Sophie Calle - une introduction

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Sophie Calle - une introduction
Sophie Calle
Une introduction
Sophie Calle émerge sur la scène de l’art à l’aube des années 80. Encouragée par un critique
sagace, Bernard Lamarche-Vadel, qui le premier, lui souffle que son travail de photographe
appartient au domaine de l’art, distinguée par Jean Baudrillard qui lui consacre un essai qui
pourrait figurer comme étude de cas dans son ouvrage sur la séduction, elle connait tôt la
notoriété.
Méthodes : cette renommée doit aussi à quelques polémiques et mini-scandales que provoquent
des méthodes à mi-chemin entre le journalisme d’investigation et l’enquête policière.
Voyeurisme et envahissement de la sphère privée sont les critiques les plus fréquentes : sujets ou
victimes se rebellent contre des indiscrétions dont on peut d’ailleurs soupçonner qu’ils en sont
aujourd’hui secrètement fiers. Ceci se passait bien avant les révélations sur les agissements de la
N.S.A…
Détective : les enquêtes, filatures, perquisitions de Sophie Calle n’ont pas d’objet. Il n’y a pas eu
délit, pas le moindre soupçon, pas de « raison ». Alors, la filature en soi ? A moins que l’énigme,
ce soit l’Autre.
Autobiographies : Sophie Calle puise dans sa mémoire et sa vie quotidienne des prétextes à de
courtes fables, des petits contes (moraux). Ces histoires vraies, banales en apparence, ne le sont
que dans la mesure où chacun, en son for intérieur, y souscrit. C’est leur grande force discrète
que chacun(e) s’y reconnaisse naturellement. Elles se cumulent et leur recueil ne cesse de grossir
au fil des ans.
Appel à témoins : Sophie Calle ne s’exprime pas exclusivement à la première personne du
singulier. Elle interroge aussi la vie de personnes placées dans des situations particulières et leur
laisse la parole. Elle a ainsi consacré plusieurs travaux aux aveugles. Qu’est-ce que la beauté ? La
couleur des « monochromes » ? qu’est -ce que perdre la vue ? Des questions qui ne sont pas de
pure curiosité et qui trouvent dans l’œuvre des réponses poignantes
Autofiction : en endossant le rôle d’un personnage de roman dont elle est le modèle (la Maria de
Paul Auster) et en racontant l’histoire à son tour, Sophie Calle fait-elle de l’autofiction ?
Medium : une image, indice ou preuve de ce qui est advenu, dénuée de tout pittoresque, un texte
factuel sans la moindre afféterie, leur combinaison systématique, leur caractère inséparable,
l’image comme mega-texte, le texte comme image (à la manière des conceptuels ?), oui ! Cela
constitue un style.
Genre : féministe, Calle l’est sans aucun doute et l’a manifesté souventes fois. Dans son travail
d’artiste pourtant, elle n’en fait jamais une revendication de genre. Tout au plus doit-on noter
qu’à l’exception de rares héros, les hommes y sont pusillanimes, voire lâches (et si c’était vrai ?)
Pudeur : volontiers provocante, Sophie Calle se garde d’user de la violence et de l’obscénité qui
marquent l’art de l’époque. Son franc-parler-montrer s’avère remarquablement pudique. Non
sans humour : Sophie Calle appelle un chat « Souris ».
Cures : Sophie Calle a plusieurs fois utilisé son travail afin d’exorciser une blessure, une trahison,
un abandon insupporté. Douleur Exquise et Prenez soin de vous sont des œuvres longues qui ne
s’achèvent que dans l’épuisement (« assez ! ») ou la dérision (le caquetage d’une perruche). Des
thérapeutiques dont demeure le souvenir.
Destin : confier son existence à autrui en définissant les règles du jeu, Sophie Calle l’a fait avec la
complicité de l’écrivain Paul Auster dont elle exécuta les instructions à la lettre aux fins de
quelques expériences singulières. Avec Maud la voyante il s’agissait de se confier aux cartes, les
tarots, qui régiraient un ou plusieurs épisodes de sa vie, prendraient « son futur de vitesse ». Une
question à élucider : Sophie Calle est-elle vraiment superstitieuse ?
Art, histoires vraies de… à l’exception notable d’un formidable portrait « arcimboldesque »
d’Anatoli dans l’opus éponyme, Sophie Calle ne pratique ni la citation ni l’appropriation de
l’histoire de l’art. Mais l’absence de tableaux des cimaises (pour prêt, restauration ou même vol),
ou l’effacement de monuments du paysage urbain lui sont prétextes à un questionnement sur la
perception de l’art et sa mémoire par des familiers des œuvres. Edifiant.
Objets : on peut noter dans l’œuvre de Sophie Calle la récurrence de certains objets, lits, draps,
toilettes de mariée… Pour paraphraser Fermigier à propos de Picasso, cela nécessiterait les
lumières de la psychanalyse pour laquelle nous n’avons nulle compétence.
Eternel retour : l’œuvre de Sophie Calle procède à la mise à jour de grands thèmes éternels, le
désir, l’amour, l’abandon, le manque, la douleur, la mort et son chagrin… Que dire d’autre ?
Mère : la mère de Sophie Calle était une femme remarquable. Avec « Rachel Monique », Sophie
Calle lui a consacré un bel hommage en forme d’élégie. Mais pour le chagrin de la mort, il n’est
pas de thérapie.
Auteur(e) : aux prophéties de Barthe et des structuralistes qui annonçaient l’effacement voire la
disparition de l’auteur, Sophie Calle oppose un démenti formel. Flaubert disait : Emma Bovary,
c’est moi. Sophie Calle dit : Sophie Calle, c’est moi.
A la définition de Robert Filliou « l’art, c’est rendre la vie plus intéressante que l’art » Sophie
Calle pourrait rétorquer « la vie, c’est rendre l’art plus intéressant que la vie » et user
indifféremment des deux formules.
A suivre…

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