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Dialogue islamo-chrétien : une première en France ! 1er Forum islamo-chrétien Lyon, 26 et 27 novembre 2011 Les 26 et 27 novembre 2011, à Lyon, a eu lieu le 1er forum islamo-chrétien, organisé par Azzedine Gaci, recteur de la mosquée « Othmane » à Villeurbanne, et Vincent Feroldi, délégué du diocèse de Lyon pour les relations avec les musulmans. Il a rassemblé une cinquantaine de responsables religieux de tous horizons (catholiques, protestants et musulmans), venus de la France entière. C'était une première en France. Le cardinal Philippe Barbarin a participé à la séance inaugurale. Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille, a pris part à l’ensemble du forum, comme Mme Anne Thöni, pasteur, aumônier à l'hôpital Avicenne, ministre du culte, responsable de la Fédération protestante de France pour les relations avec l’Islam, Dans la délégation musulmane, on notait en particulier la présence de M. Ahmed Jaballah, doyen de l'Institut européen des sciences humaines de Paris et nouveau président de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France), de M. Anouar Kbibech, président du RMF (Rassemblement des Musulmans de France) et secrétaire général du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), ainsi que des recteurs de nombreuses mosquées dont, bien sûr, celle de Lyon, avec M. Kamel Kabtane. Quelques belles interventions initiales ont donné le ton général pour la rencontre. Le cardinal Barbarin, rappelant que « la vérité a ses droits », a invité à faire « des conversations de fond ». M. Larbi Kechat, directeur du Centre socioculturel de Paris, insistant sur le fait que « nous sommes des êtres de relation », a appelé les participants à « découvrir les trésors de leur intériorité ». M. Azzedine Gaci alla bien dans le même sens quand il disait : « On ne naît pas ouvert, respectueux et pluraliste. On le devient par un travail sur soi et une ouverture sur l’autre. Mais il faut d’abord effectuer ce voyage à l’intérieur de soi pour savoir qui on est. On est jamais autant 2 sereinement ouvert vis-à-vis des autres que quand on est confiant vis-à-vis de soi ». Quant au P. Vincent Feroldi, il rappela qu’il était essentiel de pouvoir « ensemble converser, dialoguer, discuter, confronter et réfléchir sur la manière dont nous pouvons collaborer pour répondre aux attentes des hommes, en restant fidèle à notre propre foi et en nous respectant profondément ». Quand on organise une rencontre islamo-chrétienne, le danger est grand de rester dans les généralités, voire les banalités. Mais le choix et la précision des sujets choisis ainsi que la qualité des participants ont permis pour une fois d'aller plus loin, dans un grand esprit de confiance et de franchise mutuelle. La rencontre s'est déroulée à travers quatre thématiques extrêmement variées : perspectives du dialogue islamo-chrétien en France les aumôneries en hôpital, en prison et dans l'armée : enjeux, questions et partenariats les mariages civils, religieux et mixtes : un défi pour notre temps laïcité, religion et politique Le dialogue islamo-chrétien Ouvrant le premier sujet : « Le dialogue islamo-chrétien », le P. Christophe Roucou, directeur du SRI (Secrétariat pour les relations avec l'islam), rappela que le dialogue n’était pas une tactique, mais un engagement pour relever un triple défi : un défi citoyen. Il s’agit d’aider, par notre dialogue, à promouvoir des valeurs communes car nous ne développons pas suffisamment le champ des propositions sociales. un défi intellectuel. Les uns et les autres, en Europe, sont confrontés à la modernité et à la question de l’autonomie. Pour les chrétiens, cela a comporté bien des ruptures avec la Réforme et les protestantismes dont l’origine a été la lecture des Ecritures. De même, comment est-il possible pour des croyants musulmans de lire le Coran au XXI° siècle, dans un contexte si différent du VII° siècle ? Un défi herméneutique. Il est bon de s’interroger sur comment éclairer aujourd’hui le dialogue entre foi et culture. De son côté, M. Tareq Oubrou, recteur et grand imam de la mosquée de Bordeaux, a noté que le dialogue était de deux types : Le dialogue fondamental : texte, références, herméneutique, Révélation, intertextualité de nos Ecritures. Il y a une intertextualité inscrite dans l’exégèse musulmane pour voir comment fonctionnent nos religions. Mais aussi la sécularisation, l’herméneutique. Qu’entend-on par dogme, rite, mystique, droit… ? Le dialogue appliqué à des faits de société : 3 ► la théorie du genre, par exemple : l’égalité entre parité et justesse concernant l’homme et la femme. ► Est-il possible de proposer une vision en rapport avec la réalité : avons-nous des théologies de la réalité ? ► Lier théologie et philosophie. ► La démocratie : comment nous situer entre tradition et société politique qui statue sur des situations qui nous concernent tous : mariage entre homosexuels, etc. ► Comment un musulman ou un chrétien, engagé en politique, peut-il être interface entre les communautés croyantes et la société ? ► Peut-on découpler la connaissance de l’éthique ? ► Quel est l’usage du savoir ? Bien sûr, l'islamophobie est venue sur le terrain au cours de la discussion. « Pas étonnant », a constaté un participant, étant donné que « l’islam n’a jamais été abordé sous un angle serein, mais vu successivement à travers les croisades, l’orientalisme et la colonisation ». Mais on a également parlé de christianophobie, manifestée par exemple dans le choix des livres sur le christianisme que l'on trouve dans les librairies musulmanes. Est venue également sur le tapis l'inévitable question des conversions. Un participant ne notait-il pas qu'il ne fallait pas laisser se développer le fantôme de la « conversion » dans nos religions ? M. Michel Younès, de l’Université Catholique de Lyon, a conclu la séance en constatant que le dialogue interreligieux ne pouvait pas se faire contre qui que ce soit. Chacun est renvoyé à un travail sur soi, ad intra, et, en tout état de cause, on ne peut pas vraiment dialoguer sans faire son autocritique. Les aumôneries Le second sujet du forum s’intéressait aux diverses aumôneries, que ce soit en hôpital, en prison ou dans l'armée, et qui constituent en quelque sorte une « interface » entre les musulmans et les chrétiens, obligeant les partenaires à travailler ensemble. On ne s’est pas vraiment arrêté sur les aumôneries militaires. En revanche, les deux autres aumôneries ont suscité beaucoup d’intérêt. Pour ce qui est des aumôniers musulmans en hôpital comme en prison, la question de leur formation a retenu longuement l’attention. M. Djelloul Seddiki, directeur de l’Institut Al-Ghazâli de la grande mosquée de Paris, a présenté une courte description du programme de la formation donnée aux futurs imams et aux futurs aumôniers. Il a souligné les difficultés des étudiants pour trouver un lieu d’insertion, une fois leurs études terminées. Pour les aumôneries hospitalières, on a mentionné la signature nationale de la charte hospitalière par les quatre religions et qui offre une sorte de cadre général. Elle distingue agent public (salarié) et collaborateur (bénévole) et souligne l’importance d’une préparation avant d’entrer dans le monde hospitalier. 4 On a dit - mais attention à ne pas forcer le trait - que les chrétiens sont plus dans l’accompagnement, et que les musulmans sont plus dans le rite. Les aumôneries pénitentiaires sont actuellement le parent pauvre, surtout du côté musulman qui n'a que 160 aumôniers, là où il en faudrait le triple. Vincent Feroldi, aumônier à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, note une avancée importante pour les prisons du fait de la mise en application des règles européennes veillant aux droits des personnes. Mais, évidemment, les problèmes budgétaires restent une question difficile et sensible : comment répartir la modeste enveloppe attribuée aux six aumôneries (catholique, israélite, musulmane, orthodoxe, protestante et bientôt bouddhiste). En conclusion, il est bon de rappeler que les aumôneries sont nées avec la loi de 1905, dans le souci d’accorder le droit au culte pour tous les citoyens qui en sont empêchés, mais il y a encore du chemin à faire. Le mariage civil, religieux et mixte Le troisième sujet, « Le mariage civil, religieux et mixte : un défi pour notre temps », a fait l’objet de débats très animés. Sr Colette Hamza a d'abord rappelé les cinq piliers du mariage catholique qui constitue un sacrement : l’union d’un homme et d’une femme la liberté du consentement la fidélité de l’engagement dont la source est en Dieu l’indissolubilité du lien, car don de Dieu. La fécondité de l'union par l'accueil des enfants et aussi dans l'ouverture aux autres. Le mariage civil existe en France depuis 1792. Il est la forme légale du mariage. Il est la cellule de base de la société avec reconnaissance et protection juridique. Il est également un préalable à toute cérémonie religieuse. Un mariage religieux seul serait illicite et invalide. M. Larabi Becheri, directeur scientifique de l'IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) de Château-Chinon, évoqua le mariage en islam. Il est avant tout un contrat : il est l’alliance d’un homme et d’une femme dans le but de former une famille, d’établir des alliances et des filiations légitimes. Il a une apparence civile, mais comporte aussi un contenu spirituel. Les éléments du contrat sont la présence d’un tuteur (si la personne est mineure) et de deux témoins, une dot et un consentement mutuel. Quant aux effets, le contrat implique des droits et des devoirs. Il est conclu en principe sous le régime de séparation des biens. On peut le dissoudre, mais l’acte licite que Dieu déteste le plus, c‘est le divorce, selon une parole du Prophète. La dissolution du mariage est entre les mains du mari. La femme ne détient pas le divorce, mais peut demander une séparation (khul‘). Il y a actuellement une évolution vers la mise du divorce entre les mains du juge. Mais il faut d’abord chercher la médiation. Mais comment se pratique le mariage musulman en France ? Force est de constater qu’il existe encore un certain usage du mariage coutumier (quelque peu clandestin). 5 On y a recours par habitude et par recherche du licite. On pourrait même parler de « concubinage halal ». De leur côté, les institutions religieuses encouragent à ne pas avoir recours au mariage coutumier, mais à passer par le mariage civil français. Autre pas important : le divorce, prononcé par une juridiction française, est désormais reconnu par le croyant musulman. Mais que faire s’il y a deux contrats superposés : mariage coutumier et mariage civil ? Quand il y a un différend, que faut-il appliquer : la loi française ou la loi islamique ? Le problème est que le mariage musulman n’est pas que religieux ; il est aussi « civil ». Il faut aller dans le sens d’un contrat civil (au sens de la loi française) avec, peut-être en plus, un acte notarié. On a pu assister alors à un moment de dialogue intra-musulman, car il s’agit d’un sujet sensible sur lequel les avis divergent assez largement. Un intervenant musulman déclarait : « Ce sujet mérite deux jours de forum. En effet, il y a d’autant de paroles et d’avis que de musulmans ». Un autre a jugé bon de rappeler certaines notions : La célébration religieuse n’est pas une obligation dans la légalité du mariage. Le contrat de mariage musulman peut être célébré n’importe où. La lecture de la Fatiha n’est pas exigée. C’est un plus, une bénédiction, mais non une condition de validité. Dans certains pays, les enfants sont considérés comme musulmans, mais ça relève du droit de chaque pays ; l’enfant n’est pas responsable. Il est dit musulman. Il est vraiment musulman quand il devient pubère et prononce la shahâda. Le double contrat : selon la loi républicaine et selon la loi du Prophète. Quand il y a conflit, comment juger ? Il y a là un travail à faire avec les juristes du droit musulman. Il faut que les règles puissent être comprises par la base, et validées par des instances. Tous ces problèmes n’existent pas dans les pays musulmans. Les Malékites donnent quatre ans pour qu’une femme délaissée redevienne libre. Cette dernière question est bien épineuse pour certaines femmes délaissées par leur mari et qui se retrouvent coincées (mu‘allaqa) sans pouvoir se remarier. Et que dire du problème des sans-papiers désirant contracter un mariage ? M. Azzedine Gaci conclut ainsi devant toutes ces interrogations : « Il y a peu de lieux où les musulmans de France et d’Europe prennent le temps de discuter de toutes ces questions sensibles qui leurs sont spécifiques. A terme, les Européens de confession musulmane devraient réfléchir à la mise en place d’un fiqh, c'est-à-dire d’un droit musulman typiquement européen dans lequel les savants musulmans doivent tenir compte à la fois de l’authenticité des textes (Coran et Sunna) et de la réalité sociale, économique et politique dans laquelle vivent musulmans d’Europe. C’est en train de se faire ». Un autre intervenant ajouta : « Il faudrait réviser le fiqh et non le sacraliser ». 6 Dans l’Eglise catholique, on remarque un certain questionnement à propos du sacrement de mariage. En effet, les conditions requises ne sont pas toujours réunies. Beaucoup souhaitent qu’à l’occasion de leur mariage, il y ait une dimension spirituelle, mais sans pour autant vouloir un sacrement. Du côté protestant, les questions sont assez tranchées : tout ce qui est juridique relève de la société. Au temple, on accueille un couple qui est marié. Il y a alors la présentation de ce couple à Dieu et le pasteur atteste que Dieu s’engage dans ce mariage. Tout le monde s’est retrouvé d’accord pour dire qu’il fallait éduquer à l’importance du mariage civil. Quant au PACS, Mgr Georges Pontier rappela qu’il s’agissait d’un outil juridique qui n’avait rien à voir avec le mariage. Le forum se devait d’aborder clairement le problème des couples mixtes, islamochrétiens. Dans ces cas, faut-il se contenter d’un mariage civil ? Inévitablement, la question de la dissymétrie dans le mariage islamo-chrétien a été évoquée : « Comment concevoir qu'un musulman puisse épouser une chrétienne mais que, selon l'islam, un chrétien ne puisse pas épouser une musulmane ? » Plusieurs ont reconnu qu’il était important de bien accueillir les candidats à un mariage mixte et de bien expliquer la position du droit musulman. Un intervenant se demande si, « dans le contexte actuel où, en cas de divorce, c’est souvent la mère qui a la garde de l’enfant, il ne devrait pas être plutôt être interdit qu’un musulman épouse une non-musulmane » ? Un autre souligne qu’étant dans un pays qui postule la parité homme/femme, ce que nous autorisons pour les hommes, à savoir le mariage avec une chrétienne ou une juive, devrait être autorisé pour les femmes. Que penser de la fameuse shahâda administrative par laquelle il est demandé au conjoint chrétien une simple conversion des lèvres ? Comment avancer entre normes juridiques et itinéraires humains ? Les demandes et les sensibilités sont multiples. On est bien d’accord sur l’importance de préserver la dimension spirituelle des mariages mixtes et d’accompagner le couple dans son cheminement. Il faut encourager des lieux de parole entre eux et avec d’autres, pour réfléchir aux formes de transmission de la foi aux enfants. L’observation d’une participante pourrait servir de conclusion à ce thème : « Dans notre débat, il y a un grand absent : Dieu. Or Dieu seul est maître des cœurs. Je suis choquée d’entendre parler de cette question en termes juridiques. Puissions-nous inviter les couples à réfléchir ensemble, à faire un chemin dans la prière. On choisit de se marier pour l’amour du conjoint. L’enfant ne nous appartient pas. Il appartient à Dieu ». Laïcité, religion et politique Le temps limité n’a pas permis de donner au dernier sujet toute l’extension qu’il méritait, d’autant que le rapporteur musulman, M. Ghaleb Bencheikh, président de la 7 section française de Religions pour la paix, n’a pas pu arriver à temps. Son intervention a été reportée à la fin. Le sujet a été introduit du côté chrétien par le P. Jean Marc Aveline, directeur de l’ICM (Institut Catholique de la Méditerranée) à Marseille. Distinguant bien dès le départ la différence entre laïcité (une loi) et laïcisme (une idéologie), il constate que les chrétiens ont bien intégré la laïcité à l’inverse des musulmans. Mais cela n’a pas été facile dans l’Histoire. La laïcité ne va pas de soi. Elle relève d’un bon dosage entre le public et le privé. Dans la sphère occidentale, c’est une question refoulée et l’on doit aux musulmans de pouvoir la poser aujourd’hui à nouveaux frais. Une religion à qui l’on confèrerait une place dans l’espace public doit aussi faire la preuve qu’elle est capable de laisser place à d’autres religions dans ce même espace public. Les projets de société à partir des plus pauvres sont un socle commun à nos deux religions ; c’est la capacité à être solidaire des pauvres qui rendra le mieux hommage au Dieu que nous confessons. Les trois critères de ce dialogue entre chrétiens et musulmans sont dès lors, selon lui : Un critère de vérité : l’autre croyant, l’autre homme (aussi bien non-croyant que croyant) m’éclaire sur mes propres raisons de croire et m’oblige à purifier ces raisons où trop d’intérêts risquent de se glisser. Un critère de solidarité : notre souci commun, ce sont les pauvres. Si on les oublie, nos échanges sont du bavardage. Un critère spirituel : ce qui est mis en œuvre dans le dialogue est toujours un don de Dieu. M. Azzedine Gaci est alors intervenu : « Si l’on veut être entendu en tant que croyants porteurs d’une foi et d’une spiritualité, il faut qu’entre musulmans, nous soyons d’accord ! Et cet accord porte sur quatre sujets centraux : Le respect de la dignité humaine : avant d’être juif, chrétien ou musulman, l’Homme est d’abord un être humain à qui Dieu a donné une dignité qui n’est pas négociable. Le respect de l’égalité des êtres et, notamment entre nous, l’égalité homme-femme : c’est la qualité et la disposition de notre cœur qui nous différencient en tant qu’être humain, et non la nationalité, l’appartenance ethnique ou alors la couleur de notre peau. Le respect de la liberté de conscience : c’est un sujet à étudier entre nous musulmans. Les conversions sont un sujet sensible. Le respect de la diversité religieuse qui est une volonté divine : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns et les autres par les bonnes actions. Votre retour à tous se fera vers Dieu, il vous éclairera au sujet de vos différends » (Coran 48/5). 8 Quelqu’un a fait une remarque fort judicieuse : on a confondu laïcité des individus et laïcité d’Etat, alors que c’est bien de la seconde que l’on traite. Il y a une grande demande de laïcité de la part des populations musulmanes, mais non de laïcisme. Agissons « pour une Europe plus inclusive et plus démocratique » ! Le P. Jean Marc Aveline constata alors : « Il y a eu la tendance à se contenter du dialogue culturel, moins dangereux, et de réserver le dialogue religieux avec le judaïsme qui nous est proche puisque nous partageons les mêmes Ecritures bibliques. Mais en conclure qu’il n’y aurait de pertinence théologique qu’avec le judaïsme serait une erreur : dès lors qu’on accepte qu’il y a de la vérité chez l’autre qui n’a pas la même croyance, dans cette épreuve pour le croyant, il y aura une pertinence théologique pour chaque religion à partir de l’expérience qu’elle aura fait avec d’autres. Le dialogue a une portée théologique. Dans la compréhension chrétienne du mystère de Dieu, quelque chose peut s’approfondir à partir de ce que j’entends chez l’autre. Mais il faut travailler ! Il faut le montrer, l’écrire et le travailler ! ». Un musulman interpella alors les chrétiens : « Que pense l’Eglise des lois sur la burqa, le halal, etc. ? Ces questions touchent pour nous au sacré avec ses aspects fondamentaux et spirituels. Il y a aussi la question de l’espace public : comment comprendre le « public » ? Quelle est la réflexion chrétienne en la matière ? » Sans répondre directement à la question, Jean-Marc Aveline conclua : « Comment faire valoir que la revendication religieuse (une préoccupation ultime), même avec les ambiguïtés du religieux, est une revendication noble et qui ne contrevient pas à l’agir social dans le monde ? Dans la religion, il est question de ce qui est le meilleur dans la spiritualité. La spiritualité laïque est une impasse en soi. Mais elle révèle l’incapacité des religions à faire valoir ce qui est en leur cœur. Le dosage n’est pas le dosage du religieux, mais du public et du privé : expression dans le domaine public ou privé. Mais il est normal que des croyants, parce qu’ils sont croyants, s’intéressent à la cité, et parce qu’ils sont croyants, ne se laissent pas dicter ce qu’ils veulent par des politiciens ». C’est seulement vers la fin de ce débat que M. Ghaleb Bencheikh a pu donner sa contribution. Comme il l’a dit lui-même, « ce sera le citoyen, homme de foi, qui va s’exprimer ici pour la disputatio dans ce cénacle ». Il a donné une excellente définition de la laïcité : «loi qui garantit le libre exercice de la foi tant que la foi ne prétend pas faire la loi » et l’a accompagné d’une fort jolie expression : « La laïcité serait le catalyseur du vivre ensemble ». Il est effectivement peut-être temps de comprendre la laïcité comme un catalyseur du vivre ensemble, mais il y reste cependant quelques interrogations : une nation ne saurait exister sans un sacré qui la lie. La religion est aussi le lieu d’une expérience commune de transcendance, d’élévation, de sens et de don de soi, contre lesquels aucune idée de laïcité ne peut contrevenir. Fondamentalement, la confusion du temporel et du spirituel en islam est une construction humaine. La gestion des affaires dans la cité est areligieuse. Il n’y a pas de raison de donner autant de poids à la lettre du Coran : la prétendue « loi de Dieu » ne dit rien sur les affaires complexes du monde et la conscience suffit à l’action morale. L’islam peut très bien s’intégrer dans la laïcité à la française. 9 En France, on pourrait parler d’une roche-mère : la tradition chrétienne sur laquelle les apports successifs se sont sédimentés, y compris l’islam. La question islamique est intrinsèque culturellement au devenir de la France dans l’Histoire et dépasse largement les histoires de banlieue. Comme l’a exprimé le communiqué final, « les participants ont rappelé qu’ils étaient d’abord des citoyens, fortement attachés à l’esprit de la laïcité qui donne l’occasion aux religions de s’exprimer dans la cadre des lois de la République. Il leur est apparu essentiel de travailler régulièrement, chrétiens et musulmans, sur des terrains où ils partagent les mêmes valeurs et le même sens de l’homme. Pour eux, dans une société française multiculturelle, le dialogue n’est pas une option parmi d’autres mais une nécessité ». Perspectives Le forum s’est terminé par une rapide évaluation. M. Kamel Kabtane, le recteur de la grande mosquée de Lyon, a bien résumé le sentiment général : « On est au début de quelque chose de prometteur ». Au fil des échanges, quelqu’un avait utilisé l’expression : « rencontre de courtoisie ». Bien sûr, la courtoisie était omniprésente, mais en fait, il s’agissait de bien plus que cela. Chacun est reparti avec la conviction qu’un pas important avait été fait dans la construction du vivre ensemble. Vincent Feroldi a pu alors conclure le forum en soulignant qu’il fallait une suite, en se concentrant sur un thème préparé par tous et par des spécialistes experts. Elle aura lieu en décembre 2012, à Lyon. Vincent Feroldi, délégué du diocèse de Lyon (Rhône) pour les relations avec les musulmans Azzedine Gaci, recteur de la mosquée « Othmane » à Villeurbanne (Rhône) Mars 2012