Non, l`Ace n`est pas encore sur le carreau
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Non, l`Ace n`est pas encore sur le carreau
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 30 AOÛT 2014 26 RIFFS HIFI GUITARISTE ORIGINEL DE KISS Chronique du non-virtuose Frehley Non, l’Ace n’est pas encore sur le carreau de Lucerne il y a cinq ans. Reste la légende, celle d’un guitariste à la technique limitée, aux solos qui finissent tous par se ressembler. Baptiste Brand de SaintImier ou Sidney Chopard de Sonceboz sont mille fois meilleurs que lui. Il est le premier à l’admettre: «Je suis une anomalie, je ne suis pas un musicien instruit. Je ne sais pas lire la musique, mais je suis l’un des guitaristes les plus populaires. Allez savoir pourquoi.» PASCAL VUILLE Celui qui restera à jamais le «Spaceman», le guitariste originel de Kiss qui incarnait l’homme de l’espace, continue d’explorer la galaxie sonique en solitaire et signe un retour inattendu. Deuxième expédition dans l’espace musical en cinq ans: Paul Daniel «Ace» Frehley, guitariste plus paresseux qu’un Mexicain pendant la sieste, ne nous avait pas habitués à une telle assiduité. Que nous réserve donc «Space invader», dont la pochette signée Ken Kelly (l’auteur du chef-d’œuvre «Destroyer») laisse présager un puissant décollage? Très influent, le gars Il chante comme il parle La voix est intacte, agréablement nonchalante, le phrasé désinvolte. Ace chante comme il parle, comme il marche, d’un air désabusé comme si la vie n’avait plus rien de surprenant pour lui. La tête dans les étoiles, sans doute. Et peut-être un peu de regrets aussi, même si l’intéressé s’en défend dans «No regrets», son autobiographie. Comment peut-on ne pas s’en vouloir de s’être fait éjecter en 2002 de la multinationale Kiss Ltd après avoir bénéficié d’une seconde Ace Frehley: il a suscité énormément de vocations. LDD chance? Le disque ne révolutionne pas le rock, certes. Frehley n’est pas « Je suis une anomalie, je ne ● suis pas un musicien instruit. Je ne sais pas lire les notes, mais je suis un des plus populaires...» ACE FREHLEY ANCIEN GUITARISTE DE KISS Jack White. La reprise du «Joker» du Steve Miller Band est réussie. De qualité inégale (la constance n’a jamais été son point fort), la galette renferme quelques voyages plaisants («Immortal pleasures»), mais Ace n’est jamais aussi bon que lorsqu’il se laisse aller au blues («Gimme a feeling», «What every girl wants»). Pendant que Paul et Gene, ses meilleurs ennemis, remplissent les arènes à longueur d’années, lui peinait à remplir le Schüür Effectivement, et c’est paradoxal, il fut l’un des plus influents. A la fin des seventies, toute une génération de kids se sont grimés comme lui, ont imité ses gimmicks devant le miroir de leur chambre à coucher tapissée de posters à son effigie, puis se sont fait offrir une gratte à Noël. Ils s’appelaient Lenny Kravitz, Slash, Dave «Snake» Sabo (Skid Row), feu Dimebag Darrell (Pantera), Scott Ian (Anthrax), Marty Friedman (Megadeth), Gilby Clarke (Guns’N’Roses) ou Mike McCready (Pearl Jam). Le meilleur guitariste du monde n’est donc pas forcément celui qui joue mille notes à la seconde ou qui a l’oreille absolue. C’est celui qui suscite des vocations. Ace est de ceux-là. L’essentiel n’est pas de savoir s’il a réussi à égaler son album solo de 1978 (clairement non), mais d’avoir de ses nouvelles. Elles sont plutôt rassurantes. L’homme à la Les Paul orangée est sorti de son coma (éthylique) et va mieux que Schumacher. Respect. Ace Frehley, «Space invader», distribution Musikvertrieb. RED KUNZ Red Fang de Portland fusionne avec Kunz de la Tchaux pour un court opus ERIC CLAPTON AND FRIENDS Hommage sincère à l’inoubliable JJ Cale D’accord, il y a bien longtemps qu’Eric Clapton n’innove plus. Ses aficionados, résolument fleur... blues, ne le lui demandent absolument pas. Au moins, ce gars reste fidèle en amitié. On songe notamment à son admiration pour le défunt JJ Cale. Après un disque réalisé en commun en 2008 avec le génie américain («The road to Escondido»), accessoirement le moins bon JJ, il rend aujourd’hui hommage au disparu dans «The Breeze, an appreciation of JJ Cale» (distribution Universal), avec l’aide de potes comme Tom Petty, Mark Knopfler et Derek Trucks. «Cocaine» et «After midnight», ça vous dit évidemment quelque chose. En reprenant ces deux chefs-d’œuvre, Clapton avait contribué, dans les seventies, à faire connaître son idole et aussi à lui faire toucher de solides royalties. Aujourd’hui, c’est à la famille de Cale que ces royalties échoiront. Clapton et sa bande exhument ici 16 chansons de l’inoubliable JJ, pas forcément connues à l’exception du sensationnel «Call me the breeze», également popularisé par Lynyrd Skynyrd. Eh bien, malgré leur immense talent, ils n’arrivent pas à rendre l’ambiance laid back que Cale a littéralement inventée. Bel hommage, certes. Mais à l’impossible, nul n’est tenu... PABR FEMMES DE ROCK, FEMMES DE TÊTE Le grand retour de la reine Christine... Quand elle n’attaque pas des McDo au Kalachnikov, Chrissie Hynde, la grande dame des Pretenders, prouve qu’on peut être à la fois rockeuse sauvage et végétarienne bobo. Orpheline (provisoirement?) des Pretenders, elle s’est exilée à Stockholm pour réaliser un album solo baptisé du nom de la ville (distribution Universal) avec l’aide d’une poignée de Scandinaves galvanisés par son charisme. A signaler aussi la visite des guitaristes Neil Young et... John McEnroe. Oui! le tennisman. Un disque lumineux et rayonnant, alternant rock ciselés et ballades crépusculaires dans le plus pur esprit Pretenders. Chrissie Hynde? Qui, à part elle, mérite le qualificatif de femme de rock? Imelda May, peut-être. Justement, on y vient... ... et d’Imelda May, madone du rockabilly Quel tempérament! Elle n’est pas Irlandaise pour rien, Imelda May. Et, depuis quelques albums, elle lutte contre vents et marées pour magnifier ce rockabilly auquel même Brian Setzer, des défunts Stray Cats, ne croit plus. Elle si! Dans «Tribal», son nouvel opus (distribution Universal), elle a aussi parfois recours au rock pur, au rhythm ‘n’ blues et aux accents jazzy pour brouiller les pistes. Révélée par l’immense Jeff Beck, qui adore les rockeuses – il s’est commis plus d’une fois avec Imelda, mais aussi avec Beth Hart et Joss Stone –, la belle Irlandaise a ici durci le ton: «Je me demandais où étaient passées les femmes à fort caractère dans le rock and roll, a-t-elle confié à Rolling Stone. Eh bien, j’en suis une!» La preuve? Son look perpétuellement rétro est devenu plus punkoïde, plus cuir à la sauce Brando ou Rotten. De quoi imposer ce rockabilly qui, dit-elle, est à la base des Beatles, Led Zep et autre Beck. Oui, la digne héritière des Joan Jett, Suzi Quatro et Chrissie Hynde. Pour le tempérament! PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER LA PLAYLIST DE... Pierre-Yves Theurillat [email protected] Du stoner rock taillé dans l’essentiel RUSH Counterparts Fruit d’une rencontre plus poussée entre Red Fang (de Portland, USA) etKunz (leprojetentre«intimes » de Luc Hess, batteur, et Louis Jucker, guitariste, bassiste et chanteur de la Chaux-de-Fonds), Red Kunz, le quartet surpuissant à deuxbatteurs,adéroulésesfasteset ses tapis d’accords sur une semaine,investissantlascèneduRomandie quelque six jours avant son gig (la première partie était MARILLION Misplaced Childhood confiée à Olten, le trio d’autres superpuissants bien de chez nous). Ça s’est passé en janvier de cette année. Aaron Beam (basse, vocal) et John Sherman (batterie) atterrissent en Suisse, accueillis par Kunz.IlsfilentàLausanne,auclub LeRomandie,yinstallentleurmatos puis vont boire une bière dans un drôle de festival. Suite à cette joyeuse arrivée, ils écrivent le lendemain quatre songs sur les cinq Red Kunz, un premier concert, un premier CD, le tout en une semaine. LDD qui figureront sur «Teeth, Hair & Skin», l’album qui est au bout de l’opération:«C’estplutôtdelafraternité qu’un groupe actuel», dit Louis Jucker (Coilguns, The Fawn), «Il n’y a pas de concept, d’artwork, de programme, c’est juste nous!», avance-t-ilhumblement.Ilsseront rejoints par toute une équipe de créateurs vidéo, graphistes, et autres esprits créatifs les entourant. Le but, en faire le maximum en très peu de temps. Ils font quelques tours dans Lausanne, s’achètent une guitare acoustique, retournent sur scène et ce soir-là, final takes, les tunes de l’album seront bien ceux-là. Le moment est filmé (voir Youtube sous le titre entre parenthèses «Live take of the whole record» – Instrumental), et comme dit instrumental uniquement, sans les voix de Beam et Jucker: «Nous changeons tout le temps, nous sommes libres, nous jouons de la musique forte et nousavonstoujours duplaisiràfaire ce que nous faisons!» généralise Louis Jucker. Le jeudi de cette semaine, ce dernier et Aaron Beam écriventleslignesvocalesetlesparoles,dansl’attiquedeLouisJucker. Les deux autres boivent des bières et mangent des pizzas. Le lendemain,c’estconcert!Les21minutes de Teeth, Hair and skin vont souffler l’assistance du Romandie, et cette rencontre, elle, en sera sanctifiée, comme estampillée de la marque infaillible de la légende. «Transatlantic», «The Beggar», «Four good Reasons», «Prisms, Teeth, Hair & Skins» explorent le langage stoner, le rock dont on s’épure avec distance qui va au boutdesonexpressivité,chaquetitre ayant sa part noise ou bruitiste, surtout dans les déferlantes de tomesetdegrossescaisses,maisl’accrocheestlà,cequ’onpeutattendre d’un rock immatériel aussi dense et concentré qu’une bonne semaine à ne faire que ça, aussi! Ici, somme toute, on en a une bonne tranche, et c’est bien d’une vie qui laisse, disons, rêveur. PIERRE-YVES THEURILLAT «Teeth, Hair & Skin», distribution Hummus Record Sur le long bout droit entre Bévilard et Sorvilier, dans une voiture sport, le pilote fait tourner une cassette: «Counterparts», des Canadiens de Rush. Place du mort, pas super fan de ce trio de heavy prog, je reste bouche bée. La vitesse participe à l’affaire, mais je craque complètement sur cet album: énergie, puissance des galops rock et épiques et voilà t’y pas que l’autre jour sur Youtube, je tombe sur cet album. Maouh! Aux Galeries de Moutier (aujourd’hui, on dirait à la Plapla), pause de midi: une autre élève se rend également dans le secteur 33 tours. Elle dévisage et déshabille de part en part une pochette de Whitney Houston, tandis qu’approchant le LP en question, quelque temps après avoir acquis le 45t «Kayleigh», je m’achète un des disques marquants de ma vie d’ado, surmontant l’idée émise d’un autre que la voix de Fish est horrible car il chante comme un chanteur de heavy metal. On n’a pas fait plus romanesque dans le renouvellement d’un courant (in)fini: le progressif. On a même fait du metal prog’ depuis... KENT D’un autre Occident Un artiste confidentiel, l’ancien de Starshooter? En tout cas, avec cet album, l’ex-punk rocker et dandy émerge largement dans mon boxoffice perso. «La terre tourne», «Les années pires», quelques joyaux pour un album où l’homme sort la tête hors de l’eau. CHRIS SQUIRE Fish out of Water Hors de l’eau, justement. C’était au Lollypop, à Bienne. A la recherche de raretés de valeurs, je puise vainement dans le vinyle lorsqu’à l’écoute d’un quelconque album, se dresse en face une paroi ornée de multiples cassettes. Je tombe sur cette édition du seul album solo du bassiste, choriste et compositeur de Yes Chris Squire. Rien que l’objet? Hé ben non, cet album est un pur chef-d’œuvre et qu’il soit en format K7 ne fait qu’ajouter au bonheur...