Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et

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Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et
Les NTIC dans les
PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
1
NICT in SMEs: Strategies,
Organizational
Capabilities
and
Differentiated
Performances
❒ Résumé
La connaissance approfondie de l’usage des NTIC
dans les PME en relation avec les performances
obtenues, intéresse autant le domaine de la gestion
que ceux de la macro-économie ou de la politique
industrielle. Les enquêtes statistiques nationales sur
les NTIC ne permettent pas encore de prendre en
compte le phénomène d’Internet relativement récent
en France dans son aspect de diffusion massive. La
recherche dont on rend compte ici s’inscrit dans cet
objectif de mise en relation des stratégies, des
contextes organisationnels et des modes d’usages
des NTIC (plus particulièrement des technologies
liées à l’Internet) dans les PME. De fait, nous nous
interrogeons sur les (éventuels) impacts de
l’adoption de ces NTIC sur la performance des
entreprises concernées.
Mots clefs :
NTIC, Internet, PME, stratégie, performance
❒ Abstract
Serge AMABILE
Maître de Conférences
GRASCE (GREQAM UMR CNRS)
15, 19 Allée C. Forbin - Faculté d’Economie
Appliquée - Université d’Aix-Marseille III
13627 Aix-en-Provence Cedex 1
Tél. : 04-42-96-14-96
E-mail : [email protected]
Martine GADILLE
Chargée de recherche CNRS
LATAPSES-IDEFI (UMR CNRS)
1 rue A. Einstein, Sophia Antipolis - 06560
Valbonne
Tel : 06-08-84-06-83
E-mail : [email protected]
The analyze of relations between NICT use in SMEs
and performance concerns a lot of domains as
management, macro-economy, or industrial politic
ones. National statistical surveys about NICT still
not take into account the recent massive diffusion of
Internet in France. The research depicted in this
article is relevant to this objective of linkage
between strategies, organizational contexts, and
NICT use (Internet ones particularly) in SMEs. As
matter of fact, we are looking for the potential
impacts of NICT implementation on firms
performance.
Key-words:
NICT, Internet, SMEs, strategies, performance.
1
Les auteurs remercient très vivement Alain d'Iribarne
(Directeur de recherches au LEST - CNRS -, Aix-enProvence) pour l’encadrement scientifique du projet de
recherche européen DEVNET qui a permis de réaliser ce
papier.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
Introduction
Dans le cas de la France, plusieurs rapports de
recherche ont été réalisés sous la houlette des instances
étatiques sur le thème d’Internet et des technologies de
l’information et de la communication qui lui sont
connexes2. La connaissance de l’impact macroéconomique de l’adoption de ces technologies sur la
dynamique de la croissance est importante dans
l’orientation des politiques publiques. Pour avancer
dans cette voie, certains auteurs n’ont pas hésité à
souligner la nécessiter de disposer d’analyses plus
pertinentes des phénomènes micro-économiques sousjacents (Brousseau et Rallet, 1999 ; Romelaer, 1998).
Une meilleure connaissance, dans les organisations
productives, du phénomène d’utilisation de ces
technologies, en relation avec les performances
obtenues, demeure donc un enjeu majeur pour
l’ensemble des décideurs privés.
La connaissance approfondie de l’usage, dans les
entreprises, de NTIC, en relation avec les performances
obtenues, intéresse donc autant des savoirs dans le
domaine de la gestion que des savoirs dans le domaine
de la macro-économie ou de la politique industrielle.
Mais, en tendance générale, cette question reste traitée
de façon dichotomique car elle renvoie en fait à des
préoccupations et des pratiques disciplinaires
différenciées : aux sciences de gestion ou à la
sociologie, l’analyse minutieuse des contextes, des
modes et des stratégies d’usage au niveau de
l’entreprise, à l’économie l’analyse agrégée des
relations entre montants des investissements et
performances généralement réduites à la notion de
productivité. A cette dichotomie d’objet et de
problématique, correspond en tendance des méthodes
différenciées de type monographique ou statistique.
Lorsque ces deux méthodes sont utilisées en même
temps, il est souvent difficile de voir quelle est la
relation entre les différents types de matériaux et les
méthodes utilisées. Il s’en suit que les décideurs
éprouvent quelques difficultés pour re-contextualiser
les connaissances produites.
Il faut remarquer de plus, que les enquêtes statistiques
nationales sur les TIC, ne permettent pas encore de
prendre en compte le phénomène d’Internet relativement récent en France dans son aspect de diffusion
massive. Par contre, du côté des travaux empiriques de
recherche, toujours dans le cas de la France, on remarque qu’il existe plusieurs façons d’aborder l’impact de
ses usages dans l’entreprise. Par exemple, certaines
analyses se sont centrées sur l’observation de l’usage
d’Internet dans la localisation de la R&D (Recherche et
Développements) ou dans les organismes de recherche.
D’autres études ont porté leur regard sur leur usage
dans les secteurs ou filières traitant des relations hiérarchiques entre grandes entreprises et petites entreprises. D’autres encore, ont investi plus particulièrement
les grandes entreprises ou organisations dans leur usages internes ou partagés dans une activité de veille
2
Par la suite nous désignerons par Nouvelles Technologies de
l'Information et de la Communication (NTIC) l'ensemble des
technologies qui sont associées à l'usage d'Internet et de ses
protocoles.
collective. Ces ensembles de travaux s’inscrivent dans
la continuité de recherches réalisées sur les TIC avant
l’adoption massive d’Internet. Ce dernier est ainsi présenté comme une nouvelle possibilité technologique
qui vient compléter ou se substituer à des éléments de
système d’information informatisé existants.
Pour le moment, on remarque que peu de recherches
ont porté sur le phénomène d’adoption d’Internet dans
les PME, alors même que ces entreprises sont
supposées ne pas posséder les ressources internes,
notamment humaines, pour exploiter les possibilités de
valorisation que les NTIC représentent (Brousseau et
Rallet, 1999). Compte tenu du rôle joué par la petite
entreprise, quel que soit son secteur, dans une
économie de diversité (Piore et Sabel, 1984), la
recherche de l’existence de régularités liant les
performances dans l’usage de NTIC avec des
caractéristiques organisationnelles et stratégiques reste
donc un enjeu important.
La recherche dont on rend compte ici s’inscrit dans cet
objectif de mise en relation des stratégies, des
contextes organisationnels et des modes d’usages des
NTIC dans les PME, avec les performances obtenues
par leur moyen (Amabile, Gadille et Meissonier, 2000).
Dans un souci d’articuler la recherche d’une régularité
des faits portant sur l’obtention de la performance au
moyen des NTIC et une connaissance en profondeur
des modalités d’usage, trois niveaux d’enquête,
présentés plus loin, ont été prévus. Ils articulent
enquêtes statistiques et entretiens monographiques sur
une même population de départ. Les résultats d’étape
présentés ici sont essentiellement issus de la deuxième
enquête statistique exploratoire réalisée par entretiens
téléphoniques auprès des responsables de 108 PME
tirées des fichiers de CCI (Chambre de Commerce et
d’Industries).
Nous commencerons par présenter rapidement la
problématique de la recherche, le dispositif d’enquête,
ainsi que les caractéristiques principales de
l’échantillon de PME, au regard des performances
différenciées obtenues au moyen des NTIC. Nous nous
attacherons en particulier à préciser les différentes
dimensions de la performance que nous avons retenues,
et qui ont conduit à identifier quatre sous-populations
définies par rapport aux performances différenciées
obtenues à partir de l’usage des NTIC. On abordera
ensuite l’analyse des facteurs ou contextes permettant
de donner sens à ce constat. Les principales dimensions
analysées ici, en relation avec la performance, sont
celles touchant aux aspects d’organisation, de
construction des ressources humaines, de stratégies de
développement ou d’usages d’applications.
1.
Adoption d’Internet et
types de performances obtenues
par les usages des NTIC
La construction du dispositif d’enquête s’est appuyée
sur un modèle d’analyse que l’on présente en relation
avec la description des différentes dimensions du questionnaire et des indicateurs pertinents retenus pour les
analyser. Sur cette base, quatre sous-populations ont
été construites en fonction des types de performances
obtenues en relation avec les NTIC. On présente éga-
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Serge Amabile, Martine Gadille
lement la répartition et les caractéristiques standards
(secteurs, taille, équipement) de ces sous-populations.
1.1.
Modèle d’analyse et dispositif
d’enquête
Les performances que peut obtenir une entreprise au
moyen des NTIC sont liées au phénomène d'apprentissage par l'usage de cette technologie (Rosenberg,
1982). Cet apprentissage porte sur la définition et la
configuration des modalités d'usage et des compétences
pertinentes. Il se déroule dans le cadre de la mise en
œuvre de stratégies génériques et de processus de recherche d'avantages concurrentiels (Porter, 1985 ;
March, 1991). Il se réalise également sur les bases des
"capacités organisationnelles" (Chandler, 1992) ou
"capacités dynamiques" (Nelson 1991, Teece et Pisano,
1998) que l'entreprise a pu construire à partir de sa
trajectoire passée. En nous appuyant sur ces éléments
théoriques, l'obtention des performances est analysée
comme le résultat d'une cohérence dynamique entre la
mise en œuvre de stratégies d'usage, dans le cadre de
stratégies génériques de recherche d'avantages concurrentiels, et les capacités organisationnelles de l'entreprise3.
1.1.1. Stratégies génériques de recherche
d'avantage concurrentiel
L'obtention de performances par l'usage d’Internet et
de NTIC qui lui sont connexes, peuvent s’inscrire dans
des “ stratégies génériques ” de recherche d’avantages
concurrentiels (Porter, 1985) du type réduction des
coûts ou différenciation. Mais la position d'avantage
concurrentiel qui résulte de ces stratégies s'inscrit également dans les aspects processuels de transformation
de l'organisation. Ce point de vue est soutenu par de
nombreux auteurs dont March qui mobilise pour cela
les notions d'exploration et d'exploitation pour spécifier celle d'apprentissage organisationnel.
Selon Porter (1985, p.11-16), trois grandes stratégies
génériques peuvent être envisagées pour créer et soutenir un avantage concurrentiel dans son secteur : la stratégie par les coûts, la stratégie par différenciation, la
stratégie qui consiste à adopter l’une des deux premières, mais ciblée en fonction de segments spécifiques de
l’activité. Cette dernière stratégie est intéressante lorsque les segments qui font l’objet de l’attention stratégique ne sont pas travaillés de la même façon par le
concurrent. Chacune de ces différentes stratégies implique une trajectoire de recherche d’avantages concurrentiels spécifique.
d’économie d’échelle et une focalisation sur la courbe
d’apprentissage. La notion de courbe d’apprentissage
est ici entendue principalement dans le sens de l'obtention, en raison de l’expérience accumulée sur une activité, d'une réduction des coûts dans cette activité. Cet
apprentissage peut donc porter sur toute activité de la
chaîne de production de la valeur. Ce type de stratégie
par les coûts ne peut cependant ignorer les bases de la
différenciation sans prendre le risque de perdre des
parts de marché.
La stratégie de différenciation, réside dans la recherche
de l’unicité sur le marché selon des dimensions qui
sont largement valorisées par les clients. Cette différenciation varie selon les secteurs et peut être fondée
sur le produit lui-même (qualité, fiabilité, design) ou
les services associés aux produits (livraison, ...). Elle
est coûteuse et se crée tout le long de la chaîne de la
valeur. Potentiellement, chaque activité à valeur ajoutée est une source de différenciation. Porter mentionne
également le rôle du réseau industriel que l’entreprise
peut mobiliser pour réduire le coût de la différenciation.
Les notions de processus d'exploitation et d'exploration
proposées par March (1991) en relation avec le concept
d'apprentissages organisationnels, rejoignent sous certains aspects celles développées par Porter tout en relativisant son déterminisme stratégique. D'un côté, la
notion d'exploitation est utilisée pour signifier des processus de rationalisation et de production, de choix et
de sélection, de mise en œuvre et d'exécution. Selon
March, certaines organisations seraient marquées de
façon dominante par de tels processus et leurs caractéristiques seraient d'avoir en leur sein trop de nouvelles
idées non développées et trop peu de compétences
différenciées. D'un autre côté, la notion d'exploration
est exprimée par des vocables du genre : recherche,
variation, prise de risque, expérimentation, jeu, flexibilité, découverte, innovation. Les organisations orientées principalement par ce type de processus seraient
en équilibre sous optimal stable. March précise que les
organisations font des choix implicites et explicites
entre des processus d'exploitation et d'exploration. Les
choix explicites sont basés sur des décisions calculées
au sujet des investissements alternatifs et des stratégies
en concurrence. Les choix implicites sont inscrits dans
de nombreux traits des formes organisationnelles et des
coutumes, par exemple dans les règles de recherche et
les pratiques, dans la façon dont les objectifs sont établis et modifiés et dans les systèmes d'incitations. La
compréhension de la sélection entre les deux processus
et l'amélioration de leur équilibre est donc complexe
La stratégie par les coûts est donnée pour être la plus
évidente. Les producteurs à bas coûts sont supposés
trouver et exploiter toutes les sources d’avantage par
les coûts. Ils vendent en général des produits standards.
Cette position implique un système de contrôle serré,
des gains de productivité du travail, la poursuite
Les points de vue des deux auteurs convergent pour
exprimer que ces deux stratégies ou processus sont en
compétition dans l'allocation des ressources et la construction des compétences. Cependant, le maintien d'un
équilibre approprié entre les deux au niveau global de
l’entreprise est un facteur primordial dans la survie et
la prospérité des systèmes.
3
Pour analyser les conditions d'obtention de performances dans l'usage des NTIC, plutôt que d'assimiler ces
notions deux à deux (la stratégie de réduction des coûts
avec le processus d'exploitation et la stratégie d'exploration avec le processus de différenciation), nous avons
Cette notion a été développée au cœur du courant évolutionniste, sur la base des travaux anciens de A. Marshall,
J. Shumpeter et E. Penrose, par Nelson et Winter (1982) ainsi
que de Chandler, Teece, Dosi, et Lazonick. Elle repose sur
l'idée de l'existence d'une hiérarchie de routines organisationnelles apprises dans le passé qui définissent ce que la firme
est effectivement capable de faire (Nelson 1991).
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estimé plus fécond de les combiner. C’est ce que suggère le schéma 1 et les commentaires suivants. L'usage
de nouvelles technologies suppose bien sûr l'acquisition au moins de certains éléments sur le marché, présentés sous une forme quasi générique. L'adoption
d'Internet, d'intranet ou d'extranet, ainsi que de logiciels appropriés pour l'usage des protocoles d'Internet,
donne lieu à la fois à l'exploration de nouvelles règles
d'information et de communication ou du moins de
pratiques. Cette adoption suppose également l'exploitation d'anciennes règles qui œuvraient déjà au sein de
ce que l'on pourrait appeler le "système d'information
et de communication" de l'entreprise qui est en général
moins formalisé que cela est supposé dans la théorie.
C'est donc à une combinaison spécifique de ces règles
et pratiques corrélatives de compétences nouvelles et
anciennes que l'on a affaire lorsqu'on souhaite étudier
les conditions de performances de l'usage de NTIC.
Or
ga
ni
za
tio
nn
al
Le
ar
ni
ng
NTIC comme technologies
génériques sur le marché
Exploration de nouvelles règles d'information
et de communication combinées à
l'exploitation d'anciennes règles
Constitution de nouvelles compétences et
connaissances stratégiques
Réduction des coûts
Différenciation
Schéma 1 : La relation entre exploration, exploitation
dans l’usage des NTIC et avantage concurrentiel4
Dans la mesure où cet usage se déroule dans le cadre
de stratégies génériques de recherche d'avantage
concurrentiel telles que la réduction des coûts et la
différenciation, il est intéressant de savoir sous quelles
conditions l'usage des NTIC favorise plutôt la réalisation d'une stratégie que d'une autre ou la réalisation
d'un équilibre entre les deux.
est utilisée, aujourd'hui, essentiellement pour désigner
une opération financière d'achat de nouvelles activités
portées par d'autres organisations. Elle renvoie seulement dans une moindre mesure à l'idée de création
endogène de nouvelles activités à laquelle se réfèrent
principalement les approches évolutionnistes de l'innovation. Dans le cas de la PME, la notion de diversification signifie principalement une transformation de l'activité endogène de l'entité organisationnelle et juridique
de petite taille5. Elle ne se confond pas avec la notion
de différenciation qui exprime surtout des transformations en terme de qualité des produits et de marketing,
entendues dans un sens restreint par rapport à la création de nouveaux produits. Notre objectif est donc de
connaître les conditions de performances dans l'usage
de NTIC, autant en termes de réduction des coûts, de
différenciation, que de diversification.
Ce type de questionnement nous conduit à mobiliser de
préférence un cadre théorique évolutionniste, plus large
que celui qui se réfère à l'économie des coûts de transaction. La productivité et les coûts ne sont pas, en
effet, les seuls motifs ni les seuls critères de performance, à l’aune desquels les retours sur l'investissement dans l'usage d'Internet et des NTIC peuvent être
mesurés. Internet et les NTIC peuvent intervenir
comme moyens supports dans la recherche de réduction des coûts en général. Ils peuvent également être
utilisés comme moyens dans la différentiation ou la
diversification de l'entreprise en offrant des opportunités stratégiques et organisationnelles qui n'existaient
pas auparavant, moins en raison de leurs coûts, que de
l'absence d'apprentissages préalables dans les usages
liée à la non-adoption de la technologie.
L’apprentissage par l'usage permet de faire évoluer les
cadres cognitifs de la prise de décision. Les choix stratégiques sont toujours médiatisés par des "capacités
organisationnelles" ou "dynamiques" selon la terminologie de Teece et Pisano héritées de la trajectoire passée.
Ces éléments théoriques permettent donc de compléter
le schéma précédent de la façon suivante.
1.1.2. Stratégies génériques et usages
performants des NTIC
Dans cette perspective, les éléments théoriques précédents méritent d'être complétés et adaptés à l'analyse de
l'innovation dans les PME. En premier lieu les stratégies de réduction des coûts et de différenciation sur
lesquelles se centre Porter ne paraissent pas suffisantes
pour qualifier les différents modes de recherche d'avantage concurrentiel de la PME si tant est que l'on puisse
parler en ces termes lorsqu'il s'agit de situation de niches. C'est ici qu'il nous semble important d'introduire
la notion de diversification de l'activité qui n'a forcément pas le même sens en théorie et en pratique dans le
cadre d'une PME que dans celui d'une grande entreprise. Dans le cas de la grande entreprise, cette notion
4
Notons que si l'obtention de performances par l'usage des
NTIC peut s’inscrire dans des stratégies de réduction des
coûts ou de différenciation, c’est deux options ne semblent
pas mutuellement exclusives, des entreprises pouvant en effet
les exploiter simultanément.
5
L'analyse de travaux tels que ceux de Chandler et de ses
collègues évolutionnistes, suggèrent cependant l'existence de
processus communs entre des PME innovantes en terme d'activité et les grandes firmes industrielles apparues à partir de la
fin du XIXe siècle.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
Stratégies génériques : réduction des coûts, différenciation, diversification
Configuration du système
technique :
Connexions Internet,
intranet, extranet,
Hardware, software
Stratégies d'usages :
Applications
Domaines d'usages
Partenaires
Capacités organisationnelles
Exploration de nouvelles
règles et pratiques
d'information et de
communication
Exploitation de routines
organisationnelles dans le
système d'information et de
communication
Compétences d'usage
Connaissances sur les possibilités technologiques et
organisationnelles de création de valeur
Performances obtenues : Réduction des coûts, Différenciation, Diversification
Schéma 2 : NTIC, apprentissages par l'usage et recherche d’avantage concurrentiel
Le schéma 2 met en relation cinq dimensions que nous
proposons de mobiliser pour analyser les conditions
d'obtention de performances par l'usage de NTIC. Le
premier bloc représente l'existence de stratégies génériques que nous avons déjà évoquées. Le deuxième
bloc signifie que ces stratégies s'appuient volontairement sur des infrastructures technologiques dont le
système technique d'information et de communication
est aujourd'hui un élément essentiel. Celui-ci est utilisé
en fonction de stratégies d'usages des utilisateurs représentées par le troisième bloc, mais qui ne correspondent pas forcément aux intentions stratégiques du
management. Ces usages peuvent se réaliser avec des
partenaires à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entité organisationnelle considérée selon des applications et des
domaines d'usages divers (ce que nous préciserons par
la suite). La relation entre les stratégies génériques et
les stratégies d'utilisation du système technique d'information et de communication est elle-même dépendante des capacités organisationnelles. Inversement,
ces dernières sont aussi dans le temps transformées par
les interactions entre ces différentes stratégies, dont
une part relève de résultats non intentionnels.
Ces capacités sont définies par la combinaison entre
l'usage des NTIC à partir de processus d'exploration de
nouvelles règles et pratiques d'information et de communication, et l'usage des NTIC dans le cadre de processus d'exploitation des routines organisationnelles
existantes avant l'adoption. Ces processus entretiennent
une relation d'interdépendance dynamique dans le
temps ; la recherche de nouvelles règles d'usage se fait
sur les bases d'anciennes et se traduit dans le temps par
de nouvelles routines. Cette relation se concrétise par
l'évolution du stock de compétences et de connaissances de nouvelles possibilités d'usages et de nouvelles
possibilités technologiques. Celles-ci vont rétroagir sur
le processus de prise de décision stratégique à partir
des compétences, des connaissances et plus largement
des "cadres interprétatifs" du management.
De l'ensemble de ces interdépendances temporelles
découle les résultats effectifs que nous proposons
d'évaluer en terme de réduction des coûts, différenciation (par la qualité, les délais) et diversification (création de nouvelles activités).
1.2.
Dimensions et indicateurs du
questionnaire
La construction du questionnaire reprend les dimensions principales évoquées ci-dessus et permet de tester
leur interrelations dans l'obtention de performances
analysées selon les trois dimensions : productivité et
réduction des coûts, différenciation, diversification.
1.2.1. La configuration du système
technique et son évolution
Une première dimension permet de caractériser le niveau et la stratégie de configuration des équipements
informatiques : nombre d’ordinateurs, types de réseau,
fonctions et acteurs de l’entreprise équipés pour utiliser
les accès réseaux.
Elle prend également en compte les projets d'évolution
du système technique, son évaluation par le responsable de l'entreprise ainsi que le moment de l'adoption
d’Internet. Sont donc demandées dans cette perspective
les dates de découverte de l’Internet et de la première
connexion.
1.2.2.
Les stratégies d'usages
Les stratégies d'usage sont d'abord repérées à partir
d'une question sur le ou les motifs de la décision de la
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connexion à Internet. Afin de mieux lier ces stratégies
aux capacités organisationnelles de la PME, il a également été demandé si le ou les acteurs à l’origine de
l’utilisation de l’Internet et de la mise en réseau des
ordinateurs étaient des acteurs internes, externes ou les
deux. Cette dernière question donnait un point de vue
supplémentaire sur les capacités internes mobilisables
et/ou mobilisées dans l'organisation.
Les stratégies d'usages sont aussi analysées à partir de
l'existence déclarée d'applications utilisées ou développées par l’entreprise autour d’Internet et des NTIC : le
mail, l'échange de fichier, la consultation de bases de
données, associés ou non au développement de site,
d'application de commerce électronique, de marketing,
de veille. L'évolution des projets de développement et
d'usage de NTIC ont également été abordé afin de mesurer la cohérence entre les capacités organisationnelles et les projets.
La mobilisation des NTIC dans le cadre des relations à
l’extérieur de l’organisation avec des types de partenaires est aussi un révélateur des stratégies d'usages mais
aussi des possibilités de capter des externalités de réseaux agissant sur les capacités organisationnelles.
La mise en relation des stratégies d’usages avec le système technique permet de saisir la cohérence stratégique entre la configuration du système technique et celle
des usages internes autant qu'externes. Ces deux premières dimensions sont regardées dans leur relation
d'interdépendance avec les capacités organisationnelles
et leur évolution.
1.2.3. Les capacités organisationnelles et
leur évolution
Les capacités organisationnelles sont repérées à partir
de plusieurs sous-dimensions :
- les changements organisationnels (formels/informels)
qui sont intervenus ou non pour favoriser l'usage des
NTIC. L’occurrence de ces changements renseigne sur
la nature de l'équilibre entre processus d'exploitation et
d'exploration ;
- l’accès à des informations sur l’entreprise ou son
environnement par les salariés et la transmission de
l’information obtenue au moyen de NTIC entre les
services ou les employés ;
- l’apport des technologies de l’information dans les
processus de communication, de décision et
d’organisation ;
- la construction des compétences d'usage et de maintenance : l'entreprise s'est elle donné les moyens de ces
processus d'exploration et d'exploitation, quels sont les
procédures de formations des ressources humaines à
l’œuvre ?
l'augmentation du nombre de partenaires externes avec
lesquels l’entreprise est reliée via les NTIC. Le
questionnaire comprend donc un jeu d’item de cette
nature.
Ensuite sont posées des questions directes pour recueillir l’opinion des responsables d’entreprises sur les trois
types de performances :
- questions sur l'opinion quant à l'effet des NTIC sur la
productivité et réduction des coûts ;
- questions sur l’opinion quant à la différenciation en
terme d’amélioration de la qualité ;
- questions sur l’opinion quant à la diversification des
produits et services.
1.3.
La mise en œuvre de l'enquête
et constitution de sous-populations
1.3.1.
Le dispositif
Les ensembles de questions évoqués ci-dessus sont
introduits par une fiche signalétique de l’entreprise qui
débute l’entretien (statut de l’entreprise, caractéristiques sectorielles, principaux produits ou services,
nombre de salariés, chiffre d’affaires, fonction du répondant, etc.).
Nous avons déjà précisé que les résultats présentés
dans cet article proviennent de la 2e enquête
téléphonique réalisée au cours du premier semestre de
l’année 1999 dans le cadre du projet européen
DEVNET (financé par le Fond Social Européen et
piloté par la Chambre Régionale de Commerce et
d’Industrie des pays de la Loire). L’une des finalités de
ce projet est d’étudier les pratiques et les apports des
NTIC dans les Petites et Moyennes Entreprises. Cette
recherche a été réalisée sous la responsabilité
scientifique de Alain d’Iribarne (LEST-CNRS)6. Les
108 PME ici étudiées font partie d’un premier
échantillon de 600 entreprises ayant initialement
répondu à une enquête postale réalisée au cours du
second semestre de l’année 1998. Ce premier
échantillon a été constitué principalement en fonction
de 2 critères : la taille (les firmes ayant un nombre de
salariés inférieur à 400 ont été retenues7) et la
localisation géographique (ont été retenues, des
entreprises des régions de la Loire et du PoitouCharentes) en relation avec les hypothèses d’effet
territorial sur la capacité des PME à s’approprier des
usages de NTIC. Sur cet ensemble de 600 PME, 108
entreprises qui, d’une part, disposaient d’accès Internet
et, d’autre part, d’ordinateurs reliés en réseau,
constituent la population étudiée à travers ce second
questionnaire. En exploitant les réponses de l’enquête
initiale, ce dispositif approfondit les champs
d’interrogations mis en perspective à la suite du
questionnaire postal.
- la représentation par le responsable de PME du potentiel de compétences qu’il détient pour les usages en
cours et les usages futurs.
6
1.2.4. La contribution d'Internet et des
NTIC à la performance de l'entreprise
Sont considérés comme des facteurs de performances
de second rang pouvant agir sur les trois dimensions de
la recherche d'avantage concurrentiel : la réactivité aux
marchés, l'élargissement du portefeuille clientèle,
L’équipe de recherche initialement constituée par des
économistes du travail du LEST-CNRS (Alain d’Iribarne et
Martine Gadille) a rapidement été rejointe par Serge Amabile
du GRASCE, spécialisé en gestion des systèmes
d’informations, ainsi que par trois doctorants.
7
On remarque que les très petites PME n’ont pas été exclues
de l’échantillon : 27 entreprises dont le nombre de salariés est
inférieur à 11 ont été conservées.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
1.3.2. Constitution des sous-populations
à partir des capacités différenciées à obtenir des performances sur la base de
l’adoption d’Internet
keting sur Internet ou une activité de veille économique et technologique peuvent être des supports importants de la stratégie de diversification mais peut-être
aussi des deux stratégies précédentes. La question est
alors sous quelles conditions ?
Les NTIC peuvent à la fois être mobilisée dans
l’entreprise pour approfondir des processus de production déjà existants sur des marchés relativement bien
identifiés, pour différencier de produits et services ou
pour se diversifier vers de nouveaux produits ou services. L’approfondissement consiste en une utilisation
des NTIC pour réaliser des gains de productivité, réduire les coûts et les délais de production et de transaction, par exemple en matière de télécommunication. En
situation intermédiaire se trouve la perspective stratégique de l’adaptation des produits ou services existants. La diversification repose sur une capacité de
compréhension et d’adaptation aux nouveaux marchés
qui se créent. Les NTIC sont alors mobilisables comme
instruments de veille économique, marketing ou technologique et législative. Elles peuvent faciliter l’accès
à des informations nouvelles d’un côté et un accès plus
rapide à des informations récurrentes de l’autre.
L’utilisation d’un site ou l’usage d’application de mar-
Quatre grands types de PME en fonction de leurs capacités à obtenir des performances selon les deux critères
les plus difficiles à concilier, c'est à dire de réduction
des coûts et de diversification (cf. schéma 3, cidessous) sont dégagés dans un premier temps. Un premier filtre est donc opéré avec les indicateurs
d’opinion, d'un côté sur les gains de productivité et la
réduction des coûts (que l'on nomme approfondissement) et d'un autre côté sur la diversification. La différenciation par la qualité est utilisée comme indicateur
de second rang dans la réalisation de performances.
Nous ne retiendrons dans le commentaire qui suit que
les deux sous-populations en positions extrêmes, respectivement celle qui réalise les deux types de performances et celle qui ne réalise aucun de ces deux types.
Ce choix nous permet de dégager dans un premier
temps les faits stylisés les plus significatifs. Une analyse plus complète sera produite dans une étude ultérieure.
Diversification
+
11 %
14%
Approfondissement
_
+
43%
32 %
Schéma n°3. Typologie des PME en fonction des performances obtenues au moyen des NTIC
Nous rappelons que les pourcentages sont a peu prés
équivalents aux valeurs absolues (VA), en fonction des
non réponses, puisque le nombre d'entreprises interrogées était de 108. La plus grande partie des PME, 43%
(44 en VA) déclare avoir effectué ni diversification ni
approfondissement à partir de leur usage de NTIC.
32% déclarent n’avoir effectué que des gains de productivité ou des réductions de coûts, elles sont donc
dans une trajectoire d’approfondissement. 11% de ces
PME déclarent n’avoir effectué que de la diversification de leurs produits ou services. Enfin 14% (15 en
VA) des PME déclarent combiner à la fois des performances
en
terme
de
diversification
et
d’approfondissement. Le premier constat que l’on peut
faire est que la combinaison des deux types de performance est bien réalisée par certaines entreprises mais
qu’elles représentent une minorité au moment de
l’enquête. Ce constat semble plutôt rejoindre les hypothèses de Porter et March sur la difficulté de combiner
les deux types d’avantage concurrentiel, même s'il
s'agissait dans le cas de Porter de différenciation et non
de diversification.
La partie suivante est destinée à apporter des éléments
sur
les
caractéristiques
stratégiques
et
organisationnelles des entreprises qui réalisent les deux
types de performances (population 1, 15 répondants) et
des entreprises qui déclarent ne réaliser aucun de ces
deux types de performances (population 2, 44
répondants). Compte tenu de la faiblesse des effectifs
dans la première population il s'agit bien d'une phase
exploratoire
en
terme d'hypothèses et de
problématique. De fait, nous avons délibérément choisi
dans cet article de ne présenter que les tendances les
plus significatives repérées au sein de ces 2
populations sans produire différents tableaux (de
contingence, par exemple). Nous le verrons en
conclusion, certains faits semblent suffisamment
significatifs sans mobiliser des analyses multi-variées.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
2.
Stratégies d’usage des
NTIC et Capacités organisationnelles dans la réalisation des performances des PME
Une comparaison entre les deux sous-populations est
destinée à repérer les effets de dépendance du chemin
et d’apprentissages par l’usage tels qu’ils sont supposés
par Rosenberg (1982). Cette dépendance du chemin et
la capacité d’apprentissage sont médiatisés par les interactions entre stratégie et configuration de
l’organisation collective du travail et des relations externes (Teece et Pisano 1998).
2.1.
Caractéristiques générales des
deux sous-populations retenues
On commence par présenter des caractéristiques générales des deux sous-populations : taille des entreprises,
répartition géographique des clients, secteur d’activité,
mais aussi d’autres variables comme les équipements
ou les accès réseaux. Ces descriptions nous permettrons de situer les éventuelles différences structurelles
entre les entreprises des 2 sous-populations, afin, le cas
échéant, de relativiser les performances obtenues selon
les niveaux d’investissements et les effets de secteurs,
les tailles ou la localisation.
0 à 10
11 à 30
31 à 50
51 à 401
Population 1
4
27%
3
20%
4
26%
4
27%
Population 2
14
32%
8
18%
9
20%
13
30%
Tableau 1 : Détails des effectifs8
Ville/département
Régional
National
International
Population 1
1
7%
1
7%
7
50%
4
29%
Population 2
3
9%
6
17%
18
51%
8
23%
Tableau 2 : Répartition géographique des clients avec
lesquels les entreprises sont reliées via les NTIC
Les tableaux précédents ne semblent pas représentatifs
en terme de pourcentages étant donné le nombre de
répondants. Néanmoins, ils permettent de suggérer (vu
la stabilité entre les 2 populations) que le nombre
d’employés et la dispersion géographique des clients
des entreprises ici étudiées ne pourront - dans nos interprétations ultérieures – constituer la seule base
d’une explication pertinente quant aux éventuelles
différences de valorisation des NTIC entre les 2 souspopulations. Concernant la population 1, on note, en
effet, que la capacité à réaliser les deux types de per8
Dans ce tableau ainsi que dans les suivants, les pourcentages
ont été arrondis afin d’augmenter la lisibilité des résultats
présentés. Par ailleurs, pour chaque variable étudiée, les tableaux reprendront l’architecture suivante : la 1e colonne
présente les différents items ou classes de la variable concernée (exemple : pour le tableau 1, les classes d’effectifs), les 2e
et 4e colonnes indiquent respectivement les effectifs de chacune des 2 sous-populations en fonction des réponses obtenues alors que les 3e et 5e colonnes présentent les pourcentages correspondant à ces effectifs (respectivement pour la
population 1 et la population 2).
formances n'est apparemment pas liée à la taille de
l'entreprise. On remarque par ailleurs, quant à la répartition géographique des clients, une sur représentation
dans la population 2 au niveau régional, résultat qu'il
faudrait approfondir avec un renforcement des effectifs
interrogés. On pourrait a priori penser que des situations de niche à ce niveau territorial intermédiaire font
que les entreprises ne subissent ni contraintes pour
développer leurs usages ni incitations. Ce que semble
confirmer le tableau sur la répartition par activités ou
pour la population 2 on note une sur représentation des
secteurs les moins touchés par l'usage des NTIC : agriculture, construction, transport (Gadille, Iribarne
2000). On remarque également une forte présence de
l'industrie dans la population 2. Ce constat ne semble
pas en contradiction avec notre hypothèse puisque,
dans l'industrie, c'est essentiellement le secteur des
biens d'équipements qui est moteur du développement
et l'usage des NTIC. Renforçant ce constat, une surreprésentation des services apparaît dans la population
1 (en particulier sur les services aux entreprises). Ces
résultats rejoignent d'autres résultats obtenus sur la
population mère qui montrent que c'est surtout le secteur des services aux entreprises et des biens d'équipement qui tirent la dynamique de diffusion des NTIC
(Gadille, Iribarne 2000).
Agriculture, transports,
construction
Industries
Commerce
Services
Total répondants
Population 1
1
7%
2
2
10
15
13%
13%
67%
Population 2
8
18%
14
6
17
45
31%
13%
38%
Tableau 3 : Secteurs d’activités
Les dates de connexion à Internet qui renvoient en
théorie à la notion d'adoption de la technologie, sont en
principe un indicateur du temps passé pour l'apprentissage par l'usage et les possibilités de développement de
nouveaux usages. Leur analyse révèle qu'il y a peu de
différence entre les deux populations de ce point de
vue et que si différences il y a, elles montrent que les
entreprises les moins performantes se sont équipées
plus tôt. En effet, pour la population 1, 13% des entreprises (2 en VA) se sont connectées avant janvier 97
contre 19% pour la population 2 (8 en VA) tandis que
80% (12 en VA) de la population 1 se sont connectées
entre janvier 97 et janvier 99 contre 74% (32) pour la
population 2. Les 7% restant pour les deux populations
se sont connecté après janvier 99, année de l'enquête.
Ces résultats sont à rapprocher des enquêtes de plus
grande ampleur (Locabail par exemple) qui montrent
un décollage des connexions entre 97-98.
Population 1 Population 2
Accès Internet par ordinateur
Réseau Intranet
Réseau Extranet
Réseau local, réseau étendu
propriétaire
Total répondants
15 100% 39 100%
10 67% 6 15%
1 7% 0 0%
14 93% 31 80%
15
39
Tableau 4 : Détail des différents accès réseau
Les équipements informatiques et les accès réseaux
sont des éléments d’information sur la relation entre le
système technique et l’organisation des usages. Une
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
analyse du détail de ces équipements suggère, en effet,
que les entreprises de la population 2 peuvent également être tenus pour des entreprises ayant investi dans
les NTIC à partir de leur adoption d'Internet. Par
exemple, toutes les entreprises de cette population sont
connectées à Internet puisqu'elle ont été sélectionnées
sur cette base, 4 firmes sur 5 disposent aussi
d’ordinateurs reliés en réseau. Notons aussi que les
deux types d'entreprises ne semblent pas se différencier
quant à leur équipement en réseau local ou réseau
étendu propriétaire.
posé la question en priorité aux managers ou à leurs
proches collaborateurs concernant le ou les motifs à
l’origine de la décision de la connexion à Internet.
En revanche, la présence d'Intranets semble différencier ces deux populations. En effet, un déséquilibre
important apparaît sur le nombre d’Intranet développé
(2 entreprises sur 3 dans la population 1, moins d’une
entreprise sur 6 dans la population 2 !). Il semble donc
que la capacité d'obtention des performances soit
moins lié au fait de se connecter à l'Internet qu'au contexte technologique et organisationnel dans lequel
l'entreprise se connecte. Probablement, ce résultat suggère que les entreprises performantes savent articuler
une technologie et une organisation tournée sur les
échanges externes et une technologie et une organisation tournée sur les échanges internes. La dépendance
du chemin évoquée par les évolutionnistes serait donc
bien lié à une cohérence dynamique entre la stratégie
ou les stratégies et les capacités organisationnelles dans
lesquelles se réalisent les apprentissages par l'usage.
Nous reviendrons ultérieurement sur ce point, notamment lorsque nous évoquerons la notion de projet précédant la mise en œuvre des NTIC dans les entreprises.
Compte tenu des effectifs de la population 1 (soit 15
entreprises), nous ne pourrons statistiquement
conclure. Toutefois, on remarque dans le tableau précédent qu’une double tendance se détache :
2.2.
NTIC, oui mais… Intentionnalité, Projet et Adaptation
Le rôle de l’organisation dans l’analyse des liens entre
informatisation et performance n’est plus à démontrer.
P. Romelaer (1998, p. 100) rappelle que la plupart des
contributions scientifiques autour de l’ouvrage
« Performance des entreprises et innovation », suggèrent que « l'organisation de l'entreprise et de
l’innovation sont les éléments clés de la relation entre
innovation et performance ». Il reste cependant à spécifier les processus d’apprentissages de l’organisation
(tels qu'ils sont évoqués par les évolutionnistes), dans
les entreprises qui utilise pour la première fois une
technologie et la combine à des technologies et des
savoirs anciens. L’analyse des conditions de réalisation
de ces processus d’apprentissage ne peut se dispenser
d’une mise en relation des stratégies du management
avec les capacités de son organisation et ceci dans une
boucle de rétroaction temporelle afin d’identifier la
dépendance du chemin pour l’entreprise.
De fait, s’intéresser à la valorisation des NTIC dans les
PME de notre échantillon, revient à discuter des
contextes et des logiques de choix puis de mise en
œuvre et d’utilisation de ces technologies. On abordera
ainsi les “cheminements” à partir de trajectoires des
PME concernées.
2.2.1.
Projet et Intentionnalité
Pour évaluer dans quelle mesure les organisations concernées ont produit une réflexion sur elles-mêmes et
quels furent leurs projets (sous-jacents à la mise en
place des NTIC) ou leur intentionnalité, nous avons
Population 1 Population 2
pour voir
par contrainte
dans le cadre d'un projet en
vue d'applications précises
autre
3
3
9
20% 23 55%
20% 5 12%
60% 12 29%
3
20% 14 33%
Tableau 5 : Motifs de la décision de la connexion à Internet
- 60% des entreprises de la population 1 se sont
connectés dans le cadre d'un projet en vue d'applications précises (comme la mise en œuvre d’un réseau
EDI) ;
- inversement, 55% des entreprises de la population 2
(soit 23 firmes) déclarant ne pas valoriser les NTIC
s’étaient connectées à Internet “pour voir”…
Il semblerait donc que les entreprises déclarant valoriser les NTIC sont également celles pour lesquelles un
projet précédait la mise en place de ces dernières (la
connexion à Internet tout au moins).
Il est possible d’approfondir cet aspect en le reliant aux
choix organisationnels concomitants à la mise en œuvre et à l’utilisation des NTIC.
2.2.2.
Déplacement de l'organisation
On s’intéresse donc aux contextes et aux logiques liés à
la mise en œuvre et à l’utilisation des NTIC : plus précisément quels sont les choix d'organisation des relations au travail formelle et informelle opérés en relation avec les NTIC ?
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
3
8
2
23% 31 82%
62% 3 8%
15% 4 10%
Tableau 6 : Modification de l’organisation formelle de
l'entreprise pour communiquer des informations obtenues via les NTIC
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
Gestion/ administration/
finance/ comptabilité
autres
Total répondants
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
6
6
0
50% 32 84%
50% 2 5%
4 11%
Tableau 7 : Modification des relations entre les services et les personnes pour traiter les informations obtenues via les NTIC
Si nous ne pouvons toujours pas conclure sur une tendance statistique, les 2 tableaux précédents mettent en
perspective un trait fort : les dimensions organisationnelles liées à l’utilisation à la valorisation des NTIC.
Les entreprises déclarant valoriser les NTIC (autant sur
la diversification que sur la réduction des coûts de revient) sont également celles ayant procédé à des adaptations de leur organisation : si les NTIC semblent
créer de nouvelles possibilités (entreprise en réseau,
etc.), il semble aussi particulièrement pertinent de noter
que les entreprises de la population 1 sont celles ayant
(très majoritairement) accepté et mis en œuvre un
déplacement de leur organisation, voire de se désorganiser pour se ré-organiser pour tendre vers de nouveaux modes de fonctionnement en relation avec les
NTIC.
Il semble précoce de conclure que l’adoption de NTIC
développe systématiquement de nouvelles formes d'organisation dans les entreprises concernées. Pour autant,
il convient de relever que parmi ces dernières, les firmes déclarant valoriser ces technologies ont remis en
cause (avant, pendant ou après l’adoption des NTIC)
leur fonctionnement global d'une part, leur organisation du travail d'autre part.
2.2.3. Rendre l'information économiquement accessible, perméabiliser les
frontières hiérarchiques et fonctionnelles
Afin de prolonger les interprétations précédentes et de
s’interroger sur les choix organisationnels liés aux
NTIC, il semble intéressant de connaître le degré de
diffusion des ces dernières parmi le personnel des organisations concernées : sont-elles le monopole de
certains niveaux hiérarchiques ou fonctions ; inversement, contribuent-elles à une « horizontalisation » des
entreprises interrogées ?
Population 1 Population 2
La majorité du personnel
7
Seulement certaines personnes 8
47% 11 24%
53% 34 76%
3 20% 3
15
37
8%
Tableau 9 : Les fonctions équipées pour utiliser les
accès réseau
A un premier niveau de lecture, nous pouvons remarquer que les entreprises valorisant le plus les NTIC
sont celles ayant fait un effort sur l’accessibilité et la
diffusion de ces dernières.
Dans une certaine mesure, cet effort sur la diffusion
des NTIC au sein de l'entreprise peut être à l’origine
d’un double mouvement :
- d'une part, estomper les distances et les frontières
hiérarchiques ou fonctionnelles ;
- d'autre part, et ceci expliquant cela, rendre
l’information
économiquement
accessible
à
l’ensemble des acteurs dans l'organisation.
Augmenter la diffusion des NTIC dans l'entreprise,
cela peut en effet contribuer à estomper les distances et
les frontières hiérarchiques ou fonctionnelles : du fait
du cheminement dynamique des informations, une
recherche sur le thème quelconque (concurrence, fournisseurs, clients, etc.), outre l’accès à des informations
variées, peut amener un acteur à dialoguer avec différents individus de son organisation (des dirigeants, des
commerciaux, des techniciens, etc.) comme des acteurs
d’autres entités (des clients, des universités, des organismes recherche de différents pays, etc.).
Ceci revêt une certaine importance quant à la gestion
de l'information dans les organisations : l’enjeu, soulignait déjà en 1986 J.-L. Le Moigne en se référant aux
travaux de H.A. Simon (1983), n’est pas de faire circuler l'information systématiquement, « mais de la rendre
économiquement accessible à la demande, sans
contraindre tous les acteurs de l’organisation à la
consommer malgré eux ! » (Le Moigne, 19869). D’une
certaine façon, c’est ce que soutiennent les technologies Internet (web, messageries, etc.) aujourd’hui : les
coûts d’accès à de nombreuses bases de données restent (jusqu’à présent) nuls ou marginaux, alors que
dans le même temps des systèmes d'information (basés
sur de l’hypertexte comme que le Word Wide Web),
facilitent sensiblement l’accessibilité, la recherche d'information tout comme une certaine interactivité dans
cette dernière.
Population 1 Population 2
Une large diffusion des NTIC à l’intérieur de l'organisation semble faciliter l’accessibilité aux informations
et l’interactivité dans certains relations interpersonnelles. En cela, elle peut être tenue pour l’un des facteurs
à l’origine de la perméabilisation des frontières hiérarchiques et fonctionnelles dans l'entreprise.
11 73% 22 59%
13 87% 22 59%
Deux éléments supplémentaires peuvent appuyer les
interprétations précédentes :
Tableau 8 : Diffusion des NTIC dans l'entreprise, les
acteurs ayant accès à Internet
Achats/ approvisionnements
méthodes/ gestion de production/ ordonnancement/
qualité
R&D/conception
ventes/ commerce/ marketing/ communication
informatique/ télécommunications
GRH/formation
15 100% 27 73%
11 73% 21 57%
13 87% 26 70%
d'une part, s’interroger sur les procédures accompagnant la mise en œuvre des NTIC , c'est-à-dire
la construction de ressources par l'entreprise afin
de promouvoir et favoriser l’utilisation des NTIC ;
13 87% 19 51%
9
60% 17 46%
9
Caractères gras ajoutés par nous.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
-
d'autre part, s’interroger sur les échanges spontanés d'information dans l'entreprise.
Le Tableau 10 et le Tableau 11 présentent les résultats
obtenus pour chacune de ces deux variables.
Population 1 Population 2
Mis en place des plans de forma7 50% 4 13%
tion
Financé des actions de formations 4 29% 8 26%
ponctuelles
Mis en place des assistances inter- 11 79% 9 29%
nes pour ceux qui en avaient besoin
Laissé chacun trouver les aides
4 29% 16 52%
dont il estimait avoir besoin
Total répondants
14
31
Tableau 10 : Mis en place de ressources ou
d’assistances lors de l'implantation et du développement des NTIC
Si plus d’une entreprise sur deux de la population 2 ont
laissé les “problèmes se régler d’eux-mêmes” lors de
l’implantation et du développement des NTIC (“laissé chacun trouver les aides dont il estimait avoir besoin”), près de quatre entreprises sur cinq de la population 1 ont “mis en place des assistances internes
pour ceux qui en avaient besoin”. Ici aussi, nous constatons que la valorisation des NTIC dans les entreprises
de la population 1 est, pour une large part, concomitante, avec la construction (intentionnelle) de ressources multiples et variées (assistances internes, plans de
formation).
Le tableau suivant, évoquant les échanges spontanés ou
informels (d’acteur à acteur) d’information, corrobore
aussi le raisonnement corrélant la diffusion des NTIC
au degré de communication dans l'entreprise :
Population Population
1
2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
1 8% 25 64%
12 92% 11 28%
0
3 8%
nombre d’acteurs
communicationnel.
A l’inverse, le fait d’impliquer (Tableau 8 et Tableau
9) et d’aider (le Tableau 10), dès le départ, un ensemble important d’acteurs (de la direction générale aux
opérationnels) semble soutenir la communication et la
circulation des informations dans l’entreprise (Tableau
11). L’accroissement des échanges spontanés d'information constatés, l’horizontalisation des relations interpersonnelles, permettent ou incitent un plus grand
participer
au
processus
En second lieu, les résultats précédents prolongent des
études menées sur différents types d'organisations
ayant adopté des NTIC : « la communication médiatisée en réseau ne fonctionne que dans la mesure où
chacun des participants y trouve un intérêt collectif et
individuel, c'est-à-dire qu'il a un rôle au sein de l'ensemble qui fait de lui un véritable relais permettant la
circulation de la communication via le média à l'intérieur du réseau »10.
De fait, des facteurs comme la structure d’organisation,
le décloisonnement des informations par rapport aux
niveaux hiérarchiques ou aux fonctions et la formation
des acteurs exercent une influence favorable sur la
d’écoute de l'organisation sur les multiples dimensions
de son environnement.
Par ailleurs, la valorisation des NTIC dans les entreprises semble liée au projet, à l’intentionnalité de l'organisation et à la réflexion que cette dernière est capable de
produire sur elle-même, sur son auto-organisation et
adaptation ainsi que sur sa volonté de construire ou
d'organisation des ressources (des plans de formation
par exemple).
2.2.2. Ouverture sur l'environnement,
construction de ressources : vers des entreprises en réseaux ?
Il semble possible d’appréhender l’ouverture de l'entreprise sur son environnement en comptabilisant le
nombre de partenaires avec lesquels elle est en contact
et en discutant des moyens qu’elle se donne pour
s’ouvrir et pour échanger avec cet environnement. Ce
que l’on se propose de faire à partir à partir de l’étude
des sites “Web”, des applications marketing et/ou de
veille économique développées (via les NTIC) par les
entreprises des 2 populations.
Population 1 Population 2
A développé son site Web
Non
A développé des applications
pour le marketing
Non
A développé des applications
pour la veille économique
Non
Tableau 11 : les échanges spontanés ou informels
d’informations obtenues via les NTIC
Les résultats précédents semblent prolonger les explications développées dans différentes recherches. En
premier lieu, un grand nombre de travaux en management stratégique (Lesca, 1989 ; Marmuse, 1992 ; Martinet, 1991) rappellent que si les interactions et les
échanges d’information dans l’entreprise semblent
insuffisants, cela provient souvent de sa structure
d’organisation : il paraît effectivement difficile
d’entretenir une certaine interactivité, si le degré de
parcellisation ou de spécialisation des activités, le cloisonnement des informations en fonction des niveaux
hiérarchiques et des fonctions, le degré de diffusion des
NTIC (Tableau 8), etc., ne favorisent pas une circulation soutenue des informations dans l'organisation.
à
15 100% 11 25%
0 0% 33 75%
11 79% 4 9%
3
6
21% 38 91%
55% 5 12%
5
45% 37 88%
Tableau 12 : développement d’applications de “mise en
relation et connaissance de l'environnement”
S’il est souvent présenté comme une simple vitrine, le
site web semble traduire la volonté de l'entreprise de
s’ouvrir sur son environnement. La Veille constitue
également une ouverture sur l'environnement mais plus
volontariste dans la mesure où il s’agit d’aller chercher
et d’utiliser de l’information et pas seulement de la
mettre à disposition. Tout comme les applications de
marketing (statistiques sur les profils des clients
connectés, sur les produits proposés dans le catalogue
en ligne), elle peut favoriser une connaissance accrue
de l’environnement et donc une meilleure réactivité de
10
Caractères gras ajoutés par nous.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
l'entreprise (sur les produits, les besoins des clients,
etc.).
Cette volonté et ce projet de s’ouvrir ou de se diffuser
dans l’environnement (notamment, par le développement d’un site web), de mieux le caractériser et le connaître (à travers le développement d’applications de
marketing ou de veille économique) attirent notre attention sur deux points paraissant eux-mêmes liés.
En premier lieu, il semble important de rapprocher ces
résultats avec ceux obtenus respectivement sur :
•
les
échanges
spontanés
d’informations (Tableau 11) ;
•
la construction de ressources ou la mise à disposition d’aide pour utiliser les NTIC (Tableau 10) ;
•
les modifications d’organisation pour communiquer des informations obtenues via les NTIC
(Tableau 6).
ou
informels
Ainsi, pour chacune des variables citées, on peut vérifier que pour les entreprises de la population 1 le projet
de se “connecter” (au sens large du terme) à
l’environnement “externe” est concomitant à la volonté
d’ouvrir l’organisation en interne (par des modifications de l'organisation, la construction de ressources
nécessaires aux acteurs pour s’approprier les NTIC,
etc.).
En second lieu (et ceci étant lié au point précédent), à
la suite des travaux de Cohen et Levinthal (1990),
C. Divry, S. Debuisson et A. Torre (1998), on suppose
que le processus d’interaction entre les “relations extérieures” d’une entreprise d'une part, son organisation et
ses compétences internes d'autre part, « traduit son
aptitude à intégrer et à assimiler les apports extérieurs,
par le biais de relations d’apprentissage organisationnel. La capacité d’apprentissage ainsi mise en évidence
repose sur les aptitudes de chaque membre de
l’organisation à mettre en forme l'information provenant de l'environnement et à transmettre ces dernières entre les départements de la firme » (C. Divry,
1998, p. 12111).
Par ailleurs, l’accroissement de l’adaptabilité et de la
réactivité des organisations semble corroboré par les 4
tableaux suivants (si l’on tient compte également de
l’accroissement de la perméabilité des frontières hiérarchiques et fonctionnelles évoqué dans la partie précédente) mettant en perspective l’élargissement du
portefeuille clientèle, la souplesse d’adaptation, etc.
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
5
8
1
36% 30 68%
57% 10 23%
7% 4 9%
Tableau 13 : l'utilisation des NTIC comme vecteur
pour trouver de nouveaux fournisseurs ou partenaires
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
6
8
0
43% 35 80%
57% 4 9%
5 11%
Tableau 14 : l'utilisation des NTIC a permis à votre
entreprise d'élargir son portefeuille clientèle
11
Caractères gras ajoutés par nous.
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
1 7% 22 57%
13 93% 13 33%
0
4 10%
Tableau 15 : l'utilisation des NTIC a permis à votre
entreprise une plus grande souplesse d'adaptation ou
une meilleure réactivité aux marchés
Population 1 Population 2
Clients
Entreprises donneurs d'ordre
Entreprises sous-traitantes
Entreprises partenaires
Etablissements, agence ou siège
Laboratoires de recherche, organismes de formation supérieure
Organismes professionnels ou
organismes consulaires
Collectivités territoriales, services déconcentrés de l'Etat
Banques
Total répondants
13
6
5
13
6
3
87%
40%
33%
87%
40%
20%
33
10
5
13
11
1
82%
25%
12%
32%
27%
2%
6
40%
5
12%
2
13%
3
7%
2
15
13%
5 12%
40
Tableau 16 : relations et utilisation des NTIC avec
certains partenaires
Si les entreprises des deux populations sont largement
amenées à utiliser les NTIC avec différents types de
partenaires (ceci dans des proportions relatives stables
d’une population à l’autre), nous relèverons néanmoins
2 différences.
En premier lieu, 57% des entreprises de la population 1
(respectivement, 23% dans la population 2) ont trouvé
des partenaires grâce à l’usage des NTIC (cf. Tableau
13). Peut-on supposer qu’au sein de ces partenaires se
retrouvent surtout des firmes avec lesquelles les organisations interrogées ont développé des processus de
coopération (pour de la R&D, de la formation, etc.),
des procédures de co-développement de produits, etc.
La mise en relation de cet indicateur avec une diffusion
plus large des accès Internet à l’intérieur de la PME
nous permet de rejoindre les réflexions développées
par certains auteurs comme P. Tabatoni (1999, p. 249)
selon lesquelles l’apprentissage des acteurs est lié, entre autres facteurs, à leur accès, à leur participation et à
leur coopération sur certains projets : « la capacité de
ses personnels à “apprendre” à partir de l’expérience
des autres membres, grâce à leur coopération à certains
projets, est donc un enjeu majeur de l’insertion d’une
firme dans un réseau. Son management stratégique doit
former ses personnels à rechercher systématiquement
les occasions d’acquérir l’expérience d’autres “cadres”,
d’autres “niveaux” d’efficience, de culture, de relations ».
En second lieu, on remarque que 40% des entreprises
de la population 1 utilisent les NTIC pour échanger
avec des organismes professionnels ou des organismes
consulaires. Ceci ne concerne seulement 12% des entreprises de la population 2. Ne révèle-t-on pas ici un
souci de renseignement, un projet d’écoute et
d’ouverture sur l'environnement à travers des contacts
avec les organismes consulaires et de renouvellement
avec les organismes de formation supérieure (afin de
trouver de nouvelles compétences par exemple).
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
De façon générale, ces 2 indicateurs semblent révéler
une certaine volonté des entreprises de la population 1
à se connecter à l'environnement, à se mettre en réseau
avec différents acteurs économiques en même temps
qu’elle considère comme normal l’usage généralisé en
leur sein de cette technologie. On retrouve là, en partie,
l’aspect de construction sectorielle des entreprises de
services aux entreprises dont l’utilisation d’Internet et
la production de services liés aux NTIC est centrale
dans leur production de valeur.
N’oublions pas que cet effet de “mise en réseau” et
d’ouverture sur l'environnement ne se limite cependant
pas à dynamique sectorielle, elle a tendance a représenté une dynamique générale pour l’ensemble des entreprises (57% des entreprises de la population 1 ont pu
trouver de nouveaux partenaires ou fournisseurs en
utilisant les NTIC contre seulement une entreprise sur
5 pour la population 2).
Cette dynamique d’usage pour soutenir l’attention à
l’environnement se retrouve également sur les domaines d’usages mobilisés dans leur relations avec les
partenaires au sens large : s’il y a une certaine stabilité
sur la plupart des items, un écart manifeste apparaît
quant à la rubrique prospection de nouveaux marchés
et marketing (cf. le tableau suivant).
Population 1 Population 2
Formation et formation à distance
R et D pour de nouveaux produits,
services ou technologies
Relations, suivi clientèle, assistance après vente et échange de
documents avec le réseau vente
Achats/Ventes
Gestion de production
Comptabilité
Prospection de nouveaux marchés,
marketing
Autres
Total répondants
1
7
7%
47%
1
9
2%
21%
11 73% 24 56%
6
2
5
12
40% 15 35%
13% 6 14%
33% 7 16%
80% 8 19%
6 40% 16 37%
15
43
Tableau 17 : domaines d’utilisation des NTIC avec les
partenaires
La démarche d’usage des NTIC pour le marketing et la
veille instrumentent donc une meilleure écoute des
clients et favorisent, par-là, l’amélioration de la qualité
dans le cadre d’une stratégie générique qui intègre les
trois logiques de recherche d’avantage compétitif.
Population 1 Population 2
Pas d'accord, plutôt pas d'accord
D'accord, plutôt d'accord
Ne sait pas
1 7% 25 56%
13 87% 17 38%
1 6% 3 6%
Tableau 18 : utilisation des NTIC et amélioration de la
qualité des services ou de produits
A cet égard, le graphique suivant semble particulièrement révélateur12. Il correspond à une synthèse des
variables précédemment commentées et mobilisées
dans cet article et que nous tenons pour les plus pertinentes. Ainsi, l’axe “Projet de connexion” rappelle le
12
Cette synthèse n’est pas la représentation graphique d’une
analyse multi-variée effectuée à partir des six variables retenues. En effet, les écarts observés entre les 2 sous-populations
nous paraissaient suffisamment significatifs pour être restitués en l’état, c'est-à-dire à dire sous la forme de tris à plat.
3e item du Tableau 5, c'est-à-dire le projet lié aux motifs de la connexion à Internet ; les axes “Modifications
de l'Organisation”, “Modification des relations” et
“Diffusion des NTIC” reprennent respectivement les
résultats du Tableau 6, Tableau 7 et Tableau 8 ; l’axe
“Assistances Internes” présente le 3e item du Tableau
10 (les autres items de cette variable corroborant largement ces résultats) ; enfin, l’axe “Ecoute” synthétise
les résultats du Tableau 12 de la façon suivante : les
pourcentages cités (respectivement 87% pour la population 1 et 16% pour la population 2) correspondent
aux entreprises ayant développées, pour chacune des 2
populations, au moins 2 des 3 applications citées (site
Web, application marketing et application de veille
économique).
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
Projet de connexion
100%
80%
Ecoute
60%
Modifications de l'Organisation
40%
20%
Population 1
0%
Population 2
Assistances Internes
Modifications des relations
Diffusion des NTIC
Certainement plus qu’une succession de tableaux de
contingence, cette synthèse visuelle met en perspective :
- des caractéristiques techniques, structurelles et organisationnelles des entreprises concernées ;
- les écarts observés sur ces caractéristiques entre les 2
populations (la “surface” couverte par la population 2
étant très largement inférieure à celle couverte par la
population 1).
Conclusion
L’observation de l’adoption des NTIC est insuffisante
pour en déduire leur impact direct sur les performances
des entreprises concernées. Comme le suggère le graphique précédent, une amélioration des performances
semble également liée au double projet d’adaptation
de l'organisation et de mise en réseau de cette dernière avec son environnement. Ces deux mouvements
s’initialisent d'une part par la construction et le maintien de ressources (mise en place d’assistances internes, développement d’un site Web, etc.) et d'autre part,
par le développement et l’adaptation de réseaux “de,
dans et hors” de l'organisation avec les différentes
dimensions de son environnement. Nous entendons ce
dernier à un niveau interne (modifications de l'organisation, degré de diffusion des NTIC, etc.) et externe
(développement d’applications de veille économique,
de marketing, etc.).
De fait, la valorisation des NTIC semble surtout
concerner les PME sachant se donner les moyens
(construction de ressources) d’être à l’écoute des évolutions de leur environnement et de s’y adapter plus
rapidement. P. Romelaer (1998, p. 93) souligne ainsi
que “les ressources” consacrées à l’innovation ne sont
pas seulement financières : « elles comprennent aussi
les savoirs techniques, le temps des dirigeants, des
managers, des techniciens et des autres acteurs de
l’innovation, dans l'entreprise et hors de l'entreprise.
Elles incluent également l'organisation interne, les
réseaux de contacts et de financements mobilisables,
les dispositifs techniques et bien d’autres éléments »13.
13
Caractères gras ajoutés par nous.
C’est ce que cette enquête met en perspective en analysant les performances en relation avec les modifications de l'organisation interne, l’usage en réseau ou le
couplage de l'organisation (via le web, des activités de
veille, de marketing, etc.) avec l'environnement. Nos
résultats viennent donc prolonger et préciser ceux de
recherches précédentes (Forray, 1999 ; Romelaer,
1998) : « les entreprises sont en moyenne d’autant plus
innovantes qu’elles ont plus de liens externes : le secret
et le repliement sur soi ne payent pas. Mais ces liens
passent moins par des contrats écrits que par des relations inter-organisationnelles informelles gérées sur
des durées longues » (Romelaer, 1998, p. 99).
Il s’ensuit que la plupart des discours évoquant
l’univers des nouvelles possibilités que laissent présager les NTIC, discours logiquement appuyés par les
récits des succès des “seules” entreprises “hautement
technologiées”, sont trompeurs, comme peuvent l’être
des conclusions attribuant à une seule cause, en
l’occurrence les NTIC, des réussites souvent enracinés
dans des pratiques et des contextes organisationnels,
des logiques et des projets d’acteurs et d'organisations.
Si les NTIC peuvent contribuer à la performance des
entreprises, leur apport demeure largement à préciser et
à contextualiser dans la perspective de l’aide à la décision ou l’orientation de politique publique. Lorsqu’une
entreprise intègre Internet ou des technologies
connexes, les stratégies pertinentes d’usage et de performance ne seront pas les mêmes selon la trajectoire
passée de cette entreprise et celle de son secteur
d’appartenance.
En outre, nous avons noté que les recherches évoquant
le paradoxe de la productivité, suggère que
l’informatique n’améliorerait pas la productivité dans
les entreprises car celles-ci ne sauraient pas la maîtriser. Ces recherches s’appuyaient, pour la plupart, sur
des statistiques nationales et globales, soulignaient
seulement les difficultés de valorisation des NTIC…
dès lors que l’on situe les analyses à l’échelle nationale, sectorielle ou sur un important échantillon d'organisations. Ce n’est pas la tendance qui se constitue si
l’on étend nos interprétations14 aux 108 PME de notre
échantillon : les gains de productivité sont réalisé de
14
Ces analyses ne sont pas détaillées dans le présent article.
Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille
façon unilatérale (sans diversification) mais en majeure
partie avec différenciation, dans 32% des PME, ce qui
ne constitue pas des proportions marginales et semble
rend caduque la remarque datée de Solow. Au regard
de notre recherche, ce qui se profile, c'est la concomitance de la valorisation des NTIC et la capacité des
entreprises à se réorganiser (recomposer leur structure
interne, les communications ascendants-descendantes,
les relations interpersonnelles, l'implication de chacun,
etc.). De fait, parler de l’appropriation et de l’adoption
que les NTIC impliquent, revient à évoquer le changement et l’adaptation de l'organisation et des compétences d'usage des acteurs ainsi que des relations entre ces
derniers et les autres organisations.
Dans tous les cas, même si nos résultats semblent suggérer que les différents facteurs stratégiques et organisationnels, mis en perspective dans cet article exercent
une certaine influence sur la performance des PME
étudiées, encore faut-il déterminer ceux qui sont à la
source des améliorations les plus sensibles pour un
niveau donné de ressources engagées (financières humaines, organisationnelles, etc.). De même on peut se
demander plus précisément quel rôle joue « l’espace
industriel » où se situe l’entreprise et qui participe à la
construction de ses stratégies et capacités organisationnelles. Il s’agirait donc d’approfondir à partir de
l’exploitation des données les modalités de socialisation et d’organisation de ces PME dans leur tissu local
qui supporte une économie de proximité y compris
avec les aspects de politiques et d’action publique mais
aussi dans leurs relations aux grandes entreprises étendues et aux structures sociétales (Maurice, Sellier et
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Les NTIC dans les PME : Stratégies, capacités organisationnelles et performances différenciées
Serge Amabile, Martine Gadille