Chap 4.cdr:CorelDRAW - Association VOGUE MASSALIA

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Chap 4.cdr:CorelDRAW - Association VOGUE MASSALIA
Chapitre IV : Où nos deux héros
essaient leur nouvelle embarcation.
Malgré l'aube à peine naissante, les trois amis s'étaient levés promptement, heureux et impatients
d'essayer leur embarcation flambante neuve. Ils gagnèrent le bout du quai ou 
 avait
réussi à trouver une place exiguë mais suffisante pour s'amarrer et ils sautèrent lestement à bord
après avoir préparé la manœuvre d'appareillage.
«Largue les amarres!» cria joyeusement Mikis à Arnaldo et Dimitris qui se déhalaient déjà du
ponton. Et pendant que ces derniers empoignaient fermement les avirons et commençaient à ramer
vigoureusement pour sortir du port, Mikis se mit à descendre les deux avirons de gouverne et
commença à préparer les drisses de cargue qu'il fallait choquer en grand pour faire tomber la voile
étranglée contre la vergue.
Ils avaient bien fait de se lever de si bon matin, car la petite embarcation allait vraiment profiter des
ultimes filets d'air du vent de terre nocturne, favorable à la sortie de la calanque. Comme beaucoup
d'autres marins avaient tenu le même raisonnement, ils étaient loin d'être seuls sur le plan d'eau!
Ils se faufilèrent entre les embarcations et parvinrent à la sortie de la passe. Arnaldo et Dimitris
rentrèrent alors leurs avirons et se préparèrent à hisser la vergue. Le plus fort d'entre eux, Arnaldo,
se chargea d'actionner les deux poulies à caisse portant plusieurs rouets et, à l'aide de ce puissant
palan de drisse, la vergue fut hissée et étarquée en quelques secondes seulement. Dimitris
l'accompagnait en jouant sur les balancines qui servaient à maintenir la longue vergue en équilibre
horizontal. La manœuvre terminée, Mikis lança à Dimitris : « n'oublies pas de bien souquer chaque
balancine. La rade est un peu agitée, et il ne faudrait pas que la vergue cède sous son poids sous l'effet
du clapot ! ». Mikis largua alors en grand les cargues, et la voile tomba sous son poids et celui des
anneaux de plomb1. Ils la considérèrent avec satisfaction.
Confectionnée en byrsas de lin cousues et renforcées de cuir, la voile était belle, et, correctement
établie, elle portait bien. Il suffisait de border les coins inférieurs à l'aide de l'amure et de l'écoute à
itague pour obtenir le réglage parfait.
Les navires antiques possédaient deux gouvernails
formés de deux avirons disposés de part et d'autre de
la poupe, sur les épotides, entre les deux tolets. Ainsi
fonctionne encore de nos jours l'aviron de queue des
baleinières. Ces deux gouvernails étaient munis d'un
système de palans permettant aux timoniers de sortir
la pelle de l'eau lorsqu'elle n'était plus utile. Ces deux
godilles indépendantes constituaient un avantage
certain lors des appontages et des dérapages. Les
pelles des avirons étaient d'ailleurs déjà compensées,
c'est à dire dissymétriques par rapport à l'axe de
rotation.
Aquarelle de J.M. Gassend
in "De la manoeuvre des navires antiques",
Laurent Damonte et J.M. Gassend,
Editions de la Nerthe. Ollioules.
Disposition de l'appareil à gouverner sur les navires antiques.
Cinglant vers le sud de la rade, la petite embarcation bleue et blanche courrait, légère, rapide et fière
sur la mer encore légèrement grise. Le halo jaunâtre du soleil levant commençait juste à poindre au
dessus des montagnes. Au large, elle croisa un grand navire de charge qui remontait difficilement
contre le vent en direction de Massalia.
«-Regardes, Mikis, un gros navire à la manœuvre!» s'exclamaArnaldo.
« - Oui, répliqua celui-ci. On dirait bien que l'équipage tente un virement de bord ! Après avoir loffé
en choquant l'écoute du dolon, il est en train de carguer sa grand-voile et de déborder son dolon2.
1
On ajoutait au point de jonction de quatre byrsas un anneau en céramique ou en plomb servant à guider la drisse de cargue. Celle-ci était
constituée d'un cordage passant par une poulie frappée sur la vergue. Elle redescendait ensuite, guidée par les anneaux fixés à la voile jusqu'à la
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Voilure d'avant
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à contre au vent. Tu vas voir, le voilier va se
mettre à culer tout en virant sur l'autre amure. Il
ne faudra pas que le gubernetes 1 s'endorme et
oublie d'inverser ses avirons de gouverne.
Sinon il va perdre tout ce qu'il a gagné sur ce
bord !! S'ils manoeuvrent bien, ils seront vite
parés pour re-hisser la grand voile et faire cap
sur l'autre amure. »
Manoeuvre de virement de bord vent devant
en utilisant le dolon.
.Aquarelle de Jean-Marie Gassend
in "De la manoeuvre des navires antiques",
Laurent Damonte et J.M. Gassend,
« -Ca aurait été plus simple de virer vent
arrière, non ? »
« -Plus simple, oui, mais il perdait tout ce qu'il
avait gagné au vent ! »
« -Alors pourquoi n'a-t-il pas mouillé pour
attendre la brise de mer qui l'aurait rentré
portant dans quelques heures ? »
« -Il doit être pressé d'arriver pour décharger
ses marchandises ! Mon oncle parlait d'une
cargaison d'huile et de vin qui tarde à arriver, à
cause du vent toujours contraire depuis un
moment. Ca doit être ça ! Ils n'ont plus de temps
à perdre ! »
« -D'où viennent-ils ? Tu crois qu'ils ont
navigué toute la nuit ? » s'enquit Dimitris avec
curiosité.
« -Ils viennent sûrement de loin et naviguent
nuit et jour depuis plusieurs jours. Ces grands
navires peuvent entreprendre de longues
navigations sans toucher terre. Il arrive de l'Est,
peut-être Nikaïa, ou alors d'Etrurie, ou d'Olbia.
Il arrive peut-être de Grèce.»
Manoeuvre de virement de bord vent arrière dite aussi
"lof pour lof".
.Aquarelle de Jean-Marie Gassend
in "De la manoeuvre des navires antiques", Laurent
Damonte et J.M. Gassend, Editions de la Nerthe,
Ollioules.
« -Mais comment font-ils pour manger et dormir ? » questionna encoreArnaldo.
« -Tu sais, ils ne sont pas très nombreux à bord, six ou sept tout au plus, et la cale est grande. Ils
trouvent toujours un coin bien abrité pour dormir et stocker leurs vivres.»
« -Et pour naviguer la nuit ? On n'y voit rien, surtout en pleine mer !»
« -Détrompes toi ! Les navicellis savent lire la route dans les étoiles. Et puis ils connaissent de
nombreux indices, comme le vol des oiseaux, l'état de la mer, et d'autres, qu'ils gardent
soigneusement secrets.»
Devisant ainsi pendant que la barque allait bon train, ils poursuivirent leur route jusqu'aux tombants
de l'ile Maïre. Pour revenir, le vent avait fraîchi et il fallait remonter au vent. Ils carguèrent
partiellement la voile et apiquèrent la vergue pour configurer la voilure de près. Retour au port sans
histoire. L'essai était très concluant. La cueillette miraculeuse pouvait commencer.
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1
Timonier
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Remonter au vent avec une voile carrée.
Schéma de la manoeuvre de réduction d'une voile carrée conduisant à une configuration triangulaire, selon
l'interprétation des textes antiques.
Cette configuration particulière utilisée pour progresser contre un vent contraire est, très vraisemblablement à
l'origine de la voile latine.
D'après R. Roman, CCJ - CNRS
In: La navigation dans l'antiquité, sous la direction de P. Pomey, Edisud;
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EPILOGUE

se révéla à la hauteur des espérances de nos deux armateurs en herbe, qui en firent
grand usage. Et la mer fut généreuse avec eux. Comme diront plus tard les romains :
« La fortune sourit aux audacieux ».
Aussi, progressivement, se constituèrent-ils un petit capital qui fructifia grâce au produit des ventes
de corail, auquel s'ajoutèrent vite les bénéfices dus à de nouveaux trafics.
La barque 
fut abandonnée à coté du caboteur construit par le père de Mikis car il était
devenu trop vieux et trop petit. Coulées et envasées, les deux épaves servirent à soutenir les pieux
d'un nouvel appontement. Puis tout le monde les oublia.
Mikis épousa Aristoché qui, en 500, donna naissance à leur fils, lui aussi promis à un bel avenir,
puisqu'il dirigea en association avec son père l'entreprise commerciale familiale qui était florissante.
L'influence grecque et méditerranéenne rayonnait alors sur toute la Gaule, grâce à l'ouverture de
nouvelles voies terrestres pour l'acheminement de l'étain, du plomb, de l'or, de l'argent et de l'ambre.
Massalia, qui avait fondé de nombreux comptoirs et colonies, battait désormais sa propre monnaie.
Elle commençait même à jouir d'une certaine renommée dans le monde antique et avait des écoles
réputées.
Quant à Dimitris Zénothémis, sa descendance était devenue si riche qu'elle armait ses propres
vaisseaux. Sa réputation commerciale était d'ailleurs établie dans toute la Méditerranée, et il savait
traiter avec les redoutables commerçants carthaginois.
Le fils de Dimitris, navigateur intrépide, s'apprêtait à embarquer avec Euthyménes, pour une
périlleuse exploration vers le sud, au delà des colonnes d'Hercules. Son nom et l'entregent de son
père auprès des carthaginois étaient un sésame sérieux. Si le voyage se passait bien, il espérait
pouvoir partir ensuite avec Pythéas, un savant astronome et très bon marin qui voulait aussi franchir
les colonnes d'Hercules, mais pour monter vers le Nord, à la recherche de l'étain, de l'ambre et de la
confirmation de ses théories astronomiques. Une aventure pleine de dangers.
Mais c'est Poséidon qui en décidera !
Est-ce la FIN de l'histoire?
Disposition du port antique à l'époque gréco-romaine par rapport au port actuel.
Aquarelle de Jean-Marie Gassend.
Extrait de la brochure "Parcours archéologique dans les vestiges de la Bourse à ... Marseille". Editions de La Nerthe, Ollioules.
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NON !
Parce que 2500 ans plus tard, au contraire, tout sortait de l'oubli.
Massalia avait tellement prospéré, que les hommes qui procédaient depuis longtemps déjà aux
échanges par voie de terre, ne trouvaient plus de places pour stationner leurs véhicules automobiles.
Les édiles prirent donc la décision de creuser deux parkings souterrains, de part et d'autre de l'Hôtel
de Ville, sous les places Jules-Vernes et Villeneuve-Bargemont, c'est à dire au niveau de la rive sud
de la ville antique.
Compte tenu du « risque archéologique » défini dans cette zone par les spécialistes, il fut décidé
d'entreprendre de grandes fouilles de sauvetage qui se déroulèrent d'Août 1992 à novembre 1993
pour la place Jules-Vernes (3700 m²) et de mars 1996 à juin 1997 pour la place VilleneuveBargemont (2700m²).
L'occasion était inespérée, car cette zone portuaire n'avait jamais cessé d'être occupée depuis la
fondation de la cité et avait donc été remaniée en permanence.
Et progressivement, au fur et à mesure que les archéologues déposaient les couches modernes,
médiévales, romaines puis grecques, apparaissaient les rivages les plus anciens. Ils sont enserrés à
l'intérieur des rivages plus récents par propagation des terres sous la pression de la ville. Les quais
grecs apparaissent sous les quais romains.
Les places Jules-Vernes et Villeneuve-Bargemont sont situées sur un replat, séparé de la rue caisserie
par un fort talus au nord et une pente qui plonge dans le Lacydon au sud.
Le fond naturel marneux de la calanque a été progressivement recouvert par un immense amas
coquiller essentiellement constitué d'huîtres. Cet amas de coquillages, cueillis sur une autre cote (la
«Cote Bleue»??) et présentant souvent un trou attestant de leur consommation, est situé sous les
sédiments d'époque grecque (le quai grec archaïque). Il atteste de la fréquentation de la colline et de
la calanque du Lacydon dès l'age du Bronze moyen et du goût immémorial des marseillais pour les
coquillages !
Ces fouilles ont livré une moisson extraordinaire de résultats relatifs au port antique, grec puis
romain, avec un ensemble d'épaves exceptionnelles, dont ce qui est probablement les seuls exemples
connus au monde de dragues portuaires et surtout les épaves JV7 et JV9 qui sont des témoins
irremplaçables de la technologie navale grecque, à une époque charnière où s'est développé une
nouvelle technique de construction.
Les artefacts retrouvés témoignant de l'activité des chantiers navals démontrent de façon troublante
que les gestes des charpentiers de marine sont restés étonnement inchangés jusqu'à l'apparition des
outils mécaniques au XXème siècle.
Ce sont ces gestes, ces savoirs, qu'il nous faut, par tous les moyens, préserver et transmettre aux
jeunes générations.
Aquarelles de Jean-Marie Gassend evoquant toutes les époques de l'histoire maritime de Marseille,
depuis le port grec jusqu'au Vieux Port actuel.
Extrait de la brochure "Parcours archéologique dans les vestiges de la Bourse à ... Marseille". Editions de La Nerthe, Ollioules.
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