième siècle est plus qu’un engouement
particulier et qu’ils revendiquent une filiation directe avec cette
époque, il est donc indéniable que ce rapport nous invite à une
réflexion sur les découvertes de ces penseurs du dix-septième
siècle qui nourrissent le débat actuel. Le débat contemporain connu
sous le terme anglais « the mind/body problem », à savoir si
l’esprit et le corps forment deux substances différentes ou une
seule substance unique a été lui aussi un centre prépondérant au
dix-septième siècle.
L’approche que nous envisageons est donc de montrer
comment le dix-septième siècle pose les questions clés qui
resurgissent de nos jours. Nous enquêterons sur le dialogue
implicite entre le dix-septième siècle et le vingt-et-unième siècle.
Tout en soulignant les mérites de Descartes, nous nous pencherons
sur les impasses de sa pensée. Pour cela nous puiserons dans
d’autres sources qui offrent une solution au problème laissé
inachevé par Descartes. La pensée médicale de l’époque qui
s’inspirait de la médecine galéniste précédant Descartes et
éradiquée de la vision du philosophe mettait corps et esprit sur un
pied d’égalité. Nous découvrirons encore des voix littéraires
signifiantes qui affirment que l’esprit est inséparable du corps.
Bien sûr, ces problèmes ne datent pas exclusivement du dixseptième siècle. La médecine ancienne tout comme la philosophie
158
BERNADETTE HÖFER
classique se posaient la question de la nature et de l’interaction des
substances. Mais il s’agit dans ce cours de s’intéresser à la filiation
entre le dix-septième siècle et la neurobiologie des affects, plus
précisément encore, aux idées de la correspondance entre le corps
et l’esprit qui réapparaissent dans les théories actuelles et qui par-là
lient les deux siècles. Les approches « cognitives » à la littérature
gagnent progressivement en notoriété et nous montrent que la
science cognitive peut contribuer de façon signifiante à
comprendre des textes littéraires et seconder notre entendement des
contextes historiques et culturels dans lesquels ils s’inscrivent. La
connaissance établie par les sciences cognitives nous permet
d’abandonner des modèles théoriques obsolètes et de réorienter nos
études vers des angles de perspectives qui semblent plus
pertinentes de nos jours. Plus spécifiquement, le souci est de
montrer que certains thèmes ne se laissent pas trancher en des
disciplines différentes mais méritent une perspective comparatiste
et intégrée. En même temps, en dehors de son interdisciplinarité,
l’objectif de ce cours demeurera le développement de la capacité
de réflexion critique et de l’aptitude linguistique des étudiants par
la lecture, la discussion et l’écriture.
Nous aborderons l’étude de la relation entre l’esprit et le corps
à travers une variété d’approches — littéraire, philosophique,
médicale, culturelle —
et ajouterons aussi les théories
neuroscientifiques actuelles. Pour procurer à nos étudiants une
connaissance de textes canoniques, ce cours inclura la lecture de
trois textes littéraires intégraux : Le Malade imaginaire ; La
Princesse de Clèves ; Phèdre ainsi que des extraits de Pascal et
Descartes et autres auteurs moins connus. De même, les étudiants
seront confrontés dans leur langue maternelle avec des textes
actuels du domaine des neurosciences.3.
3
Le corpus se compose de Descartes, Méditations métaphysiques. Les
Passions de l’âme. Œuvres et Lettres (tous lus en extraits). Pascal,
Pensées (extraits). Spinoza, Ethique (extraits). Molière, Le Malade
imaginaire. Lafayette, La Princesse de Clèves. Racine, Phèdre.
AU-DELÀ DU DUALISME
Partie 1 : Perspectives philosophiques et moralistes4
159
Ce cours commencera par souligner l’actualité des questions
évoquées et cherchera à l’aide de questions préliminaires discutées
collectivement à définir des notions de base : le monisme, le
dualisme, la connaissance et le rôle joué par le corps dans
l’acquisition de la connaissance. Le problème de la relation entre
l’esprit et le corps sera d’abord étudié à travers la conception
dualiste préconisée par Descartes. Les étudiants liront comme
devoirs des passages choisis tirés des Méditations métaphysiques
(1641), de la correspondance avec la princesse Elisabeth et du
Traité des passions (1649). La discussion en cours tournera
d’abord sur la distinction cartésienne catégorique entre deux
substances de valeur différente : l’âme (ou l’esprit) et le corps.5 À
l’opposé de l’esprit, le corps matériel n’a pas la capacité d’affirmer
sa propre existence et comme principe de mouvement, le corps est
a priori un automate naturel, une machine, qui en tant que
mécanisme libre, existe entièrement à part et se trouve dépourvue
de toute capacité autoréflexive (Méditations 91)6. Au cœur de la
philosophie cartésienne se trouve une séparation entre chaque
substance dont un attribut particulier définit la nature. Ainsi, la
substance pensante se démarque par la pensée et la corporelle par
l’extension.
Comment peut-on alors envisager la communication entre
l’esprit immatériel et le corps matériel ? L’étude de passages
choisis des Passions de l’âme servira à lancer la discussion sur
cette interaction que Descartes explique à travers les passions et
matériellement à travers le rôle physiologique de la glande pinéale
4
Une version analogue à ces trois parties mais plus développée
méthodologiquement paraîtra sous la direction de Derval Conroy en
2010 dans un volume portant sur l’enseignement interdisciplinaire au
dix-septième siècle.
5
6
Descartes utilise le mot esprit ou âme de façon interchangeable.
Nous pourrions ajouter la lecture de la « Lettre au Marquis de
Newcastle », le 23 novembre, 1646, dans Bridoux, éd., Oeuvres et lettres
1255.
160
BERNADETTE HÖFER
située au milieu du cerveau et celui des esprits animaux (Art. 31).
Même si Descartes connecte les deux substances différentes et
inégales, cette interaction laisse de nombreuses imprécisions. Nous
aborderons alors d’autres voix de l’époque classique qui
réprouvent cette forme d’interaction. Sous forme de courtes
présentations, les étudiants s’attacheront par exemple à la critique
exprimée par Elisabeth de Bohême dans sa correspondance avec
Descartes. 7
Il s’agira aussi de rectifier les erreurs attribuées à Descartes. Le
livre de Erec Koch intitulé The Aesthetic Body pourrait servir à
l’étude du principe physiologique à la base des passions de l’âme
chez Descartes. Koch nous invite à repenser le dualisme cartésien
en nous offrant une possibilité de contact entre les substances.
Descartes indique que l’âme peut être sujette aux sensations et aux
passions qui naissent dans le corps. On pourrait ajouter le point de
vue d’autres critiques modernes qui, au lieu de se focaliser sur
« l’erreur » de Descartes, mettent l’accent sur sa valeur : le
philosophe pose et essaie de résoudre des questions essentielles
concernant la définition du soi et de la conscience. Descartes
postule que la conscience de soi se trouve dans l’esprit qui est
distinct du corps.
Son contemporain Bénédicte Spinoza cautionne l’idée du
primat de la pensée et détermine dans son Ethique (1677) qu’il est
nécessaire d’étendre l’esprit à la connaissance du corps. L’esprit
n’existe pas en dehors du corps comme chez Descartes mais fait
partie de la matière corporelle, ayant comme fonction de
représenter les idées des affections physiologiques. L’affect est
donc l’idée par laquelle l’âme s’imagine l’état actuel du corps, et
Spinoza renforce par là le principe de dynamisme entre le corps et
l’esprit. A cet égard, c’est bien le corps qui donne lieu à la vie de
l’esprit ; l’esprit n’existe qu’en tant que puissance d’agir du corps.
L’homme peut donc être défini comme l’union de l’âme et du
corps. Les étudiants liront des extraits de la deuxième partie de
l’Ethique où Spinoza affirme par analogie qu’« un cercle qui existe
7
Descartes, « Lettre à Élisabeth », le 18 mai, 1645 (1183) et « Lettres à
Élisabeth », juillet 1647 (1280) dans Bridoux, éd., Oeuvres et lettres.
AU-DELÀ DU DUALISME
161
dans la Nature et l’idée du cercle – idée qui est aussi en Dieu –
sont une seule et même chose, qui s’explique par des attributs
différents » (II, Prop. 7, Sc.) et que le corps est la même chose que
l’esprit, ce dernier étant seulement conçu sous un attribut
différent : «[l]’esprit humain, en effet, est l’idée même, autrement
dit la connaissance du corps humain » (II, Prop. 19, Dém.)8.
Nous nous tournerons alors vers un troisième grand philosophe
de l’époque, Blaise Pascal et étudierons les passages des Pensées
(1669) où celui-ci a recours à une théorie qui distingue bel et bien
deux substances différentes (Pensée 233-418 et Pensée 252-821)9.
Nous constaterons alors que, comme Descartes, Pascal privilégie
l’esprit en ce qu’il y reconnaît l’outil de la connaissance10.
Cependant cette distinction devient chez Pascal la base d’une
philosophie morale et non pas, comme chez Descartes, le
fondement d’une épistémologie philosophique et scientifique.
Pascal en tire non seulement cette conclusion qu’il est difficile
pour l’homme de distinguer les deux ordres (le corporel et le
spirituel), mais aussi la réflexion que la nature de chaque substance
est inconcevable pour l’humain et l’union de ces substances moins
concevable encore (Pensée 72-199). Nous analyserons également
comment Pascal transforme le dualisme cartésien de l’esprit et du
corps en produisant de nouvelles divisions binaires entre la
grandeur de Dieu et la misère humaine, entre la pureté divine et le
péché humain, entre l’amour épuré pour Dieu et la concupiscence.
Partie 2 : La mélancolie: Discours médical, artistique et culturel
Le problème de la relation entre l’esprit et le corps ne date pas
uniquement de l’époque de Descartes, tel que le soulignent les
neurobiologistes actuels. Tout en révélant l’influence du
8
Nous pourrions ajouter Spinoza, Ethique partie II, Proposition 13 et
partie III, Proposition 10.
9
On pourrait également inclure une lecture de Malebranche.
10
Voir chez Pascal: « Toute notre dignité consiste donc en la pensée.
C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que
nous ne saurions remplir » (L 347-200).
162
BERNADETTE HÖFER
philosophe français pour le « mind/body problem » actuel, il est
nécessaire de recourir à d’autres influences pré-cartésiennes qui
demeurent importantes au dix-septième siècle. La tradition
hippocratique et galénique soulignait déjà les rapports entre l’âme
et le corps. La santé du corps et celle de l’esprit s’influençaient
mutuellement. Lorsque le corps tombe malade, l’esprit se trouve
affecté lui aussi. De même, les maladies provoquées par des
conflits mentaux perturbent la santé physiologique. Les médecins
du dix-septième siècle avaient hérité la conception humorale de
l’organisme. On croyait que les humeurs du corps humain (le sang,
la bile noire ou la mélancolie, la bile jaune, la colère et le flegme)
déterminaient le caractère de chaque individu. Par exemple, une
légère accumulation du flegme rendait quelqu’un enclin à la
passivité. Lorsque les humeurs n’étaient plus bien équilibrées, cette
perturbation était associée à une maladie. Une accumulation
excessive de la bile noire rendait le mélancolique dépressif, le
dérèglement physiologique déclenchant des manifestations
mentales et corporelles. De même des pensées négatives pouvaient
mener à une accumulation de bile noire à l’intérieur du corps et
constituer la source d’agitations humorales. Nous nous tournerons
alors vers trois médecins représentatifs, penseurs qui semblent
effectivement rejeter tout dualisme dans leur observation d’un
concert entre perturbation physique et trouble mental. Nous lirons
des extraits d’André du Laurens : Discours des maladies
mélancholiques (1594) ; de Jacques Ferrand : De la maladie
d’amour ou melancholie erotique (1623) ; et de Robert Burton :
The Anatomy of Melancholy (1641) qui, bien qu’il ne fût pas
directement médecin, avait fait des études de médecine. Pour eux,
l’interdépendance entre l’accablement physiologique et mental est
à la fois diagnostiqué et pratiqué dans l’utilisation de remèdes
destinés à la guérison de la mélancolie. Ces médecins en viennent à
penser que la mélancolie est une maladie du corps et de l’âme. Ces
textes (par ailleurs nullement exclusifs) montrent qu’avant
Descartes, la tradition médicale avait pensé l’union entre l’esprit et
le corps et ressenti comment des processus humoraux (ou
chimiques) pouvaient être à la source de transformations mentales
AU-DELÀ DU DUALISME
163
et que c’est la correspondance entre le corps et l’esprit qui se
manifeste à travers les humeurs.11
Cette représentation moniste de la mélancolie se manifeste
également dans les beaux arts où elle est parfois représentée
comme une maladie, une espèce de tempérament sublime ou
associée même à la folie. Le catalogue de l’exposition du Grand
Palais sur la mélancolie intitulé Mélancolie, génie et folie en
Occident permettra par exemple aux étudiants d’étudier à travers
les tableaux artistiques deux concepts antagonistes : celui de la
mélancolie, manifestation du génie et celui de la mélancolie,
perturbation pathologique. La description des perspectives
s’effectuera à travers des mini présentations orales, le travail en
groupe, la discussion en classe et de brefs rapports écrits.
Nous étudierons 1. des images tirées de l’iconographie
chrétienne du Moyen Age (la représentation de l’acédia chez
Jérôme Bosch, La tentation de Saint-Antoine et Déodato di
Orlando, Saint Jean) ; 2. la notion des quatre tempéraments
(gravures de Johan Reinhard) ; 3. la fameuse estampe de Dürer
(Melencolia I) qui combine le portrait du tempérament
11
La question des sexes se manifeste également dans l’analyse de la
mélancolie et permet d’étudier de nouvelles divisions binaires
(homme/femme) et par la suite, l’effondrement de ces binarismes. Ce
débat intervient dans le contexte des possessions religieuses au début du
dix-septième siècle et trois thèses divergentes reviennent régulièrement :
véritable possession démoniaque, mal d’imagination ou mélancolie
féminine. André Du Laurens, Jacques Ferrand ou Marc Duncan, clament
nettement que la femme peut elle aussi être atteinte de cette maladie. A
cette idée s’oppose tout particulièrement Hippolyte-Jules de La
Mesnardière qui proteste obstinément et avec acharnement contre une
telle possibilité. Dans les développements consacrés à la mélancolie
féminine par la littérature médicale de la première moitié du dixseptième siècle, le dualisme prévaut, et les auteurs distinguent nettement
entre constitution masculine et constitution féminine. Les parties du
corps où se déclare et à partir desquelles se répand la maladie sont
soigneusement distinguées selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une
femme et hiérarchisées (cerveau, coeur, rate/foi et utérus). Cependant,
ces divisions apparaissent progressivement après les années 1650.
164
BERNADETTE HÖFER
mélancolique avec ses dangers et dons ; 4. des conceptions
alchimistes (Wolfgang Kilian, Emblême 4 dans M. Geiger,
Microcosumus) ; 5. le lien entre la mélancolie et la vanité (Bruegel
de Velours , La vue) ; 6. la tristesse comme l’une des
manifestations psychiques principales de cette maladie dans
l’iconographie médiévale et de la Renaissance ; 7. le rapport entre
la mélancolie et la mort (par exemple, Georges de la Tour, La
Madeleine à la vieillesse et Ferdinand Bol, Le vieux savant) ; 8. le
rôle de la musique comme un remède efficace aux tristes pensées
(la musique élisabethéenne ; Bernardo Cavallino , David jouant
devant Saül ; Giovanni Francesco Barbieri , Le Roi David )12 ; 9.
ou, au contraire, la musique profondément mélancolique (nous
pourrions, par exemple, incorporer le film d’Alain Corneau, Tous
les matins du monde).
Après avoir vu la prépondérance qu’adopte la mélancolie dans
les études médicales et dans les beaux-arts, nous mesurerons sa
portée dans la culture sociale du dix-septième siècle. A l’opposé de
la foule des manifestations artistiques, elle est décriée à la cour en
France et le courtisan se rend compte qu’il doit en camoufler ses
marques. D’un côté, elle est rejetée car elle renvoie aux années des
insurrections de la Ligue. De l’autre elle se heurte aux nouveaux
modèles sociaux de l’honnêteté. L’honneste-homme ou l’art de
plaire à la court (1630) de Nicolas Faret décrit cette étiquette de la
cour qui érige que l’art du courtisan consiste en la dissimulation.
La grâce du corps et la qualité de l’esprit vont de pair. Faret insiste
en particulier sur les règles concernant le corps, le courtisan ne
devant jamais subir passivement l’intempérance de ses humeurs ni
succomber au dérèglement que peuvent engendrer les passions.
« Etre maître de soi-même » et de son corps, contrôler ses humeurs
et ses affects est le principe énoncé par l’auteur en vue de guider
l’honnête homme dans son apprentissage de la vie à la cour du Roi
(163-165). La détermination du corps par la volonté de l’esprit
nous fait penser à au concept « l’âme généreuse » des Passions de
l’âme : tout courtisan garde secret ses dérèglements intérieurs. La
12
Tous ces exemples sont tirés de Clair, Jean. éd. Mélancolie, génie et
folie en Occident.
AU-DELÀ DU DUALISME
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culture de la cour insiste sur l’entretien de l’âme et du corps par
une surveillance rigoureuse de soi-même.
Partie 3 : Voix littéraires
Le territoire d’antagonismes binaires entre esprit et corps,
homme et femme, culture et nature, « trois dichotomies
pernicieuses », selon Lawrence E. Cahoone (233-234) est examiné
sous une perspective critique par Molière, Lafayette et Racine à
travers la maladie de l’esprit et du corps de leurs personnages. Ces
trois auteurs ne séparent plus, comme le fait Descartes, la réalité
intérieure et l’espace extérieur, mais perçoivent l’expérience du
« je sens physiquement » d’où découle un « je pense » comme
l’expression immédiate de la pensée basée sur l’expérience
corporelle. Ils révèlent les conséquences nocives provoquées par le
« dressage » de l’individu dans son corps, ses désirs, ses humeurs
et par l’idéal socioculturel d’auto maîtrise du langage corporel et
verbal. Ils dévoilent l’utopie de la pensée rationaliste de l’époque
qui prône la libération de l’âme libre par l’empire absolu de la
raison sur le corps et les passions. Comme nous cherchons à
aborder une étude comparatiste entre le dix-septième et le vingt-etunième siècle, nous découvrirons l’apparition de perspectives qui
ouvrent la voie aux recherches actuelles et font apparaître
d’importantes parentés conceptuelles.
Chez Le Malade imaginaire, le corps du personnage se révèle
uniquement affecté dans son imagination. Dans cette pièce, la
maladie ne relève pas d’une simple explication humorale et ne se
laisse pas soigner par des remèdes organiques qui visent la santé
du corps, et par là les traitements demeurent inefficaces.
L’éloignement délibéré des théories humorales de l’hypocondrie
chez Molière nous conduit à considérer deux questions
principales : 1. l’origine de la maladie (vu que Molière s’affranchit
des explications humorales) ; 2. Le rôle des sens et de
l’imagination, c’est-à-dire la présence d’un corps souffrant,
susceptible et émotif à partir duquel le personnage tire sa
seule conscience de soi. Nous étudierons alors l’idée du délire
166
BERNADETTE HÖFER
d’imagination sans fièvre ni fureur conçue dans l’univers
classique.13
Une recherche lancée sur Internet portant sur la définition
actuelle de l’hypocondrie nous permettra d’établir que celle-ci est
considérée de nos jours comme une maladie psychosomatique, que
le trouble concerne le fonctionnement des organes, et que ses
causes sont socioculturelles. Chez Molière cette maladie est
conçue comme une maladie de l’âme et du corps dont le principal
agent réside dans l’imagination. Celle-ci ne doit pas être comprise
comme une production nocive dépourvue de rapport au réel — ce
qui rapprocherait Molière de Descartes — mais plutôt comme une
faculté qui produit un sentiment d’état du corps où la somatisation
ressentie (bien qu’invisible) est intrinsèquement liée à une
souffrance psychique. Molière en fait le lieu de naissance d’une
subjectivité intimement liée avec le corps car Argan se définit à
travers la sensation d’avoir un corps.14
Cette idée émise par Molière apparaît aujourd’hui sous un jour
nouveau avec l’apport des recherches de la médecine du vingtième
siècle. Henri Ey souligne le lien intime qui existe entre
l’hypocondrie, l’imagination et la réalité :
L’hypocondrie est une illusion, et le problème
de l’hypocondrie n’est qu’un aspect de celui de la
projection hallucinatoire et délirante. Mais le
propre de l’illusion est précisément d’être vécue à la
fois sur le registre de l’imaginaire et sur celui du
réel. La réalité que contient l’hypocondrie n’est pas
autre chose que la réalité même de l’appartenance
de notre corps à notre « monde », […] cette
expérience « par quoi je suis mon corps » et qui lie
« mon corps » à « moi » dans la relation de
13
Des extraits du livre de Gérard Ferreyrolles, Les Reines du monde,
seront incorporés dans ce contexte.
14
Le livre de John Lyons, Before Imagination, sera utile dans ce
contexte.
AU-DELÀ DU DUALISME
l’« avoir ». C’est la parfaite disposition de mon
corps qui m’échappe dans l’hypocondrie et ce que
je sens dans mon corps alors c’est un événement et
non seulement un accident qui s’y passe malgré moi
et contre moi (tome II, 479 ; c’est moi qui souligne).
167
L’imagination se manifeste par une autonomie de l’expérience du
corps (et de la subjectivité) par rapport à la pensée, et elle peut
jouer un rôle véritable et décisif dans la corrélation entre esprit et
corps, déterminer l’évolution de la santé ou avertir du conflit qui se
cache derrière l’apparence d’une maladie et d’une souffrance du
corps. Elle devient le traducteur le plus direct d’une détresse
intérieure qui renvoie à une autre idéologie de l’état absolutiste,
celle de l’honnête homme occulté de sa chair, dressé à réprimer
toute manifestation publique d’« intempérance » physiologique.
Les étudiants analyseront la maladie comme une marque du sujet
marginal qui souffre et se révolte contre les refoulements imposés.
Lafayette, elle aussi, conçoit la maladie comme un « langage
de détresse »15 et conteste les contextes dualistes sociopolitiques et
philosophiques qui élèvent la faculté réflexive et imposent le
dressage des passions et du corps. Lors de la lecture de La
Princesse de Clèves, le lecteur remarque directement la grande
quantité de maux non identifiés dans ce roman: maladies feintes,
douleurs ardentes, fièvres violentes ou angoisses mentales frisant
même un état proche de la folie, tous indiquant une souffrance
intense chez les personnages, une agitation aussi bien mentale que
physique. Dans ces maladies (touchant autant les protagonistes
féminins que les personnages masculins sans différenciation
sexuelle), le corps traduit un trouble qui a été tenu au silence,
étouffé ou « réprimé » antérieurement avant de se manifester
apertement par la somatisation.
La concordance entre Lafayette et les recherches
neurobiologiques actuelles réside dans le fait de concevoir la
« cartographie » du corps : soit l’inclination, le trouble et la
15
J’emprunte cette expression au titre de l’ouvrage de Lilian R. Furst,
Idioms of Distress.
168
BERNADETTE HÖFER
tristesse perçus physiquement qui révèlent l’état d’âme des
personnages avant même qu’ils ne l’aient conçu. L’idée de la
« marque » de la passion est capitale dans le roman. La passion
naît d’abord sur et dans le corps et se manifeste par des signes
corporels sans que le « frein » de la volonté n’intervienne (153,
169, 194). C’est le corps qui traduit la naissance de l’amour entre
Nemours et la princesse. Tandis que l’entourage lit les marques de
cette passion (167, 207, 310 etc.), la protagoniste ne la conçoit
qu’après l’avoir déclarée physiquement à travers ses
manifestations corporelles. La princesse de Clèves est si marquée
par sa passion que la seule mention du nom de Nemours lui
« donna un tel trouble […] qu’elle ne put le cacher » (249). Cette
manifestation physique — si flagrante que M.de Clèves la
remarque — exprime la souffrance douloureuse de son âme qui
ainsi se trahit. Elle « s’en revint chez elle, l’esprit plus agité
qu’elle ne l’avait jamais eu. Son mari s’aperçut aisément de
l’augmentation de son embarras » (250). Le corps devient chez
Lafayette le lieu d’une certaine intelligence et sans doute d’une
profonde intimité car il module les déclencheurs de l’émotion, rôle
qu’il n’acquiert jamais chez Descartes. C’est-à-dire que le corps est
un principe fondamental qui enregistre et articule le vécu premier
de l’émotion (trouble, angoisse, honte) et par la suite transmet une
« alerte mentale » quant au danger des circonstances qui ont
suscité l’émotion. Cette « cartographie » du corps paraît
significative et pertinente pour les recherches d’aujourd’hui. La
neurobiologie parle des « images du corps » : la gamme de
changements corporels (sensibles et chimiques) est encartée au
cerveau où se fond l’esprit (Damasio, Looking for Spinoza 195197). Le « je sens » précède donc le « je pense » chez Lafayette.
Chez Racine, la mélancolie d’amour de Phèdre apparaît comme
le signe visible d’une perturbation manifeste sur le corps et dans
l’esprit. Une visualisation de la pièce peut aider les étudiants à
dépasser les difficultés linguistiques et les allusions mythologiques
qui la rendent difficile à lire et les aider à saisir l’abattement
corporel et mental qui agissent de concert (insomnie/
affaiblissement corporel et pensées suicidaires, chagrin, désordre
d’esprit), et le tiraillement de l’héroïne entre une phase dépressive
et une phase maniaque. Le trouble intérieur que produit sa passion
AU-DELÀ DU DUALISME
169
illégitime se manifeste alors de façon simultanée intérieurement et
extérieurement par une foule de symptômes connexes, tel que
l’accablement dû à l’insomnie et au refus de nourriture, les pensées
suicidaires, l’égarement périodique de ses pas, un état proche de la
manie, la fuite dans un monde fantasmatique, les larmes, la
désaffection envers ses enfants et les crises de fureur.
Deux points essentiels nous occuperont par la suite : 1.
Comprendre les passions comme un processus unifié entre corps et
esprit chez Racine, qui préfigure l’idée du théâtre du corps et du
théâtre de l’esprit en neurobiologie; 2. Percevoir dans l’expression
de la mélancolie une transgression des dogmes sociopolitiques et
de la conception du dualisme de l’époque. Racine conçoit les
signaux corporels comme des processus cognitifs qui ne sont pas
irrationnels mais qui, au contraire, constituent la base des
sentiments et de la conscience. Les passions se traduisent par une
construction corporelle ( fait que la neurobiologie appelle « les
émotions » et qui se manifestent sur le théâtre du corps) à laquelle
suit une réaction mentale connexe, les « sentiments » qui se
manifestent sur le théâtre de l’esprit. Selon le neurologue Joseph
LeDoux, alors que les émotions sont des phénomènes physiques,
observables (expressions faciales, signaux chimiques et
manifestations sensibles), les sentiments sont le vécu de l’émotion,
ce qui est perçu de l’émotion lorsque naissent les idées (298). D’un
côté, le corps expose la division intérieure de Phèdre et reflète ainsi
les processus mentaux, mais de l’autre, et ceci rend Racine
intéressant pour la neurobiologie actuelle, il constate l’autre face
de leur rapport, que le corps façonne de nombreux contenus
mentaux. Esprit et corps se reflètent mutuellement16.
Nous placerons aussi la mélancolie de Phèdre dans un contexte
politique et culturel et expliquerons qu’elle marque le sujet clivé
entre la loi et ses désirs. La mélancolie de la protagoniste reflète un
conflit irrésolu qui se manifeste dans son déchirement entre le désir
transgresseur et libéré et la honte de son crime qu’elle admet à
Thésée (v. 916-20). Le tableau du déchirement irrésolu de Phèdre
16
Voir par exemple les vers 581-582 ; v. 261 ; v. 273, v. 275-276 ; v.
715-716.
170
BERNADETTE HÖFER
fait découvrir et concevoir chez les spectateurs les zones de
fonction du patriarcat, les fantasmes de la sexualité et
l’identification problématique avec la loi. À travers les divisions
irréconciliables chez Phèdre, Racine conteste subversivement
l’idée louis-quatorzienne de l’unité de son régime et peint le
tableau d’un tourment irrésolu entre raison et passion, entre loi et
désir. La mélancolie de Phèdre adopte symboliquement le rôle
d’une rupture avec la société et fait apercevoir les frontières
inhérentes à toute société et à tout individu : celles entre la santé et
la folie, entre la loi et le désir, entre la vie et la mort.
Conclusion
En organisant le cours autour d’un thème d’intérêt persistant et
prépondérant, et en favorisant une approche cognitive de la
littérature, nous créons un lien entre un dix-septième siècle
(souvent connoté par les étudiants comme difficile et ennuyeux) et
des thèmes actuels auxquels ils s’intéressent véritablement.
L’intérêt du dix-septième siècle pour la neurobiologie actuelle —
aussi frappant qu’il puisse être — fait dissoudre les frontières entre
les deux siècles. En même temps, Molière, Lafayette et Racine
illustrent la façon dont s’est formée en France, au dix-septième
siècle, une vision de l’existence humaine anticipant de manière
étonnante les découvertes neurobiologiques sur les répertoires
corporels dans la formation du soi. Les trois auteurs contestent déjà
de façon systématique les positions dualistes et proposent en retour
une vision holistique de la vie humaine.
L’approche comparatiste permet aussi aux étudiants de
découvrir un « autre » dix-septième siècle qui formule des
conceptions avancées sur le rôle du corps dans la production de la
conscience et qui relie les phénomènes mentaux à des
manifestations organiques. Même si chez certains auteurs étudiés
le vocabulaire reste rudimentaire et simpliste, leurs notions
peuvent paraître pionnières et visionnaires pour les recherches
actuelles17. Bien sûr, le danger d’une confusion sur les époques et
17
Il aide l’étudiant non seulement à acquérir des connaissances sur le
siècle passé mais à ériger une conception de l’humain : qui sommes-
AU-DELÀ DU DUALISME
171
sur la terminologie se camoufle derrière ce type de cours
interdisciplinaire
qui
pourrait
courir
le
risque
de
devenir « anachronique ». De même, notre formation en études
littéraires ne nous permet pas de nous considérer comme des
savants ou spécialistes en psychologie et neurobiologie, et ce n’est
point notre intention. Mais l’enseignement du dix-septième siècle à
l’époque actuelle ne doit pas sombrer dans l’isolement, mais doit
mener à une compréhension entre les disciplines18. L’approche
multidisciplinaire permet aux étudiants d’intégrer leurs
connaissances acquises dans d’autres matières et de créer une salle
de classe qui est orientée vers l’étudiant (qui pourra sans doute
avoir parfois plus de connaissances dans ce domaine que nousmêmes)19.
On pourrait conclure ce cours en étudiant le souci éthique et
moral caché derrière l’interrogation sur la relation entre l’esprit et
le corps chez Descartes, Pascal et Spinoza. À leur conception
commune de la dimension éthique des comportements humains et
de la « responsabilité » morale de l’être l’humain, nous pourrions
opposer ces voix actuelles matérialistes, qui proclament que nos
nous, à quoi bon le progrès, comment comprendre la souffrance
humaine, la douleur, la dépression ?
18
En février 2003, la revue Chronicle of Higher Education, rendant
hommage à l’œuvre de Damasio, annonçait qu’une voie révolutionnaire
s’ouvrait là pour la recherche littéraire actuelle et à venir dans le domaine
des « affects », visant directement l’effondrement des approches
cartésiennes et prédisant l’apparition d’études consacrées aux frontières
intersubjectives entre science et littérature. Katherine Dauge-Roth étudie
de façon très juste la valeur d’approche compréhensives et
« d’ouvertures » à d’autres matières. Voir son « Crossing Lines »109.
Voir aussi l’approche interdisciplinaire d’Allison Stedman : « Teaching
the Interdiscplinary Seventeenth-Century to Undergraduates » qui insiste
sur la valeur d’approches interdisciplinaires à l’époque contemporaine.
19
Au sujet d’un environnement centré sur l’étudiant, voir L. Dee Fink,
Creating Significant Learning experiences et Maryellen Weimer,
Learner-Centered Teaching.
172
BERNADETTE HÖFER
sentiments et notre sens de la morale sont uniquement une
production et un enchaînement de phénomènes physiques et
rejettent entièrement l’idée de la « responsabilité » morale de l’être
humain. Nous pourrions par exemple inclure un article tiré du New
York Times du 26 juin 2007, intitulé « Science of the Soul ? ‘I
think, Therefore I Am’ is Losing Force ». Cet article décrit
l’entreprise bouleversante des neuroscientifiques cognitifs et des
biologistes évolutionnaires de chercher à démontrer que nos
sentiments et notre sens de la morale ne sont que la production
d’un enchaînement de phénomènes physiques. Ces penseurs
technologisent l’esprit, le corps, l’émotion, le sentiment, la
mémoire et l’expérience. Selon eux, le cerveau (et avec lui l’esprit)
n’est plus le lieu où émanent les pensées et les sentiments, mais un
endroit déterminé par des anormalités génétiques et des
déséquilibres hormonaux. Une telle théorie conteste même toute
existence d’une âme individuelle, la remplace par la notion d’un
« esprit universel cosmique » (Dean, New York Times), perçoit le
monde dans des termes strictement matérialistes et conçoit même
la possibilité de l’irresponsabilité de nos actes qui ne seraient plus
que le résultat de mécanismes cérébraux. On pourrait ainsi
terminer par la brisance de cette thématique qui nous concerne tous
aujourd’hui.
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